Le règne de l`aléatoire - Test
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Le règne de l`aléatoire - Test
Budget&Droits 223 - juillet/août 2012 EMPRUNTER 21 ouverture de crédit | en magasin et en ligne Le règne de l’aléatoire Notre enquête le démontre : les ouvertures de crédit en magasin sont accordées à la légère et à la tête du client. Les prêteurs ne remplissent pas correctement leurs devoirs d’information et de conseil. Danièle Bovy, Els Niclaes et Philippe Tomberg M oteur de notre économie et moyen de financement indispensable pour de nombreux ménages, le crédit à la consommation peut revêtir différentes formes. L’une d’entre elles, l’ouverture de crédit, s’est considérablement développée ces dernières années. De quoi s’agit-il ? D’une réserve d’argent, mise à la disposition de l’emprunteur qui peut y puiser au gré de ses besoins (ou envies ?), et rembourser à son rythme. De plus en plus de magasins et de boutiques en ligne en proposent à leurs clients, le plus souvent sous la forme d’un service complémentaire lié à la carte du magasin (carte Cora, carte Makro, Partner Card de 3 Suisses,...). Les avantages varient selon les enseignes : points fidélité supplémentaires, assurances liées aux objets achetés, prix promotionnels réservés aux titulaires de carte, utilisation de la carte dans le réseau MasterCard ou Visa, retraits en cash ou virements de liquide vers le compte bancaire du client... BD223X06_credit_4p.indd 21 NOTRE ENQUÊTE T Un scénario 100 % réaliste ■ Douze enquêteurs (aux profils variés) ont introduit au total 52 demandes d’ouverture de crédit, en magasin ou via des boutiques en ligne. Ils avaient pour instructions de répondre correctement aux questions posées et d’apporter les justificatifs demandés. ■ Chaque enquêteur a manifesté son intérêt pour un premier appareil électroménager ou hi-fi, en faisant miroiter un second achat. Ceci afin d’éviter de se voir proposer une formule de vente ou de prêt à tempérament. Les inconvénients ne manquent pourtant pas. Comme doivent le préciser les publicités, "attention : emprunter de l’argent coûte aussi de l’argent". Beaucoup d’argent en réalité. Le taux d’intérêt appliqué à ce type de crédit est généralement très élevé : jusqu’à 16 %. En outre, la limite de la réserve ne peut être dépassée sans lourdes pénalités financières. Éviter le surendettement En clair, les risques de voir le rêve se transformer en cauchemar financier sont bien réels, en particulier lorsque la "bulle d’oxygène" du crédit s’inscrit dans un budget trop serré ou mal géré. Test-Achats a toujours mis les consommateurs en garde contre les tentations offertes par les ouvertures de crédit, sas d’entrée potentiel vers le surendettement. A l’inverse, un crédit octroyé à bon escient a toutes les chances d’être remboursé régulièrement. Fort heureusement, la loi en matière de crédit à la consommation prévoit une 6/6/2012 9:01:14 AM 22 Budget&Droits 223 - juillet/août 2012 ouverture de crédit | en magasin et en ligne ■ Analyse de la situation financière de l’emprunteur. Le devoir d’investigation et d’analyse a-t-il été correctement rempli ? Dans l’idéal (mention très bon), l’employé du magasin devrait à tout le moins demander le montant des revenus, les preuves de ces revenus et le détail des charges en cours. ■ Informations données à l’emprunteur. Notre évaluation repose sur plusieurs éléments: le formulaire SECCI a-t-il bien été fourni (c’est obligatoire) ? Le taux d’intérêt a-t-il été précisé spontanément ? Le montant du crédit est-il adapté au but du crédit ? Le contrat a-t-il été parcouru avec le consommateur ? L’emprunteur a-t-il eu l’impression d’avoir reçu une explication claire ? Informations données à l'emprunteur ■ TAEG ou Taux Annuel Effectif Global. Ce taux d’intérêt intègre l’ensemble des frais obligatoires liés au crédit (frais de dossier, primes d’assurance obligatoire, etc.). Le TAEG maximum légal est actuellement de 16 % pour les ouvertures jusqu’à 1 250 €, et de 14 % au-delà et jusqu’à 5 000 €. Analyse de la situation financière de l'emprunteur ■ Ouverture de crédit. Quand un montant est indiqué, il correspond à l’ouverture de crédit qui a été effectivement