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Racines263_janv2015_Mise en page 1 18/12/14 17:00 Page6 RACINES. Vivre entre Sèvre et Loire | VIE LOCALE | PORTRAIT Danièle Sallenave, le don des mots La Loire coule dans ses veines. Le fleuve s’imprime à l’encre dans ses livres. La petite fille de Savennières est devenue une femme libre. Rencontre avec l’académicienne Danièle Sallenave. D anièle Sallenave, la dame de la Loire, habite aujourd’hui en plein Paris mais le fleuve n’est jamais loin. De son salon, une agréable vue sur le port de l’Arsenal, port de marchandises devenu de plaisance. De la Seine à la Loire, le cœur de l’académicienne est toujours du côté du Maine-etLoire, plus particulièrement à Savennières où elle a passé son enfance. “Cette enfance en province m’a forgée autour de trois grandes idées : l’école car mes parents étaient instituteurs, la laïcité et son respect des institutions républicaines et l’amour de la langue française.” Dans son Dictionnaire amoureux de la Loire, écrit en 2014, toute son affection transparaît : “Cette civilisation des bords de Loire a un rapport particulier à la nature. Ce sont des lieux habités depuis des générations, la transmission y est importante.” Mais la petite Danièle Sallenave ressent très vite un besoin de liberté et d’indépendance. “J’avais un désir d’échapper à un “Ma mère disait : "Pour que les enfants apprennent à lire, il faut qu’ils écrivent".” La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine | 6 | RACINES | Janvier 2015 | Racines263_janv2015_Mise en page 1 18/12/14 17:00 Page7 RACINES. Vivre entre Sèvre et Loire | certain enfermement…” Celle qui des années plus tard allait consacrer une biographie à la féministe Simone de Beauvoir reconnaît que “le carcan principal n’était pas d’être une fille. Mes parents, du fait de leur situation d’instituteurs, avaient une vraie égalité dans leur couple. Mais je voyais bien que ce n’était pas le cas de toutes les femmes autour de moi. Je pense que rien ne doit être interdit aux femmes parce qu’elles sont des femmes mais que rien ne doit leur être donné non plus parce qu’elles sont des femmes !” La lecture, le savoir, les voyages puis bientôt l’écriture seront autant de moyens pour s’affranchir. “J’ai senti très tôt qu’il était difficile d’être libre. Les études m’ont alors ouvert un monde nouveau. Et donné des armes pour me construire.” Et le parcours est brillant: École Normale Supérieure, agrégation de Lettres classiques, une thèse sous la direction de Roland Barthes… Les mots seront un terreau pour avancer, les livres aideront à grandir. La découverte de Crime et châtiment de Dostoïevski à l’âge de 13 ans et de Mémoires d’une jeune fille rangée de Simone de Beauvoir à 18ans. Quand elle parle, cette grande lectrice choisit chacun de ses mots, de sa voix reconnaissable entre mille, qui fait le bonheur des auditeurs de France Culture où elle est chroniqueuse. “Les mots ne sont rien sans la phrase” Hier, comme tous les jeudis depuis 2011, elle était à l’Académie française (qui compte seulement six femmes sur quarante Immortels), travaillant à la neuvième édition du Dictionnaire. “Nous sommes à la lettre R. Nous avons notamment débattu sur le mot Robert. L’un d’entre nous ne savait pas que le mot désigne, en argot, la poitrine d’une femme. Nous l’avons taquiné un peu !” L’écrivaine serait donc une amoureuse des mots, me direzvous ? Pas tout à fait. “Les mots ne sont rien s’ils ne sont pas associés pour former des phrases. Et écrits. Ma mère disait : "Pour que les enfants apprennent à lire, il faut qu’ils écrivent".” “ Rien ne doit être interdit aux femmes mais rien ne doit leur être donné non plus !” Danièle Sallenave, elle, a écrit dans les années 1970. Son premier livre a été publié en 1975, à 30 ans, par Jean Ristat, un ami d’Aragon. Ce dernier lui lance, après cette première publication, “Ma petite fille, vous êtes un écrivain !” .“Je n’en ai rien cru évidemment”, sourit aujourd’hui l’écrivaine qui a une trentaine d’ouvrages à son actif. “L’écriture est une façon de se mettre à distance VIE LOCALE | Des livres et des voyages Un auteur marquant. “Il y en a trop pour n’en choisir qu’un ! Alors je vais dire la poésie du XVIe siècle que j’ai relue pour écrire le Dictionnaire amoureux de la Loire. Ronsard et du Bellay, c’est tellement beau. Il faut les lire à haute voix.” Un auteur contemporain. “François-Henri Désérable, un jeune auteur qui me plaît beaucoup, né en 1987, il a écrit un premier livre sur Danton, Tu montreras ma tête au peuple et il vient de sortir un livre sur le mathématicien Évariste Galois. C’est vif ! Il arrive à saisir cette figure de génie des mathématiques.” Un voyage. “Les premiers voyages. En Allemagne à 14 ans où je suis allée voir ma correspondante. Puis en Italie, pour la découverte de ses villes d’art, et en Grèce, moi qui étais nourrie de l’Antiquité.” et de mieux comprendre les choses. C’est une expérience de conscience. De soi. Du monde. Une façon d’élargir le monde.” Elle n’en oublie pas pour autant de lire, encore et toujours. Les murs de son appartement sont d’ailleurs tapissés de livres. “L’année dernière, j’ai relu tout Balzac. Cette année, je m’attelle à Dickens. Très tôt, j’ai été hantée par la langue. C’est très mystérieux cette voix qui habite un livre.” Ces phrases qui envahissent l’esprit. Ces mots qui tournent en tête. Ces images et ces sons qui en découlent… Une fois par an, elle revient à Savennières pour y organiser un festival de littérature(1). Celle qui a enseigné de nombreuses années continue à transmettre son amour des belles lettres et son goût pour les beaux textes. De l’Académie à son son village natal, Danièle Sallenave est toujours portée par la même envie : partager ses coups de cœur et pousser des coups de gueule… Être libre en définitive, comme quand elle vous lâche que “l’Académie n’est pas utilisée au dixième de sa puissance. Il faudrait aller plus vers les jeunes et les enseignants”. Sa liberté de parole c’est sa force. Et ce n’est pas un habit corseté vert et or qui lui fera déposer les armes. Le combat, pour les femmes, ou pour l’éducation, reste à gagner et l’auteure est une battante. Delphine Blanchard (1) Le prochain aura lieu les 25, 26 et 27 septembre 2015 avec, comme invités : la journaliste Florence Aubenas, l’écrivain nazairien Patrick Deville et l’auteur Aurélien Bosc, prix de l’Académie en 2014. Bibliographie non exhaustive Dictionnaire amoureux de la Loire, Plon, 800 pages, 25 € (2014) ; Sibir. Moscou-Vladivostok, Mai-Juin 2010, Gallimard (2012) ; La vie éclaircie : Réponses à Madeleine Gobeil, Gallimard (2010) ; Castor de guerre, Gallimard (2008), sa biographie de Simone de Beauvoir ; D'amour, Gallimard (2002) ; Viol, Gallimard (1997) ; Le don des morts, Gallimard, 1991 ; Paysages de ruines avec personnages, Flammarion (1975). La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine | 7 | RACINES | Janvier 2015 |