La musique ancienne au conservatoire, Bilan et
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La musique ancienne au conservatoire, Bilan et
CEFEDEM Bretagne- Pays de la Loire Mémoire La musique ancienne au conservatoire, Bilan et perspectives. Nom : CARRERE Formation initiale Prénom : Hervé Promotion2010-2012 Diplôme d’Etat Session juin 2012 Professeur de musique Référant : Mr Ludovic POTIE Instruments anciens Qualité : Directeur du CRD Spécialité : clavecin de La Roche sur Yon 1 2 SOMMAIRE Introduction ……………………………………………………….p4 I Le conservatoire de musique en France p5 1- L'enseignement au conservatoire……………………………….p 5 2- Présentation du département de musique ancienne…………….p7 3-Interview de Marion Middenway, coordinatrice du département de musique ancienne au CRR de Nantes…………………………......p10 II Autonomie du département de musique ancienne : Enjeux et limites…………………………………………………..p11 1- Avantages d'un fonctionnement en autonomie………………....p11 2- Les risques de mise en ghetto…………………………………..p17 III Interactions : des opportunités d'échange……………………...p21 1- Transversalité et pluridisciplinarité moyens d’ouverture……....p21 2- Rayonnement du département de musique ancienne au sein du conservatoire……………………………………………………….p25 Conclusion…………………………………………………………p30 Bibliographie……………………………………………………….p31 Annexes………………………………………………………….…p32 3 Introduction. L’étude du clavecin et de la basse continue dans deux conservatoires différents m’a amené à observer que le département de musique ancienne tenait une place à part dans l’institution, tout comme les départements liés à une esthétique spécifique (le jazz, les musiques actuelles, les musiques traditionnelles…). Ce département a permis la renaissance d’une musique grâce à la redécouverte des instruments anciens. Des pionniers de la première période jusqu’à aujourd’hui, les choses ont bien changé : cette musique n’est plus le symbole d’une « révolte ». Elle est entrée dans le conservatoire pour y être enseignée et a dû se remettre en question pour trouver sa place. Justement, quelle place ? Le besoin de spécialisation et le langage spécifique employé, ont souvent conduit ce département à vivre centré sur lui-même pour connaitre un certain isolement. Ces musiciens et le reste du conservatoire peuvent-ils entrer en communication afin d’accéder à une ouverture bénéfique à chacun ? Les atouts dont peut se prévaloir le département de musique ancienne ne manquent pas : la grande importance donnée, dès les premières années à la musique d’ensemble, instruments polyphoniques et mélodiques confondus, la manière d’aborder une partition de manière plus souple, laissent à l’interprète plus de place pour l’imagination et la créativité. Après une première partie qui établira un état des lieux de l’enseignement dans les conservatoires en présentant plus particulièrement le département de musique ancienne, je m’attacherai ensuite à déterminer les atouts qu’offre la spécialisation de l’enseignement de la musique ancienne mais aussi les risques encourus, le reléguant à la marge du conservatoire. Pour finir, je proposerai des pistes d’ouverture que sont la transversalité, la multidisciplinarité permettant la construction de l’individu dans son ensemble en mettant l’accent sur un dialogue constant pour que le département soit force de proposition de manière constructive et concrète, afin d’imaginer de nouvelles perspectives. 4 I Le conservatoire de musique en France. 1- L’enseignement au conservatoire. a - Mise en perspective historique. Jusqu’à la Révolution Française de 1789, l’Eglise régit les chrétiens en entretenant des relations étroites avec le pouvoir royal. La vie quotidienne est rythmée par le cycle des Offices, mis en musique pour intensifier le sentiment communautaire, la sensibilité et la dévotion mystique des fidèles. Le soutien vocal des offices est assuré par un chœur de jeunes garçons. Le besoin de compositeurs et d’exécutants engendre la création de maitrises, premières écoles de musique attachées aux cathédrales ou aux églises de grande importance. Le nombre de ces maitrises que l’Eglise entretient avant la Révolution se porte à 400. En servant les besoins religieux, elles permettent aussi de former des chanteurs, des instrumentistes, en particulier des organistes et des compositeurs par un enseignement axé sur l’esprit humaniste chrétien. Au milieu du XVIII° siècle, Les Philosophes des Lumières commencent à ébranler l’emprise religieuse sur la population. Ils défendent l’idée d’une vérité acquise par l’usage de la raison et non plus dictée par le divin. Cette aspiration générale qui conduit à la révolution, va voir en 1793 la création de L’Institut National de Musique, remplaçant l’Ecole Royale de Chant qui avait comme spécificité, comme son nom l’indique, l’enseignement exclusif de l’art vocal. Il faut attendre 1795 pour voir l’apparition du Conservatoire National de Musique et de Déclamation de Paris, puis de succursales en province à partir de 1806, servant à recruter et former les futurs élèves du Conservatoire de Paris dans une logique de hiérarchie pyramidale, permettant à Paris de garder son pouvoir centralisé. Les stratégies d’éducation musicale se voient également unifiées par la diffusion d’œuvres pédagogiques. Le Magasin de Musique du Conservatoire, créé en 1794, se donne pour but de publier les méthodes d’apprentissage et de les distribuer sur tout le territoire, en les imposant de manière officielle. Les musiciens sont formés sur le modèle parisien permettant une uniformisation professionnelle, par une rationalisation du savoir musical afin de donner un statut à l’interprète : 5 l’instrumentiste devient alors la clé de voute de la vie musicale de l’époque. En 1959, le premier ministère de la culture est crée en France sous la Présidence du Général de Gaulle, avec comme ministre André Malraux, sous le nom de ministère des affaires culturelles. Les missions données à ce nouveau ministère seront «de rendre accessible au plus grand nombre les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français, d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel et de favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit qui l’enrichissent».1 La création de ce ministère donne à tous la possibilité d’avoir accès à l’enseignement instrumental, qui par le fait n’est plus réservé à l’élite : des écoles de musique vont se créer partout en France, même si le modèle du Conservatoire de Paris perdure. b - La mise en départements. La politique culturelle proposée dès 1981 par Jack Lang et Maurice Fleuret va se concrétiser pour le domaine de l’enseignement musical par un texte fondateur permettant une restructuration des conservatoires en France : le schéma directeur de 1984. Le département, selon le schéma, est constitué par le regroupement cohérent d’un ensemble de disciplines. Le but recherché de cette mise en département est de permettre aux élèves de bénéficier d’un enseignement plus riche, ouvert aux échanges avec les disciplines voisines et faisant une large place aux activités collectives. Ce processus a permis la constitution d’équipes pédagogiques requérant un dialogue entre les professeurs, nécessaire et incontournable pour offrir des propositions éducatives adaptées, la possibilité d’établir des cursus différenciés ainsi que la mise en place d’un contrôle continu afin de cesser les obligatoires examens de fin d’année, seuls critères d’évaluation en place. Il a aussi permis un échange avec toutes les disciplines voisines au sein d’un département, en proposant d’ouvrir de plus en plus l’enseignement sur les pratiques collectives. Cette nouvelle organisation mise en place dans les 1 Décret du 24 Juillet 1959 6 conservatoires, avec l’apparition des cycles et du contrôle continu, a demandé au corps enseignant de trouver de nouvelles façons de proposer leur pédagogie en vue de s’adapter aux besoins et à l’évolution de chaque élève : cette notion d’adaptation signe un renversement notoire de la pédagogie proposée au conservatoire. Le professeur ne se retrouve plus au centre du processus pédagogique, mais représente le vecteur essentiel entre le savoir et l’élève. Deux types de départements vont se détacher de cette nouvelle façon d’organiser le conservatoire. Le premier, issu du modèle pyramidal de l’orchestre symphonique, est constitué des cordes, des bois, des cuivres, des percussions… Le deuxième ne va pas s’appuyer sur une famille d’instruments que l’on nommera « classique», apparaissant de manière inconsciente comme la norme, mais sur des critères d’esthétiques pour se regrouper par courants identitaires musicaux : le département jazz, le département de musiques traditionnelles, le département de musiques actuelles et amplifiées, le département de musique ancienne… Plusieurs réflexions vont alors naitre de la création de ces nouveaux départements. L’intérêt va être de savoir de quelle manière le conservatoire va prendre en compte la diversité des musiques et proposer un enseignement le plus élargi possible sans courir le risque de mettre en ghetto ces nouveaux départements basés sur une esthétique précise, et comment leur cohabitation avec les départements traditionnels ne va pas les reléguer au fond du couloir, comme me le disait Marion Middenway, coordinatrice du département de musique ancienne du CRR de Nantes. 