resistance du gonocoque aux antibiotiques
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resistance du gonocoque aux antibiotiques
RESISTANCE DU GONOCOQUE AUX ANTIBIOTIQUES APPLICATIONS PRATIQUES J.P. COULAUD* La gonococcie ou gonorrhée ou “chaude pisse” en raison des symptômes douloureux qu’elle entraîne dans les formes aigües, uréthrales ou vaginales. Epidémiologie : C’est une maladie cosmopolite mais qui semble plus fréquente dans les pays tropicaux et subtropicaux. Ainsi, l’incidence annuelle des gonocoques dépasse 3 % de la population dans la plupart des pays d’Afrique Noire, atteignant même 7 % au Kenya ; par contre, elle reste inférieure à 0,5 % dans les pays occidentaux et baisse régulièrement depuis le début des années 80. La gonococcie y est particulièrement fréquente en milieu urbain et notamment dans le milieu de la prostitution. En Afrique, elle est retrouvée chez 20 à 51 % des prostituées, à un niveau plus élevé qu’en Asie (8 à 42 %). D’une façon générale, la prévalence oscille en Afrique entre 2,5 et 14 % pour les femmes suivies dans les services de Prévention Maternelle et Infantile. Dans certains pays, le rapport est très souvent de 1 entre les hommes et les femmes présentant des symptômes, mais très souvent on ne trouve qu’une femme symptomatique pour 5 voire 10 hommes, cela favorise la propagation. Le gonocoque vit essentiellement dans les voies génitales mais peut être transmis à l’anus (contamination de voisinage chez la femme ou coït anal...) et à la cavité pharyngée (fellation...). Les symptômes : Le gonocoque se développe vite, dans les voies génitales ; la période d’incubation est très courte (2 à 6 jours en moyenne...) chez l’homme. Cela va présenter une urétrite. Les émissions d’urine sont douloureuses (“on pisse des lames de rasoir”), l’extrémité de l’urètre (méat) est rouge et sensible et laisse s’écouler une sécrétion plus ou moins purulente. Les urines sont troubles, contenant des filaments. Il n’y a pas ou très peu de fièvre. Un traitement précoce et adapté fera disparaître les symptômes en quelques heures. En son absence, il faut craindre des complications : - l’épididymite est l’atteinte d’un petit organe situé au dessus du testicule. Son atteinte peut survenir dans les jours ou semaines qui suivent l’urétrite. Elle entraîne une fièvre supérieure à 38°5, des douleurs des bourses, empêchant plus ou moins la marche et la station debout, et rendant difficile et douloureuse la palpation d’un noyau irrégulier au dessus du testicule. Le traitement doit être très prolongé (20 jours au moins). Le risque est grand de voir survenir un noyau cicatriciel interrompant la voie excrétrice du sperme. Une atteinte bilatérale (en un ou plusieurs temps) peut mener à la stérilité masculine définitive. Un noyau épididymaire bilatéral est retrouvé chez 30 % des hommes stériles. - la prostatite est moins dangereuse mais est responsable d’une atteinte prolongée avec douleurs du périnée, gêne douloureuse lors des émissions d’urines et fièvre à 38°39°. Si l’on peut faire un toucher rectal, on retrouve une prostate molle et douloureuse, plus ou moins augmentée de volume. Les moyens modernes d’investigation (échographie) ont montré qu’il existait de véritables abcès dans la prostate. Le traitement antibiotique devient difficile : peu de médicaments se concentrent suffisamment dans la prostate, et il faut les donner très longtemps (6 semaines à 3 mois) si l’on veut guérir complètement cette prostatite aigüe. Sinon, les épisodes infectieux se multiplient créant une prostatite chronique. Les récidives peuvent également être liées à l’infection chronique des petites glandes situées autour de l’urètre (glandes de Littre - glandes de Cowper) et la stérilisation de ces dernières est difficile à obtenir par les traitements généraux et les instillations locales (dans l’urètre) d’antiseptiques ou d’antibiotiques. Chez la femme, l’urètre mesure à peine 3 cm de longueur et suppure donc peu. Lors d’un examen gynécologique, le spéculum ramené d’arrière en avant sous la symphyse pubienne peut extérioriser une discrète sécrétion (massage urétral). La vaginite n’est pas fréquente et n’a pas de carac- * Directeur du Centre Collaborateur OMS/MST, Institut Fournier, Paris. Médecine d'Afrique Noire : 1991, 38 (1) 74 téristiques spécifiques. Lorsque les femmes ont des pertes (leucorrhées) un autre agent microbien est généralement responsable. De plus, l’atteinte est souvent localisée à la cavité du col utérin et la suppuration peut se confondre avec les