Les maladies de dépérissement de la vigne ne sont pas nouvelle

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Les maladies de dépérissement de la vigne ne sont pas nouvelle
LES MALADIES DU BOIS : UNE AFFAIRE TOUJOURS AUSSI COMPLEXE…
Les maladies de dépérissement de la vigne ne sont pas nouvelles et pourtant, à l’heure actuelle,
bien peu de solutions sont proposées au viticulteur pour les combattre. La mauvaise
connaissance de la biologie des champignons responsables, le rôle respectif qu’ils jouent, les
portes d’entrée dans la plante, les interactions existant entre eux sont autant de facteurs
pouvant expliquer cet état de fait. Les solutions offertes au viticulteur sont actuellement bien
maigres en regard des problèmes occasionnés par ces maladies, tant au plan économique que
qualitatif : perte de récolte, mortalité des ceps, coûts de complantation, rajeunissement de l’âge
moyen de la vigne.
Symptomatologie et champignons responsables :
Trois principaux types de dépérissement sont observés au vignoble : l’eutypiose, l’esca et le Black
Dead Arm (BDA). Les symptômes liés à l’eutypiose ont largement été décrits et sont facilement
reconnaissables au printemps. Le rabougrissement du feuillage, l’aspect crispé et chlorotique des
feuilles en sont les manifestations les plus caractéristiques. Au niveau du bois, on retrouve une
nécrose sectorielle de couleur brune.
L’esca et le BDA se manifestent soit par une mort brutale d’une partie ou de la totalité du cep
(apoplexie), soit par un dépérissement lent avec des décolorations internervaires de couleur variable
selon qu’il s’agisse d’un cépage blanc ou rouge. La distinction entre les symptômes d’esca et de
BDA reste quant à elle très délicate à réaliser et ce d’autant plus qu’on observe fréquemment une
superposition de ces derniers au cours de la saison (les symptômes de BDA étant observés avant
ceux de l’esca).
Pour compliquer le tout, il convient d’ajouter à cela le caractère erratique des symptômes. En effet,
un cep atteint peut extérioriser les symptômes une année et paraître parfaitement sain l’année
suivante.
Les champignons responsables de ces dépérissements sont nombreux. S’il apparaît clairement que
Eutypa lata (El) est associé à l’eutypiose, l’esca et le BDA sont plutôt associés à la présence d’un
complexe de champignons dont les interactions entre eux ne sont pas clairement définies.
Phaeomoniella chlamydospora (Pch) et Phaeoacremonium aleophilum (Pal) sont associés aux
symptômes d’esca présents dans le bois (ponctuations noires visibles sur une coupe transversale pour
l’un et nécroses pour l’autre). Les Botryosphaeria (Bo) sont plutôt associés au BDA. Ils ont
notamment été isolés au niveau de la bande brune présente sous l’écorce et caractéristique du BDA.
Enfin, Fomitiporia mediterranea (Fm) est responsable de la dégradation du bois en amadou
(pourriture molle et sans consistance). Si ces champignons sont bien ceux qui sont isolés le plus
fréquemment, l’équipe de recherche du laboratoire de l’Agroscope de Changins (Suisse) a réussi à
isoler 48 champignons différents sur des ceps apoplexiés !
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Photo 1 : Bande brune caractéristique du BDA (Source IFV : Pierre Maussire)
Photo 2 : Symptôme de BDA sur feuille de Sauvignon blanc (Source IFV : Philippe Larignon)
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Photo 3 : Symptôme d’esca sur feuille de Sauvignon blanc (Source IFV : Philippe Larignon)
Photo 4 : Coupe transversale d’un cep. Présence de nécroses sectorielles (Source IFV : Pierre
Maussire)
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Quelles voies de contamination ?
Les voies de contaminations de la plante par Eutypa lata ainsi que la durée de réceptivité des plaies
sont relativement bien connues. Cela est beaucoup moins vrai en ce qui concerne l’ensemble des
autres champignons. Ainsi, la distance de dissémination des spores et les portes d’entrée des
différents champignons, notamment durant la période végétative, sont encore loin d’être clairement
définies.