2- Présentation du département de musique ancienne. La musique ancienne est apparue dans le paysage musical dans les années 1970, non sans difficultés quant aux débats alors en cours sur l'utilisation d'instruments anciens et de diapasons divers, remettant en cause la sacro-sainte oreille absolue valorisée en cours de solfège. Les musiciens classiques ont vu d'un mauvais œil l'arrivée de ces « baroqueux » qui ne jouaient pas « juste » et qui questionnaient l'interprétation des musiques du XVIIIème siècle alors en cours par les interprètes classiques et faisant partie intégrante d’un répertoire qu'ils ne 7 comptaient pas délaisser. Le renouveau de la musique ancienne date d'une époque où un vent de liberté était très présent. Comme le dit Philippe Beaussant dans son ouvrage « Vous avez dit baroque ? » : « Ceux que l’on a appelés, avec un peu de condescendance quelquefois, et souvent du mépris, les « Baroqueux », ont en effet pendant vingt ans, constitué un mouvement parallèle, une dissidence, une sécession. La musique qu’ils faisaient entre eux sur leurs instruments hérétiques, se pratiquait presqu’en cachette : une sorte de musique des catacombes ou des premiers chrétiens avec, justement, des lions autour, de doctes lions graves qui rigolaient»2. Ces premiers musiciens à s’intéresser à la musique ancienne n’ont pas pu se référer à des maitres. Ils ont dû chercher les voies possibles par l’utilisation d’instruments anciens, avec la seule aide des traités de l’époque, si utiles dans la quête d’une compréhension appropriée de ce répertoire. On ne méconnaissait pas pour autant les compositeurs de cette époque : avant que n'arrivent les classes de musique ancienne dans les conservatoires, les classes de clavecin existaient depuis longtemps, avec la création en 1955 par Marcelle de Lacour, élève de Wanda Landowska, de la première classe de clavecin au Conservatoire de Paris. Tous les instruments n’ont pas réagit de la même façon à cette arrivée de la pratique des instruments anciens, ou d’une pratique selon les critères d’interprétation baroque : les vents ont été assez rapidement tentés par cette recherche, même si par exemple pour le hautbois, la technique diffère tellement entre les deux instruments que jouer des deux peut relever de l’exploit. Pour le violon, l'hégémonie du violon classique au détriment du violon baroque existe toujours dans les conservatoires, renforcée par certains professeurs qui découragent leurs élèves, en les mettant en garde contre le risque de casser leur technique classique. Au fur et à mesure, la musique ancienne a réussi à trouver sa place dans l'institution musicale en perdant son aspect révolutionnaire : qui aujourd'hui sera choqué par l'interprétation sur instruments d'époque ou sur copies, avec des phrasés et une articulation impensables il y a quarante ans ? Les nouveaux interprètes classiques, par l’ouverture à un enseignement pluriel, rencontrent 2 Philippe BEAUSSANT, Vous avez dit baroque, p 193 .1988.199,. Editions Acte Sud . 8 autant l’esthétique ancienne que l’esthétique classique, et n’hésitent plus à intégrer à leur instrument moderne les apports techniques et stylistiques de la musique baroque. L’exemple du violoncelliste Jean-Guilhem Queyras, qui a longtemps été membre de l’ensemble inter-contemporain dirigé par Pierre Boulez, dans son enregistrement de 2007 des suites pour violoncelle seul de JS Bach est éloquent : il interprète ces œuvres avec son violoncelle italien de 1697 monté de façon moderne dans un style qui n’a rien à envier aux meilleurs interprètes baroques, tant la synthèse qu’il a pu effectuer sert pleinement l’œuvre : avoir été élève de A Bylsma, tout en continuant de jouer sur violoncelle « à pique », parait tout à fait compatible pour lui. Il en est de même pour l’enseignement, où l’ouverture à cette esthétique se fait de plus en plus grandissante. Au Conservatoire de Nantes, la collaboration entre certains professeurs permet de tisser des liens musicaux inattendus autrefois, par exemple entre Marie-Violaine Cadoret, professeur de violon du département cordes et Marion Middenway, professeur de viole de gambe et violoncelle baroque : pour l’étude d’une sonate de JM Leclair, une élève violoniste se retrouve accompagnée à la basse continue par un clavecin et une viole de gambe. Elle pourra ainsi intégrer les notions d’articulations, de doigtés, de vibrato, d’équilibre sonore propres à ce répertoire sans se sentir décalée, ni « en trahison » comme auraient pu le vivre les élèves des générations passées. A ce titre, la musique ancienne risque de se retrouver dans la posture inverse : le danger serait que les musiciens devenus spécialistes de cette esthétique deviennent les gardiens du temple. Tout objet de « musique ancienne » demanderait à être considéré comme original à respecter, et par cela, empêcherait toute initiative de renouveau de l'interprétation, si nécessaire à la vie au présent d'une œuvre musicale. Comme le dit Jacques Merlet3, « il faut éviter qu'entre l'ancien combattant et nous, le monument aux morts ne s'installe... ». La prétention à ériger l'authenticité à tout prix va à l'encontre d'une ouverture si nécessaire au musicien pour son épanouissement, en le fermant aux courants musicaux qui l'entourent. L'intégration au sein du conservatoire des instruments anciens s'est faite progressivement ; après le clavecin qui disposait d'un répertoire de soliste 3 Jacques MERLET, Actes du colloque du CNR de Strasbourg, 12-14 Janvier 1996. 9 important lui permettant de rentrer facilement dans une organisation structurée dans le but de former des interprètes, d'autres instruments sont apparus dans les structures. La flûte à bec, la viole de gambe dans les années 1990 et parfois le luth ou le traverso ont suivi, non sans mal, de part leur répertoire cantonné à la musique ancienne (à l’exception de la flûte à bec, disposant d'un large répertoire de musique contemporaine, lui facilitant le dialogue avec les départements classiques). 3- Interview de Marion Middenway, coordinatrice du département de musique ancienne au CRR de Nantes. « Après avoir commencé l’étude du violoncelle moderne en Australie, je suis partie à 19 ans aux Etats-Unis travailler avec Yanos Starker, maître et interprète reconnu du violoncelle. Je suis très vite arrivée à me questionner en rencontrant de plus en plus de désillusions au contact de ce milieu. Est-ce que je voulais vraiment aller vers l’orchestre symphonique, vers le métier de violoncelliste qui me paraissait beaucoup trop lié à l’industrie du disque et devenir « un produit » ? Je me suis demandée que faire avec tout ceci. La rencontre avec un violoniste baroque et son épouse claveciniste a été décisive dans ce moment de doute. Leur démarche était beaucoup plus engageante que de jouer pour la performance dans une démarche purement sportive où je ne trouvais pas mon compte. Chercher sa propre interprétation et sa propre voix par les manuscrits, les réflexions, les recherches m’est apparu comme essentiel. Je me suis donc décidée à travailler de plus en plus le violoncelle baroque, et très vite, je suis partie étudier en Europe, aux Pays-Bas, à La Haye avec un professeur de violoncelle baroque. J’ai débuté en même temps la viole de gambe toute seule, avec quelques conseils de collègues puis deux années après, j’ai suivi des cours de violoncelle et de viole avec un professeur qui enseignait les deux. A cette époque nous étions très peu nombreux à jouer du violoncelle baroque. Il y avait beaucoup de travail en continuo. J’ai par exemple sillonné les temples d’Allemagne les semaines pascales pour interpréter les passions et cantates de Bach, en apprenant le métier sur le tas, en jouant, dans les conditions de l’époque baroque ; c’était l’occasion de faire de la musique dans le lieu où elle doit être jouée, tout comme jouer les motets de Delalande au château de Versailles. Après mon diplôme obtenu en 1989, j’ai eu assez de travail en tant qu’interprète 10 pour en vivre et ceci surtout en France, où j’ai participée avec Marc Minkovsky aux débuts de son ensemble Les Musiciens du Louvre, ceci pendant sept ans, dans une ambiance enthousiaste des débuts. Plus tard, j’ai collaboré avec Jean-Claude Malgoire et William Christie. J’ai aussi participé pendant 17 ans à l’ensemble Anima Eterna du pianofortiste et claveciniste Jos Van Immersel et assisté par cela à la construction d’un ensemble. L’envie de transmettre mon expérience est ensuite arrivée ; j’ai commencé à enseigner au Conservatoire de Villeurbanne sur des week-ends tous les quinze jours ou tous les mois, mais ce n’était pas satisfaisant. J’ai ensuite enseigné au Mans, plus pour rattraper un manque de technique, avec un sentiment de frustration pour tout le monde, ce qui m’a donné envie de débuter correctement les élèves en leur donnant les moyens nécessaires de leurs ambitions. J’ai commencé à enseigner au Conservatoire de Nantes en 2006, d’abord avec un mi-temps et actuellement en temps complet le violoncelle baroque, la viole de gambe et la musique de chambre. Pour le violoncelle baroque à l’inverse de la viole de gambe, il est important pour moi que les élèves aient une très bonne base en violoncelle moderne, le violoncelle baroque venant en complément. Pour eux, le violoncelle baroque représente une ouverture vers une autre musique, un autre répertoire. Je propose aussi mon enseignement à des violonistes, altistes, violoncellistes modernes par des cours d’interprétation de la musique ancienne ; les techniques proches permettent de passer facilement du moderne au baroque. En étant continuiste, les violoncellistes prennent conscience de la basse et de la structure harmonique. On peut jouer cette musique sur instruments modernes avec un style approprié ; ceci permet au département de proposer l’ouverture indispensable pour les amateurs, la musique baroque étant une source inépuisable d’œuvres abordables pour la pratique collective. A ce titre, il y a de plus en plus de professeurs qui ont envie de faire travailler sur instruments modernes le répertoire baroque à leurs élèves, sauf certains encore qui ont peur que ce travail ne grignote le temps nécessaire à leur programme. Une réflexion sur la mise en place par modules sur l’année est en cours, pour ne pas voir les élèves juste avant leurs examens. C’est un travail en amont qu’il faut réaliser pour construire les réflexes stylistiques. J’ai la chance de pouvoir jouer autant sur instruments anciens que sur violoncelle moderne, ce qui me permet de faire profiter les élèves de ma technique ainsi que de mes recherches sur le répertoire baroque, les articulations, les appuis. 