accords et desaccords

Transcription

accords et desaccords
CEFEDEM
BRETAGNE/PAYS-DE-LA-LOIRE
ACCORDS ET
DESACCORDS
Ou les problèmes d’accord rencontrés dans
l’enseignement de la veuze
François ROBIN
Novembre 2005
Je tiens à remercier toutes les personnes qui,
de près ou de loin, ont contribué à l’élaboration
de ce mémoire, notamment N. GRASSINEAU,
H. ARIBART, A. ROBIN, mes relecteurs ;
mes élèves et tous les membres de l’association
SONNEURS DE VEUZE, en particulier T. BERTRAND ;
toute ma famille pour avoir « supporté » de longues
heures mes débuts d’apprenti veuzous.
2
ACCORDS ET
DESACCORDS
Ou les problèmes d’accord rencontrés dans
l’enseignement de la veuze
3
SOMMAIRE
Introduction………………………………………p.5
1. L’oreille : entendre l’accord ..………………..p.7
2. L’instrument : corriger l’accord ……..……..p.14
3. Représentations
et
Contexte :
concevoir
l’accord ……………………………………....p.22
4. Enseigner l’accord : faire entendre, corriger et
concevoir …………………………………….p.30
Conclusion ………………………..……………p.38
Annexes
Bibliographie/Discographie
4
INTRODUCTION
« La veuze, ça sonne faux ! ». Il y a encore une quinzaine d’années, le
propos de cette petite phrase assassine était presque un lieu commun pour un
certain nombre de personnes qui regardaient, l’œil ironique, voire arrogant, la
résurgence timide et non-aboutie de cette cornemuse un temps disparue.
Heureusement, depuis lors, et suite au travail précis et passionné d’un petit
groupe de musiciens, cette évidence n’en est plus une et les détracteurs se
sont rétractés , ou tout au moins, se sont-ils tus.
Je concède néanmoins qu’entre les premières recherches sur la veuze et
les premiers instruments vraiment fiables proposés dans les années 1980, les
explorateurs
chevronnés
de
la
veuze
nous
ont
légué
quelques
enregistrements qui témoignent en leur défaveur : effectivement, ça ne sonnait
pas toujours très juste ! Cela venait-il des musiciens, ou des instruments euxmêmes, ou bien un peu des deux ? Cette réalité me semblait bien éloignée de
la pratique actuelle de la veuze.
Et pourtant, il y a peu, lors de mon épreuve pédagogique passée dans le
cadre du diplôme d’état, la difficulté que nous avons eu à nous accorder avec
les élèves, et surtout leur difficulté à accorder leur instrument eux-même, a été
pointée du doigt et a amené un certain nombre de questions. Cette expérience
a surtout fait ressortir un paradoxe : pour nous, musiciens qui travaillons par
oralité, en accordant une place primordiale à l’écoute, nous avions du mal à
entendre et corriger la hauteur des sons ; nous étions plus à l’aise avec la
matière musicale (reconnaître les notes d’un air) plutôt qu’avec la matière
sonore (reconnaître les sons).
En y repensant, dans le cas de mon parcours personnel, la dernière
chose que j’ai su maîtriser sur mon instrument, c’est son accord (entendre la
hauteur des sons, régler les anches, accorder le chalumeau et le bourdon).
D’où vient cette difficulté apparente ? Est-elle liée à l’instrument en lui-même ?
Est-ce plutôt un problème d’écoute, de développement de l’oreille ? N’est-ce
5
pas encore plus un problème de contexte et de sens, lié à l’importance
qu’accorde le professeur ou l’élève à cette notion ?
Nous nous intéressons donc au sujet de l’autonomie d’accord chez les
élèves sonneurs de veuze. Tout au long de cette étude, nous nous
demanderons pourquoi nous rencontrons des difficultés d’accord avec cet
instrument, les raisons pour lesquelles il semble long d’acquérir cette capacité
chez les élèves. Nous poserons cette question dans les trois premières
parties, en interrogeant tout d’abord l’oreille et son mode de fonctionnement,
puis l’instrument et son organologie et enfin le contexte et les conceptions en
jeu dans l’enseignement de la veuze. Dans la dernière partie, nous tenterons
d’aborder une synthèse de ces différents points en nous intéressant aux
tentatives de réponses qui peuvent être apportées dans notre enseignement
pour améliorer l’autonomie d’accord chez les élèves.
6
1.
L’oreille :
entendre l’accord
Dans cette partie, nous allons nous attacher à la première opération
nécessaire à l’accordage d’un instrument : l’écoute et la reconnaissance d’un
problème d’accord. La question qui nous préoccupe est donc : pourquoi tous
les élèves n’entendent-ils pas de la même manière les différences d’accord ?
Nous allons nous intéresser au rôle de l’oreille dans l’accord de la veuze : son
fonctionnement physique, psychique, cognitif.
a)
Anatomie de l’oreille :
L’oreille est un organe anatomiquement et fonctionnellement très
complexe, composé de trois parties :
L’oreille externe / L’oreille moyenne / l’oreille interne (cf. annexe 1)
Le nerf auditif transmet les informations de l’oreille interne au cerveau, qui les
traitera.
-
l’oreille externe : c’est l’organe de réception des sons. Constituée
du pavillon, du canal auditif et séparée de l’oreille moyenne par
le tympan, elle sert à recevoir et guider les sons extérieurs vers
le système auditif.
-
L’oreille moyenne : cette cavité remplie d’air contient les trois os
les plus petits du corps humain (le marteau / l’enclume / l’étrier).
Leur rôle est d’amplifier la vibration captée par le tympan pour
l’envoyer vers l’oreille interne. D’autre part, l’oreille moyenne est
constituée de la trompe d’eustache qui communique avec le
pharynx. Sa fonction principale est d’égaliser la pression de l’air
dans l’oreille moyenne avec celle de l’air ambiant.
-
L’oreille interne : c’est l’organe de perception des ondes sonores
et de l’équilibration, situé dans le rocher, en-dedans de la caisse
du tympan. Elle se compose de la cochlée (organe de l’audition)
et des canaux semi-circulaires (organes de l’équilibration). Le
canal cochléaire, rempli de liquide, est muni de fines cellules
8
ciliées sur toute sa longueur. Les vibrations provenant de l’oreille
moyenne se propagent dans le liquide et excitent les cellules
ciliées. Le message sonore physique se transforme alors en un
influx nerveux qui, via le nerf auditif, est transmis au cerveau,
pour être traité et interprété.
Nous avons là l’explication du fonctionnement physique de l’oreille. Mis à
part les troubles de l’audition possibles dans ces différents niveaux
anatomiques, nous n’y trouverons pas l’explication des problèmes d’accord
que nous rencontrons actuellement avec nos élèves. Si entendre c’est en
premier lieu percevoir physiquement la hauteur et l’intensité d’un son, c’est
aussi et surtout lui donner un sens, comme l’écrit E. DILLENSCHNEIDER1 :
« …la compréhension du message sonore met en jeu des mécanismes
d’intégration
quantifiables
psychophysiologiques
(symbolisation,
plus
complexes
mémorisation,
et
difficilement
conceptualisation,
états
psychoaffectifs, etc.). Donc deux mécanismes se succèdent dans l’audition : la
perception et la compréhension ».
b)
Compréhension du son :
C’est donc au moment où l’information est transmise au cerveau que le
décodage de celle-ci peut différer d’un individu à un autre. Si nous prenons par
exemple une veuze et que la gamme du chalumeau est trop haute dans les
aigus : qu’est-ce qui explique qu’une personne entend le problème et sait
l’identifier (gamme trop haute dans les aigus) ; qu’une autre personne sent et
entend que ce n’est pas juste (qu’elle est gênée par cet accord), mais qu’elle
ne sait pas pourquoi ; et qu’une autre encore n’entend pas de désaccord ou,
tout du moins, que ça ne la dérange pas ?
