Quel avenir pour le journalisme d`investigation à la télévision
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Quel avenir pour le journalisme d`investigation à la télévision
1 Peut-on encore parler de journalisme d’investigation à la télévision ? Etude de l’uniformisation et de la spectacularisation de l’information. 2 Sommaire INTRODUCTION..............................................................................................................................4 1) Définition de l’objet d’étude : le journalisme d’investigation............................................4 2) Choix de la problématique ....................................................................................................9 3) Présentation du plan ............................................................................................................12 4) La méthode ...........................................................................................................................13 Partie I) Histoire du journalisme d'investigation en France........................................................15 1) Comment le journalisme d'investigation est-il né en France? .........................................15 A) La naissance du journalisme comme champ autonome ...........................................16 B) Les ancêtres du journalisme d'investigation en France ...........................................21 C) Des évènements précurseurs .......................................................................................24 D) L'impact du Watergate en France ..............................................................................26 E) Les années 1980-1990, une époque faste pour les journalistes d'investigation.......30 2) L'importation du journalisme d'investigation à la télévision et son évolution...............35 A) Cinq colonnes à la une, une émission extrêmement novatrice, et l'apparition du grand reportage à la télévision................................................................................................35 B) Les années 1980, la renaissance du grand reportage à la télévision........................42 C) Les années 1990, l'apparition d'émissions devenues cultes ......................................44 D) Les années 2000, l'explosion du nombre de magazines d'information....................52 Partie II) Uniformisation et spectacularisation des reportages d'investigation.........................62 1) Des noms d’émissions accrocheurs : la promesse du grand frisson ! .............................62 2) Des sujets récurrents, répondant au principe de la « circulation circulaire de l’information », et conduisant à la dénaturation du réel..........................................................67 A) La circulation circulaire de l’information .................................................................67 B) Un goût pour les mauvaises nouvelles, conduisant à la dramatisation du réel et à l’abandon de sujets d’investigation potentiels.......................................................................69 C) Illustration graphique..................................................................................................72 3) Le formatage croissant du traitement de l’information : scénarisation et spectacularisation.........................................................................................................................79 A) Prendre le téléspectateur par la main.........................................................................80 B) La boîte à outils M6 .....................................................................................................83 C) La dictature du commentaire à l’image .....................................................................86 D) Une dramatisation et une « cinématoisation » de l’information..............................89 E) La personnalisation des sujets : le risque de basculer dans le reportage, au détriment de l’enquête ? ..........................................................................................................93 4) Quelles sont les causes de cette uniformisation ? ..............................................................97 A) Des facteurs économiques............................................................................................97 B) Des facteurs politiques ...............................................................................................101 C) Réaliser une enquête à la télévision, une difficulté supplémentaire ? ...................106 CONCLUSION............................................................................................................................... 111 BIBLIOGRAPHIE......................................................................................................................... 115 ANNEXES....................................................................................................................................... 118 3 INTRODUCTION « L’investigation, c’est un journalisme de combat qui ne se contente pas de décrire, mais aussi d’interpeller. Un journalisme qui ne craint pas de choisir ses causes, et qui doit rester un outil de contre-pouvoir dans la société1 ». Cette citation est tirée d’une interview de Paul Moreira, personnage emblématique du journalisme d’investigation télévisuel en France. Elle s’inscrit dans la lignée de la figure du journaliste engagé, sur les traces d’Albert Londres. Un héros justicier participant à un mouvement pour la vérité, au service de l’intérêt public dans une démocratie fébrile et corrompue. Un quatrième pouvoir que l’on pare de milles vertus, et qui bénéficie d’une position privilégiée dans le champ journalistique. Mais qu’y at-il derrière le mythe ? Pour tenter de répondre à cette première interrogation, il convient tout d’abord de définir ce qu’est le journalisme d’investigation d’un point de vue exemplaire, et d’expliquer pourquoi est-ce qu’il est considéré comme la matière la plus noble du journalisme, avant de démontrer que le journalisme d’investigation ne fonctionne pas de manière intrinsèque mais est dépendant d’autres univers sociaux et des sources. La définition générale de l’objet d’étude nous permettra d’établir les bases conceptuelles inhérentes à l’étude du journalisme d’investigation. Cela nous permettra aussi de mieux comprendre les enjeux de la problématique qui seront exposés dans la deuxième partie de cette introduction. 1) Définition de l’objet d’étude : le journalisme d’investigation -Ancrage historique On fait grossièrement remonter l’apparition du journalisme d’investigation à l’épisode du 1 Bakchich, Le journalisme d’investigation, comment ça marche ?, mis en ligne le 31/12/2009, consulté le 10/03/2010 4 Watergate en 1972, lorsque deux journalistes du Washington Post révélèrent l’implication de la maison blanche dans le cambriolage des locaux du parti démocrate, dans l’immeuble du Watergate. Les journalistes se rendirent compte que le vol avait été piloté par le Comité de réélection du Président Nixon. L’information fut par la suite reprise dans d’autres journaux, et cela éveilla l’inquiétude du pouvoir judiciaire, du Sénat et de l'opinion publique, ce qui poussa Richard Nixon à la démission. Cet évènement ne connaît pas de précédent, et demeure à ce jour le plus gros « coup » du journalisme d’investigation. C’est pourquoi le journalisme d’enquête est dès lors considéré comme un quatrième pouvoir, nécessaire à la démocratie. Les élites sont perçues comme corrompues, et le journaliste est là pour révéler la face cachée de ces personnages publics. Les années 80 enregistrent ainsi l’explosion du journalisme d’investigation. L’enquête acquiert ses lettres de noblesse, et domine dès lors le champ journalistique, mais cela a impliqué des changements profonds à l’intérieur et à l’extérieur du champ. Le Watergate a également eu un impact en France. Il a contribué à créer un mythe dans lequel le journaliste est présenté comme un héro justicier, et on a ainsi voulu recréer un Watergate à la française avec, notamment, l’affaire du sang contaminé à la fin des années 80. Le journaliste sort des « affaires », capables de déstabiliser les élites politiques et économiques. Mais le champ journalistique n’a pas évolué de façon intrinsèque. Il a toujours été dépendant de l’évolution des autres champs, politique ou économique, mais surtout judiciaire comme nous le verrons dans la première partie de ce mémoire. -La méthode du journalisme d’investigation Avec le Watergate, une nouvelle méthodologie émerge. Les journalistes revendiquent alors une plus grande professionnalisation, et une véritable technique dans l’exercice de leur métier. En effet, par définition, il s’agit de révéler des informations jusqu’ici dissimulées, touchant le plus souvent à des sujets « sensibles ». Cette information est par ailleurs censée être exclusive. Pour sortir une affaire, le journaliste d’investigation doit vérifier attentivement les informations données par les sources. La phase de recherche est donc bien 5 plus longue que pour un simple reportage. Il convient de recouper au maximum les données, et de confronter les informations provenant des sources officielles avec celles provenant des sources non officielles : « A partir du moment où l'on commence à creuser un sujet, à tenter d'avoir des informations et des scoops, à mélanger le terrain, l'analyse et l'information nouvelle que l'on va chercher chez les sources officielles ou officieuses, et bien cela s'appelle faire de l'enquête. Si c'est uniquement raconter ce que l'on voit, cela s'appelle un reportage. 2». Depuis quelques années, il existe également une autre définition du journalisme d’enquête, qui ne consiste pas uniquement à dénicher des documents cachés. Selon Vincent Nouzille, il existe aussi le « data journalism », plus anglo-saxon, mais que l’on peut appliquer en France. Dans ce cas, l’enquête consiste en l’analyse d’une énorme masse de documents de source publique. Celle-ci permet de comprendre une réalité morcelée, sans forcément pénétrer des milieux cachés pour arracher leurs secrets. A titre d’exemple, cela peut concerner le lobbying ou encore les absences des députés à l’Assemblée. Cela peut aussi permettre de créer un classement des hôpitaux les plus sûrs etcetera… Dans la réalité, les deux techniques sont souvent liées. Pour arriver à déduire l'existence d'un secret, et encore plus pour le tirer d'une source, il faut d'abord comprendre les liens entre un grand nombre de faits et de personnages. On doit donc chercher non seulement les faits cachés, mais avant tout le sens caché des faits plus ou moins évidents. -Une façon d’envisager le métier différente aux Etats-Unis et en France Il est ici intéressant de faire une distinction entre le point de vue anglo-saxon et le point de vue français sur la discipline. Aux Etats-Unis, devenir un journaliste d’investigation est à la portée de tout journaliste. Il s’agit uniquement d’appliquer minutieusement une boîte à outils, une technique, permettant d’effectuer une enquête. En France, la capacité d’un journaliste à réaliser un travail d’investigation est considérée comme étant liée au réseau que le journaliste est à même d’activer. Ainsi, bien souvent, comme le souligne Vincent 2 Entretien avec Vincent Nouzille réalisé le 20/03/2010 6 Nouzille, « Les journalistes dits d’investigation en France se détestent les uns les autres et ne travaillent jamais ensemble, ils sont jaloux de leurs scoops… 3». Chacun est occupé à protéger ses sources, et ne souhaite en aucun cas les partager. Les journalistes français s'occupent essentiellement « des affaires politiquement sensibles », où « des raisons personnelles, politiques et d'Etat sont combinées. Leur méthode réside plus dans leur capacité à mobiliser leurs sources que leur recherche de documents. Des sources du monde politique, judiciaire, policier, fondamentales pour leur travail. Des relations personnelles qui ne peuvent être codifiées 4». On est donc loin de l'image américaine d'un journalisme qui serait avant tout une méthode que tout le monde pourrait appliquer, et à tout type de sujets. Car en France, durant des années, l’investigation s’est portée uniquement sur les affaires politico-financières, ce qui n’est pas le cas aux Etats-Unis. De ce fait, au bout d’un moment, il y a eu une véritable saturation dans les rédactions et de la part des lecteurs, comme l’évoque Vincent Nouzille : « Quand j’étais à l'express, j’ai bien vu que le système s’épuisait. Que ce soit Denis Jambart ou Christophe Barbier, qui sont deux brillants journalistiques politiques, au début ils te soutenaient et puis à la fin ils disaient « Oh ça fait chier encore tel sujet, encore tel scandale politico-financier», voilà c’était fini quoi. Alors ils ne disaient pas cela aussi brutalement, ils disaient plutôt « Oh on ne pourrait pas faire autre chose ? », sauf si on en était au 40ème épisode de telle affaire judiciaire. Mais ce que je veux dire c’est que du coup cela a un peu écrasé les services d’investigation. Par exemple à l’Express, le service investigation a disparu. Il a été refondu dans le service France. Alors les mecs se ressoudent entre eux à l’intérieur du service France tu vois, mais ce que je veux dire c’est qu’il y avait une autonomie de ces services qui a un peu disparue 5». Aux Etats-Unis, au contraire, l’investigation a investi très tôt bien d’autres terrains à l’image du sport, de l’éducation, de la santé… Ainsi, les journalistes français ont perpétué et perpétuent encore une tradition du 3 Entretien avec Vincent Nouzille réalisé le 20/03/2010 4 Jacques Derogy, Policiers et journalistes: entre compétition et connivence, Cahiers de la sécurité intérieure, 1993) Entretien avec Vincent Nouzille réalisé le 20/03/2010 5 7 journalisme politique, bien enracinée en France comme nous le verrons par la suite. Aussi, si les américains et les français ne travaillent pas de la même façon, c’est qu’ils ne disposent pas du même accès aux sources officielles. Nous accusons un très fort retard en la matière. -Le difficile accès aux sources en France Voici un point essentiel dans l’étude du journalisme d’investigation : la question des sources. En France, l’accès aux sources officielles est entravé par bon nombre de dispositions légales, alors qu’aux Etats-Unis, l’accès aux documents officiels est un droit. C’est pourquoi, en France, il est indispensable de se constituer un réseau de sources personnelles, contrairement aux Etats-Unis, où la profession s'est dirigée vers l'obtention de sources plus officielles. Cela s'explique très simplement. En France, il est particulièrement compliqué d'avoir accès aux archives malgré la loi du 17 juillet 1978 sur l'Accès aux documents administratifs. Le secret judiciaire est également très prégnant. Aux Etats-Unis, il existe le Freedom of Information Act: même si les autorités peuvent mettre du temps à fournir des documents, c'est un droit non opposable à tous les citoyens. Vincent Nouzille nous explique concrètement ces difficultés : « En France, on est sur une posture où toute l’information publique, c’est quand même un truc qui est encore assez verrouillé. La preuve c’est que pour obtenir les contrats sur l’achat de vaccins contre la grippe A, le Point a du demander quand même le fameux recours à la CADA (Commission d’Autorisation d’Accès aux Documents Administratifs), qui a fait pression sur le ministère de la santé pour délivrer les contrats en disant que c’était tout à fait justifié que ces contrats soient rendus publics, étant donné qu’ils concernent des données publiques. Mais c’est pas automatique ! Alors que dans d’autres pays, comme aux États-Unis, tu as le FOIA (Freedom of Information Act), qui est extrêmement important puisque c’est un droit, on ne peut pas t’opposer cela. S’ils refusent, c’est à eux de se défendre. Ils sont obligés de te répondre. Après ils peuvent jouer la tactique du temps, de retarder la réponse, mais ils sont obligés de te répondre. Tu es dans une position tout à fait différente. Ce qui est d’ailleurs le cas pour l’accès aux archives tout court. Aux États-Unis, les archives sont déclassifiées de manière automatique, donc tu peux faire des demandes d’accès. En France, en gros, la loi t’interdit 8 tout, sauf dérogations à la tête du client, que tu montres patte blanche ». -Pour une démystification de la figure du journaliste d’enquête La soudaine apparition du journalisme d’investigation semble être liée au seul mérite des journalistes, ne craignant rien ni personne. Pourtant, comme nous allons l’étudier par la suite, l’épanouissement du journalisme d’investigation n’est possible que si toutes les conditions sociales, économiques, judiciaires ou politiques sont réunies. Les journalistes se vantent de « voler les informations », mais ils sont toujours dépendants du bon vouloir de leurs sources. « Les divisions marquant le champ politique se reflètent dans le champ journalistique. L’accès au dossier dépend toujours d’une alliance conclue avec la source. Les journalistes fonctionnent comme des boîtes aux lettres : on leur suggère d’aller enquêter sur telle ou telle chose. Il s’agit donc moins d’enquête que de capacité à se procurer des documents avant les autres »6. Cette vision du journalisme d’investigation est certainement sévère, mais elle a le mérite de présenter une réalité différente de celle que nous exposent les médias. Cela permet d’avoir un œil plus sociologique sur la question et de prendre du recul sur la profession, qui est elle aussi dépendante de nombreux facteurs extérieurs. 