I. Le mystère de la monnaie

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I. Le mystère de la monnaie
Dans une économie de marché, toutes les transactions se règlent en monnaie.
L'accès aux biens et services dépend de la possession de monnaie ou de la possibilité
d'en obtenir en vendant ou en empruntant.
Si la monnaie est au coeur de l'économie, la BC est au cœur de la monnaie. Dans
son territoire, elle produit ("crée") les moyens de paiement qui, nés de rien,
permettent de tout acheter. C'est le mystère de la monnaie (I). Mais la toutepuissance de la BC ne signifie pas qu'elle fait ce qu'elle veut ! (II)
I. Le mystère de la monnaie
Les billets et pièces constituent la forme de monnaie la plus intuitive (divisionnaire).
Ils me serviront à introduire le pouvoir monétaire de la BC et sa liberté d'émission,
devenue totale depuis que, dans les économies matures, les contraintes de
convertibilité à taux fixe ont disparu en 1976 (§1.1). Aujourd'hui, la forme
prépondérante des moyens de paiement est la "monnaie bancaire" (scripturale). Les
banques doivent assurer sa convertibilité au taux fixe de 1:1 en monnaie de la
banque centrale. D'où problèmes de liquidité (§1.2). Précisément, la banque des
banques devient banque centrale quand (fin xix°/début xx°) elle assure le
bouclage de la liquidité bancaire (§1.3).
1.1) monnaie divisionnaire
Elle est caractérisée par sa matérialité (pièces, billets) et des montants prédéfinis :
500, 100, 50 etc. Jadis, ces signes monétaires représentaient des dettes
remboursables et avaient donc une valeur (a). Aujourd'hui ce n'est plus le cas (b).
De ce fait, émettre la monnaie rapporte (c).
a- convertibilité à taux fixe :
Dans ce régime (dont le type historique est l'étalon-or), il existe une définition légale
de la valeur de la monnaie. Cette valeur est fixe. En France, de 1803 à 1914, le
franc-or vaut 0,3225 g d'or à 900/1000e (0,290 g d'or fin). Cela signifie qu'une pièce
de 10 fr contient physiquement 3,225 g d'or et qu'un billet de 10 fr permet d'obtenir
une pièce donc 3,225 g d'or. La quantité d'or dépend de la production des mines d'or
et de la répartition de l'or mondial entre pays par les échanges de marchandises et
les flux financiers. Comme la banque qui émet les pièces et billets ne crée pas l'or,
elle doit limiter son émission et la proportionner à la quantité d'or qu'elle a en
réserve puisque, à tout instant, elle peut être obligée de rembourser.
Sans entrer dans les détails, après la seconde guerre mondiale, les accords
monétaires de Bretton Woods basent le régime monétaire sur la convertibilité or du
dollar à taux fixe (35$ l'once d'or) et, pour les autres monnaies, leur convertibilité en
dollar à taux fixe (fixe mais ajustable). Dans ce régime, une contrainte subsiste
puisque l'émission est limitée par l'encaisse en dollars (ou les possibilités d'emprunter
des dollars).
Ce régime a explosé lorsque les Etats-Unis sont devenus incapables d'assurer la
convertibilité or à 35$ l'once (Nixon shock 1971), ce qui a conduit au nouvel accord
monétaire international de 1976 (Jamaïque) : l'or perd sa qualité monétaire et
chaque pays détermine librement son régime.
Les économies avancées ont choisi les changes flexibles. Leur monnaie n'a pas de
valeur prédéfinie. Son prix (taux de change) dépend de l'offre et de la demande et
varie en permanence.
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b- la monnaie devient alors une dette non remboursable
La banque d'émission doit toujours donner des dollars, des yens, des livres etc
contre sa monnaie nationale (convertibilité) mais i) elle le fait au taux du marché (si
l'offre de monnaie nationale est supérieure à la demande, l'ajustement se fait par le
prix, le taux de change baisse) ; ii) en échange d'une monnaie on obtient une autre
monnaie qui permet seulement d'en avoir une autre sans que jamais le porteur ne
soit remboursé.
