L`empire ikea s`étend aux Centres CommerCiaux
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L`empire ikea s`étend aux Centres CommerCiaux
yann andré strates 22∑RUBRIQUE concept Les trois bâtiments de l’Outlet d’Aubonne (16 000 m2) jouxtent depuis 2007 le magasin Ikea (24 000 m2, sans le dépôt) pour former un centre commercial. l’empire ikea s’étend aux centres commerciaux magasins. Ikea ne vend pas que des étagères: depuis dix ans, le groupe gère aussi des centres commerciaux multi-enseignes, comme à Aubonne. Grâce au succès de ses magasins, il va doubler la surface de vente de ses centres, en Europe en Chine. matthieu ruf Actuels C ’est un autocollant auquel vous n’accorderez peut-être aucune attention. Un énième signal en direction de votre porte-monnaie, parmi l’avalanche d’appels à économiser qui déferle sur le quotidien des consommateurs. Pourtant, l’annonce accolée aux vitrines des enseignes qui occupent le centre Outlet d’Aubonne est tout un symbole. «10% de rabais sur présentation de la carte Ikea Family.» Rien, pourtant, dans la communication ou sur la façade du centre commercial ouvert en octobre 2007, ne laisse deviner quel rôle le géant suédois du mobilier y joue. Or la «famille» s’agrandit: les trois bâtiments d’Outlet Aubonne constituent, avec Centro Lugano Sud, le deuxième centre commercial à part entière géré par le groupe en Suisse. Non, Ikea ne vend pas que des étagères Billy: sa division immobilière loue depuis longtemps des surfaces autour de ses magasins. Mais depuis quelques années, la création d’une filiale entièrement dédiée au dévelop- pement et au management de centres en a fait un véritable deuxième business pour la société fondée par Ingvar Kamprad. Avec un objectif simple: être les leaders du marché. Comme dans les meubles. A Aubonne et Lugano. Comme la plupart des gros distributeurs, Ikea a dès l’origine acheté les terrains autour de tous ses magasins. La création de la filiale Inter Ikea Centre Group lui permet de passer de simple loueur à gestionnaire de centres. En 2009, cette branche est entrée sur le marché suisse et a repris le management des deux centres à Ikea Suisse (lire l’encadré en p. 23). Pour le consommateur, la différence entre un centre géré par Ikea et un magasin placé à côté d’un centre commercial géré par d’autres, comme c’est le cas à Lyssach (BE), peut paraître insignifiante. Avec un mammouth comme Ikea, toutefois, un tel changement a des conséquences. Pour y voir plus clair, L’Hebdo a rencontré la première Property Manager d’Inter Ikea Centre pour la Suisse, Angelika L’Hebdo 17 juin 2010 RUBRIQUE∑23 le développement fulgurant d’inter ikea centre group EUROPE Centres ouverts En développement Sièges avignon zagreb CHINE Gröschl (lire l’interview page 24). Qui nous a expliqué cette nouvelle stratégie offensive, si compréhensible qu’on se demande pourquoi elle ne s’est pas développée plus tôt… Force de frappe. Pourquoi Ikea se lance-t-elle dans la gestion de surfaces commerciales? Parce qu’elle le peut, tout simplement. Pour Nicolas Inglard, cofondateur de la société de conseil spécialisée dans le commerce imadeo, le succès du magasin de meubles donne à Ikea une «force de frappe extraordinaire. Avec une telle locomotive, l’objectif de leader du marché des centres commerciaux est réaliste et légitime.» Et le groupe s’emploie à l’atteindre. En un mois, la carte de l’Europe d’Inter Ikea Centre n’a cessé d’évoluer (voir l’infographie ci-dessus). De 24 centres déclarés ouverts au mois de mai, le groupe est passé à 28. Quant aux complexes en développement, ils ne sont pas moins de 23, en France, au Portugal, en Croatie ou encore en Chine. En les réalisant, la société doublera sa surface commerciale, qui dépasse déjà le