Le travail institutionnel du psychologue Fichier

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Le travail institutionnel du psychologue Fichier
Université Rennes 2
LE « TRAVAIL INSTITUTIONNEL »
DU PSYCHOLOGUE1
Plan
I. LE PSYCHOLOGUE ET L’INSTITUTION
1. Positionnement du problème
2. La notion d’institution
2.1. Les « institutions » sont l’émanation
d’un ordre institutionnel
2.1.1. Systèmes symboliques
2.1.2. Violence symbolique
2.1.3. Une hypothèse socio-politique
sur l’émergence des pratiques psychologiques
2.2. Les « institutions » sont des organisations
2.2.1. Institution, organisation, groupe
2.2.2. Caractérisation générale
II. LE « TRAVAIL INSTITUTIONNEL »
DU PSYCHOLOGUE
1. Essai de définition
1.1. Principes
1.2. Conditions de mise en œuvre
1.3. Modalités d’action
2. Différenciation
2.1. Audit
2.2. Régulation des conflits
2.3. Supervision - formation
2.4. Psychothérapie institutionnelle
III. MODÈLES OPÉRATOIRES
1. Références systémiques
1.1. Le concept de système
1.2. L’institution comme système
1.3. L’institution comme ensemble d’interactions
2. Références psychanalytiques
2.1. Psychanalyse et institution
2.2. Souffrance et psychopathologie
dans les institutions
1
I. LE PSYCHOLOGUE ET L’INSTITUTION
1. Positionnement du problème
Les psychologues cliniciens accordent une place plus ou
moins importante au « travail institutionnel » dans leur
pratique, lorsque celle-ci s’exerce dans des institutions
(thérapeutiques, éducatives, sociales), ce qui est le cas le
plus général. Pourtant, il n’est pas facile de définir ce que
l’on désigne par ce terme, car le « travail institutionnel »
peut adopter des formes assez variées.
Commençons par une citation, extraite d’un article de
René Clément :
« Le psychologue en institution va très souvent être
sollicité pour participer à des réunions dites de “synthèse”,
au cours desquelles il va être question de patients qu’il ne
connaît pas directement, ou avec lesquels il n’est pas
engagé dans des protocoles d’entretiens réguliers. Il va
pouvoir être là à l’écoute des demandes de l’usager, et en
favoriser un certain décryptage, au travers des énoncés
tenus à son propos par ceux qui s’en occupent. Il va aussi
et surtout pouvoir être là à l’écoute des divers intervenants
s’efforçant d’entendre ce qui se dit des désirs, craintes,
rejets, difficultés éprouvées, et de leur redonner sens en
référence au patient venu demander aide à l’institution. [...]
« C’est aussi cette position paradoxale de “Tiers inclus”
que va tenir le psychologue clinicien dans les rencontres
collectives soignants-soignés souvent organisées, parfois
sur un mode rituel, dans les services d’hospitalisation, ou
encore dans les hôpitaux de jour, les structures
intermédiaires, les appartements thérapeutiques, etc. Ne
participant pas directement aux activités, sauf exception
ayant un sens précis dans un contexte donné, le
psychologue va soutenir l’interpellation réciproque entre les
malades et les représentants de l’institution (médecins,
infirmiers, etc.) présents à cette rencontre. [...]
« Un des axes essentiels de la fonction de tiers inclus, et
peut-être même le pivot central de cette position, [...] est
constitué par tout le travail de réflexion avec les équipes et
l’institution sur les finalités et les missions de l’ensemble du
dispositif, et les moyens qu’il se donne pour y parvenir. On
retrouve là la notion initiale de “Référent d'une régulation
institutionnelle” évoquée par J. Barus-Michel. A cette
différence fondamentale près, qui lui confère son caractère
paradoxal et qu’il faut rappeler au risque d’insister, qui est
que le psychologue “tiers” est dans l’institution et non
dehors ! » - (R. Clément, 1990, p. 209-210)
Le propos cité fait évidemment référence à une pratique
psychologique hospitalière, mais il prétend s’appliquer plus
largement à toute pratique psychologique en institution. Il
illustre, en effet, un aspect de cette pratique, qui consiste
non à intervenir directement auprès des usagers, mais
auprès des professionnels qui s’en occupent dans
l’institution, et dont le psychologue lui-même fait partie
(« tiers inclus »).
- Document conçu et rédigé par : C. Bouchard, M.C. – mise à jour : avril 2001.
Le « travail institutionnel » du psychologue – texte : C. Bouchard / 1
On pourrait ici parler, au niveau du psychologue, d’une
fonction d’expert voire d’ingénieur - sauf qu’il ne s’agit pas
de donner un avis ponctuel sur l’usager en réponse à une
demande de l’équipe soignante (ou éducative), d’un
médecin, ou d’une instance de tutelle, mais de travailler plus
globalement et plus continûment avec et dans une équipe
pour favoriser et maintenir une réflexion ouverte sur
l’engagement de l’institution à l’endroit de l’usager.
Nous avons là, en somme, un type particulier
d’intervention, indirect, et dont le travail vise à situer (ou
resituer) l’usager dans le contexte institutionnel de sa prise
en charge. Le bénéfice pour l’usager en est indirect,
puisqu’il passe par une vigilance de l’institution à l’égard
d’elle-même, de sa propre implication, le psychologue étant
l’un des principaux instigateurs et garants de cette vigilance.
Dans son chapitre sur les fonctions « Psy », J.Y. Hayez
(1994-b) évoque un tel travail sous le nom de « participation
à la fonction critique ou de questionnement (de
l’institution) » : « (la fonction de questionnement) c’est celle
qui consiste à relancer les questions au sein de l’institution.
Questions à propos des finalités globales ; questions à
propos du projet éducatif concernant un enfant ; questions
sur les relations entre les personnes ; questions sur
la cohérence théorique ou méthodologique ; il existe
évidemment bien d’autres questions. » - (Renders, 1994,
p. 50-51).
Nous avons là une base intéressante pour définir le
« travail institutionnel » du psychologue, tout à fait en
accord avec le propos de R. Clément cité plus haut, mais
qu’il convient de développer encore davantage.
Auparavant, précisons la notion d’institution elle-même,
ce qu’elle recouvre et ce qu’elle implique.
Les milieux institutionnels
où exerce le psychologue
« De quels milieux institutionnels parlerons-nous ici ?
Vos établissements soignent ou offrent des lieux de vie
remplaçant les lieux de vie familiaux ou accueillent des
jeunes handicapés physiques ou mentaux atteints dans leur
narcissisme le plus profond, ou accueillent et aident à vivre
ou à revivre des déviants, des exclus de la société.
Vos lieux de vie sont en permanence confrontés à la
naissance, à la maladie, à la mort, à l’abandon, à la
souffrance, parfois physique, toujours psychique.
L’institution a pour mission de prendre le relais du travail
“d’humanisation” resté en panne dans l’univers familial. Elle
est le second grand dispositif de l’être humain, quand la
famille ou la société sont ou ont été défaillants.
Une institution, c’est ce qui permet de prendre appui
“sur l’Autre” suffisamment bienveillant pour relancer et
poursuivre le travail de “grandir” lorsqu’il s’agit de jeunes et
pour contenir assez d’angoisses et le morcellement afin de
permettre de repartir plus étayés, plus assurés vers la vie
en société lorsqu’il s’agit d’adultes en difficulté. » - (Caron,
1998, p. 15-16)
2. La notion d’institution
Il est courant de rattacher les métiers de la santé, de
l’éducation, du travail social - à des « institutions ».
On parle : d’institutions soignantes (ou thérapeutiques),
par exemple - ou bien encore : d’institutions scolaires,
d’institutions médico-éducatives. Mais on parle aussi, au
singulier : de l’institution judiciaire, ou de l’institution
Education Nationale.
Que signifie donc le terme « institution » dans cette
association somme toute peu évidente d’emblée, avec ceux
de soin, d’éducation, de médecine, etc. ? En quoi
l’institution concerne-t-elle les pratiques associées à ces
notions ?
On peut déjà remarquer que ce terme renvoie à
différents sens possibles, que nous aborderons depuis le
niveau de signification le plus large, le plus général, jusqu’à
des niveaux de signification plus restreints, plus spécifiques.
2.1. Les « institutions » sont l’émanation
d’un ordre institutionnel
2.1.1. Systèmes symboliques
Dans le sens le plus général, on appelle institution « ce
qui est établi par les hommes » (définition du Petit Robert),
par opposition à ce qui est établi par la « nature ».
« On dit qu’une chose est d’institution, pour dire qu’elle
est l’ouvrage des hommes et pour la distinguer de celles
que la nature a établies. » - (Condillac)
Dans cette phrase, l’institution (ou l’institutionnel)
renvoie très largement à tout ce qui fait oeuvre de culture
(par opposition à la nature), c’est-à-dire à ce qui nous fonde
comme être humain, comme être de culture.
Dès lors, on comprend pourquoi le concept d’institution
est l’un des plus communs aux divers champs des sciences
humaines et sociales : droit, sciences politiques, sociologie,
ethnologie, histoire, psychologie, psychana-lyse...
A partir de ce sens très large, peuvent se dégager des
significations déjà un peu plus sélectives :
 La philosophie classique interrogeait, à travers la
question des institutions, le problème des lois régissant une
cité ou un état, et de leur légitimité. Elle traitait ainsi des
aspects politiques et moraux de l’ordre institutionnel.
 L’anthropologue Cl. Lévi-Strauss (1950) a introduit le
terme de système symbolique pour désigner les différents
aspects des institutions humaines : « Toute culture peut être
considérée comme un ensemble de systèmes symboliques
au premier rang desquels se placent le langage, les règles
matrimoniales, les rapports économiques, l’art, la science, la
religion. ».
Et l’on pourrait ajouter à cette liste : le nom, l’héritage,
l’éducation, les rites mortuaires, la santé, la justice...
(N.B. : C’est à Lévi-Strauss que la psychanalyse
structuraliste de J. Lacan a repris le concept de symbolique,
pour désigner l’ordre qui nous transcende et qui nous fonde
en humanité : cf. le concept de « Nom-du-Père ».)
 Dans son travail sur l’institution, le sociologue René
Lourau propose la définition suivante :
« Le fait de fonder une famille, l’acte de mariage, ou
encore le fait de fonder une association, de lancer une
affaire, de créer une entreprise, un type d’enseignement, un
établissement de soins, ces phénomènes portent eux aussi
le nom d’institution. Autrefois, on parlait d’instituer les
enfants (au sens de les former) et d’instituer un peuple (au
sens de lui donner une constitution politique). » - (R.
Lourau, L’analyse institutionnelle, 1970, p. 9)
Deux remarques en complément à ces diverses
propositions :
Le « travail institutionnel » du psychologue – texte : C. Bouchard / 2
a) La dernière citation nous rappelle qu’étymologiquement le mot « institution » provient du verbe latin
stare, qui signifie : établir, faire tenir debout, faire tenir droit,
dresser - et par extension : éduquer, enseigner, former,
endoctriner.
b) Comme l’a souligné la sociologie de Durkheim, les
institutions se caractérisent par leur caractère contraignant,
lié à leur force et à leur autorité. Les institutions nous
préexistent et nous déterminent, comme elles nous
survivent aussi.
En ce sens, la contrainte inhérente à toute institution
constitue une violence, mais légitime et fondatrice, à
distinguer de la violence abusive, illégitime et destructrice.
