Week-end Turbulences avec Pascal Dusapin et l`Ensemble

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Week-end Turbulences avec Pascal Dusapin et l`Ensemble
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WEEK-END TURBULENCES AVEC PASCAL DUSAPIN ET L’ENSEMBLE
INTERCONTEMPORAIN
Le 24 octobre 2013 par Michèle Tosi
Concert, Festivals, La Scène
Paris. Cité de la Musique .18 au 20-X-2013. Week-end Turbulences
18-X: Giacinto Scelsi (1905-1988): Okanagon pour harpe, contrebasse, tam-tam et amplification. Johannes Ockeghem (1410-1497): Motet Intemerata Dei
mater; Edgar Varèse (1883-1965): Intégrales pour onze instruments à vent et percussion; Robert Morton (1430-1479): Chanson L’Homme armé à 4 voix; Pierre
de la Rue (1452-1518): Agnus dei de la Messe L’Homme armé; Iannis Xenakis (1922-2001): Thalleïn pour quatorze instruments; Josquin des Prés (1450-1521):
Motet « Christus mortuus est pro nobis / Circumdederunt me »; Jean Richafort (1480-1550): Messe de Requiem (in memoriam Josquin des Prés); Samy
Moussa (né en 1984): Kammerkonzert, pour orchestre de chambre; Antoine Brumel (1460-1513): Messe à six voix (inédit, manuscrit de Brno); Pascal Dusapon
(né en 1955): Jetzt genau, pour piano et six instruments. Capilla Flamenca; Sébastien Vichard, piano; Ensemble Intercontemporain; direction Pierre Rundel.
19-X: Kurt Schwitters (1887-1948): Sonate in Urlauten pour performer; Leoš Janáček (1854-1928): Capriccio pour piano (main gauche) et six instruments;
Mauricio Kagel (1931-2008): Tango alemán pour voix, piano et bandonéon; Pascal Dusapin (né en 1955): Aks pour voix de mezzo et sept instruments; Pierre
Boulez (né en 1925): Troisième Sonate: Formant 2 – trope, pour piano. Peter Ablinger (né en 1959): Voice and piano, pour piano et disque compact; Steve
Reich (né en 1936): Different Trains, pour quatuor à cordes et enregistrement; Luciano Berio (1925-2003): Naturale (su melodie siciliane) pour alto, percussion
et bande; Jonathan Harvey (1939-2012): Sprechgesang pour hautbois /cor anglais et treize instruments; Peter Eötvös (né en 1944): Snatches of a conversation,
pour trompette à deux pistons et ensemble; Claude Vivier (1948-1983): Trois Airs pour un opéra imaginaire, pour soprano et ensemble. Isabel Soccoja, mezzosoprano; Caroline Melzer, soprano; Eric-Maria Couturier, Grégoire Simon, récitants; Didier Pateau, hautbois et cor anglais; Jean-Jacques Gaudon, trompette;
Odile Auboin, alto; Gilles Durot, percussion; Dimitri Vassilakis, Hideki Nagano, pianos; Juanjo Mosalini, bandonéon; Ensemble Intercontemporain; direction
Pierre Rundel.
20-X: Pascal Dusapin (né en 1955): Quad, concert pour piano et petit orchestre; Morton Feldman (1926-1987): For Samuel Beckett, pour vingt-trois musiciens.
Hae-Sun Kang, violon; Ensemble Intercontemporain; direction Peter Rundel.
France
Île-de-France
Paris
Cité de la Musique
C’est à Pascal Dusapin et Jan Vandenhouwe qu’il
revenait de concevoir le premier des trois
Week-ends Turbulences inscrits cette année dans la
saison de l’Ensemble Intercontemporain. Ces trois
journées festives mêlaient concerts, conférence
voire performance – l’avant-concert surprise de
Clément Lebrun – avec, au coeur de la
manifestation, le « grand soir » (celui du samedi)
articulé en trois parties, qui a tenu en haleine
l’auditoire jusqu’à minuit. Très réactif à ce concept
nouveau donnant carte blanche à une personnalité,
le public était en effet très nombreux et bien décidé
à emprunter les « chemins de traverse » frayés par
Pascal Dusapin; semés de surprises et d’inattendu,
ils offraient une foisonnante variété d’horizons
sonores croisant les styles et les époques. La Salle
des concerts de la Cité de la Musique avait été
reconfigurée à cet effet, offrant une disposition plus
conviviale qui distribuait le public autour de la
scène centrale; trois plateaux, de part et d’autre et
en étage, permettaient un enchaînement plus fluide
entre les pièces.
Pascal Dusapin prenait la parole lors de la première
soirée pour présenter son projet et expliciter ses
choix, en évoquant le modèle du rhizome – dénué
de centre – et ses processus de ramification et de
prolifération qu’il aime mettre à l’oeuvre.