million de mètres carrés, pour 100 millions de visiteurs en 2009. Sans 17 juin 2010 L’Hebdo wuxi compter, dans la famille élargie, les 4 centres gérés par Ikano en Scandinavie et les 12 que détient Ikea Mos, en Russie – où 2 autres sont en construction. Les marchés d’Europe de l’est, d’ex-Yougoslavie et de Chine sont particulièrement prometteurs, comme le relève Angelika Gröschl. «En 2012, nous allons ouvrir un immense centre à Zagreb, avec plus de 300 enseignes et un magasin Ikea intégré. Pour des développeurs de centres comme nous, Ikea ouvre des marchés où nous n’irions jamais seuls.» Cet enthousiasme n’étonne pas Nicolas Inglard, qui commente par une anecdote: «L’an dernier, j’étais en vacances au sud de la Croatie. Les propriétaires de la maison avaient acheté leurs meubles à Ikea Trieste: un voyage de trois jours en camionnette! Ikea dans les pays d’Europe de l’est, ça va être terrible.» «Un client potentiel.» En Suisse, l’émergence de l’acteur Ikea dans le management de complexes est plutôt bien accueillie. Thomas Graf est porte-parole du groupe Privera SA, qui gère 50 centres dans le pays, dont le Métropole 2000 à Lausanne ou le City Centre à Neuchâtel. Pour lui, le fait qu’Ikea se lance dans le domaine est une «opportunité»: «Plusieurs investisseurs se spécialisent actuellement dans les centres commerciaux, et nous pouvons prendre en charge une bonne partie d’entre eux. Peutêtre réussirons-nous aussi à proposer nos services à Ikea.» Même son de cloche chez HRS. ikea en suisse Le distributeur de meubles à bas prix est arrivé en 1973 en Suisse, à Spreitenbach (ZH). Aujourd’hui, sept magasins sont ouverts, mais deux seulement, Aubonne et Lugano, sont intégrés dans un centre commercial géré par Inter Ikea Centre. Les cinq autres sont gérés par Ikea Suisse, qui ouvrira, le 25 août prochain, une huitième enseigne, à Vernier (GE). Inter Ikea Centre Group a son siège à Copenhague depuis sa création, en 2001. Le siège pour l’Autriche, la Serbie, la Croatie et la Suisse est à Vienne. Cette entreprise, active dans différents secteurs de l’immobilier, a construit des magasins Ikea en Suisse alémanique et développé une trentaine de centres commerciaux en Suisse, dont celui du Stade de la Maladière à Neuchâtel. Thierry Müller, responsable du développement pour la Suisse romande, estime qu’Ikea a «un gros potentiel» dans cette région. «C’est un peu les meneurs: ils génèrent un tel flux de clientèle… Ce n’est pas quelque chose qui nous fait peur, au contraire: cela pourrait être un client potentiel, comme les nouveaux venus Aldi et Lidl.» Chez Coop Immobilier, Philippe Sublet reste positif. «Ce n’est pas toujours une concurrence, assure le responsable pour la Suisse des centres commerciaux. Cela peut créer une dynamique. Notre Littoral Centre, situé à côté d’Ikea qui draine une clientèle importante, fonctionne très bien en fin de semaine.» La Suisse saturée? Le gâteau semble donc assez grand pour tout le monde. C’est que le secteur, malgré une relative stagnation des chiffres d’affaires en 2009, sort d’une décennie dorée. En 2000, selon l’ins- Actuels jerez yann andré strates 24∑RUBRIQUE tandem Angelika Gröschl, property manager d’Inter Ikea Centre Group pour la Suisse, et Jean-Christophe Leboulanger, manager d’Outlet Aubonne. interview «Ouvrir un centre à côté d’un magasin Ikea nous donne un avantage compétitif fantastique» Actuels Pourquoi Ikea a-t-elle décidé de créer une filiale au lieu de continuer à gérer ses centres commerciaux? Angelika Gröschl: C’est un business complètement différent des meubles. Un deuxième secteur pour Ikea. Notre croissance est très rapide, nous avons de nombreux centres en activité. Il a donc été nécessaire de créer un groupe séparé, avec les