scherwiller, bas-rhin, alsace - Quaternaire

Transcription

scherwiller, bas-rhin, alsace - Quaternaire
Quaternaire, 22, (2), 2011, p. 129-145
ENREGISTREMENT SÉDIMENTAIRE ET
ENVIRONNEMENT HOLOCÈNE DE LA PLAINE ALLUVIALE
DU GIESSEN (SCHERWILLER, BAS-RHIN, ALSACE)
n
Thomas VIGREUX1, David AOUSTIN2 & Pascal FLOTTÉ1
Résumé
Les études géologiques, géomorphologiques menées au cours d’une opération d’archéologie préventive (Parc d’Activités
Economiques Intercommunal du Giessen, Scherwiller, Bas-Rhin - 2008) sur des paléochenaux d’une rivière du piémont des Vosges
en Alsace, le Giessen, et une ancienne mare artificielle antique apportent un éclairage sur la formation et l’évolution de cet espace
au cours de l’Holocène. L’approche a été établie à partir de l’observation morphostratigraphique des terrains et par l’intermédiaire
d’analyses sédimentologiques, chronostratigraphiques et palynologiques. A l’Holocène ancien et moyen, la zone d’observation est
traversée par trois chenaux : ils sont respectivement datés du Boréal (10200-8900 cal. BP) / Atlantique ancien (8900-6800 cal. BP),
de l’Atlantique récent (6800-5700 cal. BP) et du Subboréal (5700-2600 cal. BP). Leur tracé migre peu à peu vers le nord en direction du cours actuel de la rivière. La présence d’une mare artificielle gallo-romaine, autour de laquelle s’est développée une activité
agropastorale, a permis l’enregistrement et l’analyse des séquences de l’Holocène récent. Au iiie siècle ap. J.-C., la plaine alluviale
alterne entre secteurs humides et espaces plus secs. Aucun dépôt d’inondation du Giessen n’est enregistré sur la zone d’étude. A
partir du ive siècle ap. J.-C., l’habitat gallo-romain s’éloigne de la mare qui s’assèche probablement sous l’effet d’une baisse du
niveau piézométrique de la nappe phréatique. A partir du viiie siècle ap. J.-C. jusqu’aux périodes contemporaines, la zone d’étude est
recouverte par des dépôts de débordements du Giessen. La variété des faciès souligne le large potentiel de mobilité de la rivière. A
cette augmentation des dépôts sont associées les traces d’un déboisement constant.
Mots-clés : paléochenaux, mare antique, palynologie, Holocène, Giessen, cône de déjection, sédimentation alluviale, inondations,
interactions Homme-milieux
Abstract
SEDIMENTARY RECORD AND HOLOCENE ENVIRONMENT OF THE GIESSEN ALLUVIAL PLAIN (SCHERWILLER,
BAS-RHIN, ALSACE)
Geological and geomorphological studies performed during an operation of preventive archaeology (Parc d’Activités
Economiques Intercommunal du Giessen, Scherwiller, Bas-Rhin, 2008), on paleochannels of a vosgian river, the Giessen, provide
new insight on the formation, the evolution and the interactions between man and environment in this area during the Holocene.
The approach was based on the field observation and data from sedimentology, chronostratigraphy and palynology. During the early
and middle Holocene, the studied zone was crossed by three channels: they are respectively dated from the Boreal (10200-8900 cal.
BP) / early Atlantic (8900-6800 cal. BP), recent Atlantic (6800 - 5700 cal. BP) and Subboréal (5700-2600 cal. BP). They migrated
step by step to the northward to the course of the present river. The presence of an artificial antic pool, around which Gallo-Roman
farm activity was developed, has allowed the recording and analysis of the recent Holocene sequences. No deposit by the Giessen in
the IIIth century is recorded. The alluvial plain alternated between wet and drier zones. From the ivth century, Gallo-Roman occupation and the Giessen River seem to have migrated away from the pool, and the depression was filled by the deposition of suspended
overflow material. From the viiith century until the contemporary period, the area was covered by deposits of Giessen overflow. The
diversity of sedimentary facies underlines the large potential of the Giessen divagations. This increase of the deposits is associated
with a constant land-clearing.
Key-words: paleochannels, Gallo-Roman period, Holocene, palynology, dejection fan, Giessen river, alluvial sedimentation, flood,
Human–environment interactions
1 - INTRODUCTION
Aujourd’hui souvent considérés comme des domaines
hostiles et peu propices à l’occupation humaine, les
contextes fluviatiles et leurs zones humides associées
figurent parmi les environnements les plus riches et les
plus diversifiés tant par leur origine que dans leur fonctionnement (hydrologique, géomorphologique, écologique). De tout temps, autour de ces espaces, se sont
tissés des rapports sociaux et culturels spécifiques basés
1
Pôle d’Archéologie Interdépartemental Rhénan (PAIR), 2 allée Thomas Edison, ZA CIRSUD, F-67600 SÉLESTAT.
Courriels : [email protected], pascal.flotte@pair-archéologie.fr
2
Laboratoire Archéosciences, Centre d’archéobotanique. Centre de Recherche en Archéologie, Archéosciences, Histoire, UMR 6566 CNRS
(CReAAH), Université Rennes 1, Campus de Beaulieu, 263 avenue du Général Leclerc, F-35042 RENNES cedex.
Courriel : [email protected]
Manuscrit reçu le 15/06/2010, accepté le 13/03/2011
1103-151 Mep.indd 41
7/06/11 13:02:36
130
sur une gestion durable de la ressource offerte (Burnouf
& Leveau, 2004).
Depuis ces dernières années, l’archéologie et les géosciences portent une attention particulière à ces espaces.
Plusieurs programmes de recherche ont été lancés, citons
par exemple ceux de Bravard et Prestreau (1997), Brown
(1997) et Arnaud-Fassetta (2008). Les fouilles d’archéologie préventive menées par le Pôle d’Archéologie
Interdépartemental Rhénan (PAIR) sur le Parc d’Activité Economique Intercommunal de Scherwiller en 2007
(PAEI - Giessen) ont été une opportunité pour reconstituer, via une approche pluridisciplinaire, la mise en place,
l’évolution et les modes d’occupation d’une zone humide
alluviale en lien avec une rivière d’origine vosgienne : le
Giessen.
Les contextes fluviatiles et les zones humides dans la
Plaine d’Alsace ont déjà fait l’objet de plusieurs travaux
(Maire, 1967 ; Carbiener, 1969, 1983 ; Hirth, 1971 ; Vogt,
1978 ; Vogt, 1984, 1992 ; Schmitt, 2001 ; Boës, 2005 ;
Ollive et al., 2006, 2008, 2009 ; Boës et al., 2007). Les
données que nous publions dans cet article s’inscrivent
dans cette démarche.
L’étude environnementale menée sur le PAEI du
Giessen étant réalisée dans le cadre de fouilles archéologiques préventives, nos travaux ont été contraints par un
arrêté délivré par l’Etat et un budget défini par un projet
de fouille. Ces divers éléments nous ont donc poussés
à devoir faire des choix, aussi bien dans nos protocoles
d’étude sur le terrain, que dans les prélèvements à réaliser
pour les analyses.
Nos objectifs ont été d’appréhender, à partir de la
fenêtre d’observation, le fonctionnement hydrologique
du Giessen au cours de l’Holocène, les paramètres qui
en régissent son fonctionnement ainsi que les mécanismes susceptibles de modifier sa dynamique fluviatile.
Il s’agissait par ailleurs pour les périodes historiques
d’évaluer l’incidence de la rivière sur la zone d’étude,
les modes d’occupation de l’espace et des sols ainsi que
l’évolution des paysages.
2 - CADRE DE L’éTUDE
2.1 - CONTEXTE GÉOLOGIQUE
Le Giessen est un affluent de l’Ill, affluent de rive
gauche du Rhin qui draine du sud au nord la plaine
d’Alsace. Depuis les Vosges cristallines, où il prend sa
source à 675 m d’altitude, il parcourt 34 km jusqu’à
son arrivée dans la Plaine d’Alsace (fig. 1a, 1b et 1c).
La rivière draine un bassin versant d’une superficie de
273 km² et qui couvre les vallées de Villé et de SainteMarie-aux-Mines. Les données hydrométriques enregistrées sur quarante-deux années par l’Agence de l’Eau
Rhin-Meuse (fig. 2) montrent que la rivière possède un
régime hydrologique très contrasté de type pluvio-océanique avec de hautes eaux en hiver et au printemps et
une période d’étiage en été et à l’automne. En période
de basses eaux (été et automne), le Giessen peut perdre
la quasi-totalité de son débit et, en aval de la prise de
1103-151 Mep.indd 42
l’Aubach, il n’est pas rare d’assister à un assèchement
total de son lit.
Dans sa partie amont, le Giessen s’écoule à travers un
chenal rectiligne et possède un fonctionnement hydraulique torrentiel. Le long de son tracé la rivière rencontre
des terrains de nature géologique très variable : entre les
communes de Maisons-goutte et de Villé, le cours d’eau
incise des séries métamorphiques (schistes et phyllades
de Villé) ; entre Villé et Neubois, il traverse des séries
conglomératiques, arkosiques, dolomitiques, schisteuses
et calcaires du Permien ; entre Neubois et Scherwiller, il
érode des formations granitiques et conglomératiques.