Les institutions, toutefois, n’empêchent pas une
autonomie de ceux sur lesquels elles s’exercent :
« L’acteur individuel n’est [...] pas l’auteur des
contraintes auxquelles il est soumis ; et pourtant il peut être
dit autonome en ce sens qu’il a assimilé (intériorisé ou
introjecté) ces contraintes, où il a reconnu les conditions de
son épanouissement, et même, pour ainsi dire, de sa propre
expression. En d’autres termes, les contraintes ne sont
rendues efficaces que dans la mesure où elles ont été
intériorisées par un processus de socialisation. Et elles ne
peuvent l’être que si les activités qu’elles régissent
apparaissent compatibles avec les “besoins” fondamentaux
de la personnalité de l’acteur. » - (Bourricaud, 1995, p. 389)
Violence symbolique
Le mot violence est aujourd’hui souvent employé, à tort,
comme synonyme d’agression. Rappelons qu’une agression
est une attaque, verbale ou physique, active ou passive, et
qui peut porter sur des biens comme sur des personnes mais dans tous les cas, il s’agit d’une attaque ou d’une
atteinte. La violence consiste à obtenir l’accord de quelqu’un
contre sa volonté, en usant de la force, de la contrainte ou
de la ruse. L’idée directrice de la notion de violence est
donc celle d’une pression faite sur autrui et d’un forçage, qui
ne suppose par nécessairement une agression.
D’autre part, la sociologie de P. Bourdieu a introduit le
concept de violence symbolique pour désigner le fait que
toute société ou toute culture se donne à elle-même des
normes arbitraires, imposées à ses membres par le pouvoir
dominant. En ce sens, la violence symbolique est l’effet de
censure inhérent à tout acte d’imposition symbolique. Plus
largement, on pourrait dire que notre humanité, en tant
qu’être de culture, ne peut advenir que dans une violence
faite à notre nature : toute acculturation est une
interprétation de notre nature.
La notion de violence symbolique n’est pas à confondre
avec celle de violence institutionnelle, généralement
employée pour désigner des violences infligées à des
usagers, par des professionnels, dans le cadre d’actions de
soin ou d’éducation (par ex. : sévices sexuels sur enfants en
milieu scolaire, maltraitance physique de personnes âgées
en services spécialisés, usage de méthodes coercitives
dans des pratiques de soins... ) (Tomkiewicz, Vivet, 1991 ;
Lalanne, 1993). Il s’agit alors d’un exercice abusif du
pouvoir institutionnel (mission de soin ou d’éducation). Le
harcèlement sexuel au travail pourrait être considéré, de
même, comme une autre forme de violence institutionnelle
(abus du pouvoir hiérarchique).
Autrement dit, si nous trouvons dans les institutions les
fondements de notre humanité et si ces fondements nous
préexistent de façon contraignante, les institutions ne
peuvent cependant exister sans nous, ou du moins, sans
l’intégration par laquelle nous nous les approprions.
2.1.2. Violence symbolique
La notion de violence symbolique mérite ici quelques
développements.
 Norme et déviance
On pourrait dire qu’en définissant et en déterminant des
formes particulières de pratiques symboliques, toute culture,
toute société génère des normes, et que dans le même
temps elle pose la possibilité qu’il y ait déviance. Norme et
déviance sont, pour ainsi dire, consubstantielles.
On appellera « déviance » un comportement qui s’écarte
de la norme sociale admise.
Ou, autrement dit : il n’y a de déviance que relativement
à de la norme ; toute norme est créatrice de déviance.
Remarquons au passage que, si le mot « déviation » et
le verbe « dévier » sont déjà anciens en français dans le
sens de détourner d’une voie (en latin, via = voie), les mots
« déviant » et « déviance » sont beaucoup plus récents. (Le
dictionnaire Robert origine ces mots à... 1968 !)
Tout groupe social génère des normes (normativité)
et veille à transmettre et maintenir ces normes
(normalisation).
Cette production de normes participe de ce que nous
avons défini ci-dessus comme violence inhérente à toute
culture ou société (notion de violence symbolique, cf.
Bourdieu).
En résumé : La norme est d’abord contrainte, mais dans
le cadre plus large d’une contrainte d’acculturation, et plus
spécifiquement au titre de la définition d’un système de
valeurs et de représentations (voir ci-après point 2.2). En
tant que processus (normativité et normalisation), la norme
est donc universelle, puisque inhérente à notre être de
culture. Par contre, en tant que produit ou effet (« une »
norme donnée ou « une » normalité donnée), la norme est
relative : elle dépend du contexte culturel, sociétal ou
groupal, qui l’exprime et la promeut.
 Contrôle social
Toute société crée donc des normes et requiert un
consensus minimal à leur propos. Cependant, il existe
toujours une tolérance aux écarts par rapport à ces normes,
dans une marge dont les degrés et les formes peuvent être
variés.
C’est dans cette limite de tolérance, et à plus forte raison
lorsque ces limites sont franchies, que toute société veille à
maîtriser la déviance, ressentie comme différence menaçant
l’établissement social. En ce sens, toute société exerce un
contrôle social.
Sans entrer dans des développements qui relèvent
plutôt du domaine de la sociologie, on peut dire que le
contrôle social de la déviance renvoie à la notion de
pouvoir : « En fait, contrôler une différence constitue un acte
de pouvoir. Le contrôle social de la déviance est lié à la
structuration du pouvoir dans une société ; il est lui-même
un acte du pouvoir dans sa fonction de conservation d’une
structure sociale donnée. » (Faugeron & coll., cité in :
Revault d’Allonnes, 1981).
Le « travail institutionnel » du psychologue – texte : C. Bouchard / 3
Remarquons toutefois que le contrôle social ne s’exerce
pas toujours de façon répressive. Il peut adopter d’autres
voies et moyens, comme par exemple l’éducation, la
prévention, ou l’aménagement de temps et/ou d’espaces de
tolérance aux déviances (ex. : les carnavals et les « fêtes
des fous » dans les sociétés traditionnelles, ou aujourd’hui
l’ouverture de cafés où la consommation de certains
stupéfiants est autorisée).
D’autre part, les sociologues ont montré que la déviance
n’a pas uniquement une fonction négative dans une société
ou un groupe donné. Elle peut aussi contribuer, par les
effets de contraste et de différence qu’elle détermine, à
assurer l’identité de la société ou du groupe en question.
Ainsi, par les réactions sociales qu’elle suscite, la déviance
a aussi une fonction positive de cohésion sociale.
 Marginalité et transgression
Si nous tentons à présent de préciser davantage ce que
nous entendons par « déviance », nous pouvons distinguer
deux grandes formes de déviances :
- la première porte sur des normes de vie ou de statut
(condition), et consiste en une non-conformité à ces
normes ;
- la seconde concerne plutôt des normes de régulation
sociale (codes), et consiste en un manquement à ces
normes.
Dans le premier cas, nous parlerons de marginalité (ou
anormalité) ; dans le second, de transgression. (Voir tableau
ci-après).
CLASSIFICATION DES FORMES DE DÉVIANCES
DÉVIANCES
Ecarts par rapport aux normes sociales
Marginalité
Transgression
Non-conformité à des normes
Manquement à des normes
de vie ou de statut
de régulation du lien social
normes de santé
MALADIE - HANDICAP
code pénal
INFRACTION
normes d’emploi
CHÔMAGE
normes de métier
SANS QUALIFICATION
règlement
INDISCIPLINE
ou DÉSOBÉISSANCE
normes
PAUVRETÉ
us - usages
INCIVILITÉ
socio-économiques
normes d’habitat
SANS-ABRI - SDF
coutumes (origine)
IRRESPECT
normes de scolarité
ÉCHEC SCOLAIRE
normes de filiation
PUPILLE (Sans famille)
2.1.3. Une hypothèse socio-politique
sur l’émergence des pratiques psychologiques
Dans une définition quelque peu humaniste et très large,
Lagache déclarait en 1956 que les « métiers
psychologiques » (i.e. les professions de la santé, de
l’éducation et du travail social, parmi lesquelles celle de
psychologue) pouvaient se reconnaître en commun de
traiter du « fait humain ». De façon plus précise et plus
réaliste, on pourrait dire aujourd’hui que le « fait humain »
en question n’est pas universel ; il dépend, en fait, de
raisons institutionnelles : les « métiers psychologiques »
trouvent avant tout leur définition dans les problèmes qu’ils
ont à traiter, en tant qu’ils participent d’institutions
(thérapeutiques, éducatives, d’action sociale) au titre
desquelles ils agissent et qui les fondent en légitimité.
Dans le même ordre d’idée, qu’en est-il du psychologue ? Quels sont les types de problèmes qui lui sont
soumis ou qu’il est amené à anticiper ? - A répondre à cette
question, il apparaît que le psychologue et le discours
« psy » en général se trouvent singulièrement exposés.
« Pas plus qu’en ce qui concerne le corpus théorique de
la discipline, ce n’est en fonction d’une unité d’objet ou de
méthode que l’on peut aujourd’hui définir ce qu’est “le”
travail du psychologue ; mais plutôt par le type de questions
qui lui sont adressées, quel que soit son lieu d’exercice :
que faire avec l’échec scolaire, la délinquance, l’absentéisme, le rejet de la famille, la violence ? Comment penser
leurs formes actuelles ? Et, surtout, comment y remédier ?
Au milieu du XXe siècle, ce sont l’école, la famille,
l’organisation du travail, l’appareil judiciaire, le tissu social
comme on dit, qui “travaillent”, et sont soumis à des
contradictions que la psychologie est “spontanément”
appelée à penser et à résoudre, puisque c’est sur ce terrain
qu’elle s’est constituée. Corrélativement elle va concourir à
naturaliser les idéaux historiques qui assuraient
antérieurement la cohésion et le fonctionnement de ces
institutions. La transmission des savoirs, des traditions de
vie, des idéaux religieux ou progressistes, laissent place
aux thèmes évolutionnistes de la nécessaire “adaptation”
des structures sociales et des comportements individuels à
une réalité changeante qu’ils doivent assimiler.
« On peut donc apprécier la diffusion actuelle de la
psychologie comme le résultat d’une défaillance des
institutions. Ou, dans un sens politiquement opposé, comme
une parade aux ferments révolutionnaires qui résulteraient
sui generis d’une telle défaillance. Incontestablement, un
réel historique est là à l’oeuvre, dont les contingences
nourrissent la psychologie et multiplient ses occurrences. » (F. Dachet, Le métier de psychologue, 1986, p. 375)
La situation du psychologue se caractérise donc d’abord
par une ambiguïté socio-historique, puisqu’il apparaît à la
fois comme un « symptôme » des institutions et comme une
forme de réponse aux limites de celles-ci. D’où le procès de
duplicité idéologique qu’on a pu lui intenter à plusieurs
reprises, et qu’il connaîtra encore (Canguilhem, 1956).
Tel est bien en effet le risque avec lequel travaille
constamment le psychologue, de n’être que le reflet d’une
demande toujours ambiguë à son égard. S’il n’y prend pas
garde, le psychologue peut très facilement devenir le
Le « travail institutionnel » du psychologue – texte : C. Bouchard / 4
« palliatif » des manques institutionnels, et donc le meilleur
« agent de conservation » des dispositifs et des politiques
qui le sollicitent, au lieu d’en être l’occasion de
dépassement et de renouvellement.
Dans le champ des institutions qui le sollicitent
ordinairement et où il exerce, le psychologue tient une place
particulière, puisqu’il apparaît comme le signe d’une crise
ou d’un échec mais généralement dans l’attente d’une
solution qui permette aux institutions de se maintenir
néanmoins comme telles. D’où le fait que l’action du
psychologue s’inscrive toujours et nécessairement dans un
écart entre ce qui lui est demandé et ce qu’il fait apparaître
comme problème à l’issue d’une analyse de situations.
Mais c’est peut-être là aussi sa chance, c’est-à-dire
l’opportunité d’un rôle spécifique d’analyseur et de
questionnement, comme nous le montrerons plus loin.

En résumé : Dans son acception la plus large, le mot
« institution » désigne la capacité spécifiquement humaine
de créer un ordre culturel. Celui-ci s’organise en systèmes
d’échanges régissant les rapports humains. Ces systèmes
se maintiennent par un contrôle social des déviances qu’ils
créent de par les normes qu’ils instaurent et par lesquels ils
se diversifient. Nous entrevoyons que les pratiques dites
« institutionnelles » (de santé, d’éducation, de justice, d’aide
sociale... ) qui caractérisent les sociétés occiden-tales
modernes participent de tels dispositifs de contrôle social.