11 Le fonctionnement de l’évaluation est différent dans notre département de celui de l’ensemble du conservatoire pour qui les examens sont fermés au public : la musique ancienne au contraire se bat pour que les examens restent ouverts. Le département résiste à la normalisation ! Pour un élève du département de musique ancienne, cela n’a pas de sens de vouloir devenir soliste. Cette musique a été écrite pour des ensembles de musique de chambre ; l’état d’esprit n’est pas le même que pour les cordes modernes, qui doivent rentrer dans l’orchestre. La pratique de la musique ancienne demande une indépendance d’esprit, de chercher sa voie, de ne pas se conformer. Même dans les orchestres baroques parisiens, on voit une différence entre les « moutons » qui vont cachetonner et ceux qui réfléchissent. Pour moi, l’autonomie du département, c’est déjà un éloignement physique, par la disposition des salles dédiées ! Plaisanterie à part, le fait d’avoir des salles proches permet un travail en commun des classes, donner des cours communs par deux professeurs, former des binômes, pour prendre la musique de chambre dès le début comme travail fondamental. Cette autonomie permet aussi une réflexion dès le premier cycle, avec des connivences qui se créent entre les élèves du département, par exemple dans le cours de FM /instrument. On peut se poser la question du besoin de locaux propres, par exemple dans un lieu historique, ce qui amène à la réflexion de quelle place dans le conservatoire pour ce département. C’est une place qu’il faut construire sur le long terme. Par exemple, en dirigeant l’orchestre moderne de second cycle, j’ai la possibilité de connaitre plus d’instrumentistes qui auront moins d’appréhension à venir ensuite consulter les professeurs du département. Pour Marie-Noëlle Visse, professeur de flûte à bec, associer un ensemble renaissance avec la pratique vocale permet à beaucoup d’élèves du conservatoire de connaitre cette musique et de faire des liens entre danse et musique, par cette musique basée sur des danses, et entre le chant et la danse. Ce système permet d’approcher un nouveau public sur le long terme ». 12 II Autonomie du département de musique ancienne : Enjeux et limites 1- Avantages d'un fonctionnement en autonomie Envisager un fonctionnement du département de musique ancienne centré sur ses activités intrinsèques va permettre aux élèves de pouvoir bénéficier d’un enseignement spécialisé, nécessaire à la formation complète du musicien au contact de ses pairs. En mettant l’accent sur des notions d’esthétique, d’organologie, de répertoire spécifique, le département va mener à bien la mission qui lui est confiée. Participer à un consort baroque va donner à l’élève la possibilité, par la pratique d’ensemble, de ne pas rester cantonné à son instrument mais de découvrir les ressources que lui offriront ses partenaires vocaux ou instrumentaux. La recherche d’une authenticité à reconquérir. Le mouvement baroque a eu comme quête constante la recherche de l’authenticité musicale : authenticité dans la lecture des traités et des manuscrits ainsi que dans l’utilisation des instruments anciens que l’on a redécouverts. Après un siècle d’orchestre symphonique qui n’a cessé de prendre de l’ampleur tant au plan de l’effectif que de la masse sonore qui va de pair, avec de plus en plus de chefs d’orchestres interchangeables pour arriver à des interprétations assez semblables, ces nouveaux musiciens baroques ont donné une possibilité nouvelle et personnelle d’envisager le pan du répertoire que représente la musique ancienne et baroque à travers des interprétations qui, si elles contrastaient violemment avec les canons en cours auparavant, donnaient au musicien le double statut : chercheur et interprète. La musique ancienne telle qu’on l’entend dans ce sujet, requiert un certain rapport à un répertoire passé, dans une démarche historique qui permet au musicien de trouver des voies d’accès. Elle permet aussi la construction ou même la reconstruction d’un rapport entre le corps du musicien, par ses différents sens de perception et de compréhension, et des objets inertes que représentent ces sources exigeant la présence vivante de l’interprète pour avoir l’opportunité d’exister. 13 Cette construction ne doit pas omettre le paramètre fondamental qu’est l’espace demeurant dans la séparation temporelle qui nous éloigne de l’objet. L’étude de ces répertoires anciens a commencé bien avant la naissance du mouvement baroque. Dès la fin du XIXème siècle des sociétés musicales se sont formées pour faire renaitre ce répertoire mais pas toujours avec un souci d’authenticité ; Louis Diémer, rejouant sur instruments d’époques a œuvré pour la réédition de musiques du XIIIème siècle pour le clavier mais en se permettant des « modifications » substantielles afin de les adapter au piano, avec des nuances et de nouveaux phrasés, jusqu’à l’ajout de notes, partant du principe que ces partitions d’époque comportaient des erreurs ou des manques. La querelle stylistique des Anciens et des Modernes a eu l’avantage de mettre l’accent sur la manière d’interpréter cette musique. Philippe Beaussant l’illustre de façon humoristique et assez réelle : « Le fanatisme de quelques-uns, le scepticisme de quelques autres, la rage et l’invective, l’apostrophe et l’injure s’échangeront toujours. Désordre, cacophonie d’argumentations qui se croisent et ne se rencontrent jamais, car les unes relèvent de la théorie, les autres de l’histoire, certaines ne sont que techniques et passent à coté de celles qui relèvent du goût auxquelles elles croient répondre ; il en est qui ne tiennent qu’aux préjugés, aux habitudes, mais des habitudes si fortes qu’elles ont statut de croyances ; les unes sont de fond, les autres de circonstance et de superficie, d’humeur, parfois de fièvre et d’entêtement »4. Plus que le désir d’imiter le passé, nous devons par notre rôle pédagogique, permettre à l’élève de prendre conscience de cette façon moderne que nous avons d’aborder la musique pour mieux servir ses exigences stylistiques. Par l’approche de l’articulation, de l’inégalité, des ports de voix, de l’ornementation, du rapport constant aux sources, il s’agit de créer un va-et-vient ininterrompu entre le passé et notre vécu. L’authenticité recherchée passe par une remise en question constante de la confrontation d’éléments du passé et du présent nous permettant la restitution de cette musique aujourd’hui, afin de ne pas tomber dans un nouveau dogme remplaçant l’ancien. Nikolaus Harnoncourt, dans le discours musical, précise qu’il y a deux façons d’aborder la musique ancienne : « l’une la transpose au présent, l’autre essaie de la voir avec les yeux de l’époque où elle est née. La première est le plus naturelle et la plus courante à toutes les époques où il existe 4 Philippe BEAUSSANT, Vous avez dit baroque, p 193 ,1988.1994, Editions Acte Sud , Arles 14 une musique contemporaine vraiment vivante»5. Harnoncourt, à propos de la deuxième conception, met l’accent sur le rôle que jouent les musiques contemporaines, essentielles pour entretenir un équilibre nécessaire à l’évolution perpétuelle de la musique. L’exploration que va se voir proposer l’élève du département de musique ancienne doit être vécue comme source de joies par les nombreuses découvertes que celui-ci va réaliser en s’adonnant à l’approche de fac-similés ; une fois passée la période d’apprentissage de la basse continue, le claveciniste aura une grande satisfaction à pouvoir construire une réalisation qui, même si elle comporte des parties écrites, permet au musicien de pouvoir inventer et allier l’improvisation, tout en profitant pleinement du jeu collectif avec ses camarades. Certains départements de musique ancienne en France, par exemple dans les Conservatoires de Toulouse et de Metz, ont été créés dans un esprit d’indépendance vis à vis de l’institution (même si depuis quelques années ils sont rentrés dans le fonctionnement habituel du conservatoire). Au lieu de fonctionner comme les autres départements sur une répartition des cours par semaine de façon classique, ils étaient articulés sur des week-ends de stage mensuel permettant à un grand nombre d’amateurs adultes de pouvoir accéder à cette spécialisation par la confrontation avec des musiciens renommés qui ont participés à l’essor de cette musique. Par exemple à Toulouse, le département est né grâce à la volonté des Sacqueboutiers de Toulouse, particulièrement Jean-Pierre Canihac et Jean-Pierre Mathieu qui ont fédéré autour de leur personne tous les passionnés de cette musique. Ce fonctionnement a permis aux musiciens de s’immerger totalement le temps de chaque stage dans la recherche du style approprié, avec le concours de spécialistes. Cette recherche de l’authenticité, fer de lance de ce mouvement, suppose pour les élèves de redécouvrir certaines notions fondamentales requises pour la compréhension et la lecture de ces musiques retrouvées. L’articulation Articuler en musique suppose de faire la distinction entre lier et détacher. Pour la musique baroque, cette notion d’articulation est fondamentale à la bonne 5 Nikolaus HARNONCOURT, Le discours musical, p14.Editions Gallimard, 1982, Paris (traduction française). 