Il en découle deux importantes conséquences :
• la banque centrale ne subit plus de contrainte de liquidité ; rien ne limite son
émission monétaire
• la monnaie ne "vaut" plus rien : elle n'a plus de valeur intrinsèque. On la qualifie
de monnaie purement fiduciaire (fiat money) : sur le territoire national, son
acceptation est obligatoire ("pouvoir libératoire légal") et on l'accepte sans se
demander pourquoi car on sait que les autres l'acceptent et qu'on peut payer
avec (consensus monétaire).
c- revenu de seigneuriage
La banque centrale paie le coût des billets et reçoit leur valeur nominale.
Les billets doivent être de bonne qualité (design, visibilité, résistance) et difficiles à
imiter (marques de sécurité visibles et invisibles). Outre les coûts de production, la
BC supporte les coûts de distribution et d'entretien (contrôle et remplacement des
billets usés).
Ces coûts sont indépendants de la "valeur faciale" : un billet de 500 coûte moins de
1, donc la BC gagne 499. Le produit de l'émission de monnaie (seigneuriage)
contribue ainsi au bénéfice de la BC, bénéfice dont la plus grande part est reversée à
l'Etat.
1.2) monnaie scripturale
Pour introduire le pouvoir monétaire de la BC, nous avons commencé par les billets
qui sont la forme la plus intuitive de la monnaie. Mais, dans votre poche, vous n'avez
pas seulement des pièces et billets, vous avez une carte bancaire. La carte n'est pas
de la monnaie, c'est un moyen de circulation de la monnaie. Quelle monnaie ? la
monnaie scripturale.
Par différence avec la monnaie "divisionnaire" la monnaie scripturale n'est pas
matérielle (sa seule réalité est d'être écrite dans les comptes des banques) et n'a pas
de montant prédéfini. Cette monnaie bancaire est aujourd'hui, la forme
prépondérante des moyens de paiement : dans la zone euro, la monnaie
divisionnaire se monte à 949,5 milliards et la monnaie scriptuale à 4 797,1 milliards.
a- DAV fonctionnent comme moyen de paiement, ie "monnaie"
L'argent que vous mettez sur votre compte courant à la banque est un dépôt à vue
(DAV) : "à vue" signifie qu'il est remboursable à tout instant, sans frais et à sa
valeur.
Tant qu'il n'y a pas de doute sur la capacité de la banque à rembourser, les DAV sont
aussi bons que les billets. Si vous devez faire un paiement, vous pouvez aller au
distributeur et tirer des billets. Il est plus simple de donner l'ordre à la banque de
payer à votre place : votre compte bancaire est diminué (débité) du montant de la
transaction et celui du vendeur augmenté (crédité) du même montant. C'est ce qui
se produit à travers un système informatique lorsque vous utilisez votre CB.
b- monnaie de second rang
Les DAV fonctionnent comme monnaie mais ne sont pas de la monnaie : les banques
doivent assurer la convertibilité de leur "monnaie" en monnaie de la banque centrale
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au taux fixe de 1:1. Si vous avez 237,42 sur votre compte, la banque vous doit
237,42. Elle est obligé de vous payer à tout instant dans une monnaie qu'elle ne
fabrique pas elle-même (monnaie de la banque centrale). Si elle ne le fait pas, c'est
un défaut de paiement qui conduit à la faillite. De ce fait, les banques doivent avoir
une encaisse en monnaie centrale ou pouvoir en emprunter. Les banques sont
exposées aux problèmes de liquidité car elles ne gardent pas en caisse l'argent
qu'elles reçoivent, elles l'utilisent pour accorder des crédits : c'est leur fonction
économique. Si tous les déposants veulent se faire rembourser en même temps
(bank run), aucune banque ne peut faire face (Diamond, Dybvig, 1983, "Bank Runs,
Deposit Insurance, and Liquidity" ).
c- marché interbancaire
Chaque jour, une banque a des entrées en monnaie centrale (dépôts etc) et des
sorties (retraits etc). Des écarts temporaires dans un sens ou dans l'autre peuvent se
produire à tout instant. Aussi les banques ont-elles mis en place un marché (marché
interbancaire) sur lequel celles qui ont un excès temporaire de liquidité le prêtent
(moyennent un taux d'intérêt) à celles qui ont un manque temporaire. Comme les
positions de liquidité tournent rapidement, ces opérations sont à très court terme :
jusqu'au lendemain (overnight), une semaine, un mois. En temps normal, si, à un
instant, il y a un excès de demande, le taux d'intérêt monte ce qui augmente l'offre.