La capacité d’un musicien à s’accorder est liée à la notion bien peu universelle
de justesse.2
1
M. HONEGGER, Connaissance de La Musique de A à Z, p. 737, Les Savoirs Bordas, 1996.
pour approfondir le sujet, nous renvoyons à la lecture du mémoire de R. VIDAL, La Justesse,
mémoire de Diplôme d’Etat, CEFEDEM Rhône-Alpes, 1998-1999
2
9
ƒ
Contextes et phénomènes de perception
On peut déjà noter que la sensation de hauteur d’un son n’est pas
quelque chose de fixe, et qu’elle est liée au contexte dans lequel ce son est
produit : ainsi plusieurs paramètres influent sur cette sensation. Par exemple
le contexte de jeu d’une note est très important dans sa perception : nous
avons souvent le cas en cours où quand on tient une note de départ avec les
élèves, elle est accordée, alors que juste après la même note tenue mais
intégrée dans une mélodie est fausse. C’est dire l’importance de l’intégration
structurelle de la note dans la sensation de hauteur. Il est également admis et
remarqué que quand on joue un air rapide, les problèmes de justesse et
d’accord, bien qu’étant présents, sont moins perceptibles à l’oreille que dans
un air lent. On remarque aussi que l’oreille « s’habitue » à une certaine
fausseté, quand elle y est régulièrement confrontée : c’est le phénomène de
tolérance. Ces différents faits montrent que l’accord d’un instrument est plus
ou moins perceptible selon la situation dans laquelle il joue. L’oreille accepte
ou non ces imperfections d’accord selon son degré de tolérance, mais peut
très bien s’y accoutumer quand elle y est confrontée régulièrement.
ƒ
acculturation
et
enculturation :
l’oreille
formée
par
son
environnement
Ce phénomène de tolérance peut d’ailleurs être mis en parallèle avec la
notion de consonance démontrée par R. FRANCES. Dans une de ses
expériences, il a montré que les indices électrodermographiques (indices des
émotions) de deux groupes d’individus (un groupe de musiciens et un de nonmusiciens) ne différaient pas manifestement à l’écoute d’une série d’accords,
une consonante et l’autre dissonante. En revanche, sur le plan verbal, les
mêmes protagonistes distinguaient nettement les deux séries entendues. Ce
qui démontre que la consonance n’est pas issue d’une impression de nature
physique, mais relève de l'attirance ou de l'aversion à un modèle appris et
familier. L’oreille peut trouver choquants des déséquilibres d’accords, à
condition qu’elle ait une référence de justesse pour comparer. Cette référence
lui est donnée (ou imposée) par l’environnement musical qui l’entoure.
10
Il y a donc une filiation directe entre ce qu’entend un individu et la tradition,
l’histoire et la culture musicale du milieu social dont il est issu. C’est ce qui
explique qu’à travers le monde, dans les différentes cultures, ces notions de
consonance, de dissonance, de justesse, ne sont pas identiques, et que
chaque peuple a développé des systèmes musicaux différents, qui nécessitent
l’acquisition de codes pour être appréciés. C’est d’ailleurs la recherche qui
fonde l’ethnomusicologie.
C’est
cette
démarche
d’
« acculturation »
qu’explique
Isabelle
CLINQUART dans son livre sur la musique d’Inde du Sud, quand elle dit à
propos de l’auditeur occidental : « Pour pouvoir apprécier toute la diversité et
la richesse de la musique carnatique, il faut changer de type d’écoute ».3 Ce
conseil peut être appliqué à l’écoute de toutes les musiques inhabituelles et
inconnues de l’auditeur.
L’oreille se forme et se déforme selon l’appartenance à un milieu culturel
donné. Ce milieu peut également être réduit à une entité, une communauté
plus restreinte : la famille. Celle-ci joue un rôle fondamental dans le
développement musical (ou enculturation musicale) de chaque individu. C’est
surtout dans l’enfance que se produit ce phénomène (notamment dans les dix
premières années). On remarque que les enfants connaissent différentes
étapes d’évolution durant lesquelles leur relation à la musique et aux sons
change (expérience de Moog). Ce qu’il faut noter, c’est qu’à l’issue de cette
évolution, tous n’auront pas eu accès aux mêmes informations ou données
musicales, et n’auront pas développé la même sensibilité, le même rapport à
la musique et aux sons, de par l’environnement familial et social dans lequel ils
auront vécu. C’est surtout à ce niveau que l’on comprend les différences de
capacité auditive chez les élèves. Ce qui fait dire à M. IMBERTY « Les
processus psychologiques qui entrent en jeu dans la perception et la
compréhension de la musique ne sont pas différents de ceux qui interviennent
dans toute la vie cognitive. Les retards constatés chez la plupart des sujets
proviennent soit d’une absence quasi totale d’éducation musicale précoce,
soit, au contraire, d’un apprentissage ne respectant pas la maturation
3
I. CLINQUART, Musique d’Inde du Sud / Petit traité de musique carnatique, p.40, Cité de la
Musique / Actes Sud, 2001
11
progressive des mécanismes psychologiques qui sont en jeu ». Bien entendu,
ce n’est pas la seule explication, et il faudrait rentrer plus en détails dans la
compréhension physique de l’individu, dans ce qui est issu du patrimoine
génétique légué par nos parents, ce qui est de l’ordre de « l’inné ». Il semble
que nous n’ayons pas tous les mêmes capacités au départ. Mais notre regard
de professeur se place là où justement il peut intervenir, c’est à dire dans la
possibilité de faire évoluer une culture musicale chez l’élève.
S’il existe donc bien des différences de niveaux entre élèves, notamment
dans la capacité à entendre et juger la hauteur des sons, l’accord d’un
instrument, ces différences ne sont pas irréversibles. Ainsi, dans l’absolu, rien
n’empêchera des personnes un peu « en retard », qui pensent « ne pas avoir
l’oreille » de continuer leur évolution jusqu’à un niveau satisfaisant.
Le rôle de l’instrument
ƒ
Si le contexte familial est prépondérant dans l’acquisition de capacités
musicales propres, il est aussi lié aux représentations et au choix de
l’instrument que l’élève veut pratiquer. Or ce choix influe directement sur le
type d’oreille que l’élève va se forger. Au-delà de la musique jouée (classique,
traditionnelle, jazz…), l’instrument forme des oreilles différentes.
Dans le cadre de ses recherches sur le tempérament des chalumeaux de
veuze, le luthier Thierry BERTRAND a effectué une expérience qui amène à
cette constatation.
A l’aide de deux accordeurs électroniques, dont un donnait un bourdon au LA
440 et le deuxième une note dont la fréquence pouvait être réglée, il a
demandé à différentes personnes :
-
En premier lieu, d’accorder chaque note de la gamme diatonique par
rapport à la note fondamentale du bourdon, sans donner plus de
détails
-
Dans un deuxième temps, de renouveler l’opération, en ayant cette
fois expliqué que chaque note de la gamme pouvait être accordée
différemment.
Les personnes qui ont participé à cette expérience étaient tous musiciens,
mais d’horizons et de niveaux divers : formation classique (pianiste /
12
accordéoniste / violoniste / altiste / harpiste…) et formation autodidacte ou en
musique traditionnelle (joueurs de cornemuses / de violon / chanteurs et
chanteuses / accordéonistes / vielleux …).
Les résultats ont montré que tous les musiciens qui jouaient des instruments à
sons fixes (piano / accordéon) avaient abouti la première fois, sans
explications, à des gammes absolument incohérentes, et à la deuxième étape,
à des gammes qui s’approchaient du tempérament égal.
Les autres instrumentistes avaient quant à eux compris dès le départ les
règles de l’expérience et ont donné des résultats de gammes non tempérées.
Les problèmes de tempérament et des intervalles à l’intérieur d’une
gamme n’étant pas notre sujet d’étude, nous ne nous étendrons pas sur ces
résultats. Ceci dit, ce test démontre bien que les musiciens ne développent
pas les mêmes capacités d’écoute en fonction de l’instrument qu’ils jouent. En
dehors du type de musique interprétée, certains musiciens sont habitués à
fabriquer leurs notes, à faire leurs sons, et d’autres n’ont pas du tout cette
pratique. Cela influe automatiquement sur leur capacité auditive.
On peut donc conclure au terme de cette partie que l’oreille est un organe
complexe et riche, qui peut être développé, dans sa partie cognitive, de façon
plus ou moins grande selon l’histoire, les besoins, l’évolution et la pratique du
musicien. Tout le monde n’en est donc pas au même stade dans la
compréhension d’un objet sonore ou musical.
13
2.
L’instrument :
corriger l’accord
Dans cette partie, nous allons nous intéresser à la deuxième démarche
qui entre en jeu dans l’accordage : la correction sur l’instrument, en nous
posant cette question : en quoi les élèves ne peuvent-ils assimiler plus
rapidement les différents paramètres d’accordage de la veuze ?
a)
une veuze comment ça s’accorde ?