octroyée. Parfois, un achat est indispensable pour obtenir le crédit. En cas de refus pour les demandes en ligne, le motif est toujours laconique: "sur la base des données du dossier". TAEG ■ Capacité de remboursement. Selon notre propre analyse, le demandeur a-t-il oui ou non une faculté de remboursement suffisante ? Profil Ouverture de crédit ■ Profil. Le profil de chaque enquêteur est décrit de manière succincte, en précisant le statut (employé, chômeur, pensionné,...) ainsi que, le cas échéant, le nombre et le genre d’autres crédits en cours : prêt hypothécaire (PH) et crédit à la consommation (CC). OUVERTURE DE CRÉDIT : EN MAGASIN CPAS, sans crédit en cours non Cora, Krëfel, Makro, Photo Hall Refusé, CPAS s.o. s.o. s.o. Chômeur, 1 CC non Carrefour 500 € 16 % C C Media Markt, Saturn Refusé, sans emploi s.o. s.o. s.o. Fnac Pas sans achat s.o. s.o. s.o. Eldi 1 000 € 15,94 % E C Saturn Refusé, sans motif s.o. s.o. s.o. Vanden Borre Pas sans achat s.o. s.o. s.o. Saturn 1 250 € 16 % C A Carrefour, Eldi, Vanden Borre Refusé, autres crédits s.o. s.o. s.o. Cora 3 000 € 14 % C D Fnac, Media Markt Pas sans achat s.o. s.o. s.o. Carrefour 1 000 € 16 % E D Fnac 3 000 € 14 % A D Makro Refusé, autres crédits s.o. s.o. s.o. Media Markt Pas sans achat s.o. s.o. s.o. Krëfel 1 000 € 15,94 % D A Media Markt, Photo Hall Refusé, revenus trop faibles s.o. s.o. s.o. Saturn Pas sans achat s.o. s.o. s.o. Krëfel 1 250 € 15,94 % D E Makro 1 250 € 16 % C B Fnac, Photo Hall Pas sans achat s.o. s.o. s.o. Cora 2 500 € 14 % C D Eldi 1 250 € 15,94 % E B Eldi 1 250 € 15,94 % E D Vanden Borre Pas sans achat s.o. s.o. s.o. Carrefour 3 000 € 13,99 % D D Krëfel, Vanden Borre Pas sans achat s.o. s.o. s.o. Cora 3 000 € 14% C D Makro 2 000 € 13,99 % C D Photo Hall 2 000 € 13,99 % D D Chômeur, sans crédit en cours Pensionné, 1 PH + 9 CC BD223X06_credit_4p.indd 22 non Pensionné, 2 CC oui Pensionné + indépendant, 2 PH + 2 CC Employé temps partiel, 2 CC Employé temps partiel, sans crédit en cours Fonctionnaire, 5 CC Indépendant, 1 CC Indépendant, 3 CC Indépendant, 1 PH + 4 CC A Très bon non oui non oui non oui non non Magasin COMMENT LIRE T LE TABLEAU Capacité de remboursement EMPRUNTER B Bon C Moyen D Médiocre E Mauvais s.o.: sans objet 6/6/2012 9:01:15 AM Budget&Droits 223 juillet/août 2012 OUVERTURE DE CRÉDIT : EN LIGNE Magasin en ligne Ouverture de crédit TAEG Analyse de la situation financière de l'emprunteur Informations données à l'emprunteur Chômeur, 1 CC Capacité de remboursement Profil non La Redoute Refusé s.o. s.o. s.o. Neckermann 1 000 € 15,94 % D C Chômeur, sans crédit en cours non 3Suisses 1 250 € 16 % D C Pensionné, 2 CC oui Neckermann 1 250 € 15,94 % D C oui Neckermann 1 250 € 15,94 % D C non La Redoute 1 250 € 16 % C C Neckermann 1 250 € 15,94 % D C Pensionné + indépendant, 2 PH + 2 CC Employé temps partiel, 2 CC Employé temps partiel, sans crédit en cours oui 3Suisses Refusé s.o. s.o. s.o. Fonctionnaire, 5 CC non La Redoute 2500 € 14 % C D Indépendant, 1 CC oui 3Suisses 1 250 € 16 % D C Indépendant, 3 CC non 3Suisses 1 250 € 16 % D C Indépendant, 1 PH + 4 CC non La Redoute Refusé s.o. s.o. s.o. A Très bon B Bon C Moyen D Médiocre E Mauvais s.o.: sans objet série de règles devant permettre de prêter de manière responsable (lire l’encadré Que dit la loi ? p.24). Ces règles sont-elles correctement appliquées dans la pratique ? Les décisions d’octroi ou de refus sont-elles prises de manière professionnelle ? Pour le savoir, nous avons mené une enquête de terrain, sur la base de scénarios suivis par des enquêteurs aux profils variés. Nous nous sommes focalisés sur les ouvertures de crédit proposées dans les magasins et dans les boutiques en ligne. Ces derniers servant en fait d’intermédiaires entre le consommateur et l’organisme de prêt (le prêteur) qui accorde ou refuse in fine l’ouverture de crédit sur la base du dossier. Décision aléatoire Au total, 48 % des demandes d’ouverture de crédit ont été acceptées, 31 % refusées, et 21% n’ont pas été envisagées, faute d’achat. Le premier constat qui s’est imposé à nous est relativement perturbant : la décision d’octroi ou de refus semble extrêmement aléatoire. Impossible de dégager des règles de conduite générale claires et cohérentes. L’on aurait pu s’attendre à ce qu’un même emprunteur pour une même demande obtienne la même réponse quel que soit le magasin où il se présente. Et bien pas du tout ! Ainsi, le refus d’examiner une demande sans achat direct ou commande ferme ne semble pas une politique de chaîne, mais est plutôt laissé à l’appréciation de chaque magasin. La décision d’octroyer le crédit est parfois prise avec une grande légèreté. Un exemple : BD223X06_credit_4p.indd 23 14 ou 16 % Le taux d’intérêt maximum autorisé varie en fonction du montant de la réserve d’argent octroyée. 