Mais si l'ensemble des banques manque de liquidité ou si les banques n'ont plus
confiance les unes dans les autres, il devient impossible d'emprunter (cf. la paralysie
de l'interbancaire mondial à partir de la faillite de Lehman Brothers en septembre
2008).
1.3) de la banque des banques à la banque centrale
Les banques aujourd'hui "centrales" (Banque d'Angleterre etc) ne l'ont pas toujours
été.
a- règlements interbancaires
Lorsque vous devez payer un achat de 100, vous ne pouvez pas donner une
créance sur vous-même, écrire un papier "je vous dois 100". Vous avez mis votre
argent sur un compte bancaire, vous tirez sur ce compte pour payer. De même, les
banques ont un compte, non pas les unes chez les autres, mais auprès d'une
superbanque. Lorsqu'une banque doit régler une autre banque, son compte est
débité, l'autre est crédité. De même que vous demandez un crédit à votre banque,
de même les banques demandent des crédits à leur superbanque. Celle-ci l'accorde
ou le refuse.
b- Bagehot : Lombard street, a description of the money market,1874 1
Au 19ème siècle, le coeur financier de la planète était à Londres, dans la rue des
banquiers (Lombard Street). La Banque d'Angleterre (Bank of England, BoE), outre
sa fonction d'émission de la monnaie, jouait le rôle de "superbanque" : banque des
banques. Dans les périodes de crise, lorsque les retraits des clients augmentaient, les
banques cherchaient à emprunter à la BoE. Celle-ci refusait, pour ne pas manquer
elle-même de liquidité et pour ne pas prendre de risque. Les banques, incapables de
payer, faisaient faillite. Leurs clients perdaient leur argent. La crise financière
entrainait un effondrement de l'économie.
Un observateur, le journaliste financier Bagehot, s'emploie à convaincre la BoE
qu'elle a, comme nous disons aujourd'hui, une "responsabilité systémique" : elle
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http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k205726w.r=.langFR
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n'est pas concernée seulement par elle-même mais par le système bancaire dans son
ensemble.
Le moteur d'une crise de liquidité est psychologique (la peur de ne pas être
remboursé conduit à vouloir se faire rembourser). Il faut supprimer cette
incertitude : la BoE doit s'engager par avance à apporter toute la liquidité nécessaire.
A ce moment, les déposants n'auront plus peur et la BoE n'aura même pas besoin de
fournir la liquidité.
Ce sont les principes du "prêteur en dernier ressort" (lender of last resort) : si une
banque ne trouve pas de liquidité sur le marché interbancaire, elle est certaine (et
tout le monde est certain) qu'elle en obtiendra de la "superbbanque". Pour éviter les
abus, cette liquidité sera payée plus cher et l'opération devra être sécurisée par des
garanties.
Ainsi la banque des banques devient "banque centrale".
c- la BC responsable du bouclage de la liquidité bancaire :
Les anciennes banques d'émission comprennent peu à peu leurs responsabilités et
les nouvelles sont crées dans ce but. Après un siècle de free banking, l'énorme crise
financière de 1907 conduit les Etats-Unis à mettre en place le Federal Reserve
System FRS. La loi qui l'institue (Federal Reserve Act de 1913 ) a pour titre
programme : "loi pour prévoir l'établissement de banques de réserve fédérales, pour
fournir une monnaie élastique (elastic currency), pour apporter les moyens de
réescompter le papier commercial, pour établir une surveillance plus forte des
banques aux Etats-Unis et pour d'autres propos."
Peu à peu, les BC comprennent que, plutôt que d'intervenir après coup pour apporter
la liquidité manquante à une banque (prêteur en dernier ressort), il est plus habile de
pré-alimenter le système bancaire pour éviter que surviennent des problèmes de
liquidité. Par exemple, chaque semaine, la BC estime le besoin de liquidité du
système bancaire pour les 8 jours futurs et prête cette liquidité.
Du fait de ce rôle central dans la liquidité bancaire, la BC exerce une influence sur
l'économie. Schématiquement, si elle apporte beaucoup de liquidité pas chère, les
banques sont poussées à accorder davantage de crédits et la dépense augmente. Au
contraire, si elle diminue ses apports de liquidité et les fait payer plus cher, les
banques freinent le crédit (politique monétaire).
