e, le Trésor e toujours

Vaud 21
24 heures | Vendredi 23 septembre 2016
Patrimoine
Enfoui à la Vallée, le Trésor
du Temps résiste toujours
Prévue pour durer
six mois, la chasse
au trésor grandeur
nature fait souffrir
les chercheurs
depuis plus
de deux ans
Le bijoutier Yannick Meylan utilise le site Athena Protect d’alerte
de la criminalité dans les commerces de détail. PATRICK MARTIN-A
«Ce n’était pas un holdup, mais des représailles»
Erwan Le Bec
La jolie montre à gousset en or de
Louis Audemars va-t-elle rejoindre
le sceptre de Dagobert, le magot
des Roumanoff et la chouette d’or
au rang des célèbres trésors à jamais disparus? Lancée en mai 2014
à la vallée de Joux, cette chasse
au trésor grandeur nature, la
première de cette échelle en
Suisse romande, épuise encore et toujours, inéluctablement, curieux et passionnés. Ils ont noirci un
nombre incalculable de carnets et alimentés des nuits durant
un forum spécialisé sur le Net. La
rumeur veut même qu’un alpage
de la Dent de Vaulion ait été criblé
de trous pendant la nuit. En vain.
Narguant les chasseurs de trésors vaudois, romands, français
et même belges, le fac-similé
de cette montre unique, estimée à
40 000 francs, reste encore enterré quelque part dans l’immense
vallée de Joux. L’opération, qui visait à valoriser de manière originale le patrimoine combier, dure
depuis près de deux ans et demi.
Or, cette série d’énigmes publiée
dans un livre écoulé à 1700 exemplaires était conçue pour résister
aux chercheurs durant six à
douze mois, tout au plus.
Beaucoup d’abandons
«Au début, je pensais que c’était
simple. Il était écrit qu’un crayon
et un peu d’astuce suffiraient», témoigne une chasseuse de trésor.
Dans ce domaine – par habitude et
surtout par souci de discrétion face
aux concurrents –, les participants
restent anonymes. «Mais finalement, je me suis rendu compte que
c’était plus difficile que ça. Je ne
sais pas à combien de crayons j’en
suis.»
Cette dynamique Vaudoise fait
partie des centaines de curieux qui
se sont lancés, pleins d’enthousiasme, dans l’aventure dès le début. Mais qui, face à la grande complexité des énigmes, à la fois cassetête d’allusions botaniques, historiques, symbologiques et
d’épreuves cryptographiques à
plusieurs degrés, ont peu à peu
abandonné.
Le niveau a-t-il été sous-estimé?
«C’est difficile, concède Vincent Jaton, directeur de l’Espace horlo-
Justice
Le procès des trois accusés
de l’attaque de la bijouterie
Meylan en août 2015
s’ouvre lundi à Vevey. Pour
Yannick Meylan, l’un des fils
de la maison, le trio n’était
pas venu pour voler
Le trésor – cette montre estimée à 40 000 francs – reste encore
enterré quelque part dans l’immense vallée de Joux. PHOTOS DR
ger. Mais n’oublions
pas la valeur de cette
montre, ce n’est pas une
petite breloque. Le travail à fournir
doit être à la hauteur.»
«Ça a démarré très fort, puis ça
s’est un peu tassé, notamment en
dehors des vacances. Aujourd’hui il
reste un noyau dur de 100 à
200 chercheurs actifs», estime Philipp Schweizer, directeur de Label
Vert, société organisatrice de la
chasse au trésor. Selon nos informations, il reste surtout aujourd’hui quelques dizaines de passionnés, presque des professionnels des chasses au trésor, qui en
sont à bout touchant. «J’ai l’impression qu’il me manque le déclic, j’en
rêve la nuit», glisse une chercheuse.
La publication d’une série d’indices est attendue pour cet
automne. Mais pas question d’être
trop direct et d’indiquer la position
du coffre d’une manière ou d’une
autre, histoire de mettre fin au suspense. Philipp Schweizer: «On ne
va pas gâcher le jeu dans une
course qui n’a pas de sens: la
chasse s’appelle le Trésor du
Temps.»
Car, pour les organisateurs, ce
jeu grandeur nature n’a rien d’un
échec. «On a clairement atteint nos
objectifs, souligne Philipp Schweizer. On ne visait pas la participation de milliers de personnes, on
n’a pas fait de campagne promotionnelle. Par contre, le bouche à
oreille a fonctionné.» Entre Label
Vert, l’Espace Horloger du Sentier
et l’Office du tourisme combier, on
dit avoir aperçu des couples en
promenade le livre en main, ou
des passionnés se rencontrant
dans les bistrots de la Vallée. «Les
gens ont retenu des éléments de la
topographie et de l’histoire com-
Un indice pour nos lecteurs
U Auteur du livre Le Trésor du
Temps et de ses coriaces
énigmes, le mystérieux Tom
Adalbert a souhaité profiter du
présent article pour «adresser
un petit mot» à nos lecteurs,
c’est-à-dire dévoiler un nouvel
indice à celles et ceux qui
cherchent la précieuse
contrefaçon enterrée quelque
part à la Vallée. Le voici:
Chers toutes et tous, le trésor
n’a pas encore été trouvé, il est
toujours là pour le plus sagace
d’entre vous. Excusez ma
présence bien trop rare à vos
côtés et sachez que je vous suis
toujours, même si c’est de loin.
Alors voici une nouvelle IS, la
22ème: «La mesure est vaudoise».
