La thermographie infrarouge fait ses preuves… dans les

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La thermographie infrarouge fait ses preuves… dans les
Reportage
Solutions
Vu à
l’Onera
MESURE DE TEMPÉRATURE
La thermographie infrarouge fait
ses preuves… dans les essais
aérodynamiques
▼
Depuis l’introduction des caméras non refroidies, les applications de la thermographie infrarouge se multiplient. Et pas seulement dans le domaine de la maintenance. Les laboratoires d’essais sont eux aussi intéressés par cette méthode
de mesure sans contact et simple à mettre en œuvre. C’est ainsi qu’au centre
d’essais aérodynamiques de l’Oneraà Meudon (92), elle est régulièrement utilisée pour mesurer les échauffements subis par les maquettes lors d’essais en
soufflerie…
Onera
Le centre d’essais de l’Onera à Meudon (92) est spécialisé dans l’aérodynamique et la mécanique des
fluides.Il regroupe notamment une dizaine de souffleries simulant des écoulements allant de Mach 0
à Mach 10.
D
es ateliers de fabrication de
maquettes, des laboratoires de
recherche fondamentale et
appliquée, une dizaine de souffleries simulant des écoulements compris
entre Mach 0 et Mach 10 (du bas subsonique
à l’hypersonique), le tout réparti sur un parc
de 12 hectares… nous sommes au centre de
recherche de l’Onera à Meudon (92). Pour les
constructeurs et les centres d’études de l’aéronautique et du spatial, ce centre est incontournable. C’est là en effet que sont réalisés
les essais aérodynamiques qui précèdent la
mise au point d’un lanceur, d’une navette
spatiale ou d’un quelEn bref…
conque véhicule aérien.
Ces essais permettent d’étu Pour caractériser les
dier
l’aérodynamique de
échauffements subis par
l’appareil,de
connaître son
les maquettes d’avions lors
comportement durant les
d’essais en soufflerie, l’Onera
utilise la thermographie
différentes phases du vol,
infrarouge
mais aussi et surtout de vali La méthode est plus globale
der les modèles mathémaque les thermocouples, et
tiques et les calculs aérodyelle donne un résultat plus
namiques
réalisés au
précis que les peintures
Département
Aérodynamique
Fonthermosensibles (TSP)
associées à des caméras
damentale et Expérimentale
CCD classiques
(DAFE).
Elle permet aussi d’observer
Lors des essais, les
la transition entre les
maquettes des appareils
écoulements laminaires
sont soumises à des
et turbulents
conditions de vol les plus
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proches possible de celles du vol réel. Pour
cela, la taille de la maquette importe peu. Il
faut surtout respecter la forme réelle de l’appareil et les paramètres aérodynamiques, en
reproduisant les mêmes nombres de Mach et
de Reynolds* qu’en vol. Durant l’essai, les
maquettes font l’objet de toutes les attentions. « Nous devons identifier tous les phénomènes qui
surviennent sur la maquette,et ceci quelles que soient les
conditions du vol,du subsonique à l’hypersonique », préciseYves Le Sant, responsable de l’Unité Instrumentation et Métrologie Optique pour
les Souffleries au DAFE. Il faut alors suivre
l’évolution d’un grand nombre de paramètres : les efforts subis par la maquette,
l’échauffement provoqué par le frottement
des couches d’air contre les parois, la masse
volumique et la vitesse de l’écoulement, etc.
Pour cela, les chercheurs du DAFE cherchent
sans cesse à mettre en œuvre des nouvelles
techniques de mesure plus adaptées à leurs
essais. Cette recherche dure parfois plusieurs
années. Prenons le cas de la caractérisation
des échauffements dus au frottement des
couches d’air. Pour cela, il faut idéalement
mesurer les flux thermiques subis par les
maquettes. Contrairement à la température,
le flux présente en effet l’avantage de donner une idée de la quantité de chaleur échangée durant un certain laps de temps (en pratique, il n’est pas nécessaire que les essais
durent aussi longtemps que les vols réels).
Mais le flux thermique n’est pas facile à obtenir par une mesure directe. « Dans notre cas,le seul
moyen de parvenir à un flux thermique,c’est de mesurer
une température »,indique M. Le Sant.
Des thermocouples
à la thermographie
La première solution retenue par le DAFE
consistait à utiliser des thermocouples. Afin
de n’avoir aucune influence sur l’aérodynamique, les capteurs (des couples chromelalumel ou chromel-constantan) étaient insérés à la surface de la maquette. La méthode ne
manquait pas d’avantages (notamment en
termes de précision) mais elle ne donnait
qu’un résultat ponctuel.Pour avoir une bonne idée de la distribution des flux thermiques
sur toute la maquette, il fallait donc positionner un grand nombre de thermocouples.