2) Choix de la problématique Après avoir défini ce qu’est le journalisme d’investigation, et donné quelques outils conceptuels nous permettant de mieux comprendre les enjeux de la discipline, nous allons maintenant expliquer le choix de la problématique. Après des heures de gloire dans les années 80 et 90, la pratique du journalisme d’investigation semble s’être tarie en France au sein de la presse écrite, avec la disparition 6 Dominique Marchetti, Les révélations du journalisme d’investigation, Actes de la recherche en sciences sociales, n° 131-132, pages 30-40, 2000. 9 des cellules d’enquête des rédactions depuis les années 20007. A l’inverse, le genre semble avoir fleuri à la télévision, avec l’explosion du nombre d’émissions d’enquête nées durant la dernière décennie, et notamment depuis l’apparition de la TNT : Compléments d’Enquêtes sur France 2, Enquêtes et Révélations sur TF1, Enquête Exclusive sur M6, 90’ Enquêtes sur TMC, Pièces à conviction sur France 3, Spécial Investigation sur Canal +, Enquête d’action sur W9… Ces émissions connaissent un grand succès qui explique leur multiplication, et chaque chaîne se targue de diffuser son émission d’enquête. Une réussite qu’Elise Lucet, présentatrice de l’émission Pièces à conviction sur France 3, voit d’un bon œil : « Je crois que les patrons de chaîne ont été surpris de l’intérêt des téléspectateurs pour ce type de programmes. Il faut croire que beaucoup de gens en ont assez des émissions de flux. Je crois aussi que les magazines d’enquête ont fait beaucoup de progrès dans la mise en images, la fluidité. Ça n’est plus réservé à une élite, tout le monde peut comprendre certains enjeux même si les sujets sont parfois très compliqués. En tout cas, c’est bon signe8 ! » C’est cette soudaine multiplication du nombre d’émissions consacrées à l’enquête (et particulièrement depuis deux ans), qui m’a tout d’abord semblé intéressante à analyser. Pourquoi un tel succès ? Il m’est apparu, comme le décrit Elise Lucet, que ces émissions avaient l’art de dynamiser des sujets d’ordinaire jugés ennuyants par bon nombre de téléspectateurs. Je voyais ainsi cette « démocratisation » d’un œil plutôt positif, séduite par le rythme et la fluidité de ces émissions type Enquêtes Exclusive, qui consacrait à l’époque de nombreux sujets sur l’étranger, chose que l’on voyait encore peu sur le PAF, puisque les émissions montées de la sorte comme Capital ou Zone Interdite, étaient plus consacrées à l’hexagone. Puis, au fur et à mesure, il m’a semblé que le champ d’étude de ces émissions s’était restreint aux sujets types police, secours et prostitution, tombant de plus en plus dans la recherche du choquant et du scandaleux… pour au final n’énoncer que des lieux communs. Aussi, la ressemblance entre les émissions m’est apparue très clairement : même thématiques, même teasers, même expressions, même intonations, même personnalisation 7 8 Entretien avec Vincent Nouzille réalisé le 20/03/2010 Télérama, “Pièces à conviction” dès 20h50 ! Oui mais à quel prix ?, mis en ligne le 08/10/2008, consulté le 25/05/2010 10 des sujets…. Je me suis alors dit qu’il serait judicieux de regarder s’il en était de même dans le service public, avec l’étude d’émissions telles qu’Envoyé Spécial ou encore Complément d’enquête sur France 2, et de constater une hypothétique évolution. Dès lors, ma problématique s’est tournée vers la question de l’uniformisation des programmes, mais également vers celle de la spectacularisation de l’information. Au fur et à mesure de mes recherches, ces différentes tendances me sont apparues comme étant en totale contradiction avec la prétention de faire de l’enquête, puisqu’une enquête est censée être exclusive. Je me suis alors davantage penchée sur la problématique du journalisme d’investigation en lui-même, notamment parce que les questions d’uniformisation et de spectacularisation de l’information ont été maintes fois étudiées, et que la question du journalisme d’investigation à la télévision a au contraire été peu couverte. J’ai donc voulu comprendre ce qu’était véritablement le journalisme d’investigation, pour pouvoir analyser cette myriade d’émissions prétendant faire de l’enquête, et tenter de déterminer s’il s’agissait véritablement d’investigation. Par définition, le journalisme d’enquête se doit de révéler au grand jour des vérités cachées. La reprise systématique de sujets tels que la police et la drogue, sans que de nouvelles informations soient révélées au téléspectateur, nous amène donc à nous demander si la dénomination de ces émissions est bien correcte. A partir de là, j’ai ainsi pu dégager une série de questions. -D’une part, des questions relatives au journalisme d’investigation en lui-même : qu’est-ce que le journalisme d’investigation ? Quand et comment est-il apparu en France ? Y a-t-il eu des freins à son développement, notamment par rapport aux Etats-Unis ? Quelle forme a-t-il pris à la télévision ? -D’autre part, des questions relatives à l’uniformisation du journalisme d’investigation à la télévision : quelles formes prend ce formatage tant au niveau du contenu que de la forme ? Cette façon systématique de « prendre le téléspectateur par la main » (dicton de M6) permet-elle d'attirer des téléspectateurs qui ne seraient d'ordinaire pas au rendez-vous, et ainsi, de remplir une mission pédagogique? Ou au contraire obstrue t-elle une réalité complexe au profit de schémas trop simplistes, menant à l’abrutissement? Enfin, quelles sont les causes de cette uniformisation ? 11 Ces questions nous permettront de tenter de répondre en dernier lieu à la question suivante : la multiplication des émissions d'investigation, et leur paradoxale uniformisation, est-elle en voie de détruire l'essence même du journalisme d'investigation? 3) Présentation du plan Pour tenter de répondre à ces questions, nous allons distinguer deux grandes parties dans ce mémoire. -La première sera consacrée à l’étude du journalisme d’investigation de manière générale, en étudiant aussi bien la presse écrite que la presse télé. Ainsi, on tentera d’établir un historique du journalisme d’investigation en France, en montrant que les conditions étaient peu propices à son développement : avant même d’envisager le développement du journalisme d’investigation, il fallait que le champ journalistique parvienne à s’autonomiser et à s’extirper du champ politique et du champ littéraire. Nous identifierons par la suite les ancêtres du journalisme d’investigation, et notamment le reportage, avant d’évoquer l’épisode du Watergate, qui a révolutionné le champ journalistique à l’époque, aux EtatsUnis puis en France. Nous aborderons ensuite l’importation du journalisme d’investigation à la télévision, en étudiant notamment l’émission de grands reportages Cinq colonnes à la Une, très novatrice, puis en faisant l’historique des émissions d’enquête depuis les années 80. -La seconde partie tentera de démontrer l’uniformisation et la spectacularisation des émissions d’enquête ces dernières années. Dans un premier temps, il s’agira d’étudier le formatage des contenus, en analysant les noms des émissions puis en répertoriant les thématiques traitées dans les émissions, afin de mettre à jour un certain nombre de mécanismes tels que la « circulation circulaire de l’information », ou encore l’attrait pour les mauvaises nouvelles, conduisant à la dramatisation de l’information, au détriment du réel. Dans un second temps, on étudiera l’uniformisation de la forme en se basant tout 12 d’abord sur l’analyse des techniques M6 qui ont aujourd’hui inondé tout le PAF. Ainsi, on verra en quoi consiste le dicton « prendre le téléspectateur par la main », et qui a influencé l’écriture de presque tous les magazines d’enquête, y compris dans le service public. On étudiera ensuite la boîte à outils de M6, permettant d’identifier une « recette » applicable au montage de la plupart des émissions d’enquête. On verra ensuite la question du commentaire à l’image, aujourd’hui extrêmement formaté, puis la question de la personnalisation des sujets. Enfin, on tentera de trouver les causes de ce formatage croissant, en étudiant notamment les facteurs économiques et politiques. -En guise de conclusion, on tentera d’établir des perspectives d’avenir sur la profession. 4) La méthode La première partie de ce mémoire étant plus académique, j’ai eu recours à divers ouvrages à l’image du livre de Mark Hunter intitulé Le journalisme d’investigation, une publication fondamentale qui retrace l’histoire du journalisme d’investigation en France et aux EtatsUnis. J’ai consulté par ailleurs l’ouvrage de Jean Noël Jeanneney et Monique sauvage: Télévision, Nouvelle mémoire, Les magazines de grands reportages, afin d’avoir un éclairage sur l’ancêtre du journalisme d’investigation à la télévision. J’ai également relu les différents cours que j’ai pu suivre à sciences po, à l’image du cours d’Histoire des médias d’Olivier Baisnée, et je me suis aussi aidée d’une publication de Dominique Marchetti, Les révélations du journalisme d’investigation, afin d’avoir une approche plus sociologique de la question, m’aidant à problématiser mon mémoire. Aucun de ces ouvrages n’étaient véritablement consacré au journalisme d’investigation à la télévision, mais en recroisant les informations, j’ai pu tenter d’établir une perspective historique de sa naissance sur le petit écran. J’ai donc commencé par étudier la naissance du journalisme d’investigation dans les médias de presse écrite, puis j’ai essayé de dater son apparition à la télévision. Outre l’ouvrage de Jean Noël Jeanneney et Monique sauvage, je n’ai trouvé aucune publication traitant véritablement de ma problématique. C’est pourquoi j’au du effectuer mes recherches sur les archives de l’INA afin de pouvoir retracer l’historique des émissions d’investigation. 13 Mon entretien avec Vincent Nouzille m’a également été utile dans cette partie, me permettant de théoriser la question du journalisme d’investigation. La seconde partie de ce mémoire est plus empirique. Les réflexions sont tirées de mon observation du panel d’émissions choisies pour l’étude (Enquêtes et révélations sur TF1, Envoyé Spécial et Complément d’enquête sur France 2, Pièces à conviction sur France 3, Enquête Exclusive sur M6, Enquête d’action sur W9, 90’ Enquêtes sur TMC9) ; mais également de mon stage effectué au sein de la boîte de production Ligne de Front. Je me suis par ailleurs grandement aidée de mes entretiens avec les trois interlocuteurs suivants : Bernard de la Villardière, animateur et producteur d’Enquête Exclusive, Vincent Nouzille, enquêteur freelance pour l’Express, auteur de divers ouvrages d’investigation et professeur au CFJ, et enfin Renaut Fessaguet, grand reporter chez Tony Comiti et ancien rédacteur en chef de France 24. Ces trois personnages m’ont apporté des éclairages très différents sur ma problématique. Les propos de Bernard de la Villardière étaient symptomatiques du système M6 qui s’est répandu sur tout le PAF. Ceux de Vincent Nouzille m’ont permis de prendre du recul sur la question de l’uniformisation et de ses causes, et m’ont donné quelques clefs pour parvenir à répondre à la question ultime de ce mémoire. Enfin, les propos de Renaut Fessaguet, plus subjectifs et plus incisifs, ont été ceux qui relataient le plus les questions d’uniformisation et de spectacularisation. Il convient tout de même de les prendre avec précaution, ce dernier étant réputé être assez pessimiste sur l’avenir de la profession. Dans cette seconde partie, j’ai également effectué des recherches dans les archives de l’INA afin de réaliser des graphiques illustrant les thématiques traitées dans chaque émission. J’ai étalé cette étude sur la période de septembre 2008 (date de création de l’émission Enquêtes et révélations sur TF1) à août 201010. J’ai également eu recours à une série d’articles provenant de journaux spécialisés dans le traitement de l’actualité des médias. 9 A noter que je n’ai pas pu étudier Spécial Investigations sur Canal +, n’ayant accès au programme A noter que je n’ai pas pu étudier Pièces à conviction sur France 3 car les archives sur le site de l’INA n’étaient pas complètes. 10 14 Partie I) Histoire du journalisme d'investigation en France Dans cette première partie, nous étudierons les conditions d’importation du journalisme d’investigation en France, et notamment les freins à son développement en comparaison avec les Etats-Unis. Nous analyserons ensuite de façon plus pragmatique l'offre présente dans le paysage audiovisuel français depuis trois décennies. 1) Comment le journalisme d'investigation est-il né en France? Pour tenter de dater l'apparition du journalisme d'investigation en France, il convient tout d'abord de remonter un peu dans le temps, aux origines de la création du journalisme français en tant que « champ ». Comme l'a démontré Pierre Bourdieu dans ses différents ouvrages, ce dernier ne peut exister que dans la mesure où il jouit d'une certaine autonomie par rapport aux autres univers sociaux (politique, économique, littéraire...). Sans cette autonomie, point de journalisme. Ce champ possède ainsi ses propres lois, ses propres luttes. C'est un champ de force que les acteurs déjà présents souhaitent conserver tel quel, et que les nouveaux entrants souhaitent modifier en imposant de nouveaux critères d'évaluation sur ce qui constitue un bon ou un mauvais journaliste. Ainsi, les acteurs vont être tentés de valoriser divers capitaux (scolaire, économique, social...) en fonction de leurs propres dotations, afin d'obtenir la meilleure place au sein de la hiérarchie. Ces bases conceptuelles nous permettent de mieux comprendre pourquoi certaines pratiques vont s'imposer et être valorisées par rapport à d'autres, et donc de comprendre pourquoi les techniques d'investigation ne se sont pas imposées directement en France. Bien sûr, il convient de ne pas étudier le champ journalistique comme un univers déconnecté du reste de l'espace social. En effet, des conditions externes au champ (économiques, politiques...) 15 doivent être réunies pour qu'émergent certaines pratiques. Cela explique pourquoi la naissance du journalisme, puis la naissance de l'investigation accusent un certain « retard » en France par rapport aux pays anglo-saxons. Il convient bien sûr ici de rappeler que le journalisme ne se réduit pas au seul journalisme d'investigation. Mais dans le cadre de cette étude, il semble intéressant de remonter aux origines de la création du journalisme pour comprendre pourquoi les techniques d'investigation n'ont pas vues le jour immédiatement en France. A) La naissance du journalisme comme champ autonome a)La nécessaire extraction du champ politique et littéraire, autant d'obstacles à l'émergence d'un champ journalistique autonome Si l'on fait traditionnellement remonter la naissance du journalisme en France à la gazette de Théophaste Renaudot en 1631, il semblerait qu'il n'émerge véritablement qu'à la fin du XIXème siècle avec la loi de 1881 relative à la liberté de la presse. Il devra ainsi s'extraire du champ littéraire et politique pour exister en tant qu'entité autonome. Cependant, l'on verra qu'aujourd'hui encore, les champs politiques et littéraires pénètrent le champ journalistique, ce qui s'avère être un véritable obstacle à l'émergence du journalisme d'investigation en France, et notamment de la confiance de l'opinion publique envers les journalistes. La presse française étant, selon Thomas Ferenczi, une « combinaison originale aux confluents de la vie littéraire et politique »11. -Avant 1881: une profession accaparée par la littérature où les faits importent peu A l'origine, le journalisme est une profession accaparée par des hommes de lettres, souvent d'origine aristocratique, pour qui il s'agit plus d'un passe-temps que d'un métier. Bien 11 Thomas Ferenczi, L'invention du journalisme en France, Plon, 1994. 