Nous venons de voir que, dans le régime monétaire actuel, la liberté
d'émission de la BC est totale. Rien ne la limite puisque, en cas de
déséquilibre, l'ajustement se fait par le prix et non plus par la quantité
(encaisse or ou encaisse en devises). Comme l'économie dépend des
banques et les banques de la BC, celle-ci paraît toute-puissante.
Nous examinons à présent les limites statutaires et opérationnelles de cete
puissance.
II.La toute puissance de la BC
Du fait même de sa nature et de ses fonctions, la BC n'est pas une banque
quelconque. Le pouvoir monétaire appartient à l'Etat et uniquement à lui, c'est ce
qu'on appelle un droit régalien. La BC fait partie de l'Etat qui lui délègue son pouvoir
monétaire. Sa mission et sa structure sont définies par une loi. La BC ne fait pas ce
qu'elle veut, elle agit dans le cadre de son mandat.
La liberté d'émission (fiat money) est limitée par l'ancrage réel. Les BC
contemporaines (à partir des années 1980) ont été conçues pour la stabilité des prix
(§2.1). L'objectif n'est pas facile à atteindre car les BC n'ont aucun moyen d'action
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direct sur les prix, elles emploient des moyens indirects (§2.2). La crise les a
conduites à passer de la stabilité des prix à la stabilité financière (§2.3).
2.1) ancrage réel
a- stabilité des prix
Il est tentant pour un gouvernement d'utiliser le pouvoir monétaire de la BC pour
financer les dépenses publiques (BC "keynésiennes" d'après-guerre). Le résultat a
été la grande inflation des années 1970 (inflation à deux chiffres) que la liberté
d'émission (d'après 1976) privait de toute espèce de force de rappel. La pratique et
la critique théorique (Phelps, Friedman, Lucas, Sargent) ont mis en place un nouveau
cadre : les BC contemporaines (à partir des années 1980) ont été conçues pour la
stabilité des prix.
L'ancre nominale (convertibilité à taux fixe) ayant disparu est remplacée par une
"ancre réelle" : la BC doit conserver le pouvoir d'achat de la monnaie. Si un pain vaut
1, la valeur réelle de 1 en termes de pain est 1. Si le prix du pain augmente à
1,10, la valeur de 1 diminue à 1/1,10= 0,91. Bien sûr, on ne se base pas sur un
bien particulier mais sur l'ensemble des biens et services présents sur le marché.
Conserver le pouvoir d'achat de la monnaie signifie : maintenir stable le prix moyen
de ces biens et services ("niveau général des prix" NGP). Certains prix augmentent,
d'autres diminuent mais le prix moyen doit rester aussi stable que possible.
Suite à la grande inflation et à la difficulté d'en sortir, les BC ont reçu la mission
d'éviter l'inflation et ont été profilées dans ce but. Récemment, la crise financière et
la stagnation économique ont mis en avant la préoccupation symétrique: la déflation.
Inflation et déflation
Toute hausse du NGP n'est pas de l'inflation. Un processus inflationniste apparaît
lorsque la hausse des prix devient cumulative et autoentretenue par les
anticipations : une hausse des prix (1er tour) est d'abord absorbée : si elle se
reproduit, les acteurs économiques apprennent à répercuter sur leurs prix de vente
l'augmentation qu'ils subissent de leurs prix d'achat (effets de 2nd tour) ; si cela
continue, ils s'aperçoivent que, ce faisant, ils sont toujours en retard et apprennent
à ajuster leurs prix de vente, non plus sur l'inflation passée mais sur l'inflation
future qu'ils anticipent. Le processus s'emballe : les prix ne signifient plus rien, la
demande augmente pour se protéger des hausses futures (et accélère l'inflation),
le pouvoir d'achat de la monnaie diminue et la charge réelle des dettes aussi :
l'endettement devient sans limites puisqu'il ne coûte rien.
La déflation est un processus symétrique : la baisse des prix profite aux acheteurs
mais les acheteurs sont aussi des vendeurs ; prix et revenus, demande et offre
diminuent, l'économie se contracte et la charge des dettes (charge constante alors
que les revenus diminue) conduit aux défauts de paiement qui se traduisent par
des pertes pour les banques prêteuses qui font faillite ainsi que leurs créanciers. Le
système financier s'effondre et, avec lui, le système économique.
b) objectifs de la BC
Selon le cas, la BC reçoit la stabilité des prix comme objectif prioritaire (BCE) ou
comme un objectif parmi d'autres (FRS).