15 compréhension et restitution des œuvres. Cette musique, proche du langage, doit être abordée à la manière d’un texte littéraire où le sens à donner est primordial ; nous ne sommes pas ici encore dans une musique de couleurs, à la manière d’un peintre qui illustrerait des sentiments, mais dans un esprit de rhétorique. Le rôle du pédagogue sera ici très important quant à la compréhension de ce langage propre à cette musique afin d’éviter à l’élève de faire des contresens fâcheux ; une même notation ne prendra pas le même sens dans la musique baroque que dans la musique romantique par exemple. La relation entre les temps forts et les temps faibles, le rôle des dissonances créant un appui supplémentaire et inattendu qui donne une primauté à l’harmonie, l’absence écrite mais supposée des traits d’écriture du phrasé sont des aspects de compréhension de ce répertoire qui ne peuvent s’enseigner que par une recherche commune. Le mouvement La notion d’articulation est inhérente à la notion de mouvement. La musique baroque étant construite sur la danse, l’articulation va se poser sur l’élan créé. Cet élan va permettre les grands gestes de déplacements d’un coté et des petits gestes d’ornements de l’autre, que la musique illustrera. L’articulation autour de deux notes donnera une légèreté à la deuxième et sera ressentie comme la résolution de la première : le musicien est alors capable de prononcer son discours où l’articulation sera induite et intégrée. La danse, qui représente le fondement de la musique baroque sera supposée dans une musique instrumentale ; l’élève devra toujours avoir à l’esprit cet aspect pour aborder cette notion essentielle que représente le mouvement dans son interprétation. L’intonation. Jouer avec un tempérament mésotonique suppose pour les élèves une curiosité et un désir d’aller dans une démarche de recherche des conditions de jeu de l’époque baroque. Il n’est pas évident de quitter le tempérament égal pour former son oreille à des tempéraments inégaux, demandant au musicien une certaine souplesse et une capacité à s’adapter rapidement. Le fonctionnement en autonomie du département de musique ancienne permet cette immersion dans un univers qui n’a plus rien de commun avec le reste du conservatoire mais qui demeure essentiel à la formation du musicien baroque. L’intonation imposée depuis le XIXème siècle par le piano moderne est la base de l’enseignement 16 moderne et a conduit à laisser de côté ce qui n’est ni majeur ni mineur en donnant de l’importance à la lecture des accidents de la clé plus qu’à l’écoute des fonctions mélodiques. S’en éloigner oblige le musicien à rentrer dans de nouveaux schémas de pensées qui le relieront à la pratique de la musique ancienne, pas toujours compatibles avec la vie musicale qui l’entoure ; jouer à diapason plus bas, à 392 ou à 415 Hz, demande une pratique partagée par un instrumentarium spécialisé et adapté. Cette notion d’intonation amène le musicien a mieux comprendre le jeu des tonalités qui prennent ici tout leur sens. La couleur supposée d’un ré majeur ou d’un la mineur trouvera son sens dans la répartition des intervalles dans tel ou tel tempérament, permettant aussi une lecture symbolique que J.S. Bach, par exemple, utilisera pour créer un rapport entre nombres et religion. L’intonation est un moyen d’expression important permettant l’interprétation des musiques anciennes. Ne pas en tenir compte serait une erreur fondamentale dans la restitution de ce répertoire. On peut légitimement se poser la question de savoir si cette autonomie nécessaire au bon fonctionnement du département de musique ancienne quant aux relations entre les élèves devenant des spécialistes d’un répertoire, avec une grande connaissance de l’instrumentation baroque, peut représenter pour ces mêmes élèves un danger d’enfermement et de limitation. 2- Les risques de mise en ghetto Le département de musique ancienne, en proposant un enseignement basé sur l’étude d’un répertoire théoriquement axé sur la musique allant le plus souvent du XVI au XVIIIème siècle, peut donc aussi connaitre dans la vie du conservatoire ce que l’on appellera « une mise en ghetto ». Cette situation a pour origine plusieurs causes. Tout d’abord, le premier risque que les disciplines de ce département se referment sur elles-mêmes vient, comme pour les autres départements spécialisés, de la tentation de se retrouver entre spécialistes du même langage. Dans ces départements portés par une esthétique précise (le jazz, les musiques actuelles ou 17 musiques traditionnelles), les professeurs et leurs élèves se reconnaissent au travers de codes propres à la musique qu’ils portent et vont développer une communication qui ne sera pas obligatoirement comprise par les autres classes du conservatoire ; c’est au moment où les individus vont rentrer dans une spécialisation de plus en plus prononcée que le risque d’enfermement devient important. Arnold Schoenberg dénonçait cette spécialisation à outrance en 1940 : « Je suis l’adversaire du spécialiste. J’admets qu’une grande technique dans une matière définie n’a pu s’acquérir que par une pratique intensive, qui a difficilement permis quelques compétences dans d’autres matières, fussent-elles des matières apparentées. Mais de même qu’un médecin doit avoir étudié le corps humain dans sa totalité, de même un musicien doit avoir des connaissances qui ne se limitent pas à l’harmonie, au piano, ou à la flûte, ou à la direction d’orchestre ; on ne doit pas pouvoir dire de lui qu’il est seulement un professeur d’harmonie, ou un pianiste ou un flûtiste, ou un chef d’orchestre. S’il veut réellement mériter le nom de musicien, il doit non seulement faire montre d’une maîtrise indiscutée dans un domaine particulier, mais encore avoir des connaissances générales dans tous les domaines de son art » 6» Cette spécialisation du musicien est la suite logique du fractionnement opéré dans le fonctionnement d’un conservatoire. Pour permettre une efficacité accrue, la mise en départements trie les instruments par famille, par esthétiques afin de permettre une rationalisation de l’offre. La possibilité de rencontre entre élèves d’univers musicaux différents va se restreindre. Par exemple au Conservatoire de Nantes, les élèves de premier cycle vont partager leur espace de formation musicale avec des instrumentistes de la même famille d’instruments ou pouvant trouver une similitude permettant un travail collectif : les cuivres ensemble, les cordes d’un autre côté, les pianos avec les percussions, et les instrumentistes de musique ancienne regroupés. Cette formule a l’avantage de permettre aux professeurs d’instruments et de formation musicale d’intervenir dans le même cours pour une complémentarité gratifiante pour l’élève. Cependant, ces mêmes élèves de musique ancienne se retrouvent encore une fois « entre eux », avec peu de chance de pouvoir rencontrer un pianiste, un tromboniste ou un percussionniste. Ces cours de formation musicale, dans leur contenu, ne vont bien 6 Arnold SCHOENBERG, «Haro sur le spécialiste »,1940 issu du Style et l’Idée, Buchet-Chastel, p297 18 sûr pas se focaliser sur le seul répertoire allant du XVI au XIIIème siècle, même s’il représente le socle fédérateur. Si le conservatoire ne propose pas des modules facilitant l’ouverture vers d’autres horizons, l’élève va pouvoir passer sa scolarité dans un grand établissement sans en percevoir toutes les richesses décelables à la lecture du projet d’établissement. L’intérêt va être de déterminer si la mission du conservatoire est de former des spécialistes ou plutôt des humanistes. Sachant que seulement trois pour cent des élèves accéderont à la professionnalisation au terme de leurs études musicales, il est important de réfléchir à la manière dont le conservatoire va envisager cette offre. Quand Marion Middenway propose un atelier adultes sur deux ans dans le cadre du CRR de Nantes autour de l’apprentissage de la viole de gambe à un public déjà instrumentiste, elle permet d’ouvrir des voies essentielles à la construction de l’humain. Ce qui apparait comme un besoin secondaire représente l’essence d’une vie, par une quête incessante au moyen de la pratique artistique. On est en droit à ce titre de se demander si les conservatoires ou les écoles spécialisées qui cherchent à faire passer l’élève du statut de musicien au statut de « produit » ne se fourvoient pas, en ne prenant pas en compte la valeur universelle de la musique. Philippe Meirieu dans son article du 14 Juin 2008 nous donne sa manière d’appréhender l’individu dans toute sa singularité, en ne le réduisant pas à une étiquette que l’on serait tenté de lui apposer afin de pouvoir l’insérer dans un schéma préétablit : « Comment travailler dans les institutions dont la « classe », sous toutes ses formes, est le paradigme organisateur, sans pour autant assigner les êtres à résidence dans ces classes ? Comment avoir prise sur les individus en les affectant dans des structures capables de les prendre en charge, sans évacuer la singularité de leur histoire et la radicale improbabilité de leur destin ? 7». Par rapport à cette rigidité supposée de l’institution, A. Hennion précise : « Il est certain qu’il ne faut jamais se laisser théoriser par une institution. Il ne faut pas essayer de l’attaquer de front, mais faire bouger des petites choses pour la faire évoluer peu à peu. Les institutions ne sont jamais aussi rigides et aussi puissantes qu’elles apparaissent à ceux qui voudraient les attaquer8 ». 