16 souvent, ces journalistes sont avant tout des écrivains, à l'image de François-René de Chateaubriand ou encore Gérard de Nerval. Ces derniers rédigent des « romans-feuilletons » leur permettant d'obtenir un revenu régulier en complément de leur activité d'écriture. Ainsi, la « critique », souvent théâtrale, et la « chronique », sorte de carnet mondain, sont les genres les plus recherchés. La façon de rapporter les faits est bien évidemment centrale dans ce type d'exercice. Au fond, l'information n'a en elle-même que peu d'intérêt, ce qui n'est absolument pas le cas aux Etats-Unis où seuls les « faits » importent. Cela montre bien que les conditions n'étaient pas propices à l'établissement du journalisme d'investigation, puisque la recherche des informations était dénigrée. Aujourd'hui encore, les journalistes anglo-saxons jugent l'écriture journalistique française très « fleurie ». Bien écrire demeure essentiel, en témoigne la place des éditorialistes au sein de la hiérarchie du champ journalistique français. -Une profession sous haut contrôle gouvernemental, étroitement liée au champ politique Jusqu'en 1789, éditer un journal demeure un "privilège" et non un droit. Si aux Etats-Unis, le premier amendement de la Constitution interdit à l'Exécutif et au Congrès de formuler "toute loi" visant à limiter la liberté de la presse, en France, l'article XI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, prévoit que "la libre communication des pensées et opinions" est garantie "sauf à réponde de l'abus de cette liberté dans le cas prévus par la loi". Des restrictions qui n'ont pas d'équivalents outre-atlantique. Avant 1881, la presse est ainsi sous haut contrôle gouvernemental. La censure et la propagande se mêlent allégrement aux « informations ». A l'époque, les journaux sont détenus par des hommes politiques, et la partialité est de mise. Les partis s'attaquent par journaux interposés, à tel point que les « journalistes » se battent en duel lorsque les conflits sont trop graves. Des salles sont prévues à cet effet dans les rédactions. Là encore, le journalisme n'est pas vu comme une activité en soi, mais seulement le moyen d'atteindre une carrière politique. La loi de 1881 est donc un grand tournant puisqu'elle instaure la liberté de la presse, non seulement en la proclamant, mais également en énonçant ses éventuelles atteintes. 17 Malgré tout, l'indépendance de la presse demeure moins assurée en France que dans d'autres pays comme en Allemagne ou encore aux Etats-Unis. Aujourd'hui encore, il existe de nombreux biais pour interdire la publication d'une information: "attentats et atteintes à la sécurité extérieure de l'Etat" (article 75 du Code pénal), "offenses aux chefs d'Etat étrangers" (loi du 16 mars 1893), atteintes "aux crédits de la Nation" (loi du 18 août 1936), "outrage aux bonnes moeurs" (article 283 du Code pénal), "atteinte à l'intimité de la vie privée" (loi du 17 juillet 1970), des saisies administratives sont autorisées quand il y a "péril grave et imminent" (tribunal des conflits, 8 mars 1935) ou encore "secrets militaires" (décret moi du 20 mars 1939). En ce qui concerne les affaires civiles, un seul juge, lors d'un référé, peut prononcer la saisie d'un journal (article 809 Nouveau Code de procédure civile). Aussi, outre ces procédures, le financement des journaux laisse parfois à désirer: "Jusqu'à la Libération, tous les gouvernements français ont disposé de fonds spéciaux pour influencer la presse", explique Jacques Henno12. Par exemple, en 1926, Le Quotidien de Henri Dumay, fut démasqué pour avoir reçu des subventions de la Banque de France, en échange d'une série d'articles attaquant Raoul Pret, ministre des Finances. Cela a laissé des traces pérennes dans la presse française, et encore aujourd'hui. Cela explique la défiance des français envers les journalistes, et en particulier les journalistes d'investigation. Dans le traitement de l'information, le journalisme français demeure également aujourd'hui encore lié au champ politique. "Le journalisme américain incline naturellement vers la représentation de la réalité, que celle-ci réside dans la conduite d'un homme, l'expression d'une pensée ou bien les réalisations d'une institution. Et son homologue européen est davantage attiré par l'interprétation des événements qui adviennent"13. Le journaliste français est donc plus souvent considéré comme un professionnel de la politique qu'un professionnel de la presse. -Les changements véhiculés par la loi de 1881: une professionnalisation du métier de 12 Jacques Henno, La presse économique et financière, PUF, 1993. 13 Francis Balle, Et si la presse n'existait pas..., JCLattès, 1987 18 journaliste Même si les choses n'aient pas changées du tout au tout, la loi de 1881 est une véritable révolution dans la représentation du journaliste, et notamment de son statut social. Bien qu'elle n'établisse par de réelle charte du métier, elle encadre et professionnalise le métier de journaliste en définissant les différents délits de presse pouvant exister. Elle permet également d'encadrer les atteintes à la liberté de la presse, et ainsi de libérer les journaux du poids de la censure, et de pouvoir envisager un vrai travail journalistique où l'indépendance politique serait respectée. C'est pourquoi, d'une activité étant considérée comme un passe-temps, le journalisme devient une profession salariée à part entière, une fin en soi, qui se détache peu à peu du champ littéraire et politique. Les littérateurs (souvent aisés), vont donc laisser leur place aux journalistes (souvent plus modestes) qui vont dès lors revendiquer une plus grande autonomisation et professionnalisation du journalisme. Les modes de recrutement vont de ce fait évoluer, et le journalisme va être accessible à de nouvelles classes sociales. Alors qu'en 1858, 44% des journalistes sont grands bourgeois ou aristocrates, ils ne sont plus que 16% en 189314. Peu à peu, l’enjeu crucial sera de savoir si le journaliste est un bon professionnel, et non un bon écrivain. Il s'agira ainsi d'écarter les amateurs. Ainsi, l'on voit bien qu'avant la fin du XIX, les conditions historiques ne sont pas propices à l'établissement du journalisme en France, et a fortiori, du journalisme d'investigation, puisque l'indépendance à l'égard de la politique, et la place de l'information sont minimes. b) L'information comme objet de concurrence entre les journaux Peu à peu, un élément nouveau va prendre de plus en plus d'importance: l'information. A la fin du XIXème siècle, les pratiques journalistiques vont beaucoup évoluer. Ces dernières sont grandement influencées par le journalisme américain, où les conditions économiques, politiques et sociales ont été réunies de façon plus précoce pour faire émerger le journalisme 14 Olivier Baisnée, Cours d'Histoire des médias, IEP 4ème année, 2009 19 en tant que champ autonome. Ainsi, il convient de ne pas tomber dans le culturalisme, en faisant l'apologie d'une société qui serait plus avancée qu'une autre. Qu'il s'agisse des EtatsUnis, de l'Angleterre ou encore de la France, il aura fallu à ces trois pays s'extraire d'autres univers sociaux: industriel, politique ou encore littéraire. -Le passage d'une économie artisanale à une économie industrielle avec l'apparition d'un lectorat populaire Il est important de rappeler les circonstances économiques dans lesquelles se sont développées ces nouvelles pratiques. En effet, sans ces évolutions structurelles, l'information n'aurait pu devenir un objet de concurrence entre les journaux. De 1880 à 1899, le nombre de titres est multiplié par deux à Paris, passant de 1316 à 268515. Parallèlement, le nombre de tirages explose: il passe de 2 millions par jour en 1880 à 5 millions en 1914. L'on passe ainsi d'une économie artisanale à une économie industrielle. Aussi, 4 titres populaires (« Le petit journal », « l'Aurore » « Le petit matin », « Le petit parisien ») concentrent 80% du lectorat. Derrière ces journaux, l'on trouve donc des entrepreneurs qui souhaitent rentabiliser leur affaire, plutôt que d'offrir des tribunes aux politiques. L'instauration du suffrage universel masculin en 1948 est bien évidemment essentiel dans ce processus, puisqu'il s'agit désormais aussi pour les politiques de capter un public beaucoup plus large, et donc d'éviter les clivages partisans d'antan. L'on a désormais affaire à une classe ouvrière urbaine et conscientisée. L'on peut ici faire un comparatif avec les Etats-Unis et l'apparition de la « penny press » en 1833 avec le « New York Sun ». Cette presse populaire est révolutionnaire. Vendue dans la rue par des crieurs, elle est beaucoup moins chère que la presse élitiste qui ne coûtait pas moins de 8% du salaire d'un ouvrier par jour16. Cette presse était réservée à une élite, rapportant des informations sur la politique fédérale ou encore sur le trafic maritime. Les journaux, désormais rémunérés par la publicité, ne vendent plus des tribunes aux partis politiques mais de l'information à un public général17. Michael Schudson explique cette 15 Olivier Baisnée, Cours d'Histoire des médias, IEP 4ème année, 2009 16 Olivier Baisnée, Cours d'Histoire des médias, IEP 4ème année, 2009 17 Michael Schudson, Discovering the news: A social history of american newspaper, The perseus books group, 1978 20 révolution par l'apparition d'audiences populaires qui n'existaient pas auparavant. Ces dernières sont apparues avec la libéralisation économique et plus encore politique de l'Amérique (suffrage universel masculin pour les blancs). Il en va de même en Grande-Bretagne. Selon Jean Chalaby, la disparition en 1836 de taxes visant à censurer la presse ouvrière (qui était de ce fait jusque là clandestine), a permis l'apparition d'une économie de la presse18. Désormais, les journaux vont tenter de capter un lectorat populaire beaucoup plus étendu. Ainsi, l'information va devenir un objet de concurrence économique entre les journaux, et les journalistes vont être à la recherche de scoops: « Old news are bad news », afin d'attirer un maximum de lecteurs. Ainsi, ces changements économiques sont loin d'être anecdotiques, ils vont largement contribuer à professionnaliser le métier, et à placer l'information au coeur des préoccupations des journalistes, ce qui n'était absolument pas le cas auparavant. B) Les ancêtres du journalisme d'investigation en France Ainsi, on a pu voir que l'héritage culturel et historique français a souvent été un obstacle à l'émergence du journalisme comme champ autonome, et a fortiori du journalisme d'investigation. Malgré cela, la libéralisation économique et politique du pays, à l’image de la loi de 1881 relative à la liberté de la presse, ont permis l'apparition de pratiques que l'on peut considérer comme étant les ancêtres du journalisme d'investigation en France. -Le fait-divers Le fait divers, véritable ancêtre du journalisme d'enquête, fait son apparition en France en même temps qu'aux Etats-Unis, au milieu du XIXe siècle. Le genre est par la suite renouvelé lorsque la presse populaire explose. Si jadis le fait-divers était plus traité comme un compte-rendu d’audience, il va de plus en plus s’apparenter à un roman feuilleton. 18 Jean Chalaby, The invention of journalism, Palgrave Macmillan, 1998 21 Scénarisé et illustré, il va séduire un public plus large, et acquérir ses lettres de noblesse jusqu’à remonter à la Une du journal. -L'affaire Dreyfus Parallèlement, l'affaire Dreyfus éclate en France. Le très célèbre « J’accuse » d’Emile Zola paru dans l’Aurore en 1898, conduit à une nouvelle conception du métier, prônant désormais un journalisme engagé. Un évènement central dans la profession puisque pour la première fois, le journaliste s’apparente à un justicier, ce qui n’est pas sans rappeler la symbolique du journalisme d’investigation. D’un point de vue technique, il existe également des similitudes avec le journalisme d’enquête. Bernard Lazare, rédacteur en chef à l'Aurore, a assemblé à cette époque un nombre hors-norme de documents et croisé des témoignages, afin de découvrir la vérité. Le croisement des sources est quelque chose d’absolument fondamental dans l’enquête. Ainsi, "Nous sommes tentés de dire que ce n'est pas toujours l'investigation qui crée l'histoire, mais l'histoire qui fait appel à l'investigation: c'est en répondant aux exigences des affaires particulières que les journalistes ont inventé l'investigation"19, souligne très justement Mark Hunter dans un ouvrage fondamental consacré au journalisme d'investigation. -L'apparition de la figure du reporter en France, et l'émergence de nouvelles pratiques A l'image du muckraker20 aux Etats-Unis, le grand reporter est le véritable ancêtre du journaliste d'investigation en France. Les premiers grands reportages sont à la base des correspondances de guerre, à l'image du récit du conflit entre la France et la Prusse en 1870. A partir de 1880, les grands reportages vont commencer à s'intéresser aux conflits sociaux 19 Mark Hunter, Le journalisme d'investigation, PUF, 1997 20 Terme prononcé par Théodore Roosevelt en 1906, fustigeant "l'homme au râteau à fumier qui ne peut regarder que le sol". Les muckrakers, littéralement « remueurs de boue », ont des techniques d'enquête activistes et agressives, et se considèrent comme de véritables « chiens de garde de la société ». Ils ont sorti de nombreuses affaires au début du XXe siècle relatant des scandales politico financiers dans la sphère publique à l'image de "La honte des villes" en 1902 où des dirigeants de NY sont traités de "honnêtement corrompus" par Lincoln Stefffens. Ce genre s'épuisera par la suite, le public étant usé d'entendre ces scandales à répétition. 22 comme les manifestations. A l'Assemblée nationale, où d'ordinaire seuls les camarillistes rapportaient les débats, les journalistes vont récupérer les bruits de couloir et les confidences. En 1901, deux journaux français vont suivre les péripéties de deux jeunes journalistes tentant de faire le tour du monde en moins de 80 jours. Cette idée d'aller chercher l'information sur le terrain a exigé une remise en question des pratiques journalistiques. Il a fallu que ces reporters s'imposent face aux littérateurs pour qui, se déplacer sur le terrain, était des plus vulgaires. La citation qui suit en témoigne, le reportage ne serait autre qu’ « un amas indigeste de petits faits qui tombent les uns pardessus les autres, sans qu'aucun ferment d'idées mette en jeu et fasse lever cette pâte »21, Francisque Sarcey, cité par Bernard Voyenne. Le genre du grand reportage a donc perduré aux côtés du genre littéraire. Puis, peu à peu, le reportage s'est imposé en haut de la hiérarchie journalistique, gagnant en légitimité en montrant qu'il était également possible dans ce type d'exercice de continuer à « bien raconter ». Cette figure du grand reporter est essentielle dans le champ journalistique français puisqu’elle conservera son aura jusqu'aux années 70, comme l’a souligné Vincent Nouzille lors de notre entretien : « L'autre figure qui était valorisée à l'époque [années 70, peu avant le Watergate], c'était celle du grand-reporter. L'homme qui va courir les conflits, la planète. A la fois un peu missionnaire, à la Albert Londres, c'est à dire qui défend une cause, et qui rapporte en même temps les faits ». Ainsi, même s'il n'est pas un enquêteur au sens moderne du terme, il demeure un modèle d'engagement et de courage. Cette citation très célèbre d’Albert Londres le prouve :"Un journaliste n'est pas un enfant de chœur et son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses... il est de porter la plume dans la plaie"22. Très souvent, ces grands reporters font référence à une "vocation", un engagement qui les transcende, les pousse à se surpasser pour une « cause ». L’un de ces reporters décrit ainsi la profession : "métier fabuleux, vie trépidante, et un monde presque inaccessible ou l'on ne peut entrer que servi par la chance et grâce à un travail acharné doublé d'une vocation puissante"23. 21Bernard Voyenne, Les journalistes français, éditions CFPJ, 1985 22 Albert Londres, Terre d’ébène (La Traite des Noirs), récit, Paris : Privat/Le Rocher, 2007. 23 Yves Courrière, L'Homme qui court: l'aventure d'un grand reporter, Fayard, 1977. 