« Cornemuse : Instrument de musique à vent, composé d’une outre et de
tuyaux à anches. » Ceci est la définition du dictionnaire4. Vu sous cet angle,
jouer et accorder cet instrument n’a pas l’air bien compliqué. La réalité, elle,
l’est beaucoup plus.
La veuze est une cornemuse, c’est à dire un instrument muni d’une
poche ou réserve d’air. Sur cette poche sont branchés différents tuyaux en
bois qui ont tous leur rôle propre : le porte-vent (pour insuffler l’air dans la
poche) ; le bourdon (porté sur l’épaule, et qui donne une note continue
d’accompagnement) ; le chalumeau (ou hautbois, qui sert à jouer la mélodie).
Sur chacun des tuyaux sonores, bourdon et chalumeau, est montée une
anche de type différent, respectivement anche simple et anche double, en
roseau (ou en plastique pour l’anche simple), qui sont les moteurs de
l’instrument, qui créent l’onde sonore (cf. annexe 2).
Qu’entend-t-on par accorder son instrument ? Il s’agit d’une « action qui
consiste à mettre les tuyaux d’un instrument à sons fixes en rapport avec le
diapason. »5 Pour une veuze en LA, il s’agit d’accorder la note fondamentale
du chalumeau sur le LA3 440 du diapason officiel. Pour ce faire, on intervient
sur l’anche double du chalumeau. Le bourdon doit lui aussi être accordé sur ce
diapason, et l’ensemble de la gamme du chalumeau doit être équilibré par
rapport à la fondamentale. Pour décrire les différents paramètres de réglage
de la veuze nous nous sommes appuyés sur un document réalisé par Thierry
BERTRAND, facteur de veuzes, ainsi qu’un entretien que nous avons eu avec
4
Petit Larousse illustré, Larousse, 1991
5
M. HONEGGER, Connaissance de La Musique de A à Z, p.10, Les Savoirs Bordas, 1996.
15
lui. Voyons d’abord comment s’accorde la pièce principale de l’instrument : le
chalumeau.
b)
ƒ
le chalumeau
Enfoncement de l’anche
Le principe de base de l’accordage du hautbois de la veuze se situe au
niveau de l’enfoncement de l’anche double dans son logement, suivant une loi
acoustique simple, qui s’applique à tous les instruments : plus un tuyau est
long, plus le son est grave ; inversement, plus il est court, plus le son est aigu.
Pour monter une note, on enfoncera l’anche. Pour descendre une note, on la
retirera. Mais ce n’est pas si simple : toutes les notes du chalumeau ne
réagissent pas de la même façon vis à vis de l’enfoncement de l’anche. Avec
une anche trop enfoncée, toutes les notes seront trop aigües, mais plus on va
monter dans la gamme, plus la différence entre la note de référence et la note
effectuée sera importante. Dans le sens contraire, avec une anche trop
ressortie de son logement, toutes les notes seront trop graves, et plus on
montera dans la gamme, plus la différence sera importante entre le diapason
et la note. Les notes aigües du chalumeau sont donc plus altérées par
l’enfoncement de l’anche.
ƒ
Ouverture de l’anche
Un second critère rentre en ligne de compte dans l’accordage, c’est
l’ouverture de l’anche. Une anche trop fermée donnera sur l’ensemble de la
gamme des notes plus aigües que le diapason. Si elle est trop ouverte, toutes
les notes seront trop graves. Mais l’ouverture ne modifie pas que la justesse,
elle altère également l’intensité de la pression (une anche plus ouverte
demande de souffler plus fort) ; elle modifie également le timbre (sonorité forte
ou faible selon une grande ou une faible ouverture) ; elle favorise plus ou
moins la précision des attaques et des ornementations…
16
Ainsi, le musicien doit savoir régler précisément l’ouverture et
l’enfoncement de son anche, de façon à être juste sur l’ensemble de la gamme
de son chalumeau, tout en respectant une pression qui lui est propre, et un
son qui reste riche et précis. L’interaction de ces deux paramètres n’est pas
simple à maîtriser, et ne permet pas de répondre à tous les problèmes liés à
l’accordage du chalumeau.
ƒ
Epaisseur de l’anche
Certains symptômes très nets demandent d’intervenir également sur
l’épaisseur des lamelles, que l’on doit gratter légèrement, à l’endroit adéquat
selon le problème identifié, pour réajuster le tout. Mais il faut être précis, car si
on enlève trop d’épaisseur à l’anche, on peut la rendre trop souple, et là aussi
certaines notes ne passeront plus, et ce sera irrémédiable. Finalement, le
paradoxe c’est qu’une même anche, fabriquée par la même personne, avec
les mêmes outils et les mêmes cotes au dixième de millimètre près, ne va pas
forcément réagir et jouer de la même façon, et ce de par la matière dont elle
est faite : le roseau. C’est une matière vivante dont la composition interfère
également sur le son, la justesse et le réglage de l’anche, comme le décrit
Bernard DESBLANCS dans l’introduction de son étude sur les anches
simples : « …quelle que soit la quantité d’anches achetée au même fabricant,
aucune ne réagit de la même manière… »6.
ƒ
Conditions de jeu
L’anche en roseau est également très sensible à l’hygrométrie et aux
différences de températures. En règle générale, avant de s’accorder, il faut
« chauffer » l’instrument, c’est à dire jouer un peu de façon à ce que l’anche se
charge naturellement d’humidité, ce qui assoupli un peu le roseau, et fait
monter parfois assez conséquemment l’ensemble de la gamme. Ensuite,
l’anche reste assez stable, on peut donc l’accorder.
6
B. DESBLANCS, Etude et construction des anches : Les Anches Simples, Introduction,
Conservatoire occitan CMDT Toulouse Midi-Pyrénées
17
Mais certaines conditions climatiques (temps très sec, ou au contraire
très humide) ou contextuelles (utilisation ponctuelle de la veuze, entrecoupée
de longues poses) demande au musicien de s’adapter et de régler l’anche
différemment : pour un temps sec par exemple, il devra humidifier l’anche très
souvent, à la bouche, ou avec de l’eau. Pour une intervention musicale
ponctuée de poses, il ne faudra pas forcément chauffer l’instrument au
préalable, mais plutôt accorder le chalumeau « à froid », car l’anche sèchera
entre chaque arrêt et n’aura pas le temps de monter.
Ces exemples montrent la complexité d’accorder le chalumeau d’une
veuze. Ils soulignent surtout l’imbrication des différents paramètres de réglage
qui doivent être bien maîtrisés pour pouvoir gérer tous les problèmes, et
permettre en définitive de jouer juste dans toutes les conditions. Mais le
chalumeau n’est pas la seule partie accordable sur la veuze. Voyons
maintenant le bourdon.
c)
le bourdon
Une fois le chalumeau de la veuze bien accordé, on règle le bourdon sur
la note fondamentale du chalumeau. Si l’anche simple du bourdon fonctionne
bien, on n’a plus qu’à allonger ou réduire la longueur du bourdon, en agissant
sur les coulisses, jusqu’à ce que la note unique du bourdon soit à l’unisson
parfait de la fondamentale du chalumeau. En règle générale, pour faciliter
l’accord, on joue la quinte du chalumeau, ce qui permet d’avoir une main de
libre pour agir sur le bourdon. Surtout, cela fait ressortir certaines harmoniques
du son fondamentale du bourdon, notamment la troisième harmonique (quinte
naturelle). Ainsi, si on entend cette harmonique, très présente, et qu’elle n’est
pas en accord avec la quinte du chalumeau, on entend un frottement ou
battement désagréable à l’oreille. Plus on s’éloigne de l’unisson de ces deux
quintes, plus le battement est rapide. Plus on s’en rapproche, et plus le
battement est lent. Il doit devenir quasiment imperceptible in fine. On peut
alors revenir sur la fondamentale du chalumeau, et les deux sons sont
normalement absolument justes (si ce n’est pas le cas, c’est que l’anche du
18
chalumeau est mal réglée). C’est la meilleure façon d’accorder le bourdon,
mais encore faut-il s’exercer l’oreille pour entendre ces sons harmoniques.
Néanmoins, tout comme pour le chalumeau, on peut être amené à interférer
sur l’anche du bourdon. Là aussi, plusieurs paramètres sont en jeu.
ƒ
L’ouverture :
On intervient dessus quand l’anche est trop faible et que la lamelle
vibrante se bloque (ce qui est assez fréquent) ou au contraire quand l’anche
est trop ouverte et qu’elle ne marche pas non plus (ou qu’elle demande trop de
pression).
