Ivanov RE-MIX - dossier pédagogique
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Ivanov RE-MIX - dossier pédagogique
IVANOV RE/MIX D’après Ivanov d’Anton Tchekhov Armel Roussel / [e]utopia 3 Durée 2h45 (avec entracte) DOSSIER PEDAGOGIQUE Sommaire Résumé et distribution La Compagnie [e]utopia 3 Armel Roussel, metteur en scène Le théâtre du 19ème siècle Anton Tchekhov, l’auteur Ivanov, d’Anton Tchekhov Ivanov, notes de Tchekhov Comment [e]utopia a RE/MIXé Ivanov Entretien avec Armel Roussel La mélancolie à travers les âges Pistes pédagogiques / Sources Quizz La mélancolie en chansons LXII. Spleen / Baudelaire p. 3 p. 5 p. 6 p. 7 p. 9 p. 13 p. 15 p. 16 p. 18 p. 20 p. 23 p. 24 p. 26 p. 29 « Je peins les gens tels que je les vois. Manger, parler, entrer, sortir… C’est Stanislavski qui a rendu mes pièces larmoyantes. Je voulais juste dire aux gens, voyez comme vous vivez mal, noyés dans l’ennui. Si les gens parviennent à me comprendre ils ne manqueront pas de créer une autre vie. » Anton Tchekhov Vous comprenez, il y en a des milliers, des Ivanov… l’homme le plus normal du monde, pas du tout un héros… Et c’est ça, justement, qui est difficile… Anton Tchekhov Cet Ivanov RE/MIX fait magnifiquement entendre les interrogations de l’auteur tout en les reliant avec un naturel absolu à celles qui nous assaillent aujourd’hui. On rit beaucoup, on est bouleversé aussi par ces comédiens d’une justesse inouïe. Tchekhov est là dans chaque mot, chaque geste, chaque questionnement. Mais il est vivant, actuel, présent et cela ne le rend que plus déchirant. Jean Jeanan-Marie Wynants – LE SOIR – 9 décembre 2010 Page | 2 Pour tout renseignement complémentaire ou pour organiser les animations dans les classes, n’hésitez pas à contacter : Isabelle Peters – [email protected] – 0493/093.011 Résumé et distribution Résumé Ivanov, c’est monsieur tout le monde. Il porte le nom de famille russe le plus courant, c’est le Dupont ou Durand de chez nous. Il vit en Russie pendant une période chancelante de passages de pouvoir et de remous antisémites. C’est un homme d’une trentaine d’années, brillant, actif, séduisant intellectuellement mais qui se morfond depuis quelques temps dans une sorte de mélancolie et d’apathie. On pourrait croire qu’il est juste peu satisfait de sa vie mais en vérité il s’ennuie cruellement et il ne se reconnaît plus lui-même. C’est un homme qui a voulu, plus jeune, changer le cours des choses, s’engager dans le monde, qui a entretenu des idéaux, mais le monde n’a pas changé, du moins pas comme il le voulait, et lui n’a pas vu la routine s’installer et imperceptiblement l’engluer, la résignation le gagner. Il aime sa femme, Anna, mais il n’est pas heureux. Il supporte comme il peut les autres... Ce n’est ni un salaud ni un héros, il est à la fois beau et lâche, honnête et injuste, drôle et amer. Pour se divertir et ne pas trop réfléchir, il passe ses soirées chez ses voisins, les Lébédev, un couple aisé qui organise fréquemment des fêtes et qui ont une fille de 20 ans, Sacha. Naît une relation entre Ivanov et Sacha qui va réveiller chez lui un goût étrange, la nostalgie de sa propre jeunesse... Ivanov Re/Mix est un projet mené par l’artiste Armel Roussel qui imagine une nouvelle variante d’Ivanov de Tchekhov en mélangeant les deux versions existantes - la comédie et la tragédie -, différentes traductions, et en créant de nouveaux textes. Dans cette version d’Ivanov remixée par Armel Roussel, l’action de la pièce est transposée dans « l’ici et maintenant », mais un « ici » qui parle d’ailleurs et un maintenant empreint de nostalgie et néanmoins tourné vers le futur ! L’écriture de Tchekhov est une écriture du XIXème siècle qui évoque pour le metteur en scène la Nouvelle-Vague : elle capte la vie, la présente plus qu’elle ne la représente et ne la joue pas. Armel Roussel veut nous faire vivre une expérience théâtrale d’après le kaléidoscope de sentiments que Tchekhov met en œuvre dans Ivanov mais en reliant ces émotions à des préoccupations d’aujourd’hui. Ivanov Re/Mix s’annonce comme la suite naturelle de la précédente création de la compagnie : Si Demain vous déplaît... en ce qu’elle poursuit une recherche sur le « comment vivre ensemble » et sur les dualités espoir/désespoir, optimisme/ pessimisme, individu/collectif, engagement/désengagement, privé/public. Page | 3 Pour tout renseignement complémentaire ou pour organiser les animations dans les classes, n’hésitez pas à contacter : Isabelle Peters – [email protected] – 0493/093.011 Distribution Avec Selma Alaoui, Arnaud Anson, Yoann Blanc, Nathalie Borlée, Lucie Debay, Philippe Grand’Henry, Julien Jaillot, Sofie Kokaj, Nicolas Luçon, Vincent Minne, Armel Roussel, Sophie Sénécaut, Uiko Watanabe / Scénographie, adaptation et mise en scène Armel Roussel / Assistant à la mise en scène Julien Jaillot / Stagiaire à la mise en scène Arthur Egloff/ Direction technique et lumières Nathalie Borlée / Conseillère aux maquillages maquillages ZaZa Da Fonseca / Conseillère Conseillère aux costumes Vanja Maria Godée / Couturière Hélène Honhon / Adaptation musicale Philippe Grand’Henry, Raphaël De Backer / Vidéo Caroline Cereghetti / Construction Vincent Rutten / Peintures Aurélie Deloche / Chargée de production Gabrielle Dailly Une création d’Armel Roussel / [e]utopia3 en coproduction avec le Théâtre Les Tanneurs, le Théâtre de la Place (Liège), le manège.mons/Centre Dramatique, La Maison de la Culture d’Amiens, et le Théâtre du Grütli (Genève) / Avec l’aide du Ministère de la Communauté Française Wallonie-Bruxelles - Service du Théâtre et de Wallonie-Bruxelles Théâtre/Danse (WBT/D). Armel Roussel / [e]utopia3 est en résidence au Théâtre Les Tanneurs Page | 4 Pour tout renseignement complémentaire ou pour organiser les animations dans les classes, n’hésitez pas à contacter : Isabelle Peters – [email protected] – 0493/093.011 La Compagnie [e]utopia 3 L’histoire d’Utopia commence en 1996 par un texte, Roberto Zucco et une interrogation : l’identité et la place de l’individu dans un monde à la dérive. Première mise en scène d’Armel Roussel, ce dernier opus mythifié de Koltès est monté dans un lieu off de Bruxelles, l’Ancienne Ecole des Vétérinaires. Son univers fort, composé de théâtre, de danse, de vidéos et d’extraits de films et le refus de traiter ce texte de façon réaliste suscitent un enthousiasme extraordinaire : le spectacle est repris à Bruxelles (Kaaitheater, Théâtre Varia), en France (Théâtre de Gennevilliers, Comédie de Caen), en Espagne (Teatro Central, Séville) et au Portugal (Culturgest, Lisbonne). Armel R. est ensuite frappé par le théâtre engagé d’Howard Barker, à la poésie mêlée de lyrisme pur, de langage ordurier et d’idées choquantes. Il monte en 1998 Les Européens dans le cadre du KunstenFESTIVALdesArts. Pour cette adaptation, Armel R. s’approprie la radicalité du théâtre barkerien en mélangeant théâtre, vidéo, danse et musique auxquels sont venus s’ajouter des chants et des commentaires politiques. Pour interroger le lien entre politique, propagande et fascisme, il construit une mise en scène jouant de la manipulation directe des spectateurs tout en faisant appel à leur intelligence active. En 2000, il crée Enterrer les Morts / réparer les Vivants, Vivants d’après Platonov de Tchekhov (Théâtre de l’Union, Limoges/KunstenFESTIVALdesArts). En l’affranchissant des poncifs du décor et du déroulement traditionnellement lent de l’action, en bousculant au passage le texte, Armel R. s’attache à rendre compte du chaos qui règne dans cette pièce où fractures psychiques, arrière-pensées et obsessions se dévoilent, notamment par le jeu physique des acteurs. Armel R. questionne ainsi le rapport tragique de l’individu à la transgression de la morale et fait résonner l’absurdité d’un monde normé et artificiel, en évitant tout nihilisme. Il consolide aussi sa recherche d’un théâtre festif, cathartique qui désire susciter interrogations et réflexions chez le spectateur. En 2002, Utopia prend un tournant artistique et devient Utopia 2 pour éviter le piège de son propre cloisonnement, s’ouvrir à de nouvelles collaborations et élargir ses perspectives. Armel R. développe alors de nouvelles envies de mises en scène, de théâtre plus intime intégrant le silence, le