sécrétions vaginales physiologiques. Seul l’examen gynécologique avec pose d’un spéculum peut montrer l’exocervicite avec aspect inflammatoire et secrétant de l’orifice externe du col. C’est souvent à ce niveau que le prélèvement a le plus de chance de s’avérer positif. En fait, le diagnostic est souvent fait lors d’examens bactériologiques systématiques lorsque le partenaire masculin est traité. En l’absence de traitement, ce qui est la règle, des complications peuvent s’observer : - l’abcès de la glande de Bartholin se traduit par de la fièvre supérieure à 38°5, des douleurs pulsatiles de la région vulvaire, une tuméfaction douloureuse au niveau de la grande lèvre. C’est un abcès qu’il faut inciser. - la salpingite ou annexite est généralement fébrile avec douleurs pelviennes plus ou moins franches. Il faut savoir la dépister : une fièvre supérieure à 38°, une leucorrhée, une masse douloureuse située au toucher vaginal à côté de l’utérus et, une vitesse de sédimentation des globules rouges supérieure à 15 mm pour la première heure. La gonococcie est responsable de 30 à 50 % des salpingites en Afrique. Le traitement est une urgence. - Chez la femme, et chez l’homosexuel masculin, on peut observer des atteintes pharyngées (sans symptômes spécifiques) et des atteintes rectales (douleurs au passage des selles, écoulement purulent, muqueuse rouge et inflammatoire de l’anus et du rectum) qui sont souvent méconnues et sources de dissémination. Enfin, dans les deux sexes, en cas de négligence, on peut voir des complications à distance : - des conjonctivites gonococciques (l’oeil est dans ce cas souillé par les doigts du malade) pouvant mener à la cécité et nécessitant un traitement antibiotique prolongé par voie générale. - des arthrites aigües touchant une ou surtout plusieurs articulations, voire des tendons (tendinites et ténosynovites...). Le traitement : - Les formes aigües et localisées aux organes génitaux sont très accessibles à des traitements brefs. Il peut s’agir de “traitement minute” correspondant à un traitement d’une seule journée, voire à une seule prise médicamenteuse orale ou injectable. Médecine d'Afrique Noire : 1991, 38 (1) J.P. COULAUD - Les formes pharyngées et anales nécessitent un traitement d’au moins 7 à 10 jours. - Les épididymites et les annexites réclament 20 à 30 jours, les prostatites jusqu’à 3 mois. - Le problème majeur a été l’apparition de souches de gonocoques ayant perdu leur sensibilité normale à la pénicilline. C’est un phénomène obligatoire lorsque les antibiotiques ont été largement utilisés et souvent (pour des raisons pratiques et économiques) à doses insuffisantes. C’est tout particulièrement le cas dans les pays tropicaux où l’on observe souvent des pratiques favorisant beaucoup l’éclosion de ce type de résistance. Dans le domaine des MST, il faut souligner le risque de survenue de résistance dans les pays où les prostituées et leurs clients ont la mauvaise habitude de consommer une petite dose d’antibiotique avant, après ou avant-après un rapport sexuel. La prévalence de ces souches est de 5 à 10 % en Europe, et 12 à 15 % dans certains pays d’Afrique. Plus inquiétantes sont les souches sécrétrices de pénicillinases (NGPP : Neisseria Gonorrhoeae Productrices de Pénicillinases). Connues depuis 1970 à Singapour, elles ont fait leur apparition quelques années plus tard au Nigéria, au Cameroun et en Côte d’Ivoire. Elles se sont étendues à l’ensemble des pays d’Afrique Centrale et d’Afrique de l’Ouest et de l’Est, représentant maintenant 20 à 50 % des souches de gonocoques observées actuellement en Afrique. Ces souches résistent aux différentes pénicillines. De nombreux échecs de traitements bien conduits leur sont imputables. Il est utile de connaître la situation générale de la sensibilité des souches dans la région où l’on travaille. Lorsque la prévalence des NGPP est inférieure à 1 % (situation devenue exceptionnelle en Afrique), on peut recourir à la pénicilline procaïne, l’ampicilline ou l’amoxycilline en prise unique associée à 1 gramme de probénécide. Si la prévalence est supérieure à 5 %, il faut recourir à la spectinomycine (des échecs sont de plus en plus fréquents), aux céphalosporines ou aux quinolones modernes. Dans les zones où la prévalence est comprise entre 1 et 5 %, on réservera les produits précédents pour traiter les échecs et on utilisera en première intention soit le thiamphénicol, soit la doxycycline, soit l’association ampicilline/sulbactam (prochainement mise à la disposition du corps médical).