ƒ
Longueur vibrante :
Plus on raccourcit la languette, plus on donne de rigidité à la lamelle qui
demande donc plus de souffle, donne une sonorité plus forte, et un son plus
aigu. Et inversement, une longueur vibrante plus longue, donne une anche
plus grave, au son plus doux. On intervient sur ce paramètre quand le son du
bourdon est déséquilibré avec celui du chalumeau, et aussi quand on a plus
assez de jeu avec les coulisses du bourdon, et que celles-ci sont à leur
extrémité (qu’on ne peut plus allonger ou raccourcir le bourdon, et ajuster
convenablement la note produite).
ƒ
L’enfoncement :
Tout comme pour l’anche du chalumeau, on peut enfoncer ou ressortir
l’anche simple dans son logement. Comme précédemment, cela permet de se
donner un peu plus de marge dans le réglage des coulisses. Mais les
variations obtenues ne sont pas si importantes et ne doivent être utilisées par
conséquent qu’en cas de léger ré-accord.
ƒ
L’épaisseur de la lamelle :
On peut aussi être amené dans plusieurs cas à modifier le mouvement
périodique de la lamelle. Il s’agit de lui enlever de l’épaisseur ou bien lui
ajouter une surcharge, un poids, à son extrémité libre. Si on adopte cette
deuxième solution, on alourdit la lame, on augmente son inertie et sa période,
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et la lame bat moins vite, ce qui donne un son plus grave. Pour enlever de
l’épaisseur, on gratte régulièrement sur toute la surface et la largeur de la
lamelle. L’intervention sur l’épaisseur de la lamelle permet de modifier assez
fortement la fréquence du son de l’anche.
Il faut là aussi considérer que ces différents réglages ne sont pas autonomes
et qu’ils doivent être effectués en liens. Ces explications fonctionnent pour une
anche en roseau. Aujourd’hui, les bourdons de veuze sont anchés avec des
matières plastiques. Ces anches ont l’avantage d’user beaucoup moins vite
que les anches en roseau, et d’être plus stables. Mais elles sont aussi
beaucoup plus difficiles à régler.
Mais sur une cornemuse, le problème de l’accord de son instrument n’est
pas forcément lié aux anches. On peut jouer faux et avoir un instrument
parfaitement réglé. Le problème peut aussi survenir de la poche et de la
régularité de la pression chez le musicien.
d)
la gestion de la poche
Si la gestion de deux types différents d’anches sur un même instrument
n’est déjà pas simple, il faut rajouter un troisième « handicap » : la gestion de
la poche. Cet élément intermédiaire entre le musicien et les tuyaux mélodiques
est une réserve d’air permettant, quand on la maîtrise, de jouer en continu
pendant longtemps, sans se fatiguer. Mais pour rester juste, il faut envoyer sur
les anches un flux d’air le plus constant possible, de façon à ce que le
mouvement oscillatoire des lamelles soit toujours régulier.
Parfois, le problème de régularité de la pression peut venir de la poche ellemême, de son étanchéité. Si une couture ou une ligature de souche laisse
passer un peu d’air, le maintien d’une pression stable n’est pas facilité.
Certaines personnes jouent également avec des poches dont le cuir doit être
graissé de l’intérieur (pour boucher les pores du cuir qui laisseraient passer
l’air). Si ce graissage n’est pas fait à temps, la pression sera altérée.
Heureusement aujourd’hui on peut se procurer des poches en cuir dont le
20
traitement préalable (tannage spécial) permet de jouer sans aucun entretien
de ce type.
Il n’empêche que dans la majorité des cas, le problème de pression n’est
pas lié à une fuite de la poche, mais au musicien, qui a une mauvaise
coordination entre son souffle et l’appui du bras. Pour tenir une pression
stable, il faut considérer que la poche doit toujours être gonflée au maximum,
alimentée en air en permanence. Le temps pendant lequel le sonneur respire,
la poche se dégonfle. La pression d’air sur les anches s’affaiblit. Il faut donc
palier à cette baisse du débit d’air par l’appui du bras sur la poche, de sorte
que la pression soit toujours la même sur les anches. Quand on re-souffle
dans la poche, il ne faut pas relâcher le bras d’un seul coup, sinon là aussi le
débit d’air sur les anches viendrait à baisser. Le bras doit donc accompagner
le regonflement de la poche. Au final, si le souffle et la respiration du musicien
doivent être constants, le bras sert de régulateur de la pression en venant
appuyer sur la poche de façon plus ou moins forte, selon le moment. Cette
mécanique est précise, et c’est souvent dans le bon dosage de ces deux
éléments (souffle et appui du bras) et leur synchronisation que les élèves ont
des difficultés. Mais c’est pourtant la base première à maîtriser pour pouvoir
s’accorder et jouer juste.
Au terme de cette petite explication du fonctionnement mécanique de la
veuze, on se rend compte du grand nombre de paramètres qui rentrent en jeu
dans son accordage. Il paraît évident que le contrôle de tous ces principes
(pression, réglages des anches, gestion du contexte de jeu) ne s’apprennent
pas en un jour.
On voit aussi que l’instrument n’est pas le seul protagoniste dans
l’histoire de l’accordage, et que le musicien a une place tout aussi
prépondérante, comme le décrit B. BESBLANCS : « L’instrument, le musicien
et l’anche jouent ensemble. Ils sont indissociables et doivent être adaptés les
uns aux autres »7.
7
idem p.17
21
3.
Représentations
et contexte :
Concevoir l’accord
Tout d’abord, nous allons nous attacher à l’histoire récente du renouveau
de la veuze afin de l’interroger et tenter de voir en quoi elle pourrait influer sur
les problèmes que les élèves rencontrent aujourd’hui pour accorder leur
instrument tout seul.
a)
Contexte du renouveau de la veuze
Il faut d’abord bien s’imaginer que la nouvelle pratique de la veuze n’a
que 30 ans et qu’elle revient de loin. La veuze, tout comme bon nombre de
cornemuses ou autres pratiques instrumentales traditionnelles en France, a
bénéficié d’un regain d’intérêt dans le courant des années 1970, dans le cadre
du « Revival ». Mais revenons d’abord un peu en arrière.
A la suite de la Première Guerre Mondiale, la veuze connaît un déclin
rapide, au profit d’autres modes musicales et d’autres instruments. Les
derniers sonneurs de veuze de tradition s’éteignent peu à peu, en Brière et
Marais Breton (Nord-Ouest vendéen), sans transmettre ni leurs savoirs ni leurs
techniques de jeu. Bien entendu, les derniers fabricants de veuze leur
emboîtent le pas, et s’en vont eux aussi avec leurs secrets. Il y a bien
quelques « quêteurs de veuzes » isolés, entre la fin des années 1930 et des
années 1940, qui ont cherché à se procurer des instruments anciens auprès
des sonneurs de veuze encore vivants (par exemple Jean VILLEBRUN auprès
du Père MAHE ; Bernard DE PARADES auprès du sonneur HALGAND…).
Mais ils ne s’intéressent pas à ce qui entoure et englobe la tradition de la
veuze. Comme le dit l’un d’entre eux, l’abbé Charles BONRAISIN, qui a
récupéré la veuze du sonneurs ROUAUD, en Brière : « La seule chose qui
nous intéresse à l’époque, c’est de retrouver un « biniou » et de le faire
sonner. Nous ne pensons même pas à recueillir toute la tradition de la veuze :
répertoire, techniques de jeu, anecdotes… »8 Et on peut ajouter à cette liste
tout ce qui a trait à la fabrication et au réglage de l’instrument. Le groupe
folklorique nantais Tréteau et Terroir qui utilise la veuze HALGAND ramené
8
Ouvrage Collectif, Musique Bretonne, encadré « Les Quêteurs de Veuzes », p.348, Le
Chasse-Marée/Armen, 1996
23
par DE PARADES va même jusqu’à jeter les anches d’origine qui ne marchent
plus, sans se soucier de leur valeur organologique.
Tout cela contribue à renforcer le flou autour de la veuze. Les chercheurs
qui créeront l’association Sonneurs de Veuze dans les années 1970, et qui
sont à l’origine du renouveau de cet instrument, auront un manque cruel
d’informations sur tout ce qui concerne le jeu, le réglage et la fabrication de
cette cornemuse. De fait, il faudra encore beaucoup de temps et de travail
avant de voir et surtout entendre des veuzes « contemporaines» sonner
convenablement, justes et stables. Ce travail de longue haleine a été effectué
au sein de l’association par Thierry BERTRAND, qui reste aujourd’hui, et de
loin, le seul fabricant spécialiste de cet instrument.