2.2. Les « institutions » sont des organisations
2.2.1. Institution, organisation, groupe
En fait, les institutions (au sens de systèmes
symboliques) se repèrent concrètement par leurs oeuvres
(ou manifestations), sous la forme d’organisations et de
groupes.
Toute organisation comprend des groupes (bureaux,
ateliers, services, équipes, classes... ), eux-mêmes
composés d’individus. Cependant, une organisation n’est
pas réductible à une somme d’individus ou de groupes.
L’organisation est ce qui détermine l’interaction nécessaire
entre ces éléments, c’est-à-dire leur interdépendance, en
vue de la réalisation d’un objectif officiellement commun :
produire un bien ou un service. L’interdépendance fonde
l’unité de l’organisation ; il en résulte que toute modification
d’un élément entraîne la modification de tous les autres, et
donc du tout - (Petit, 1979, p. 17-18).
Nous avons vu précédemment, avec le concept de
mandat (voir Première Partie, chap. II.1), que l’objectif
directeur de l’organisation est le fait d’une autorisation et
d’une délégation, en fonction d’une organisation plus
globale, émanant des Pouvoirs publics.
Dans les faits, on constate souvent un glissement de
sens entre les mots « institution » et « organisation », d’une
part ; entre « organisation » et « groupe », d’autre part.
Dans la suite de notre propos, nous envisagerons le plus
souvent le terme d’institution dans le sens d’organisation ;
mais parfois aussi dans le sens de système social, puisque
c’est à ce niveau que les organisations trouvent leur source
et leur légitimité.
Exemple : On peut dire « institution de soin » ou
« institution thérapeutique » pour désigner un établissement (donc une organisation) de santé : hôpital, clinique,
dispensaire, institut médico-éducatif ou médico-social...
Mais si l’on parle de « l’institution hospitalière » ou de
« l’institution médicale », il est évident que l’on désigne alors
quelque chose de plus général et de plus abstrait ; on parle
en effet d’un système plus large, fait de normes et de lois, et
qui détermine le fait qu’il existe des établissements et des
services de soin.
Autre exemple :
« L’éducation est, par excellence, une institution, c’est-àdire un ensemble d’idées, de croyances et de normes de
comportement proposées et souvent imposées aux
individus dans une société donnée. Mais, un groupe
scolaire primaire, un C.E.S., un lycée, une université, un
ministère de l’Education ou un rectorat sont des
organisations qui se nourrissent de l’institution éducative
tout en donnant à celle-ci une assise concrète d’existence.
Donc, d’un point de vue méthodologique, il apparaît
impossible d’appréhender directement l’institution qui meut
un système social. Pour reprendre notre exemple,
l’institution éducation ne peut être cernée qu’à travers la
description et l’analyse de phénomènes qui concernent
l’enfant en tant qu’ individu, dans ses relations interpersonnelles duelles avec des adultes ou des pairs, qui se
rapportent aussi à la famille en tant que groupe, à l’école
primaire en tant qu’organisation, aux associations de loisirs,
etc. » - (Petit, 1979, p. 29-30)
En résumé : Dans la suite de notre propos, il sera
essentiellement
question
d’institutions
de
santé,
d’éducation, de justice et d’aide sociale. Nous entendrons
par là les organisations visant à agir en fonction de tels
objectifs, en écartant de notre propos l’étude des
phénomènes de groupes ou de relations interindividuelles
qui peuvent y être observés. En revanche, nous intégrerons
à notre étude des institutions concernées, la question de
leurs liens avec ce qui les définit dans le cadre social et
politique de systèmes de santé, d’éducation, et d’aide
sociale.
2.2.2. Caractérisation générale
Lorsque nous considérons comment « fonctionnent » les
institutions, on s’aperçoit qu’elles ont en commun diverses
caractéristiques remarquables :
 Référenciation : culture institutionnelle
En tant qu’organisation, toute institution « organise »,
c’est-à-dire définit, articule et oriente des rapports entre les
éléments qui la composent. Chaque institution se présente
ainsi comme un ensemble de rôles et de fonctions, dont
l’interdépendance est organisée en hiérarchies, codes,
rituels.
L’institution constitue ainsi, pour ses membres, des
repères organisateurs de relations sociales spécifiques,
composant une sorte de « micro-culture » qui lui est propre.
Exemple : L’institution scolaire publique, en France, se
caractérise par une organisation, à la fois administrative et
pédagogique, qui définit un certain nombre d’établissements et de services, et les qualités, places et rôles de ses
divers agents. Mais on peut aussi identifier cette institution
par des usages particuliers. Par exemple : la pratique de la
notation et des examens à la fois pour contrôler les agents
(les professionnels de l’Education nationale) et pour évaluer
les « usagers » (les élèves) ; le rôle traditionnel (mais
encore souvent actuel) de « l’instituteur », de membre actif
de la municipalité ou du quartier ; la dépendance étroite et
extrêmement formaliste du personnel pédagogique et
administratif au corps des inspecteurs ; le principe de laïcité
et ses conséquences dans les pratiques ; etc.
Le « travail institutionnel » du psychologue – texte : C. Bouchard / 5
 Appropriation : espace institutionnel
Tout système institutionnel tend à (se) donner
de la cohérence historique et topologique, et donc à
(s’) approprier du temps et de l’espace.
Toute institution se dote (sur le mode romanesque ou
sur le mode mythique) : d’ancêtres fondateurs, de héros,
d’événements marquants... Mais, de même et également :
de territoires, de « géographies » internes, de circuits, de
zones de passage, de terrains « neutres »... tout aussi
emblématiques.
« Une institution ne peut vivre sans sécréter un ou des
mythes unificateurs, sans instituer des rites d’initiation, de
passage et d’accomplissement, sans se donner des héros
tutélaires (pris souvent parmi les fondateurs réels ou les
fondateurs imaginaires de l’institution), sans raconter et/ou
inventer une histoire qui tiendra lieu de mémoire collective ;
mythes, rites, héros, sagas, ayant pour fonction de
sédimenter l’action des membres de l’institution, de leur
servir de système de légitimation et de donner ainsi sens à
leurs pratiques et à leurs vies. » - (E. Enriquez, 1988, p. 67 c'est l’auteur qui souligne)
Exemples :
a) Dans les services hospitaliers, il n’est pas rare que
certains espaces soient strictement réservés au personnel
pour les « pauses-café ». Ces lieux-sas constituent de
véritables espaces (et temps) « privés », en marge des lieux
d’accueil ou de soins. Les professionnels s’y retrouvent
entre eux (parfois selon un découpage en corps
professionnels distincts), dans des relations moins formelles
que durant les actes de soin, même si en général les rôles,
places et spécificités de chacun n’y sont pas complètement
oubliés. Ces lieux ne sont pas accessibles à tous ni dans
n’importe quelles conditions : leur accès est « codé » et
suppose de respecter certaines règles ; il peut même
correspondre à de véritables rites (y être admis peut être
une forme de reconnaissance par les professionnels en
question ; ou bien : pour y être admis, il faudra s’acquitter
de certaines obligations).
b) La topographie d’un établissement ou d’un service
n’est généralement pas aléatoire et, de toute façon, n’est
jamais sans influer sur les relations entre ses membres
(l’espace structure les relations). L’accessibilité ou non des
services de direction, par exemple, leur localisation centrale
ou périphérique, assimilée ou isolée... en disent au moins
autant sinon plus qu’un organigramme sur la fonction
directoriale dans l’établissement. La distribution des
bureaux et des locaux de travail désigne, de façon implicite
et explicite, la place accordée à chaque corps professionnel
et aux individus ou aux groupes qui les composent, et le
rapport entre individus (ou groupes) et fonctions ou entre
individus (ou groupes) et professions.
 Valorisation : imaginaire institutionnel, idéologie
Les institutions véhiculent un ensemble de représentations, conscientes et inconscientes, qui traduisent des
valeurs et des idéalités liées aux contextes socioculturels
qui les déterminent et à leurs transformations.
« Si l’institution est de l’ordre du symbolique, elle
n’apparaît que dans des expressions qui, elles, relèvent
de l’imaginaire, c’est-à-dire de représentations, d’options
qu’élisent à un moment donné les acteurs sociaux pour
appréhender les réalités auxquelles ils achoppent.
L’institution code, mais son intitulé est déjà un choix, une
version imaginaire du réel, une identification postulée.
Quand on dit “l’Institution hospitalière”, on prétend, on
suppose qu’il y a des gens à hospitaliser, à abriter et dont
cette caractéristique prévaut sur toute autre. C’est un point
de vue, une représentation qui n’a pas effleuré toutes les
sociétés. L’institution est loi, mais si cette loi est, par
exemple, d’avoir à sauver la vie humaine, nous sommes
déjà devant une formulation qui relève de l’imaginaire, d’une
représentation idéologique et historique de la vie. Les
organisations des pratiques sont les mises en acte, au
niveau de la réalité, d’une construction imaginaire, d’une
représentation de ce qui est propre à l’atteindre et de cette
réalité elle-même. » - (J. Barus-Michel, 1987, p. 48-49)
Déontologie et éthique
Mandat et fonction, et l’articulation de l’un à l’autre,
définissent les deux butées fondamentales (légale et
morale) permettant à la fois de déterminer (dé-terminer) et
de contrôler la relation de pouvoir par laquelle s’exercent les
« métiers de la relation » (voir Première Partie, chap. II.3). Il
ne suffit cependant pas, pour assurer une bonne régulation
de son exercice par le professionnel, qu’existe la double
référence du mandat et de la fonction. Encore faut-il qu’il
investisse moralement ces deux butées, c’est-à-dire qu’il
leur accorde une valeur de délimitation et de régulation de
son pouvoir. C’est cet investissement moral qui fondera la
raison déontologique et éthique de son exercice.
Nous parlerons plus spécialement de déontologie, lorsque
le professionnel aura à s’interroger sur la pertinence et
l’adéquation des moyens fonctionnels et stratégiques qu’il
est amené à mettre en oeuvre, avec les missions qui lui
sont imparties et donc avec sa légitimité légale.
Exemples de conflit déontologique :
- Peut-on accepter des tâches médicales lorsqu'on est
psychologue en hôpital ?
- Un enseignant spécialisé de R.A.S.E.D. doit-il accepter de
remplacer un instituteur dans sa classe ?
Nous réservons le terme d’éthique lorsqu’il s’agira pour le
professionnel d’apprécier la compatibilité de son mandat et
de la fonction qu’il a pu se négocier (et selon tous les enjeux
« politiques » et idéologiques ambiants que cela suppose
aussi), - avec ses propres valeurs et convictions
personnelles.
Exemples de conflit éthique :
- Un médecin doit prescrire un avortement thérapeutique,
alors que ses convictions religieuses l’opposent à cette
pratique.
- Un éducateur spécialisé doit sanctionner un acte commis
par un jeune à l’encontre du règlement intérieur du foyer où
celui-ci est pris en charge, alors qu’il n’est pas d’accord
avec ce règlement.
Remarquons toutefois que les critères déontologiques et
éthiques peuvent aussi bien concerner un positionnement
individuel qu’un positionnement collectif, et signer alors une
idéalité professionnelle pouvant faire référence d’appartenance pour tout un corps professionnel particulier.
Exemple : La profession médicale se re-connaît non
seulement dans un code de déontologie (lui-même garanti
par un Ordre des Médecins), mais aussi par le serment
d’Hippocrate prononcé par le médecin au moment de son
doctorat (référence éthique du corps médical occidental).
La référence aux deux butées (légale et morale) que
constituent mandat et fonction, et la valeur que chacun y
accordera déontologiquement et éthiquement définissent,
des « métiers de la relation », la professionnalité - c’est-àdire ce qui permet de relativiser le pouvoir tutélaire du
professionnel, d’en modérer les risques d’assujettissement
abusif, et d’en réguler les bénéfices tirés.