meilleurs professionnels. Des spécialistes du management de centres commerciaux qui sont à l’écoute du marché local. Jean-Christophe Leboulanger: Etre numéro 1 des meubles n’est pas garanti à vie: si Ikea a du succès, c’est parce que notre enseigne bouge plus vite que les autres. Rien n’est acquis. Les temps sont durs, et les clients doivent avoir une bonne raison pour se déplacer. C’est donc très important de renforcer, de sécuriser les zones commerciales autour des magasins Ikea, qui se trouvent toujours en dehors des villes. La concurrence est rude: les centres commerciaux se multiplient. Quelle est la stratégie d’Ikea? AG: Le concept varie en fonction du lieu. Mais notre stratégie est d’ouvrir des centres à côté d’un magasin Ikea. C’est notre motivation principale, et cela nous donne un avantage compétitif qui est juste fantastique! Nous avons 2100 partenaires comme H&M, Zara, New Yorker, etc. Pour eux, c’est aussi un énorme avantage: qui s’aventurerait sur un nouveau marché sans savoir si cela va tourner? Mais nous savons, par expérience, que partout où Ikea s’implante, cela fonctionne automatiquement. C’est pourquoi nous allons ouvrir des centres en Serbie, en Croatie ou en Chine, où le potentiel est énorme. Et en Suisse? AG: Nous avons bien sûr des plans d’expansion, mais au stade de l’évaluation. Partout où Ikea s’installe, nous nous demanderons si y ouvrir un centre a du sens. Mais le marché, en Suisse ou en Autriche, est très saturé. JCL: A Aubonne, il y a une discussion générale autour de l’extension de la zone commerciale, le Littoral Parc. Mais en ce qui concerne l’outlet, nous avons plus ou moins atteint la masse critique de l’occupation de nos terrains. C’est dommage, mais on ne va pas pouvoir l’agrandir de façon significative. AG: C’est devenu une vraie destination de shopping. Ikea attire les clients dans un rayon de 90 minutes en voiture. Combiné au fort pouvoir d’achat et au tourisme de la région, cela en fait un lieu parfait pour un outlet.√propos recueillis par mr titut GfK, il existait 87 centres de plus de 7000 m2 dans le pays, contre 139 aujourd’hui. Ce qui représente une augmentation de la surface de vente de près de 70%. Inter Ikea Centre n’est donc qu’une adaptation logique à un monde, celui du commerce de détail, où la concentration est reine: produits, magasins, et désormais centres commerciaux se réunissent. Avec un effet pervers: la saturation des accès. Dans le canton de Neuchâtel ou sur l’arc lémanique, les autorités mettent un frein au développement de nouveaux centres. «C’est le nombre et le flux de véhicules qui détermine la faisabilité d’un centre, avant le potentiel commercial», remarque Thierry Müller. Autre effet de la saturation: pour être visible dans cette marée de voitures, il faut un concept original. Nicolas Inglard en est persuadé: «Tous les types de centres ne marchent pas». Jean-Christophe Leboulanger, chez Ikea depuis quinze ans et nouveau manager du centre Outlet d’Aubonne, le sait bien. «Entre Genève et Lausanne, je n’ai pas assez de doigts pour compter le nombre de centres commerciaux. C’est pourquoi nous voulions faire, à Aubonne, quelque chose de différent.» Le concept outlet, qui consiste à vendre des vêtements de marque 20 à 30% moins chers qu’en magasin, s’est donc imposé à cet endroit. Mais comme d’habitude chez Ikea, le chiffre d’affaires restera secret. «Jusqu’ici, ça marche bien, mais nous devons améliorer la visibilité: la plupart des gens ne sont pas conscients de ce qu’est un centre outlet.» Jusqu’à ce qu’ils décident d’aller acheter des étagères. Ce jeudi 17 juin, Angelika Gröschl expose la stratégie d’Inter Ikea Centre Group au Swiss Retail Forum, organisé par imadeo à Genève. √ L’Hebdo 17 juin 2010