ƒ
La lutherie
L’activité de Thierry BERTRAND, en tant que luthier est absolument liée
au renouveau de la veuze. Il faut dire qu’étant parti de quasiment rien, il lui a
fallu s’intéresser à différents domaines et travailler dans plusieurs directions :
recherches des instruments anciens ; étude et prise de cotes pour chacun
d’entre eux ; établissement des plans détaillés ; nombreuses copies et essais
de fabrication de nouvelles veuzes ; nombreuses collectes et recherches en
archives sur le sujet ; très longue mise au point des anches (celles d’origine
étant
disparues),
dont
il
a
fallu
retrouver
le
« modèle »,
le
prototype…Néanmoins, il faut noter que Thierry BERTRAND, comme tout
luthier, a été amené à faire des choix de lutherie pour imposer à l’instrument
une esthétique et un son particuliers. Tout luthier donne sa marque. Or ces
choix conditionnent en partie la façon dont le musicien peut jouer et gérer son
instrument par la suite. Par exemple, il a fait les choix sur la tonalité, sur le
doigté du chalumeau, son tempérament… Plus spécifiquement pour le sujet
qui nous intéresse, l’accord de l’instrument, on peut dire que la perce choisie
par le luthier et l’anchage du chalumeau, dans l’optique d’obtenir un timbre et
un son bien précis, des possibilités spécifiques (comme les chromatismes),
influent directement sur la pression que le musicien devra respecter pour faire
fonctionner sa veuze. C’est à dire que les choix du luthier imposent à
24
l’instrument un seuil de stabilité qui doit être atteint par le musicien pour
obtenir un son juste et stable. Pour la veuze, le choix a été porté sur un son et
une pression assez forte, et donc assez dure. L’élève doit donc utiliser une
pression forte s’il veut s’accorder convenablement, ce qui n’est pas évident
pour tous.
Egalement, le fait de privilégier le roseau pour l’anche du chalumeau,
correspond à une recherche précise de timbre et de son. D’autres types de
cornemuse ont évolué vers des anches en plastiques, ce qui a l’avantage
normalement d’être très stable, et ne demande pas de réglages particuliers.
L’élève sonneur de veuze, lui, doit apprendre à gérer les différents paramètres
de réglage d’une anche en roseau, ce qui reste assez compliqué, comme nous
l’avons vu.
Bien entendu, tous ces problèmes ont déjà été soulevés par Thierry
BERTRAND, quand il a eu à imposer ses choix. Le contexte du renouveau de
la veuze fait que personne d’autre que lui n’a travaillé convenablement à la
mise au point de nouveaux instruments dignes de ce nom. Personne ne
propose donc d’alternative.
ƒ
L’enseignement
Egalement, au départ, beaucoup d’élèves ont été obligés d’apprendre à
jouer sans bourdon. Il faut considérer que l’enseignement régulier de la veuze
n’a qu’une quinzaine d’années et qu’il s’est développé à partir du moment où
des instruments étaient disponibles. La première école de veuze s’est créée
en 1990 à La Garnache (en Vendée), sous l’impulsion d’un petit groupe de
passionnés qui suivait des cours non formels auprès de Thierry BERTRAND.
Ce petit groupe s’est très vite agrandi et n’a cessé de croître dans les années
suivantes. Pour répondre à cette demande toujours croissante (de 3 élèves au
départ, on est très vite passé à 10 puis 15 élèves, pour atteindre 35 sonneurs
actuellement) il fallait des instruments. Or pendant longtemps les élèves ont dû
apprendre avec des veuzes d’étude composées ou fabriquées dans
« l’urgence ». Elles n’étaient pas forcément complètes et la plupart n’avaient
25
pas de bourdon. Depuis une dizaine d’année, des séries d’instruments d’étude
complets et neufs sont fabriquées, pour palier à ce problème. Mais force est
de constater que beaucoup de musiciens ont appris à jouer sur des
instruments sans bourdon, et qu’ils n’ont par conséquent pas pris l’habitude de
jouer avec. Cela ne favorise ni la familiarité avec cet élément, ni l’exercice de
l’oreille à entendre deux sons simultanés. Certains problèmes d’autonomie
d’accord rencontrés actuellement sont liés à ce phénomène.
On peut observer également que « l’esprit » dans lequel se déroulait les
cours était bien différent au départ. Les professeurs et les élèves n’avaient ni
la même recherche ni les mêmes objectifs vis à vis de l’enseignement ou de
l’apprentissage de la veuze, si on les compare à aujourd’hui. Il est vrai que
beaucoup d’élèves qui commencent la veuze actuellement en ont déjà
entendu (sur disque, en concert ou en bal…). Ils ont donc des bases et des
références en tête. Ce modèle sonore peut donc être pris comme objectif
global d’apprentissage et place une barre que l’élève peut essayer d’atteindre,
un modèle qu’il peut essayer d’imiter. Or il n’y a que quinze ans, ce modèle
était beaucoup moins présent dans l’environnement musical des élèves, qui
par ailleurs venaient en cours pour découvrir un instrument, son répertoire,
son histoire, et non pour se donner des objectifs musicaux précis à atteindre.
L’intérêt était dans le plaisir du jeu collectif et dans la participation à une
émulation unique, qui consistait à découvrir et faire découvrir un instrument
disparu. Cet intérêt s’est déplacé naturellement au cours des années, avec le
développement des cours et du nombre d’élèves, vers des notions plus
musicales et moins patrimoniales. L’ambiance de ces premiers cours étaient
intimistes et on passait autant de temps à parler qu’à jouer. Par conséquent, et
Thierry
BERTRAND
le
reconnaît,
certains
aspects
techniques
de
l’apprentissage de l’instrument, comme la pression de la poche, ont été
abordés de façon trop légère ce qui se répercute encore aujourd’hui. Si un peu
plus de rigueur avait été observée à l’époque sur la gestion mécanique de la
poche, cela aurait évité les problèmes d’accord rencontrés actuellement
auprès de certains élèves, et qu’il est difficile de corriger.
Et ces problèmes sont encore observables aujourd’hui. Alors que le
contexte a bien changé, on continue à reproduire certains aspects de cet
26
enseignement. Ainsi voyons-nous encore beaucoup de cours pendant lesquels
les élèves et l’enseignant jouent sans bourdons, alors que leurs instruments
en sont équipés. Les habitudes sont difficiles à percevoir et à corriger : il faut
dire que pour la veuze, on travaille dans un microcosme professionnel, où les
échanges et les confrontations d’idées autour de l’enseignement sont limités.
En un temps relativement court, on remarque que des choix et des
« erreurs » effectués dans le passé se répercutent inévitablement dans le
présent. L’étude critique de nos actions antérieures (dans différents
domaines : lutherie, enseignement…) reste pourtant limitée par le peu de recul
dont nous disposons. Pour compléter ce regard épistémologique, nous nous
sommes penchés sur les représentations de la notion d’accordage en jeu dans
l’apprentissage et l’enseignement de la veuze.
b)
Conceptions
et
représentations
de
la
notion
d’accord
Dans l’optique de mieux cerner quelle place les élèves actuels donnaient
à la notion de justesse et d’accordage dans la pratique de leur instrument,
nous avons réalisé un petit questionnaire (cf. annexe 3), dont les réponses ont
été recueillies individuellement. Nous avons pu rassembler 25 réponses, pour
lesquelles nous avons établi deux grilles de lecture : une par catégorie d’âge,
une par niveau : c’est cette dernière grille que nous utiliserons, en vue de la
pertinence de ses données. Les personnes interrogées avaient à répondre à
six questions, dont les trois premières étaient en corrélation.
Ces trois questions demandaient à l’élève de choisir parmi ces cinq notions
musicales (le style / la mémorisation et l’apprentissage d’oreille du répertoire /
le rythme / la justesse et l’accordage / les ornementations, nuances et
variantes) laquelle lui semblait :
1-la plus importante à acquérir
2-la moins importante à acquérir
3-la plus longue et la plus dure à acquérir
27
Pour la première question (notion la plus importante), la justesse et
l’accordage
arrivent
en
troisième
position,
au
même
titre
que
les
ornementations, à 16% des réponses, contre le double pour la mémorisation
et l’apprentissage d’oreille du répertoire, arrivée en première position. Il
semble donc que l’accord de l’instrument ne soit pas considéré comme un
élément primordial dans l’acquisition du jeu des élèves.
