Discours de Jacques Barrot aux Universités d`été de l`EIN

Transcription

Discours de Jacques Barrot aux Universités d`été de l`EIN
allocution de m. jacques barrot
vice-président de la commission européenne
Université d’été de l’EIN 2006
Lyon – vendredi 22 septembre 2006
« Merci, Tout d’abord, je voudrais dire combien ce réseau de l’EIN correspond à tout ce qui a été pour moi l’esprit et la méthode de la grande aventure du Parti Populaire Européen. Je pense à un autre réseau, les « nouvelles équipes internationales ». C’est très ancien. C’est en 1947. Mais à l’époque dans Lyon, qui avait été l’une des cités de la Résistance, les nouvelles équipes internationales étaient déjà le prélude du Parti Populaire Européen. Lyon est depuis toujours un lieu où l’on débat. Il y a toujours eu ici la recherche des idées nouvelles, la volonté d’une grande ouverture internationale. Et c’est cette ouverture que je célèbre ce soir. Les fondateurs de l’Union Européenne, qui sont pour la plupart ancrés dans notre tradition notre courant de pensée, celui du Parti Populaire Européen, n’étaient ni des théoriciens, ni des idéologues. Ils pratiquaient une grande ouverture d’esprit et en même temps ils étaient fidèles à des valeurs. Pour eux, la liberté ne voulait pas dire lʹirresponsabilité, la solidarité ne voulait pas dire lʹassistance. C’est dans ce courant de pensée, dans cette famille de pensée, que nous pouvons, je crois, aujourd’hui répondre le mieux aux attentes de nos opinions et de nos concitoyens. *** La grande question, c’est de savoir si l’accélération de la mondialisation signifie que l’échelon européen n’est plus pertinent. Ne pourrait‐on imaginer que chacun de nos États‐
Nations affronte ce monde multipolaire directement sans passer l’Europe ? C’est une question qui mérite débat. L’Europe peut‐elle être un acteur global, capable de réguler, d’humaniser une mondialisation qui va être bouleversée par l’émergence d’États‐continents, d’une mondialisation qui peut être économiquement et socialement sauvage ? C’est là aussi la vraie question. Vous ne vous étonnerez pas que je réponde : Oui ! L’échelon européen est plus pertinent que jamais ! Trois convictions me conduisent à cette confiance dans l’Europe. *** fondation pour l’innovation politique
137, rue de l’Université │ 75007 Paris │ Tél. : 33 (0)1 47 53 67 00 │ Fax : 33 (0)1 44 18 37 65 │ [email protected] │ www.fondapol.org
1
D’abord, je crois à la force du marché unique intégré. Je crois à ce marché unique qui nous a permis de bénéficier de standards communs. Je crois à ce marché unique qui a permis la réussite de nos grandes compagnies aériennes européennes, qui dans le vent la concurrence sont aujourd’hui les meilleures du monde. Je crois à ce marché unique qui est en train de nous permettre de réaliser ITER, GALILEO, ces grands projets technologiques portés par lʹEurope. Mais il est vrai aussi que j’aimerais que ce marché unique nous permette d’assurer une énergie plus sûre, une énergie moins chère. Si nous avions vraiment une stratégie énergétique européenne… Ce n’est malheureusement pas encore le cas. Cʹest pourquoi je crois que dans les mois qui viennent, il faut que nous activions le marché unique. Pour ma part, je vais me passionner pour les multiples applications de GALILEO, le grand projet européen de radionavigation par satellite, et je vais essayer d’y intéresser toutes les PME européennes. Il faut aussi résoudre le problème des brevets, de la propriété intellectuelle, pour démultiplier la force du marché unique. *** Deuxième conviction : la société européenne peut rester très attractive, y compris pour la jeune génération. Pourquoi ? Et bien d’abord parce que la société européenne est une société d’avant‐garde. Regardez le problème de l’environnement et nos engagements