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Jésus de Nazareth Comment apprit à croire? Plus une personne nous est familière, plus nous savons de choses sur elle. Plus on l’admire, plus nous essayons d’en apprendre davantage à son sujet. Mais à travers le matériau biographique, dans le texte et l’image, nous nous doutons bien que l’information est embellie ou exagérée, que les biographes veulent décrire une image très dithyrambique. Mais l’exercice s’avère particulièrement ardu si le biographe en question a vécu à des centaines d’années de son personnage! Comme dans le cas de Jésus de Nazareth. Dans la biographie de Jésus, il existe en effet un fossé énorme. Personne n’a jamais réellement enquêté sur ce que Jésus avait fait avant sa vie publique. Les anges chantèrent dans les campagnes – et dès lors une mer d’ignorance se propagea durant les 30 années suivantes. Ce que le biographe ne dit pas Quelques petites anecdotes, ça et là, ne fournissent que peu d’indications: la fuite en Egypte fait partie du mythe. A 12 ans, au cours d’un pèlerinage, le garçon médusa les adultes érudits au temple de Jérusalem. Près de 20 ans plus tard, il ❯ Historiquement, le garçon avait déjà fait des expériences spirituelles ou religieuses. fut baptisé dans le Jourdain. Là dessus, les biographes sont tous d’accord. Dans leurs récits, on décèle aussi les agendas théologiques et politiques de leur temps. Au vu de l’épisode du gamin de 12 ans dans le temple, il parait évident qu’historiquement, le garçon avait déjà fait des expériences spirituelles ou religieuses. Mais où et comment cela s’est-il produit? Il est encore difficile de le comprendre aujourd’hui. 4 frères en marche 3|2016 Education chrétienne précoce Quand j’étais enfant, le cours de religion avait lieu un après-midi de congé: on y écoutait des histoires, on faisait des prières et on chantait. Pendant les services religieux, il y avait parfois une fête pour les enfants dans la crypte. La plupart du temps, on restait assis avec les parents et on regardait les enfants plus âgés qui officiaient comme servants en observant intrigué la transformation par le Saint Esprit du pain et du vin. Avant la première communion et la confirmation, il y avait une formation spéciale. Les copines réformées se plaignaient à cause de l’obligation de service avant la confirmation. Donc, si on regarde en arrière, c’est pratiquement l’expérience vécue par la plupart des adultes en Suisse vis-à-vis de leur religion. AuPhoto: © Fotolia 84396426 jourd’hui, le système est quasiment le même dans la plupart des Eglises même s’il se présente sous une de la Torah, le Talmud avec la Mishna (en hébreu , «répétiforme plus ou moins modernisée. tion», est la première et la plus importante des sources rabbiniques Education religieuse juive A Zurich, il y a des écoles pour les obtenues par compilation écrite familles juives qui souhaitent des lois orales juives). Selon la façon maintenir consciemment la cul- dont l’école est organisée – conserture de leur foi dans leur vie quoti- vatrice ou traditionnellement oudienne et elles ne souhaitent pas verte – il existe différentes matièenvoyer leurs enfants dans une res pour les garçons et les filles. Et il y a 2000 ans? Où Jésus a-t-il école publique. Au programme figurent, outre l’habituelle étude appris sa foi? Y avait-il une instruc- Les rouleaux de la Loi: le cœur de la synagogue A la synagogue, les hommes portent la kippa comme couvre-chef. Photo: © Fotolia 94946356 Photo: © Fotolia 49533041 tion laïque ou religieuse sous la forme que nous connaissons aujourd’hui? A-t-il eu droit aux mêmes cours et rituels que les enfants juifs d’aujourd’hui à l’école? Y avait-il un rabbin qui lui a enseigné le Talmud? L’importance du temple J’ai posé la question à l’Institut de Zurich pour le Dialogue Interreligieux, «ZIID», anciennement connu telle qu’elle est vécue aujourd’hui dans ses multiples facettes, s’est développée parallèlement au christianisme au cours des 2000 dernières années. Pour les Juifs, la période du er 1 siècle de l’ère chrétienne a été critique, tant pour leur religion que pour leur identité. Avec la destruction du Temple