Des contaminations possibles pendant la phase estivale?
A l’occasion de la taille hivernale, un viticulteur a été alerté par la présence de lésions corticales peu
communes sur des sarments de Muscat à petits grains. Ces sarments, transmis pour expertise à
B. MOLOT (ITV NIMES), présentaient des lésions provenant de plaies occasionnées par
l’enlèvement des entre-cœurs lors de la campagne précédente. Après « épluchage », tous les rameaux
dévoilent une nécrose brune, partant de la base de l’entre-cœur et descendant sur 5 à parfois 20 cm.
Après une identification réalisée à l’ITV de NANTES (M. COARER), il s’avère que le champignon
responsable est Botryosphaeria lutea. Bien qu’il ne s’agisse que d’une observation réalisée de
manière fortuite et que le postulat de Koch, consistant à reproduire les symptômes observés à partir
d’une inoculation artificielle n’ait pas été vérifié, cette observation pose le problème des différentes
voies de contamination de la plante par ce parasite et les Botryosphaeria en général durant la période
estivale.
Dans le but de combattre ces champignons, il semble incontournable de savoir si les blessures
occasionnées lors des travaux en vert (échardage, dédoublage…) peuvent constituer des portes
d’entrée pour ces derniers. Pour tenter de répondre à cette question, des essais seront conduits dès la
prochaine campagne viticole par le centre ITV France situé en Aquitaine.
La présence de symptômes sur de jeunes vignes (4 à 5 ans) a poussé l’équipe de l’ITV de Gaillac a
s’intéresser à la présence de ces champignons sur des plants en sortie de pépinière. Les résultats,
montrent que certains des champignons associés aux maladies du bois ont été isolés dans des
proportions importantes. En effet, selon les lots considérés, 6 à 70% des plants étaient infectés par
Botryosphaeria sp et 8% l’étaient par Pch et/ou Pal. Pour autant, aucune corrélation n’a, à ce jour,
été mise en évidence entre la présence de champignons en sortie de pépinière et l’extériorisation de
symptômes au vignoble ! Enfin, Fm, responsable du bois dégradé en amadou caractéristique de
l’esca et El, responsable de l’eutypiose, n’ont à ce jour jamais été isolés dans des plants en sortie de
pépinière.
Moyens de lutte et réglementation :
L’arsénite de sodium, dont l’utilisation a été autorisée jusqu’en novembre 2001, limitait l’expression
des symptômes foliaires d’esca sans pour autant débarrasser la souche infectée des champignons qui
la parasitait. Il n’est pas inintéressant de noter qu’une étude réalisée en Suisse, où l’arsénite de
sodium n’a jamais été autorisé (O. VIRET), montre que les niveaux de destruction observés au
vignoble sont voisins de ceux constatés en France !
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La collecte de ce produit a été réalisée en décembre dernier afin de libérer de ce fardeau
embarrassant les derniers détenteurs de ce produit.
Les moyens de lutte actuels sont essentiellement d’ordre prophylactiques. La taille tardive,
l’arrachage, le brûlage des souches malades, la protection des plaies de taille, un contrôle de la
vigueur sont à peu près les seuls éléments dont dispose le viticulteur pour lutter contre l’eutypiose.
Un essai de longue durée a été mis en place par le BNIC (V. DUMOT) pour préciser l’impact sur
les maladies du bois des principaux facteurs agronomiques ainsi que de différentes techniques de
protection des plaies de taille. Contrairement à l’eutypiose, les premières observations sur l’esca
montrent l’absence d’efficacité des méthodes utilisées pour protéger les plaies de taille. Il en va de
même pour la taille tardive qui n’apparaît, elle non plus, pas efficace pour lutter contre l’esca.