23 Outre ce modèle de l’engagement, l'enquêteur et le grand reporter partagent le désir et la nécessité de s'immerger dans leurs histoires: "Chacune de ces histoires qui ressemblent à des nouvelles ou à des romans en puissance, je l'ai vécu"24, se targue Joseph Kessel. Un instigateur contemporain dira la même chose : "Ce qui me plaît, c'est d'être au cœur des choses, de vivre des affaires un peu folles25." Tous deux comprennent ainsi que pour obtenir ce qu'ils cherchent, il faut entrer dans la vie des personnes qu’ils rencontrent. "C'est la même leçon que les muckrakers ont apporté au journalisme d'investigation à l'américaine"26. Cependant, il existe une différence de taille entre ces deux journalistes. Le reporter raconte ce qu’il voit, l’investigateur dévoile une vérité occultée. De ce fait, le reporter se contente de rapporter les faits et l'atmosphère dans laquelle il est immergé du fait du caractère déjà assez exotique de son périple. C’est pourquoi il se soucie peu du détail de l'information qu'il rapporte. Dans Terre d'ébène ou la traite des Noirs en 1929, Albert Londres avait des difficultés à donner des éléments précis et concrets: "Le détachement de gribingui perdait 75% de ses effectifs... pour les autres convois, la mortalité était dans ces proportions". Le journaliste d'investigation à l’inverse cherche à découvrir la vérité cachée, et doit justifier ses révélations par des données très précises, autrement, ses révélations ne valent rien. C) Des évènements précurseurs -Le contexte : une nouvelle génération de journalistes en partenariat avec un Etat novateur Au sortir de la seconde guerre mondiale, la presse se trouve totalement délégitimée puisqu’elle a souvent collaboré. Une nouvelle génération de journalistes émerge alors, à 24 Joseph Kessel, Tous n'étaient pas des anges, Collection 10/18, 1988. 25 Jean-Marie Pontaut et Jacques Derogy, Investigation passion, Fayard, 1993 26 Mark Hunter, Le journalisme d'investigation, PUF, 1997 24 l'image d'Hubert Beuve-Méry (journaliste au Monde), qui, formée au sein de la Résistance, s'oppose à l'héritage de la presse collaborationniste. Cette presse se donnera pour objectif de soutenir un nouvel Etat, moderne et droit. Cela peut nous évoquer la relation entre les médias et la bureaucratie américaine à la même période, puisque la presse américaine détenait un rôle majeur dans la lutte contre le communisme. A cette époque, l'Etat est perçu comme un protecteur, un garant de l'indépendance des médias. Cela implique donc logiquement un partenariat officieux entre la presse et l'Etat. A maintes reprises, l'Etat a aidé les journalistes au travers de diverses subventions ou encore de baisses d'impôts. Le symbole le plus fort de ce partenariat est la création de l'Agence France Presse en 1944. C’est pourquoi la presse ne pourra remettre en cause l'Etat sans remettre en cause ses propres pratiques. En effet, il semble peu probable que le journalisme d’investigation, très concentré sur les affaires de corruption publique à ses débuts, puisse éclore dans ce contexte. -Une déférence envers l’Etat : la Guerre d'Algérie, mai 68, et le développement de la presse alternative Et cette cassure entre l’Etat et les journalistes, elle se produit durant la guerre d'Algérie. Ce conflit est central dans la refonte des relations entre l'Etat et la presse. Durant cette période, de nombreux journalistes vont être incarcérés, et des journaux saisis (révélations des tortures infligées par l'Armée française). Les journalistes français vont ainsi très rapidement faire le parallèle avec la guerre du Viêt-Nam, événement catalyseur dans l'émergence du journalisme d'investigation américain27. Un conflit qu'ils ont d'ailleurs parfois couvert aux côtés des américains au prix de leurs vies. Autrement dit, la presse française a participé à l'un des moments précurseurs de la révolution journalistique du Watergate. 27 Pour la première fois depuis la seconde Guerre Mondiale, les directeurs de rédaction ont dû choisir entre les rapports établis par les autorités politiques, censées protéger l'Amérique du supposé péril communiste, et leurs propres reporters qui décrivaient une réalité toute autre. Choisir entre patriotisme et professionnalisme. Ces journalistes, à l'image de Seymour Hersh (récit sur le massacre de My Lai 1969), montraient que la Guerre était en train d'être perdue par les américains. En 1970, le New York Times et le Washington Post révèlent la politique mensongère du gouvernement américain au Viêt-Nam. 25 Comme aux Etats-Unis, la presse alternative va se développer suite à ces conflits majeurs. Une presse incisive, activiste, propice à l’établissement du journalisme d’investigation. Les journalistes de cette nouvelle presse seront généralement tous très marqués par l’expérience de mai 68. Des journalistes tels que Serge July ou encore Edwy Plenel qui ont fait leurs armes dans la gauche trotskiste, avant de s'approcher de la gauche radicale, vont intégrer les rédactions de ces journaux. Ces journalistes nourriront la volonté de transformer les institutions au nom du bien public, un élément phare de la mentalité du journaliste d'investigation. D) L'impact du Watergate en France Le Watergate est considéré par tous comme l'évènement fondateur du journalisme d'investigation. C’est pourquoi son onde ne pouvait que traverser l’Atlantique et venir remuer le champ journalistique français. -Petit rappel historique des faits C'est en 1972 que Robert Woodward et Carl Bernestein, deux jeunes reporters au Washington Post, découvrent le scandale du "Watergate". Alors qu'ils cherchaient des informations sur un cambriolage commis au sein de l'immeuble du "Watergate", dans les bureaux où le parti démocrate préparait sa campagne, les deux journalistes découvrirent un lien entre un consultant impliqué dans le délit (Howard Hunt), et la maison blanche elle même. Ils se rendirent compte que le vol avait été commandité par le Comité de réélection du Président Nixon, qui avait payé les cambrioleurs. L'information sera reprise quelques temps plus tard par d'autres médias majeurs à l'image du New York Times, du Los Angeles Times ou encore de CBS news. Cela éveilla l'inquiétude du pouvoir judiciaire, du Sénat et de l'opinion publique qui poussèrent Richard Nixon à la démission. "La presse avait apparemment réussi à chasser un président au summum de son pouvoir, évènement sans 26 précédent dans l'histoire de la démocratie américaine"28. -La révolution méthodologique initiée par le Watergate Le Watergate révolutionne totalement la façon de travailler des journalistes. D'un point de vue méthodologique, ces changements ont été perçus comme une violation des canons journalistiques par les officiels, à savoir l'utilisation de sources anonymes ou encore de rumeurs publiques. Les journalistes du Watergate répliquèrent que sans cet anonymat, ils n'auraient jamais obtenu ces informations. Autre nouveauté, les journalistes accumulent une quantité d'information colossale. Dans ce processus, le carnet d’adresses devient quelque chose de parfaitement fondamental. Plus ces journalistes sont capables de croiser d’informations, plus ils réussiront à s’approcher de la vérité. Les entretiens sont également plus longs que la normale, et accordent de l'importance à chaque détail, et en particulier aux expressions de l'interviewé. Jusque là, un journaliste était pourtant tenu d'ignorer les sentiments de son interlocuteur. La subjectivité est donc de mise dans ce nouveau procédé. Aussi, les journalistes mettent en scène leurs protagonistes, conférant à chacun un rôle presque prédéfini. D’un côté, il y aurait les victimes : les sources courageuses, le journaliste noble, le public et les idéalistes du parti, de l’autre, les mauvaises personnes : le Président et ses acolytes. Dans cette affaire, les journalistes ont donc abandonné toute notion d'objectivité, pariant sur la culpabilité du Président. Cette distinction, quelque peu binaire et manichéenne, reprend ainsi les conventions de la littérature romanesque. Il existerait d'un côté un monde "associé avec le bonheur, la sécurité et la paix: un monde idyllique", de l'autre "un monde d'aventures, mais ces aventures impliquent des séparations, la solitude, l'humiliation, la douleur et la crainte de souffrir encore davantage29". Dans le Watergate, il est aisé de distinguer ces deux mondes. Le monde idéal n’est autre que celui que le journaliste appelle de ses vœux : un monde de 28 Mark Hunter, Le journalisme d'investigation, PUF, 1997 29 Northop Frye, The Secular Scripture: A study of the Structure of Romance, Cambridge, Harvard University Press, 1976 27 justice. De l’autre côté du rivage : la réalité, la corruption, la déception. Le journaliste est donc cet aventurier perdu entre deux mondes, qui a conscience que la société est corrompue mais qui doit faire face à ses propres contradictions : il peut être parfois difficile pour un journaliste de découvrir toute cette vérité, laide. Il doit également faire face à une société aveugle, une société qui peut être réticente à ces révélations. L’affaire du Watergate en témoigne puisque Nixon est réélu au milieu de l'affaire. Mais à la différence d'un roman, le journaliste ne peut terminer cette histoire. Il laisse alors aux acteurs de la société, aux autorités, l'opportunité d'écrire cette fin et de revenir à un monde plus juste. -Une réflexion sur l'opportunité du journalisme d'investigation en France En France, un tel degré d'agressivité journalistique étonne. Dans un pays où la stabilité politique est quelque chose de précieux et de nouveau, les gains du match peuvent s’avérer être à double tranchant. Pour autant, les journalistes français n'en demeurent pas moins attirés. Pierre Viansson-Ponté, du Monde, déclara à l'époque : "Les journalistes américains sont moins respectueux que leurs collègues européens, et à cause de cela, ils sont plus respectés". Il est vrai que selon Sophie Gerbaud: "une partie de l'opinion publique paraît éprouver de meilleurs sentiments à l'égard des journalistes qui pratiquent l'investigation30". Les éditeurs republient alors les écrits d'Albert Londres, tentant de faire un rapprochement avec le Watergate, et de présenter Albert Londres comme un précurseur du journalisme d'investigation. Ainsi, avant même que le journalisme d'investigation ne naisse véritablement en France, l'on s'interroge déjà sur ses tenants et aboutissants, preuve qu'il existe une réelle volonté d'importer le genre en France. Le 12 janvier 1981, Le Centre pour le Perfectionnement des Journalistes organise un colloque autour de cette thématique: le "Journalisme d'investigation: en France aussi!". Mais dans l’hexagone, il faut reconnaître que l'on peine à en définir la méthodologie. Si aux Etats-Unis, il existe une véritable « boîte à outils » permettant aux journalistes désireux de faire de l'enquête d'acquérir certaines techniques, en 30 Sophie Gerbaud, Le journalisme d'investigation en France de 1945 à nos jours, thèse de doctorat d’histoire, Université Paris X, 1993 28 France, telle initiative est totalement inexistante. En témoigne cette citation du directeur du Centre de Perfectionnement des Journalistes à l'époque pour qui "L'investigation n'est que du bon journalisme". Dans la même veine, le rédacteur en chef du supplément hebdomadaire du Monde déclare que "l'ensemble de ce supplément se veut de l'investigation". Or, cela est totalement irréaliste, sauf à manquer de rigueur, puisque l'investigation nécessite davantage de temps et d'argent que le journalisme classique. Une dimension qui ne semble pas encore avoir été prise en compte par les journalistes français. -Les freins au développement du journalisme d'investigation Le Watergate intervient en même temps que "l'affaire des micros du canard". Cet évènement nous montre que les conditions n’étaient pas encore réunies pour que le journalisme d’investigation naisse en France, alors qu’il était en train d’éclore outre-Atlantique. En 1973 et 1974, les bureaux du Canard sont illégalement mis sur écoute. Certains journaux, dont Le Point, évoquent alors la possibilité qu'il s'agisse d'une commande du Ministre de l'Intérieur. Mais l'enquête judiciaire prend fin lorsque le Ministre interdit à ses agents de témoigner. Il faudra donc attendre que le monde judiciaire parte en quête d'indépendance pour que le journalisme d'investigation puisse se développer. Sans cette autonomie du champ judiciaire, il est parfaitement impossible que les journalistes puissent mener à bien leurs révélations. En effet, pour que le journalisme d'investigation puisse éclore, il faut que trois éléments soient réunis: des journalistes prêts à renouveler leurs pratiques, une audience potentielle et enfin un pouvoir judiciaire enclin à soutenir cette nouvelle démarche. Aussi, à gauche comme à droite, les gouvernements n'hésitent pas à sanctionner les journalistes quelque peu dérangeants. En 1980, l'écrivain Roger Delpley est incarcéré pour "intelligence avec les agents d'une puissance étrangère de nature à nuire aux intérêts diplomatiques de la France". En fait, Giscard D'Estaing était alors mis en cause dans une affaire de diamants. Le livre ne sera jamais publié. Des journalistes d'investigation comme Edwy Plenel ont quant à eux été placés sur écoute par des gendarmes rattachés au service du président de la République. 29 D’autre part, malgré l’attirance de certains journalistes envers ces nouvelles pratiques, la majeure partie de la profession demeure quelque peu réticente à l'établissement du journalisme d'investigation en France. Nous l'avons vu précédemment avec l'introduction de la figure du grand reporter, il n'est jamais aisé d'introduire de nouvelles pratiques dans le champ. Les journalistes sont sceptiques quant à la corruption systématique de l'Etat. Entre janvier 1980 et juin 1984, seulement 22 articles du Monde font référence aux affaires de corruption. Aussi, la plupart des élus cités dans ces articles n'occupent pas un poste plus élevé que celui de maire. De "fausses factures" sont par exemple relevées, mais bien souvent, les journalistes ne les analysent que comme l'agissement de "quelques hommes à la dérive". Le problème en fait, est "qu'il ne s'agit pas ici d'une presse corrompue- en tout cas, pas forcément- mais d'une presse complaisante, qui s'identifie aux sujets qu'elle est censée surveiller et qui partage les valeurs des institutions et des personnalités dominantes"31. E) Les années 1980-1990, une époque faste pour les journalistes d'investigation Malgré ces hésitations, le journalisme d’investigation va connaître ses plus grandes heures de gloire. En effet, sur les 19 enquêtes retenues par Sophie Gerbaud32 depuis 1945, 7 ont été réalisées à cette période. Les enquêtes deviennent dès lors un objet de concurrence entre les journaux, comme l’a été le reportage au début du XXème siècle. Et au cœur de ce florilège, des noms d’affaires retentissent encore dans la mémoire des français : en premier lieu, l’inoubliable affaire du sang contaminé. Mais aussi l’affaire Greenpeace, l’affaire des Avions renifleurs, l’affaire des Irlandais de Vincennes, l’affaire Carrefour du Développement, ou encore l’affaire Luchaire. Chacune à leur façon ont apporté quelque chose au développement du journalisme d’investigation. -Le rôle du « juge rouge », et la dépendance du journalisme d'investigation à l'égard des autres champs 31 Mark Hunter, Le journalisme d'investigation, PUF, 1997 32 Sophie Gerbaud, Le journalisme d'investigation en France de 1945 à nos jours, thèse de doctorat d’histoire, Université Paris X, 1993 30 Il est fondamental de mentionner ici le rôle essentiel de ceux que l’on nommera les « juges rouges ». Ces nouveaux magistrats en quête d’indépendance par rapport au pouvoir politique, produiront une jurisprudence permettant enfin aux journalistes de tacler les institutions. Ces juges, issus des classes moyennes, sont plus sensibles aux droits de l'homme, et n'hésitent pas à donner des informations aux journalistes. Cela montre donc que pour éclore, le champ journalistique a été totalement dépendant de luttes qui se passaient hors du champ. Les querelles entre le champ politique et le champ judiciaire sont centrales dans le développement du journalisme d'investigation. Les journalistes qui se vantent de voler des infos sont en fait totalement dépendants d'autres champs sociaux. Aussi, il est intéressant de souligner un autre point: les élites, de droite comme de gauche, sont désormais toutes formées à l'ENA, et un véritable consensus « libéral » a émergé au sein de la classe politique. Désormais, les journalistes ne s'intéressent donc plus aux querelles politiques, mais à la morale, à l'homme qui se cache derrière l'idéologie. Dans les années 80, il s'agit surtout de la morale publique et des affaires politico-financières (enrichissement personnel, financement occulte des activités partisanes...) En somme, les journalistes étant désormais moins révérencieux à l’égard de l’Etat, et le public prêt à découvrir la vérité cachée, toutes les conditions sont réunies pour que le journalisme d’enquête explose. Le journalisme d’investigation prend dès lors du poids et de l’envergure au sein de la société française, et devient un référent dans le champ journalistique. A tel point que quand le Figaro demande à François Mitterrand pourquoi le Parti Socialiste a chuté en 1993, celui-ci répond: "Ce qui nous a le plus coûté, c'est l'accumulation de médiocres affaires qui mettaient en cause la moralité et l'honnêteté33". 