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Ainsi la musique polyphonique des débuts de la Renaissance côtoyait-elle celle d’aujourd’hui, la complexité des lignes finement
architecturées de l’art renaissant rejoignant, dans l’esprit de Dusapin, les constructions sonores de Varèse et Xenakis. Le premier
concert, ponctué par une de ses oeuvres, mettait en regard les modèles et les compositeurs en qui il reconnaît son ascendance
musicale.
Giacinto Scelsi d’abord, que Dusapin a rencontré à Rome durant son séjour à la Villa Medicis. Le concert débutait avec Okanagon
mettant très symboliquement le son et sa vibration au centre de l’écoute. Venait ensuite Varèse dont les accords « gratte-ciel- qui
se profilent dans l’espace nourrit toujours l’imagination de Dusapin. Intégrale pour onze instruments à vent et percussions –
dirigé cette fois par Peter Rundel – est une pièce sur mesure pour les solistes de l’EIC qui lui donnaient sa pleine intensité. La
même énergie se faisait sentir dans Tallaeïn de Iannis Xenakis, le seul véritable maitre de Pascal Dusapin. Cette pièce, qui signifie
en grec « bourgeonnement », s’inscrivait pleinement dans le modèle rhizomique évoqué au départ. Ecrite en 1984, Tallaeïn est
une oeuvre jubilatoire et puissante, aux sonorités irradiantes et aux pulsations tribales évoquant tout à la fois Scelsi et Varèse.
Après le maître, venait l’élève avec Samy Moussa; compositeur et chef d’orchestre, il est né à Montréal et a étudié avec Pascal
Dusapin à la Hochschule de Munich. On entendait son KammerKonzert composé en 2006, une pièce flamboyante initiant un
travail très fin sur la matière sonore qu’il conduit de la saturation à la plénitude du spectre déployé.
C’est la Capilla Flamenca, un ensemble belge féru de musique de la Renaissance, qui intervenait en alternance avec les six pièces
du programme. Entre Motets et extraits de Messes chantés a cappella (d’Ockeghem à Josquin des Prés) qui pâtissaient d’une
acoustique un peu sèche, les quatre voix masculines donnaient une très belle version de la chanson polyphonique L’homme armé
de Robert Morton sur laquelle tant de compositeurs ont écrit leur Messe à quatre voix: comme celle de Pierre de la Rue dont on
entendait l’Agnus Dei 1 et 2.
La première soirée s’achevait avec la pièce récente (2012) Jetzt genau! pour piano et six instruments de Pascal Dusapin, sollicitant
la direction souple autant qu’efficace de Peter Rundell qui allait assurer avec la même aisance l’ensemble des pièces du Week-end.
L’oeuvre est conçue d’après le modèle du Capriccio de Janacek inscrit au programme du lendemain. Jetzt genau! est une seconde
version de Genau!, écrite un an auparavant, qui n’exclut pas une possible troisième version, dans un processus de work in
progress assez rare chez Dusapin. Etrange – dans le choix de son instrumentation – autant que séduisante, la pièce initiée par le
piano – Sébastien Vichard très habité – débute comme une sorte d’improvisation collective privilégiant des couleurs assez
sombres et des interventions sporadiques; avant qu’une synergie s’instaure entre les instruments – chorus soutenu entre clarinette
basse, piano, contrebasse et percussions – et que fusent des solos virtuoses: celui de la clarinette – Jérôme Comte sidérant –
évoquant l’univers des musiques Klezmer. Le piano termine seul en une lente chute dans le grave ponctuée de chocs lourds
instaurant une dramatisation saisissante.
Pour amorcer « le grand soir » du samedi, Pascal Dusapin invitait à l’Amphithéâtre du Musée Stanislas Dehaene, chercheur en
psychologie cognitive et professeur au Collège de France; il nous parlait du fonctionnement du cerveau réagissant aux stimulations
– entre prédictions et violation des prédictions – de la musique. La pièce Lumen de Franco Donatoni, un bijou de cinq minutes
dirigé avec beaucoup de tact par Julien Leroy (actuellement assistant de Matthias Pintscher) était donnée deux fois, au début et à
la fin de l’exposé, et tentait de mettre en résonance les propos du scientifique sur le mystère de l’écoute.
Ce « grand soir » était ponctué par deux entractes animés par les solistes de l’Ensemble Intercontemporain offrant aux plus
gourmands joutes sonores des cuivres et autre fanfare résonnant dans la Rue musicale de la Cité de la Musique.
Excepté Capriccio de Leoš Janáček qui faisait écho à Jetzt genau! et Formant 2 -Trope de la Troisième Sonate de Pierre Boulez –
jouée par coeur et souverainement par Dimitri Vassilakis – toutes les oeuvres de cette riche soirée – la plupart rarement jouées –
s’ordonnaient autour de la question du langage et de la vocalité au XXème; chacune des neuf pièces à l’affiche présentait un
rapport singulier au langage et une manière d’envisager ou de traiter la voix, parlée ou chantée : voix-source d’abord avec l’
« Ursonate » de l’iconoclaste Kurt Schwitters, sorte de poème phonétique fou avec lequel les deux performers irrésistibles,
Eric-Maria Couturier et Grégoire Simon, (respectivement violoncelliste et altiste de l’EIC) débutaient le concert. Voix enregistrée
et surlignée par une partie de piano – Hideki Nagano délicatement réactif – qui en analyse les composantes spectrales dans Voices
and piano du compositeur autrichien Peter Ablinger. Voix qui invente son propos – Isabel Soccoja très suggestive – dans le
contexte théâtral et parodique du Tango allemán de Mauricio Kagel; voix comme archétype sur lequel s’élabore le discours
instrumental de Sprechgesang de Jonathan Harvey, incluant une partie soliste de hautbois/cor anglais – Didier Pateau à l’oeuvre.