23 M. X, au chômage (1 000 € de revenus) a obtenu 2 prêts, chez Carrefour et Neckermann, sur 4 demandes, alors qu’il avait déjà une autre ouverture de crédit. Plus dangereux encore : M. Y est pensionné. Avec son épouse, il déclare 2 650 € de revenus, mais ils sont déjà fortement endettés : 1 prêt hypothécaire, 3 prêts à tempérament et 6 ouvertures de crédit. Saturn lui accorde néanmoins le crédit sollicité. A noter que les boutiques en ligne octroient plus facilement des ouvertures de crédit : 75 % des demandes en ligne sont satisfaites, contre 55 % en magasin. Chez Neckermann (en ligne), nous n’avons constaté aucun refus. En revanche, tous les crédits demandés par le candidat emprunteur émargeant au CPAS ont été refusés. Logique et sain, pour une fois… Analyse assez sommaire Comment, sur le terrain, les magasins ont-ils rempli leur devoir d’analyse de la situation financière du demandeur, indispensable pour prendre une décision responsable ? Nous avons été stupéfaits de constater que les contrats sont presque toujours remplis au mépris de la vérité. Ainsi, à la question "autres charges", Carrefour note toujours "0", alors que tous les demandeurs ont entre 1 et 4 crédits en cours. Par exemple, Saturn indique"0" alors que l’enquêteur supporte déjà 9 crédits à la consommation. Et ceci est aussi le cas chez Cora, Fnac, Makro (1 sur 2) et Photo Hall. Disposer ou non d’un travail ressort comme un critère essentiel : 72 % des demandes émanant de ceux qui en ont un ont été acceptées. A l’inverse, seuls 33 % de ceux qui n’en ont pas ont obtenu satisfaction. Mme. Z travaille, certes, mais à temps partiel, et ne déclare que 650 € de revenus. Elle a déjà 1 prêt hypothécaire et 2 autres crédits à la consommation. Krëfel, La Redoute et Neckermann ont quand même accepté sa demande ! Les magasins demandent toujours le montant des rentrées financières, mais seule la FNAC désire un justificatif. Le site de Neckermann précise même que si le crédit demandé est inférieur ou égal à 1 250 €, aucun justificatif de revenus n’est nécessaire ! Ceci nous choque d’autant plus que plusieurs enquêteurs sont des indépendants, avec des revenus et des charges fluctuants. Nous considérons qu’un avertissement extrait de rôle est dans ce cas indispensable pour se faire une idée des facultés de remboursement du demandeur. Décevant encore : la question de l’existence éventuelle de retards de paiement (loyer, énergie,…) n’a été posée qu’une seule fois. LA LOI DOIT PERMETTRE DE PRÊTER AVEC RAISON… A CONDITION D’ÊTRE CORRECTEMENT APPLIQUÉE. 6/6/2012 9:01:18 AM 24 Budget&Droits 223 - juillet/août 2012 EMPRUNTER ouverture de crédit | en magasin et en ligne CRÉDIT À LA CONSOMMATION T Que dit la loi ? ■ Elle contraint le prêteur à agir de manière "responsable", en informant correctement le consommateur et en s’informant tout aussi sérieusement de la situation de ce dernier. Le candidat emprunteur est de son côté "tenu de répondre de manière exacte et complète". ■ Elle oblige le prêteur à consulter le Fichier de la Centrale des Crédits aux Particuliers de la Banque Nationale (BNB). Il connaît donc les crédits en cours du demandeur, et sait si certains sont en défaut de paiement. Il doit aussi remettre au consommateur le SECCI : un formulaire standardisé au niveau européen, qui reprend toutes les informations concernant le contrat proposé. Infos et conseils : pas terrible Quid du devoir d’information et de conseil ? Les résultats sont assez variables et semblent surtout liés à la personnalité de l’employé plus qu’à une politique de l’enseigne ou du prêteur. Bien