Au nord-ouest de la commune de Val de Villé, la rivière
donne naissance à un nouveau bras, l’Aubach. L’Aubach
correspond à une dérivation artificielle du Giessen pour
venir alimenter en eau la commune de Scherwiller. Sa
date de mise en place reste indéterminée mais son tracé
figure déjà sur les cartes de Specklin de 1576. Le Giessen
est ensuite rejoint par la Liepvrette qui est issue de la
vallée gneissique et granitique de Sainte-Marie-auxMines.
Dans sa partie aval, à la sortie du Massif vosgien et avant
de déboucher dans la Plaine d’Alsace, le Giessen incise
un vaste cône de déjection (Blanalt et al., 1970) qui se
présente sous la forme d’un éventail de 6 km de large et de
7,5 km de long. Ce dernier est le résultat d’accumulations
sédimentaires issues des débâcles fluvio-glaciaires postérieures aux glaciations du Mindel, du Riss, du Würm, et
des débordements holocènes de la rivière. Le cône de
déjection possède un relief peu marqué et constitue une
vaste zone humide propice aux débordements et aux divagations des cours d’eau. Les travaux récents d’endiguement et de rectification du Giessen ont fortement modifié
l’aspect général de la rivière. Malgré quelques aménagements, les plans de finage du xviiie siècle montrent encore
un style fluvial en tresse.
Les données piézométriques relevées en janvier 2001
pendant la période de hautes eaux indiquent une profondeur de nappe moyenne à 3,9 m et pouvant localement
atteindre 2,8 m (Fondasol, 2001). La nappe phréatique
est donc peu profonde et s’écoule d’ouest en est. Elle
est principalement alimentée par la rivière. Le régime
hydrologique du Giessen entraine donc des variations
de niveaux de battement de la nappe phréatique peu
propices à la préservation du matériel organique et du
cortège pollinique.
Sur le secteur d’étude, deux fenêtres ont fait l’objet
de fouilles (fig. 3a). Elles sont respectivement nommées
zone 1 et zone 2. Sur ces deux zones les apports détritiques sont d’origine vosgienne. La formation grossière de
la base correspond à des dépôts fluvio-glaciaires gravelosableux (fig. 3b). Elle est datée du Tardiglaciaire (Blanalt
et al., 1970) et est recouverte par les accumulations
limono-sableuses rougeâtres holocènes du Giessen.
2.2 - CONTEXTE ARCHÉOLOGIQUE
La fouille archéologique a porté sur des vestiges galloromains dont la période principale de mise en place est
comprise entre la fin du iie siècle et la fin du iiie siècle
7/06/11 13:02:36
131
L’ill
ST
sse
n
SC
SL
ht
Fec
CL
Kaiserstuhl
Forêt Noire
Weis
s
Le Rhin
Vosges
Gie
Lauch
Th
ur
ML
Doller
L’il
l
CL : Colmar
SL : Sélestat
ST : Strasbourg
ML : Mulhouse
SC : Scher
Scherwiller
willer
0
300 km
Jura
Fig.1a
50 Km
0
Plaine d’Alsace
Cours d’eau
Zone d’étude
Faille vosgienne
Fig.1b
Oe
Maison-goutte
Maison-gout
te
Le
G
Faille vosgienne
Villé
ies
s
eer
lla Sch
en
ac
h
Oe
Vosges
Neubois
l’Aubach
tte
vre
iep
L
La
Val de Villé
Scherwiller
Scher
willer
l’A
ub
Oe
es
Gi
Le
Plaine
d’Alsace
d’Alsace
Châtenois
Ste Marie
aux Mines
n
se
Sélestatt
Sélesta
l’Ill
0
Ht Koenigsbourg
Oe
5 km
Fig.1c
Formations alluviales
récentes
Accummulations fluviatiles
würmiennes
Formations gréseuses du Trias.
Cône de déjection tardiglaciaire
du Giessen
Cône de déjection rissien
du Giessen
Formations du Permien : conglomérats,
arkose, dolomite, calcaires, bréches
et schistes
Dépôts loessiques würmiens
würmiens
Dépôts rissiens de bas de
piémont, glacis de solifluxion
Formations gneissiques et granitiques
Zone d’étude
Cours d’eau
Failles
Fig. 1a : Localisation de la zone de fouille.
Fig. 1a: Location of the excavation area.
Fig. 1b : Le site de Scherwiller dans le fossé rhénan supérieur.
Fig. 1b: The site of Scherwiller in the Upper Rhine Graben.
Fig. 1c : Carte géologique de la zone d’étude, redessinée d’après Blanalt et al. (1970).
Fig. 1c: Geological map of the studied area, modified from Blanalt et al. (1970).
1103-151 Mep.indd 43
7/06/11 13:02:52
132
ap. J.-C. (Flotté et al., 2008). Ils ont été observés sur
deux zones distantes de 250 m (superficie totale fouillée :
5000 m²). La zone 1, à l’est a livré plusieurs bâtiments et
constructions sur poteaux, un puits et une mare (fig. 4).
Dans la zone 2, à l’ouest, ont été observés des bâtiments
et aménagements divers moins développés dans l’espace.
Ces installations sont interprétées comme des établissements agricoles. Des indices d’occupation protohisto-
Fig. 2 : Variations des débits mensuels du Giessen (1965 à 2007).
Station hydrométrique de Sélestat (Banque HYDRO, http://www.hydro.
eaufrance.fr/).
Fig. 2: Variations of monthly flows of the Giessen river (1965 and
2007). Sélestat gauging station (Banque HYDRO, http://www.hydro.
eaufrance.fr/).
rique ont été détectés à l’est et au sud de la zone 1 lors
de l’opération de diagnostic préalable (Burg-Mischler &
Werlé, 2006).
3 - MÉTHODOLOGIE ET TECHNIQUE
Les données de forages géotechniques et les données
piézométriques nous ont permis d’appréhender avant
ouverture des sondages la nature du sous-sol et l’hydrographie souterraine (Fondasol, 2001). Sur le terrain, les
observations stratigraphiques et géomorphologiques ont
été effectuées à partir de sondages et de coupes réalisées
à la pelle mécanique. Ces données ont été complétées
par des analyses par la granulométrie laser, des datations
radiocarbone et des études palynologiques.
Les études par granulométrie laser (Malvern-MasterSizer MS2000) ont été menées par le laboratoire EOST de
Strasbourg. Elles ont porté sur les fractions minérales inférieures à 2000 μm. Avant mesure, l’échantillon est préalablement séché, décarbonaté, les ions floculant éliminés et
la matière organique détruite à H2O2. Après mesure, les
résultats obtenus sont à la proportionnelle des fractions.
Le traitement et la compilation des données sont réalisés
via une application Excel. Les courbes granulométriques
sont ainsi tracées et plusieurs paramètres calculés : le tri
ou classement (sigma) indique l’homogénéité des tailles
des particules de l’échantillon ; la médiane (phi) donne
une indication sur l’ordre de grandeur de la taille globale
Fig. 3a : Photographie aérienne de la zone d’étude (Fond photographique : Google-Earth).
Fig. 3a: Aerial photograph of the investigated area (Photographic background: Google-Earth).
Fig. 3b : Profils verticaux de deux forages (sondages 1.1 et 2.1).
Fig. 3b: Vertical profiles of two drillings (logs 1.1 et 2.1).
1103-151 Mep.indd 44
7/06/11 13:02:53
133
Fig. 4 : Plan des deux zones prospectées, et localisation des structures archéologiques et des paléochenaux.
Fig. 4: Map of prospected areas, and location of archaeological structures and palaeochannels.
des grains de l’échantillon et reflète l’énergie cinétique
moyenne de l’écoulement (Chamley, 2000). L’ensemble
des équations relatives à ces calculs sont décrites par
Rivière (1977).
Les datations radiocarbone (14C) ont été réalisées au
Laboratoire Radiocarbone de Poznan. Les fragments de
charbon ont été prélevés le long des coupes et sondages.
Les mesures ont été effectuées par la méthode AMS
(Accelerated Mass Spectrometry). Les dates obtenues
ont été calibrées à 2 Sigma avec le logiciel OxCal v3.10
(Bronk & Ramsey, 2001).
L’analyse palynologique a porté quant à elle sur une
colonne composée de treize échantillons de sédiment de
2 cm d’épaisseur chacun (sondage 1.3 ; cf. paragraphe.
4.1.3). Ils ont été prélevés avec un pas d’échantillonnage de 5 cm. L’extraction du pollen et des spores a
été réalisée par L. Charrieau (CReAAH, Rennes). Dix
grammes de sédiment frais ont été traités pour chaque
échantillon. Le traitement fait intervenir l’acide chlorhydrique, la soude, une liqueur dense (solution de Thoulet
de densité 2,1), l’acide fluorhydrique, l’acide acétique
glacial et un mélange d’anhydride acétique et d’acide
sulfurique (acétolyse), selon la méthode mise au point par
Frenzel (1964), reprise par Bastin et Coûteaux (1966),
puis perfectionnée par Juvigné (1973a, 1973b). Pour les
échantillons dont les préparations contenaient une quantité suffisamment importante de pollen, un minimum de
300 grains a été identifié et compté. L’identification du
pollen de céréales (Cerealia type) a été réalisée à partir
de la mesure du diamètre du grain (supérieur ou égal à
45 µm) et de l’annulus entourant le pore (supérieur ou égal
à 8 µm) (Leroyer, 1997). Les pourcentages polliniques
ont été calculés à partir d’une somme de base excluant
1103-151 Mep.indd 45
les spores de fougère et les grains de pollen indéterminés.