Ceci dit, quand on regarde les réponses à la deuxième question (notion la
moins importante), on remarque que la justesse et l’accordage arrive en
dernière position (4% de réponses). C’est donc que jouer juste et savoir
s’accorder restent des éléments à maîtriser, qu’ils ne doivent pas faire défaut
dans l’apprentissage des élèves.
Enfin, la notion de justesse et d’accordage arrive en troisième position dans la
troisième question (notion le plus longue et la plus dure à acquérir), à 24 %,
après le style (36 %) et les ornementations (28 %).
Pour résumer, la capacité de jouer juste et de s’accorder n’est pas considérée
comme une priorité dans l’apprentissage des élèves, mais elle n’est pas non
plus délaissée : elle doit être acquise à un moment donné. Elle ne semble pas
non plus insurmontable à maîtriser. (cf. annexe 4)
Bien entendu, il faut relativiser les réponses au regard du corpus recueilli
(25 au total). Il serait intéressant de poursuivre ce questionnaire auprès de
tous les élèves de veuze. Néanmoins, nous avons pu noter, après discussion
avec un certain nombre d’interrogés, que cette notion d’accordage était difficile
à placer dans le choix qu’ils devaient effectuer, comparé aux quatre autres
possibilités. Le style, le jeu par oralité, le rythme et l’enrichissement que l’on
peut apporter à un thème musical correspondent tous à l’apprentissage de la
matière musicale, et sont en liens : on peut donc les classer par ordre
d’importance. Le fait d’être capable d’entendre la justesse et de s’accorder est
un élément essentiel dans la pratique musicale des élèves, mais elle est aussi
à part : on ne sait pas trop à quel niveau et à quel moment elle doit être
acquise.
Dans la question suivante, nous demandions à l’élève de nous expliquer
par étapes les préliminaires qui précédaient leur travail personnel avec
28
l’instrument. Dans 40 % des cas, les élèves ne semblent pas s’accorder avant
de jouer. En revanche, 60 % s’accordent ou essaient de régler leur instrument.
Dans la catégorie des élèves qui ne s’accordent pas avant de jouer, 70 % sont
considérés comme débutants, alors que pour ceux qui s’accordent, 86 % sont
confirmés ou semi-confirmés. La capacité à s’accorder est donc jointe à celle
des musiciens, à leur niveau : il apparaît qu’elle prend de l’ampleur, de
l’importance, au fur et à mesure que l’élève évolue avec son instrument.
Dans la dernière question, qui demandait si aux yeux des intéressés les cours
de veuze devaient apporter la capacité de s’accorder, 64 % ont répondu un oui
franc, 24 % un oui nuancé et 12 % ont répondu non. Parmi les 24 % de oui
nuancé, les élèves ont principalement évoqué le fait qu’au départ, ce n’était
pas cette notion qu’ils étaient venus chercher, mais qu’à l’usage, cela leur
apparaissait nécessaire et important à assimiler.
Ce petit recensement de la pensée des élèves, de leur conception
d’apprentissage, est intéressant à double titre : d’abord parce qu’il permet de
constater la place que prend l’accordage dans leur savoir-faire musical. Ici il
apparaît que cette capacité a un intérêt indéniable pour les élèves, mais n’est
pas non plus une priorité : c’est une notion qui s’acquiert avec le temps, par
l’expérience. Ensuite et surtout, cette étude permet à travers les réponses des
élèves de mettre en miroir l’enseignement du professeur. On se rend compte
ainsi que la place et le discours réservés au sujet de l’accord et de la justesse
sont certainement en-deçà de ceux occupés par le travail sur le répertoire, les
notions musicales. Le temps de cours et de formation imparti à développer
toutes ces notions d’accord et, en définitive, la capacité de s’accorder chez les
élèves, semble donc restreint par rapport à celui utilisé pour enseigner des airs
et des techniques de jeu. Il apparaît également que cette notion d’accord est
très peu présente chez les débutants, et qu’elle doit donc être abordée plus
tard dans le cursus des élèves. De là transparaît une certaine conception de
l’apprentissage chez le professeur : pour lui, la capacité à entendre les sons, à
les juger et à les corriger doit correspondre à un processus complexe qui
s’acquiert avec le temps, à force de jouer, de pratiquer. C’est donc bien lui en
premier lieu qui ne place pas cette notion comme primordiale dans le jeu des
élèves, et donc dans leur parcours d’apprentissage musical.
29
4.
Enseigner
l’accord :
Faire entendre, corriger et
concevoir
L’optique de cette dernière partie n’est pas d’apporter les solutions
« miracles » aux questions et constatations soulevées dans les trois premiers
chapitres. Parce qu’elles n’existent pas, bien sûr. Dans la réalité d’un cours,
les situations pédagogiques multiples qui se dégagent nécessitent des
réponses précises et appropriées à chaque élève, bien loin de toute
généralité. Dans ce qui va suivre, nous allons plutôt nous attacher à reprendre
chaque point déjà développé, en nous interrogeant, avec le regard de
l’enseignant, sur les possibilités d’améliorer l’apprentissage de cette capacité à
s’accorder chez les élèves, en dégageant bien entendu de nouvelles
interrogations.
a)
L’oreille :
Au terme de notre étude sur cet élément, nous avons mis en évidence
l’inégalité flagrante qui existe entre les élèves dans leur capacité à reconnaître
la justesse, à entendre l’accord et le désaccord. Combien de fois avons nous
vu en cours des élèves débutants arriver avec une oreille bien plus affinée que
celle d’élèves plus expérimentés, tout au moins en apparence (on pourrait
alors s’interroger sur les critères qui distinguent un débutant d’un confirmé).
Cette différence de niveau liée à l’individu et à son évolution spécifique, n’est
pourtant pas une fatalité dans la mesure où l’éducation d’une personne se
prolonge toute sa vie durant.
Comment peut-on donc améliorer l’oreille des élèves, de façon qu’ils
soient capables de s’accorder seuls ? Il s’agit d’abord de cerner les besoins de
chaque élève. Pour certains, ce besoin se situe à la base : ressentir et
reconnaître un son juste d’un son faux, une gamme juste. Pour d’autres, le
travail va se porter sur l’affinement de cette reconnaissance : définir plus
exactement le son qu’ils entendent, si une note est trop haute ou trop basse.
Pour d’autres encore, l’objectif sera de rendre leur capacité encore plus vive et
plus développée (être capable de réagir plus vite à un problème d’accord, et
dans un contexte complexe, avec plusieurs sons à la fois). Et pour certains
encore, le travail du professeur se situera encore plus en amont : donner de
31
l’importance à cette notion d’accord aux yeux, ou plutôt aux oreilles, de l’élève
qui n’y attache aucune importance.
A ces différentes étapes de la formation de l’oreille chez l’élève,
correspondent différentes situations didactiques qui doivent être mises en
place par l’enseignant. On peut donc imaginer de multiples supports ou
exercices, pour faire progresser l’élève à un niveau supérieur, l’important étant
toujours de répondre à ses besoins, en se basant sur sa motivation, ses
capacités et ses compétences.
La première remarque que l’on peut soulever est que la réponse
personnalisée à chaque élève s’accommode mal avec les cours collectifs qui
sont donnés. En effet, les cours de veuze sont dispensés en groupe, pour des
raisons de fonctionnement interne aux structures qui les organisent. Si une
répartition par niveau est quand même effectuée au préalable pour former ces
groupes, les critères de répartitions ne sont pas forcément basés sur l’oreille
des élèves. Ainsi il peut exister dans des groupes de réelles différences au
niveau de la capacité à entendre la justesse, alors que sur des aspects de jeu,
le groupe est homogène. On peut donc se demander comment il est possible
d’élaborer un plan de travail pertinent qui répondra à tous les besoins, sans
défavoriser aucun élève (du « ça va trop vite pour moi » au « je m’ennuie un
peu »). Ces réalités sont proches de celles d’une classe de l’enseignement
scolaire et on retrouve dans notre enseignement musical les mêmes enjeux et
les mêmes limites de l’apprentissage.
La deuxième question que l’on peut soulever concerne la place à
accorder en cours à ce développement de l’oreille. Pour certains élèves le
travail autour de leur capacité auditive nécessitera beaucoup de temps, de par
leurs carences à ce niveau. Il faudrait même parfois commencer à jouer sur
l’instrument plus tard, après avoir donné à l’élève les bases premières de
ressenti et d’écoute de la musique qu’il n’a pas encore intégrées. Pourtant, il
est difficile de faire rendre compte à l’élève l’intérêt de ce travail préalable, car
ce n’est pas ce qu’il est forcément venu chercher en cours de musique. On
touche là aux représentations et aux conceptions qui sont en jeu dans
l’enseignement.