vide, le rien, avec Notre besoin de consolation est impossible à rassasier d’après Stig Dagerman (Brigitinnes/KunstenFESTIVALdesARTS, Maison de la Culture de Bourges). Puis vient la création d’Hamlet Hamlet (version athée) (Théâtre Varia, Bruxelles. Lieu Unique, Nantes. Théâtre de Gennevilliers). Armel R. amène un point de vue fort sur la pièce de Shakespeare en créant un Hamlet à l’énergie monstrueuse qui lutte avec la bêtise, le pragmatisme et le populisme qui l’entourent, et foudroie la résolution « religieuse» du deuil du père et de l’autorité. Depuis 2005, Armel R. oriente Utopia 2 vers une direction nouvelle, équilibrant les spectacles nés d’un support textuel et ce qu’on pourrait appeler les « créations pures ». Ainsi naît Pop? (Théâtre Varia, Maison de la Culture de Bourges) un spectacle avec dixsept acteurs, dont les mythologies personnelles viennent gonfler la gigantesque fresque humaine. Armel compose ainsi avec le fragment, offrant une recherche où la dimension d’inconscient est présente, et laissant au spectateur la liberté de créer sa propre narration. Page | 5 Pour tout renseignement complémentaire ou pour organiser les animations dans les classes, n’hésitez pas à contacter : Isabelle Peters – [email protected] – 0493/093.011 Puis avec And Björk of course ... de l’Islandais Thorvaldur Thorsteinsson (2006), Armel R. met en valeur la parole comme pulsion, faisant jaillir la monstruosité qui se niche chez les personnages et révélant que le rapport au couple, au désir, à la mort et à la sexualité ne s’opère que dans un monde masqué, hypocrite de convenances. En janvier 2007, Armel R. poursuit son travail de recherche en création avec Fucking Boy (Théâtre Varia), terrain de réflexion et de questionnement à portée politique qui s’approche du théâtre-performance. Le spectacle part du constat que chacun de nous est conscient des dysfonctionnements du monde et pourtant, cautionne - même sans le vouloir - un système mondial aliénant (compétition, exploitation, exclusion des faibles et des pauvres, hégémonie de l’argent, manipulation de l’opinion publique, corruption des politiques...). Armel R. utilise le modèle américain comme reflet de ce paradoxe et interroge les notions de révolte, de liberté individuelle et d’ « animalité humaine ». En mai 2009, la nouvelle création d’Armel R. s’appelle Si demain vous déplaît ... C’est une expérience sensible pour tous, acteurs et spectateurs réunis dans un même espace, composé en 2 temps comme les 2 parties d’un même cerveau. Le 1er temps est une comédie silencieuse qui fixe le réel à l’œil nu et explore ce qui crée des empêchements dans nos vies. Le 2ème temps est une tragédie musicale qui offre le lieu d’une évasion et l’occasion de quelques utopies. Février 2010, Armel R. dirige et met en espace un happening textuel, Nothing hurts (Théâtre du Grütli à Genève), d’après le texte de Falk Richter. Armel R. est aussi accueilli en résidence au Théâtre Les Tanneurs. L’occasion de réaffirmer le caractère politique de son projet artistique et d’en marquer la nouvelle période. Ce sera [e]utopia 3 dont les ambitions sont soutenues par la structure Utopia 2. En décembre 2010, il signe une nouvelle création, Ivanov Re/Mix d’après Ivanov de Tchekhov. Armel Roussel, Roussel, metteur en scène Armel Roussel est né à Paris en 1971. Après un cursus de secondaires en audiovisuel, il poursuit ses études à l'Insas en section "Mise en scène théâtre". Il vit à Bruxelles depuis 1990. Il est assistant de Michel Dezoteux sur une dizaine de spectacles entre 1992 et 1998. Artiste polymorphe, il crée des vidéos pour le théâtre, écrit deux pièces, signe trois scénographies, réalise des performances et participe comme acteur à plusieurs pièces et films. Il fonde la Compagnie Utopia en 1993, rebaptisée Utopia 2 en 2002 et [e]utopia3 en 2010. Par ailleurs, il dirige de nombreux ateliers de formation en France, en Belgique et en Suisse. Il est professeur principal en interprétation dramatique à l'Institut National Supérieur des Arts et du Spectacle (Insas) depuis 2000. Page | 6 Pour tout renseignement complémentaire ou pour organiser les animations dans les classes, n’hésitez pas à contacter : Isabelle Peters – [email protected] – 0493/093.011 Le théâtre du 19ème siècle Le romantisme Le mouvement des Lumières a soulevé des débats artistiques importants en France et en Europe. En s’éloignant du classicisme, et des règles qui le régissent, le romantisme au théâtre joue un rôle majeur dans l’évolution de l’écriture dramatique. Bien que les sciences et les techniques cherchent à expliquer le monde, le romantisme met en avant l’émotion plutôt que la raison. Il prétend se libérer de toute règle et cherche à transcender les limites physiques de l’humanité pour rejoindre un idéal spirituel proche de la nature profonde de l’Homme. L’évasion et le rêve sont au centre des préoccupations ; dans une société qui place à cette époque l’artiste au centre d’une réflexion sur l’intensité de la vie. C’est réellement en Allemagne que le romantisme prend forme, et ce tant en musique, qu’en littérature et dans le théâtre. Les redécouvertes de Shakespeare et de Calderon au travers des traductions, ainsi que le climat orageux qui pèse sur la seconde moitié du 19ème siècle dans le pays pousse les auteurs à créer un théâtre où passion et violence sont les piliers de l’action. Le Faust de Goethe ressuscite la légende médiévale de l’homme qui vend son âme au diable… mettant en scène l’ambition humaine de dominer l’univers et de défier la puissance divine. Une volonté qui sera très vite remise en question dans le courant de nostalgie qui suivra : quelle prise sur la vie l’être humain peut-il avoir ? Dès 1820, le romantisme domine toute l’Europe. En Angleterre, le romantisme comme exaltation des sentiments remporte moins de succès qu’en Allemagne. Il se retrouve plutôt dans la poésie qu’au théâtre. En France, le drame historique de Cromwell de Victor Hugo est considéré comme manifeste du théâtre romantique en 1827. La préface y proclame une liberté totale de l’invention et de la forme théâtrale. Parallèlement au théâtre romantique se développe le mélodrame, mélodrame qui inspire quant à lui la crainte et les larmes. Les péripéties et les rebondissements sont nombreux, ce qui attire les foules ! Dans les années 1830 se développe aussi le théâtre bourgeois, bourgeois qui cherche à mettre en scène la vie quotidienne. Ce théâtre décide d’abandonner la tendance sensationnelle des histoires et de se concentrer sur les formules mises en avant par Diderot. En marge de ces pièces plus sérieuses, un théâtre populaire vit au travers des vaudevilles (en France) et des musicmusic-halls (en Angleterre et en Amérique). Il s’agit là de simples divertissements qui mêlent danse, musique, théâtre burlesque et cirque. C’est d’ailleurs en 1866, à New York, qu’est créé The Black Crook (Le Truand Sinistre), considéré comme la première comédie musicale. En France, le genre du vaudeville évolue notamment avec Eugène Labiche et Georges Feydeau. Au milieu du 19ème siècle, l’intérêt pour la psychologie et la sociologie donne naissance au naturalisme. naturalisme Petit à petit, notamment avec Emile Zola, les auteurs cherchent à décrire le monde de manière objective, mettant de côté les valeurs spirituelles fortement présentes dans le romantisme. Le déterminisme social est au centre des réflexions. L’homme obtient un rôle important dans l’évolution des sociétés. Page | 7 Pour tout renseignement complémentaire ou pour organiser les animations dans les classes, n’hésitez pas à contacter : Isabelle Peters – [email protected] – 0493/093.011 Les scènes naturalistes interprètent donc des moments du quotidien, en utilisant un minimum de ressorts narratifs. Ces théories dramatiques naturalistes s’expriment largement hors de la France allant en Allemagne, en Italie, en Scandinavie jusqu’en Russie. En effet, le théâtre russe se développe fortement à la fin du 18ème siècle. Le réalisme très présent se fait petit à petit remplacer par les idées naturalistes. Dans cette lignée liée au naturalisme, on retient du théâtre russe les théories de Konstantin Stanislavski sur l’interprétation des acteurs qui découlent sur un système très précis du jeu : la méthode Stanislavski, qui prend plus tard le nom d’Actor’s studio. La fin du 19ème siècle voit naître la mise en scène. L’attention est de plus en plus portée sur l’harmonisation des décors et des costumes ; la scène devient un espace d’évolution, qui participe à la vraisemblance du spectacle. Le rôle du metteur en scène est donc à ce moment clairement identifié… Page | 8 Pour tout renseignement complémentaire ou pour organiser les animations dans les classes, n’hésitez pas à contacter : Isabelle Peters – [email protected] – 0493/093.011 Anton Tchekhov, l’auteur (1860 – 1904) Contexte historique De nombreuses allusions politiques jalonnent l’œuvre de Tchekhov. La Russie du XIXème siècle est empreinte de révolutions, de luttes des classes, de communisme, … Les auteurs et philosophes y tiennent une place à part entière Durant le règne d’Alexandre Alexandre II (1855-1881), les paysans se révoltent et le servage est aboli (1861). De nombreuses réformes touchent notamment les domaines militaire, scolaire et judiciaire. La bourgeoisie prend de plus en plus de pouvoir. Il meurt assassiné. En réaction à l’assassinat de son père, Alexandre III (1881-1894) mène une politique de contre-réforme : lutte contre la révolution : les partis politiques et les syndicats sont interdits, le droit de circulation est limité, la presse est censurée, des mesures antisémites sont prises, les oppressions sociales sont quotidiennes, … Les premiers cercles marxistes voient le jour. Le règne de Nicolas II (1894-1917) est marqué par l’industrialisation et la révolution de 1905. Cette révolution est d’abord entamée par les paysans, qui sont ensuite rejoins par les ouvriers. La bourgeoisie prend de plus en plus de pouvoir (législatif notamment). Biographie de l’auteur Ecrivain et auteur dramatique russe, Anton Tchekhov est né à Taganrog, au bord de la mer d’Azov. Troisième enfant d’une famille de six, il est le petitfils d’un serf libéré et le fils d’un épicier, à peu près analphabète, qui consacre une grande partie de son temps au chant, à la musique et à la peinture. Fanatique religieux, son père est un despote familial, et bat de nombreuses fois ses enfants. Sa mère, Eugénie Iakovlevna, est une créature douce et passive, pieuse et tendre, maltraitée par son mari. Quand Tchekhov a 16 ans, son père fait faillite et est obligé de quitter Taganrog pour Moscou avec le reste de la famille. Lui reste dans sa ville natale pour terminer ses études au lycée. De cette période, il dit : Je n’ai pas eu d’enfance... J’étais un prolétaire... Nous nous sentions de petits forçats... Notre enfance a été empoisonnée par des choses terribles... Anton Tchekhov devient ensuite médecin et exerce cette profession jusqu’aux dernières années de sa vie. Il débute très tôt dans l’écriture, faisant simultanément œuvre de conteur, de nouvelliste et de dramaturge. Ses premiers recueils sont Contes de Melpomène (1884), et Récits bariolés (1886). Le crépuscule, Innocentes Paroles (1887), ainsi que La Steppe, L’Ours et La Demande en Mariage (1888) assurent d’emblée la réputation de l’écrivain. Il reçoit cette année-là le Prix Pouchkine. Page | 9 Pour tout renseignement complémentaire ou pour organiser les animations dans les classes, n’hésitez pas à contacter : Isabelle Peters – [email protected] – 0493/093.011 En 1887, Tchekhov crée Ivanov, comédie en quatre actes et cinq tableaux. En 1889, après quelques changements effectués par l’auteur, la pièce devient un drame en quatre actes. La comédie provoque un esclandre, le drame reçoit quant à lui un accueil triomphal… Ainsi, tandis que ce drame, Ivanov, est accueilli au théâtre de Saint-Pétersbourg avec un grand succès, il décide, tourmenté par la souffrance humaine, d’entreprendre un long voyage au bagne de Sakhaline (1890) d’où il rapporte un nouveau récit : L’Île de Sakhaline (1894). Au retour d’un autre voyage en Europe et devenu propriétaire à Melikhovo, localité proche de Moscou, il se trouve amené à prodiguer ses soins à une population paysanne décimée par la famine et le choléra. Durant cette période (1891-1897), il compose des nouvelles (La Cigale, La Chambre n°6). En 1896, la première de La Mouette à Saint-Pétersbourg est un fiasco, la seconde est un succès ! Il décide alors d’entreprendre un nouveau voyage, cette fois en France où il séjourne une année. De retour en Russie, il se fixe à Yalta où les artistes et les littérateurs les plus célèbres lui rendent visite. C’est là qu’il compose encore des nouvelles (Douchetchka, 1898 ; La Dame au petit chien, 1899 ; La Fiancée, 1903), ainsi que les trois derniers drames : Oncle Vania (1897), Les Trois Sœurs (1901) et La Cerisaie (1903). Elu académicien en 1900, il donne sa démission deux ans plus tard pour protester contre l’exclusion, prononcée par l’Académie, de Maxime Gorki. Marié avec l’actrice Olga Knipper, Anton Tchekhov voit sa santé s’altérer gravement et décide de partir pour la Forêt Noire où il meurt d’une tuberculose le 2 juillet 1904. C’est avec La Mouette (1896) que Tchekhov consomme sa rupture avec une construction dramatique traditionnelle, conférant au silence et aux sous-entendus d’un dialogue apparemment chargé de banalités une profondeur psychologique qu’ils n’avaient jamais connue avant lui. Etroitement liée aux débuts au théâtre de Stanislavski, l’œuvre dramatique de Tchekhov, miroir fidèle d’une société qui se trouvait au seuil d’un des plus grands bouleversements de l’histoire, rejoint, par la valeur humaine de son témoignage, les chefs-d’œuvre du théâtre universel. AUTOBIOGRAPHIE « Vous avez besoin de ma biographie ? La voici. Né à Taganrog en 1860. Y achève ses études au lycée en 1879. Termine en 1884 ses études de médecine à la Faculté de Moscou. Prix Pouchkine en 1888. Voyage à Sakhaline à travers la Sibérie en 1890 et retour par la mer. Voyage en Europe en 1891, boit du bon vin, mange des huîtres. En 1892, fait la fête avec Tikhonov. Premiers écrits publiés en 1879 dans La Cigale. Liste des recueils: Récits bariolés, Au crépuscule, Récits, Les Gens maussades ; une nouvelle, Le Duel. A également péché en matière dramatique mais avec modération. Traduit dans toutes les langues, sauf les langues étrangères. Il y a très longtemps, en fait, que les Allemands l’ont traduit. Apprécié par les Tchèques et les Serbes ; et même par les Français. A connu les mystères de l’amour à l’âge de treize ans. En excellents termes avec ses camarades médecins ou hommes de lettres. Célibataire. Désirerait recevoir une pension. Exerce la médecine et il lui arrive même de faire, l’été, des autopsies médicolégales, ce qui ne s’était pas trouvé depuis deux ou trois ans. Écrivain préféré : Tolstoï, médecin préféré : Zacharine. Plaisanteries que tout cela. Écrivez ce que vous voulez. Si vous manquez de faits concrets, remplacez-les par des tirades lyriques... » Jusqu’à la nuit du 1er au 2 juillet 1904, où il dit, en allemand : « Ich sterbe », je meurs. Extrait de Regardez la neige qui tombe, tombe, Impressions Impressi ons de Tche Tchekhov, Roger Grenier, Éditions Gallimard. Page | 10 Pour tout renseignement complémentaire ou pour organiser les animations dans les classes, n’hésitez pas à contacter : Isabelle Peters – [email protected] – 0493/093.011 L’écriture de Tchekhov Par son style, Tchekhov opère une réelle révolution dans la littérature russe mais également au théâtre. Ce dernier a besoin de nouvelles formes. Ses drames abordent le quotidien. Les silences sont nombreux et il ne cherche pas à embellir la réalité. Il montre des faits sans jamais dénoncer. Ses personnages ne sont pas des portes paroles, ils sont simplement mis à nus, reflétant les profondeurs de l’âme humaine. La construction de ses récits surprend car il n’y a plus un protagoniste principal, mais une multitude de personnages, qui ont tous une parole importante. Ainsi, le théâtre de Tchekhov se rattache à la tradition réaliste russe en décrivant les grandes mutations de la société et ses méfaits. Les artistes russes cherchent à saisir cette réalité et la présenter au public. Cependant, Tchekhov se rattache également à la tradition occidentale qui est caractérisée par une prise de distance au profit d’une réflexion plus globale sur la réalité. L’auteur se situe entre réalisme