L`indigoterie Lemoine-Drouet à Torbeck (Saint

Transcription

L`indigoterie Lemoine-Drouet à Torbeck (Saint
ESCLAVAGE (INDIGOTERIE À SAINT-DOMINGUE EN 1784)
L’indigoterie Lemoine-Drouet à Torbeck
(Saint-Domingue) en 1784
Thèmes
e
Esclavage, Amérique, XVIII siècle, indigo
Niveaux
Quatrième histoire : esclavage aux Amériques
LEP histoire : productions tropicales
Seconde histoire : abolition de l’esclavage
Pistes possibles d’exploitation
Examen d’un atelier d’esclaves : composition, regard que les maîtres portent sur lui.
Fonctionnement d’une indigoterie.
Autres cultures tropicales (sucre, café, coton) et leur importance relative.
Importance du commerce colonial pour le commerce français à la veille de la Révolution.
Annexe : évolution concurrentielle de l’indigo et du pastel.
1. Présentation du document (ADHG, 3 E 25560, fol. 569 r°- 574 r°)
Ce document notarié présente l’inventaire d’une indigoterie du sud de SaintDomingue (à Torbeck), inventaire dressé le 25 février 1784, car son propriétaire pour
moitié (Mathieu-Joseph Catou, qui réside à L’Isle-en-Dodon) veut vendre cette moitié
et a trouvé acheteur (en la personne de M. de Maissemy). La présence d’un tel
document dans un registre notarié de métropole s’explique par le fait que de
nombreux propriétaires vivaient en France et rémunéraient un gérant pour
administrer leurs biens aux colonies. Il y a donc de nombreux actes d’achat, de vente
ou d’envoi de procurations dans les registres des notaires métropolitains. Dans le
cas présent, on peut penser à une simple opération spéculative, Catou ayant acheté
cette moitié d’indigoterie l’année précédente au sieur Jean Drouet qui résidait à La
Tremblade (actuel département de la Charente-Maritime) (l’autre moitié appartenant
à un certain Christophe Ducoing, qui réside sur place). Le document ne nous dit rien
des relations entre les acteurs ni des circonstances de leur rencontre, ni des
motivations qui les animent.
Tout est vendu en bloc : terrains, bâtiments et « mobilier », autrement dit les
esclaves qui travaillent sur cette indigoterie. Il s’agit donc d’un témoignage classique
du regard qu’un propriétaire (en l’occurrence absent), portait sur son bien antillais.
Intérêt
Aspect formel et froid, très juridique, de la propriété, avec notamment la liste
des 72 esclaves qui y travaillent. Ces esclaves y sont présentés selon les
dispositions du Code Noir de 1685 comme du cheptel humain. Ils sont inventoriés
(chacun a un numéro) et classés en plusieurs groupes : en premier les adultes
(hommes suivis des femmes : « nègres » puis « négresses », ces mots n’étant pas
péjoratifs à l’époque) suivis des enfants (garçons puis filles : « négrillons » et
« négrittes »).
L’inventaire reste succinct : âge, « nation » de provenance, éventuellement
une compétence – on disait un « talent » – ainsi que quelques liens de filiation entre
mères et enfants car, selon le Code Noir, l’enfant suit le statut de la mère. Certains
inventaires étaient plus précis : indication éventuelle de maladie ou infirmité et
estimation du prix de l’esclave.
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Dans le cas qui nous occupe, nous n’avons qu’un prix de gros pour cette moitié
d’indigoterie, soit 100 000 livres « argent des colonies », unité de compte fictive
correspondant à environ 66 600 livres tournois (la livre coloniale valant un tiers de
moins que la livre tournois ayant cours dans le royaume de France). Il s’agit d’une
somme relativement modeste. Indigoteries et caféières n’exigeaient pas
d’investissements trop lourds et se sont donc fortement développées dans les
dernières années d’Ancien Régime. Les sucreries valaient bien davantage (surfaces
plus importantes, équipement plus lourd et main d’œuvre servile plus nombreuse,
oscillant entre 200 et 300 esclaves).
2. Analyse de la « pyramide des âges »
L’indication des âges nous permet de connaître un peu mieux le profil du personnel
servile. On constate :
- en proportion, un bon tiers d’hommes de plus que de femmes. Les propriétaires
cherchaient-ils prioritairement la force physique ? L’écart numérique entre les sexes
est accentué ;
- la présence de quelques enfants de dix ans et moins (9 garçons, 5 filles) nés sur
place (ils sont donc « créoles »). Leur petit nombre laisse à penser que cette
population ne peut pas se renouveler de façon naturelle, il faut un renfort sous forme
d’achats ;
- davantage d’hommes que de femmes, en particulier dans les tranches 0-10 ans et
11-20 ans (les propriétaires misent-ils sur la jeunesse comme potentiel en
développement ?) ;
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- les femmes sont davantage représentées dans les tranches 21-30 ans et 31-40 ans
(les propriétaires suivraient-ils une politique nataliste, même insuffisante ?) ;
- au-delà de 40 ans on compte une seule femme pour 8 hommes, ce qui est un
déséquilibre très accentué.
3. Présentation d’une indigoterie (exemple de l’habitation Lemoine-Drouet)
Surface totale : 134 carreaux (172 ha environ) (petit domaine à l’échelle de SaintDomingue. Une sucrerie avait une surface moyenne oscillant entre 200 et 300
carreaux).