Les concentrations polliniques ont été obtenues d’après
la méthode volumétrique (Cour, 1974).
4 - RéSULTATS
4.1 - éVOLUTION MORPHOSTRATIGRAPHIQUE
Les coupes et les sondages réalisés au cours de l’opération ont permis la définition et la caractérisation des
séquences sédimentaires. Une coupe permettant une étude
géomorphologique a été réalisée dans la zone 2 et trois
autres coupes dans la zone 1 (fig. 4). Cinq grandes phases
de construction et d’évolution de la plaine alluviale du
Giessen au cours de l’Holocène sont identifiées :
– Phase 1 : la mise en place de la nappe grossière au
Tardiglaciaire,
– Phase 2 : l’incision antérieure à l’Antiquité de la nappe
grossière par un réseau complexe de chenaux,
– Phase 3 : les niveaux d’occupations antiques,
– Phase 4 : les formations du haut Moyen Âge,
– Phase 5 : les débordements récents du Giessen.
4.1.1 - Phase 1 : la nappe grossière du Tardiglaciaire
La nappe grossière (fig. 5) correspond à des unités
gravelo-sableuses issues de l’érosion du Massif vosgien.
Elles appartiennent au cône de déjection tardiglaciaire du
Giessen. Il s’agit de galets roulés homogènes associés à
une matrice sableuse (80 % de galets et 20 % sable). Les
roches pré-triasiques forment 90 % des galets (Fig. 1c ;
Blanalt et al., 1970). L’ensemble est homogène et
7/06/11 13:02:53
Fig. 5 : Coupes stratigraphiques transversales des chenaux 1, 2 et 3.
Fig. 5: Stratigraphic cross-sections of channels 1, 2 and 3.
134
1103-151 Mep.indd 46
7/06/11 13:02:54
135
meuble. La porosité du sédiment est importante et c’est à
travers ces formations que s’écoule la nappe alluviale de
la rivière. Au cours de l’Holocène, à l’occasion d’événements hydrographiques importants, ces unités sont remobilisées et déposées sous forme de barres fluviatiles.
4.1.2 - Phases 2 : les chenaux antérieurs à l’Antiquité
Sur la fenêtre d’étude trois chenaux ont été recoupés
(fig. 4). Ils se mettent en place dans les unités grossières
tardiglaciaires et sont orientés est-ouest. Ils correspondent à trois anciens bras du Giessen qui se trouvait au sud
du cours actuel de la rivière. Ils sont notés respectivement
chenal 1, chenal 2 et chenal 3. Les trois chenaux ont été
comblés par des dépôts similaires, constitués de sables
fins de couleur rougeâtre, homogènes et compacts, d’environ 60 cm de puissance. Ces unités sont peu poreuses en
raison d’une matrice limono-argileuse abondante (35 % à
50 %) et stériles. Elles comportent cependant quelques
graviers. Leurs limites inférieures et supérieures sont
nettes. Leur structure interne est de type particulaire et
aucune trace de lamination n’a été observée. Quelques
gravillons sont cependant à noter. Aucun matériel anthropique n’est identifié.
4.1.2.1 - Le chenal 1
Le chenal 1 est identifié sur la zone 1 au sein des coupes
1, 2, et 3 (fig. 4 et 5). C’est le seul chenal dont les deux
berges ont été recoupées. Ce chenal dont la largeur est en
moyenne de 13 m (moyenne établie à partir des coupes 1
et 2), a été suivi sur environ 85 m de long. Afin d’affiner
sa caractérisation et de comprendre sa dynamique de
comblement, des études par granulométrie laser ont été
réalisées sur le sédiment (Sondage 1.2) (fig. 6).
La séquence de comblement est principalement constituée de sables très fins (médiane de Folk moyenne =
82,5 μm soit phi = 3,6). Associée à cette fraction sableuse,
le diagramme granulométrique en pourcentage cumulé
montre que la matrice (environ 43 % du sédiment) est
constituée de limons et d’argiles (environ 33 % de
limons et 10 % d’argiles). Quatre épisodes de dépôts
sont identifiés. Ils sont notés respectivement 1, 2, 3, 4.
Les épisodes 1 et 3 correspondent à la mise en place de
sables fins (d’environ 125 µm de diamètre moyen). Intercalés entre les unités correspondantes, les épisodes 2 et 4
coïncident avec la mise en place de sables très fins et de
limons moyens. Ces derniers ont respectivement 78 µm et
27 µm de diamètre moyen. Le sommet de la séquence de
dépôt évolue vers des argiles limoneuses. L’ensemble de
ces données granulométriques met en évidence la mobilité probable des anciens tracés du Giessen. Les épisodes
de sédimentation plus grossière (épisode 1 et 3) suggèrent un rapprochement du lit mineur du cours d’eau. Le
sommet de la séquence marque un hydrodynamisme local
très faible et une sédimentation par simple décantation
dans une tranche d’eau quasi-stagnante, ce qui est typique
des épisodes terminaux de comblement de bras morts.
Sur l’ensemble de la séquence de comblement, les
indices de classement sont très mauvais (sigma moyen
égal à 3,51) ce qui marque un contexte environnemental
fluviatile très turbide typique de contextes torrentiels.
Même si la dominante est sableuse, les diagrammes
granulométriques montrent que plusieurs pics granulométriques coexistent au sein des échantillons (fig. 7). Ils
suggèrent des sources d’apports variées en amont de la
rivière et d’éventuels glissements latéraux par solifluxion
issus des berges du Giessen. Les analyses radiocarbone
Fig. 6 : Courbes granulométriques réalisées dans le chenal 1.
Fig. 6: Grain-size curves realised from channel 1.
1103-151 Mep.indd 47
7/06/11 13:02:54
136
ces raisons, être déterminées. La mesure radiocarbone
réalisée sur un fragment de charbon de bois prélevé dans
le comblement (tab. 1) date la sédimentation dans ce
chenal vers Poz-26274 = 6200-5987 cal. BP (Atlantique
récent).
4.1.2.3 - Le chenal 3
Le chenal 3 est recoupé dans la zone 2 (coupe 4) et
situé au nord du chenal 2 (fig. 4 et 5). Cet ancien bras
du Giessen n’est recoupé que partiellement et seule la
berge nord est identifiée. Comme pour le chenal 2, sa
longueur et sa largeur exactes n’ont pu être déterminées.
Les mesures 14C réalisées sur des fragments de charbon
de bois datent la phase de sédimentation dans ce chenal
à Poz-26238 = 5554-5473 cal BP et Poz-26239 = 57305591 cal BP (tab. 1). Le chenal est comblé au Subboréal
(Néolithique).
Fig. 7 : Diagramme granulométrique réalisé dans le chenal 1.
Fig. 7: Grain-size diagram realised from channel 1.
ont été réalisées sur des fragments de charbons de bois
prélevés à la base et au sommet du comblement du paléo­
chenal. Elles sont respectivement notées Poz-26272 et
Poz-26273 (tab. 1). Le sommet du remplissage est daté à
Poz-26272 = 8450-8299 cal. BP. La base de la séquence
est datée à Poz-26273 = 9628-9471 cal. BP. Le chenal se
comble donc entre le Boréal et l’Atlantique ancien.
Une reconstitution en trois dimensions du chenal 1 est
proposée. Elle a pour objet de comparer ce tracé ancien
avec le cours actuel du Giessen (fig. 8). Dans les deux
cas, la morphologie des deux cours d’eau est similaire.
Ces derniers se présentent sous la forme de bras larges
et peu profonds. L’une de ces barres est recoupée dans
la coupe 2 de la zone 1 et suivie en planimétrie lors du
décapage. Elle est constituée de galets roulés présumés
tardiglaciaires et remaniés à l’Holocène. La granulométrie grossière des sédiments constituant la barre fluviatile, suggère une dynamique alluviale très active.
4.1.2.2 - Le chenal 2
Le chenal 2 est situé immédiatement au nord du chenal 1
(fig. 5). Il a été identifié partiellement dans les coupes 1
et 2 (seule la berge sud est recoupée dans la coupe 2).
Sur la coupe 1, il est fortement érodé par le creusement
artificiel d’une mare au cours de l’Antiquité (cf. paragraphe 4.1.3). Sa longueur et sa largeur n’ont pu, pour
Fig. 8 : Bloc-diagramme du chenal 1 et morphologie actuelle du
Giessen dans le secteur d’étude.
Fig. 8: 3D-diagram of channel 1 and actual morphology of the Giessen
river in the study area.
Code lab.