Autre solution, les peintures thermosensibles
qui changent de couleur sous l’action de la
chaleur. Contrairement aux thermocouples,
la méthode est globale : elle permet de localiser d’éventuels points chauds sur toute la
maquette. Si l’on veut aller plus loin et
connaître la valeur du flux thermique, il faut
ensuite réaliser un étalonnage. Le DAFE utilise pour cela une sphère de diamètre connu,
recouverte de la même peinture que la
maquette étudiée. Connaissant la répartition
des flux sur cette sphère, il est possible de
relier chaque couleur à une valeur de flux.
MESURES 750 - DECEMBRE 2002
Solutions
MESURES 750 - DECEMBRE 2002
Vu à
l’Onera
Les premiers essais de la caméra de thermographie infrarouge de Flir Systems sont réalisés
dans le cadre du programme Mars Sample
Return.La maquette de l’engin est testée en
soufflerie hypersonique.La caméra est placée
juste au-dessus,dans un boîtier refroidi par un
système de ventilation.Elle permet de visualiser les éventuels points chauds qui apparaissent
sur la maquette.
Ci-contre,on observe les écoulements autour
de la maquette grâce à la fluorescence par faisceau d’électrons.
Les premiers essais de la caméra Thermovision 320 sont réalisés en 2001 dans
le cadre du programme Mars Sample Return
(MSR) lancé par la Nasa, et en particulier
sur l’Orbiter (MSRO) développé par le
Cnes dans le cadre du programme Premier. Ce programme est destiné à rapporter des échantillons du sol martien.
Onera
Mais cet étalonnage est fastidieux. « Il nous fallait notamment tracer des lignes de changement de teintes
“à la main”sur une image de la maquette », souligne
M. Le Sant. La précision atteinte est de l’ordre
de 30 %, ce qui est loin de la précision offerte par les thermocouples.
Face à ces limitations, le DAFE décide d’étudier
deux nouvelles méthodes : la TSP(Thermal Sensitive Paint) et la thermographie infrarouge. La
TSP utilise des revêtements sensibles à la température. Cette méthode est réversible et utilise des caméras CCD ordinaires. Le revêtement (d’une épaisseur d’environ 40 µm) est
éclairé par une lumière ultraviolette. Il émet
en retour de la lumière visible dont l’intensité dépend de la température. La méthode est
peu coûteuse et simple à mettre en œuvre,
mais l’exploitation des résultats est complexe
et la précision est limitée à 0,5 K.
Le DAFE s’oriente alors vers la thermographie infrarouge. « C’est une technique globale et sans
contact,donc simple à mettre en œuvre, indique M. Le
Sant. Nous savions qu’elle nous permettrait d’obtenir
une cartographie de la température, y compris sur des
maquettes de formes complexes ».
A l’époque (il y a une quinzaine d’années),
l’achat d’une caméra représente un investissement non négligeable. Le DAFE commence donc par louer une caméra (auprès d’Inframetrics). Les premiers essais, réalisés en
comparant les résultats de la thermographie
avec ceux des thermocouples, sont concluants.
Le DAFE peut alors justifier l’acquisition d’une
caméra. En 1997, le constructeur Flir Systems
propose une des toutes premières caméras
matricielles, la ThermaCam PM 250. Mais celle-ci ne répond pas complètement aux
attentes du DAFE. « Nous avions besoin de suivre en
temps réel l’évolution des flux thermiques autour de la
maquette, précise M. Le Sant. Or,la caméra stockait
les images sur une carte PCMCIA,ce qui ne permettait pas
de transférer les données en temps réel ». En 2000, le
système de refroidissement par cycle Stirling
de la caméra tombe en panne. « A l’époque, il
faut dire que l’autonomie des systèmes de refroidissement
basés sur des Stirling était limitée à 1500 heures. Elle
atteint aujourd’hui près de 5000 heures », explique
Loïc Prémartin, directeur commercial de Flir
Systems.
L’arrivée sur le marché de la ThermoVision 320 de Flir Systems allait répondre complètement aux attentes du DAFE. Cette caméra infrarouge, dotée d’une matrice de
320x240 pixels, n’a pas en effet de système
de refroidissement. De plus, elle offre une
sortie numérique série à 50 images par seconde qui permet de visualiser la scène observée en temps réel sur l’écran d’un PC. L’investissement s’élève à près de 60000 euros.