Le « travail institutionnel » du psychologue – texte : C. Bouchard / 6
Le contre-exemple de la professionnalité peut se trouver
dans les diverses situations de « bavures » professionnelles et de violences institutionnelles que dénoncent
parfois les médias.
transfert ») à l’égard du patient : une telle vigilance nous
permet à la fois de réguler notre action, et de nous laisser
in-former, en quelque sorte « par résonance », par l’usager
sur sa situation et sur la façon dont il la perçoit.
1.2. Conditions de mise en œuvre
Autre exemple : cf. la citation articulant l’institution
« éducation » et les institutions qui s’en réclament (voir plus
haut, point 2.2.1).
Soulignons l’effet de réalité que promeut toute institution
(« une version imaginaire du réel », c’est-à-dire une
représentation du réel), et qu’illustre bien l’exemple de
l’institution hospitalière cité par J. Barus-Michel. Par la
même occasion, nous saisissons aussi le risque encouru
que la construction de réalité (sociale) que permet l’ordre
institutionnel ne devienne illusion d’évidence, indiscutable,
inamovible, apparemment « naturelle ». Toute institution, à
ce titre, est susceptible de se donner pour réalité absolue,
pour vérité, et de se faire alors totalitaire.
II. LE « TRAVAIL INSTITUTIONNEL »
DU PSYCHOLOGUE
Nous tenterons à présent de définir plus systématiquement le « travail institutionnel » du psychologue
clinicien, d’abord de façon positive, puis comparativement,
afin de le différencier d’autres formes d’interventions qui lui
sont proches.
1. Essai de définition
Plutôt qu’en inventorier les diverses formes possibles,
nous définirons le « travail institutionnel » en fonction de :
- deux principes (ou postulats)
- deux conditions de mise en oeuvre
- trois modalités principales d’action.
1.1. Principes
Il n’est pas de travail institutionnel possible si le
psychologue n’admet pas au moins les deux postulats
suivants :
a) que l’institution est le cadre qui définit et légitime
notre action professionnelle, et qui en permet l’opérationnalisation.
Nous ne travaillons pas seuls, ni isolés d’un contexte
institutionnel. Par cadre, nous entendons non seulement les
conditions matérielles de notre exercice et les moyens dont
nous disposons (savoirs, techniques, outils), mais aussi
notre mandat et notre fonction. C’est notre cadre qui crée
notre exercice ; modifier notre exercice passe par la
modification du cadre qui permet celui-ci.
b) que l’usager se trouvera d’autant mieux « aidé »
(soigné, éduqué, formé, réinséré...) que l’institution sera
« au clair » sur ce qu’elle est, ce qu’elle veut, ce qu’elle
peut, et ce qu’elle fait - et donc sur ce qu’elle « produit » et
comment elle le produit.
L’idée est analogue à celle qui conduit le psychothérapeute en cure individuelle à « travailler » ses propres
attitudes (contre-attitudes, ou en psychanalyse : « contre-
Les deux principes ci-dessus guident l’action du
psychologue lorsqu’il propose et conduit une action dite
« travail institutionnel » auprès de (et avec) ses collègues et
partenaires. Toutefois, pour pouvoir réaliser concrètement
une telle action, il lui faut s’assurer de deux conditions
nécessaires et indispensables :
a) connaître et comprendre le dispositif institutionnel en
question : missions (mandat), agrément, financement,
organisation, partenariat - mais aussi son histoire et sa
place parmi les autres institutions locales ;
b) être disponible aux personnes et aux événements de
l’institution - moyennant la part à faire entre plainte et
demande (toute plainte n’est pas demande, et une demande
n’adopte pas forcément la forme d’une plainte), et surtout
leur teneur.
Ces deux dispositions de base (connaissance de- et
disponibilité à l’institution) constituent l’assise sans laquelle
ne peut se faire un travail institutionnel avisé et concret.
La fonction critique ou de questionnement
« ... en deçà (des) moments d’impasse majeure, les agents
psy pourraient se sentir responsables d’un retour permanent
et bienveillant de l’institution sur soi. Renders parle ici de
l’exercice d’une fonction “de questionnement” qui s’exerce à
partir de bien des rôles possibles :
 Etre vigilant ; avoir les yeux ouverts sur les petits et
grands événements institutionnels autour de soi... et donc
circuler, ne pas être un psychologue de bureau.
 Savoir prendre l’initiative de parler ; faire remarquer ce qui
va bien - c’est une excellente habitude de le relever ! - et
aussi ce qui dysfonctionne ; insister pour qu’un problème
actuel soit débattu, ne pas se laisser freiner par les
pressions et autres mécanismes de maintien de
l’homéostasie ; aider à aller plus loin que les méchants et
stériles “bruits de couloir”.
 Parler de soi, de ce que l’on ressent, des idées que l’on a,
en réunion ou informellement : cet engagement en premier
lieu d’une parole personnelle peut donner envie aux autres
d’en faire autant.
 Aider les autres à organiser l’observation et l’évaluation de
ce qui se passe ; cependant, les rythmes d’une institution
sont plus lents que ceux d’un individu et il ne s’agit pas de
confondre le droit à la créativité avec cette sorte de fuite en
avant, où l’on change perpétuellement ce que l’on vient de
convenir.
 Prendre l’initiative, à l’occasion, de parler avec l’un ou
l’autre... pour préparer une réunion.
« [...] Résumons-nous : la bienveillance basale du psy à
l’égard de ce qui se passe dans l’institution devrait s’exercer
sans naïveté (rien ne saurait être parfait), ni compromission
(certaines failles peuvent et doivent être dépassées !), ni
passivité (à lui de prendre des initiatives et de donner le
meilleur de lui-même). » - (Hayez, 1994-b, p. 138-139)
Le « travail institutionnel » du psychologue – texte : C. Bouchard / 7
1.3. Modalités d’action
Dans la pratique, le « travail institutionnel » peut
correspondre à trois formes principales d’actions, qui
peuvent se combiner entre elles :
a) favoriser et éventuellement conduire la réflexion sur
les pratiques actuelles de l’institution, y compris sous la
forme d’une sensibilisation (ou d’un perfectionnement) à
l’observation et à l’évaluation des situations professionnelles quotidiennes par les intervenants eux-mêmes ;
b) favoriser, au niveau de l’équipe, l’expression d’idées
et d’initiatives sur la pratique institutionnelle, sur le projet de
service, ou sur un projet particularisé à une situation
spécifique - sans que le psychologue lui-même s’empêche
de participer lui aussi à ce travail créatif par ses propres
suggestions ;
c) participer à certains niveaux ou moments
organisationnels internes à l’institution, à condition que les
tâches et rôles que cela implique n’entrent pas en
incompatibilité et en conflit avec les fonctions « Psy »
recherchées. Il peut être intéressant que le psychologue
occupe une position d’avis consultatif (et non décisionnel)
auprès de la direction de l’établissement, par exemple sur
des questions de politique de formation des personnels, ou
sur des questions d’achat de matériel (dans la mesure où
un équipement nouveau n’est pas sans effet sur la vie et sur
les pratiques de l’institution).
2. Différenciation
Quelques frontières sont à établir entre ce que l’on peut
appeler le « travail institutionnel » du psychologue clinicien,
et d’autres types d’actions, apparemment semblables ou
proches. Il existe, en effet, des actions psychologiques qui
pourraient être facilement - mais abusivement - assimilées
au « travail institutionnel ».
2.1. L’audit est une pratique issue du monde de
l’entreprise, et qui s’est étendue aux établissements
médico-sociaux, et parfois même aux établissements
scolaires, depuis le début des années 80. Dans le domaine,
on parlera plus précisément d’ « audit social ».
On peut définir l’audit comme « un ensemble d’outils et
de méthodes qui permettent de mesurer la conformité,
l’effectivité, l’efficacité, l’efficience des pratiques sociales et
la cohérence de ces pratiques avec les autres stratégies de
l’entreprise. » (Joing, 1993, p. 30). Il s’agit d’un examen
systématique, à partir d’un référentiel de critères explicites,
d’un dispositif institutionnel, de ses résultats, de ses effets,
afin d’identifier les problèmes rencontrés, et de prendre les
décisions appropriées pour leur réduction (Vander Borght,
1994, p. 148).
L’audit relève donc d’une pratique d’évaluation, et
éventuellement de restructuration. C’est une action limitée
dans le temps, effectuée par un (ou des) intervenant(s)
extérieur(s) à l’institution, et qui envisage celle-ci sous un
angle uniquement organisationnel et gestionnaire.
2.2. On peut se demander, d’autre part, si le « travail
institutionnel » du psychologue inclut la régulation des
conflits internes à l’institution où il exerce.
Le psychologue dans l’institution
« Le psychologue promène sa clinique dans les lieux des
pratiques qui sont essentiellement les lieux des pratiques
des autres (infirmiers, éducateurs, médecins, assistants
sociaux...). Il est vrai que bien souvent, au lieu de rester
l’arpenteur, une sorte de monsieur Hulot des Sciences
Humaines, il s’arrête et prend un siège, sort le dossier, la
pâte à modeler, le magnétophone (ou s’en passe) et
s’enferme avec le client, il est devenu thérapeute, il a son
box à côté des autres, comme les autres - n’en parlons plus.
Le psychologue qui accepte son destin de marginal hante
les institutions ; le poste de psychologue “est prévu”, il
profite de l’imprécision du rôle et de la tâche pour être
témoin, un témoin traversé et traversant ; il promène sa
clinique dans des lieux de pratique : il est inclus et exclu
dans les entrelacs institutionnels qui tissent cette pratique,
qui deviennent sinon son objet du moins son champ. [...]
« Le psychologue dans l’organisation se meut au milieu des
groupes, les approche ou les traverse ; s’il n’investit pas son
statut ou un rôle et ne s’immobilise pas, il permettra un
maintien en éveil de ces groupes (comme la petite boule
que l’on met dans certains flacons de vernis pour maintenir
par son agitation l’homogénéité et la suspension de ce qui
sans elle se figerait) ; le psychologue sera analyseur* [...].
Passant d’un rôle à l’autre, d’un groupe à l’autre, d’une
perspective à l’autre sans prendre de place réservée, il
questionne la pratique institutionnelle, provoque les groupes
institutionnels. Il ne lui est pas possible de “faire l’analyse” ni
de prendre justement la place réservée d’analyste, mais sa
fonction d’analyseur met en alerte les groupes. Il est celui
qui demande à connaître, on pourrait dire encore un
observateur participant, tantôt il concourt, tantôt il collabore,
tantôt il anime, tantôt il effectue, tantôt il écoute ; ce faisant il
lie les pratiques, il fait circuler sinon une parole au moins un
vécu, il incite des perceptions, des comparaisons, quelques
choses s’échangent (et changent). En soutenant sa
différence, il permet quelque part au prix de son inconfort, la
tolérance et la résurgence des différences, l’accommodation
de quelques aversions. Il provoque une accession des
groupes à eux-mêmes et l’avènement d’une demande. Ceci
ne peut passer, étant donné l’inconfort de la fonction
d’analyseur, que par une analyse constante du contretransfert institutionnel, c’est-à-dire de sa propre demande à
l’institution, de son implication dans tous les éléments
institutionnels, les investissements des signifiants à portée
de fantasme dans le champ institutionnel.
« Inutile de dire que si cette fonction d’analyseur vaut d’être
assumée, c’est que l’institution, celle-même qui fonde la
pratique comme celle qui naît de cette pratique, tend
comme l’a dit J. Oury vers la nécropole : les institutions se
crispent, se dessèchent, figent leur emprise, se transmuent
en décors vides ou pouvoirs massifs où la pratique reste
prise. » - (J. Barus-Michel, 1979, p. 207-209)
*- Concept proposé par Lourau et Lapassade, par emprunt aux
sciences physiques. En sciences physiques, l’analyseur n’a pas
pour fonction « d’interpréter mais seulement, à ce premier niveau,
de décomposer un corps. Il ne s’agit pas de construire un discours
explicatif, mais seulement de mettre à jour les éléments qui
composent l’ensemble » (Lapassade).