Chenal
Profondeur
Date BP
Date cal.BP à deux Sigma
Matériel
Localisation
POZ - 26238
3
068 cm
4830 +/- 40
5554 - 5473
Charbon
Scherwiller – Zone 1
POZ - 26239
3
080 cm
4920 +/- 40
5730 - 5591
Charbon
Scherwiller – Zone 1
POZ - 26274
2
042 cm
5300 +/- 40
6200 - 5987
Charbon
Scherwiller – Zone 2
POZ - 26272
1
125 cm
7560 +/- 50
8450 - 8299
Charbon
Scherwiller – Zone 2
POZ - 26273
1
155 cm
8560 +/- 50
9628 - 9471
Charbon
Scherwiller – Zone 2
Tab. 1 : Datations radiocarbone.
Tab. 1: Radiocarbon dates.
1103-151 Mep.indd 48
7/06/11 13:02:55
137
4.1.3 - Phase 3 : les dépôts gallo-romains
L’enregistrement et la caractérisation des dépôts antiques ont pu être réalisés grâce à une mare localisée au
centre de la zone 1, sous environ 80 cm d’alluvions de
débordements récents du Giessen (fig. 4). Cette dépression entaille le comblement des chenaux 1 et 2 et les
formations gravelo-sableuses tardiglaciaires. Elle possède
une forme ovale de 19,5 m sur 17,5 m, soit une superficie d’environ 300 m². Après sa reconnaissance en plan
au moment du décapage archéologique, la coupe 1 et un
sondage (Sondage 1.3) ont été exploités pour la caractérisation de la séquence de comblement (fig. 5 et 9). La
forme de la dépression, la nature des dépôts ainsi que
le matériel archéologique retrouvé permet d’interpréter
cette dépression comme une mare antique. Ce milieu,
propice au piégeage des sédiments, a permis l’accès à
divers paramètres environnementaux. Nous avons pu
ainsi déterminer les processus de mise en place des faciès
sédimentaires rencontrés et les relier aux modes d’occupation de la dépression ainsi qu’aux conséquences de la
morphodynamique du Giessen sur la zone d’étude.
diamètre) et des fragments de charbons de bois. Aucun
mobilier archéologique n’est identifié. Les données
granulométriques (fig. 9) indiquent une augmentation très
importante des fractions argileuses et limoneuses au détriment de la fraction sableuse. La médiane de Folk moyenne
de l’unité est d’environ phi = 4,9 soit 33 µm (limons). Le
classement est très mauvais (2,5<sigma<3,2).
Les paramètres granulométriques suggèrent peut-être
une phase d’éloignement du cours d’eau. Ils indiquent un
milieu turbide, remanié, mais suffisamment calme pour
permettre la sédimentation par décantation des particules
fines en suspension. Ces éléments confortent l’hypothèse
d’une mare mais, en comparaison avec l’US 2134-2,
l’activité périphérique est beaucoup moins intense. Ils
semblent marquer un abandon du site et/ou un éloignement de l’habitat.
Une concentration de fragments charbonneux correspondant certainement aux résidus d’un feu ou au rejet d’un
foyer a permis une datation par 14C du toit l’US-2134-3a.
On a obtenu une date calibrée Poz-26282 = 1228-1176 cal.
BP (transition Antiquité / haut Moyen Âge) (tab. 1).
4.1.3.1 - Les dépôts du iie au iiie siècles ap. J.-C.
(US 2134–2)
La base de la séquence de comblement de la dépression (US 2134-2) (fig. 9) se caractérise par des dépôts
bruns à gris très hétérogènes et compactes. Il s’agit de
faciès gravelo-sableux (le diamètre des graviers est d’environ 3 cm). La limite inférieure de l’unité est nette, ce
qui indique un creusement artificiel de la dépression. Le
diagramme cumulé des analyses par granulométrie laser
réalisé sur la matrice sableuse du sédiment montre un
pic en particules grossières avec 87,5 % de sables. La
médiane de Folk moyenne de la matrice du comblement
est aux environs de phi = 1,2 soit 435 µm (sables moyens).
Le tri est très mauvais (sigma = 1,56). Ces éléments sont
les marqueurs d’un milieu de dépôt turbide et fortement
remanié. La limite supérieure de l’horizon est progressive, ce qui suggère un changement graduel de l’environnement local.
L’US 2134-2 a délivré sur la surface sondée (30 m2) une
quantité importante de fragments céramique datée du iie et
iiie siècle ap. J.-C. en liaison avec une activité rurale. Les
fragments de terre cuite ne présentent pas de marques de
transport dans l’eau (fragments anguleux) ce qui indique
que durant son activité la mare a été utilisée comme zone
de décharge ou d’assainissement. Les faibles teneurs en
argiles et limons révélées par l’analyse granulométrique
pourraient s’expliquer par des phases de curages et de
désenvasement répétés.
4.1.4 - Phase 4 : les dépôts du haut Moyen Âge
A partir du haut Moyen Âge, on observe dans le
comblement de la mare une diminution de la fraction
limoneuse et argileuse au profit de la fraction sableuse
(US 2134-3b). L’US 2134-3b correspond à un niveau de
sables moyens de couleur brun-rougeâtre. L’ensemble
est homogène, la porosité est moyenne. Les limites
supérieures et inférieures sont nettes. On peut noter la
présence de quelques graviers roulés (environ 1 cm de
diamètre) et quelques traces de galeries de vers de terre.
Aucun mobilier anthropique n’est identifié.
A la base de l’US 2134-3b, les études granulométriques (fig. 9) indiquent un pic de la médiane de Folk à phi
= 1,69 soit 310 µm (sables moyens). Le classement est
très mauvais (sigma = 2,58). Ces données suggèrent le
passage d’une sédimentation par simple décantation à un
comblement de la dépression par des apports extérieurs
plus grossiers. Ces données sont le reflet soit de crues plus
fréquentes ou plus accentuées, soit d’un rapprochement
du lit mineur de la rivière (dynamique latérale). La nature
des dépôts marque dans tous les cas une augmentation de
l’incidence du cours d’eau dans ce secteur et un abandon
total de la mare à partir de 1228-1176 cal. BP.
Au sommet de l’US 2134-3b, la fraction sableuse
diminue. La médiane de Folk moyenne de l’unité est
phi = 3,5 soit 88 µm (sables très fins). Le diagramme
cumulé montre une augmentation des particules fines
jusqu’à 40 %. Le milieu reste cependant très turbide
donnant lieu à des indices de classement très mauvais
(sigma = 2,9). Ce granoclassement décroissant marque
un éloignement du tracé du cours du Giessen et la fin du
comblement de la mare.
4.1.3.2 - Les dépôts du ive au viiie siècle ap. J.-C.
(US 2134-3a)
Au-dessus des formations gravelo-sableuses hétérogènes riches en matériel romain (US 2134-2), on trouve
une unité limono-argileuse de couleur brun rougeâtre
(US 2134-3a) (fig. 9). Dans cet ensemble homogène et
compact, de faible porosité les pH sont acides (pH 5). On
y retrouve quelques galets d’érosion (environ 3 cm de
1103-151 Mep.indd 49
4.1.5 - Phase 5 : les débordements récents du
Giessen
Au-dessus des unités venant combler la dépression
antique, viennent se mettre en place les dépôts d’inonda-
7/06/11 13:02:56
1m
2387
Chemin - 1813
Mare en activité
Mare
activité
(Antiquité)
Haut
Moyen Ag
Moyen
Age
e
2134 - 2
2134 - 3a
2134 - 3b
2134 - 4
Soll
So
Contemporain
Co
ntemporain
2134 - 2
2134 - 3a
Poz 26282
3
LOG 1.3. - Localisation
Localisation des prélèvements
prélèvements
granulométriques et 14 C
Mare en activité
Mare
activité
Antiquité
Haut Moyen Ag
Age
e
2134 - 3b
2134 - 4
2
0
3
120
12
0
110
11
0
100
10
0
90
80
70
60
50
40
30
20
1
0%
4
6
10
mare
de la
Fond
5
20%
20
%
60%
60
%
80%
80%
1
2
3
4
5
6
100%
100
%
Augmentation des fractions fines
40%
40%
Granulométrie
en pourcentage cumulé
1 : Fond de la mare antique
antique
2
250
2
Sables
Phi
µm
62,5
Limons
4
0
5
4 : Sommet de la mare antique
3
6
Médiane de Folk
(Folk et Ward, 1957)
Limites d’unités
Sédiment grav
gravo-sableux
o-sableux riche
en matériel antique.
antique.
Limons argileux brun-rougeâtres
de décantation. M
Mise
ise en place à partir
partir du IVe
IVe siècle
Sables rougeâtres de débordements du Giessen.
Mise
Mi
se en place à partir
partir du Haut Moyen-Âge.
Moyen-Âge.
Passées sableuses grossières et
fines de débordements récents du Giessen
Chemin en gravier
gravier fin daté du
début du XIXe
XIXe siècle
Fig. 9 : Coupe stratigraphique de la mare antique.
Localisation des prélèvements granulométriques, palynologiques et carbone 14 (Sondage 1.3). Paramètres granulométriques.
Fig. 9: Stratigraphic cross-section of the antic puddle. Location of the granulometric, palynologic and carbon 14 samples (Boring 1.3). Grain-size parameters.