Reportage
La caméra non-refroidie
fait ses preuves
Les essais ont deux objectifs : connaître la
répartition des flux aérothermiques afin d’en
déduire une protection thermique efficace
de l’engin, et s’assurer que la charge utile
transportée n’est pas chauffée par l’écoulement.
La maquette du MSRO, une sorte de bouclier d’environ 8 cm de diamètre, est testée
en soufflerie hypersonique. Les conditions
étant difficiles (la pression initiale dans la
veine d’essai est proche du vide), la caméra
est placée dans un boîtier refroidi par un système de ventilation. Celui-ci est placé audessus de la maquette. Lors de l’essai, la formation des points chauds est alors visualisée
en temps réel sur l’écran d’un PC situé à
proximité…
Mais pour en arriver là, le DAFE a dû surmonter un certain nombre de contraintes.
La maquette initiale était en acier. Comme
l’émissivité de l’acier est faible, le rayonnement infrarouge émis est fortement atténué.
La maquette doit donc être peinte avec une
peinture de forte émissivité, ce qui complique le calcul du flux thermique. « En pratique,les maquettes métalliques ne conviennent que dans
les cas où les flux thermiques sont suffisamment importants pour créer des échauffements significatifs »,
explique M. Le Sant. Dans le cas du projet
MSRO, où les flux thermiques sont faibles,
le DAFE préfère utiliser une maquette isolante présentant une émissivité élevée afin
de faciliter les mesures par infrarouge.Autre
contrainte, la dérive thermique propre à
toutes les caméras infrarouges matricielles.
Pour limiter ce problème, la caméra est étalonnée sur un corps noir avant chaque campagne d’essais.
Le DAFE doit enfin connaître la valeur du
flux thermique en chaque point de la
Tout est dans la loi de Planck
Loi de Wien
λmax = 2898
T
Luminance
-2
-1
(en W m µm )
10
10
4
3000°C
1000°C
500°C
250°C
100°C
30°C
-50°C
2
1
0
5
10
15
20
La thermographie infrarouge permet
d’obtenir l’image thermique d’une scène
ou d’un objet. Elle est basée sur le fait que
suivant sa température et son émissivité,
la matière émet un rayonnement électromagnétique plus ou moins fort.
Les caméras de thermographie mesurent
le rayonnement émis par l’objet. C’est
ensuite grâce à la loi de Planck que l’on
peut relier le rayonnement à la température.
Longueur d'onde (µm)
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Vu à
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maquette. « La caméra nous permet de visualiser une
cartographie en température de la maquette,et d’en déduire la valeur du flux en différents points de l’image,souligne M. Le Sant. Dans la plupart des applications de
thermographie infrarouge,ce résultat est largement suffisant. Mais dans notre cas, il nous fallait associer chaque
valeur de flux thermique à un point réel de la maquette,
défini par ses coordonnées 3D ».Une opération d’autant plus indispensable que la maquette n’est
jamais tout à fait immobile durant un essai…
Le DAFE a alors développé un logiciel de traitement d’images spécifique. Il utilise une
méthode de maillage : la position de chaque
point est obtenue grâce à des marqueurs physiques placés sur la maquette. Ces repères
permettent de “trouver” l’objet dans l’image et d’associer à chaque point une valeur
de flux. (La caméra donne en fait des températures, c’est le logiciel associé qui calcule le flux thermique).
Après un mois d’essais, le DAFE constate que
la charge utile du MSRO est chauffée par
l’écoulement dans certaines configurations.
C’est d’ailleurs une des raisons qui justifiera
plus tard la modification du projet (et notamment le choix de la technique d’insertion
orbitale du véhicule)…
De nouvelles applications
Quoi qu’il en soit, aucun essai réalisé au
DAFE n’est inutile. Il permet toujours de tester les différentes techniques de mesure ou de
vérifier des méthodes de calcul. « L’essai réalisé pour le projet MSRO,par exemple,nous a permis d’affiner notre utilisation de la thermographie infrarouge et de
démontrer l’intérêt des caméras dotées de sorties numériques », souligne M. Le Sant. Le DAFE a également constaté que la résolution thermique
de la caméra n’était pas suffisante pour les
très bas niveaux de flux. Quelques mois après
la fin des essais du projet MSRO, il achète donc
une autre caméra, le modèle SC 500 de Flir
Après la fusion avec Agema en 1997 et le
rachat d’Inframetrics en 1999, Flir Systems est
devenu l’un des grands noms de la thermographie infrarouge. Son offre, essentiellement
basée sur des caméras de mesure, est destinée à des applications de maintenance préventive, de recherche et développement, et
de contrôle de procédés industriels. Ces dernières années, Flir Systems s’est orienté vers
des caméras de plus en plus légères et
maniables. La ThermaCam E2, que la société a
présentée en mars dernier, par exemple, se
présente sous la forme d’une simple torche
électrique et ne pèse que 700 grammes…
Flir Systems possède trois unités de fabrication
(une en Suède et deux aux Etats-Unis) et
Flir Systems
Un spécialiste de la thermographie infrarouge
emploie près de 800 personnes, dont une
quinzaine en France.