et symbolisme : il parvient à inscrire son récit dans la réalité russe, tout en abordant des sujets profondément symboliques. Tchekhov parvient ainsi à rendre perceptible la complexité, la richesse et le tragique d’une vie entière. Une notion fondamentale de l’univers de l’auteur : ce qui est figé cesse d’être beau. L’art doit ressembler à la vie. Cette dernière change à tout moment et doit être le véritable modèle artistique. Anton Tchekhov veut peindre la vie de manière sobre. L’anecdote de départ est souvent tirée du quotidien et peut être banale. La fable comporte peu de rebondissements, mais de nombreux détails. Dans les dernières pièces de l’auteur, il n’y a pas de fin. Pour le spectateur, il s’agit d’une ouverture sur le monde, sur la suite. Le public est face aux mêmes questionnements que les personnages, aucune réponse n’est donnée. Personne n’a compris avec autant de clairvoyance et de finesse le tragique des petits côtés de l’existence ; personne avant lui ne sut montrer avec autant d’impitoyable vérité le fastidieux tableau de leur vie telle qu’elle se déroule dans le morne chaos de la médiocrité bourgeoise. MAXIME GORKI Persuadé que « la vie est uniquement faite d’horreurs, de soucis et de médiocrités qui se suivent et se chevauchent », Anton Tchekhov garde cependant une foi absolue dans le progrès. En lui se mêlent toujours la tendance positive et la tendance idéaliste ; sans doute parce qu’il est à la fois médecin et écrivain. Il dit : « La médecine est ma femme légitime, la littérature ma maîtresse. » Ne cessant de souligner à travers son œuvre l’esprit petit-bourgeois, la trivialité, la corruption, l’ignorance crasse, la peur du supérieur, la déchéance dans les destins avortés, condamnés à l’échec, à l’usure du temps, il garde constamment foi en l’homme. Il croit toujours possible la révolution de l’esprit, révolution individuelle, personnelle qui seule permet, grâce à la connaissance, l’amélioration de la nature humaine et donc de la société. Anton Tchekhov se sent au chevet d’une humanité souffrante : ses diagnostiques sont sans appel : ôtant tout espoir, soulignant l’échec, le regret, le vide du quotidien, la lourdeur du temps qui passe. Cependant, bien qu’il décrive la noirceur du monde, il le fait avec détachement et humour. Page | 11 Pour tout renseignement complémentaire ou pour organiser les animations dans les classes, n’hésitez pas à contacter : Isabelle Peters – [email protected] – 0493/093.011 A quoi bon expliquer quoi que ce soit au public ? Il faut l’effrayer et c’est tout : il sera alors intéressé et se mettra à réfléchir une fois de plus. Lettre de Tchekhov du 17 décembre 1891 Il ne cherche donc pas dans son écriture à expliquer mais à choquer l’imagination et la sensibilité du public. Ce dernier ne doit pas rester passif ! C’est la raison pour laquelle l’écriture de Tchekhov est percutante, allusive, se fixant sur les nœuds des destinées humaines, ces moments clés où se mettent à nu certains mouvements de l’âme. Il charge de signification les moments les plus modestes du récit. Il apprécie dans l’art dramatique son caractère direct, cette confrontation, affrontement qui nait avec le public. En ressort donc un théâtre qui tend vers le psychologique : le drame de ses héros ne se cantonne pas à l’action mais à leur incapacité d’agir. Un des thèmes majeur de Tchekhov est la solitude. Ce sentiment qui provient de l’incapacité à communiquer ses sentiments les plus intimes. Cette solitude est projetée dans un contexte social spécifique. Les personnages sont dans l’attente. Ils sont pris d’une mélancolie associée à un rêve. Ils souffrent de la désillusion, et se consolent grâce à ‘espoir qui les porte. Le personnage fait cette découverte de lui-même en même temps que le spectateur et c’est là que se situe le choc émotionnel, les questionnements sur le sens de la vie, la nostalgie du passé, … C’est par ce moyen que l’auteur provoque la sensibilité, le spectateur n’ayant comme seuls choix que d’être actif, ou de ne pas intégrer le spectacle. La question du temps est au centre de l’œuvre de Tchekhov : la vie est un grand passetemps ! Le temps passe ou ne passe pas. Il a une donnée sensible et variable selon qu’il s’étire ou se resserre. Le temps use et dévore la vie que l’on ne s’est pas autorisée à vivre. Le temps révolu est la caractéristique de toute génération perdue. Le temps des aveux. Le temps reflète aussi les états, les tensions des personnages et des situations. Le temps des silences et des suspensions. C’est pourquoi les silences ont une telle importance dans son œuvre. Une pause permet de suspendre le temps, de suggérer au spectateur une présence absente de fantômes identifiés ou non. Elle permet aussi de prolonger le sentiment qui vient d’être exprimé et de lui donner de l’importance… Le spectateur se sent constamment frustré par le peu de réponses aux questions éveillées. Dans la vie comme dans l’art, certaines questions ne font qu’en entraîner d’autres… Les espaces dans les œuvres de Tchékhov La principale exigence de Tchekhov concernant la mise en espace de ses pièces est qu’il représente un espace vide – réel ou symbolique. La plupart de ses pièces se passe dans des propriétés isolées, perdues dans la province russe. Les personnages sont compressés dans ces espaces exigus et se saoulent de vodka, de paroles, de confessions, de reproches, de déclarations d’amour, comme s’ils voulaient combler l’énorme vide de leur existence par du trop-plein. Ce qui vient de l’extérieur porte alors un espoir. L’espace physique est donc essentiel en regard à l’espace intérieur des personnages. Page | 12 Pour tout renseignement complémentaire ou pour organiser les animations dans les classes, n’hésitez pas à contacter : Isabelle Peters – [email protected] – 0493/093.011 Ivanov, Ivanov , d’Anton Tchekhov Résumé des 4 actes Quelques personnages… Nikolaï Alexéïévitch Ivanov Ivanov est un bourgeois qui entasse les dettes. Il a la trentaine et se rend compte qu’il n’a plus d’énergie, que tous les projets qu’il a déjà entrepris l’ont brisé. Il subit sa vie plus qu’il ne la vit. Mikhaïl Mikhaïlovitch Borkine Borkine est un parent éloigné d’Ivanov. Il vit dans son domaine. Il porte en lui une joie de vivre qu’il partage volontiers. Anna Petrovna, Petrovna, née Sarah Abramson Anna Petrovna est la femme d’Ivanov. Elle est atteinte d’une maladie qui va la tuer. Elle est éperdument amoureuse d’Ivanov et a tout quitté pour vivre avec lui. Evguéni Konstantinovitch Lvov Lvov est un jeune médecin. Il se considère comme honnête et ne manque pas de dire tout haut ce qu’il pense. Pavel Kirillytch Lébédev Lébédev est un bourgeois chez qui Ivanov sort régulièrement. Sa femme est très attachée à l’argent et Ivanov leur en doit beaucoup. Sacha Fille de Lébédev, Sacha a 20 ans et est amoureuse d’Ivanov. Elle croit en la force de l’amour et est prête à tout pour qu’Ivanov retrouve sa joie de vivre. Acte Acte 1 Lieu : Le jardin de la propriété d’Ivanov. Ivanov est dans une période sombre : il est morose, a des problèmes d’argent et se pose beaucoup de questions. Les personnes qui l’entourent tentent de le faire réagir. Sa femme est malade et il a l’impression de ne plus l’aimer. Il cherche à s’échapper de son quotidien en sortant le soir, laissant sa femme seule à la maison. Acte 2 Lieu : Dans la propriété des Lébédev. En face, une sortie donnant sur le jardin… Anniversaire de la fille célibataire des Lébédev. Les invités s’ennuient. Ils donnent leur avis sur le destin d’Ivanov. Sacha, la jeune fille de la famille, s’ennuie et s’étonne de voir les autres jeunes complètement avachis. Ivanov arrive, puis Borkine, qui fait profiter de sa joie de vivre à tous. Ivanov parle à Sacha de sa solitude et son ennui. Pendant ce temps, Anna Petrovna arrive avec Lvov à la maison des Lébédev. Ils surprennent Ivanov en train d’embrasser Sacha. Page | 13 Pour tout renseignement complémentaire ou pour organiser les animations dans les classes, n’hésitez pas à contacter : Isabelle Peters – [email protected] – 0493/093.011 Acte 3 Lieu : Le bureau d’Ivanov. Anna Petrovna va mal. Les hommes parlent politique. Ivanov arrive et tous veulent le voir en privé. Lébédev lui demande de payer ses intérêts. Ivanov lui explique