Voix échantillonnée qui donne son énergie et son profil à l’écriture instrumentale avec Steve Reich: Different trains pour quatuor
à cordes amplifié et support audio – des voix enregistrées mêlant le récit personnel du compositeur et celui de la déportation des
Juifs d’Europe – est une des oeuvres mixtes les plus abouties du minimaliste américain. Sous l’archet des quatre solistes de l’EIC
dûment concentrés, elle sonnait ce soir avec une intensité et une force émotionnelle rares. Dans Snatches of a Conversation de
Peter Eötvös, le texte anglais parlé dont s’empare Isabel Soccoja fait office d’instrument percussif dans un contexte pulsé et très
jazzy; la trompette à deux pavillons sous les lèvres de Jean-Jacques Gaudon – « une prise de rôle » pour ce vétéran de
l’instrument! – ajoute à la singularité du projet. Dans l’intemporel Naturale (su melodie siciliane), pour alto solo, percussions et
voix off – Odile Auboin et Gilles Durot à l’écoute du chant profond – la voix gutturale et originelle d’un chanteur sicilien entre en
résonance avec le discours instrumental dans un univers où cohabitent langage savant et populaire. Superbe également, Akst pour
voix de mezzo-soprano et sept instruments de Pascal Dusapin s’origine aussi dans un chant populaire; le compositeur le confie au
violoncelle dès les premières mesures avant de le réinventer au gré de son imaginaire. La chanteuse – Isabelle Soccoja très
sollicitée – s’exprime en occitan à travers une vocalité exposée et tendue. Le contexte instrumental de même teneur n’est pas sans
évoquer, dans des registres plus éclatés (flûte piccolo, trombone basse) l’atmosphère des Chansons Madécasses de Maurice Ravel.
Le public était toujours là et à l’écoute pour la dernière pièce du concert. Trois Airs pour un opéra imaginaire de Claude Vivier –
un compositeur « des bords » selon la formule de Dusapin – convoquait à minuit sonnant la voix somptueuse de la soprano
allemande Caroline Melzer déployant un timbre irradiant dans le registre aigu de sa tessiture. Le texte est pure invention du
compositeur cherchant à concevoir un « paysage imaginaire ». Les instruments, ici solidaires d’une voix littéralement aspirée vers
l’aigu, fusionnaient en une intensité sonore proche de la transe.
« Je n’ai pas entrepris ce voyage pour arriver mais
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pour partir »: cette phrase de Beckett, citée par Pascal
Dusapin dans les notes de programme, il la fait
sienne en choisissant de clore ce Week-end avec une
oeuvre sans fin. For Samuel Beckett pour vingt trois
musiciens de Morton Feldman est une musique sans
directionnalité, fonctionnant sur la répétition de
brèves figures confiées aux différentes familles
d’instruments; des altérations infimes et des
changements constant de métrique créent la mobilité
dans une immobilité souveraine; la pièce conduite de
main de maître par Peter Rundel dure cinquante
minutes, elle pourrait se prolonger à l’infini…
Samuel Beckett, pour lequel Pascal Dusapin a une
véritable passion, était la figure centrale de cette
dernière journée; celle-ci était préparée en amont par
la
présentation/performance,
drôle
autant
qu’enrichissante, de Clément Lebrun qui avait
imaginé avec les solistes de l’EIC et le public pris à parti une improvisation générative sur le propos de Quad.
L’oeuvre pour violon solo et petit orchestre de Dusapin est une commande de l’EIC créée en 1996 avec Hae Sun Kang en soliste.
C’est elle qui était ce soir sur le devant de la scène, lumineuse et magnifiquement investie, pour rejouer aux côtés de ses
partenaires, un des chefs d’oeuvre du compositeur. La pièce est un double hommage, à Beckett dont elle emprunte le titre et à
Deleuze (In memoriam) qui venait de disparaître. Le philosophe a en effet rédigé un commentaire sur Quad – une oeuvre sans
texte de la dernière manière de l’écrivain – qu’il intitule symboliquement L’Epuisé.
Au terme de ce Week-end, turbulent autant qu’éblouissant, Quad remettait au coeur du projet compositionnel le concept du
rhizome avec ses connections infinies, sa forme ouverte et ses directions mouvantes: autant d’idées qui nourrissaient la
programmation de Pascal Dusapin exposant ainsi, avec son éloquence et sa virtuosité, sa façon de « penser la musique
d’aujourd’hui ».
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