7 Philippe MEIRIEU, intervention du 14 Juin 2008. Colloque de la cause freudienne. Bruxelles. Antoine HENNION, Actes du colloque du CNR de Strasbourg, 12-14 Janvier 1996, p16. 8 19 Le deuxième facteur d’isolement du département de musique ancienne se situe aussi dans le fonctionnement du conservatoire. Les départements classiques, conscients des atouts de ce département, vont venir y puiser les conseils et apports spécifiques qu’ils cherchent dans ce répertoire dont ils pensent ne plus détenir les clés, en se référant à des spécialistes que seraient les professeurs de musique ancienne. Ce constat, louable en apparence, permet-il un réel échange, où permetil seulement de définir des frontières infranchissables, chacun se faisant gardien de « son » répertoire ? La vision qu’ont les musiciens classiques de leurs collègues du département de musique ancienne, même si elle évolue, porte encore les traces de la querelle des Anciens et des Modernes. Pour un professeur de violoncelle moderne, il n’est pas évident d’ouvrir sa classe à la venue de son collègue enseignant le violoncelle ancien ou, pire, la viole de gambe : ce serait comme laisser entrer le loup dans la bergerie ! La posture nécessaire d’ouverture ne peut se faire que si une réflexion et une acceptation de la réalité a été opérée. De la même façon, pour un violoniste baroque qui accepte la venue d’élèves de la classe de violon moderne en quête de savoirs spécifiques dont il dispose n’est pas non plus aisée. Il lui faudra faire preuve de patience, en ne cherchant pas à faire de prosélytisme pour permettre à l’élève de suivre son parcours personnel à son rythme, sans remises en question inutiles. Dans ce même rapprochement, l’utilisation du département de musique ancienne ne supporte pas le saupoudrage ; par exemple, l’ensemble des professeurs de violon moderne programment à l’examen de passage de cycle une sonate de Géminiani et vont demander à leurs collègues du département de musique ancienne de bien vouloir collaborer, ceci bien sûr au dernier moment. Cette expérience, louable par l’intention, va se révéler plus que néfaste. Les élèves vont avoir l’impression qu’il suffit de jouer « à la baroque » pour comprendre cette musique, les professeurs de violon classique vont rester sur une vue de la musique ancienne comme d’une musique décorative en passant à côté de ses aspects fondamentaux et les professeurs de musique ancienne vont se sentir trahis dans leur démarche ; personne n’y trouvera son compte ! Pour pouvoir programmer une action qui fonctionne, chaque partie devra se réunir afin de planifier de façon satisfaisante les modalités à mettre en place. C’est à cette seule condition que le département de musique ancienne pourra espérer sortir du ghetto où il s’enferme, où on l’enferme. 20 III Interactions : des opportunités d'échange. Sans spécialisation, le musicien ne peut acquérir l’autonomie suffisante pour pouvoir s’ouvrir au monde qui l’entoure. Cette autonomie va lui permettre d’être en possible connexion avec d’autres courants ou esthétiques musicaux qui vont nourrir sa personnalité. Par quels moyens l’institution et le pédagogue vont-ils réussir à élargir le domaine de compétences de l’élève ? Si celui-ci doit acquérir les fondements essentiels liés à son domaine d’expertise, le conservatoire peut apporter de nouvelles pistes au sein de l’établissement ainsi qu’en relation avec des structures culturelles externes pour favoriser ces opportunités d’échange, sources d’épanouissement pour l’apprenti-musicien. Dans le schéma d’orientation de 2008, ces notions d’autonomie et d’ouverture sont mises en avant, en relation avec le troisième cycle amateur : « Il poursuit trois objectifs principaux : - Apprendre à conduire de manière autonome un projet artistique personnel riche, voire ambitieux. - S’intégrer dans le champ de la pratique musicale en amateur et à y prendre des responsabilités le cas échéant. - S’orienter pour aller au-devant de nouvelles pratiques (autre esthétique, démarche d’invention,…)9 ». 1-Transversalité et pluridisciplinarité comme moyens d’ouverture. La transversalité est un mode de fonctionnement possible et souhaitable qui va permettre au département de musique ancienne de dépasser les cloisonnements existants afin d’aller vers des territoires non visités, à construire par la création de passerelles. Ces nouveaux modes de fonctionnement, par la rencontre d’esthétiques différentes, vont développer chez l’élève de nouvelles compétences en lui permettant de faire des liens entre « sa musique » et « la musique ». Il est important de rappeler que le conservatoire, s’il doit favoriser l’apprentissage de savoirs, doit donner à l’élève l’opportunité de dépasser l’espace réduit 9 Schéma d’orientation de 2008, p 7. 21 représenté par son instrument. Pour un élève de la classe d’orgue travaillant souvent seul en haut de sa tribune, s’ouvrir au jeu collectif et ne pas nécessairement se restreindre à son répertoire d’élection sera le moyen d’échapper à la monotonie et l’enfermement possibles. Il s’agit de déterminer quel musicien on veut former afin de mettre en place les dispositifs adéquats. La rencontre des arts : Au-delà de la construction nécessaire des moyens techniques de l’élève, l’institution doit lui proposer par la rencontre des différents arts l’ouverture à de nouveaux champs d’expression qui nourriront ensuite sa pratique. Par la pratique transversale mêlant la musique au théâtre, le musicien va pouvoir expérimenter une nouvelle façon de s’adresser au public. L’appropriation du texte, par le sens donné aux mots, donnera autant de poids à l’interprétation musicale. Par l’exploration de l’espace scénique, les élèves vont pouvoir appréhender la relation physique à l’autre : comment est-ce je me place par rapport à mes partenaires ? Comment est-ce que je profite de l’espace accordé pour transcender la communication ? De quelle manière vais-je faire cohabiter les communications verbales et non verbales si essentielles dans la pratique musicale collective ? Ce voyage que propose la transversalité va permettre à l’apprenant d’intégrer dans son jeu musical toutes les facettes de sa personnalité, qu’il n’aurait pas pu exploiter de manière satisfaisante s’il était resté cloisonné à son esthétique spécifique. La danse et la musique représentent des enseignements complémentaires favorisant la transversalité. Ces deux arts sont intimement liés en général, mais encore plus dans l’esthétique baroque et ancienne où les deux arts étaient indissociables. La pratique de la danse pour un musicien lui donnera une conscience de son corps et de l’espace, au même titre que la pratique du théâtre. A propos de cette relation entre mouvement et musique, Françoise Dupuy écrit : « La musique et la danse ont toujours eu partie liée. La danse ne se joue-elle pas de l’espace temporel et de l’espace émotionnel des sons pour sous-tendre et faire écho de sa propre dynamique ? La musique n’est-elle pas également un art corporel, et la force d’un appui, la suspension d’un souffle, l’éclat d’un timbre ne 22 sont-ils pas soumis à l’intelligence du corps ? Plus encore, la résonnance physique que la danse donne à la musique ne les projette-elles pas toutes les deux dans une dimension qui n’appartient, en propre, ni à l’une ni à l’autre, mais à toutes les deux indissolublement ? Dès lors que la création exige la présence conjointe de la danse et de la musique, l’apprentissage de ces dernières ne peut se faire séparément10 ». Par la pratique du jazz et des musiques improvisées, l’élève issu du baroque va pouvoir faire le lien entre improvisation et diminution, chiffrage américain et basse chiffrée du continuo et s’adonner à un nouveau langage, de nouvelles manières d’aborder l’harmonie. Cette liberté possible sera un atout dans l’interprétation future de la musique ancienne ; on peut le remarquer dans les interprétations de Philippe Jaroussky, contre-ténor et l’ensemble Arppégiata de la harpiste Christina Pluhar, où les chaconnes endiablées sont propices à des envolées « jazzy ». Cette notion d’improvisation était très présente à l’époque baroque, où l’instrumentation ainsi que l’ornementation n’étaient pas fixées de manière définitive par les compositeurs, mais laissées « au bon goût » de l’interprète. La possibilité donnée d’improviser dans les cadences va permettre à l’élève d’inventer et de pouvoir solliciter son imaginaire à la manière des solos dans le jazz. La musique ancienne va se trouver enrichie par le croisement des esthétiques. Favoriser par exemple le jeu musical entre un claveciniste et un guitariste basse permettra de trouver beaucoup de points de rencontre inattendus mais si évidents. Le rapport de l’élève à l’organologie me semble aussi essentiel dans son parcours pédagogique. Le Conservatoire de Toulon propose par exemple aux élèves de la classe de clavecin un « cursus atelier » qui comprend l’histoire de l’instrument, l’approches des différents styles jusqu’à la décoration, l’étude du fonctionnement ainsi que les savoirs faire nécessaires à l’entretien, des réglages à l’accord dans les différents tempéraments. Cet atelier, dirigé par Rémi Leblanc, professeur de clavecin mais aussi facteurs d’orgues et de clavecins, a permis la construction commune d’un tympanon, chaque élève ayant fabriqué certaines pièces et monté des cordes. Cet atelier va pouvoir allier la recherche de spécialisation et l’esprit 10 Françoise DUPUY. Une danse à l’œuvre. Editions Centre de recherche de la Danse.1987 .Paris. 