La BC européenne doit avant tout assurer la stabilité des prix. Si cet objectif est
atteint, il lui faut se préoccuper aussi de la croissance, dans la mesure où son action
dans ce but n'affecte pas la stabilité des prix. Comme cet objectif est inscrit dans un
traité international ("Traité de Maastricht") dont la révision exige l'unanimité des
signataires, en pratique, il n'est pas modifiable.
Le Fed s'est vu assigner trois objectifs non hiérarchisés : stabilité des prix, plein
emploi, taux d'intérêt à long terme aussi bas que possible pour favoriser
l'investissement. Comme des conflits d'objectifs sont possibles (par exemple, à l'été
2007 : forte inflation et début de la crise), des arbitrages sont à faire et des
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incohérences peuvent s'ensuivre. Une politique expansionniste pour soutenir l'emploi
peut provoquer l'inflation. Et inversement.
c- statut de la BC
Les BC contemporaines sont "indépendantes". Elles ne reçoivent plus de consignes
du gouvernement et celui-ci ne dispose pas de moyens de les influencer. C'est une
indépendance relative : elle ne permet pas aux BC de faire ce qu'elles veulent, elle
leur permet de faire ce qu'elles doivent pour —et uniquement pour— atteindre leur
objectif de stabilité des prix. En effet, les gouvernements peuvent désirer l'inflation
(pour diminuer la charge réelle de la dette publique) ou, à l'approche des élections,
souhaiter une politique monétaire expansionniste qui donne une illusion de
prospérité. Compte tenu de cette tendance, la BC doit être mise à l'abri et
surpondérer la stabilité ("banquier central conservateur" de Rogoff).
Cette indépendance s'accopmpagne de la responsabilité de la BC à l'égard des
citoyens. La BC traduit la stabilité des prix en termes opérationnels vérifiables (par
exemple pour la BCE, une inflation inférieure à 2% mais proche de 2%). Elle doit (de
manière variable selon les pays) faire un rapport périodique aux représentants des
citoyens (Parlement). Elle communique et, par l'intermédiaire des médias, explique
son action aux citoyens.
2.2) moyens d'action
a- aucun moyen d'action direct sur les prix
Les prix se fixent sur des marchés décentralisés à travers des centaines de milliers de
transactions chaque jour. La BC est évidemment incapable d'influencer directement
ces prix. Lorsque la valeur de la monnaie était définie par rapport à un bien
particulier (l'or par exemple), la BC pouvait intervenir sur le marché de ce bien pour
stabiliser artificiellement son prix (ce que tentèrent les Etats-Unis dans les années
1960 sur le marché de l'or). A présent que la contrepartie est constituée par
l'ensemble des biens et services faisant l'objet de transactions (NGP), aucune
intervention de ce genre n'est pensable.
Puisque la BC ne peut pas agir sur l'équilibre des marchés "réels", elle agit sur les
conditions de cet équilibre.
b- moyens indirects forward
Que peut faire la BC ? Rappelons-nous en quoi consiste son activité : prêter aux
banques la liquidité qui leur manque. La plupart des besoins des banques sont
satisfaits par le marché interbancaire mais toute banque sait que, à n'importe quel
moment, elle peut avoir besoin de la BC.
La BC ne fixe qu'une seule variable, le taux d'intérêt auquel elle prête aux banques.
Mais cette variable (coût marginal de la liquidité bancaire) est essentielle puisque
c'est la variable d'équilibrage. En temps normal, quand la BC augmente son taux
d'intérêt ("taux directeur"), cela se répercute sur le taux auquel les banques se
prêtent les unes aux autres (taux interbancaire) et rend la liquidité plus chère.
Comme les banques savent qu'elles devront payer plus cher la liquidité qui manque,
elles réagissent en cherchant à moins s'exposer au manque (en freinant les crédits)
et en répercutant cette augmentation sur les taux d'intérêts des crédits qu'elles
accordent : la croissance de l'offre de crédit diminue et son coût augmente. Comme
les crédits sont demandés pour payer des dépenses, cela se propage aux marchés
réels où la demande est freinée, ce qui contribue à les rééquilibrer et à stabiliser les
prix.