33 Franz-Olivier Giesbert, Les vérités de François Mitterrand, Le Figaro, 8 septembre 1994. 31 -Le développement d’une méthodologie dans l’affaire des irlandais Si l'investigation s'est développée en France, ce n'est pas qu'à cause des erreurs commises par les pouvoirs. Les techniques d'investigation se sont beaucoup développées. Dans l’affaire des Irlandais par exemple, les journalistes ont appris à creuser les indices fournis par leurs sources. Inlassablement, ils posent les mêmes questions, s'attardent sur le moindre détail et prennent garde à la chronologie des événements. Ainsi, en testant la mémoire de leurs interlocuteurs, les journalistes vérifient les détails des déclarations. De plus, il est essentiel pour les journalistes d'investigation de replacer leurs protagonistes dans un espace social et politique donné. Cela semble être une préoccupation plus européenne qu'américaine, puisque outre atlantique, on accorde plus d’importance aux actions et aux personnalités des sujets. Une méthode d'investigation était donc réellement en train d'émerger sans que les reporters ne se rendent véritablement compte de son existence. -Des répercussions politiques dans l’affaire Greenpeace L’affaire Greenpeace est un grand tournant puisque c’est la première fois qu’une enquête mène à la démission d’un membre du gouvernement. Il a donc fallu aux journalistes remettre en cause l’intégrité de l’Etat, et cela n’a pas tout de suite été chose aisée. Elle commence lorsque des reporters français découvrent, en juillet 1985, que le sabotage d'un bateau appartenant à des militants de Greenpeace à Auckland, avait en fait été commandité par des agents des services secrets français. Durant le sabotage, une bombe a par ailleurs tué un photographe-reporter. La police néo-zélandaise a alors arrêté deux agents dotés de fausses identités. Au début de l’enquête, les journalistes ne sont pas encore certains de vouloir s’embarquer dans l’aventure. Libération a été le premier journal à rapporter l'attentat, le 13 juillet 1985. Mais cette citation de Serge July témoigne des hésitations de la presse : « Je ne veux pas croire que les services français soient impliqués. Laissez 32 tomber »34. C’est alors l’Express qui prend le relais. Grâce à des informations de la presse néo-zélandaise, traduites par un collègue, le magazine va forcer le pouvoir à reconnaître que des militaires français se trouvaient sur le lieu du crime par ordre express, mais uniquement en tant qu'observateur selon le ministère de la défense. Sous la pression des médias, le ministre de la Défense, Charles Hernu, est forcé à démissionner. Pendant toute l'investigation, le gouvernement a tenté de faire obstacle à ses propres enquêteurs, nommés pour calmer l'opinion publique. Une stratégie qui a échoué puisque ces agents ont finalement livré la vérité aux reporters afin de dédouaner leurs collègues en prison en Nouvelle Calédonie. A cause du secret officiel, le Premier ministre était lui même moins informé que la presse. L’agressivité des journalistes en quête d'intérêts supérieurs au pouvoir et à l'Etat a marqué le commencement d’une nouvelle ère. Autre point important, les journaux se sont soutenus mutuellement, comme dans l’affaire du Watergate : Jean Marie Pontaut souligne ainsi que sans le soutien de l'Express, cette version de l'affaire aurait eu du mal à s'imposer: "Cette fois, nous allons nous montrer beau joueur, car ce qui est en cause aujourd'hui c'est la crédibilité de la presse et nous devons nous serrer les coudes pour la défense de la vérité"35. -L’affaire du sang contaminé, un Watergate à la française C’est sous le second septennat de François Mitterrand que va se produire l’affaire la plus marquante dans l’histoire du journalisme d’investigation au sein de l’hexagone. Pour beaucoup, l’affaire du sang contaminé est un véritable Watergate à la française. Menée par Anne-Marie Casteret, journaliste santé à l’Événement du Jeudi, l’enquête révèle que l'Etat a vendu, consciemment, des produits sanguins infectés par le virus du sida aux hémophiles français. Outre cette information des plus capitales, ce qui est particulièrement intéressant est que 34 Françoise Berger, Journaux intimes, Robert Laffont, 1992 35 Jean Marie Pontaut, Investigation, passion : Enquête sur 30 ans d'affaires, éditions Fayard, 1993 33 l’investigation étend désormais son champ de recherche à d’autres domaines que les scandales politico-financiers. Or, on le sait, la presse française se concentre très, voire trop souvent, sur la sphère politique. Enquêter sur la santé, le sport ou encore l’éducation rejoint plus la conception anglo-saxonne du journalisme d’investigation pour qui l’enquête est une technique pouvant s’appliquer à n’importe quel sujet. Cette influence anglo-saxonne est également visible à un autre niveau. Comme il a été exposé précédemment, accéder aux sources publiques en France s’avère être un véritable parcours du combattant. C’est pourquoi, les journalistes français travaillent d’arrache-pied à la constitution d’un réseau personnel. Or, dans l’affaire du sang contaminé, Anne-Marie Casteret se sert de cette documentation officielle pour mener ses recherches. Une sorte de « data journalism », où l’on écume une documentation extrêmement vaste. Dans le cas présent, cette dernière était constituée de rapports de laboratoires ou encore d’études médicales. Lorsque la journaliste a croisé toutes ces informations, elle a découvert des éléments cruciaux. En effet, en recoupant la chronologie économique de l’histoire avec la chronologie scientifique, la journaliste a réussi à pointer du doigt les anomalies de l’affaire. Anne-Marie Casteret s’était donc rendue compte que l’affirmation selon laquelle les hémophiles contaminés l’étaient déjà avant 1983, était fausse. Elle en obtient la preuve ultime grâce à un compte rendu d’une réunion datant du 29 mai 1985 ; où un docteur déclare « Avec 2 à 3% de donneurs [séropositifs] et des lots de 1000 1, soit 4 à 5000 donneurs, tous nos lots sont contaminés », et d’ajouter « C’est aux autorités de tutelle de prendre leurs responsabilités sur ce grave problème et d’éventuellement nous interdire de céder ces produits ». En gros, alors que le docteur savait que ses produits anti hémophiliques étaient contaminés, le CNTS envisageait quand même de les vendre tant qu’ils n’étaient pas interdits. Ces révélations sont publiées le 25 avril 1991 par l’Evénement du jeudi. La journaliste communique ses documents à de multiples rédactions afin que l’affaire ne soit pas étouffée. Elle prépare des articles de défense en prévision des réponses probables des autorités à ses révélations. Il s’en suivra un procès au cours duquel 4 hauts fonctionnaires seront arrêtés. 34 Dans les années 80, l'investigation devient dès lors un véritable objet de concurrence entre les journaux, comme l'a été le reportage au début du XXe siècle. Ce modèle ainsi se répandre à la télévision et à la radio. Ce que nous allons voir dans la partie qui suit. 2) L'importation du journalisme d'investigation à la télévision et son évolution Parallèlement à l'étude de l'importation du genre de façon plutôt générale, il convient de faire un focus sur le développement du journalisme d'enquête à la télévision. Les marqueurs temporels sont quelque peu similaires aux médias de presse écrite que nous avons largement étudié ci-dessus: développement tout d'abord du reportage, puis apparition de l'investigation dans les années 80, et enfin essoufflement du genre. Mais la télévision revêt de multiples autres acceptions qui lui sont propres. L'évolution de l'investigation est en effet étroitement liée au développement de la technique (tournage, montage...), qui conditionne l'émergence de l'investigation. Les enjeux politiques et économiques sont également prépondérants au sein des médias audiovisuels. Des enjeux que la presse écrite connaît à bien moindre échelle, ce qui lui permet de jouir d'une plus grande liberté. Ainsi, l'audimat est central à la télévision, et impose de fortes restrictions à tout le milieu audiovisuel. Nous allons voir que ces restrictions n'ont cessé de s'étendre au fil des années. Il est donc encore plus complexe aujourd'hui pour le journalisme d'investigation de s'épanouir à la télévision qu'en presse écrite, même si paradoxalement, nous n'avons jamais eu autant d'émissions se prévalant de faire de l'enquête sur le PAF. A) Cinq colonnes à la une, une émission extrêmement novatrice, et l'apparition du grand reportage à la télévision Cinq colonnes à la une est une émission qui est restée gravée dans l'esprit de tous les français qui l'ont connue. Son impact est tel que son étude a servi à l'établissement d'une mémoire de la télévision dans l'ouvrage fondateur de Jean Noël Jeanneney et Monique 35 sauvage: Télévision, Nouvelle mémoire, Les magazines de grands reportages 1959-196836. Cette émission marque un véritable tournant puisqu'elle fait naître le grand reportage à la télévision. Le reportage étant précurseur du journalisme d'investigation, comme nous avons pu le voir dans la partie précédente. Selon Renaut Fessaguet (Annexes), on pourrait même dire que l'émission allait plus loin que le reportage : « C’était de l’investigation à leur façon, comme quand ils ont fait un document sur l’engagement français en Algérie ». Cette émission est particulièrement intéressante car bon nombre de procédés clefs dans le reportage à la télévision aujourd'hui, sont nés dans cette émission. Ces points en commun ne seront pas développés plus avant dans cette partie puisque des éléments tels que la rythmique ou encore la personnalisation des sujets seront repris dans le second chapitre de ce mémoire. -Le contexte Jusqu'à la fin des années 50, les informations à la télévision ne sont pas des plus passionnantes. Il s'agit d'une succession d'images d'agence, en France ou à l'étranger. Mais vers 1958, les choses changent. Tout d'abord, à l'image de la révolution qu'a engendrée l'imprimerie, l'évolution du matériel va être cruciale. Il devient plus technique et surtout plus léger, permettant désormais à un sujet d'être conçu, tourné, monté, et commenté en une seule journée. Il s'agit d'une véritable révolution pour le monde de la production et de la programmation. Mais par dessus tout, l'on se rend enfin compte des potentialités de la télévision qui va bientôt supplanter la presse écrite et devenir le média populaire par excellence. A cette époque, la télévision britannique et la télévision américaine ont plus de moyens. Mais les grands reportages n'apparaissent que dans les années 60, comme en France. -Les apports de l’émission 36 Jean Noël Jeanneney et Monique sauvage: Télévision, Nouvelle mémoire, Les magazines de grands reportages 1959-1968, Seuil, 1982 36 5 colonnes à la une inaugurent la naissance du grand reportage télévisé. Magazine d’un genre nouveau, il prend place entre la fiction et le JT. Le premier numéro est lancé le 9 janvier 1959 sur la RTF. Produite par Pierre Lazareff, Pierre Desgraupes, Pierre Dumayet (surnommés les « 3 P ») et réalisée par Igor Barrère, l’émission est étroitement liée à la présidence du général de Gaulle puisqu’elle l’accompagne jusqu’en mai 1968, presque au terme de son pouvoir. Même si l'émission est placée sous l'autorité du Directeur de l'information et du Directeur des programmes, « Cinq colonnes se fait dans une salle de rédaction et non pas dans un ministère » souligne Pierre Desgraupes. Les responsables de l'émission jouissent ainsi d'une grande autonomie que ce soit dans le choix des sujets, des séquences à diffuser ou encore des équipes. Cela renvoie à ce qui a été exposé dans la partie précédente: à cette époque, l'Etat est garant de l'autonomie des médias. Durant 90 minutes, une douzaine de sujets d'information s'enchaînent. Les sujets sont donc brefs, et le rythme est heurté afin d'interpeller au maximum le téléspectateur. Pour la première fois, l'accent est donc mis sur la rythmique et l'intensité du sujet. Cela est donc très novateur puisque jusque lors, les sujets étaient tous construits de façon linéaire, toujours sous le même format. Le rythme mensuel de l'émission oblige ses créateurs à trouver un éclairage différent sur des évènements déjà connus par les autres médias. L'émission connaît un immense succès: « Il ne fait pas doute que 5 colonnes est une formule neuve qui fait éclater les cadres des émissions ronronnantes que nous connaissons »37. Contrairement aux actualités standardisées, cette émission souhaite imposer la patte du journaliste. Le reporter doit devenir « Témoin-Acteur-Narrateur ». Le journaliste apparaît très souvent à l'écran pour l'interview. Le reporter se déplace aux quatre coins du monde, et l'émission n'est pas seulement un assemblage de dépêches comme cela l'était auparavant. Cela fait échos à la figure du grand reporter qui rêve de voyages et d'aventures à la Joseph Kessel ou Albert Londres. Et si l'on se projette dans le monde contemporain, cela peut nous 37 Article tiré du Monde, le 11 janvier 1959. 37 faire penser à Bernard de la Villardière et Enquêtes Exclusive, que l'on retrouve chaque semaine au Brésil, aux Etats-Unis... Cinq colonnes à la une bouscule les habitudes télévisuelles et explore le potentiel de la télévision. Il s'agit de donner une information réelle, tout en lui donnant un climat de « vécu », familier, pour faire participer au maximum le spectateur. L'émission a donc pour vocation d'être comprise par tous, une volonté en rupture avec ce qui se faisait jusque là. Selon ses producteurs, l'émission a pour vocation « d'offrir à chaque spectateur la gamme de sensation qu'il attend d'une information-spectacle, sensation tout à la fois opposées et complémentaires: le dépaysement, voire l'exotisme, succèdent à la description d'une réalité familière, le sourire doit faire place à l'émotion, l'analyse d'un commentaire équilibre le choix des images ». « Les grands reportages lointains n'éclipsent pas l'héroïsme des vies quotidiennes ».Cette citation pourrait tout à fait qualifier les émissions aujourd'hui: une télévision populaire, qui, même en traitant de sujets internationaux, cherche toujours à personnaliser le sujet pour le ramener à une réalité familière. Les « papas » de l'émission la définissent ainsi « Les idées à travers les faits, les faits à travers les hommes »38. Cette idée d'incarnation des sujets par des personnages est donc très novatrice, et imprègne encore aujourd'hui les reportages puisque la personnification des sujets est essentielle dans tout reportage d'investigation. Le but de la manoeuvre est donc qu'il y ait à la fois le côté vivant du magazine de par ces personnages, mais aussi la diversité d'un journal. Afin de démocratiser au maximum l'émission, un autre point est cardinal. Les émissions sont toujours construites sur le même schéma. En introduction, on présente les faits, les lieux et les acteurs de l'évènement. En guise de développement, on retrouve les interviews, les images et les commentaires de transition. La voix off fait enfin office de conclusion. Le but étant d'expliciter au maximum les informations, et qu'il n'y ait aucun points d'ombre. Il y a aussi des séquences émouvantes et dramatiques où l'image parle d'elle même, lorsque la 38 Jean Noël Jeanneney et Monique sauvage: Télévision, Nouvelle mémoire, Les magazines de grands reportages 1959-1968, Seuil, 1982 38 parole décrit de façon trop abstraite l'ambiguïté d'une situation. Bref, il s'agit quelque peu d'un mélange des genres comme le décrit très bien un critique de Combat, le 6 février 1961: « Cinq colonnes hésite entre le langage de journaliste à grand titrage et l'écriture du reporter qui aurait du talent. Entre l'efficacité du choc et un certain sens de l'analyse ». Si l'interview existait déjà dans d'autres programmes, elle devient centrale dans Cinq colonnes. Elle est au cœur du reportage. « L'interview de témoins ou d'acteurs devient une source d'informations qui personnalise un problème et donne souvent à des personnages modestes une place généralement attribuée aux autorités et aux compétences reconnues »39. Ce concept de journalisme « par le bas » sera au cœur du concept de Capital sur M6 qui prônera un journalisme de terrain, privilégiant d'autres sources d'informations que les sources officielles. Et cela est bien évidemment aussi la base du journalisme d'investigation. -L'ouverture à la concurrence et l'apparition de Zoom En 1964, l'ORTF