0
e
are
Mar
Dépôts de débordements
du Giessen
2387
Argiles
Chemin - 1813
Limons
Dépôts de débordements
du Giessen
Coupe
Co
upe 1 - Bordure sud de la mare antique
antique
Sables
Soll
So
moyenne : 144 µm
1103-151 Mep.indd 50
1
2
3
Classement
(Folk et Ward, 1957)
moyenne : 2,75
Contemporain
Co
ntemporain
Sigmaa
Sigm
4
138
7/06/11 13:03:04
139
tion récents, voire contemporains du Giessen (US 2134-4)
(fig. 9). Ces derniers recouvrent et nivellent l’ensemble du
site. Il s’agit de faciès de couleur rougeâtre qui alternent
entre sables fins et sables grossiers. La base de l’unité
stratigraphique se caractérise par des sables moyens
(phi = 1,5 soit 353 µm) tandis que dans la partie supérieure on observe une augmentation des fractions fines au
détriment des sables (jusqu’à 23 % de fraction fine dans
le sédiment). L’aggradation des niveaux de débordements
et les alternances de faciès moyens/grossiers, suggèrent
là encore un hydrodynamisme local très contrasté avec
soit une variation de l’intensité des crues, soit des déplacements latéraux du lit mineur de la rivière. Comme sur
l’ensemble du profil stratigraphique, les indices de tri
sont très mauvais et soulignent le caractère turbide du
milieu (typique des contextes fluviatiles). En raison de
l’absence de matériel datant au sein des unités récentes,
nous n’avons pu obtewnir une chronostratigraphie précise
de ces dépôts. Cependant, le sommet de l’US 2134-4 est
recoupé par un chemin en gravier (US 2387). Ce chemin
daterait du dernier tiers du xviiie siècle ou du début du
xixe puisque son tracé figure sur le cadastre napoléonien
daté de 1813.
4.2 - LES DONNéES PALYNOLOGIQUES
4.2.1 - Validité des résultats
Les valeurs de concentrations polliniques témoignent d’une certaine pauvreté en pollen des sédiments
du sondage 1.3. Elles varient de 25 (niveau à 80 cm) à
124 (niveau à 110 cm), avec une moyenne de 56 grains
de pollen par gramme de sédiment sec. Les niveaux à
85 et 95 cm se sont avérés sub-stériles et de ce fait, ont
été écartés de l’analyse. Sauf dans cinq niveaux (50, 75,
80, 90 et 100 cm), un nombre minimum de 300 grains
de pollen a pu être identifié dans les autres niveaux,
garantissant une bonne représentation statistique de leur
contenu pollinique (Reille, 1990). Une diversité supérieure à 20 types de pollen, nombre minimum de taxons
souhaitable pour obtenir une bonne représentativité
d’un point de vue écologique, a été obtenue dans tous
les niveaux. Le matériel sporo-pollinique est dans l’ensemble mal conservé, voire très corrodé pour les niveaux
à 50, 70, 90, 100, 115 et 120 cm. Par conséquent, les
taux de pollen indéterminable y sont relativement élevés,
jusqu’à 16,0 % dans le niveau à 100 cm.
La faible concentration du sédiment en pollen (inférieur
à 1000 grains/gramme de sédiments sec) et leur mauvais
état de conservation révèlent qu’une partie du matériel
pollinique contenu dans le sédiment a été détruite (Hall,
1981). Une distorsion des spectres polliniques peut être
suspectée. En effet, les comptages polliniques risquent
d’y être biaisés en faveur des taxons, dont les grains
sont mieux préservés ou plus facilement identifiables
malgré leur mauvais état de conservation (Havinga,
1964, 1984 ; Hall, 1981). Pour exemple, les mauvaises
conditions de conservation conduisent à une sur-représentation artificielle du pollen d’aulne et des spores
monolètes de fougère dans l’ensemble des échantillons
analysés. Néanmoins, le mauvais état de conservation
1103-151 Mep.indd 51
des stocks polliniques ne s’accompagne pas automatiquement d’une baisse de la diversité taxonomique dans
les niveaux concernés, ni par une surreprésentation de
certains taxons résistants aux altérations, tels que les
pollens d’Asteraceae ; et les pollens de Poaceae, malgré
une certaine sensibilité à la corrosion, sont abondants
(Morzadec-Kerfourn, 1977). De ce fait, une interprétation des résultats peut être envisagée ; mais les niveaux
pour lesquels les grains de pollen sont très corrodés et/
ou pour lesquels un nombre minimum de 300 grains n’a
pu être atteint, devront être considérés avec prudence
(50, 70, 75, 80, 90, 100, 115 et 120 cm).
Des micro-charbons de bois ont par ailleurs été observés
dans l’ensemble des niveaux. Ces restes étaient particulièrement abondants dans les préparations des niveaux à
115, 110 et 95 cm ; du fait de la présence de charbons de
bois de taille millimétrique dans le sédiment traité.
4.2.2 - Évolution de la végétation
Les spectres polliniques sont caractérisés par une faible
représentation des pollens d’arbres et d’arbustes dont les
taux varient de 11,3 % (niveau à 120 cm) à 48,1 % (niveau
à 80 cm) (fig. 10). Au sein des ligneux, l’aulne (Alnus)
est le taxon dominant. Les fortes proportions d’herbacées
sont essentiellement dues aux Poaceae ; accompagnées
dans une moindre mesure par les Asteraceae, les Cichorioideae, les Brassicaceae et le plantain lancéolé (Plantago lanceolata). D’un point de vue chronologique, la
présence de pollen de charme (Carpinus) dès la base du
diagramme, permet de rattacher la séquence pollinique
au Subatlantique. Dans l’est de la France, cette essence
est présente de façon continue à partir de cette période
(Gauthier, 2004). En outre, les occurrences de pollen de
noyer (Juglans) et de châtaignier (Castanea) attestent la
présence de ces arbres dans la végétation régionale durant
l’occupation antique du site.
4.2.2.1 - US 2134-2
Les données palynologiques se rapportant à l’unité
stratigraphique 2134-2 correspondent aux spectres polliniques des niveaux 120, 115 et 110 cm du diagramme.
Des boisements sur sol marécageux sont perçus par la
présence de l’aulne, pouvant être accompagné du saule
(Salix). L’aulnaie semble se développer entre 120 cm
et 110 cm. Cependant, cet essor peut être artificiel, du
fait des mauvaises conditions de conservation des stocks
polliniques observées dans les niveaux 120 et 115 cm.
Des formations ligneuses plus évoluées sont attestées par
la présence de chêne (Quercus), de charme (Carpinus),
de tilleul (Tilia), d’orme (Ulmus), de frêne (Fraxinus)
et de noisetier (Corylus). Ces essences sont potentiellement associées selon les conditions stationnelles. Dans
les niveaux à 115 et 110 cm, un léger accroissement du
taux de charme est perçu. Sa présence traduit l’existence
de groupements forestiers de type chênaie-charmaie dans
les secteurs où les sols sont moins hydromorphes. Cette
zone enregistre également des formations ligneuses plus
éloignées du site par la présence ponctuelle du hêtre
(Fagus). Des conditions atmosphériques fraîches permet-
7/06/11 13:03:05
Fig. 10 : Diagramme pollinique du sondage 1.3.
Fig. 10: Pollen diagram from boring 1.3.
140
1103-151 Mep.indd 52
7/06/11 13:03:05
141
tent au hêtre de se développer pleinement dans le massif
des Vosges. Les herbacées dominent de manière importante les spectres polliniques (88,7 % à 120 cm). Les
taux élevés des Poaceae et les héliophiles (Asteraceae et
Cichorioideae) témoignent d’une relative importance des
prairies aux alentours de la mare. Les activités humaines
sont révélées par les indicateurs de cultures (Cerealia)
et par les plantes rudérales. Il s’agit principalement des
Brassicaceae, du plantain lancéolé, des Asteraceae, des
Cichorioideae, puis, en quantité moindre, des Chenopodiaceae, des Caryophyllaceae, des Urticaceae, de la
renouée des oiseaux (Polygonum aviculare), de l’oseille
(Rumex), de l’armoise (Artemisia) et de la centaurée
(Centaurea). Leur présence peut rendre compte de la
proximité des installations humaines, ou bien d’activités pastorales ou agricoles. Une zone d’eau libre est
attestée par la présence de la lentille d’eau (Lemna) et
du nénuphar (Nymphaea), qui peuvent être potentiellement présents dans la mare. Celle-ci est bordée par une
végétation mésohygrophile à hygrophile, signifiée par
la présence des Apiaceae, des Lamiaceae, de la renouée
persicaire (Polygonum persicaria), du rubanier (Sparganium) et des Cyperaceae.
4.2.2.2 - US 2134-3a
Les données palynologiques relatives à l’US 2134-3a
correspondent aux spectres polliniques des niveaux à 105
et 100 cm du diagramme.
Dans le niveau à 105 cm, une diminution de l’aulne
(13,7 %), conjointement à une augmentation du chêne
(6,4 %) et du sapin (Abies) (2,9 %), sont observées.