Ainsi, en jouant sur le coût marginal de la liquidité bancaire (taux directeur), la BC
influence les conditions de financement de l'économie et donc l'équilibre des marchés
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réels et donc le NGP. Toutefois, cette action passe par un grand nombre de réactions
qui prennent du temps (délais d'ajustement) et ne sont pas garanties : la BC doit
agir en avance (forward) et de manière répétée et résolue. On estime à environ 18
mois le délai d'action de la politique monétaire, c'est donc l'inflation prévue, et non
l'inflation passée, qui commande la politique monétaire.
L'autre moyen d'action consiste précisément à influencer les anticipations d'inflation.
Si la BC a donné un objectif d'inflation clair (par exemple 2%), si son action passée
et sa communication rendent cet objectif crédible, les anticipations d'inflation vont se
caler sur l'objectif de la BC. Lorsque tout le monde pense que l'inflation future
restera autour de 2%, une hausse accidentelle des prix (par exemple choc pétrolier)
ne sera pas répercutée (second tour) parce qu'il n'y a pas de raison d'avoir peur. De
ce fait, la communication devient un moyen d'action aussi efficace, parfois plus, que
le maniement du taux d'intérêt.
Organisation des systèmes de BC : Eurosystème et Federal Reserve System
Eurosystème
Federal reserve System
mandat
base légale
niveau local
niveau central
comité monétaire
exécution de la politique
monétaire
objectif prioritaire: stabilité des
prix
Traité sur l'Union européenne
dit "traité de Maastricht
19 BC nationales sur la base des
Etats membres
Directoire (6)
Conseil des gouverneurs
(6+15/19 par rotation)
banques centrales nationales
stabilité des prix, plein emploi,
taux d'intérêt à long terme
Federal Reserve Act (Congrès)
12 Federal Reserve Banks sur la
base de "districts" économiques
Board of Governors (7)
Fderal open Market Committee
(7 + 5/12 par rotation)
FRB New York
2.3) BC et crise
Dès l'été 2007, les BC ont rapidement et fortement baissé le taux directeur
(graphique de gauche). Une fois ceux-ci au plancher, elles ont utilisé des instruments
quantitatifs (non conventionnels) : injections massives de liquidité dans les banques
et les marchés pour stopper la course à la liquidité. En contrepartie, elles ont
accumulé des actifs et la taille de leur bilan a été multipliée (par 3 pour BCE et Fed) :
de 2007 à 2012, le total de bilan de la BCE et du Fed est passé de 1000 milliards à
3000mm (graphiques de droite en milliers de milliards).
Les BC étaient les seules institutions à pouvoir stabiliser le système financier car, du
fait de leur pouvoir monétaire illimité, elles seules ne subissent ni contrainte de
liquidité ni contrainte de solvabilité.
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On verra la fin de la crise quand on reviendra à la normale : le taux directeur devrait
remonter jusqu'à des niveaux habituels et le bilan dégonfler. La BC américaine a
déjà cessé ses achats d'actifs sur les marchés et envisage, courant 2015, de
remonter son taux d'intérêt (si la croissance poursuit son dynamisme).
Au contraire, les BC européenne et japonaise dont les économies ne sont pas tirées
d'affaire renforcent encore leurs interventions quantitatives. En particulier, la BCE
craint que la faible inflation (autour de 0,5%) ne dégénère en déflation. D'où les
décisions du 22 janvier 2015 1 En effet, la BC est démunie par rapport à la déflation :
face à l'inflation, "il suffit" de fermer le robinet monétaire (avec un coût économique
élevé) ; face à la déflation, il ne suffit pas de l'ouvrir, il faut que la liquidité injectée
pénètre dans l'économie et entraîne une augmentation des dépenses. Or l'offre et
la demande de crédit sont faibles et, quand bien même la monnaie serait distribuée
aux consommateurs (Helicopter Ben), ils ne la dépenseront pas : l'incertitude, la
crainte de la perte de leur emploi et de la baisse des revenus, leur fera augmenter
leur épargne de précaution. Aussi la BCE tente-t-elle d'agir préventivement pour
combattre les tendances déflationnistes qu'elle identifie.
La stabilité des prix est maintenant un objectif symétrique. La monnaie est un
"étalon de valeur" qui doit rester stable : la hausse comme la baisse du niveau
général des prix doivent être empêchées.
Lecture complémentaire
Salvatore Rossi: Monetary policy and the independence of central banks, 9 Dec 2014
http://www.bis.org/review/r141209f.htm
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http://www.ecb.europa.eu/press/pr/date/2015/html/pr150122_1.fr.html
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