préface pour appréhender la nature singulière du groupe Altrad, il

Transcription

préface pour appréhender la nature singulière du groupe Altrad, il
Préface
Le désert ne se visite pas. Il se vit. Pour les uns, il raconte des
fables de sable. Pour les autres, il est muet, silencieux, indifférent
aux états d’âme. Pour les uns, il est l’âme. Il est le retour aux
sources et source d’inspiration. Il est littérateur et poète, inventeur
de chimères, pourvoyeur de légendes. Pour les uns, le désert est
comme une seconde naissance. Il les accouche.
Pour les autres, le désert n’est qu’un vaste cimetière.
Il les enterre.
Pour les uns encore, il représente la pureté, l’absolu.
Pour les autres, il est souffrance, péché, enfer.
À vrai dire, le désert est un exceptionnel révélateur du caractère
humain.
Jacques Lanzmann
L’Empire du silence
Pour appréhender la nature singulière du groupe Altrad, il faut
comprendre la personnalité de son fondateur, aujourd’hui son
dirigeant.
Car Mohed Altrad, c’est d’abord une histoire humaine, une
histoire qui associe la volonté d’un enfant au courage, à la
compétence et à l’intuition d’un entrepreneur.
En effet, comme pour toute histoire humaine, il faut se pencher sur l’origine d’un parcours qui peut, sans emphase, être
qualifié de romanesque ou, en tout cas, d’exemplaire.
18
Groupe Altrad
Né en Syrie, dans une tribu nomade, Mohed Altrad devient
très tôt orphelin. Le désert et la pauvreté ont été ses premiers
compagnons. Des difficultés de toutes sortes s’acharnent sur
une enfance particulièrement rude et solitaire.
De cette situation qui le confronte à l’épreuve et à la méditation, Mohed Altrad fera une force.
Ce Badawi (Bédouin) qui multiplie aujourd’hui les succès
économiques et littéraires n’a pas eu accès à l’école car on le
lui a refusé. Mais il a le goût du travail et il veut réussir. Il
lui faut une grande force de caractère pour parvenir à faire ses
études dans la ville la plus proche et décrocher son bac à 17 ans.
Reconnu pour ses qualités et sa détermination, il obtient une
bourse qui lui permet de venir étudier en France. C’est alors
que commence une démarche universitaire qui le mène, après
plusieurs diplômes, jusqu’à un doctorat en informatique.
Occupant successivement des postes d’ingénieur chez Alcatel
puis Thomson, il travaille ensuite pendant quatre ans pour
l’Abu Dhabi National Oil Company (adnoc).
De retour en France, il fonde avec un associé une entreprise
informatique qui sera revendue à Matra. Grâce à cette vente il
rachète dans l’Hérault, en 1985, une pme spécialisée dans les
échafaudages. La saga Altrad trouve ainsi dans ce département
et à partir de lui une origine, une fondation et un territoire
d’où elle va s’épanouir sur tous les continents.
C’est dans cette période que se traduit et se développe dans
les faits, pour cet homme, le goût d’entreprendre et d’in­nover.
Ainsi, après avoir connu le salariat, après avoir créé une entreprise au sein de laquelle il a inventé le premier système mobile
(valisette) de prise de commande à distance, c’est le succès qui
le mène, on l’a dit, jusqu’au groupe Matra.
Il prend alors la décision de réinvestir l’ensemble de ses revenus
dans le projet Mefran, qui deviendra le groupe d’aujourd’hui.
Préface
19
Dès lors, les bases de l’entreprise qui porte son nom reposent
sur des principes et une action qui vont ponctuer sa vie publique
et personnelle : le goût pour une culture de l’initiative, l’attachement à une œuvre collective, le développement d’une pensée
originale du management, mais aussi un intérêt pour le sport
et une passion pour la littérature.
Il faut s’arrêter un instant sur ce dernier point. Car il n’est pas
fréquent de croiser sur sa route un homme qui à la fois dirige
une grande entreprise internationale et publie avec succès, chez
Actes Sud, des livres ayant de vraies qualités littéraires. C’est ainsi
que Badawi, le premier roman de Mohed Altrad, a été proposé
par le ministère de l’Éducation nationale aux élèves français. Des
enseignants ont réalisé un dvd pour accompagner cet ouvrage
autobiographique, où l’on découvre que l’auteur a appris à lire
seul et s’est forgé, dans la mémoire du désert de sa jeunesse,
un regard sur le monde et sur la mort d’une étonnante acuité.
Et puis d’autres livres ensuite : La Promesse d’Annah, L’Hypothèse de Dieu… De cet Orient que nous disons “proche” parce
qu’en fait il est une part de nous-­mêmes, Mohed Altrad parle
ainsi d’une voix que nous aimons écouter.