32
Mais, ne peut-on pas penser qu’avant de savoir accorder son instrument, il
faut accorder son oreille, l’éduquer ? Ce travail autour de la notion spécifique
de l’accordage est de toute façon bénéfique pour tout le reste de
l’apprentissage musical. Seulement, cette réalité n’est pas forcément connue
ni reconnue par l’élève.
b)
L’instrument :
Nous avons montré le grand nombre de paramètres qui rentrent en jeu
dans l’accordage d’une veuze. On peut donc se demander s’il ne serait pas
bénéfique pour les élèves de simplifier ces réglages, en modifiant certains
aspects de la lutherie. De ce point de vue, le luthier Thierry BERTRAND pense
que les veuzes peuvent évoluer légèrement au niveau de la perce intérieure
du chalumeau et au niveau des anches. Ainsi on pourrait obtenir un instrument
avec une stabilité fiable à une pression plus faible. Cela changerait un peu le
son de l’instrument (notamment son volume sonore), mais en revanche ça
faciliterait à certains élèves l’obtention d’un son juste, d’une gamme équilibrée.
Toujours dans cette optique, on pourrait privilégier les anches plastiques sur le
chalumeau et le bourdon, plus douces, qui demandent moins de pression et
moins de réglages que les anches en roseau, comme cela a été fait par
exemple pour les cornemuses du Centre-France. A condition que ces anches
soient bien mises au point (jusqu’ici, les différents essais sur la veuze n’ont
pas donné de résultats probants). On pourrait tout de même imaginer faire
débuter les élèves sur des instruments plus faciles à faire fonctionner
(instrument plus doux, avec anche plastique) pour faciliter la justesse dès le
départ, ce qui leur permettrait également d’habituer leur oreille à un son juste
et propre. Petit à petit, au cours de leur cursus, on passerait aux anches en
roseau, et aux instruments tels qu’ils sont fabriqués actuellement, ce qui
demanderait à l’élève d’augmenter un peu son niveau de pression et de
s’accommoder des réglages capricieux du roseau. Ainsi, on étalerait dans le
temps les difficultés inhérentes à l’autonomie d’accord, et on éduquerait
l’oreille des élèves dès le début de leur formation.
33
En revanche, le fait d’être confronté dès le départ aux anches en roseau
permet aussi à l’élève de se familiariser à cette matière et surtout de
rencontrer des problèmes concrets qu’il doit résoudre.
Finalement, la question latente est de savoir à quel moment l’instrument
est en cause par rapport à son utilisateur. Doit-on ajuster au maximum les
veuzes aux élèves, de manière à ce que ces derniers s’accordent et jouent
juste plus facilement ? Doit-on au contraire habituer les élèves dès le départ à
gérer tous les problèmes inhérents au réglage de la veuze, les mettre « dans
le bain », pour qu’ils acquièrent le plus vite possible les réponses aux
problèmes d’accordage ? Dans le premier cas on évite le problème de la
justesse, mais on n’aborde pas celui de l’accordage. Dans l’autre cas on est
confronté aux paramètres d’accordage, sans pouvoir gérer dans l’immédiat les
problèmes de justesse.
Il faut soulever un autre obstacle dans l’appropriation des différents
paramètres de réglage d’une anche en roseau. En effet, la seule façon
d’apprendre tous les secrets d’accordage d’une anche, c’est d’intervenir
dessus, se faire la main, en essayant toutes les possibilités de réglage. Or
certaines opérations, comme la diminution de l’épaisseur des lamelles, sont
très délicates et demandent beaucoup d’expérience pour être maîtrisées.
Surtout, elles peuvent amener l’anche à ne plus fonctionner, si le geste est mal
effectué. On peut donc se demander comment l’élève peut apprendre ces
réglages sans les essayer sur ses propres anches, au risque d’en user une
grande quantité. Depuis quelques années, des stages de montage d’anche de
chalumeau et de fabrication d’anches simples en roseau sont organisés par
l’association Sonneurs de Veuze, dans le but de compléter la formation des
élèves dans ce domaine. Mais sur l’ensemble des élèves, seulement 20 %
participent à ce genre de stages.
Pour faciliter l’accordage des élèves, l’apprentissage de l’utilisation de la
poche est un passage délicat mais nécessaire. Il doit être assimilé par tous les
élèves sur les plans physiques et cognitifs. Là aussi, plusieurs exercices
peuvent être imaginés en fonction des besoins de l’élève, au même titre que le
34
travail de l’oreille. Il est intéressant de développer des relations entre le sonore
et le visuel, pour faciliter la compréhension du fonctionnement de la poche.
Ainsi par exemple, on utilise souvent un accordeur électronique à aiguille pour
bien faire « voir » l’irrégularité d’une pression : si l’aiguille est irrégulière, c’est
que la pression l’est aussi. La difficulté réside surtout dans le degré de rigueur
qui doit être apporté à cette acquisition, pour ne pas reproduire les erreurs qui
ont été effectuées par le passé.
c)
Représentations :
Nous avons vu que prendre un peu de hauteur sur notre histoire et nos
actions permettait de comprendre et critiquer des modes de fonctionnement
actuels. Si certaines habitudes de jeu avaient leurs raisons d’être avant, on
peut s’interroger sur l’intérêt de leur persistance dans l’enseignement actuel.
Par exemple, le fait de ne jamais utiliser le bourdon en cours, lié au contexte
particulier du renouveau de la veuze, n’a plus sa place aujourd’hui, puisque les
instruments sont complets et qu’il est nécessaire de faire jouer les élèves avec
l’instrument entier.
Mais ce qui semble être la notion fondamentale à changer, à faire
évoluer, c’est la conception des élèves et du professeur au sujet de
l’accordage et de la justesse. D’après notre étude, il semble en effet que la
place de l’accord dans le jeu n’est pas une priorité pour eux. Il y a donc des
éléments plus importants à maîtriser dans leur savoir-faire musical que cette
capacité auditive à s’accorder. De fait, le travail et le développement de cette
oreille, la connaissance des différents paramètres de réglage d’une veuze sont
des éléments moins importants à acquérir que, par exemple, la capacité
d’apprendre un air à l’oreille, et à le mémoriser.
L’enseignement, l’apprentissage et par conséquent le jeu des musiciens
sont nourris de ces conceptions. C’est donc en premier lieu le sens que les
acteurs donnent à ce sujet (autonomie d’accord) qui doit être affiné. Mais en
privilégiant cet élément, d’autres aspects de la formation, qui étaient jusque-là
en premier plan, ne seront-ils pas mis en retrait ? Comment peut-on être
exigeant sur tout ?
35
Un savoir, ça se construit. L’exigence que l’on porte à telle ou telle notion
doit être croissante et toujours basée sur les capacités et les compétences de
l’élève, comme nous l’avons dit plus haut. Surtout, le professeur doit dresser
un plan d’ensemble de formation, pour avoir une vue globale sur le parcours
musical de chaque élève. Il peut ainsi diffuser dans le temps et adapter à
chacun les éléments constitutifs de son enseignement. Il doit surtout savoir où
il veut emmener ses élèves, quelles sont ses valeurs et ses finalités, quel type
de musiciens il veut former.
Ainsi pensons-nous qu’à un certain niveau, chaque élève doit être
capable d’entendre la justesse et d’accorder son instrument. Nous pensons
également que, dans son cursus, l’élève doit être rapidement confronté aux
problèmes d’accord, et apprendre à jouer sur les différents paramètres de
réglage d’une veuze. Nous pensons aussi que développer l’oreille autour de
cette notion de justesse a autant sa place dans la formation qu’apprendre à
jouer à l’oreille du répertoire, et que ces deux capacités sont complémentaires.
Nous pensons enfin que s’accorder ensemble, c’est aussi établir une entente
entre les personnes, se mettre d’accord, s’admettre, s’adapter, et que ces
différentes valeurs sous-jacentes sont primordiales à véhiculer dans un groupe
d’individus.
On voit bien qu’apprendre à entendre et à régler son instrument doit être
au cœur du geste du musicien, au même titre qu’apprendre à s’exprimer avec.
Ce savoir-faire, pour les différentes raisons que nous avons évoquées tout au
long de ces pages, se retrouve pourtant en arrière-plan dans la formation
actuelle des sonneurs de veuze, et peut-être même dans bon nombre de
formations instrumentales.