devient un établissement public à caractère industriel et commercial. Dès lors, l'objectif affiché est d'accroître la rentabilité de l'émission. Désormais, plus de 4,5 millions de français sont équipés de téléviseurs. La création de France 2 libère ainsi de l'espace dans les grilles de programme. Il faut désormais produire une émission hebdomadaire et non plus mensuelle. Des études d'audience précises montrent la popularité de Cinq colonnes à la Une, et la diversité du public. Ce succès pousse alors les programmateurs à la multiplier les magazines d'information. On retrouvera ainsi Panorama sur la une. Sur la deux, on lancera Caméra III de Philippe Labro et Henri de Turenne, Tel quel d'Henri Marque et Pierre Charpy, et Séance tenante avec Eliane Victor et Jean-Louis Guillaud avec des directs et des multiplex faisant réagir des invités comme par exemple un duplex avec l'ONU. Mais une émission a été encore plus révolutionnaire en la matière. Il s'agit de Zoom avec 39 Jean Noël Jeanneney et Monique sauvage: Télévision, Nouvelle mémoire, Les magazines de grands reportages 1959-1968, Seuil, 1982 39 André Harris. Mélangeant les genres (croquis, cinéma-vérité, commentaires écrits...), l'émission suit l'actualité au plus près et est la première à briser le tabou du traitement de la politique intérieure. Pendant longtemps, les magazines ont évité de traiter de sujets sensibles de politique intérieure, les plus propres à diviser, pour aller chercher hors de nos frontières le confort de la non-confrontation. Zoom a justement voulu se démarquer et briser ce tabou. -Un changement de situation Cette époque marque également un grand changement. Les réalisateurs, jugés prétentieux, vont perdre le monopole qui existait du temps de Cinq colonnes. Ils ne vont plus être les seuls maîtres. Désormais, tous les réalisateurs seront extérieurs à l'ORTF. De ce fait, les réalisateurs cesseront de voir les magazines de reportage comme un lieu privilégié pour l'exercice de leur métier, et préfèreront mettre leur expérience au profit de documents sociaux. De plus en plus, les directeurs de chaîne vont vouloir différencier au maximum les JT des magazines. Il s'agira de traiter de politique intérieure avec un style propre à chaque magazine. Sur France 2, Zoom a davantage de liberté car l'émission est peu visionnée. Cependant, cette liberté est relative. En 1966, l'ORTF obéit à son tuteur gouvernemental et interdit à Zoom un sujet consacré à Mitterrand. La 2 est la première chaîne à donner des informations sur les hommes de l'opposition. La 1 réplique en créant Face à face de Jean Farran et Igor Barrère, une émission reprenant une formule anglo-saxonne déjà existante à la radio en France. « Ces nouvelles options politiques, professionnelles et institutionnelles sont lourdes de conséquences sur la définition même d'une genre télévisuel qui n'existe que depuis 5 ans. Le style de Zoom, en particulier, eut été inconcevable auparavant40 ». 40 Jean Noël Jeanneney et Monique sauvage: Télévision, Nouvelle mémoire, Les magazines de grands reportages 1959-1968, Seuil, 1982 40 -La disparition de Cinq colonnes à la Une et de Zoom, la fin d'une ère Cinq colonnes à la Une bénéficie d'une aura particulière auprès de public en raison de sa liberté de ton. Bien que soumise au contrôle gouvernemental, elle jouit d'une vraie autonomie: en 1961, Pierre Desgraupes déclare: « il y a très peu de censure (…). Il y a seulement des pressions politiques qui nous font choisir tel sujet. Une seule séquence, sur l’Algérie, a sauté il y a un an environ. La meilleure défense de l’émission contre la censure ? Sa très grande popularité auprès du public »41. Aussi, quand bien même un sujet serait censuré (à l'image d'un sujet sur l'Irak en 1963, et le rôle du nassérisme au Moyen-Orient), Pierre Lazareff, personnage extrêmement influent, publie dans la foulée un communiqué de presse faisant état de cette censure : « La direction générale de la RTF a interdit, à la demande d’un représentant du Quai d’Orsay, la diffusion de cette séquence. Pourtant, elle était de l’avis même de ceux qui l’ont censurée, en tout point objective et mesurée (…). Ces crises devenant de plus en plus fréquentes, rendent de plus en plus hasardeuses la réalisation d’une émission du type "Cinq colonnes". Dans ces conditions, les producteurs se trouvent bien malgré eux dans l’obligation d’attendre (…) que des garanties élémentaires mettent l’information télévisée à l’abri d’incident de ce genre »42. Une semaine plus tard, le sujet est alors diffusé. Mais la multiplication de ces actions de censure aura raison de l'émission. En guise de protestation contre les mesures prises par le Gouvernement en mai 1968, l'émission est sabordée par les producteurs. Elle renaît alors quelques mois plus tard sous le nom de De nos envoyés spéciaux. Mais l'élan est brisé : l'émission disparaît définitivement des écrans de l’ORTF en décembre 1968. A cette époque, l'émission Zoom s'arrête également: ses prises de position périlleuses auront eu raison d'elle. C'est pourquoi, dans les années 70, le genre semble périr. Il renaît pourtant dans les années 80 tandis que le journalisme d'investigation explose au sein de la presse écrite. On va alors tenter de faire renaître le grand reportage à la télévision, en s'inspirant des émissions cultes 41 Pierre Desgraupes, interview dans L'Echo de la presse, 25/03/1961 42 Wikipédia, Cinq colonnes à la Une, dernière modification le 23/05/2010, consulté le 15/06/2010 41 des années 60 à l'image de Zoom et Cinq colonnes à la Une. B) Les années 1980, la renaissance du grand reportage à la télévision -Reporters sur France 5, 19 septembre 1987 Si Envoyé spécial est souvent considérée comme l'émission qui marque le grand retour du reportage à la télévision, il n'en est rien. En réalité, la réapparition du grand reportage à la télévision intervient avec Reporters, une émission crée, produite et présentée par Patrick de Carolis sur la 5. La première diffusion du programme date du 19 septembre 1987. A l'époque, Reporters est diffusé tous les samedis de 12h30 à 13h00, jusqu'en décembre 1989. L'émission est ensuite diffusé tous les jours de la semaine de 19h00 à 19h40 du 5 janvier 1990 à avril 1991, puis le dimanche soir en seconde partie de soirée d'avril 1991 à 1992. Durant l'émission, trois reportages sont diffusés, à l'issue desquels Patrick de Carolis interroge les réalisateurs du reportage en plateau. Les reportages étaient réalisés par les journalistes de la rédaction de la Cinq et par des agences extérieures. A titre d'illustration, l'émission du 15 mars 1992 était composée d'un reportage sur Ecosse : l'industrie du mariage, Enfance : les forçats du Madre des Dios au Pérou, Avenue Foch, entre rêves et fantasmes. -52 minutes sur la Une: le magazine de grand reportage, sur TF1, 1988 52 sur la une : le magazine du grand reportage, est une émission qui va marquer le retour du grand reportage sur TF1. Présentée et crée par Jean Bertolino de 1988 à 1998, elle intervient en deuxième partie de soirée à 22H30 le jeudi soir. L'émission commence toujours par un plateau avec le présentateur, puis est suivie d'un reportage de 52 minutes. L'objectif affiché de ses producteurs est "d'inventorier et témoigner de tout ce qui constitue la 42 diversité humaine sur les 5 continents"43. Le site de l'INA ne répertorie les émissions que depuis 1995, mais il est assez intéressant de voir que les thématiques traitées sont très proches de ce que l'on fait aujourd'hui, 15 ans après... En effet, l'émission traite d'actualité internationale avec des sujets la prostitution des enfants en Asie: Saïgon : le nouveau marché de l'innocence, ou encore une émission consacrée à l'ouverture de casinos à Las Vegas par des Indiens : Rien ne va plus pour les visages pâles. Mais si l'émission prétend traiter de l'actualité aux quatre coins du monde, il semblerait qu'elle se soit surtout concentrée sur le traitement de sujets franco-français, très populaires: Le cambriolage en France, Délinquance des mineurs : traitement de choc, J'ai maigri de 120 kilos,Gros et bien dans sa peau Mi-homme, mi-femme, Chasseurs de top models, Profession Miss France, J'ai deux mamans... Il est à noter que beaucoup d'émissions sont consacrées aux femmes, montrant leur poids croissant dans la société: Je suis un patron mais une femme aussi, Routières au long cours, Femmes de choc, Tout feu, tout femme... L'émission est donc très proche de ce que l'on peut observer sur le PAF aujourd'hui, même si les sujets policiers étaient tout de même moins récurrents qu'aujourd'hui. L'accent était plus mis sur les thématiques telles que l'homosexualité, la place de la femme, ou encore le rôle essentiel du physique dans la société. Lorsqu'il évoque cette émission, Renaut Fessaguet parle « de bon reportage », et non pas d'investigation. 24 heures sur Canal + est vraisemblablement la première émission à faire de l'investigation à la télévision, et à imposer un nouveau style télévisuel. -24 heures sur Canal +, 1989 L'émission 24 heures sur Canal + est très marquante dans l'histoire de la télévision. Comme le souligne Bernard de la Villardière (Annexes) dans l'entretien qu'il m'a accordée, 24 heures a imposé en France le traitement cinématographique de l'information. Un genre que Renaut 43 INA, 52 sur la une : le magazine du grand reportage, consulté le 19/06/2010 43 Fessaguet fait clairement remonter au cinéma hollywoodien: « Spielberg, et les grands noms comme ça ont imposé le fait que les histoires soient bien racontées, que ce soit rapide, que les scénarios soient super chiadés, et donc par capillarité cela s’est répandu en Europe », et cela s'est répandu à la télévision. Cet élément est crucial et très significatif dans l'étude du reportage d'investigation aujourd'hui. Cela sera développé plus avant dans la seconde partie de ce mémoire. 24 heures est donc crée en 1989 par le patron de Capa, Hervé Chabalier. Une émission à l'aura incroyable qui fit même dire à Mathieu Kassowitz que la Haine avait été plus influencée par 24 Heures que par n'importe quel film de Martin Scorcese44. Le journaliste de Libération estime quant à lui que le magazine a contribué « à moderniser en profondeur le genre ingrat de l'image d'information ». L'émission proposait de véritables reportages de fond d'une durée de 54 minutes, avec des thématiques souvent plus périlleuses que les émissions concurrentes. Elle était produite aux quatre coins du monde, avec un premier reportage à Beyrouth, et un ultime à la Havane, en 1995, après 250 numéros. «Nous étions fatigués au bout de six ans, car le concept de l'émission, mettre quatre ou cinq caméras sur un même événement, demande beaucoup d'énergie», rapporte à l'époque Hervé Chabalier. L'arrêt de 24 heures témoigne qu'en dépit de son succès, cette émission devait être si gourmande en termes de temps et d'argent qu'elle ne devait pas offrir un rapport de rentabilité assez intéressant pour les diffuseurs. Cette recherche de la rentabilité sera d'ailleurs de plus en plus prégnante à la télévision. C) Les années 1990, l'apparition d'émissions devenues cultes La renaissance du magazine de grand reportage va se confirmer dans les années 90. Des émissions devenues cultes telles qu'Envoyé spécial, Droit de savoir, Zone Interdite ou encore Capital vont apparaître dans les années 90, et perdurer dans les années 2000. -Envoyé Spécial sur France 2, 18 janvier 1990 44 Libération, 24H, dernière émission, 24/06/1995, consulté le 19/06/2010 44 Le 18 janvier 1990 est diffusé, en première partie de soirée, le premier numéro d'Envoyé Spécial. Les présentateurs sont alors Paul Nahon et Bernard Benyamin. En janvier 2001, le magazine est ensuite dirigé et présenté par Françoise Joly et Guilaine Chenu. Envoyé spécial est diffusé chaque jeudi en première partie de soirée de septembre à juin. En théorie, comme son nom l'indique, l'émission devait être une extension du journal télé, avec la contribution d'envoyés spéciaux à l'étranger. Mais très vite, l'émission prend une autre envergure, et tente au contraire de se démarquer du journal télé jugé trop « lapidaire » et assimilable à un « flot indifférencié d'images » selon les deux présentateurs. Il s'agit dès lors d'approfondir au maximum l'actualité, afin que le téléspectateur puisse comprendre au mieux les tenants et les aboutissants d'un événement récent. L'émission mélange des sujets internationaux délicats à l'image de « Bombes à retardement » (un numéro traitant de bombes posées au Kazakhstan), ou encore « Silence on tue » (une émission racontant la vie d'un intellectuel algérien qui a risqué sa vie au nom de la liberté), avec des sujets plus légers comme « Les pilules magiques », ou « L'habit fait le moine » (reportage sur les conseillers en image). L'émission rencontre un vif succès et atteint très vite les 20% d'audience, ce qui représente entre 3 et 7 millions de spectateurs. Avec la multiplication de la concurrence, l'audience décline dans les années 2000. Au fur et à mesure du temps le nombre de sujets diminue pour finalement se stabiliser à 4 par émission. Ils deviennent également plus longs, passant à 30 minutes en moyenne. On voit donc qu'il y a une vraie évolution depuis Cinq colonnes à la Une où l'on voyait défiler 12 sujets en deux heures. L'émission se décline ensuite sous la forme de divers concepts avec les Carnets de voyage d'Envoyé spécial durant la période estivale, présentés en dehors du plateau habituel. A partir de janvier 2010, le samedi à 14H, est diffusée l'émission Envoyé Spécial, la suite, au travers de laquelle on découvre l'évolution de personnages rencontrés des années auparavant. Envoyé spécial a beaucoup évolué au cours des années. Même si l'émission bénéficie d'une 45 légitimé historique auprès des téléspectateurs, beaucoup la perçoive comme une émission vieillissante. Avec l'explosion de la concurrence dans les années 2000, l'émission a été obligée d'évoluer. La rédaction a finit par externaliser la majeure partie de sa production, et a succombé, elle aussi, aux sirènes de l'audimat. Un contenu que Renaut Fessaguet juge aujourd'hui très appauvri : « Envoyé Spécial, ils font des trucs sur l’huile d’argan…. On s’endort ! Non mais ce qui est compliqué c’est que ce sont des peaux de léopard, il y a de tout là dedans. Du noir, du blanc, du fauve… Les filles d’Envoyé spécial, elles ne feront jamais un sujet qui dérangerait le pouvoir, car elles sont contrôlées par la Direction de l’Information, elles ne veulent pas d’ennuis. Elles préfèrent faire de l’audience avec des sujets conso, ou parfois elles font un petit roman, un truc bien sur la Tchétchénie »45. Lors du FIGRA (Festival international du grand reportage d'actualité), les deux présentatrices ont reconnu qu’Envoyé Spécial ne pouvait être définit comme une émission engagée, tout en assurant leur indépendance: “On veut faire un newsmagazine, avec des choses sérieuses et des choses légères [Cette] ‘mayonnaise’ journalistique a du sens pour nous. […] C'est vrai qu'il y a une accélération du rythme de l'info. Envoyé Spécial n'est pas une émission engagée, sauf sur nos trois principes : éthique, rigueur, respect de la dignité humaine. […] Nous refusons de montrer nos documentaires aux personnes concernées avant diffusion, et nous sommes une des dernières émissions dans ce cas : le final cut’ nous appartient46.” -Droit de savoir sur TF1, 9 novembre 1990 Droit de savoir est diffusé pour la première fois le 9 novembre 1990 sur TF1. Cette émission est considérée par beaucoup comme une émission d'investigation de référence. Ainsi Renaut Fessaguet considère que « Le droit de savoir, au début, c'était de l'investigation », tout en précisant: « mais après ça a dévié ». Le titre de l'émission est l'un des premiers à sousentendre que le magazine allait dénicher des vérités cachées afin de les livrer à des 45 Entretien avec Renaut Fessaguet réalisé le 28/04/2010 46 Rue 89, Fin du Figra. La télé nous informe-t-elle encore ?, mis en ligne le 29/03/2008, consulté le 10/06/2010 46 spectateurs en quête de vérité. Mais dès les années 2000, l'émission évolue vers une plus grande spectacularisation de l'information afin de faire grimper l'audimat. Droit de savoir est ainsi l'un des premiers programmes à ouvrir la brèche du style d'émissions que l'on retrouve aujourd'hui sur le PAF à l'image d'Enquêtes d'action sur W9 ou encore Enquêtes et révélations sur TF1, le successeur de Droit de savoir. Présenté par Charles Villeneuve à son lancement, puis co-présenté avec Béatrice Schönberg à partir de 1993, ce magazine bimensuel est diffusé le mardi en deuxième partie de soirée. A l'issue de chaque sujet abordé, les présentateurs reçoivent un ou plusieurs invités en studio pour débattre du thème