qu’il ne comprend pas ce qui lui arrive, et la raison de ce sentiment qui le tue : « A vingt ans, nous sommes tous des héros, nous entretenons tout, nous pouvons tout, et à trente, nous sommes déjà fatigués, nous ne sommes plus bons à rien. » (Acte 3) Lvov entre et tente de s’expliquer avec Ivanov. Sacha arrive et Lvov les laisse seuls. Elle veut prendre des nouvelles de lui. Ils parlent d’amour. Ensuite, Anna Petrovna veut savoir pourquoi Sacha est venue. Elle s’énerve et pour la faire taire, Ivanov lui annonce qu’elle va bientôt mourir. Entre l’acte 3 et l’acte 4, il se passe environ un an. Acte 4 Lieu : Un des salons de la maison des Lébédev. Anna Petrovna est morte. Lvov en veut à Ivanov qui est sur le point d’épouser Sacha. Il promet de se venger. Lébédev, au moment où il confie à sa fille les modifications dans le montant de sa dote, l’entend lui avouer qu’elle doute de son mariage. Ivanov arrive et veut parler à Sacha seuls à seuls. Il se rend compte de l’absurdité de leur situation à tous les deux et veut annuler le mariage. Sacha le lui défend. Arrive Lébédev, qui demande des explications à Ivanov. Il lui conseille d’arrêter de se compliquer la vie. Jusqu’à ce qu’Ivanov entrevoie la seule issue qui lui permette de traverser cette épreuve : le suicide. Page | 14 Pour tout renseignement complémentaire ou pour organiser les animations dans les classes, n’hésitez pas à contacter : Isabelle Peters – [email protected] – 0493/093.011 Ivanov, Ivanov , notes de Tchekhov « J’avais l’impression que tous les hommes de lettres et dramaturges avaient ressenti la nécessité de dépeindre un être mélancolique et qu’ils avaient tous écrit instinctivement, sans avoir de point de vue. Avec mon projet Ivanov, j’ai tapé à peu près dans le mille. Ivanov est un noble, un universitaire qui n’a rien de remarquable ; c’est une nature émotive, ardente, qui se laisse facilement emporter par ses passions, honnête et droite comme la plupart des nobles cultivés. Il a vécu dans sa propriété et a siégé à l’assemblée territoriale. Cet homme se jette dans le feu de l’action ; les bancs de l’école à peine quittés, il prend sur ses épaules un fardeau trop lourd pour lui, se consacre aux écoles, aux paysans, à l’exploitation rationnelle, fait des discours, écrit au ministre, combat le mal, applaudit le bien, aime, non pas simplement et n’importe comment, mais toujours, ou des bas-bleus, ou des psychopathes, ou des juives, ou même des prostituées qu’il sauve… A trente, trente-cinq ans, il commence à éprouver lassitude et ennui : « Si on me regarde de l’extérieur, c’est sûrement terrible, je ne comprends pas moi-même ce qui se passe en moi… » Lorsqu’ils se retrouvent dans une telle situation, les gens étroits d’esprit et malhonnêtes en rejettent en général toute la faute sur le milieu, ou bien ils s’installent dans le groupe des “hommes en trop”, des “Hamlet,” et se contentent de cela. Ivanov, lui, parle d’une faute qu’il aurait commise, et le sentiment de culpabilité croît en lui à chaque nouveau choc : « Jour et nuit ma conscience me torture, je sens que je suis profondément coupable, mais en quoi consiste exactement ma faute, je ne le comprends pas… » « À l’épuisement, à l’ennui et au sentiment de culpabilité, ajoutez encore un ennemi. C’est la solitude. Personne n’a rien à faire de ce qu’il ressent et du changement qui s’opère en lui. Il est seul. De longs hivers, de longues soirées, un jardin désert, des pièces désertes, un comte bougon, une femme malade… Nulle part où aller. C’est pourquoi à chaque minute le torture la question : que faire de soi ? Des gens comme Ivanov ne résolvent pas les problèmes, mais ploient sous leur poids. La déception, l’apathie, la fragilité nerveuse et la fatigue sont la conséquence inévitable d’une trop grande exaltation, or cette exaltation est le propre de notre jeunesse. Passons au docteur Lvov. C’est le type même de l’homme honnête, droit, ardent, mais étroit d’esprit. Il regarde chaque événement, chaque personne à travers un cadre étroit et juge de façon préconçue. Ivanov et Lvov se présentent à mon imagination comme des hommes vivants. Je vous le dis en mon âme et conscience, sincèrement, ces hommes ne sont pas nés dans ma tête de l’écume de la mer, d’idées préconçues, d’“intellectualisme”, par hasard. Ils sont le résultat de l’observation et de l’étude de la vie. Si le public sort du théâtre avec la conviction que les Ivanov sont des salauds et les docteurs Lvov de grands hommes, alors il me faudra prendre ma retraite et envoyer ma plume au diable. » Anton Tchekhov, décembre 1888 Tout ce que Tchekhov a voulu dire sur le théâtre, théâtre , traduction Catherine Catherine Hoden, l’Arche Editeur, 2007 Page | 15 Pour tout renseignement complémentaire ou pour organiser les animations dans les classes, n’hésitez pas à contacter : Isabelle Peters – [email protected] – 0493/093.011 Comment [e]utopia a RE/MIXé Ivanov L’adaptation L’adaptation d’une œuvre Dans un travail d’adaptation, la création réside dans cet espace vacant que laisse toute œuvre à sa propre recréation, que ce soit à travers la lecture ou la réécriture que peut en faire son auteur d’origine ou un autre auteur. Tout le mystère d’une œuvre s'inscrit dans cette possibilité de réécrire éternellement la même histoire avec des moyens à chaque fois différents. […] Karima Ouadia, Ouadia, Présentation ‘Albert Camus adaptateur de théâtre’ Si l’adaptation/retraduction d’Armel Roussel reste globalement fidèle à Tchekhov sur les trois premiers actes, elle s’écarte totalement de la pièce originale au quatrième acte pour se rapprocher d’une forme performative. Extrait du texte écrit par Armel Roussel pour l’entrée du public et la scène 1 Disons que pour commencer, il me faut faire le point. Car en vieillissant, en grandissant pour être plus exact, tout un tas de questions me rattrapent. Ce ne sont pas tout à fait les mêmes que je me posais adolescent mais elles ne sont pas non plus à l’opposé. Disons qu’elles ont changé de forme, que mon énergie a bougé, que j’ai depuis pris quelques bonnes leçons... et de mauvaises aussi. Je ne pense pas m’être « résigné au monde » pour reprendre l’expression d’Edward Stachura, mais bon, il a quand même fini par se pendre dans son appartement à Varsovie. Est-ce que cela pourrait être mon destin ? Je ne l’espère pas mais je ne peux pas non plus en être sûr. Est-ce que c’est le corps ou est-ce que c’est l’esprit qui pousse à un tel acte ? Une sale alchimie sans doute. Est-ce qu’aimer et/ou être aimé peut suffire à fuir la souffrance ? Est-ce que l’Amour donne du sens ? De la raison d’être ? Peut-on vraiment s’accomplir par l’Amour ? Peut-on s’accomplir tout court ? J’ai beau être ce qu’on nomme un artiste, je me pose régulièrement la question : A quoi sert l’Art ? Ce n’est pas exactement ma question en fait puisque je sais ce en quoi l’art ME sert. Non en tant que praticien mais en tant qu’amateur. A m’ouvrir, à affiner mes émotions, à regarder la vie à partir d’autres points de vue, à me soulever du sol, à philosopher en quelque sorte... Non ma question réside d’avantage dans ce que je fais moi-même. Est-ce que ce que je crée sert à quelque chose ? Suis-je utile à quelque chose ou à quelqu’un ? Mon travail a-t-il un sens ? Ma vie a-t-elle un sens ? Je sais bien que l’Art n’a pas pour but de « servir » ou d’être « utile » (je le vois bien chez les artistes que j’aime et qui sont différents de moi) mais comment puis-je me regarder dans la glace si je ne pense pas – ne serait-ce qu’un peu - que cela «apporte» quelque chose ? Et puis-je dire de ce que je crée que cela «ouvre», «apporte du point de vue», «soulève du sol» ou «permet de la philosophie» ? Je ne vais pas jouer les faux modestes en décrétant que NON, sinon je ne serais pas là en train d’écrire, mais répondre par un OUI franc et massif m’est aussi impossible. Je ne sais pas. Je ne suis pas sûr. J’en doute et je n’en doute pas. Est-ce comme cela dans tous les métiers ? Mon banquier se demande-t-il parfois s’il est utile ? Mon boulanger réfléchit-il souvent au sens de son métier ? Un enseignant est-il toujours persuadé de la nécessité de ce qu’il transmet ?... […] Page | 16 Pour tout renseignement complémentaire ou pour organiser les animations