Le re-cépage (ou surgreffage), lorsqu’il est possible et réalisé suffisamment tôt (nécessité de
reformer la souche à partir d’un pampre issu du bois sain présent à la base de la charpente), reste
l’unique issue pour débarrasser la souche des champignons tout en conservant le système racinaire
déjà en place.
Etat de la recherche :
Face à tant d’inconnues, de nombreux groupes de travail ont été constitués pour partager les
connaissances et tenter de mieux comprendre le fonctionnement de ces champignons, de cerner les
différents facteurs (climatiques, agronomiques, physiologiques, humains…) ayant une influence sur
leur développement et/ou l’expression des symptômes.
C’est dans ce cadre que l’ITV a coordonné un réseau d’observation des symptômes foliaires. Cette
étude, financée par l’ONIVINS, consistait à observer l’expression des symptômes foliaires pendant
plusieurs années consécutives d’une quinzaine de parcelles atteintes. Ces dernières étaient réparties
sur l’ensemble des régions viticoles françaises afin de prendre en compte la diversité des cépages,
des sols, des climats, des modes de conduite….
L’objectif est de mieux comprendre les raisons de la fluctuation des symptômes en déterminant
notamment l’influence des diverses interventions du viticulteur et des facteurs climatiques
susceptibles de favoriser l’expression des symptômes foliaires.
Une notation hebdomadaire des symptômes, depuis leur apparition jusqu’à la récolte, a été réalisée.
Etant donné le lien étroit entre le trajet de sève et l’expression des symptômes, leur notation est
effectuée au niveau de chaque élément du cep (lattes, coursons, cœur de souche). Pour être
représentative, l’étude porte sur l’observation d’un millier de souches par parcelle.
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Caractéristiques de la parcelle suivie par l’IFV de Bordeaux :
Appellation : Entre Deux mers
Type de sol : Argileux limoneux
Porte-greffe : SO4
Cépage : Cabernet sauvignon
Taille : Guyot double (palissé depuis 1998)
Entretien du sol : Enherbement + désherbage sous le rang
Année de plantation : Antérieur à 1974
Passé de l’arsénite de sodium : Pas depuis 1998
Le graphique n°1 ci dessous présente en parallèle l’évolution du pourcentage de ceps extériorisant
des symptômes d’esca et/ou de BDA (exprimé en base 100) au cours des trois années d’observation.
Bien que l’année 2004 soit incomplète, il semble que la cinétique d’apparition des symptômes soit
similaire pour les trois campagnes en dépit d’un nombre très variable de ceps extériorisant les
symptômes d’une année à l’autre (Cf figure n° 2).
Les premiers symptômes foliaires apparaissent lors de la première décade du mois de juin. La
progression du nombre de nouveaux ceps exprimant des symptômes est d’abord lente au cours de ce
mois avant de s’accélérer fortement durant le mois de juillet puis de revenir très faible au mois
d’août.
Evolution du % de ceps exprimant des symptômes de
BDA et/ou d'esca en base 100
100
90
80
70
60
50
40
30
20
10
0
2004
2005
2006
22
23
24
juin
25
26
27
28
29
juillet
30
31
32
33
34
35
août
Graphique n°1 : Evolution du % de ceps exprimant des symptômes de BDA et/ou d’esca en base 100
6
Evolution du % de ceps exprimant des symptômes de
BDA et/ou d'esca
40
35
30
2004
25
2005
2006
20
15
10
5
0
22
23
24
25
26
27
28
juin
29
30
31
32
juillet
33
34
35
août
Graphique n°2 : Evolution du % de ceps exprimant des symptômes de BDA et/ou d’esca
120
Pluviométrie hebdomadaire pour les 3 millésimes
Cumuls pluviométriques des semaines 22 à 31
P (mm)
100
80
60
2004
2005
2006
40
20
0
22 23
24 25 26 27 28
juin
29 30 31 32 33
juillet
34 35
août
Graphique n°3 : Pluviométrie hebdomadaire pour les campagnes 2004, 2005 et 2006
Le pourcentage de ceps exprimant des symptômes fluctue énormément d’une année à l’autre. Sur
cette parcelle, l’année 2006 constitue un record avec près de 40 % de ceps exprimant des symptômes
contre « seulement » 18% en 2005 et 29% en 2004.