23 d’ouverture de l’élève en sollicitant sa curiosité. Cette rencontre entre interprètes et luthiers, en étant proposée au conservatoire dans son ensemble, permet au département de musique ancienne de proposer à tous une nouvelle façon d’aborder ce répertoire par une démystification nécessaire. Chaque élève, qu’il soit spécialiste ou issu d’une esthétique éloignée peut créer des liens avec sa pratique : un guitariste jouant du rock pourra très bien trouver des points communs ou des conseils, et par cela s’intéresser à une nouvelle pratique musicale qu’il n’aurait auparavant pas envisagé. L’enseignement par modules : Le conservatoire de Montbéliard propose une organisation de l’enseignement par modules. Ces modules, rattachés aux valeurs fondamentales de l’enseignement, donnent à l’élève la possibilité de créer un parcours qui lui est personnel, au gré de ses goûts et de ses envies. Suivi par un tuteur permettant de conserver une cohérence quant à la répartition des modules en fonction des différents domaines de compétences, l’élève va trouver une grande possibilité d’ouverture et pourra s’adonner à la pratique d’esthétiques assez éloignées de son esthétique. Pour le département de musique ancienne, le rapprochement avec les musiques orientales va permettre de créer des liens assez inattendus et pourtant sous-jacents à la construction de ces musiques. Les notions d’échelles utilisées dans la musique orientale vont venir en résonnance avec l’utilisation des différents tempéraments inégaux utilisés et la manière d’envisager les intervalles en musique ancienne. De même, le partage possible entre musiques traditionnelles et musique ancienne pourra trouver des points de rencontre et favoriser une expression commune. Pour exemple, le travail de coopération entre Erik Marchand, chanteur breton sensible aux manières d’aborder la modalité dans les différents territoires de Bretagne, avec les musiciens baroques de l’ensemble Aria Voce dirigés par Philippe Le Corf a permis une rencontre insolite autour de musiques partagées, rentrant en osmose l’une avec l’autre. Cette rencontre musicale peut très bien être envisagée au sein du conservatoire afin de pallier au corporatisme possible de chaque département en favorisant l’ouverture et l’échange, par l’apport du chant qui pourra fédérer les différents départements et inclure les cours de formation musicale dans le dispositif. 24 2- Rayonnement du département de musique ancienne au sein du conservatoire. « Dans cette idée de départementalisation, la musique ancienne représenterait l’outre-mer des conservatoires ! C’est cet outre-mer qui devrait pouvoir nous modifier. Cette question va bien au delà de la musique ancienne, elle pose la question même de la musique dans les conservatoires, la manière d’aborder la distance avec la musique. On ne peut plus « faire de la musique classique » sans se poser des questions sur le rapport au répertoire, à l’histoire, à l’histoire de la pensée, à l’organologie, à la lutherie…Cette réflexion est indispensable et l’intérêt de la musique ancienne est d’amener cette réflexion indépendamment du cursus et de la technicité. »11 L'existence du département de musique ancienne est une source de richesse dont peuvent et doivent bénéficier les autres départements, qu’ils soient issus des pratiques de la musique classique ou des départements « spécifiques ». Il va permettre aux élèves de compléter leurs connaissances sur plusieurs aspects : -La connaissance d'un répertoire beaucoup plus important, en suscitant leur curiosité et leur démarche par une recherche constante de compositeurs moins connus ou inconnus. Les élèves pourront alors avoir conscience des styles différents suivant les époques et par cela affiner leur goût. Le réservoir de compétences que représente l’équipe pédagogique du département de musique ancienne doit devenir un moteur pour le conservatoire. Ce département est celui qui est le plus basé sur une recherche constante d’un style : le département cordes va apprendre par exemple à savoir jouer du violon ; le département de musique ancienne va étudier la notion de rhétorique et ne pas rester sur l’apprentissage exclusif d’un instrument. Les élèves du conservatoire travaillant sur instruments modernes vont pouvoir consulter des spécialistes de ce répertoire et intégrer les paramètres propres à cette esthétique. -Pour la classe de piano, l'existence d'une classe de clavecin sera l'opportunité pour les élèves pianistes de mieux appréhender le répertoire baroque. Ce 11 J MERLET, Actes du colloque du CNR de Strasbourg, 12/14 Janvier1996,p15 25 répertoire n'a jamais été abandonné par les pianistes mais avec l'apparition du mouvement de musique ancienne, ces derniers se sont sentis dépossédés d'une légitimité à l'interpréter. Dans le courant du XXème siècle, les interprètes comme Marcelle Meyer, remise à l'honneur par Alexandre Tharaud, n'ont pas hésité à interpréter dans la première partie du siècle les œuvres de Rameau ou Couperin, sans ressentir une absence de légitimité. La recherche d'un style conforme aux canons baroques va pousser les clavecinistes à imposer une façon d'interpréter liée à la connaissance de l’instrument, par un toucher différent du piano, l'absence de pédales et donc la recherche du legato à travers des doigtés appropriés et l'utilisation du surlié. Les traités de l’époque vont devenir une base pour cette compréhension. Dans son essai sur la vraie manière de jouer les instruments à clavier, Carl Philipp Emanuel Bach propose à l’instrumentiste ses réflexions théoriques basées sur son expérience de claviériste et compositeur dont peuvent bénéficier les pianistes. Par exemple, au sujet du clavicorde, il précise : « Pour bien faire, celui qui joue d’instruments à clavier devrait posséder à la fois un bon clavecin et un bon clavicorde, afin de pouvoir jouer toutes sortes de pièces alternativement sur les deux instruments. Il faut donc utiliser le clavicorde pour apprendre la bonne exécution, et le clavecin pour acquérir la force qui convient dans les doigts. Si on ne joue que du clavicorde, on rencontrera de grandes difficultés en passant au clavecin. On jouera péniblement les pièces pour clavier qui ont un accompagnement d’autres instruments et qui doivent donc être jouées sur le clavecin en raison du son faible du clavicorde ; ce qui demande trop d’effort ne saurait produire l’effet qu’il faut. On s’habitue bien trop à jouer sur le clavicorde, à caresser les touches, ce qui ne permet pas toujours de rendre les détails, car on ne donne pas une pression suffisante pour actionner les sautereaux. Si on joue exclusivement du clavecin, on s’habitue à jouer avec une seule couleur, et ces différences de toucher, que seul un bon joueur de clavicorde peut exprimer sur le clavecin, resteront cachées, si curieux que cela puisse paraître12 ». Certaines classes de clavecin sont couplées avec la classe de piano. Au Conservatoire d’Ajaccio, Catherine Zimmer utilise sa double compétence de claveciniste et de pianiste pour permettre à ses élèves ne pas poser de frontière entre les différents instruments à clavier. Grâce à des projets innovants, elle 12 Carl Philipp Emanuel BACH. Essai sur la vraie manière de jouer les instruments à clavier.1753. Par.15.Editions Jean- Claude LATTES. Paris. 1979 26 permet des temps de rencontre pour tous ses claviéristes, qui iront de l’initiation à l’orgue baroque jusqu’à la pratique de la musique contemporaine. Elle essaye au maximum d’abolir les clivages et permet un parcours diversifié et enrichissant à ses élèves. Par l’organisation de classes de maitre, elle permet au conservatoire de pouvoir s’ouvrir à la compétence de spécialistes, en s’adressant à un public hétérogène. La connaissance des instruments et de leur fonctionnement : pour le violoniste classique par exemple, lui permettre d'approcher un instrument plus ancien que le sien lui donnera une nouvelle vision de sa façon de jouer. La façon de poser l’instrument va différer, l’utilisation d’un archet baroque va supposer de nouveaux appuis. Certains conservatoires supérieurs américains ont à ce titre inclus dans leur cursus une année obligatoire en classe de violon baroque pour les violonistes classiques. Les flûtistes jouant sur flûte Boëhm pourront aussi s’intéresser à la flûte à une clé pour laquelle une grande partie de leur répertoire a été écrit. Certains effets demandés par les compositeurs de l’époque baroque sont impossibles à réaliser sur la flûte moderne comme par exemple le flattement, ornement expressif consistant à moduler légèrement une note en bouchant plus ou moins la perce de la flûte à une clé. Connaitre ce moyen d’expression permettra au flûtiste moderne de mieux envisager son interprétation du répertoire baroque. Pour les élèves pianistes, mais aussi pour les élèves harpistes, organistes, guitaristes, la possibilité de travailler en classe de musique ancienne la basse continue sera pour eux l’occasion de découvrir une nouvelle pratique leur permettant d’aborder l’harmonisation, par la réalisation des chiffrages sur la ligne de basse. Nous pouvons citer Michel Lambert à propos de sa vision, en 1707 de l’utilisation de la basse continue : « L’Accompagnement est l’art de jouer de la Basse Continue sur le clavecin, ou sur quelque autre instrument. On l’appelle Accompagnement, parce qu’en jouant la basse, on y doit joindre Parties, pour former des accords et de l’harmonie. Ces parties s’ajoutent suivant certains principes et certaines règles. On ne peut y entendre les principes de l’Accompagnement, sans avoir auparavant une idée distincte de la nature de la