dans les classes, n’hésitez pas à contacter : Isabelle Peters – [email protected] – 0493/093.011 Tout cela me semble bien confus. Ce désir d’appartenance. A la vie, à l’Amour, aux Autres et aussi à Soi. Sans doute se demander quel est le sens de la vie revient à se poser la question du sens de SA vie. vie. Mais cette question elleelle -même aa- t- elle un sens ?... Page | 17 Pour tout renseignement complémentaire ou pour organiser les animations dans les classes, n’hésitez pas à contacter : Isabelle Peters – [email protected] – 0493/093.011 Entretien avec Armel Roussel Propos recueillis par Bérengère Deroux Ce n’est pas la première fois que tu t’empares d’une pièce écrite - monument du théâtre - comme élément déclencheur pour livrer un spectacle extrêmement contemporain et marqué de la patte Utopia. Le texte, présupposé connu du public, estest-il l’occasion d’avoir une base commune dans laquelle tu injectes une multiplicité de messages ? Ce texte écrit donnedonne- t-il plus facilement facilement la possibilité de passer de l’historique au politique, du politique à l’intime et vice et versa ? J’ai pu travailler sur le présupposé de la connaissance du texte par le public avec Hamlet. Ce n’est pas le cas avec Ivanov, qui est une des pièces les moins montées, les moins connues de Tchekhov. Je n’ai pas l’impression d’utiliser les pièces comme des supports. Je choisis les pièces parce qu’elles me touchent et car j’y retrouve mes interrogations. La pièce n’est pas une base ou un support à d’autres choses que je voudrais dire ; elle comporte ce que je veux dire. Il se fait que je rencontre plus souvent cela dans l’écriture classique que dans l’écriture contemporaine. Si je suis davantage touché par les écritures classiques de manière générale, c’est aussi parce qu’elles amènent une distance. Le temps est passé, y compris dans le langage, emportant tout naturalisme. Nous pouvons alors entrer plus réalistement dans la langue qui elle-même procède par instants de distanciation, la notion historique est présente dans cela. Sur la notion politique, Tchekhov a toujours dit qu’il n’était pas un auteur politique alors que je trouve Ivanov très politique ; c’est ce qui m’a plu. Faire du théâtre est un acte politique. Tes spectacles touchent les gens là où ils en en sont, dans leur intimité. Cela voudraitvoudrait-il dire que finalement nous avons tous les mêmes questionnements, manques, désirs profonds ou utopies ? Oui en effet, “là où ils en sont”… Tout le monde n’en est pas au même point, en fonction de son âge, de sa vie, d’où il vient, de son éducation, de son milieu, de sa sexualité, de sa religion, de sa culture… Mais au-delà de tout ça, de toutes les différences qui font que chacun est unique, je pense que tout le monde a le désir profond d’être aimé. Certains ont eu la chance de trouver l’amour, d’autres pas ; chacun le vit différemment avec violence ou non, chacun s’est domestiqué ou pas… Mais je pense qu’il y a ce désir commun à nous tous, même si ce désir n’a pas forcément le même visage pour chacun. Il est arrivé pendant tes spectacles de voir, côte à côte, un spectateur mort de rire et un autre pleurant à chaudes larmes. Comment expliquesexpliques -tu cela ? Cela pourraitpourrait-il arriver avec Ivanov ReRe -mix ? Cette question me perturbe car en effet, j’aimais beaucoup en termes d’expérience voir lors d’une représentation un spectateur pleurer et un autre rire à la présentation d’une même scène ; et je pense que sur Ivanov ça n’arrive pas. Ivanov propose sans doute des réactions un peu plus communes que d’autres spectacles que j’ai montés. Je pense que ma pratique de metteur en scène a évolué ces dernières années : avant j’imaginais la représentation comme un lieu de confrontation, maintenant je pense que je l’imagine comme le lieu d’une réunion. Les thématiques que tu explores – “comment “comment vivre ensemble ?» ou “comment se débattre avec soisoi-même ?”, le rapport entre intimité et liberté, … - sont des questions Page | 18 Pour tout renseignement complémentaire ou pour organiser les animations dans les classes, n’hésitez pas à contacter : Isabelle Peters – [email protected] – 0493/093.011 qui occupent nos histoires d’amour ou nos relations familiales… Tu es Français Français mais tu vis et travaille en Belgique et tu as rassemblé ras semblé une équipe fidèle d’acteurs et de concepteurs, une compagnie, on pourrait dire une “troupe” ou “famille” qui semble être en parfaite adéquation avec tes préoccupations. Cette notion de collectif estestelle essentielle à ton développement artistique ? Non, en fait, je ne pense pas que le fait d’avoir constitué une famille théâtrale soit lié au fait que je sois Français installé en Belgique. Je n’ai pas de notion de déracinement. J’ai 40 ans et ai vécu plus de temps en Belgique qu’en France, je pense donc être parfaitement “belgifié”. Je ne pense pas avoir recréé une famille ici. Je suis très fidèle en amitié et la notion de collectif est essentielle pour moi, je n’ai jamais considéré que les acteurs étaient interchangeables. C’est très agréable de poursuivre un questionnement avec les mêmes gens, en vieillissant avec eux et “comme la vie va”, c’est-à-dire comment ces gens se marient, divorcent, ont des enfants ou pas, achètent ou non une maison. Qu’il s’agisse de Vincent (Minne) ou de Yoann (Blanc), ça fait quinze ans qu’on travaille ensemble, qu’on crée chaque spectacle, qu’on avance, qu’on évolue ensemble. Alors il va de soi que ces questions de vie se retrouvent sur le plateau mais aussi entre nous. Tu as dit : “Je crois que le théâtre est un des derniers derniers lieux de liberté où on peut tout faire, tout dire.”. Vraiment tout ? Et sans conséquence ? Vraiment tout oui, avec des conséquences heureusement. Pourquoi “tout dire ou tout faire” signifie-t-il immédiatement dans les esprits des choses scandaleuses ou choquantes ? On semble me soupçonner de vouloir faire du théâtre pornographique ? Tout faire ou tout dire ne veut pas dire faire n’importe quoi ou dire n’importe quoi ; mais, oui, je trouve que le théâtre est un vrai endroit de liberté. Nous avons eu le bonheur de découvrir, la saison dernière, la “version intime” d’Ivanov Ivanov Red’ Re -mix aux Théâtre des Tanneurs à Bruxelles, qui a reçu un accueil extrêmement positif tant du public que de la presse. Cette deuxième étape de création est annoncée “Grand format”. Peux Peux -tu nous donner quelques pistes de ce “Grand format” ? Nous devons passer d’un rapport très proche des spectateurs à un rapport “grande salle”. Comment rester dans un rapport intime en étant beaucoup plus nombreux ? C’est le départ de la réflexion. Dans la première version, je ne m’attachais qu’à l’œuvre – aux acteurs et au texte. Aujourd’hui je souhaite utiliser cette étape pour en faire une forme plus spectaculaire mais qui doit hériter de ce travail de proximité. J’avais tout d’abord travaillé des plans de construction, de décor, d’installation et finalement je me rends compte que je suis en train de déshabiller l’espace, d’épurer encore cette petite forme, tout en y apportant des lumières, du son, de la vidéo. La difficulté est que le spectacle ne devienne ni lisse ni propre, qu’il reste vivant. L’univers scénique sera esthétiquement très différent de la petite forme. Certaines scènes seront également retravaillées, Melchior – l’enfant – ne fait plus partie du spectacle, ma présence sera différente aussi. Je veux utiliser tous les outils du théâtre sans perdre ce qui faisait la beauté de la proposition de départ. Au contraire que la beauté en soit augmentée par la forme. Page | 19 Pour tout renseignement complémentaire ou pour organiser les animations dans les classes, n’hésitez pas à contacter : Isabelle Peters – [email protected] – 0493/093.011 La mélancolie à travers les âges… La mélancolie selon l’époque, la discipline prend des significations différentes et spécifiques. Melancholia vient du latin et signifie la « bile noire » qui renvoie à la théorie des humeurs d’Hippocrate selon laquelle le corps humain contient quatre humeurs qui déterminent notre caractère, notre tempérament. La prépondérance de l’une ou l’autre dans le sang détermine le tempérament. La bile noire étant l’état réservé principalement aux « génies ». Pour les artistes, la mélancolie est un passage obligé vers un mieux… Aujourd’hui la mélancolie s’est chargée de significations multiples qui varient d’un état d’âme tel la tristesse, l’ennui, la lassitude, à l’état dépressif pathologique (psychanalyse et psychiatrie). C’est dans l’art et le contexte historique du 19ème siècle que la mélancolie connait son apogée. Musset écrit que la mélancolie est la mal qui berce ce siècle. Et le romantisme de se charger de mélancolie que ce soit dans la littérature, la musique, la peinture,… Dans la littérature, les auteurs se sont laissé envahir par la vague mélancolique qui est alors un état recherché par les auteurs, état précédent la création. Cet état enlève à l’artiste son enthousiasme. Mais la mélancolie ouvre les portes de l’imaginaire. Selon Victoire Hugo, « la mélancolie, c’est le plaisir d’être triste. » La mélancolie chez Tcheckh Tcheckhov Apathie, sans volonté de faire bouger les choses, affaiblissement intellectuel croissant de personnages pourtant intelligents. Il ne crée pas de héros, mais des personnages confrontés à la sclérose des habitudes et à l’usure du temps auxquels rien ne résiste. Cet état d’esprit peut mener ses personnages au suicide. Le spleen De manière générale, le romantisme exprime un profond malaise, un monde économique où il devient difficile de vivre dignement. Musset dénonce le matérialisme bourgeois. Le progrès intellectuel apporté par les Lumières s’accompagne ensuite d’un sentiment de vide spirituel d’un ennui profond qui pousse au suicide ou à la démence. Il s’agit là d’un sentiment de finitude de l’humain face à l’infini du monde. Ce malaise romantique offre cependant une certaine beauté, un sentiment de bonheur reconnu par les auteurs et artistes du temps. La mélancolie est le signe distinctif de l'artiste : c'est déjà le spleen (cf. plus tard Baudelaire : la notion de spleen existe déjà à l’époque romantique allemande et anglaise et Baudelaire l’a popularisé) sans cause précise, état morbide où l'on ne se supporte plus, où la solitude est un enfer, où la conscience du temps qui passe et le malheur de l'homme, la cruauté de la nature accablent l'esprit, et lui inspirent des tentations de révoltes politiques ou de suicide, à moins qu'il ne sombre dans la folie. Ce mal est le mal de l'homme, sa condition, et cette expérience de la douleur est inséparable de la vie et de son apprentissage ; c'est une fatalité qu'il faut expier, un châtiment dont le monde est la réalisation. Page | 20 Pour tout renseignement complémentaire ou pour organiser les animations dans les classes, n’hésitez pas à contacter : Isabelle Peters – [email protected] – 0493/093.011 La mélancolie dans la peinture -Saturne dévorant ses enfants (F. Goya-1820-1823) [Saturne : Dieu de la Mélancolie) -G de Chiricio, La mélancolie d’une belle journée (1930) -Melancholia d’A. Dürer (1514) : la mélancolie ouvrait les portes de l’imaginaire, trait de génie. La mélancolie dans la l ittérature L’époque romantique : Novalis, Goethe (les souffrances du jeune Werther), Fichte, Byron, Hugo, Vigny, Chateaubriand, Sand, Musset, Stendhal, Baudelaire, Flaubert (Madame Bovary), Verlaine (recueil de poèmes : les Poèmes saturniens)… Françoise Sagan : Bonjour Tristesse - J-P. Sarte : La Nausée (titre original : mélancholia) La mélancolie dans la musique Romantisme : Wagner, Berlioz, les Lieder de Schubert -S. Gainsbourg : L’aquoiboniste (Interprété par J. Birkin) -L. Ferré , La mélancolie -Miossec, La mélancolie -Benjamin Biolay, Mélancolique La mélancolie au cinéma Mélancholia de Lars Von Trier Nostalghia d’A. Tarkovski Nouvelle Vague Les quatre cents coups (Truffaut) Hiroshima mon amour (Resnais) Pierrot le fou (J-L Godard) A bout de souffle (J-L Godard) Page | 21 Pour tout renseignement complémentaire ou pour organiser les animations dans les classes, n’hésitez pas à contacter : Isabelle Peters – [email protected] – 0493/093.011 L’ennui – Propos Propos sur le bonheur, d’Alain (1909) Extrait du dossier pédagogique Cycle Anton Tchekhov, Tchekhov , Festival Automne en Normandie, p. 2323-24 Quand un homme n’a plus rien à construire ou à détruire, il est très malheureux. Les femmes, j’entends celles qui sont occupées à chiffonner et à pouponner, ne comprendront sans doute jamais bien pourquoi les hommes vont au café et jouent aux cartes. Vivre avec soi et méditer sur soi, cela ne vaut rien. Dans l’admirable Wilhelm Meister de Goethe, il y a une « société de renoncement » dont les membres ne doivent jamais penser ni à l’avenir ni au passé. Cette règle, autant qu’on peut la suivre, est très bonne. Mais pour qu’on puisse la suivre, il faut que les mains et les yeux soient occupés. Percevoir et agir, voilà les vrais remèdes. Au contraire, si l’on tourne ses pouces, on tombera bientôt dans la crainte et dans le regret. La pensée est une espèce de jeu qui n’est pas toujours très sain. Communément on tourne sans avancer. C’est pourquoi le grand Jean-Jacques a écrit : « L’homme qui médite est un animal dépravé ». La nécessité nous tire de là, presque toujours. Nous avons presque tous un métier à faire, et c’est très bon. Ce qui nous manque, ce sont de petits métiers qui nous reposent de l’autre. J’ai souvent envié les femmes, parce qu’elles font du tricot ou de la broderie. Leurs yeux ont quelque chose de réel à suivre ; cela fait que les images du passé et de l’avenir n’apparaissent vivement que par éclairs. Mais, dans ces réunions où l’on use le temps, les hommes n’ont rien à faire, et bourdonnent comme des mouches dans une bouteille. Les heures d’insomnie, lorsque l’on n’est pas malade, ne sont si redoutées, je crois, que parce que l’imagination est alors trop libre et n’a point d’objets réels à considérer. Un homme se couche à dix heures et, jusqu’à minuit, il saute comme une carpe en invoquant le dieu du sommeil. Le même homme, à la même heure, s’il était au théâtre, oublierait tout à fait sa propre existence. Ces réflexions aident à comprendre les occupations variées qui remplissent la vie des riches. Ils se donnent mille devoirs et mille travaux et y courent comme au feu. Ils font dix visites par jour et vont au concert au théâtre. Ceux qui ont un sang plus vif se jettent dans la chasse, la guerre ou les voyages périlleux. D’autres roulent en auto et attendent impatiemment l’occasion de se rompre les os en aéroplane. Il leur faut des actions nouvelles et des perceptions nouvelles. Ils veulent vivre dans le monde, et non en euxmêmes. Comme les grands mastodontes broutaient des forêts, ils broutent le monde par les yeux. Les plus simples jouent à recevoir de grands coups de poing dans le nez et dans l’estomac ; cela les ramène aux choses présentes, et ils sont très heureux. Les guerres sont peut-être premièrement un remède à l’ennui ; on expliquerait ainsi que ceux qui sont les plus disposés à accepter la guerre, sinon à la vouloir, sont souvent ceux qui ont le plus à perdre. La crainte de mourir est une pensée pressante, si dangereuse qu’elle soit. Une bataille est sans doute une des circonstances où l’on pense le moins à la mort. D’où ce paradoxe : mieux on remplit sa vie, moins on craint de la perdre. Page | 22 Pour tout renseignement complémentaire ou pour organiser les animations dans les classes, n’hésitez pas à contacter : Isabelle Peters – [email protected] – 0493/093.011 Pistes pédagogiques × × × × × × × Anton Tchekhov Le drame du quotidien Le théâtre en Russie La naissance de la mise en scène L’adaptation d’un texte au théâtre Les questions du bonheur et du renoncement La mélancolie à travers les arts Qu’est-ce que la mélancolie ? D’où vient ce sentiment et comment en sortir ? Pourquoi peut-il apporter de l’inspiration aux artistes ? Quel rapport un être humain peut-il voir avec le monde qui l’entoure ? Comment vivre ensemble sans être conditionnés par les autres ? Quelle liberté chaque être humain a-t-il dans les choix qu’il fait ? Sources × × × × Dossier pédagogique Cycle Anton Tchekhov, Festival Automne en Normandie. Le Petit Robert des Noms Propres Le Mystère Tchekhov, Rodolphe Fouano, Cahiers de la Maison Jean Vilar U. GUARRIGUE, Sur la mélancolie dans l’art, De Boeck Université/Sociétés, 2004/4 no 86, pp79-84. × Dictionnaire du Théâtre, Encyclopédie