Si on interroge le passé, dans la réalité des ménétriers français de
l’Ancien Régime, cette capacité à s’accorder et cette connaissance de
l’instrument avait apparemment un sens plus grand dans l’apprentissage des
musiciens, disons qu’elle était obligatoire. Ainsi il semble qu’au terme de sa
formation, au moment de passer son chef-d’œuvre pour atteindre le statut de
Maître Ménétrier, l’apprenti devait dans son épreuve démontrer son autonomie
36
et sa connaissance de l’instrument, comme le note Luc CHARLESDOMINIQUE « Les doyens, après avoir entièrement démonté l’instrument qui
doit servir à l’épreuve, le remettent au candidat ; celui-ci a pour tâche de le
rendre immédiatement apte à fonctionner, en parfait accord avec d’autres
instruments. »9 En quoi cette réalité ne serait-elle pas la nôtre aujourd’hui ?
9
L. CHARLES-DOMINIQUE, Les Ménétriers français sous l’Ancien Régime,p.78, Klincksieck,
1994
37
CONCLUSION
Au terme de cette étude, on se rend compte des difficultés qui entourent
l’autonomie d’accord chez les élèves sonneurs de veuze. Si demain une
personne pointe du doigt les problèmes d’accord de mes élèves, voilà ce que
je pourrai lui répondre : effectivement, ce n’est pas une notion simple ni à
aborder, ni à maîtriser. Tout d’abord parce qu’il existe de réelles inégalités
dans la capacité auditive des individus à entendre et reconnaître la justesse
d’un
instrument.
Ensuite,
parce
qu’il
faut
connaître
parfaitement
le
fonctionnement de trois éléments constitutifs de l’accord d’une veuze : l’anche
double du chalumeau, le bourdon et son anche simple et la gestion de la
poche. Enfin parce qu’il faut se rendre compte que la renaissance de la veuze
est récente et que, par conséquent, il reste encore beaucoup à faire pour
développer cet instrument, notamment dans le domaine de l’enseignement.
Pourtant, même si les difficultés sont réelles, il ne faut pas les éviter : il
est important de travailler l’accord. Cela permet dès le départ de se familiariser
autrement avec l’instrument et de bien le comprendre mécaniquement. De
plus, affiner l’oreille à la justesse permet d’améliorer d’autres aspects de
l’apprentissage oral (entendre la structure d’un air, la relation entre les notes,
reconnaître des éléments techniques comme les ornementations…). Surtout,
dans le contexte des cours collectifs, travailler cette notion avec le groupe
permet de mettre en place une écoute intrinsèque, une entente mutuelle entre
les personnes et, en définitive, imposer le respect.
Maintenant, il s’agit de redonner du sens en cours à l’accordage de
l’instrument, et de concrétiser notre étude, en imaginant et en appliquant des
exercices sur tous les niveaux de l’accord (travail de la poche, connaissance
des anches, développement de l’oreille).
C’est l’intérêt permanent de notre action autour de la veuze : continuer à
l’explorer, à la découvrir et toujours la faire évoluer, dans le but de l’intégrer au
mieux à notre époque. Ré-inventer un instrument séculaire à notre réalité.
38
ANNEXES
Annexe 1
Schémas de l’anatomie de l’oreille*
1) oreille externe
2) oreille moyenne
3) oreille interne
*extraits du site internet [www.franceaudition.com], le 09 octobre 2005.
Annexe 2
Schéma d’une veuze « éclatée »*
* extrait de l’ouvrage collectif Quelques éléments sur la tradition populaire de la veuze en pays
nantais, p.8, Sonneurs de Veuze, 1979.
Annexe 3
Questionnaire type
Nom :
Prénom :
Age :
Lieux de cours :
Nbre d’année de cours :
Niveau :
a) Parmis ces différentes notions musicales, laquelle te semble la plus importante à
acquérir pour un sonneurs de veuze :
ˆ
ˆ
ˆ
ˆ
ˆ
Le Style
La Mémorisation et l’apprentissage d’oreille du répertoire
Le Rythme
La Justesse et l’accordage
Les Ornementations / nuances et variantes
b) Laquelle est la moins importante ?
ˆ
ˆ
ˆ
ˆ
ˆ
Le Style
La Mémorisation et l’apprentissage d’oreille du répertoire
Le Rythme
La Justesse et l’accordage
Les Ornementations / nuances et variantes
c) Laquelle te semble la plus dure et la plus longue à acquérir ?
ˆ
ˆ
ˆ
ˆ
ˆ
Le Style
La Mémorisation et l’apprentissage d’oreille du répertoire
Le Rythme
La Justesse et l’accordage
Les Ornementations / nuances et variantes
Pourquoi ? :
d) Quand tu décides de répéter, seul ou avec d’autres musiciens, comment procèdes-tu,
avant de jouer ce que tu as à travailler ?
e) Quel matériel utilises-tu pour t’accorder ? (accordeur, tonalité du téléphone, autre
instrument, diapason …)
f) Est-ce que pour toi, les cours de veuzes doivent t’apporter la capacité de t’accorder et
d’accorder les autres, en d’autres terme, développer ta capacité à entendre et évaluer la
justesse des sons ?
ˆ oui
ˆ non
Annexe 4
Tableaux et graphiques des réponses aux
trois premières questions du
questionnaire
Question a : Parmis ces différentes notions musicales, laquelle te semble la plus importante ?
Débutants
Intermédiaires
Confirmés
Total (nombre)
Total (%)
1 - Style
0
0
2
2
8%
2 - Mémorisation et apprentissage d'oreille
4
3
1
8
32%
3 - Rythme
2
4
1
7
28%
4 - Justesse et accordage
1
3
0
4
16%
5 - Ornementations/variantes/nuances
2
1
1
4
16%
1
8%
5
16%
2
4
32%
16%
3
28%
Question b : Parmis ces différentes notions musicales, laquelle te semble la moins importante ?
Débutants
Intermédiaires
Confirmés
Total (nombre)
Total (%)
1 - Style
3
3
0
6
24%
2 - Mémorisation et apprentissage d'oreille
3
3
1
7
28%
3 - Rythme
2
0
1
3
12%
4 - Justesse et accordage
1
0
0
1
4%
5 - Ornementations/variantes/nuances
0
5
3
8
32%
1
24%
5
32%
4
4%
2
28%
3
12%
Question c : Parmis ces différentes notions musicales, laquelle te semble la plus dure à acquérir ?
Débutants
Intermédiaires
Confirmés
Total (nombre)
Total (%)
1 - Style
1
4
4
9
36%
2 - Mémorisation et apprentissage d'oreille
0
0
0
0
0%
3 - Rythme
1
2
0
3
12%
4 - Justesse et accordage
2
3
1
6
24%
5 - Ornementations/variantes/nuances
5
2
0
7
28%
5
28%
1
36%
4
24%
3
12%
2
0%
BIBLIOGRAPHIE / DISCOGRAPHIE
I-
II-
III-
Ouvrages généraux
ƒ
U. MICHELS, Guide illustré de la musique, Fayard, 1998.
ƒ
Ouvrage Collectif, Musique Bretonne, Le Chasse-Marée/ArMen, 1996
ƒ
Ouvrage Collectif, Quelques éléments sur la tradition populaire de la
veuze dans le Pays Nantais, Association Sonneurs de Veuze, 1989
Dictionnaires
ƒ
Le Petit Larousse Illustré, Larousse, 1991
ƒ
M. HONEGGER, Connaissance de la musique de A à Z, Les Savoirs
Bordas, 1996
ƒ
L. et A. MANUILA, P. LEWALLE, M. NICOULIN, Dictionnaire médical,
Masson, 1999
Manuels
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T. BERTRAND, L’accordage du chalumeau de veuze, Association
Sonneurs de Veuze
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B. DESBLANCS, Etude et construction des anches / Les anches
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IV- Ouvrages Spécifiques
V-
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I. CLINQUART, Musique d’Inde du Sud / Petit traité de musique
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R. VIDAL, La Justesse, mémoire de diplôme d’état, CEFEDEM RhôneAlpes, 1998-1999
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L. CHARLES-DOMINIQUE, Les Ménétriers français sous l’Ancien
Régime, Klincksieck, 1994
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P. MEIRIEU, Apprendre…oui, mais comment, ESF éditeur, 2002
Disques
ƒ
Sonneurs de Veuze en Bretagne et Marais Breton-Vendéen, Dastum /
Le Chasse-Marée/ArMen, 1993