abordé. Ce magazine de société d'1H43 traite de sujets à l'image de l'euthanasie « Chronique d'une mort demandée », la légion étrangère « La Légion : les hommes sans nom », « Les enfants criminels », « La drogue », « 36 quai des Orfèvres » ou encore « Un voyage à l'intérieur des sectes », des sujets qui sont largement repris aujourd'hui. On voit donc que Droit de savoir est plus axé qu'Envoyé Spécial sur les sujets nationaux, et traite moins de politique. En septembre 2004, Droit de savoir diffuse un reportage consacré à l'affaire Marjorie, du nom d'une aide-soignante de 21 ans qui avait été assassinée. Les journalistes s'étaient introduits dans les rouages de l'enquête, n'épargnant rien des détails les plus sordides au téléspectateur. Mais pour avoir diffusé des images de la garde à vue et des aveux des présumés coupables, TF1 se retrouve en correctionnelle pour recel de violation de l'instruction. La procédure est finalement annulée pour vice de forme par le tribunal correctionnel d'Alès. Mais en 2008, après 18 ans d'existence, l'émission est remplacée par Enquêtes et révélations, un programme dans la même veine, mais promettant d'offrir aux téléspectateurs encore plus de sensations fortes. -Capital sur M6, 9 décembre 1990 Capital est diffusé sur M6 depuis le 9 décembre 1990, et a littéralement révolutionné la télévision française en termes d'écriture. Le magazine traite de l'actualité économique, financière et sociale, en France et à l'étranger : « Le défi était de parler d’économie face au 47 film du dimanche soir, de rendre sexy une matière aride 47», a déclaré Laurent Huberson, l’un des anciens membres de la rédaction de Capital. Créée et présentée par Emmanuel Chain, l'émission dure au départ trente minutes et est diffusée tard le soir. Mais elle rencontre vite un franc succès et est programmée un dimanche soir sur deux en première partie de soirée, en alternance avec Zone Interdite. Capital est présenté depuis 2003 par Guy Lagache, qui était auparavant l'un des journalistes qui travaillaient sur le programme. L'émission dure 100 minutes et est composée de plusieurs reportages sur un même thème : l'immobilier, les hôtels de luxe, les impôts ou l'histoire de chefs d'entreprise qui ont réussi à faire fortune. Les reportages sont entrecoupés d'interviews réalisées par le présentateur. La majorité des programmes dans les années 90 sont produits en interne. Dans un article des Inrocks sur le net, l'émission est saluée pour avoir réussi à « inventer un mode de récit journalistique factuel, pédagogique et scénarisé – copié partout depuis –, en racontant au grand public des stories puisées dans la sphère économique »48. Capital a réussi le tour de force d'imposer un rapport « décomplexé » à la culture d'entreprise en la présentant sous la forme de figures héroïques, tout en « déconstruisant les règles du capitalisme ». Comme le souligne Bernard de la Villardière dans l'entretien qu'il m'a accordée, Capital est symbolique du style M6 qui consiste à « prendre le téléspectateur par la main ». La complexité est évacuée au maximum afin que le téléspectateur puisse comprendre les tenants et les aboutissants du sujet sans difficulté. Capital incarne les sujets en faisant intervenir de nombreux personnages, ce qui contribue à ancrer le sujet dans une réalité familière. Le journaliste se veut être un homme de terrain, proche de son objet. En ce sens, il s'agit donc plus de « narrative journalism », comme le souligne Vincent Nouzille, que d ' « investigate journalism », puisque l'investigation est censée tenir à distance son sujet. Toutefois, Capital se veut être une émission parfois critique et offensive, puisqu'elle tente parfois d'ouvrir les portes d'entreprises qui ne souhaitent pas communiquer sur leur activité, et pratique souvent la caméra cachée. En ce sens, l'émission fait tout de même de 47 Télérama.fr, La pêche au ton, le 29/12/2010, consulté le 15/03/2010 48 Les Inrocks, Capital Terre l'émission verte de M6, le 24/03/2010, consulté le 20/06/2010 48 l'investigation, mais elle mélange les genres, ce qui est aujourd'hui très fréquent selon Vincent Nouzille. Il y a peu, l'émission Capital Terre a été lancée en mars dernier. Il s'agit de décliner l'émission Capital en un programme consacré à l'écologie. Dès le début, le ton est donné: il s'agit là encore d'aller voir ce qui se cache derrière les produits de consommation que nous mangeons. Les journalistes se rendent aux quatre coins du monde afin de dénicher des secrets bien gardés. Pour le moment, aucune nouvelle émission n'a été annoncée. Capital demeure une émission de référence sur le PAF, mais elle peine aujourd'hui à renouveler son contenu, traitant régulièrement des même problématiques à l'image de ces sujets : « vacances pas chères », « enquête sur la France des fraudeurs », « Appartements, maisons : comment se loger moins cher ? ». -Zone Interdite sur M6, 7 mars 1993 Zone Interdite est lancé le 7 mars 1993. D'abord mensuel, le magazine devient bimensuel dès décembre 1995. Plusieurs journalistes de renom se sont succédés à la présentation de Zone Interdite : Patrick de Carolis de 1993 à 1997, qui a créé le magazine, puis Florence Dauchez jusqu'en 1998, Bernard de la Villardière de 1998 à 2005, Anne-Sophie Lapix de 2005 à 2006 et Mélissa Theuriau depuis septembre 2006. A l'instar de Capital, Zone Interdite mêle reportages et séquences plateau durant 100 minutes. Les reportages sont réalisés en majeure partie par Capa et Tony Comiti, et non pas en interne comme pour Capital. Zone Interdite « est un grand magazine de société franco-français », selon Bernard de la Villardière, et ne traite donc pas de l'actualité étrangère. A l'instar de Capital, Zone Interdite a contribué à développer la marque M6 en personnifiant ses sujets, mais aussi en les scénarisant. Le nom même de l'émission en dit long sur son ambition: à l'image de Droit de savoir, il s'agit d'aller dévoiler des vérités cachées, et ce sens, il s'agit d'investigation. Dans les années 90, environ 5 sujets sont diffusés pendant l'émission: à titre d'exemple, 49 voici le sommaire de l'émission du 25 juin 199549: − « Génération paillettes » (reportage sur une solution apportée à la stérilité masculine) − « FIV : erreur médicale aux Pays Bas » − « Des femmes sur le ring » − « Phobie : le mal de l'air » L'émission axe donc principalement ses reportages sur des sujets à sensation, particulièrement concernant pour les français. Les sujets traités n'ont donc pas beaucoup évolué si on les compare à ce que l'on fait aujourd'hui. -90 minutes sur Canal +, 1999 Créée en 1999 par Luc Hermann et Paul Moreira, figure de proue du journalisme d'investigation, 90 minutes est une émission qui a marqué les esprits. Ce magazine d’enquête, diffusé de manière trimestrielle, est très certainement le plus incisif du PAF à cette époque. Durant 1h45, plateaux et reportages se succèdent (en général, trois reportages), sur des thématiques extrêmement délicates. Le style est très « Canal+ », dans la lignée de la défunte 24 heures, avec un rythme très enlevé et percutant. 24 heures a soulevé de nombreuses « affaires », à l'origine de révélations très marquantes. Par exemple, l'émission a fait rouvrir le dossier du suicide du ministre Robert Boulin. Elle a également démontré la responsabilité des autorités djiboutiennes dans le décès du juge Borrel, ou encore obligé Total à admettre qu'il y avait eu du travail forcé sur son chantier en Birmanie. Enfin, et c'est un fait marquant, les équipes de 24 heures ont forcé l’armée française à admettre qu’elle avait tiré dans une foule désarmée en Côte d’Ivoire en novembre 2004. « Nous ne craignons pas de prendre de front les pouvoirs économiques ou politiques. Je pense que l'investigation a la capacité de faire changer les choses. Elle doit 49 Ina.fr, catalogue des fonds de l'INA, consulté le 13/07/2010 50 être l'un des outils de contre-pouvoir de la société 50 », souligne à ce propos Paul Moreira dans une interview. Mais en 2006, quelques mois avant la présidentielle, 90 minutes disparaît brutalement. Les directeurs de la chaîne expliquent alors qu'ils entendent en fait clarifier leur grille des programmes, en établissant un seul « rendez-vous investigation » avec l'émission Lundi Investigation : « Il y avait confusion, assure Ara Aprikian, directeur du pôle flux. Et pour maintenir un haut niveau, mieux vaut renouveler régulièrement les auteurs des sujets. Rien à voir, donc, avec des pressions politiques. » La raison serait-elle dès lors interne? « Le courant n'est jamais passé avec la nouvelle direction de Canal, symbolisée par Rodolphe Belmer, directeur général depuis 2003, reconnaît un journaliste. Et puis, on coûtait très cher... ».51 En effet, 90 minutes est une émission produite en interne, contrairement à Lundi Investigation qui fait pour sa part appel à des prestataires extérieurs. Ainsi, la production de Lundi Investigation est moins coûteuse que celle de 90 minutes, mais également plus aisée, les boîtes de production étant réputées plus dociles. Ainsi, la suppression de ce programme est un signal fort en cette période électorale, et inquiète toute la profession. Il symbolise la fin d'une certaine liberté éditoriale qui prévalait jusque lors à Canal +, une chaîne réputée plus offensive envers le pouvoir que ses homologues. « Cette nouvelle est une mauvaise surprise, affirme Pascal Richard, rédacteur en chef de « Pièces à Conviction » sur France 3. Avec Duquesne et Moreira, nous n'étions déjà que trois vrais représentants du genre. Sans doute parce que nos rendez-vous étaient produits en interne. »52 Cette réflexion est particulièrement intéressante dans le cadre de ce mémoire. A mesure que l'on tente d'étudier le journalisme d'investigation à la télévision, l'on se rend finalement 50 Strategies.fr, Contre-enquête sur Lundi investigation, mis en ligne le 16/12/2004, consulté le 15/06/2010 51 20 minutes.fr, «90 minutes» à la trappe, remue-ménage à Canal+, mis en ligne le 16/07/2006, consulté le 15/07/2010. 52 20 minutes.fr, «90 minutes» à la trappe, remue-ménage à Canal+, mis en ligne le 16/07/2006, consulté le 15/07/2010. 51 compte que les émissions pouvant se réclamer du genre sont en réalité très peu nombreuses. De plus en plus, ces émissions sont produites en externe par des boîtes de production travaillant pour une multitude de programmes différents, et peinent à avoir leur propre identité et à produire de véritables émissions d'enquête, faute de temps et d'argent. Ce phénomène s'est amplifié dans les années 2000, alors que les émissions dites d'enquête sont devenues très nombreuses. Il est également important de souligner que la liberté des émissions, désormais produites en externe, a été considérablement réduite ces dernières années, et notamment depuis l'élection de Nicolas Sarkozy, en 2007. Mais nous développeront ces aspects plus avant dans une autre partie de ce mémoire. D) Les années 2000, l'explosion du nombre de magazines d'information Les années 2000 vont voir émerger un très grand nombre d'émissions d'investigation, notamment depuis 2006. Mais si cette explosion numéraire pourrait sembler plutôt bénéfique pour le champ journalistique, cela n'est pas réellement évident. Certes, certaines émissions comme Pièces à conviction ou encore Compléments d'enquête proposent des reportages d'investigation véritables, mais d'autres telles que 90 minutes enquêtes ou encore Enquête d'action, ne peuvent prétendre au même statut. Au contraire, cette explosion semble mener le PAF sur la voie d'une uniformisation à outrance. -Pièces à conviction sur France 3, 26 octobre 2000 Pièces à conviction est « le » magazine d'investigation de France 3, et est également un magazine de référence pour le PAF. Il a été lancé par Hervé Brusini en 2000. L'émission est présentée par Elise Lucet, et le rédacteur en chef est Lionel de Coninck. Le magazine est notamment connu pour avoir diffusé la « cassette Méry », en référence à Jean-Claude Méry promoteur et membre du comité central du RPR dans les années 90, et qui joua un rôle central dans l'affaire des HLM de Paris et la collecte de fonds pour le financement illégal du RPR. Les équipes de Pièces à conviction ont ainsi multiplié les enquêtes osées à l'image de 52 celle réalisée sur la Française des jeux, le principal annonceur de France Télévisions. Le nom de l'émission est par ailleurs évocateur, faisant échos à un véritable travail policier d'investigation. Pièces à conviction est une émission produite en interne, par les équipes de France 3. A l'origine, l'émission, d'une durée de 01H30, est diffusée une fois par mois le jeudi en deuxième partie de soirée à 23 heures, ce qui lui procure une réelle liberté, l'émission n'étant pas soumise à des contraintes d'audience. Mais en 2008, l'émission est programmée en prime time à 20H50 avec un numéro consacré au pouvoir d'achat, ce qui pourrait porter à croire que l'émission serait en péril, c'est en tout cas la question que se pose une journaliste de Télérama en 2008, et à laquelle Lionel de Coninck répond de la sorte : « Est-ce que les choses vont changer ? Pour tout dire, je n’en sais rien. Autant vous l’avouer, ce thème du pouvoir d’achat nous a été proposé par France 3. On l’a accepté parce que c’est une bonne chose, pour un premier numéro en prime time, d’essayer de rassembler. Mais en aucun cas je ne ferai six émissions sur la consommation. On va continuer à faire ce qu’on sait faire, et si ça n’est plus possible, j’irai ailleurs »53. Au cours des années, l'émission va se moderniser. Elise Lucet n'est désormais plus en plateau pour accueillir ses invités, mais sur le terrain, filmée en train d'interroger divers témoins. On n'hésite plus à mettre en scène le journaliste, ce que l'on va d'ailleurs retrouver dans bien d'autres émissions, à l'image d'Enquête Exclusive et Bernard de la Villardière. Malgré une certaine uniformisation de la forme, l'émission demeure une véritable référence pour le journalisme d'investigation télévisuel français. -Compléments d'enquête sur France 2, 17 septembre 2001 En 2001, c'est au tour de Compléments d'enquête de faire son apparition sur le PAF. Le 53 Télérama,“Pièces à conviction” dès 20h50 ! Oui mais à quel prix ?, mis en ligne le 08/10/2010, consulté le 15/07/2010. 