En fait, s’il est nécessaire pour son travail que le
psychologue se fasse vigilant aux événements institutionnels (grands ou petits), il n’est pas dans sa fonction d’y
Le « travail institutionnel » du psychologue – texte : C. Bouchard / 8
régler les différends personnels ou corporatistes éventuels.
Cette tâche revient aux professionnels chargés d’organiser
et de garantir le fonctionnement optimal de l’institution,
jusque dans ses aspects groupaux et individuels, c’est-àdire les directeurs et les chefs de service (médecin-chef,
surveillant-chef, responsable de service socio-éducatif...).
Au pire, il peut s’agir d’un cas de médiation.
Il serait d’ailleurs bien difficile, pour le psychologue, de
prendre une position suffisamment extérieure pour un tel
arbitrage ; et surtout, de ne pas y perdre la spécificité de
son approche de l’institution. Le psychologue clinicien, en
effet, ne s’intéresse pas à « l’institutionnel » d’un point de
vue organisationnel, mais du point de vue du service rendu
à l’usager, dans le respect d’un mandat, et des enjeux
institutionnels à l’endroit de l’usager.
2.3. Supervision - formation
Autre aspect encore, facile à confondre avec le « travail
institutionnel » : la supervision.
On sait que ce terme et le type de pratique qu’il désigne
ont surtout été développés par la psychanalyse, qui en a fait
le point fort de sa didactique. Les pratiques de supervision
se sont aujourd’hui étendues au-delà du strict champ
analytique, et peuvent concerner d’autres pratiques
psychothérapeutiques, ainsi que des pratiques éducatives,
rééducatives, voire même pédagogiques.
La supervision est une forme d’apprentissage (ou de
perfectionnement) technique, utilisée dans le champ des
pratiques thérapeutiques et éducatives. La supervision peut
être individuelle ou se pratiquer « en » groupe ; parfois il
peut s’agir d’un travail « de » groupe. Dans le cas d’une
supervision d’équipe (supervision « de » groupe), on parle
2
parfois d’intervention institutionnelle , bien que cette notion
puisse aussi inclure un travail d’aide à l’élaboration d’un
projet (thérapeutique ou éducatif).
Concrètement, il s’agit d’un travail de réflexion et
d’approfondissement, théorique et technique, à partir du
récit d’une situation professionnelle vécue, fait par le
« supervisé » à un « superviseur » ; celui-ci renvoie des
questions et des remarques, l’objectif étant que le
professionnel supervisé puisse mieux comprendre, aprèscoup, la situation en question et le rôle qu’il y a joué, afin
qu’il puisse en tirer enseignement pour la suite de sa
pratique.
Il y a donc plusieurs différences entre supervision et
travail institutionnel, la première étant que la supervision est
une action de formation, ce qui n’est pas le cas du travail
institutionnel.
Il s’agit, d’autre part, d’un type de formation qui interroge
de façon assez précise l’implication personnelle du
« supervisé » dans son travail thérapeutique ou éducatif - ce
qui n’est sans doute pas souhaitable dans le cas d’un
2
- « L’intervention institutionnelle est une forme d’accompagnement, de soutien, de renforcement et d’analyse d’une
démarche en cours, à laquelle un intervenant “extérieur” à la
structure institutionnelle va accepter de s’associer pour un
temps. Selon la taille de l’institution, les modalités de cette
intervention seront fort variées : une seule équipe d’une
institution peut demander la contractualisation d’une
supervision d’équipe ; une intervention peut concerner
l’ensemble d’un groupe institutionnel dans un premier
temps, et s’en différencier et se spécifier par la suite. Ou
inversement : la demande de supervision peut être testée
avec une équipe et proposée à d’auters équipes ensuite. » (Vander Borght, 1994, p. 148).
« travail institutionnel » qui, sans négliger cette dimension
implicative, est moins centré sur des personnes que sur des
fonctions et sur leur exercice. (En règle générale, il est
préférable que le superviseur soit un intervenant extérieur à
l’institution où travaille le supervisé.)
Enfin, la supervision inclut (bien que modérément) un
aspect d’information et de conseil techniques, qu’il serait
d’autant plus mal venu de proposer de la part d’un
psychologue aux personnels soignants ou éducatifs de son
institution d’appartenance, que ce rôle relève des fonctions
des chefs d’équipe et de service - (sauf, bien entendu, dans
le cas d’une situation de stage de psychologue dont le
praticien serait le référent dans l’institution, ou celui d’une
demande de conseil de la part d’un collègue psychologue).
Il n’est pas exclu qu’un psychologue contribue à la
formation des autres membres de l’institution (cela lui est
d’ailleurs parfois prescrit par ses missions). Mais il vaut
mieux que son action adopte alors une forme plus
participative (moins « extérieure ») que celle de la
supervision, et en ne perdant pas de vue que ce type
d’action lui fait toujours courir le risque de devenir « celui qui
sait » et de fermer ainsi la possibilité d’un pluralisme et
d’une synergie des savoirs et des savoir-faire au sein de
l’institution.
2.4. Enfin, il convient de distinguer « travail institutionnel » et psychothérapie (ou thérapie) institutionnelle.
A dire vrai, ce qu’on appelle le « travail institutionnel »
du psychologue est l’une des retombées du courant sociohistorique qui a promu l’idée de psychothérapie institutionnelle, d’abord dans les établissements psychiatriques,
puis dans diverses structures médico- et socio-éducatives
(Chanoit, 1995).
Dans l’absolu, on appelle « thérapie institutionnelle » :
l’utilisation, à fin thérapeutique, de la vie sociale de l’usager
résidant dans l’institution ; le cadre matériel, social, humain
de l’institution va être exploité au mieux afin de favoriser
l’amélioration de la situation actuelle du résident et sa
« réhabilitation sociale ». Une telle conception du soin se
veut délibérément en rupture avec une pratique
d’enfermement et d’exclusion, et prétend mobiliser et utiliser
toutes les ressources de la prise en charge au bénéfice du
résident, y compris les soignants eux-mêmes et leurs
relations avec le résident.
Dans les faits, le courant historique de la « psychothérapie institutionnelle » n’a pas aussi radicalement transformé les pratiques en institutions soignantes et éducatives.
Il les a cependant influencées en bien des points (par
exemple : la pratique des réunions de synthèse, ou les
pratiques de supervision). Le « travail institutionnel »
proposé par les psychologues en est un autre effet, bien
que plus modeste dans ses objectifs que la psychothérapie
institutionnelle proprement dite.

En résumé, notre définition du « travail institutionnel »
est assez proche de ce que X. Renders et J.Y. Hayez
(1994) ont appelé la « fonction de questionnement » du
psychologue (voir encadré). Nous constatons, d’autre part,
que le travail institutionnel du psychologue partagent
certains points communs notamment avec la supervision,
l’intervention institutionnelle, et la thérapie institutionnelle. Il
s’en distingue:
- par le fait qu’il est effectué par un psychologue interne
à l’institution, donc en position de « tiers inclus », c’est-à-
Le « travail institutionnel » du psychologue – texte : C. Bouchard / 9
dire impliqué dans l’institution mais dans une position et une
fonction de « décentration » réflexive ;
- par le fait qu’il s’agit d’une action non pas ponctuelle et
isolée, mais continue, et même « permanente » ;
- par le fait, enfin, que ce travail conserve prioritairement
en vue le cadre institutionnel, sa « conscientisation » et son
appropriation par chacun des intervenants de l’institution - et
éventuellement par les usagers eux-mêmes (en ce cas, on
se rapproche d’une perspective de type « thérapie
institutionnelle »).
III. MODÈLES OPÉRATOIRES
Comme pour tout autre type d’action psychologique, le
travail institutionnel nécessite une référentiel théorique qui
permette d’analyser les phénomènes travaillés et de fonder
les interventions proposées.
Dans la mesure où le psychologue clinicien n’approche
pas les processus institutionnels avec les mêmes objectifs
que le psychologue du travail, il ne recourt pas aux mêmes
références. L’intervention du psychologue du travail est
centrée sur le fonctionnement d’une organisation ou d’une
institution en vue d’en améliorer ou d’en garantir la
productivité, et ceci dans un optimum des conditions
psychologiques et relationnelles de travail que suppose
cette productivité.
Le psychologue clinicien, de son côté, ne s’intéresse à
l’institution que dans la mesure où il suppose qu’elle est
impliquée dans l’action entreprise auprès de l’usager et
dans les questions qui peuvent se poser à propos de celuici. Son intervention ne concerne donc pas l’institution pour
elle-même, mais le dispositif (thérapeutique, éducatif,
pédagogique, judiciaire... ) qu’elle constitue, dont le
psychologue lui-même fait aussi partie, et qui donne
existence et sens à la clinique sur laquelle celui-ci est
appelé à intervenir.
D’où la préférence du psychologue clinicien pour des
modèles théoriques permettant d’intégrer les données
institutionnelles dans une approche qui reste clinique, au
sens où elle s’attache à étudier et travailler des situations
problématiques dans leur singularité. Les modèles
psychanalytiques et les modèles systémiques notamment
permettent une telle intégration, en particulier par le fait
qu’ils offrent plusieurs niveaux possibles d’analyse
(individuel, duel, groupal) et qu’ils admettent, chacun à leur
manière, l’hypothèse d’un « inconscient » organisateur des
3
conduites et des relations , répondant ainsi à une autre
caractéristique forte des approches cliniques actuelles.
1. Références systémiques
En guise de préambule :
« L’approche systémique peut donner quelques idées
utiles sur le fonctionnement institutionnel, et rappeler aux
professionnels pris dans la foulée d’un mouvement individualiste, que la dialectique nécessaire entre l’appartenance
à un système et la différenciation des individus en son sein
est à la base de l’expérience humaine de l’identité. Des
repères peuvent aussi permettre à chacun de mieux
identifier les conflits et d’être attentif aux dérapages qui
3
- Le concept de système est à la pensée systémique ce
que le concept d’inconscient est à la pensée psychanalytique.
constituent le pain quotidien de la vie institutionnelle. » (Meynckens-Fourez, 1994, p. 29)
1.1. Le concept de système
Il existe plusieurs définitions du concept de système. A
la suite de M. Selvini Palazzoli (1976), nous retiendrons
celle de Hall et Fagen : « un système est un ensemble
d’objets et de relations entre les objets et entre les
attributs ». Selvini Palazzoli complète cette définition par un
commentaire de P. Watzlawick, qui précise que les objets
sont des composants ou des parties du système, les
attributs sont des propriétés des objets, et les relations ce
qui maintient ensemble le système.
Dans le cas des systèmes vivants et pour ce qui
intéresse le travail du psychologue, il s’agit de groupes qui
ont une histoire, c’est-à-dire qui se sont développés en
fonction de buts communs depuis un temps suffisamment
long, qui se sont constitués comme unités fonctionnelles, et
qui sont régis par des règles qui leur sont spécifiques. Dans
ce type de systèmes, les interactions sont dites circulaires,
car elles consistent en échanges continus d’informations et
de rétroactions (feed back).
Un système vivant est dit ouvert, lorsqu’il est en relation
d’échange avec d’autres systèmes environnants.