L’état de conservation du stock sporo-pollinique de ce
niveau étant relativement correct et le nombre de pollen
compté supérieure à 300, cette évolution pourrait être
le reflet d’un déboisement de l’aulnaie. Le pic de sapin
et l’augmentation des taux du chêne pourraient être la
conséquence de l’ouverture de l’aulnaie, celle-ci entraînant une meilleure perception de la pluie pollinique de
ces deux essences. La présence de grains de pollen de
sapin et d’épicéa (Picea) dans ce niveau correspond un
apport pollinique lointain, issu des forêts vosgiennes.
Par la suite, dans le niveau à 100 cm, la fréquence de
l’aulne augmente (21,2 %), tandis que celle du chêne
diminue et celle du charme devient nulle. La chute de
ces deux dernières essences pourrait s’expliquer par une
moins bonne perception de leur pluie pollinique, du fait
d’un redéploiement de l’aulnaie. Cependant, il semblerait que cette évolution des fréquences de l’aulne et du
chêne soit également liée au mauvais état de conservation de leur pollen. Le pollen de vigne (Vitis) enregistré
dans ce niveau peut correspondre à la vigne cultivée,
ou bien à la vigne sauvage car les grains de pollen de
ces deux espèces ne peuvent pas être différenciés. La
vigne sauvage étant présente dans les forêts alluviales, la
possibilité d’une culture de la vigne ne peut, de ce fait,
être attestée ; d’autant plus que cette plante possède une
très faible capacité de pollinisation (Gauthier, 2000). La
végétation locale reste dominée par les prairies. Dans
le niveau à 105 cm, de manière concomitante à la diminution de l’aulne, un léger essor des céréales (1,2 %)
1103-151 Mep.indd 53
et des rudérales est observé, attestant de la présence de
champs cultivés dans les environs. Les sédiments de la
mare n’enregistrant plus de pollen de taxons aquatiques,
l’absence de ces dernières pourrait être le résultat d’une
diminution de la hauteur de la lame d’eau dans la mare. A
ces abords, est présente une végétation mésohygrophile à
hygrophile composée des Cyperaceae, de la filipendule
(Filipendula), du rubanier et du plantain d’eau (Alisma).
La disparition de ce cortège, dans le niveau à 100 cm,
pourrait refléter un certain assèchement du sol aux abords
de la mare ou bien être lié aux conditions de conservation
médiocre du stock sporo-pollinique.
4.2.2.3 - US 2134-3b
Cette unité stratigraphique regroupe les niveaux à 90,
80, 75, 70 et 65 cm du diagramme.
Dans le niveau à 90 cm, les Apiaceae sont présentes
à un taux anormalement élevé (25,3 %), compte tenu
de leur mode de pollinisation entomogame. Ce taux
important pourrait être dû à l’essor local d’une espèce
mésohygrophile. Malgré l’appauvrissement de la
diversité du cortège rudéral, des activités humaines
sont attestées, notamment par la présence de céréales.
Les arbres reprennent de l’importance dans le niveau
à 80 cm, principalement l’aulne (23,7 %), le noisetier
(6,2 %) et le chêne (8,1 %). Le léger essor du châtaignier (1,8 %), et sa présence dans le niveau à 75 cm,
témoigne de la place de plus en plus importante que cet
arbre occupe dans la végétation régionale. Par la suite,
dans le niveau à 75 cm, une baisse significative des
taux de pollen d’aulne (12,0 %), de chêne (3,5 %) et
de noisetier (2,0 %) est observée. Ce phénomène s’accompagne d’une augmentation du pin (Pinus) (7,5 %),
du frêne (1,5 %) et des essences pionnières telles que
le bouleau (6,0 %) et le saule (1,0 %). Un déboisement
orienté vers la chênaie et l’aulnaie pourrait se produire.
Cette éclaircie du couvert forestier entraîne l’essor des
essences pionnières (bouleau et saule), qui colonisent les
espaces défrichés. Du fait de cette ouverture du milieu,
les apports polliniques lointains du pin sont mieux
perçus. Dans le niveau à 70 cm, le taux de pollen arboréen atteint une valeur minimale (13,7 %), du fait de la
diminution de l’aulne (5,1 %) et d’autres ligneux : le pin
(2,3 %), le tilleul (Tilia) (0,6 %) et le saule (0,6 %). Le
bouleau, le frêne et le châtaignier ne sont plus enregistrés. Deux occurrences de ligneux héliophiles, le sureau
(Sambucus) et le troène (Ligustrum), sont présentes.
Au niveau local, un cortège rudéral, diversifié et conséquent au sein de la strate herbacée, signe l’existence
de secteurs anthropisés. Des cultures de céréales sont
attestées dans les niveaux à 70 et 65 cm, voire dans celui
à 75 cm, du fait de la présence du bleuet (Centaurea
cyanus). L’essor des Cyperaceae (1,5 %) dans le niveau
à 75 cm, pourrait correspondre à une augmentation de
l’humidité des sols, pouvant être liée au déboisement de
l’aulnaie. La permanence de zones marécageuses dans
les niveaux à 70 et 65 cm est signifiée par la présence
de taxons mésohygrophiles à hygrophiles : Lamiaceae,
consoude (Symphytum), Renonculaceae, Cyperaceae,
massette (Typha).
7/06/11 13:03:06
142
4.2.2.4 - US 2134-4
Cette unité stratigraphique est renseignée par le spectre
pollinique du niveau à 50 cm. Celui-ci se distingue du
niveau sous-jacent par un recul de l’aulnaie et une légère
diminution des essences de la chênaie. Cette baisse des
ligneux pourrait traduire un nouveau déboisement des
formations forestières. Cependant, cette évolution ne peut
être confirmée, compte tenu du faible nombre de grains
de pollen comptés et de leur mauvais état de conservation
dans ce niveau. Localement, les prairies pourraient être
la formation végétale dominante ; tandis que l’augmentation des céréales marquerait un léger essor des cultures.
5 - INTERPRéTATION ENVIRONNEMENTALE
Le relief de la plaine alluviale du Giessen aux environs
de Scherwiller est peu marqué. La morphologie actuelle
de ce relief est héritée du recouvrement tardiglaciaire
(cône de déjection) et de l’activité récente holocène du
Giessen.
A l’Holocène ancien et moyen, la plaine alluviale est
traversée, sur le secteur d’étude, par trois anciens bras
du Giessen orientés ouest/est (chenaux 1, 2 et 3). Ils sont
respectivement datés du Boréal (10200-8900 cal. BP) /
Atlantique Ancien (8900-6800 cal. BP), de l’Atlantique
récent (6800-5700 cal. BP) et du Subboréal (5700-2600
cal. BP) selon la chronologie établie pour l’Europe du
nord (Mangerud et al., 1974). Les résultats obtenus
mettent en évidence des chenaux larges et peu profonds.
Les barres fluviatiles intercalées entre les chenaux sont
constituées de sables et de graviers issus du cône de
déjection tardiglaciaire de la rivière et remaniés au cours
de l’Holocène. Les alternances de sédiments fins/grossiers au sein du remplissage des anciens bras du Giessen
montrent un fonctionnement hydrologique contrasté et le
potentiel de mobilité de la rivière.
Une migration de la rivière vers le nord est observée
au cours de l’Holocène ancien et moyen en direction de
son tracé actuel. Ce type de déplacement sur les cônes
de déjection vosgiens a déjà été observé sur la Bruche
et la Fecht (Maire, 1967 ; Blanalt et al., 1972 ; Gaillot,
2007) et pourrait être lié à la dynamique propre des cours
d’eau et/ou à des mouvements tectoniques dans la partie
méridionale du Fossé rhénan du Rhin supérieur (Simler
& Millot, 1967 ; Bergerat, 1987 ; Vogt 1992). La zone
d’observation reste néanmoins restreinte et cette hypothèse méritera d’être étayée par des études et des analyses
complémentaires.
Après migration des anciens tracés du Giessen vers
le nord, la zone d’étude devient plus sèche. La présence
d’une mare mise en place pendant l’antiquité a permis
un enregistrement sédimentaire des périodes historiques.
La base de la séquence nous indique un milieu fortement
perturbé par l’occupation gallo-romaine. Elle se caractérise par des faciès remaniés, très hétérogènes, avec un
mélange de fractions grossières sableuses et de fractions
fines (limons et argiles). On y retrouve une quantité
importante de tessons de céramique datés du iiie siècle
ap. J.-C. en lien avec l’habitat antique (zone dépotoir).
1103-151 Mep.indd 54
Les études palynologiques montrent que la mare possède
une tranche d’eau conséquente (au maximum 80 cm).
L’environnement est ouvert : il est dominé par des prairies. Des boisements d’aulnes sont présents localement
tandis qu’une chênaie-charmaie compose la végétation
régionale. L’activité pratiquée dans ce milieu est de type
agropastoral.
Entre le ive et le viiie siècle ap. J.-C., la plaine alluviale
s’assèche davantage, la rivière semble s’éloigner du site,
la tranche d’eau de la mare, principalement alimentée par
la nappe phréatique du Giessen, diminue. L’environnement en périphérie de la mare est relativement calme et
non perturbé. Il devient de plus en plus sec au fur et à
mesure que l’on remonte vers le sommet de l’US 21343a. On n’observe plus aucun tesson de céramique au sein
de l’unité stratigraphique, ce qui indique un éloignement
de l’habitat ou sa disparition. L’assèchement de la mare
ne permet plus son utilisation. Les marqueurs polliniques
indiquent quant à eux une augmentation de l’activité
agricole, ce qui pourrait suggérer une réorganisation de
l’espace qui est désormais exploité comme champs.