Constructions
une grande case (logement du gérant blanc)
une sècherie (pour l’indigo)
une cuisine
un magasin (stockage divers)
un hôpital (pour soigner les esclaves)
quatorze cases à nègres (logements sommaires pour les esclaves)
un double vaisseau à indigoterie et moulin à bêtes (pour battre l’indigo)
terrain de cinquante cuves d’herbes d’indigo
Pour assurer la nourriture des esclaves
champ de patates
champ de manioc
bananeraie
places à vivres (jardins collectifs)
Divers
savane (pâturages pour les bêtes de somme)
hatte (enclos pour les bêtes de somme)
bois debout (forêt)
mornes (reliefs)
plaine
Repères (à la veille de la Révolution)
Saint-Domingue à elle seule fournit la moitié de la production mondiale de
sucre et les deux-tiers de celle du café.
Il a été calculé que le commerce colonial français permettait d’assurer, en
France, un emploi sur huit. En effet, les « îles à sucre » étaient fortement
consommatrices d’outils, de vêtements, de produits alimentaires venant de France.
Le commerce maritime mobilisait les chantiers navals, assurait l’emploi de marins,
portefaix ou magasiniers, faisait vivre des maisons de négoce comme des
détaillants…
Nombre d’esclaves (ordre de grandeur) à la veille de la Révolution
Saint-Domingue : 500 000 esclaves (face à 30 000 Blancs et à 27 000 « Libres de
couleur » - affranchis)
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Guadeloupe : 89 800 esclaves
Martinique : 81 000 esclaves
Guyane : 10 000 esclaves
Ile de France (Maurice) : 37 000 esclaves
Bourbon (Réunion) : 38 000 esclaves
Pour mémoire, la Basse-Louisiane (Etats-Unis) comptait 5 000 esclaves en 1764.
Nombre respectif des types « d’habitations » (domaines fonciers) à Saint-Domingue
à la veille de la Révolution
3 151 indigoteries
3 117 caféières
793 sucreries
789 cotonneries
182 rhumeries
54 cacaoyères
4. Présentation d’une sucrerie
Une sucrerie est établie en plaine, la canne à sucre nécessitant d’être irriguée
pour pousser.
Il s’agit d’un domaine important, ayant besoin en moyenne de 200 à 300 esclaves
pour fonctionner de façon optimale. Les superficies cultivées sont étendues, on
compte également un important cheptel animal et des pâturages (savanes) pour les
bêtes. Les bâtiments servant à la fabrication du sucre et leur équipement nécessitent
un important effort financier.
Fabrication du sucre
À maturité (après dix-huit mois) les cannes sont coupées, transportées par
charrettes (cabrouets) jusqu’au pressoir (moulin à eau, à bêtes, éventuellement à
vent) où elles sont broyées. Le jus exprimé passe par une batterie de chaudières où
il est progressivement réduit en un épais sirop. Cette mélasse est ensuite versée
dans des moules appelés « formes » où elle cristallise (le résidu liquide, recueilli par
décantation, part en distillation). On obtient des pains de sucre qui sont ensuite mis
dans une étuve durant une quinzaine de jours, afin de faire disparaître les dernières
traces d’humidité. Une fois les pains de sucre complètement secs, ils sont réduits en
poudre par pilage puis mis en barriques à destination de la France.
On pouvait fabriquer du sucre « en brut » (brun) ; pour obtenir du sucre
« blanc », on mettait au sommet des « formes », avant cristallisation, une terre
blanchâtre humide qui teintait la mélasse en blanc (on disait aussi « sucre terré »).
Le raffinage était seulement autorisé en France.
5. Présentation d’une caféière
Le caféier est un arbre qui pousse en altitude moyenne, entre 300 m et 900 m,
à flanc de colline. Après avoir défriché, on plante les caféiers. Sarclage et taille
régulière sont nécessaires. En août-septembre les arbres se couvrent de fruits
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ressemblant à des cerises rouges. La cueillette se fait à la main. Ces cerises sont
plongées dans un bassin de trempage où leur écorce pourrit. On les étend ensuite
sur des surfaces lisses maçonnées pour qu’elles sèchent. Reste encore à séparer
les grains des enveloppes et, parmi les grains, séparer les bons des moins bons.
Ces activités demandent beaucoup de temps.
L’investissement pour établir une caféière est bien moindre que pour une
sucrerie, de même que le nombre d’esclaves y travaillant.
Exemples de questions aux élèves
Sur le document original : la liste d’esclaves.
Comment les esclaves sont-ils classés ?
Réponse : en deux catégories selon l’âge : adultes d’abord, enfants ensuite. Puis,
pour chaque groupe, les hommes d’abord et les femmes ensuite. Ils sont numérotés.
Qu’en déduire sur la façon dont les maîtres les considéraient ?
Réponse : (cf. Code Noir : ce sont des biens meubles) sont pris en compte un seul
prénom (en général chrétien, mais il y a quelques fantaisies), l’âge, un éventuel
« talent » (savoir-faire), un éventuel problème de santé et une éventuelle filiation
(mère) pour les enfants. Mais, contrairement à la plupart des inventaires, aucune
valeur marchande n’est donnée aux esclaves individuellement.
Sur la pyramide des âges (Une fois expliqué le principe de la pyramide des âges).
Y a-t-il une logique de répartition par âge de la population esclave ? Qu’en
conclure ?
Réponse : dominent les travailleurs de force, autrement dit les hommes entre 20 et
40 ans. Il y a une promesse de relève par des naissances non négligeables, mais qui
ne suffisent pas à renouveler la population. Ce déséquilibre illustre d’abord un
renouvellement de la population du fait d’achats à des marchands négriers. On peut
supposer que les propriétaires favorisaient une politique nataliste (qui rencontre un
regain d’intérêt à la veille de la Révolution).
Pour en savoir plus
Analyse fouillée du document
Reprendre le texte de Mme Jeanne BAYLE, édité par les Amis des Archives de la
Haute-Garonne (Petite Bibliothèque n°161, supplémen t à la « Lettre des amis »
n°231 du 30 juin 2008).
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