Présence de l’autre, lucidité et distanciation vis-­à-­vis de la
mort et de notre radicale finitude, tout cela peut donner une
apparence de dureté. À cette lecture on comprend bien que la
vie – qui est une résistance – s’impose en prenant parfois les
chemins les plus surprenants, on y apprend aussi – c’est la loi
du désert – que les ressources sont toujours rares et que leur
gestion est l’enjeu même de la survie.
Et puis il y a le sport, le Montpellier Hérault Rugby Club dont
Mohed Altrad devient le président ! Ce club fait une arrivée
inattendue dans l’univers de l’entrepreneur. En fait, inattendue
en apparence seulement, car il s’agit du rugby, qui est sans
doute, dans sa noblesse, le sport dont les valeurs sont les plus
proches de celles qui devraient ou pourraient être celles de
20
Groupe Altrad
l’entreprise. Là aussi l’homme s’est imposé en bousculant de
vieux comportements et en sachant s’entourer des talents nécessaires. D’abord associé dans cette aventure avec Louis Nicollin,
président emblématique du Montpellier Hérault Sport Club de
football, il s’en éloigne rapidement pour divergence de vues.
Mohed Altrad investit dans le rugby sur ses fonds propres,
évitant de faire peser le risque de ses choix personnels sur son
entreprise. Il se détermine en faveur d’une gestion saine des
comptes et d’un business model * qui s’oppose aux logiques de
mercenariat proposées par certains clubs du Top 14. À vrai dire,
il dirige le club comme une entreprise, c’est-­à-­dire une équipe
complexe fondée sur une rigueur financière et le franc-­parler.
Le monde du sport n’y est pas habitué. Ses interviews dans
le “Jaune” (le journal sportif Midi olympique) ne laissent pas indifférent tant elles sont engagées et suscitent parfois la controverse.
Enfin, la place conférée à la sphère affective et personnelle,
souvent étroite pour un entrepreneur, est déterminante pour
Mohed Altrad. Celui-­ci a installé son siège social au sein même
de sa propriété, dans une dépendance attenante, afin de pouvoir
vivre avec et auprès de ses proches et voir ses enfants grandir. La
holding du Groupe prend la forme d’une maison familiale où
l’on se connaît, où l’on s’écoute, où il fait bon vivre. On a évoqué parfois la surprise des banquiers quand, lors d’un tour de
table, sa petite fille pousse la porte et vient déranger le cours des
choses sans que cela gêne en rien le président. La surprise passée,
l’incompréhension laisse la place au partage et à la convivialité.
Car la vie est là : surprenante et généreuse… Celle au sein du
groupe Altrad privilégie définitivement l’être au paraître…
Homme complexe ? Sans doute. N’est-­ce pas là une richesse ?
Car dans ce caractère, issu d’une expérience singulière des
épreuves, se logent une forte proportion de pragmatisme, une
vision de l’action concrète, une grande concentration, dans
­l’entreprise et au-delà, qui frappent tous ses collaborateurs, tous
ses partenaires. En effet, ce que cet homme n’oubliera pas, c’est
Préface
21
ce que le désert a pu apporter comme silence au monde, ce
qu’il n’oubliera pas, c’est que sont issues de ce silence-­là toutes
les spiritualités, toutes les transcendances.
“Exigence”, le mot vient spontanément à la pensée : une exigence vis-­à-­vis de soi-­même, chacun étant l’entrepreneur de
sa propre vie, mais également vis-­à-­vis des autres sans lesquels
rien ne pourrait se faire.
Cette obsession de “l’autre”, le client, le fournisseur, le salarié,
le collaborateur, celui à qui “on passe la balle” pour qu’il fasse
réussir le groupe, cette obsession est une des marques, sans
doute la plus prégnante, de la stratégie de l’entreprise et de la
qualité de son management.
“Affable mais distant” selon un grand journal du soir, Mohed
Altrad s’écarte du monde patronal ou politique pour faire
prévaloir des règles auxquelles il croit tout simplement parce
qu’elles sont comprises, pratiquées et respectées par l’ensemble
du Groupe qui y voit la raison de ses succès.
Que ce soit au sein de la holding – une toute petite équipe par
rapport au nombre élevé de filiales – ou au sein des filiales elles-­
mêmes, les règles sont exigeantes, arides et simples : principe
de subsidiarité, rigueur sur les résultats et les comportements,
confiance mais refus de la procrastination, responsabilité de
chacun, respect des interlocuteurs.
Chef d’entreprise, écrivain de l’exil, soucieux d’une discrétion
assumée, Mohed Altrad, selon Jean Delrieu, conseil du Groupe,
ancien commissaire aux comptes, “incarne le Groupe et a transformé sa vie en destin”. Je crois qu’il a aussi diffusé autour de
lui un esprit de conquête qui n’est pas sans rappeler ce qui
est, dans le rugby, la maîtrise de soi, le respect de l’autre et
l’élégance d’un jeu collectif.
François Léotard