UNIVERSALIS, Albin Michel, 2000. × Tout ce que Tchekhov a voulu dire sur le théâtre, traduction Catherine Hoden, l’Arche Editeur, 2007 × A.BENOIT-DUSSAUSOY et G. FONTAINE, Lettres européennes : manuel universitaire d’histoire et de littérature européenne, éd. De Boeck, 2007, Paris × www.russie.net × http://www.theatrons.com × www.wikipedia.org Page | 23 Pour tout renseignement complémentaire ou pour organiser les animations dans les classes, n’hésitez pas à contacter : Isabelle Peters – [email protected] – 0493/093.011 Quizz 1) Fils de Pavel Egorovitch Tchekhov et d’Evguenia iakovna Morozova, quelle place Anton Pavlovitch occupeoccupe-t-il dans la famille ? EstEst-il… A. Le deuxième enfant d’une famille de cinq B. Le troisième d’une famille de six C. Le quatrième d’une famille de sept 1) Qui le bat régulièrement et sauvagement pendant son enfance ? A. Sa mère B. Son père C. Un voisin 2) Nicolas Ier règne de 1825 à 1855. Qui lui succède de 1855 à 1881 ? A. Nicolas II B. Alexandre II C. Michel II 3) En quelle année le servage estest-il aboli en Russie ? A. 1848 B. 1861 C. 1870 4) Pavel Egorovitch, le père pèr e de Tchekhov, fait faillite en 1876 et fuit à Moscou pour éviter la prison pour dettes. Quel commerce tenaittenait-il ? A. Une quincaillerie B. Une épicerie C. Une armurerie 5) En 1884, Tchekhov termine ses études A. D’ingénieur B. D’agronomie C. De médecine 7) Quel prix littéraire littéraire reçoitreçoit-il en octobre de la même année pour son recueil Dans le crépuscule ? A. Le Prix Gogol B. Le Prix Pouchkine C. Le Prix Dostoïevski 8) Quel est le genre de la première version que Tchekhov écrit d’Ivanov d’Ivanov ? A. Un Drame B. Une Comédie C. Un Music-Hall 9) Quels genres genres d’histoires écrit Tchekhov ? A. Des Vaudevilles B. Des grandes aventures héroïques C. Des récits de la vie quotidienne 10) De quoi meurt Tchekhov ? A. Crise cardiaque B. Tuberculose C. Angine Page | 24 Pour tout renseignement complémentaire ou pour organiser les animations dans les classes, n’hésitez pas à contacter : Isabelle Peters – [email protected] – 0493/093.011 La mélancolie en chansons… La Mélancolie / Léo Ferré LA MELANCOLIE C'est un' rue barrée C'est c'qu'on peut pas dire C'est dix ans d'purée Dans un souvenir C'est ce qu'on voudrait Sans devoir choisir LA MELANCOLIE C'est un chat perdu Qu'on croit retrouvé C'est un chien de plus Dans le mond' qu'on sait C'est un nom de rue Où l'on va jamais LA MELANCOLIE C'est se r'trouver seul Plac' de l'Opéra Quand le flic t'engueule Et qu'il ne sait pas Que tu le dégueules En rentrant chez toi C'est décontracté Ouvrir la télé Et r'garder distrait Un Zitron' pressé T'parler du tiercé Que tu n'a pas joué LA MELANCOLIE x2 C'est voir un mendiant Chez l'conseil fiscal C'est voir deux amants Qui lis'nt le journal C'est voir sa maman Chaqu' fois qu'on s'voit mal LA MELANCOLIE C'est revoir Garbo Dans la rein' Christine C'est revoir Charlot A l'âge de Chaplin C'est Victor Hugo Et Léopoldine LA MELANCOLIE C'est sous la teinture Avoir les ch'veux blancs Et sous la parure Fair' la part des ans C'est sous la blessure Voir passer le temps C'est un chimpanzé Au zoo d'Anvers Qui meurt à moitié Qui meurt à l'envers Qui donn'rait ses pieds Pour un revolver LA MELANCOLIE C'est les yeux des chiens Quand il pleut des os C'est les bras du Bien Quand le Mal est beau C'est quelquefois rien C'est quelquefois trop LA MELANCOLIE C'est voir dans la pluie Le sourir' du vent Et dans l'éclaircie La gueul' du printemps C'est dans les soucis Voir qu'la fleur des champs LA MELANCOLIE C'est regarder l'eau D'un dernier regard Et faire la peau Au divin hasard Et rentrer penaud Et rentrer peinard C'est avoir le noir Sans savoir très bien Ce qu'il faudrait voir Entre loup et chien C'est un DESESPOIR QU'A PAS LES MOYENS Page | 25 Pour tout renseignement complémentaire ou pour organiser les animations dans les classes, n’hésitez pas à contacter : Isabelle Peters – [email protected] – 0493/093.011 L’aquaboniste / Serge Gainsbourg C'est un aquoiboniste Un faiseur de plaisantristes Qui dit toujours à quoi bon A quoi bon Un aquoiboniste Un modeste guitariste Qui n'est jamais dans le ton A quoi bon Un aquoiboniste Un modeste guitariste Qui n'est jamais dans le ton A quoi bon Un aquoiboniste Un peu trop idéaliste Qui répèt' sur tous les tons A quoi bon Un aquoiboniste Un drôl' de je m'enfoutiste Qui dit à tort à raison A quoi bon Un aquoiboniste Qui s'fout de tout et persiste A dire j'veux bien mais au fond A quoi bon Un aquoiboniste Qu'a pas besoin d'oculiste Pour voir la merde du monde A quoi bon Un aquoiboniste Qui me dit le regard triste Toi je t'aime, les autres ce sont Tous des cons Page | 26 Pour tout renseignement complémentaire ou pour organiser les animations dans les classes, n’hésitez pas à contacter : Isabelle Peters – [email protected] – 0493/093.011 La mélancolie / Miossec La mélancolie Qui vient qui coule Qui vous enfonce tout doucement Qui vous enroule Qui vous blottit Qui vous protège des ouragans La mélancolie qui vient qui cogne A la porte si souvent Que l'on s'y abandonne Que l'on se roule même dedans La mélancolie De nos meilleures années Nos compagnes nos conneries Ne doivent pas un jour s'oublier Nos mélancolies Se mélangent mon ange S'emmêlent Dans nos vies de petits blancs Dans tous ces souvenirs d'école Et de tout le tremblement La mélancolie Comme une anomalie Qui démolit tout doucement Qui vous demande qui vous explique Qu'on n'est plus des enfants La mélancolie Qui coule de source Qui colle au corps Et qui vous crée des putains d'emmerdements La mélancolie c'est communiste Tout le monde y a droit de temps en temps La mélancolie n'est pas capitaliste C'est même gratuit pour les perdants La mélancolie c'est pacifiste On ne lui rentre jamais dedans La mélancolie oh tu sais ça existe Elle se prend même avec des gants La mélancolie c'est pour les syndicalistes Il faut juste sa carte de permanent Page | 27 Pour tout renseignement complémentaire ou pour organiser les animations dans les classes, n’hésitez pas à contacter : Isabelle Peters – [email protected] – 0493/093.011 LXII. Spleen / Baudelaire Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis, Et que de l'horizon embrassant tout le cercle Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits; Quand la terre est changée en un cachot humide, Où l'Espérance, comme une chauve-souris, S'en va battant les murs de son aile timide Et se cognant la tête à des plafonds pourris; Quand la pluie étalant ses immenses traînées D'une vaste prison imite les barreaux, Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux, Des cloches tout à coup sautent avec furie Et lancent vers le ciel un affreux hurlement, Ainsi que des esprits errants et sans patrie Qui se mettent à geindre opiniâtrement. — Et de longs corbillards, sans tambours ni musique, Défilent lentement dans mon âme; l'Espoir, Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique, Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir. Page | 28 Pour tout renseignement complémentaire ou pour organiser les animations dans les classes, n’hésitez pas à contacter : Isabelle Peters – [email protected] – 0493/093.011 EnivrezEnivrez-vous Il faut être toujours ivre. Tout est là: c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. enivrez-Mais de quoi? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez vous. Et si quelquefois, sur les marches d'un palais, sur l'herbe verte d'un fossé, dans la solitude morne de votre chambre, vous vous réveillez, réve illez, l'ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l'étoile, à l'oiseau, à l'horloge, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce vent,, la qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est; et le vent vague, l'étoile, l'oiseau, l'horloge, vous répondront: "Il est l'heure de s'enivrer! Pour n'être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrezenivrez- vous; enivrezenivrez- vous sans cesse! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise!" Charles Baudelaire Page | 29 Pour tout renseignement complémentaire ou pour organiser les animations dans les classes, n’hésitez pas à contacter : Isabelle Peters – [email protected] – 0493/093.011
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