A partir du haut Moyen Âge, le secteur redevient globalement humide et (sub-)ouvert. L’incidence du Giessen sur
la zone d’étude augmente et pourrait marquer un rapprochement du tracé du cours d’eau. Jusqu’aux époques
contemporaines, les dépôts de la rivière viennent peu à
peu combler la dépression antique et niveler les terrains.
Les traces de défrichements sont continues et l’activité
agropastorale est omniprésente. Une exception demeure
au sommet de l’US 2134-3b, où la zone d’opération
semble connaître une légère phase d’assèchement. Le
paysage se caractérise dès lors par des friches agricoles
où peuvent se développer, dans les espaces abandonnés
et non cultivés, des espèces pionnières. Le pic limoneux
observé sur les courbes granulométriques pourrait être
le reflet d’une modification du tracé de la rivière et un
éloignement ponctuel du cours d’eau.
Dans les niveaux supérieurs contemporains (US 21344), les alternances de sédimentation grossière et de
sédimentation fine soulignent là encore des variations
d’intensité des crues, ainsi que des déplacements latéraux
du Giessen.
6 - CONCLUSION
Les études géomorphologiques et environnementales
réalisées lors de la fouille d’archéologie préventive
du Parc d’Activités Economiques Intercommunal du
Giessen ont permis une première caractérisation de la
mise en place et de l’évolution d’un secteur de la plaine
alluviale du Giessen au cours de l’Holocène (fig. 11).
A l’Holocène ancien et moyen, le secteur est traversé
par trois paléochenaux du Giessen. Ces chenaux ne fonctionnent pas simultanément. Nous n’avons donc pas pu
déterminer s’il s’agissait de bras principaux ou secondaires du Giessen, ni le style fluvial de la rivière. La localisation de chacun des tracés semble cependant indiquer
une défluviation de la rivière vers le nord, en direction
du cours actuel. Ce phénomène est fréquemment observé
7/06/11 13:03:06
143
Fig. 11: Chronozones enregistrées sur la fenêtre d’étude.
Fig. 11: Chronozones recorded in the study area.
au niveau des cônes de déjection vosgiens (Hirth 1971).
Ainsi, les mesures de ces dernières années sur la Bruche
mettent en évidence des déplacements de méandres
importants pouvant atteindre presque 1 mètre en seulement 6 mois (Gaillot 2007 ; Saulas 2007).
La sédimentation enregistrée dans les paléochenaux du
Giessen témoigne d’une érosion forte du bassin versant.
Les alternances de sables et de limons dans leur comblement sont le reflet de la variabilité de la dynamique alluviale de la rivière, les apports les plus grossiers pouvant
marquer soit des épisodes de déstockage de dépôts
fluviatiles plus anciens, soit une augmentation de l’érosion sur le bassin versant comme cela a pu être observé
par Burnouf et Carcaud (1999) dans la vallée du Lane
(Indre-et-Loire).
Après la migration de la rivière, la plaine alluviale s’assèche. Au cours des époques historiques, le Giessen reste
très mobile et possède un régime hydrographique très
contrasté. L’enregistrement sédimentaire montre en effet
des variations importantes de l’incidence de la rivière
sur le site. C’est pendant l’Antiquité et au milieu du haut
Moyen Âge que le site semble le moins exposé aux impacts
du Giessen. Les traces d’habitation ne sont présentes sur
notre zone d’étude qu’à l’époque gallo-romaine. C’est
aussi probablement le cas au cours de la Protohistoire dont
quelques vestiges ont été reconnus à proximité de la zone
d’étude. L’activité humaine principale mise en évidence
est de type agropastoral. Elle est quasi-continue dans la
région, sauf ponctuellement après le haut Moyen Âge où
l’espace semble parfois abandonné.
Les études menées sur d’anciens bras du Rhin, dans
la région de Gensheim (Allemagne) par (Fetzer et al.,
1995 ; Dambeck & Thiemeyer, 2002 ; Dambeck, 2005)
montrent qu’à l’Holocène les variations climatiques
(refroidissement/réchauffement) et l’impact anthropique
ne sont pas négligeables dans les variations hydrographi-
1103-151 Mep.indd 55
ques des cours d’eau et leurs enregistrements sédimentaires (Erkens et al., 2009). La néotectonique joue par
ailleurs un rôle certainement très important. Les travaux
réalisés par Hirth (1971) dans la Plaine d’Alsace et au
niveau des cônes de déjection vosgiens indiquent que la
néotectonique serait notamment à l’origine de la migration vers le nord de la Fecht (et de sa mise en connexion
avec la Weiss, fig. 2). Il en est probablement de même
pour le Giessen.
À l’échelle de notre étude, il est difficile de déterminer le degré d’impact de chacun de ces trois paramètres (climat, anthropisation, néotectonique) sur la
dynamique alluviale du Giessen. Nous disposons de trop
peu de données et la zone d’étude est trop étroite. Ces
premiers résultats sont cependant encourageants. Dans
un contexte peu propice à la conservation des paramètres environnementaux (variation de la nappe phréatique,
mobilité importante des cours d’eau,…) nous sommes
parvenus à exploiter les données collectées au cours de
l’opération et à proposer un certain nombre de pistes de
réflexions. Il nous paraît aujourd’hui important d’élargir
la zone d’investigation à l’ensemble du cône de déjection du Giessen, notamment pour valider l’hypothèse de
déplacements latéraux des chenaux vers le nord. La mise
en œuvre de méthodes pluridisciplinaires similaires sur
d’autres secteurs de la plaine alluviale du Giessen et dans
la plaine d’Alsace pourrait venir enrichir et contribuer
à la compréhension du fonctionnement de ces espaces
naturels et de leurs modes d’occupation.
REMERCIEMENTS
Nous tenons à remercier tout particulièrement Monsieur
Laurent Schmitt, Géographe et Maître de Conférence à
l’Université Lumière Lyon 2, Monsieur Vincent Ollive,
7/06/11 13:03:07
144
Géologue à l’Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP), Madame Chantal Leroyer
(Palynologue : MCC – UMR 6566 CReAAH), Madame
Pascale Ruffaldi (Palynologue : UMR 6249 CNRSUFC), Monsieur Jean-François Pastre (Laboratoire de
Géographie Physique, UMR 8591 CNRS) et Monsieur
Dominique Harmand (Professeur de Géographie, Université Nancy 2) pour les échanges scientifiques que nous
avons pu avoir, leurs remarques, leurs relectures et les
nombreux conseils qu’ils nous ont prodigués tout au long
de la rédaction de cet article.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Arnaud-Fassetta G., 2008 - La géoarchéologie fluviale.
EchoGéo, 4. URL : http://echogeo.revues.org/index2187.
BASTIN B., & COUTEAUX M., 1966 - Application de la méthode
de Frenzel à l’extraction des pollens de sédiments archéologiques
pauvres. L’Anthropologie, 70 (1/2), 201-203.
BERGERAT F., 1987 - Paléo-champs de contrainte tertiaire dans la
plateforme européenne au front de l’orogène alpin. Bulletin de la
Société Géologique de France, 8 (3), 611-620.
Blanalt J.-G., Von Eller J.-P., Fluck P., Geffroy J.,
Jeannette D., Ruhland M., Schwoerer P., ThÉvenin
A., Stieber A., & Vogt H., 1970 - Carte géologique de la France
à 1/50 000 (n° 307), Sélestat (XXXVII-17). Notice explicative. Réédition 2007, BRGM, Orléans, 52 p.
Blanalt J.-G., avec la collaboration de Von Eller J.-P.,
Fluck P., Geffroy J., HIRLEMANN G., JEHL M.,
SCHREINER J., SITTLER C., SCHWOERER P., TRICART J.,
HIRTH C., & WEIL R., 1972 - Carte géologique de la France à
1/50 000 (n° 342), Colmar-Artolsheim (XXXVII-18). Notice explicative. BRGM, Orléans, 55 p.
Boës E., 2005 - Le rôle du marécage Centre-Alsace dans la perspective d’une modélisation du peuplement holocène de la plaine du Rhin
supérieur. In J.-F. Berger, F. Bertoncello, F. Braemer, G. Daytian & M.
Gazenbeek (eds.), Temps et espaces de l’homme en société, analyses
et modèles spatiaux en archéologie. Actes des XXVème rencontres
internationales d’archéologie et d’histoire d’antique, 21-23 octobre
2004. Éditions APDCA, Antibes, 287-296.
Boës E., Schmitt L., Schwartz D., Gebhardt A., Goepp
S., & Lasserre M., 2007 - L’anthropisation des zones humides
de plaine d’Alsace au cours de la Protohistoire : Problématique
d’études à partir des fouilles récentes menées sur les tumulus de
Mussig-Plaetze (Bas-Rhin). Annales Littéraires de l’Université de
Franche-Comté, 826, 67-71.
Bravard J.-P., & Prestreau D., 1997 - Dynamique du paysage.
Entretiens de géoarchéologie. Documents d’Archéologie en RhôneAlpes, 15, 1-282.