Ne lâchez rien, le but est vraiment
tout proche. Cordialement. Tom.
bière, assure Vincent Jaton. De notre côté, on a redécouvert un horloger de génie tombé dans l’oubli.
C’est une bonne opération.»
L’auteur de l’ouvrage, l’énigmatique Tom Adalbert, dit ne regretter aucune seconde ses lignes
et le niveau de sa chasse au trésor,
même s’il avoue avoir sous-estimé
la durée nécessaire à décrypter
«les passages-clés» et «la part de
malice bienveillante» distillée dans
la logique: «Au travers des énigmes, les joueurs découvrent mille
et une choses passionnantes au sujet de la vallée de Joux, de sa géographie, de son histoire, de son
patrimoine. Dans ce sens, le Trésor
du Temps a parcouru un joli bout
de chemin à mes yeux.»
«Patrimoine fascinant»
«Avant ces énigmes, je savais tout
juste situer la Vallée sur une carte,
plaisante une des participantes.
On a découvert une région au patrimoine fascinant. On a touché à
sa biologie, à sa géologie, à son
histoire. Je ne savais pas que les
Bourbakis étaient passés par ici.
Pour moi, cette culture résonne
avec notre actualité. Je crois que je
vais venir passer des week-ends ici
avec mon mari. Même s’il ne veut
plus entendre parler de cette
chasse au trésor.»
Du côté des concepteurs, on réfléchit à reconduire l’aventure. «Ça
a prouvé l’intérêt des approches
ludiques du patrimoine», assure
Philipp Schweizer. La forme de la
prochaine aventure est encore à
définir.
En juillet dernier, le Tribunal de
Vevey infligeait 7 ans de prison à un
Lituanien de 27 ans reconnu coupable, avec un complice, d’un braquage à la Bijouterie Meylan de Vevey en mars 2015. Il avait été arrêté
une heure après, et le butin retrouvé. Son compatriote, épinglé
un mois plus tard à Bruxelles, se
trouvait encore en Belgique au moment du procès. Yannick Meylan,
l’un des fils du fondateur de la bijouterie, directeur de la maison familiale, ne peut s’enlever de la tête
que cette affaire est à l’origine de la
violente attaque de leur magasin
cinq mois plus tard par trois hommes, Lituaniens eux aussi.
Une attaque au cours de laquelle Lionel Meylan, le père fondateur de la maison, ainsi qu’une
employée, ont été frappés sauvagement. Les trois malfrats n’avaient
pas couru bien longtemps, grâce à
l’intervention des deux fils Meylan,
à la fois sur le terrain et sur Internet. Le trio comparait dès lundi devant la Cour criminelle à Vevey.
Chacun risque jusqu’à 10 ans de
prison.
«Pour moi, ce n’était pas un
hold-up, explique Yannick Meylan.
C’étaient des représailles.» Il pense
que c’était pour venger leurs compatriotes après l’affaire de mars
2015. Ou alors un avertissement…
«Ces trois types n’étaient pas venus
pour voler, observe-t-il. Ils sont repartis les mains vides. Ils n’avaient
d’ailleurs aucun sac avec eux pour
emporter un éventuel butin.»
Originaires de la même ville en
Lituanie que les deux braqueurs de
mars, ces personnes feraient partie d’une mafia spécialisée dans les
attaques de bijouterie. Mais
qu’auraient bien pu faire les bijoutiers veveysans pour mériter une
telle vengeance?
De fait, les deux fils sont loin
d’être passifs dans de telles situations. Après le coup de mars 2015,
Yannick s’était lancé à la poursuite
des deux bandits, puis il avait mis
aussitôt les images de la videosurveillance du magasin sur Facebook, ainsi que sur sa plate-forme
Internet Athena Protect, un réseau
permettant aux bijoutiers de signaler à leurs collègues la venue d’un
visiteur suspect ou d’un voleur,
procédé qui a déjà fait la preuve de
son efficacité.
«C’est à nous d’agir, hélas, face
à l’inertie de l’Etat, pour être dissuasifs devant le grand banditisme», déplore Yannick. Et de rappeler qu’en 2011, à la suite d’un
braquage en 2008, il s’était vu refuser par la justice vaudoise un
«Ces trois types
n’étaient pas venus
pour voler. Ils sont
repartis les mains
vides»
Yannick Meylan Bijoutier
permis de port d’armes, alors qu’il
estimait remplir toutes les conditions pour l’obtenir, tant au plan
de la nécessité que de la formation.
Très remontés, les fils Meylan
ont évidemment vivement réagi
après le coup des trois hommes
d’août dernier. Julien, qui avait assisté à l’agression depuis la vidéo
dans leur second magasin, avait
accouru, poursuivi, rattrapé et immobilisé un des malfrats jusqu’à
l’arrivée de la police. «Les deux
autres, raconte Yannick, ont été
arrêtés la nuit même après avoir
été repérés du côté de Prangins
par une personne qui avait vu les
images que nous avions immédiatement mises sur Facebook.»
Avocat des Meylan, Me Nicolas
Mattenberger est perplexe face à la
thèse d’un acte de représailles, sachant qu’à la différence des Pink
Panthers, ces malfrats travaillent
plutôt de manière indépendante.
Pour autant, de nombreuses zones
d’ombre n’ont pas été éclaircies.
«L’enquête a été bâclée, lâche
l’avocat. Le Ministère public a renoncé à investiguer à partir des numéros de portables encore actifs en
Lituanie, alors qu’il le fait couramment dans les affaires de stups.»
Georges-Marie Bécherraz
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