vis‐à‐vis du Protocole de Kyoto. Regardez aussi, en matière sociale, les avancées sur les conditions de travail. Nous avons aussi progressé en matière de transport. L’Europe est à l’avant‐garde. Elle offre une société harmonieuse parce qu’elle est loin de la violence collectiviste comme de la violence individualiste. Je crois que c’est cela la société européenne : trouver le juste équilibre, par exemple sur un problème aussi difficile que celui de la sécurité, qui doit être conjugué avec la préservation de l’autonomie et de la vie privée de chacun. Cette recherche dʹéquilibre, c’est aussi pour moi la capacité à aborder dans de bonnes conditions la question de l’immigration. Il faut avoir une stratégie équilibrée entre la lutte contre lʹimmigration clandestine, lʹaide au développement et la volonté dʹintégrer les immigrés légaux, pour éviter toute discrimination. C’est cela, la société harmonieuse, et vous verrez qu’elle fera que nos meilleurs jeunes, qui iront peut‐être sur le continent asiatique ou aux États‐Unis pour ouvrir leur horizon, reviendront en Europe parce que cette société est attractive. *** Et puis, et c’est ma troisième conviction, l’Europe à vocation à devenir un acteur mondial. LʹEurope est premier donateur humanitaire mondial, avec 50 milliards d’euros délivrés aux pays les plus pauvres. fondation pour l’innovation politique
137, rue de l’Université │ 75007 Paris │ Tél. : 33 (0)1 47 53 67 00 │ Fax : 33 (0)1 44 18 37 65 │ [email protected] │ www.fondapol.org
2
Et puis, je dirais que l’Europe joue le rôle, face aux crises mondiales, dʹun… transformateur électrique. Elle permet de passer de la haute tension à la basse tension. Parce que la logique des institutions européennes permet justement de passer du conflit ouvert à la discussion, au compromis. C’est un peu cela qui s’est produit cet été au Liban. C’est cela que l’Europe peut réaliser dans un Moyen‐Orient plus que jamais déchiré et dans bien d’autres régions du monde. Mais il reste vrai que lʹEurope, reste dans le domaine de la politique étrangère, ʺthe invisible manʺ… Elle influe sur le cours des événements, mais sans encore être visible. Il faut rendre plus visible notre politique étrangère européenne, avec les avancées proposées dans le Traité institutionnel. *** Voilà mes trois convictions. Je pense que l’échelon européen reste pertinent, parce qu’il y a un marché unique qui est une force, parce qu’il y a une société qui est attractive pour les jeunes générations et parce que l’Europe peut être un acteur mondial majeur, certes en partenariat avec nos amis américains, mais un acteur au plein sens du terme. Pour que lʹEurope avance, il y a trois rendez‐vous. Vous me permettrez de les évoquer très rapidement, car ils sont inéluctables. Le premier rendez‐vous, c’est le rendez‐vous institutionnel. Ne faut‐il pas ratifier le plus rapidement possible un texte centré sur les propositions majeures du traité institutionnel ? Je pense notamment à lʹextension du vote à la majorité qualifiée, au renforcement de la codécision, aux coopérations renforcées, au Ministre des affaires étrangères… Bref, nous doter d’un socle de dispositions consensuelles qui respecte le choix des parlements et des peuples qui se sont prononcés « pour ». Et puis, après les échéances de 2009, pourquoi ne pas remettre sur le chantier un autre traité fondamental ? Deuxième rendez‐vous : le rendez‐vous budgétaire. Le budget européen, c’est un budget d’investissement, c’est un budget pluriannuel. L’Europe a besoin d’investir dans la durée et dans la stabilité pour provoquer précisément l’investissement privé. Il ne faudra pas escamoter ce rendez‐vous. Il faudra vraiment que nous ayons un débat, sur les dépenses, sur les ressources. Faut‐il qu’il y ait une ressource citoyenne ? Faut‐il que les contributions des États membres soient proportionnées à la richesse de chacun ? Comment revenir à des choses simples ? Je pose la question. Le troisième rendez‐vous est le rendez‐vous politique. A l’occasion du cinquantième anniversaire du Traité de Rome, il faut retrouver l’esprit communautaire, le pragmatisme de Jean Monnet. Jean Monnet aimait à répéter qu’il « fusionne les ressources pour rassembler les peuples » fondation pour l’innovation politique