Flir Systems
18, rue Hoche
92130 Issy-les-Moulineaux
Tél. : 01 41 33 97 97 - Fax : 01 47 36 18 32
L’Onera, en bref
Créé en 1946, l’Onera (Office National d’Etudes
et de Recherches Aérospatiales) est le premier
acteur français dans le domaine aéronautique
et spatial. Il emploie près de 1 800 personnes
sur 8 sites (Châtillon, Meudon, Palaiseau, Lille,
Modane, Salon-de-Provence, Toulouse et Le
Fauga-Mauzac) et dispose de nombreux
moyens d’essais. Les plus connus sont ses
souffleries industrielles (pour des clients comme le CNES, EADS, Dassault…) et celles qui
sont destinées à la recherche.
Parmi les 8 centres de l’Onera, celui de Meudon
est spécialisé dans l’aérodynamique et la
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mécanique des fluides. Il emploie environ
150 personnes, dont 60 dans le Département
Aérodynamique Fondamentale et Expérimentale (DAFE). Ce département cherche notamment à mettre en œuvre de nouvelles
méthodes de mesure, et à élaborer des codes
aérodynamiques qu’il valide ensuite par des
essais en soufflerie. Il étudie aussi les écoulements pour des besoins industriels : un de ses
thèmes actuels de recherche consiste à contrôler les tourbillons créés par les avions de ligne,
afin de limiter les perturbations induites sur les
appareils pénétrant dans le sillage de l’avion.
Quelques rappels
Dans un air sec à 0 °C, le son se
propage à la vitesse de 335 m/s
(Mach 1). Plus la température
croît, plus la vitesse du son augmente. Selon la vitesse atteinte,
on se situe dans un domaine de
vol différent. En dessous de
Mach 0,7, c’est le domaine subsonique. De Mach 0,7 à
Mach 1,2, les domaines transsonique et sonique. De Mach 1,2 à
Mach 3, le domaine supersonique. Enfin, au-delà de Mach 3,
c’est l’hypersonique (avec des
vitesses de plusieurs kilomètres
par seconde).
Systems, qui offre une résolution de 70 mK.
Enfin, l’emploi de la thermographie infrarouge a permis d’ouvrir la voie à de nouvelles applications, qui n’étaient pas envisageables avec les moyens classiques. C’est ainsi
que la méthode est utilisée pour visualiser la
transition des couches limites (c’est-à-dire
le passage d’un écoulement laminaire à un
écoulement turbulent) dans les souffleries
transsoniques (le domaine de vol des avions
de ligne). Le frottement des couches d’air
étant plus important en régime turbulent
qu’en régime laminaire, il est important
d’optimiser l’aérodynamique des appareils
afin de retarder l’apparition de la zone de
transition.
Bien sûr, la thermographie infrarouge a aussi ses limites. Elle n’est pas utilisable, par
exemple, lorsque les essais se déroulent dans
des souffleries hyperenthalpiques (qui dégagent une importante quantité de chaleur).
En effet, du fait que le gaz chaud rayonne
dans l’infrarouge, on ne sait pas si l’on
mesure la température de la scène ou de
l’objet… Enfin, la thermographie n’est
employée à l’Onera que pour la mesure de
flux thermiques sur la surface extérieure
des maquettes.A l’intérieur des objets, il est
prévu de réaliser le contrôle avec des peintures thermosensibles associées à des caméras vidéo classiques (dotées de fibres
optiques).
Marie-Line Zani
*Ici, le nombre de Reynolds caractérise la façon dont l’air
s’écoule sur un avion durant un vol. Plus généralement, il
caractérise l’écoulement de tout fluide.Il dépend notamment
de la vitesse du fluide,de sa masse volumique et de sa viscosité.Lorsqu’il est faible,l’écoulement est laminaire.Au-delà
d’une zone dite “de transition”,il est turbulent.
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