Une scie se cabre, un travailleur meurt

Transcription

Une scie se cabre, un travailleur meurt
Enquête d’accident
Une scie se cabre, un travailleur meurt
Une scie à béton se retourne contre son opérateur, lui tranchant mortellement la gorge. Le rapport de la
CSST relate le fil des événements et met en relief les causes expliquant l’inexplicable.
L
e 18 août 2006 est à marquer d’une pierre noire. Ce
jour a en effet fixé, pour
l’éternité, le sort d’un cimentierapplicateur d’expérience. Ce matinlà, l’homme de métier s’affaire à
remplacer, par des blocs de béton
préfabriqués, une bordure de trottoir abîmée dans l’arrondissement
de Charlesbourg. Le travail s’effectue
sans accroc, jusqu’à la pose du
dernier bloc.
de travail. De plus, la tâche qu’il effectuait au
moment de l’accident est considérée comme
courante au sein de l’industrie.
Ce bloc, qui permettra de joindre la
bordure existante à la nouvelle,
refuse de s’insérer correctement
dans l’espace alloué. Comme le
bloc ne repose pas sur les briques
de nivellement, le travailleur décide
d’employer sa découpeuse à disque
(scie à béton) pour pratiquer un trait
de scie afin de permettre l’imbrication
de la pièce de béton récalcitrante.
Ainsi, dans son rapport, un ingénieur du Centre
intégré de fonderie et de métallurgie (CIFM)
indique que le cabrage de la scie aurait été
causé par un glissement du bloc de gauche
alors que celui-ci est placé en serre entre les
blocs adjacents. Cette affirmation se fonde sur
la présence d’une zone de coloration indiquant
une surchauffe de l’acier sur la face droite de la
lame ainsi que sur la présence, à proximité de
cette zone, de grains de ciment et de traces
d’abrasion qui laissent deviner un important
frottement de la lame contre le bloc.
Une décision qui s’avère fatale. Le
bloc de bordure entreprend alors
une glissade rapide et coince la
section frontale de la meule diamantée. La scie à béton se cabre si
violemment que le cimentierapplicateur perd la maîtrise de
l’appareil et reçoit, en pleine gorge,
la lame en rotation. Le travailleur
est transporté d’urgence à l’hôpital,
où son décès est constaté.
Les experts se prononcent
Selon les témoignages recueillis
lors de l’enquête menée par la
CSST, le travailleur décédé cumulait plus de trente années
d’expérience. Il avait même contribué à la formation de cimentierapplicateur d’un de ses confrères
Cependant, cet accident et son issue tragique,
de même que la survenue de deux autres événements impliquant le cabrage d’une scie à
béton au cours du même été, ont poussé les
enquêteurs de la CSST à en rechercher les
causes et à émettre des recommandations
pour que le travail à la découpeuse à disque
soit plus sécuritaire.
De son côté, un ingénieur du Département de
génie mécanique de l’Université Laval s’est
penché sur les forces réactives produites par le
coincement de la lame. Les conclusions de ses
analyses lui permettent d’affirmer que la situation de coupe avec la partie frontale de la lame
est nettement plus dangereuse que celle avec
la partie inférieure de la lame. En effet, si la
lame se coince, d’intenses forces réactives
sont produites. Si bien que l’opérateur risque
de ne pouvoir retenir la scie, qui peut alors se
retourner contre lui à grande vitesse.
Causes, exigences
et recommandations
L’analyse et l’enquête de l’accident ont permis
à la CSST d’établir deux causes à l’origine de
cet accident mortel.
La méthode de travail permet le coincement de
la partie frontale de la lame : Afin de respecter
le devis de la Ville de Québec, qui limite à
3 mm l’espace acceptable entre deux bordures, le travailleur a utilisé une méthode de travail pouvant occasionner le coincement de la
lame. Comme le recommande le fabricant de
l’appareil, il convient de fixer solidement l’objet
à découper ou de le caler de telle sorte que la
coupe reste bien ouverte tout au long de
l’intervention. Lors de l’accident, le dernier bloc
à installer reposait en serre entre le bloc de
transition et la bordure existante. En insérant la
partie frontale de la lame dans le joint ainsi
formé, le dernier bloc a pu bouger et coincer la
lame. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle
est arrivé l’ingénieur du CIFM.
La violence du cabrage occasionné par le
coincement de la lame provoque la perte de
maîtrise de la découpeuse à disque par le travailleur : Dans son rapport d’expertise,
l’ingénieur de l’Université Laval démontre que
lors du coincement complet de la partie frontale
de la lame, la force de réaction développée par
la découpeuse est telle que l’opérateur doit
appliquer, d’un seul bras, une force minimale
de 130 kg en 0,1 seconde pour la contrer. La
violence du mouvement de la découpeuse
devient quasi impossible à maîtriser.
Pour éviter qu’un tel accident ne se reproduise,
la CSST recommande donc aux entreprises
utilisatrices et aux locateurs de découpeuses à
disque, d’informer les opérateurs des dangers
liés à l’utilisation de cet équipement et des
mesures pour les contrer. La Commission
recommande également aux fabricants de
découpeuses à disque de prendre connaissance du rapport, notamment en ce qui a trait
aux aspects associés au phénomène de
cabrage, et ce, en vue d’en améliorer la conception afin d’éliminer ou, à tout le moins, de diminuer
ce phénomène et ses conséquences.
Pour accéder à la version intégrale du rapport d’enquête de la CSST ou aux annexes, rendez-vous aux adresses suivantes :
http://www.centredoc.csst.qc.ca/pdf/ed003665.pdf
http://www.centredoc.csst.qc.ca/pdf/ad03665a.pdf
http://www.centredoc.csst.qc.ca/pdf/ad03665b.pdf
6 PRÉVENIR AUSSI
Volume 23, numéro 2, été 2008
Travailler en sécurité avec la découpeuse à disque
Dans la mesure du possible, éviter de
couper avec le quart supérieur du disque.
Si l’on est obligé de couper avec cette
partie du disque, il faut faire tout spécialement attention au risque de coincement
et aux forces de réaction.
Tenir fermement la découpeuse à deux
mains.
Faire extrêmement attention en reprenant
une coupe. Ne pas gauchir le disque ou
l’engager dans la coupe en frappant ou
en forçant – il risquerait de se coincer !
Toujours s’attendre à ce que, par suite
d’un déplacement de l’objet à découper
ou pour une autre raison quelconque, la
coupe se resserre et coince le disque.
Fixer solidement l’objet à découper ou le
caler de telle sorte que la coupe reste
bien ouverte au cours du travail et à la fin
du découpage.
Si le contact a lieu avec la partie frontale
du disque, le disque aura tendance à
remonter sur l’objet à découper et à sortir de la coupe (cabrage).
Si la partie avant du disque se coince,
tout spécialement dans le quart supérieur, le disque peut être brusquement
projeté vers le haut et vers l’arrière, en
décrivant un mouvement de rotation très
violent en direction de l’utilisateur – danger
de mort !
Ne pas trop se pencher vers l’avant. Ne
jamais se pencher au-dessus du dispositif de coupe, tout spécialement lorsque le
capot protecteur est relevé et si des forces de réaction risquent de se produire.
Extrait du document portant sur le travail sécuritaire avec une découpeuse à disque publié par STIHL sur leur site Internet.
PRÉVENIR AUSSI
Volume 23, numéro 2, été 2008
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