137, rue de l’Université │ 75007 Paris │ Tél. : 33 (0)1 47 53 67 00 │ Fax : 33 (0)1 44 18 37 65 │ [email protected] │ www.fondapol.org
3
Si on prend quelques exemples de cette démarche, c’est d’abord la volonté d’enraciner un intérêt commun entre l’Allemagne et le France, autour de la gestion du charbon et de l’acier. On ne s’est pas posé la question de savoir pourquoi on gérait ensemble le charbon et l’acier. On gérait ensemble. Il en est résulté une dynamique politique. L’Euro, c’est la même chose. On s’est mis à gérer une monnaie ensemble pour éviter les risques de dévaluation sauvage. Ce fut l’Euro. Et l’Euro, petit à petit, est en train de générer à son tour une stratégie économique. Et je serais tenté de dire que, pour demain, il y aura un troisième exercice qui pourrait être réussi, y compris avec nos amis britanniques, c’est l’exercice de la Défense commune, car je crois personnellement que tout est aujourd’hui en place pour que nous essayons ensemble une politique d’armement et de gestion des armements. Lorsque l’on a 23 véhicules de transport différents pour transporter des troupes, c’est du gaspillage ! Alors me direz vous, l’Europe c’est uniquement la gestion des armements pour faire des économies d’échelle et pour rattraper notre manque d’efficience. Et oui ! Au début, ça peut être ça. Et puis en y ajoutant un diagnostic, une analyse stratégique, on finit avec une diplomatie commune et une armée commune. C’est cela, la méthode Monnet : le pragmatisme. On met les ressources ensemble, on rassemble les peuples, et lʹon fait naître une politique commune. *** Je vous ai dit, à lʹheure où lʹon a tendance à trop souvent voir lʹEurope en noir, tout ce que j’avais sur le cœur. Et mon cœur est rempli dʹespoir pour la construction européenne. Je voudrais terminer en vous disant que l’Europe, c’est aussi et surtout un idéal. Cet idéal a inspiré ma vie politique. Je suis devenu un avocat de l’Europe, non pas d’une Europe mythique, mais d’une Europe réaliste, pratique, concrète. J’essaye de bâtir l’Europe de la mobilité. Qu’est‐ce que c’est, l’Europe de la mobilité ? C’est l’Europe des échanges, c’est l’Europe de la fertilisation des intelligences, c’est l’Europe de la diversité culturelle, c’est l’Europe du dialogue des civilisations, c’est l’Europe des peuples réconciliés. Cʹest pourquoi mon travail à la Commission me rend heureux. Je vais vous relire du Jean Monnet, pour terminer : « L’Europe tarde sur le chemin où elle s’est profondément engagée. Nous ne pouvons nous arrêter quand autour de nous le monde entier est en mouvement. » C’est écrit en 1967. Et puis Jean Monnet ajoute, parce qu’il n’est pas un Européen béat et fanatique, quelque chose qui fera plaisir à ceux d’entre vous qui parfois pensent que l’Europe ne doit pas nous empêcher de penser le monde : « Ai‐je assez fait comprendre que la Communauté que nous avons créée n’a pas sa fin en elle‐même. Elle n’est qu’une étape vers les formes d’organisation du monde de demain. » Oui, en construisant l’Europe, nous préparons le monde de demain pour nos enfants et nos petits‐enfants. Cʹest pour ça que ça vaut le coup ! Je vous remercie. » fondation pour l’innovation politique
137, rue de l’Université │ 75007 Paris │ Tél. : 33 (0)1 47 53 67 00 │ Fax : 33 (0)1 44 18 37 65 │ [email protected] │ www.fondapol.org
4