musique. L’Accompagnement est fait pour seconder la voix, et non pas l’étouffer 27 ou la défigurer d’un mauvais carillon13 ». Par les différentes possibilités de réalisation, le pianiste pourra entrevoir un espace de liberté favorisant la démarche cognitive : au travers de l’écoute du dessus, il va moduler sa réalisation et s’adapter au contexte dont il fait partie intégrante. De pianiste jouant en soliste le plus souvent, il va ici faire corps avec le violoncelle ou la viole de gambe et va rester à l’écoute des instruments de dessus. Il va pouvoir solliciter en lui les notions d’écoute musicale et humaine, l’imagination et l’esprit critique dans le respect des règles demandé par pratique collective. Le dialogue qu’il va établir avec les dessus au travers de sa réalisation va lui permettre de passer de la théorie à un instant musical se rapprochant du geste compositionnel ; l’élève ne joue plus les notes du compositeur mais y appose les siennes, en pouvant relativiser l’importance qu’il donnera à la « fausse note » quand il reviendra à son instrument, en privilégiant la démarche interprétative. Objet de recherche et d’expression artistique, la basse continue apparaît comme la matière privilégiée pour favoriser un décloisonnement entre différents enseignements en demandant à l’enseignant souplesse et adaptabilité. -Le département de musique ancienne pourra proposer à tous les instrumentistes et chanteurs du conservatoire des ateliers autour de la pratique de la danse baroque accompagnés par les élèves instrumentistes du département, afin que chaque musicien découvre les atouts de la pratique chorégraphique. Le musicien va mieux comprendre l’importance d’une respiration entre deux phrases, le tempo juste à adopter pour telle ou telle danse ; une sarabande qui sera dansée pourra mettre en évidence la possibilité d’un tempo approprié qui n’aurait pas pu être évalué de manière satisfaisante par la seule interprétation musicale ; une gigue pas assez articulée, où le phrasé ne coule pas retrouvera sa justesse dans la pratique. Les participants à cet atelier pourront aborder de manière concrète les différents aspects de la relation entre musique et danse baroque : la rythmique des pas de base, le tempo, le phrasé, le caractère et les accentuations propres à chaque danse. L’intérêt pour les musiciens de l’atelier, en tant qu’accompagnateurs, sera de pouvoir comprendre les mouvements de la danse et d’intégrer cette expérience dans leurs interprétations. 13 Michel LAMBERT, Nouveau traité de l’Accompagnement, Ballard , Paris , 1707, fac-similé Minkoff, Genève,1972, p58 28 L’initiation à la sémantique propre à la musique baroque va se révéler à tous les publics du conservatoire désireux de se familiariser à cette esthétique : comment réaliser un mordant, un pincé, un port de voix tout en les intégrant directement à l’interprétation, comment moduler le vibrato, régler les équilibres nécessaires ? Ces questions trouveront des réponses dans les échanges avec les différentes classes du conservatoire et permettront au département de musique ancienne de tenir le rôle de référant par son rayonnement. 29 CONCLUSION Pour pouvoir mener à bien sa mission, le département de musique ancienne doit former l’élève dans un souci de spécialisation nécessaire à faire de lui un musicien compétent. Nous avons pu observer que cette exigence peut diriger ce département à se couper de la vie du conservatoire. Or si la musique ancienne est consignée dans « son département », elle doit mettre en œuvre les dispositifs lui permettant de trouver son épanouissement en mobilisant l’ensemble de la structure par des projets innovants et fédérateurs pour garantir l’ouverture nécessaire à l’échange. En tant qu’enseignant en musique ancienne, je dois pouvoir proposer une liberté et une nouvelle manière d’aborder le répertoire, sinon les répertoires par la transversalité. Les chemins à inventer sont autant de chances pour le conservatoire de pouvoir, petit à petit, évoluer et répondre au besoin d’ouverture de chaque individu. Décloisonner, oui mais tout en gardant à l’esprit que si des départements existent dans les conservatoires, leur légitimité réside dans la recherche d’une vue commune, afin de faciliter l’enseignement spécifique d’une esthétique. Entre autonomie et ouverture, le conservatoire devra trouver les dispositifs nécessaires d’ajustement. C’est en cela que chaque élève pourra trouver son chemin, sa musique. « La musique, c’est l’art de la médiation. Il n’y a jamais de musique en face de nous, il y a un interprète, un instrument, une partition. Il faut se mettre ensemble pour construire la musique à partir de ça ».14 14 Antoine HENNION, Actes du colloque du CNR de Strasbourg, 12-14 Janvier 1996, p 174. 30 BIBLIOGRAPHIE - Nikolaus HARNONCOURT, Le discours musical, Editions Gallimard, 1984. (traduction française). - Nikolaus HARNONCOURT, Le dialogue musical, Editions Arcades Gallimard, 1985. - Philippe BEAUSSANT, Vous avez dit baroque ?, Essai, Editions Acte Sud, 1994. - Actes du Colloque du CNR de Strasbourg, Musiques anciennes aujourd’hui, quels enseignements pour demain ?, Editions Conservatoire de Strasbourg, 1214Janvier1996. - Françoise DUPUY, Une danse à l’œuvre, Editions Centre de recherche de la Danse, 1987, Paris. . - Michel LAMBERT, Nouveau traité de l’Accompagnement,. Ballard, Paris, 1707, Fac-similé Minkoff, Genève.1972. - Arnold SCHOENBERG, Le Style et l’Idée, Buchet-Chastel, p297. - Carl Philipp Emanuel BACH, Essai sur la vraie manière de jouer les instruments à clavier, 1757, .Editions Jean-Claude LATTES, Paris. 1979. - Schéma d’orientation de 2008. - Sites consultés : www.meirieu.co , site de Philippe Meirieu. /www.clavecin-en-france.org 31 ANNEXE Récit d’une création d’un département de musique ancienne (Extrait du site « Clavecin en France »). Ce texte propose de retracer la création d’une classe de clavecin et d’un département de musique ancienne au CNR de Bayonne-Côte Basque. Il est la transcription d’une intervention orale, lors de la première assemblée générale de CLEF en mai 2004. On excusera l’emploi de la première personne, ce récit étant avant tout une expérience personnelle. Situation et environnement La ville de Bayonne est située dans le département des Pyrénées-Atlantiques, dont elle est une souspréfecture, Pau étant la préfecture, à 100 km. Elle est « collée » aux villes de Biarritz et d’Anglet, ces trois villes forment une agglomération (le B.A.B.) d’à peu près 120 000 habitants. Elle se trouve à 200 km au sud de Bordeaux, à 280 km à l’ouest de Toulouse, la frontière espagnole est à 25 km, Saint-Sébastien à 40 km. Pour la présentation du CNR, je cite le site Internet de la communauté d’agglomération (agglo-bab.com) : « En 1999, le Ministère de la Culture et de la Communication décide le reclassement de l’Ecole Nationale de Musique créée en 1884 en " Conservatoire National de Région Bayonne Côte Basque ", le projetant ainsi parmi les plus importants établissements d’enseignement musical spécialisé français, ce qui couronne 120 années dédiées à la qualité artistique. Le Conservatoire National de Région Bayonne Côte Basque est constitué en un syndicat mixte réunissant la Communauté d’Agglomération de Bayonne Anglet Biarritz et les villes de Biarritz, Hendaye et Saint-Jean de Luz. Cette structure fonctionne avec quatre sites localisés à Bayonne, Biarritz, Hendaye et Saint Jean de Luz pour garantir une proximité auprès de 1 700 élèves répartis sur la côte Basque. Les enseignants interviennent indifféremment sur chacun des sites. Le site de Bayonne est toutefois le pôle principal et regroupe l’essentiel des services administratifs ainsi que la bibliothèque. Il héberge également l’orchestre Bayonne côte Basque. » Ainsi en 1999, le Conservatoire créait 3 nouveaux postes d’enseignement accompagnant le passage en CNR : le tuba, l’électro-acoustique et la musique ancienne. Organiste et claveciniste de formation, j’ai été recruté à 25 ans dans ce cadre, l’intitulé du poste étant : clavecin/musique ancienne. J’avais donc une double mission : créer une classe de clavecin et développer la musique ancienne dans l’établissement (cours d’ensemble, actions diverses, susciter la création d’autres postes). Etat des lieux en 1999 A mon arrivée, la situation était à la fois difficile... et favorable. En effet, le clavecin et la musique ancienne étaient quasi inexistants au CNR et, de ce fait, les a- priori également (négatifs ou positifs). Je me permets d’insister sur ce point car cela serait se voiler la face que de penser que la méconnaissance, voire le mépris des pratiques sur instruments anciens n’existent plus aujourd’hui dans les CNR et le monde musical. De mon côté, les blocages complets étaient (et sont encore aujourd’hui) très minoritaires, et liés essentiellement à des personnes spécialement fermées. Toutefois, le rejet total de 2 ou 3 collègues n’est pas un frein au bon fonctionnement des classes de musique ancienne. 