Les propriétés d’un système ouvert sont :
 la totalité : Un système ne se réduit pas à la somme de
ses composants, il constitue un ensemble original qui a ses
lois propres. Il y a interrelation entre les éléments, de telle
façon que tout changement d’un seul d’entre eux retentit sur
tous les autres. Le principe de totalité énonce que le tout est
à la fois plus que ses parties (le système permet des
réalisations que les individus isolés ne pourraient effectuer)
et moins que ses parties (non-sommativité : aucun membre
du groupe ne peut exploiter au maximum l’ensemble de ses
potentialités et doit y renoncer).
 l’autorégulation : Tout système est caractérisé par une
double tendance opposée, nécessaire à sa survie : la
tendance au statu quo (homéostasie) et la tendance à la
transformation (changement). On peut donc définir un
système donné par la façon dont il maintient ces deux
tendances en équilibre. C’est en étudiant les relations entre
les composants du système que l’on peut comprendre celuici et apprécier son autorégulation entre homéostasie et
changement. Ces relations sont à concevoir en termes
d’informations et de communications, et en considérant le
processus du feed back (rétroaction). Les rétroactions
positives favorisent l’impulsion au changement, tandis que
les rétroactions négatives tendent à maintenir l’homéostasie. Lorsqu’il y a déséquilibre entre les deux tendances
(excès d’ouverture ou excès de fermeture), le système est
dit en crise et il peut alors arriver qu’il disparaisse
(dissolution).
 l’équifinalité : L’état final d’un système est indépendant
de ses conditions initiales d’apparition. Les modifications qui
interviennent à l’intérieur d’un système donné dans une
succession temporelle donnée (succession diachronique)
dérivent essentiellement de processus internes au système
et des règles propres qu’il a établies. Autrement dit, ce sont
les paramètres d’organisation du système dans le temps et
qui lui sont propres, qui déterminent ses transformations, et
non ses conditions initiales.
Le « travail institutionnel » du psychologue – texte : C. Bouchard / 10
1.2. L’institution comme système
4
On parle d’organisation pour désigner la manière dont
les parties d’un ensemble sont disposées pour remplir
certaines fonctions. En ce sens, et comme nous l’avons
déjà dit, une institution (de soin, d’éducation, d’action
sociale...) est une organisation.
Une organisation dépend à la fois d’un fonctionnement
interne (les individus et les groupes qui la composent) et
d’un fonctionnement externe (les pouvoirs publics qui
agréent et subventionnent l’institution, les institutions
partenaires, les familles des usagers, et plus largement le
contexte social).
Une organisation se spécifie, d’autre part, par des
finalités, des règles, un organigramme, et des canaux de
communications.
 Finalités
Tout système vivant est orienté par des finalités. Dans le
cas d’une institution, la finalité est une ou des valeurs
auxquels les membres de l’institution adhèrent, et qui
constituent en quelque sorte l’idéal vers lequel les
professionnels veulent tendre, mais qu’ils n’atteignent pas
nécessairement. La finalité est donc ce qui donne sens à
l’institution.
Cela peut être, par exemple, une conception de la prise
en charge spécialisée des personnes en chômage de
longue durée, qui choisit de privilégier la recherche d’un
travail ; face au même type de population, une autre
institution pourra avoir une tout autre finalité, par
exemple de faire en sorte que la personne en chômage
de longue durée puisse s’approprier sa situation (être
« acteur ») et trouver une place dans la société, fût-ce
autrement que par une formation professionnelle ou par
la recherche d’un emploi stable (prévention de la
désocialisation).
Notons que l’adhésion aux finalités de l’institution permet
de créer un sentiment d’appartenance et de souder entre
eux les membres du système. Lorsqu’un membre n’adhère
pas ou n’adhère plus à ces finalités, il tend généralement à
résister aux buts, objectifs et moyens que se donne
l’institution.
Autre exemple : attaquer les finalités est une façon
efficace de semer le trouble dans une institution (stratégie
de « sabordage ») et de prendre (négativement) une
position de pouvoir.
Il peut être intéressant, en effet, de distinguer :
- le but : c’est ce qui concrétise les finalités dans une
vision à long terme (le but est donc ce qui rend réalisable et
accessible une finalité) ;
- l’objectif : c’est pour ainsi dire un « petit but », réalisé
dans un délai déterminé, et par conséquent plus facile à
évaluer qu’un but proprement dit (l’objectif est ce qui permet
de rendre un but maîtrisable) ;
- le moyen : ce que le professionnel met en oeuvre pour
atteindre un objectif.
4
- Les exemples cités portent essentiellement sur les
relations intra-institutionnelles et plus spécialement entre les
professionnels ; mais il est bien évident que les mêmes
principes d’analyse peuvent s’appliquer à la compréhension
des autres niveaux du système, c’est-à-dire les échanges
existant entre les usagers de l’institution, ceux qui existent
entre les usagers et les professionnels, et ceux qui existent
entre l’institution et l’extérieur.
Par exemple, l’autonomisation peut être un but dans la
prise en charge de jeunes handicapés mentaux ; ce but
peut s’opérationnaliser sous la forme d’objectifs précis
(par ex. faire en sorte que le jeune puisse se déplacer
seul en ville) et par la mise en œuvre de moyens pour
atteindre ces objectifs (par ex. circuler en ville seul avec
le jeune et non plus en groupe accompagné et lui
permettre de se donner des repères dans l’espace, ou
entreprendre un travail d’aide psychologique pour
comprendre avec lui les peurs ou les angoisses sousjacentes à son incapacité à circuler seul en ville).
La confusion entre finalités et moyens peut être une
source de dysfonctionnements institutionnels.
Exemple : lorsque les finalités ont perdu leur sens et que
les moyens subsistent ; la conservation de ceux-ci reste
alors la seule raison d’être de l’institution, qui les fait
fonctionner de façon formelle et pour ainsi dire « à
vide ». Ou bien encore, la dérive de certaines pratiques
de réunions (moyen) qui, parties de l’intention de
partager et de réguler les difficultés particulières
rencontrées par les professionnels dans leur travail (but
ou objectif), deviennent par exemple de simples lieux
exutoires ou des moments strictement organisationnels.
A l’inverse, on peut rechercher des moyens et les
trouver, mais sans analyse suffisante de leur pertinence
pour les finalités, ou sans élaboration suffisante de celles-ci.
On peut ainsi observer, dans certaines institutions, une
forme de « fuite en avant » où chaque situation de crise
tente de trouver sa solution dans de nouveaux moyens (du
matériel ou des formations du personnel par ex.), au lieu
d’analyser le processus générateur de ces crises.
« Définir et rappeler les finalités donne un sens à
l’institution, à l’organisation et aux interactions et peut servir
de tiers, de garde-fou et de régulateur de distance dans une
équipe, évitant ainsi que la redéfinition constante de la
relation puisse prendre le pas sur le projet institutionnel.
Nous entendons par “redéfinition constante de la relation”,
le fait que des partenaires ne peuvent se mettre d’accord
sur la place de chacun et ne parviennent pas à préciser qui
fait quoi sans automatiquement imaginer un changement
dans la relation. » - (Meynckens-Fourez, 1994, p. 32)
 Règles
Dans un système, les règles sont ce qui permet de gérer
les relations entre les membres, les manières d’entrer et de
sortir du système ; de définir l’espace et le temps attribués à
chacun, et l’utilisation des biens et des moyens.
Les règles donnent une référence commune, et peuvent
donc faire office de tiers, en facilitant la définition des
relations. Toutefois, ceci n’est possible que si elles sont
suivies par tous, c’est-à-dire acceptées comme contrainte
partagée et fonctionnelle.
Les règles peuvent être explicites ou implicites. Plus le
sentiment d’appartenance à un groupe est faible ou plus la
cohérence de ce groupe est réduite, plus les règles devront
être explicitées pour favoriser l’adhésion de chacun au
système (par ex. dans le cas des équipes nouvellement
constituées ou récemment modifiées).
Certaines règles correspondent à des finalités en accord
avec les besoins actuels réels de l’institution ; d’autres
peuvent correspondre à des finalités dépassées, devenues
caduques, et qui peuvent fonctionner comme un mythe (voir
encadré).
Le « travail institutionnel » du psychologue – texte : C. Bouchard / 11
Deux ensembles de critères sont à retenir :
Mythe familial - Mythe institutionnel
Mythes familiaux. « Le terme de mythe familial a été
proposé par A.J. Ferreira (1963) pour rendre compte des
attitudes de pensées défensives du groupe familial, qui
assurent une cohésion interne et une protection externe ; le
mythe familial est donc un organisateur qui remplit une
fonction homéostatique d’autant plus sollicitée que le
groupe considéré est en souffrance, en difficulté, en crise, et
qu’il menace de se transformer, de se disloquer, voire de
disparaître. Un mythe familial se rapporte à une série de
croyances créées et partagées par tous les membres d’un
groupe familial ; il est constitué en relation avec l’ethos et
les rituels de la famille ; le mythe familial est ainsi le sens
que le foyer cherche à donner aux actions, aux pensées et
aux émotions de chacun. Ce sens peut être en contradiction avec celles-ci. En effet, le contenu du mythe se
développe indépendamment des distorsions qui existent
éventuellement entre le type de la croyance et les
agissements de ceux qui la partagent. » (p. 370)
Mythes institutionnels, mythes sociaux. « Au même titre
que les familles, les organisations de la société
contemporaine (école, armée, justice, médecine, état, etc.)
véhiculent des systèmes de croyances collectivement
partagées, qui assurent la cohésion interne de leurs
fonctionnements et la protection vis-à-vis des autres
groupes ; chaque microsystème institutionnel (service
asilaire, salle de classe, service d’assistance éducative,
etc.) sécrète ses propres niveaux d’organisation mythique. »
(p. 372)
(d’après : J. Miermont, dir., Dictionnaire des thérapies
familiales. Théories et pratiques, Paris, Payot, 1987.)
 Organigramme
L’organigramme est ce qui définit la hiérarchie et les
liens entre les membres d’une organisation. Dans un
langage systémique, l’organigramme est ce qui définit les
sous-systèmes (ou sous-ensembles) qui composent un
système donné, en fonction de leurs projets et de leurs
tâches. Ceux-ci peuvent avoir ou non leur organisation
propre.
En réalité, il existe généralement un « organigramme
officiel » et un « organigramme non officiel » ; ce dernier
correspond à la réalité effectivement opérante, parfois très
différente de la réalité officielle.
De trop grandes discordances entre ces deux niveaux
peuvent entraîner des confusions hiérarchiques ou des
dérives fonctionnelles. A l’inverse, une superposition exacte
de ces deux organigrammes relèvent du mythe (au sens
défini plus haut).
 Canaux de communication
L’approche systémique a depuis longtemps intégré les
apports des théories de la communication et prend en
compte cette dimension dans l’analyse des fonctionnements institutionnels.
 communications officielles / non officielles :
Dans toute institution existent des communications
officielles, c’est-à-dire émanant d’une autorité reconnue
(légitimée) et constituée. Le plus souvent, elles sont
consignées par écrit, ou émises dans des contextes
« publics », plus ou moins formalisés (réunions, déclarations
solennelles).
Les communications non officielles, à l’inverse, sont le
plus souvent orales, ou passent par des voies de
communication analogique (sourire, regard, posture... ) ; ou
bien elles sont non officielles parce qu’elles relèvent d’un
contexte non établi, non protocolaire (réunions informelles,
conversations privées, « bruits de couloir »... ).
L’officialisation consiste à créer un cadre pour que la
parole et les informations puissent circuler. Officialiser
permet d’assurer la circulation de la parole, de réduire les
sentiments de pouvoir occulte, et d’éviter l’escalade
symétrique (i.e. une surenchère sans fin) entre personnes
qui ne détiennent pas le même niveau d’information.
L’officialisation renforce donc l’organisation, dans la mesure
où elle facilite les interactions et où elle contribue au
positionnement des éléments du système.
Soulignons que la coexistence, dans une institution, des
deux types de communications (officielle et non officielle)
est inévitable. On pourrait même dire qu’elle est nécessaire,
dans la mesure où elles entretiennent un rapport dynamique
vital pour l’institution (tout ne peut pas être officiel, comme
tout ne peut pas être non officiel).
L’un comme l’autre de ces deux types de
communications peuvent aboutir à des excès et entraîner
des dysfonctionnements.
Exemple : lorsque les communications officielles sont
très fréquentes, donnant aux membres de l’institution le
sentiment d’une omniprésence de l’autorité hiérarchique, ou au contraire générant un doute quant à l’autolégitimation de cette autorité trop insistante à se
manifester, ou encore amenant à une banalisation des
communications officielles.