de Jérusalem (70 après JC) une nouvelle ère commença. Auparavant, si le Temple Le Judaïsme est une religion de l'Ecrit. était le centre de la pratique religieuse, la culture juive moderne était en revanche caractérisée Avec la destruction par l’absence du Temple. Ce qui du Temple de Jérusalem a été vécu avant sa destruction commence une est enterré en grande partie sous nouvelle ère. les ruines du sanctuaire, dont il sous le nom de Zurich Beit Midrash. subsiste seulement le mur des L’expert juif Michel Bollag appar- lamentations. tient à l’Institut et supervise le Département d’études juives. Bien Education précoce de Jésus qu’il soit un éminent spécialiste, il Dans les biographies, on raconte n’a pas non plus répondu à cette généralement ce qu’un homme a question. Parce que la religion juive vécu en mettant l’accent sur les ❯ frères en marche 3|2016 5 Photos: Sarah Gaffuri Poste de contrôle à l'entrée du Mur des Lamentations. faits marquants de son existence. On peut donc supposer que les Évangiles ne se sont pas plus penchés sur la prime enfance de Jésus car elle ressemblait à celle des autres enfants de son âge et de sa culture. Michel Bollag met l’accent sur les points suivants: «En tant qu’enfant juif de son temps, Jésus respectait scrupuleusement les lois religieuses alimentaires. Il a été circoncis. Et sa vie a été rythmée par le calendrier religieux, les fêtes et les rituels.» Jésus et le sabbat Ainsi, Jésus aura également observé le sabbat – mais à ce sujet Michel Bollag relativise: «La pra- 6 frères en marche 3|2016 tique du sabbat d’aujourd’hui n’est plus comparable dans tous ses détails. Le consensus est: on ne travaille pas le jour de sabbat. Il est également important de savoir – ceci afin de clore la polémique de Jésus autour du sabbat – que, dans l’Evangile de saint Marc, il est stipulé que le sabbat doit être rompu s’il y a danger de mort.» qu’il y ait des ❯ Bien synagogues, leur rôle était équivoque. «Les synagogues servaient de lieu de rassemblement, d’enseignements, de salle de prière. Il est concevable que l’on a commencé à prier avec les rituels du temple dans les synagogues», selon Michel Bollag. Mais sa forme actuelle et tout Religions en mutation Le judaïsme d’aujourd’hui a creu- ce qui lui est associé ne s’enracine sé son berceau parallèlement au que dans la période après la deschristianisme, son ancienne forme truction du Temple. Le Bar Mitzvah ne représente que les contours ac- (ou Bat-mitzvah) qui célèbre les tuels. Avant la destruction du garçons et les filles sur le seuil de Temple il était le centre cultuel et l’âge adulte, est maintenant étroiculturel. Bien qu’il y avait des syna- tement lié à la synagogue et a son gogues, leur rôle était équivoque: importance dans la communauté juive. Les Rabbins, comme nous les connaissons aujourd’hui, ne procédaient pas encore de cette manière avec l’enfant Jésus. Petit Jésus dans le Temple Un garçon de 12 ans originaire de Nazareth qui avait surpris les docteurs dans le Temple de Jérusalem avec sa connaissance et sa compréhension: quelles informations nous rappelle une autre histoire: celle du prophète Samuel. Celui fut cependant délibérément laissé dans le temple parce que sa mère – auparavant stérile – l’avait promis à Dieu. Les couches d’un oignon L’information disponible n’est pas nécessairement la reproduction d’un fait. Que ce soit le chant des Photo: © Fotolia 76042631 Les Juifs se rendent souvent au Mur des Lamentations. livre cette anecdote? «Le pèlerinage de la famille à Jérusalem qui forme l’arrière-plan de l’histoire fait partie des traditions.» La représentation de l’enfant qui est laissé seul dans le temple, alors que sa famille rentre à la maison anges à la naissance, l’assassinat en masse d’enfants, une fuite ou un exil ou la manifestation d’un prodige dans le sanctuaire de son peuple, les couches qui composent les histoires sont aussi nombreuses que celles d’un oignon: histoire, théologie, mythologie, mystique, politique: tous cherchent et y trouvent leur place. Jésus est vraiment un enfant de son temps. Mais aussi enfant de l’ère chrétienne en ses débuts. Sarah Gaffuri frères en marche 3|2016 7