La relation que nous cherchions à établir entre la climatologie et l’expression des symptômes n’est
pas facile à mettre en évidence. En effet, si les cumuls pluviométriques enregistrés durant les mois
de juin et juillet semblent, sur cette parcelle, être corrélés avec la quantité de ceps exprimant des
symptômes en fin d’année, cette relation n’est pas vérifiée sur l’ensemble des parcelles du réseau.
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Ainsi, s’il semble certain que la climatologie et la pluviométrie en particulier, joue un rôle dans
l’expression des symptômes de ces maladies, les indicateurs pertinents permettant de le mesurer
nous font encore cruellement défaut.
sept-04
sept-05
sept-06
Total sains = 703 ceps (71%)
Total sains = 764 ceps (77%)
Total sains = 554 ceps (56%)
454 ceps (46%)
601 ceps (60%)
15 ceps
58 ceps (6%)
29 ceps
13 ceps
Total malades = 348 ceps (35%)
132 ceps
163 ceps
Total malades = 292 ceps (29%)
(dont 1 Apoplexie)
102 ceps (dont 3 Apoplexiés)
Total malades = 160 ceps (16%)
29 ceps
3 ceps
43 ceps (dont 1 Apoplexie)
73 ceps
1 cep
71 ceps
87 ceps (dont 1 Apoplexie)
Total morts = 93 ceps (9%)
42 ceps
995 ceps
Total morts = 71 ceps (7%)
3 ceps
995 ceps
995 ceps
Figure n° : Organigramme sur le passé et le devenir des ceps entre 2004 et 2006 (réalisé à l'échelle)
Légende
Ceps
Ceps
Ceps
Ceps
n'ayant jamais exprimé de symptômes au cours des 3 années
n'exprimant pas de symptômes l'année N
exprimant des symptômes l'année N
morts
Schéma n°1 : Représentation schématique des ceps ayant exprimé des symptômes d’esca ou de BDA
au cours des 3 années de suivi (2004 à 2006)
Le schéma n° 1 représente, à l’échelle, l’historique de chacune des 995 souches suivies de juillet
2004 à septembre 2006. On s’aperçoit qu’en seulement trois années de suivi, plus de la moitié des
ceps ont exprimé au moins une fois des symptômes de BDA et/ou d’esca. Cela laisse supposer que la
quasi-totalité des souches de cette parcelle est infectée par les champignons des maladies du bois.
L’intérêt de privilégier la taille tardive sur des parcelles jeunes dont les souches ne sont, à priori, pas
encore infectées par les champignons n’en devient que plus clair.
Parmi les souches ayant extériorisé des symptômes, 54% d’entre elles en ont exprimé une seule
année, 32% deux années sur trois et seulement 14% de manière consécutive les trois années.
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Conclusion
Après ce rapide état des lieux, il semble malheureusement évident que si des efforts de recherche
sont bel et bien consentis sur ce problème, l’impasse technique dans laquelle nous nous trouvons ne
sera pas résolue à courte échéance.
En attendant une hypothétique solution chimique, les mesures prophylactiques restent de rigueur
même si leur effet reste discutable concernant l’esca et le BDA.
Devant un tel constat d’impuissance, l’accent est mis sur l’amélioration des connaissances du
cycle biologique des différents champignons. Toutefois, les essais se poursuivent pour tester
différents procédés pouvant constituer un moyen de lutte préventive (champignons antagonistes…)
et/ou curative (injection directe) sans qu’aucune solution miracle ne se profile à l’horizon…
Rappels des abréviations :
Pch : Phaeomoniella chlamydospora
Pal : Phaeoacremonium aleophilum
El : Eutypa lata
Fm : Fomitiporia mediterranea
Bo : Botryosphaeria
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