sûr, les avantages sont amplement détaillés. Mais au sujet du taux d’intérêt, élément pourtant essentiel, seuls 6 employés sur les 16 crédits obtenus en magasin l’ont spontanément indiqué ! Autre lacune souvent observée : le manque de commentaires explicatifs spontanés concernant des clauses importantes du contrat, comme les annexes proposées (assurances diverses) ou imposées (domiciliation et cession de rémunération), qui peuvent pourtant être lourds de conséquences. Par ailleurs, la loi impose au prêteur de proposer une formule adaptée au but du crédit. Dans les 17 cas où le montant prêté atteint 1 250 € (cas le plus courant), cette exigence légale a été respectée. Ce n’est pas le cas pour les 8 fois où la somme mise à disposition grimpe même jusqu’à 3 000 €. Clairement, notre sentiment est que le montant mis à disposition dépend du revenu des demandeurs et non du but du crédit. Pour les ouvertures on line, le but du crédit n’est même pas évoqué ! ■ Elle impose "l’obligation d’information et le devoir de conseil". Le texte est clair : "demander au consommateur les renseignements exacts et complets qu’ils (les prêteurs) jugent nécessaires afin d’apprécier leur situation financière et leur faculté de remboursement". Ensuite, s’ils considèrent que le prêt peut être accordé, ils doivent "rechercher le type et le montant du crédit le mieux adapté compte tenu de la situation financière du consommateur…et du but du crédit". Comment remplir cette obligation ? En posant des questions, en demandant les justificatifs des rentrées et des charges,… Le prêteur doit pouvoir prouver qu’il a accordé le crédit en connaissance de cause. Pour être libérés de leurs crédits, nos enquêteurs y ont renoncé par lettre recommandée dans le délai légal de 14 jours. Or la plupart des organismes de prêt n’ont pas procédé immédiatement à la radiation du contrat inscrit dans le fichier de la BNB, comme la loi l’impose. Ils l’ont fait après un mois ou plus. Une sérieuse négligence ! Il faut savoir que la renonciation a un effet rétroactif; exactement comme si le crédit n’avait jamais existé. Quelques bons conseils... On l’aura compris, il serait bien imprudent de se fier uniquement aux conseils de l’employé du magasin ou du guide de la boutique en BD223X06_credit_4p.indd 24 ligne. Avant d’opter pour un achat financé par une ouverture de crédit, donnez-vous le temps de bien déterminer le montant que vous pouvez ou voulez y consacrer. Renseignez-vous ensuite sur les formules possibles et définissez minutieusement vos capacités réelles de remboursement, en fonction du budget de votre ménage. Si vous êtes confronté à des difficultés de remboursement et que vous considérez que les manquements des prêteurs en sont la cause, vous pouvez déposer plainte auprès du Service Inspection du SPF Economie qui est chargé du contrôle du respect des législations en cause. ■ T NOUS EXIGEONS Des crédits encore mieux encadrés ■ Les ouvertures de crédit sont accordées bien trop légèrement et à la tête du client. Parallèlement, les prêteurs sont très loin de remplir correctement leurs obligations d’information et de conseil. Vie privée protégée ? En magasin, le demandeur est souvent reçu au comptoir ou dans un endroit peu discret, à proximité d’autres clients. Ceci peut s’avérer gênant. En outre, certains enquêteurs ont continué ensuite à être harcelés de publicités malgré leur refus explicite. LES PRÊTEURS DEVRAIENT DAVANTAGE TENIR COMPTE DES CHARGES DE L’EMPRUNTEUR ■ Nous souhaitons que la loi belge relative au crédit à la consommation soit améliorée, par exemple : en énumérant les renseignements qui doivent au minimum être recueillis, en interdisant le démarchage dans les lieux publics, en réglementant plus clairement la publicité, ou encore en encadrant mieux les crédits accordés en magasin. ■ La Belgique dispose dans ce domaine d’une des législations les plus respectueuses du consommateur en Europe. C’est le manque de scrupules flagrants des prêteurs qui constitue le principal problème, bien davantage que les textes de loi. De là à dire que les consommateurs sont encouragés à s’endetter, il n’y a qu’un pas... que nous franchissons sans hésiter. 6/6/2012 9:01:20 AM