Autre exemple : lorsque des communications officielles
émanant d’instances différentes interfèrent, voire se
contredisent.
De même, les communications non officielles peuvent
contribuer à développer des informations ou des réseaux
d’informations parallèles, et à introduire ainsi un brouillage
plus ou moins toxique des situations que les
communications officielles sont censées définir et clarifier.
 communications diachroniques / synchroniques
La communication diachronique est celle qui traverse le
temps et assure la mémoire du système. C’est la
communication conservée, par exemple sous forme
d’archives, de comptes rendus, de références théoriques
produites ou utilisées par l’institution, ou encore sous la
forme d’une connaissance par chacun de l’histoire de
l’institution.
La communication diachronique est donc celle qui peut
faire référence pour le présent et lui donner une insertion
dans le temps.
Le « travail institutionnel » du psychologue – texte : C. Bouchard / 12
La communication synchronique est celle qui se situe
dans le temps présent. C’est la communication de l’actuel,
du quotidien.
Des dysfonctionnements peuvent naître du déséquilibre
entre ces deux temporalités.
premier psychologue, ou entre la fonction « psy » et la
position des familles pour le second, voire même entre
les deux psychologues, chacun des deux étant
considéré comme susceptible d’être en lien privilégié
avec la direction et/ou avec les familles.
Par exemple, lorsque l’institution use systématiquement
de la référence à son propre passé pour résoudre tout
problème actuel, en s’appuyant notamment sur des
comptes rendus de réunions anciennes utilisés comme
véritable code de réglementation interne établi et
irrévocable ; ou au contraire, lorsque l’institution ne
vit que dans l’actuel, ne laissant aucune trace
« objectivée » de son quotidien, et laissant ainsi le
champ libre à toute interprétation subjective a posteriori,
c’est-à-dire à une communication diachronique informelle, éparse, donc peu fiable et non appropriée par
l’institution elle-même.
Notons, de plus, qu’une interaction est d’autant plus
fonctionnelle qu’elle se fera dans le respect de la hiérarchie
(Selvini), c’est-à-dire depuis la position légitimement
impartie et reconnue à chacun dans l’institution. Ceci ne
signifie pas que l’on ne puisse rien dire ou rien faire par
rapport à un niveau hiérarchique supérieur, mais seulement
que cette action sera d’autant plus reconnue et efficace,
qu’elle se fera dans les limites de la place définie à chacun
dans l’institution, en tenant compte de ces limites dans les
propositions émises, et en se référant aux finalités de
l’institution comme tiers de cette démarche.
1.3. L’institution comme ensemble d’interactions
Dans les fonctionnements familiaux, Jay Haley a décrit
(en 1967) des phénomènes d’alliance entre deux personnes
d’une même famille et dirigée contre une troisième ; cette
alliance peut être niée par l’un des deux membres de la
coalition voire même méconnue, d’où la difficulté pour son
allié ou pour tout autre partenaire de savoir dans quelle
mesure elle est réelle ou non (« triangle pervers »).
De même, dans les fonctionnements institutionnels, on
parle de coalition niée (ou d’alliance niée) lorsqu’il y a
alliance entre deux personnes de niveaux hiérarchiques
différents contre une troisième, et que cette alliance est
niée. Ce type de relation entraîne évidemment des doutes
dans les communications : « les personnes prises dans une
coalition niée ne pourront tenir le même discours avec tous
les membres de l’institution. Elles se trouveront dans
l’impossibilité de poser leurs propres conditions dans la
définition de la relation avec les autres membres de
l’institution. Elles se trouveront dans l’impossibilité de
fonctionner
comme
catalyseur
de
communication
fonctionnelles, car elles seront contrôlées par un autre ;
elles risquent de devoir à la fois confirmer l’autre et se
disqualifier elles-mêmes. » (Selvini et coll., 1984).
L’institution est un ensemble d’interactions, c’est-à-dire
d’actions et d’influences réciproques entre les membres (i.e.
les individus qui composent l’ensemble). Conformément aux
principes de totalité et d’équifinalité, ces actions et
influences ne sont pas seulement le fait des éléments ; elles
sont aussi interdépendantes du système et de l’organisation
de celui-ci.
Du point de vue des phénomènes uniquement intrainstitutionnels, nous pouvons retenir trois aspects.
 Définition de la relation
Dans l’approche systémique, définir la relation c’est
« définir les compétences et les limites supposées d’un
individu par rapport à un autre dans un contexte donné,
laissant à chacun la possibilité d’accepter, de refuser ou de
négocier cette définition proposée. Ceci entraîne une
dynamique circulaire pouvant évoluer dans le temps : la
définition n’est jamais un fait acquis une fois pour toutes. »
(Meynckens-Fourez, 1994, p. 37).
La définition de la relation peut être explicite, et en ce
cas elle contribue à clarifier la position de chacun et son
territoire d’action ; ou implicite, ce qui peut entraîner des
confusions et des malentendus dans la relation.
Dans le cas où la définition de la relation n’est pas claire
ou lorsque cette définition n’est pas partagée par tous les
partenaires, toute interaction sera ressentie comme une
volonté de modifier la relation et cette préoccupation
prévaudra, venant plus ou moins brouiller le contenu de la
relation. Autrement dit, la définition de la relation a pour but
de préciser les limites du pouvoir de chacun.
La définition de la relation est déterminée en partie par
les protagonistes de celle-ci, et en partie par le système
auquel ils appartiennent.
Ainsi, la position de deux psychologues dans une même
institution ne sera pas perçue de la même façon par les
partenaires ou par les usagers selon que l’un est défini
dans une relation de conseil auprès de la direction par
exemple, et l’autre dans une relation d’intervention
auprès des familles des usagers. Les relations que l’un
et l’autre noueront avec leurs partenaires ou avec les
usagers en seront influencées différemment. Toutefois,
si cette définition n’est pas explicite et claire, une
confusion peut s’inscrire dans les relations entre la
fonction « psy » et la fonction de direction pour le
 Coalition niée
Exemple :
Dans le cadre d’une mesure probatoire, un conseiller
d’insertion et de probation (CIP) se prend de sympathie
pour un jeune condamné dont il assure le suivi socioéducatif pénal. Il lui prête de l’argent, l’héberge à son
domicile, et lui épargne l’exécution de quelques-unes
des obligations pénales décidées par le juge de
l’application des peines (JAP) à l’endroit du jeune
homme. Outre que cette aide personnelle constitue
évidemment une faute professionnelle (de l’ordre de
l’abus éthique), elle relève d’une coalition niée
puisqu’elle s’est faite dans une connivence entre le CIP
et le condamné, à l’insu du magistrat et à l’encontre de
l’autorité de celui-ci.
 Répétition analogique d’interactions
Il est fréquent qu’un même type d’interactions ou de
règles d’interaction existe à des niveaux différents dans un
même système.
C’est ce qu’on observe par exemple dans les familles où
les relations entre les enfants sont identiques à celles qui
existent dans le couple parental.
Dans les institutions, on peut assez facilement
remarquer que les modes ou les règles d’interactions des
Le « travail institutionnel » du psychologue – texte : C. Bouchard / 13
usagers peuvent influer sur les interactions des professionnels entre eux, et vice versa.
Par exemple, dans les institutions s’occupant d’enfants
présentant des troubles du comportement, l’équipe des
professionnels tendra à se confronter, à son propre
niveau, à des problèmes de règles, de transgression des
règles, de respect de la hiérarchie, ou de trop grande
ouverture.
Les institutions s’occupant de personnes considérées
comme « chroniques » (arriérés, personnes démentes,
psychotiques graves... ) ou « sans avenir » (personnes
âgées, handicapés lourds) auront souvent des difficultés
à définir ou à maintenir leurs finalités, et auront tendance
à rigidifier leurs règles (ce qui se traduira par une
impression de routine répétitive et d’ennui).
Dans les milieux institutionnels de type disciplinaire (le
milieu carcéral par ex.), l’équipe aura facilement
tendance à définir très strictement les relations, à
privilégier une explicitation et une officialisation des
informations, et à réduire au minimum l’ouverture du
système vers l’extérieur (cf. Foucault : notion de
« culture d’enceinte »).
Il est fréquent qu’un même rapport au pouvoir se répète
à plusieurs niveaux d’une même institution (par ex. dénier
sa propre autorité et induire une relation de fausse parité),
ou un même type de communications (par ex. une grande
méfiance entre les usagers ou un climat de suspicion
généralisée, dans une institution où, au niveau de l’équipe,
la règle implicite est de parler des problèmes importants de
façon non officielle et jamais de façon officielle).
2. Références psychanalytiques
Contrairement à l’image communément véhiculée à son
propos, la psychanalyse n’est pas une psychologie
individuelle ; elle a toujours inclus comme nécessaire la
dimension de l’Autre, du social dans sa réflexion, comme
Freud l’a indiqué à de nombreuses reprises dans son
oeuvre. Il existe ainsi, depuis Freud lui-même et ensuite par
le fait d’autres auteurs (W.R. Bion, E. Jaques,
M. Balint, J. Bleger, I. Menzies, D. Anzieu, R. Kaës,
E. Enriquez, etc.), une histoire déjà longue d’une pensée
psychanalytique dans et sur les institutions (soignantes,
éducatives, rééducatrices, pénitentiaires, formatrices).
Il serait bien évidemment trop long d’en restituer ici la
diversité et la richesse. Nous nous contenterons, en nous
appuyant principalement sur les travaux de René Kaës,
de résumer les principes et les concepts fondamentaux
qui caractérisent les théories psychanalytiques des
institutions. Puis nous examinerons quelques aspects des
« souffrances institutionnelles », considérées d’un point de
vue psychanalytique.
2.1. Psychanalyse et institution
Du point de vue psychanalytique, l’institution peut être
définie : d’une part, comme une formation de la société et
de la culture, d’autre comme une formation psychique.
Formation de la culture et de la société : au sens où
nous l’avons déjà évoqué, d’une inscription culturelle de
notre humanité en tant qu’opposée à la nature (voir plus
haut, point 2.1).
Formation psychique : En accomplissant ses diverses
fonctions culturelles et sociales (juridiques, religieuses, de
défense et d’attaque, de production et de reproduction),
l’institution réalise aussi des fonctions psychiques multiples
pour les sujets singuliers. « Elle mobilise des investissements et des représentations qui contribuent à la régulation
endopsychique et qui assument les bases de l’identification
du sujet à l’ensemble du social ; elles constituent [...]
l’arrière-fond de la vie psychique dans lequel peuvent être
déposées et contenues certaines des parties de la psyché
qui échappent à la réalité psychique. » (Kaës, 1988, p. 10).
Mais plus encore, il existe une intrication étroite entre vie
psychique et institution. C’est ce que soutient Freud dans
Totem et tabou (1913) et dans Pour introduire le
narcissisme (1914), où il affirme que l’inconscient est pour
une part constitué par la transmission intergénérationnelle
des formations et processus psychiques. Dans le même
ouvrage, Freud expose sa célèbre théorie de l’établissement originaire de la société humaine : mémoire et
mémorial du meurtre fondateur, structuration du lien
d’appartenance par l’identification au totem, instauration du
tabou, transmission du récit par la voie mythique et par
l’appareil à interpréter et à signifier les mœurs, cérémonies,
préceptes et représentations construites après le meurtre
originaire.
Dans Psychologie des masses et analyse du Moi
(1920-21), Freud considère que l’institution est une donnée
primaire de l’identification et de la formation du Moi.
Il apparaît ainsi, dans la perspective freudienne, que la
vie psychique suppose l’institution, et que celle-ci est une
partie de notre psyché.
Dans une analyse plus fine, on peut repérer dans la
pensée analytique l’hypothèse de plusieurs organisateurs
ou « formations intermédiaires » (Kaës) déterminant le
fondement psychique des ensembles sociaux en même
temps qu’ils forment les bases de notre psychisme. (D’où le
terme « formations intermédiaires » proposé par Kaës pour
désigner « ces formations psychiques originales, qui
n’appartiennent en propre ni au sujet singulier, ni au
groupement, mais à leur relation », ibid., p. 17).