Brown A.G., 1997 - Alluvial geoarchaeology. Floodplain archaeo­
logy and environmental change. Cambridge University Press,
Cambridge, 377 p.
Bronk R., & Ramsey C., 2001 - Development of the radiocarbon
calibration program OxCal. Radiocarbon, 43 (2a), 355-363.
Burg-Mischler F., & WerlÉ M., 2006 - Scherwiller et Chatenois (Bas-Rhin), Parc d’Activités Economique Intercommunal du
Giessen (2 mai – 30 mai 2006). Rapport de diagnostic archéologique,
Centre départemental archéologique du Bas-Rhin, Sélestat, 38 p.
Burnouf J., & CARCAUD N., 1999 – Le val de Loire en Anjou
Touraine : un cours forcé par les sociétés riveraines. Médiévales, 36,
17-29.
Burnouf J., & Leveau P., 2004 - Fleuves et marais, une histoire
au croisement de la nature et de la culture. Sociétés préindustrielles
et milieux fluviaux, lacustres et palustres : pratiques sociales et
hydrosystèmes. Comité des Travaux Historiques et Scientifiques,
Paris, 493 p.
Carbiener R., 1969 - Le grand Ried d’Alsace. Bulletin de la
Société Industrielle de Mulhouse, 734 (1), 15-44.
Carbiener R., 1983 - Le grand Ried Central d’Alsace : écologie
et évolution d’une zone humide d’origine fluviale rhénane. Bulletin
Ecologique, 14 (4), 249-277.
Chamley H., 2000 - Bases de sédimentologie. Dunod, Paris, 178 p.
Cour P., 1974 - Nouvelles techniques de détection des flux et des
retombées polliniques : étude de la sédimentation des pollens et des
spores à la surface du sol. Pollen et Spores, 16 (1), 103-142.
1103-151 Mep.indd 56
Dambeck R., & Thiemeyer H., 2002 - Fluvial history of the
northern Upper Rhine River (southwestern Germany) during the Lateglacial and Holocene times. Quaternary International, 93/94, 53-63.
Dambeck R., 2005 - Beiträge zur spät- und postglazialen Fluß - und
Landschaftsgeschichte im nördlichen Oberrheingraben. Doktorarbeit Dissertation, Johann Wolfgang Goethe-Universität, Frankfurt
am Main, 314 p. URL http://publikationen.ub.uni-frankfurt.de/volltexte/2005/908.
Erkens G., Dambeck R., Volleberg K.P., Bouman
M.T.I.J., Bos J.A.A., Cohen K.M., Wallinga J., & Hoek,
W.Z., 2009 – Fluvial terrace formation in the northern Upper Rhine
Graben during the last 20 000 years as a result of allogenic controls
and autogenic evolution. Geomorphology, 103 (3), 476-495.
Fetzer K.D., Larres K., Sabel K.-J., Spies E.-D., &
Weidenfeller M., 1995 - Hessen, Rheinland-Pfalz, Saarland.
- In L. Benda (ed.), Das Quartär Deutschlands. Gebrüder Borntraeger, Berlin & Stuttgart, 221-254.
FlottÉ P., Vigreux T., Aoustin D., Baudoux J.
Gervreau J.-b., Biellemann P., Dechanez I., &
Putelat O., 2008 - Un habitat rural gallo-romain de la plaine
alluviale du Giessen : approche archéologique et paléoenvironnementale – PAEI Giessen (Bas-Rhin). Rapport de fouilles archéologiques préventives, Pôle d’Archéologie Interdépartemental
Rhénan, Sélestat, 260 p.
Fondasol, 2001 - Rapport d’étude géotechnique de la zone d’activité économique « PAEI Giessen ». Rapport d’étude géotechnique
Fondasol, Nancy, 30 p.
Frenzel B., 1964 - Zur Pollenanalyse von Lössen. Eiszeitalter und
Gegenwart, 15, 5-39.
GALLIOT N., 2007 - La dynamique géomorphologique du méandre
de la basse vallée de la Bruche (Bas-Rhin), approche historique.
Mémoire de diplôme d’Ingénieur de l’Ecole Nationale du Génie de
l’Eau et de l’Environnement de Strasbourg (ENGEES), et de Master,
Université Louis Pasteur, Strasbourg, 69 p.
GAUTHIER E., 2000 - Mise en évidence pollinique de la culture de
la vigne au ier siècle après J.-C. dans la plaine du Doubs (Neublans,
Jura). Revue d’Archéométrie, 24, 63-69.
GAUTHIER E., 2004 - Forêts et Agriculteurs du Jura. Les quatre
derniers millénaires. Annales Littéraires de l’Université de FrancheComté, 765, 1-197.
HALL S.A., 1981 - Deteriorated pollen grains and the interpretation
of quaternary pollen diagrams. Review of palaeobotany and palynology, 32 (2/3), 193-206.
HAVINGA A.J., 1964 - Investigation into the differential corrosion susceptibility of pollen and spores. Pollen et Spores, 6 (2),
621-635.
HAVINGA A.J., 1984 - A 20-year experimental investigation into the
differential corrosion susceptibility of pollen and spores in various
soil types. Pollen et Spores, 26 (3/4), 541-558.
Hirth C., 1971 - Eléments d’explication à la formation des Rieds
ello-rhénans au nord de Colmar du début du post-glaciaire à la canalisation du Rhin au xixe siècle. Bulletin de la Société d’Histoire Naturelle de Colmar, 54, 21-42.
JUVIGNÉ E., 1973a - Une méthode de séparation des pollens applicable aux sédiments minéraux. Annales de la Société Géologique de
Belgique, 96, 253-262.
JUVIGNÉ E., 1973b - Un perfectionnement de la méthode de séparation des minéraux denses des lœss. Annales de la Société Géologique
de Belgique, 97, 142-143.
LEROYER C., 1997 - Homme, Climat, Végétation au Tardi- et Postglaciaire dans le Bassin Parisien : apports de l’étude palynologique des
fonds de vallées. Thèse de Doctorat, Université Paris I PanthéonSorbonne, Paris, 786 p.
MAIRE G., 1967 - Aspects de l’évolution quaternaire de la vallée
inférieure de la Bruche. Bulletin du Service de la Carte Géologique
d’Alsace-Lorraine, 20 (3), 175-184.
MANGERUD J., ANDERSEN S.T., BERGLUND B.E., & DONNER
J.J., 1974 - Quaternary stratigraphy of Norden, a proposal for terminology and classification. Boreas, 3 (3), 109-127.
MORZADEC-KERFOURN M.-T., 1977 - Remarques concernant la
corrosion des grains de pollen dans les sédiments soumis à l’altération. Bulletin de l’Association Française pour l’Etude du Quaternaire, 47 Suppl., 51-53.
Ollive V., Petit C., Garcia J.-P., & Reddé M., 2006 - Rhine
flood deposits recorded in the Gallo-Roman site of Oedenburg (HautRhin, France). Quaternary. International, 150, 28-40.
Ollive V., Petit C., Garcia J.-P., Reddé M., BiellmanN
P., Popovitch L., & Château C., 2008 - Roman Rhine settlement dynamics evidenced by coins distribution in a fluvial environment (Odenburg, Upper Rhine, France). Journal of Archaeological
Science, 35 (3), 643-654.
7/06/11 13:03:08
145
Ollive V., Petit C., Garcia J.-P., Wick L., & Schlumbaum A., 2009 - Le paysage antique. Monographien des RomischGermanischen Zentralmuseums, 79 (1), 17-28.
REILLE M., 1990 - Leçon de palynologie et d’analyse pollinique.
CNRS, Paris. 206 p.
Rivière A., 1977 - Méthodes granulométriques : techniques et interprétations. Techniques et méthodes sédimentologiques, 2, 1-163.
Saulas J., 2007 - Analyse de la dynamique migratoire d’une boucle
de méandre de la Bruche. Rapport de stage de Master 1 à l’Ecole
Nationale du Génie de l’Eau et de l’Environnement de Strasbourg
(ENGEES), Strasbourg, 77 p.
Schmitt L., 2001 - Typologie géomorphologique fonctionnelle de
cours d’eau. Recherche méthodologique appliquée aux systèmes
fluviaux d’Alsace. Thèse de Doctorat, Université Louis Pasteur,
Strasbourg, 217 p.
1103-151 Mep.indd 57
SIMLER L., & MILLOT G., 1967 - Le réseau hydrographique alsacien à l’époque pliocène. Bulletin de la Carte géologique d’Alsace et
de Lorraine, 20 (3), 159-165.
VOGT H., 1978 - L’agencement des unités géomorphologiques entre
le Rhin et les Vosges à la hauteur de Strasbourg (Alsace, France).
Recherches Géographiques à Strasbourg, 7, 3-16.
VOGT H., 1984 - Les milieux naturels de l’Alsace. In J. Humbert,
H. Nonn, P. Paul & H. Vogt (eds.), Toute l’Alsace. La terre et les
hommes. Mars & Mercure, Wettolsheim, 7-37.
VOGT H., 1992 - Le relief en Alsace. Etude Géomorphologique du
rebord sud-occidental du Fossé Rhénan. Oberlin, Strasbourg, 239 p.
7/06/11 13:03:08