32 Au niveau instrumental, je ne partais pas de zéro, car le CNR possédait un grand clavecin franco flamand à deux claviers (F’’’-f’, 2x8’,1x4’) de Reinhardt Von Nagel, acheté par l’orchestre en 1990, en très bon état car ne servant que pour cet usage. Deux vénérables clavecins de série des années 1960 complétaient la collection. A mon arrivée, il y avait tout de suite un budget accordé pour un deuxième instrument, et nous avons décidé de commander un orgue positif (Q. Blumenroeder, Bourdon 8, Principal 4), instrument inexistant dans la région, privilégiant ainsi la musique d’ensemble, en attendant que les jeunes clavecinistes grandissent. Ce ne fut pas un mauvais calcul. Le travail pouvait commencer dès la rentrée, grâce aux précieuses « portes ouvertes ». Anticipant la création de la classe, quelques enfants s’étaient inscrits et ont été de fait les premiers clavecinistes de la région. Certains sont encore là aujourd’hui et sont pour la plupart en fin de deuxième cycle. D’autre part, le CNR étant ouvert aux pratiques amateurs, la classe a pu fédérer, modestement, les passionnés de la région. Il s’agissait principalement de flûtistes à bec, mais aussi d’un gambiste et d’une hautboïste baroque ! D’autre part, le continuo ayant bonne presse chez les jeunes pianistes, chaque année des étudiants pianistes déjà confirmés viennent s’initier aux joies de la basse continue. Choix pédagogiques Il y a une grande difficulté à se lancer dans une entreprise de développement dans une région excentrée. Mais il y a aussi une grande liberté, et celle-ci peut souvent, a contrario, rééquilibrer un certain sentiment de solitude. L’absence d’instruments et de musiciens professionnels spécialisés dans la région pouvait angoisser, mais c’était en même temps un contrat de départ. Je m’étais néanmoins fixé quelques objectifs précis sur les années qui allaient suivre, comme l’arrivée de collègues par exemple. Le principal défi allait être le suivant : comment convaincre de l’intérêt de la pratique des instruments anciens en général et du clavecin en particulier ? En d’autres termes, comment faire le moins de compromis possibles, tout en étant le plus ouvert possible ? Peut-être la solution était justement une sorte de grand écart permanent, nécessaire dans une telle situation. Il fallait fédérer autour de projets motivants, sans laisser penser que la musique baroque n’est qu’un vernis que l’on peut apprendre sur son instrument moderne en quelques cours, ou que le clavecin est un piano du pauvre. J’ai été aidé bien sûr grâce au soutien et à l’intérêt de beaucoup de collègues qui m’ont aidé dans toutes sortes de projets. Entres autres exemples, très vite, nous nous sommes lancés dans un Messie (pouvoir miraculeux des « tubes ») fédérant le chœur mixte du CNR, de jeunes instrumentistes avec chacun un solo, mais aussi une pianiste jouant une basse continue réalisée sur un Neupert (Dieu me pardonne). J’ai la naïveté de penser que si une jeune violoniste de 14 ans participant au projet fera 3 ans plus tard du Rosenmüller en mésotonique (avec un continuo réalisé cette fois-ci !), ce Messie n’y aura pas été pour rien. L’inverse aurait été impossible. D’autre part une disponibilité permanente allait devenir nécessaire, essayant d’être le plus possible là où il y a une demande et surtout du désir. Sans vouloir aucunement faire de l’héroïsme, je ne compte plus les nombreux transports et accords, mais aussi les interventions dans les classes de formation musicale, d’histoire de la musique, les présentations, etc.... Le travail avec mes collègues a été dans ce sens déterminant, intervenant régulièrement dans les classes quand les élèves travaillaient de la musique baroque (au violon, hautbois, mais aussi à l’accordéon ou au marimba). Des master-classes ont pu être organisées également (en théorbe par exemple, avec Eric Bellocq). Le clavecin Ce bouillonnement a finalement été très profitable au clavecin, créant de fait une visibilité et une image positive de la musique baroque au CNR. Cela a été d’autant plus simple de motiver de jeunes enfants à la pratique du clavecin mais aussi des pianistes et des organistes. Il faut être honnête : l’entrée au clavecin par la seule porte « clavier » aurait été impossible. Le clavecin n’avait pratiquement aucune image à mon arrivée ou alors pas très bonne (j’épargne les détails). N’étant 33 pas pianiste moi-même, j’avais sous-estimé l’effet d’ « aspirateur » que le piano peut avoir dans un CNR de province, et l’image du clavecin lui est souvent associée en négatif. J’en ai été le premier surpris. Heureusement, les choses changent et évoluent rapidement, grâce notamment à une réelle motivation de la direction pour renverser la vapeur sur les autres claviers face à l’antique domination du piano. Les effets peuvent être spectaculaires : depuis deux ans, 3 à 4 jeunes enfants de 7 ans s’inscrivent en clavecin chaque année, sans coercition bien sûr ! Il faut néanmoins rester prudent, pour des raisons d’effectifs, les portes d’entrée du piano restant toujours moins perméables que celles du clavecin, ce premier exerce toujours une sorte de fascination qu’il ne demande pas forcément. Ce débat est peut-être un peu trivial, et je croyais naïvement l’éviter, pensant que l’essentiel était le désir des enfants. Mais ce désir est parfois motivé par des raisons qui nous échappent. De plus, tous les clavecinistes enseignants qui ont créé une classe ont dû, à un moment ou à un autre, être confrontés à ce type de problématique. Il convient en tout cas de réfléchir à cela, le mieux étant bien sûr un aller-retour permanent entre la direction et l’enseignant. Je suis personnellement très satisfait de l’évolution sur ce sujet à Bayonne. Soutiens Quand je regarde aujourd’hui le travail accompli, il faut signaler qu’il n’a été possible que grâce à de nombreux relais. Tout d’abord, la direction a toujours soutenu et encouragé mon travail. L’amour pour la musique ancienne de Xavier Delette, directeur du CNR, a permis un développement rapide et des réalisations très motivantes. Inutile de souligner ici l’importance capitale de ce type de soutiens, les conditions de travail à ce niveau ont été parfaites. Alors directeur de l’Orchestre Bayonne Côte Basque, Mr Delette m’avait également confié deux séries de concerts, dirigés du clavecin, 2 années de suite. Cela m’a permis d’avoir un contact encore plus direct avec mes collègues, qui ont joué le jeu de s’intéresser aux acquis des pratiques historiques sur leurs instruments modernes. Je dois souligner également le soutien de l’animation, qui a permis des concerts et projets réguliers de musique ancienne, ne reculant pas parfois devant des défis de régie et d’organisation (spectacle chanté, joué et dansé en extérieur, pièce de théâtre, concert en déplacement,...). Toutes ces manifestations ont pu être réalisées grâce à toute une troupe motivée par la musique ancienne, permettant des rendez-vous réguliers et variés autour de toutes sortes de musique (4 saisons de Vivaldi mais aussi cantates du XVIIè siècle avec orgue, « première » d’une musique de scène de Lully,...). Le département Dans ce contexte, la direction a pu trouver un financement pour organiser des stages de flûte à bec en 2001 et 2002. Nous avons pu mettre sur pied 10 stages sur l’année 2001/2002, un par mois, dont deux consacrés au hautbois baroque. Ils avaient pour vocation d’encadrer les élèves déjà inscrits, des amateurs pour la plupart dont je m’occupais du mieux que je pouvais, mais aussi de présenter la flûte à bec à de jeunes enfants futurs commençants. Le succès fut total, et la classe de flûte à bec a été créée à la rentrée 2002... Et pleine à la fin du mois de septembre ! Par un hasard plus personnel, la nouvelle nommée, Marie-Laure Besson s’installait à Bayonne avec son compagnon Michele Zeoli, contrebassiste baroque et gambiste. Ce dernier assura un intérim au poste de contrebasse moderne du CNR alors vacant. L’année suivante, en 2003, 8 heures d’enseignement ont pu être allouées à la musique ancienne. Mr Zeoli assure donc des heures de cours de musique de chambre baroque pour les cordes et une initiation à la viole de gambe. Le département de musique ancienne existe ainsi officiellement depuis la rentrée 2004. J’en assure pour le moment la coordination, nous sommes donc trois enseignants, 5 ans après mon arrivée. 34 Perspectives En 2002, le CNR a inauguré un principe de « semaines », sorte de plein feux intensifs pendant une semaine sur une thématique ou un instrument (orgue, musique contemporaine,...). La musique ancienne a été à l’honneur en 2004 avec des master classes d’interprètes et pédagogues de renom (violon baroque et pianoforte avec Hélène Lacroix et Aline Zylberajch), des concerts d’élèves et de professeurs, des chefs invités préparant et dirigeant des élèves (Michel Laplénie, désormais en résidence en Aquitaine). Le programme de 2005 est de la même tenue avec entre autre, Jean-Marc Andrieu et l’orchestre de Montauban, Claire Michon, Bruno Cocset, ... En conclusion, beaucoup de choses positives sans aucun doute, mais des chantiers demeurent. Par exemple, l’accès aux instruments des élèves clavecinistes (achat, ou simplement location ou prêt) reste problématique. Nous attendons avec grande joie un nouvel instrument au CNR pour très bientôt, mais les instruments privés demeurent encore inexistants. Les raisons sont nombreuses et il n’est pas toujours évident d’agir à ces différents niveaux, mais je ne désespère pas ! Bayonne, malgré un cadre de vie très agréable, reste une ville de moyenne importance. Les cursus universitaires, même s’ils sont en développement, restent restreints. Nous souffrons souvent de l’émigration de nos élèves dès l’âge de 18 ans. Pour exemple, la faculté de musicologie la plus proche est à Bordeaux, à 200 km. Le bilan reste néanmoins très positif, il y a aujourd’hui une douzaine d’élèves de clavecin, 4 ou 5 en basse continue et de nombreux groupes. On peut estimer, toutes classes confondues, entre 50 et 60 élèves concernés hebdomadairement par la musique ancienne, hors projets ponctuels, avec chœur, trompettes et timbales ! Il reste de toute façon une donnée sur laquelle ni le département de musique ancienne ni l’administration ne peuvent agir : il faut laisser aux enfants le temps de grandir ... Sébastien Wonner 35