 Le groupement comme communauté d’accomplissement du désir et de la défense.
Selon Freud l’identification est la formation intermédiaire
qui fait tenir ensemble les sujets de l’institution et l’institution
elle-même ; c’est aussi l’identification qui détermine la
relation des sujets de l’institution au Mittler ou au Vermittler
(ministre, chef, meneur, leader), incarnation de l’Idéal.
« Le groupement - en tant que formation psychique
intermédiaire - est ce qui dans l’institution lie, dans une
réalisation de type onirique et par la communauté des
symptômes, des fantasmes et des identifications, les sujets
de l’institution entre eux, de telle sorte qu’ils puissent y
investir leurs désirs refoulés et trouver les moyens
déformés, détournés, travestis, de les réaliser ou de s’en
défendre. Par là ils se lient à l’institution, à son idéal, à son
projet, à son espace. Fonder une institution, la faire
fonctionner, la transmettre ne peuvent être soutenus que
par des organisateurs inconscients dans lesquels se
trouvent pris des désirs que l’institution permet de réaliser. »
(ibid., p. 23)
 Le renoncement pulsionnel et l’avènement de la
communauté civilisée.
Un autre thème psychanalytique majeur est la nécessité
du renoncement à la satisfaction pulsionnelle individuelle
pour pouvoir constituer « un ensemble plus puissant que
chaque individu particulier » et bénéficier des bienfaits de la
vie en société. C’est au prix de cette contrainte et de ce
renoncement, que sont possibles les compensations et le
Le « travail institutionnel » du psychologue – texte : C. Bouchard / 14
contrat : « L’homme civilisé fait l’échange d’une part de
bonheur possible, contre une part de sécurité » (Freud,
Malaise dans la civilisation).
« Ainsi la communauté en tant que droit protège contre
la violence de l’individu, impose la nécessité et rend
possible l’amour. Ce que Freud décrit est un biface :
renoncement pulsionnel et avènement de la communauté
de droit ont une fonction et une signification dans l’espace
psychique singulier et dans l’espace psychique du
groupement institutionnel. Il nous décrit tout à la fois l’assise
psychique de la fondation juridique de l’institution et de
l’affiliation légitime des sujets. » - (Kaës, 1988, p. 27)
 Le contrat narcissique comme permanence, affiliation
et soutien du sujet singulier dans l’être-ensemble.
Bien que les acquis de la socialisation soient
« extorqués » (Freud) au narcissisme de l’individu, celui-ci
n’y renonce jamais tout à fait, et c’est ce qui fonde la
continuité des générations et des groupes, c’est-à-dire
l’identité de filiation et d’affiliation. En empruntant un
concept proposé par Piera Castoriadis-Aulagnier (en
1975), on pourrait dire avec R. Kaës que les rapports
corrélatifs individu-ensemble social repose sur un contrat
narcissique : « chaque nouveau venu doit investir
l’ensemble comme porteur de la continuité et réciproquement, à cette condition, l’ensemble soutient une place pour
l’élément nouveau. Tels sont schématiquement les termes
du contrat narcissique : il exige que chaque sujet singulier
prenne une certaine place offerte par le groupe et signifiée
par l’ensemble des voix qui, avant chaque sujet, a tenu un
certain discours conforme au mythe fondateur du groupe.
Ce discours, chaque sujet d’une certaine manière doit
le reprendre. C’est par lui qu’il est relié à l’Ancêtre
fondateur. » (Kaës, 1988, p. 29).
 Le groupement humain se fonde sur des espaces
psychiques communs négatifs, de l’ordre du refoulement.
R. Kaës appelle pacte dénégatif la formation
intermédiaire qui, dans tout lien social, consiste à vouer au
refoulement, au déni, au désaveu, ou au maintien dans
l’irreprésenté ou dans l’imperceptible, ce qui viendrait mettre
en cause la formation et le maintien de ce lien et des
investissements dont il est l’objet. Le « pacte dénégatif » est
un corrélât du contrat de renoncement et de la communauté
d’accomplissement des désirs : il en est la contreface et le
complémentaire.
« Il s’agit d’un pacte inconscient, d’un accord entre les
sujets concernés par l’établissement d’un consensus
destiné à assurer la continuité des investissements et des
bénéfices liés à la structure du lien (couple, institution... ), et
à maintenir les espaces psychiques communs nécessaires
à la subsistance de certaines fonctions ancrées dans
l’intersubjectivité ou dans des formes de groupement plus
spécifiques : fonction de l’idéal, organisation collective de
mécanismes de défense. Cette recherche de la concorde
apparaît donc comme la négativisation de la violence, de la
division et de la différence que comporte tout lien : le pacte
fait taire les différents ; c’est pourquoi il s’agit d’un pacte
dont l’énoncé, comme tel, n’est jamais formulé. Accord
tacite sur un dire divisant, il est et doit demeurer
inconscient. Le pacte lui-même est refoulé. Redoublement
du silence : le prix du lien est ce dont il ne saurait être
question entre ceux qu’il lie, dans leur intérêt mutuel, pour
satisfaire à la double logique croisée du sujet singulier et de
la chaîne. » - (ibid., p. 33)
En résumé : La structure psychique de l’institution est le
résultat de l’agencement des diverses formations
intermédiaires qui la constituent, et détermine les processus
psychiques qui s’y développent, selon les lois de la
causalité propres à l’inconscient.
2.2. Souffrance et psychopathologie
dans les institutions
Etant donné le caractère biface de ces formations
intermédiaires (constitutives à la fois de la réalité psychique
du sujet singulier et de l’ensemble institutionnel auquel il
participe), on peut dire que l’institution est un objet
psychique commun, et qu’à ce titre elle ne peut pas souffrir.
Ce qui peut souffrir, par contre, c’est notre rapport à
l’institution et dans ce rapport ; ce qui peut souffrir, c’est
l’institution en nous, ce qui en nous est institution.
« Nous souffrons du fait institutionnel lui-même,
immanquablement : en raison des contrats, pactes,
communauté, et accords inconscients ou non, qui nous lient
réciproquement, dans une relation asymétrique, inégale, où
s’exerce nécessairement la violence, où s’éprouvent
nécessairement l’écart entre l’exigence (la restriction
pulsionnelle, le sacrifice des intérêts du Moi, les entraves au
penser) et les bénéfices escomptés. Nous souffrons de
l’excès de l’institution, nous souffrons aussi de son défaut,
de sa défaillance à garantir les termes des contrats et des
pactes, à rendre possible la réalisation de la tâche primaire
qui motive la place de ses sujets en son sein. Mais nous
souffrons aussi, dans l’institution, de ne pas comprendre la
cause, l’objet, le sens et le sujet même de la souffrance que
nous y éprouvons. » - (ibid., p. 37-38)
Entendue en ce sens, on peut repérer plusieurs sortes
de souffrance institutionnelle :
 La souffrance de l’inextricable
Il s’agit des situations dominées par la confusion des
éléments
de
l’ensemble
institutionnel
ou
par
l’indifférenciation de l’élément et de l’ensemble. Il se
constitue alors une confusion des formations, des
processus et des effets de sens, en raison d’une abolition
des limites de chacun, d’une évanescence du sujet, et d’une
transversalité de la subjectivité. D’où une angoisse liée à
des représentations de non-identité et à la confrontation à
des « noyaux indifférenciés » de notre psychisme.
Il y a souffrance de l’inextricable lorsque le mode
syncrétique (ou isomorphe) nécessaire au lien institutionnel
n’est plus contrebalancé par les formes différenciées du
lien.
 La souffrance associée à un trouble de la fondation et
de la fonction instituante
Il s’agit d’une forme de défaillance des formations
contractuelles impliquées dans ce qui fonde une institution
dans sa singularité. En l’occurrence, le trouble concerne la
constitution de l’illusion fondatrice : « le défaut d’illusion
institutionnelle prive les sujets d’une satisfaction importante
et étiole l’espace psychique commun des investissements
imaginaires qui vont soutenir la réalisation du projet de
l’institution, arrimer l’identification narcissique et le
sentiment de l’appartenance à un ensemble suffisamment
idéalisé pour affronter les difficultés internes et externes. »
(ibid., p. 40).
Toute institution, lorsqu’elle est nouvelle, se base sur
l’illusion d’être novatrice et conquérante. C’est cette illusion
qui soutient le risque et les sacrifices consentis pour
participer à cette aventure. Mais si cette illusion est
maintenue inchangée en dépit de l’expérience, dans le déni
de celle-ci, elle peut être source d’échec et devenir nocive :
Le « travail institutionnel » du psychologue – texte : C. Bouchard / 15
la souffrance est alors celle de la désillusion, et du
renoncement au « fétiche ».
 La souffrance associée aux entraves de la réalisation
de la tâche primaire
Une autre forme de défaillance contractuelle est
l’empêchement de la réalisation de la tâche primaire, c’està-dire de ce qui fonde la raison d’être, la finalité et la raison
du lien intersubjectif. Sans l’accomplissement de la tâche
primaire, l’institution ne peut survivre.
Par exemple, dans les institutions soignantes, la tâche
primaire est de soigner. Mais d’autres tâches s’associent à
celle-ci, de manière complémentaire, par exemple
administrer l’institution ou défendre les droits des soignants.
Si ces tâches complémentaires dominent la tâche primaire,
ou entrent en concurrence ou contradiction avec elle, elles
peuvent la supplanter. La lutte défensive contre les dangers
réels ou imaginaires liés à la tâche primaire mobilise alors
toute l’énergie psychique disponible et peut même modifier
l’organisation institutionnelle au point de ne plus protéger
ses sujets contre la réalisation de la tâche primaire, ou au
contraire de les protéger contre cette réalisation mais en
empêchant celle-ci.
Les entraves à la réalisation de la tâche primaire sont
pour ainsi dire « des attaques à la communauté
d’accomplissement du désir que soutient la représentationbut inconsciente commune aux sujets de l’institution » (ibid.,
p. 42-43).
 La souffrance associée à l’instauration et au maintien
de l’espace psychique
Lorsqu’il y a écart entre la culture de l’institution et le
fonctionnement psychique induit par la tâche, il apparaît une
difficulté d’instaurer ou de maintenir un espace psychique
de contention, de liaison et de transformation... des
pensées, des affects et des sujets.
« L’espace psychique dans l’institution s’amenuise avec
la prévalence de l’institué sur l’instituant, avec le
développement bureaucratique de l’organisation contre le
processus, avec la suprématie des formations narcissiques,
répressives, dénégatrices et défensives qui soutiennent
l’institution contre un environnement hostile, ou dans la
stratégie de maîtrise de certains de ses sujets, ou
lorsqu’une partie d’entre eux se trouve menacée par
l’émergence des formes élémentaires de la vie psychique.
Dans un hôpital de jour pour enfants psychotiques, l’équipe
médicale jugulait toute expression des émotions,
notamment des affects négatifs de la part des éducateurs et
des psychothérapeutes, comme dommageable à l’institution
elle-même. » - (ibid., p. 43)
L’institution est le lieu et l’occasion d’organisations
défensives contre les désirs refoulés qu’elle accomplit, et
contre ce qui viendrait mettre en péril son existence ou le
rapport de ses sujets à la tâche primaire qui les réunit. C’est
en ce sens que Elliott Jaques (1955) a pu dire que
l’institution accomplit des fonctions de défense contre les
angoisses (angoisses de persécution, angoisses de
dépression), des membres de l’institution, en tant
qu’individus et en tant que membres de l’institution, et pour
l’espace psychique commun de l’institution. Lorsque ces
fonctions défensives sont impossibles ou défaillantes,
l’espace psychique commun ne peut plus s’instaurer ni se
maintenir.
C.B. – 1998
Mise à jour : avril 2001
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