53 programme a été créé par Benoit Duquesnes, qui en est également le présentateur, encore aujourd'hui. Un lundi sur deux, en deuxième partie de soirée, une thématique est développée. Ainsi, durant 01H30, plusieurs sujets (en général quatre), s'enchaînent afin d'illustrer cette thématique. Celle ci peut être consacrée aux privilèges des fonctionnaires, les jeunes et le cannabis ou encore aux erreurs médicales, des sujets qui peuvent sembler assez communs, car ils sont traités dans d'autres émissions. Mais Compléments d'enquête se distingue tout de même par un traitement quelque peu plus approfondi que ses congénères. Mais la différence considérable entre Compléments d'enquête et d'autres émissions dites d'investigation, est que lorsque Benoît Duquesne étudie l'univers carcéral en 200254, cette thématique n'a encore été que très peu traitée à la télévision. Des sujets pouvant sembler vus et revus aujourd'hui ont pu être très novateurs dans le passé. De plus, Compléments d'enquête possède une véritable emprunte stylistique. L'information n'y est pas présentée de la même façon que dans beaucoup d'autres émissions. On fait assez largement parler l'image, sans musique ni même commentaire, ce qui déroge grandement avec les émissions style Capital ou encore Droit de savoir où le commentaire à l'image est omniprésent. Enfin, un dernier élément est central dans l'étude de Compléments d'enquête. L'émission est produite en interne à France 2, tout comme l'était 90 minutes à l'époque sur Canal +, ou encore tout comme l'est Pièces à conviction. Cela s'avère être un élément central. L'externalisation de la production va en général de paire avec une recherche de l'optimisation des coûts, alors peu propice à la liberté éditoriale. -Lundi investigation sur Canal +, 2002 Lundi investigation est un programme documentaire hebdomadaire sur le modèle de 90 minutes. Sa création a été supervisée par Paul Moreira en 2002. Chaque lundi en deuxième 54 Ina.fr, catalogue des fonds de l'INA, consulté le 13/07/2010 54 partie de soirée, cette case propose un reportage de 52 minutes sous la forme de portraits ou d'histoires. L'émission se veut offensive, et tente d'éveiller le citoyen en l'alertant sur la face cachée, sombre, de certains évènements ou personnages. Elle est présentée par Emilie Raffoul et Stéphane Haumant. Entre 2002 et 2003, toutes les émissions étaient produites par Capa. Après 2003, Lundi investigation travaille avec 7 boîtes de production. L'émission ne dispose en fait que de 4 journalistes permanent et d'une assistante55. Cela reprend ce qui a été dit plus haut: contrairement à 90 minutes enquête, Lundi investigation n'est pas produit en interne. A titre d'exemple, les sujets type sont « Jean Paul II : contre enquête sur l'attentat », « Assassinat du juge Borrel : une affaire française », ou encore « Dans la cuisine des sondages ». L'émission est ainsi souvent axée sur des thématiques judiciaires, mais cela n'est pas non plus automatique. Si l'émission jouit globalement d'une bonne réputation, elle n'échappe pas aux critiques de ses confrères qui dénoncent certaines dérives comme le sensationnalisme. Le site stratégie.fr rapporte ainsi les propos d'un journaliste souhaitant rester anonyme : «Lundi investigation se démarque positivement des autres émissions de ce type. Mais on y voit tout de même le meilleur comme le pire. Ils sont parfois radicaux dans leurs thèses, avec une fâcheuse propension à donner crédit surtout à ce qui les arrange. Avec une émission par semaine, ils ont besoin de faire des gros coups, ce qui peut les pousser à en rajouter. »56 En effet, si 90 minutes était diffusé de manière trimestrielle, Lundi investigation doit supporter une cadence hebdomadaire. Or, réaliser un travail d'investigation est extrêmement chronophage, et prétendre réaliser de véritables enquêtes en si peu de temps peut parfois paraître improbable. De ce fait, les journalistes peuvent être tentés d'emphaser le réel, et de prétendre dénicher des scoops qu'ils n'ont parfois pas eu le temps de véritablement étayer. L'émission est remplacée en 2008 par Spécial Investigation, un programme présenté par 55 Telesatellite.com, Lundi investigation" fête sa 100ème, mis en ligne le 22/10/2010, consulté le 25/07/2010 56 Strategies.fr, Contre-enquête sur Lundi investigation, mis en ligne le16/12/2004, consulté le 16/07/2010 55 Stéphane Haumont. Il s'agit en fait de la même émission, mais l'on a évité de citer dans le titre de l'émission le jour de diffusion puisque le programme a été déplacé plusieurs fois dans la grille des programmes: lundi, jeudi, vendredi... On peut tout de même constater que Spécial Investigation est aujourd'hui l'une des rares émissions avec Compléments d'Enquêtes et Pièces à conviction à se démarquer du reste du PAF, tant sur le fond que sur la forme. Sur la forme, l'émission est beaucoup plus réalisée à l'image et utilise beaucoup plus d'images d'archives. Sur le fond, l'émission s'intéresse à des sujets qui dénoncent la défaillance d'un système et non d'individus, et cela est un point essentiel. L'émission s'attache aussi à contextualiser au maximum la thématique et à prendre un maximum de champ. Cela démarque clairement l'émission des autres qui cherchent toujours des sujets concernant pour les français. : "On nous a proposé une enquête sur la manière dont les Français truandent le fisc. Nous ne la ferons pas car les comportements individuels aussi délinquants soient-ils nous intéressent beaucoup moins que le dysfonctionnement des systèmes"57, explique Emilie Raffoul. Derrière ces propos se trame aussi une façon de concevoir le métier de journaliste. Cette citation va dans le sens d'un journalisme justicier, sorte de quatrième pouvoir pour la société. Les autres émissions type 90 minutes enquêtes ne se lancent jamais dans des investigations d'ampleur, et s'attardent plus à dénoncer des comportements déviants individuels. Ces émissions peuvent être considérées comme étant plus des magazines de consommation que d'information. -Enquête Exclusive sur M6, 11 septembre 2005 Enquête Exclusive est un magazine qui a été conçu en 2005 par Bernard de la Villardière, qui présentait à l'époque Zone Interdite. A l'origine de l'émission, il y eut les « Spéciales de l'info », en seconde partie de soirée le dimanche soir. Un programme proposé par Bernard de la Villardière qui nous explique les raisons de la création de cette case : « Quand l'actualité était un peu trop chaude, qu'il y avait des documents un peu trop liés à l'actualité, qu'il y avait un angle éditorial différent de celui de Zone Interdite (qui est un grand magazine de société franco-français), du fait qu'il parlait de l'étranger, rebondissant sur 57 Telesatellite.com, Lundi investigation" fête sa 100ème, mis en ligne le 22/10/2010, consulté le 25/07/2010 56 l'actualité, à l'image du 11 septembre. Voilà, quand l'actualité suggérait de faire des spéciales on en faisait dans cette case là, mais c'était des sujets plus journalistiques et news que magazines. A partir de là, on a proposé à la chaîne avec la rédaction de Zone Interdite qui travaillait avec moi, de faire un rendez-vous régulier, mensuel, qui s'appellerait « Enquête Exclusive ». On y mettrait ces docs à plus forte exigence éditoriale entre guillemets, plus proches du journalisme et de l'investigation. Des docs difficiles à mettre à 20H50 pour des raisons euh... voilà, d'audience.. plus exigeants et donc plus difficiles à cette heure là. On les a donc mis à 22H50, et on a fait une émission mensuelle qu'on a appelé Enquête Exclusive ».58 Face au succès de l'émission, M6 décide d'augmenter progressivement la cadence: la deuxième année, on produit deux émissions par mois; la troisième année, trois par mois et la quatrième année, l'émission devient hebdomadaire. Enquête Exclusive s'articule autour d'un reportage de 52 minutes, puis d'un plateau de 15 ou 20 minutes sur le terrain, animé par Bernard de la Villardière, et donnant un axe de réflexion nouveau sur la thématique qui vient d'être traitée. Selon Bernard de la Villardière, de bonnes audiences sont réalisées avec ces plateaux qui apportent de la plus-value au programme. Il est vrai que c'est la seule émission d'enquête qui soit présentée sous cette forme. M6 joue d'ailleurs sur la personnalisation du programme sous les traits de Bernard de la Villardière. Ce dernier dispose d'ailleurs d'un certain pouvoir sur la rédaction puisqu'en décembre dernier, il a été à l'origine de l'éviction de Laurent Huberson, rédacteur en chef d'Enquête Exclusive et journaliste chez M6 depuis seize ans, pour « incompatibilité d'humeur ». Il a fait pression sur la chaîne en la mettant face à un dilemme : ce serait lui ou Laurent Huberson. Cela a provoqué la colère des salariés de M6 qui ont menacé de faire grève (parmi eux, les présentateurs phares de M6 Mélissa Theuriau et Guy Lagache), mais c'est finalement Bernard de la Villardière qui a obtenu gain de cause. Il faut dire la position de Bernard de la Villardière est assez spéciale: il est à la fois présentateur de l'émission, co-rédacteur en chef et producteur. Or, l'émission est alimentée à 58 Entretien avec Bernard de la Villardière réalisé le 10/07/2009 57 ¼ par C production, une filiale de M6 dans laquelle Laurent Huberson exerçait un poste à responsabilité. Certains ont donc vu dans son éviction la volonté de la part de Bernard de la Villardière d'accroître la production de sa propre boîte, Ligne de Front. Si l'intéressé dément en bloc ces accusations, la théorie peut sembler assez viable59... L'émission propose un grand nombre d'émissions se déroulant à l'étranger : Trafic d'opium et attentats suicide : au coeur du piège afghan, Gangs et favelas à Rio : l'autre visage du carnaval, Voyage au coeur du pays le plus fermé du monde : la Corée du Nord, Les nouveaux pirates des Caraïbes, Maharadjahs, enfants des rues et pierres précieuses : les mystères de Jaïpur, Himalaya : la face cachée du toit du monde... Mais les reportages sont toujours axés sur des thématiques type drogue, prostitution ou encore les trafics d'armes. Des sujets souvent sensationnels et qui drainent une forte audience. L'écriture de l'émission est très « M6 », et symptomatique de ce que l'on va retrouver dans les autres programmes qui vont être lancés après. Mais nous développerons cet aspect dans la partie II). -Enquête d'action sur W9, 26 octobre 2005 Enquête d'action a été diffusé sur W9 pour la première fois le 26 octobre 2005, peu après le lancement de la TNT en mars 2005. W9 est aujourd'hui la chaîne leader de la TNT. Le programme est diffusé en prime time, mais aussi en deuxième partie de soirée lors de ses rediffusions. On retrouve également des rediffusions d'Enquête Exclusive, W9 étant une filiale de M6. L'émission dure 1h50 et se présente sous la forme de deux reportages d'une durée de 52 minutes, puis d'un plateau. Enquête d'action est présenté par François Pécheux, qui va très prochainement être remplacé par Marie-Ange Casalta : "C'est une longue histoire. Enquête d'action existe depuis cinq ans et c'est un crève-coeur pour moi de me retrouver dans cette situation... J'ai beaucoup appris avec cette équipe, notamment à recevoir des invités sur un beau plateau. Partis de rien - la TNT n'existait pas encore ! -, nous avons grandi ensemble et vécu une expérience 59 Lepoint.fr, Mélissa Theuriau et Estelle Denis s'engagent dans un conflit social, mis en ligne le 05/12/2009, consulté le 25/07/2010 58 fantastique" a déclaré François Pécheux au sujet de son départ. 60 Le présentateur se veut décontracté, veste en cuir et barbe de trois jours, donnant l'image d'un baroudeur. Enquête d'action multiplie les sujets consacrés à la police, aux secours ou encore aux trafics en tout genres: ainsi en l'espace de quelques semaines, les spectateurs ont pu assister aux sujets suivant : Taxi, routiers : enquête sur les nouveaux flics de la route, CRS, Sécurité Civile : les sauveteurs de l'extrême, Arnaques, contrefaçons : un trafic hors norme, Sports et mafia, le scandale des matchs truqués, Urgences, dans la chaleur de la nuit. A l'origine, l'émission s'appelait En quête d'action. Ce nom avait été choisi pour mettre en avant l'adrénaline du travail de journaliste, mais ce titre a été modifié, peut-être parce qu'il semblait quelque peu exagéré. Ce magazine symbolise aussi une nouvelle génération de programmes très axés sur le sensationnalisme, avec une musique bien calibrée et un rythme très enlevé. L'émission invite les téléspectateurs à découvrir le quotidien de personnages « hors-du-commun ». L'on comprend vite que le but de la manoeuvre n'est donc pas de s'éloigner de son sujet mais au contraire de s'en approcher au maximum. En ce sens, il ne peut s'agir d'investigation, mais au contraire de « narrative journalism »61. Pourtant, sur le site de W9, l'émission est présentée comme étant de l'enquête : « Enquête d'action c'est le magazine d'investigation qui vous plonge au cœur de l'action ». On est donc plus en quête d’action que d’information. -90' enquêtes sur TMC, 10 octobre 2007 Le 10 octobre 2007, c’est au tour de 90’ enquêtes de prendre place sur le PAF. Le slogan de l’émission est le suivant : « Informer, alerter, révéler, telle est la promesse de 90' Enquêtes, programme consacré aux principales préoccupations des Français. S'inscrivant dans la lignée des grands magazines d'informations américains et de reportages, 90' Enquêtes est le nouveau magazine 100% investigation présenté par Carole Rousseau ». Une émission jouant donc sur la scénarisation de l’information, technique issue de la télé américaine, et 60 Pure people, François Pécheux : Avant d'abandonner "Enquête d'action", il vous présente une maman... de 16 enfants !, mis en ligne le 25 61 Entretien avec Vincent Nouzille réalisé le 20/03/2010 59 prétendant clairement faire de l’investigation, révéler des données secrètes, remplir une mission citoyenne. 90’ enquêtes s’attache à traiter des préoccupations des français, et ne traite donc pas d’actualité étrangère. L’émission prend soin à toujours personnaliser ses sujets afin de les ramener au maximum à une réalité familière. Elle est l’archétype des émissions commerciales d’information. L’émission est diffusée sur TMC, une filiale de TF1. Elle est diffusée le mercredi en première partie de soirée. L’émission alterne plateaux avec des experts et reportages. Chaque semaine, une thématique en particulier est traitée. Très souvent les émissions tournent autour de sujets largement traités comme la malbouffe : « Malbouffe et fraude alimentaire : enquête dans les coulisses de la restauration », la police : « Flics de chocs : enquête sur les anges gardiens de la République », ou encore la chirurgie esthétique : « Belle à tout prix : enquête sur les dérives de la chirurgie esthétique ». A partir de 2008, 90’ enquêtes rediffuse des émissions d’Enquêtes et révélations sur TF1. L'émission a atteint son record d'audience le 21 avril 2009 avec plus d'un million de téléspectateurs au rendezvous. 90’ enquêtes peut être identifiée comme étant le concurrent direct d’Enquêtes d’action. -Enquêtes et révélations sur TF1, 23 septembre 2008 Le 23 septembre 2008, Enquêtes et révélations prend la succession de Droit de savoir sur TF1. L’émission est présentée sur le terrain par Magali Lunel, et non pas en plateau comme le faisait Charles Villeneuve. L’émission dure en général une heure et demi et ne traite que d’une thématique sous la forme d’un sujet long. Elle a lieu tous les quinze jours. Les diffuseurs l’ont promis, l’émission sera encore plus « spectaculaire ». Ainsi, à son lancement, Eric Hannezo, le patron de TAP, la filiale de la Une qui produira ce nouveau programme, a déclaré : «On s'éloignera le plus possible de ce qui existe par ailleurs en privilégiant le point de vue humain (...) Le fond ne sera pas dissocié de la forme, qui tiendra compte des codes narratifs des séries américaines (...) Logo, habillage, musique… la forme sera spectaculaire. Ce sera une vraie création !»62. Privilégier le point de vue humain, cela ne s’avère pas être une grande nouveauté, il s’agit de la technique narrative de M6, reprise 62 Ozap, Le successeur de droit de savoir sera spectaculaire, mis en ligne le 19/05/2008, consulté le 15/06/2010 60 dans la majorité des émissions d’enquête. On se rend compte dans cette description que la forme importe énormément, peut-être plus que le fond. Comme l’a souligné Renaut Fessaguet dans notre entretien, le cinéma américain a fortement influencé la manière de traiter l’information. La rythmique effrénée, importée en France par Canal +, est essentielle dans cet émission. Les diffuseurs ne s’en cachent pas, ils sont en quête de spectaculaire. Mais ils se targuent tout de même d’enquêter et de faire des révélations au grand public. Pourtant, là encore, les sujets tournent toujours autour des mêmes thématiques. L’insécurité routière : Français au volant : Enquête sur ces nouveaux délinquants de la route, les arnaques : Arnaques, patrons voyous et escroqueries en tous genres, malbouffe : Nourriture avariée, tromperie sur la qualité : comment être sûrs de ce que nous mangeons... N’en déplaise aux diffuseurs, l’émission ressemble grandement à ses concurrents. Après avoir établi cette perspective historique, et présenté les émissions que nous allons étudier, nous allons passer à leur analyse de forme et de contenu. 61 Partie II) Uniformisation et spectacularisation des reportages d'investigation . Après avoir établi cette perspective historique et comparative du journalisme d’investigation, nous allons étudier de façon plus pragmatique les émissions choisies dans le cadre de cette étude. Nous tenterons de vérifier le postulat établi dans l’introduction : les émissions d’enquête souffrent aujourd’hui d’une profonde uniformisation, et tendent à spectaculariser toujours plus le réel. Pour ce faire, nous étudierons différents aspects : le nom choisi pour ces émissions, les thématiques traitées, le montage et la façon de construire les histoires. Nous tenterons enfin de comprendre les raisons des tendances que nous aurons mises à jour. 1) Des noms d’émissions accrocheurs : la promesse du grand frisson ! L’étude du nom de ces émissions est assez révélatrice de l’ambition que ces dernières nourrissent. Voici ci-dessous la liste des émissions que nous avons évoquées dans la première partie. Cela nous permet de les juxtaposer dans l’analyse. -Cinq colonnes à la une, sur la une -Zoom, sur France 2 -Reporters sur France 5 -52 minutes sur la Une: le magazine de grand reportage, sur TF1 -24 heures sur Canal +, 62 -Envoyé Spécial sur France 2 -Droit de savoir sur TF1 -Capital sur M6 -Zone Interdite sur M6 -90 minutes sur Canal +, -Pièces à conviction sur France 3 -Compléments d'enquête sur France 2 -Lundi investigation sur Canal + -Enquête Exclusive sur M6 -Enquête d'action sur W9 -90' enquêtes sur TMC -Enquêtes et révélations sur TF1 -Des titres d’émission reprenant la notion de reportage On voit que les premiers titres ne reprennent pas encore la notion d’enquête mais plutôt de reportage, à l’image de 52 minutes sur la Une: le magazine de grand reportage et de Reporters. Comme on l’a vu dans la partie précédente, le reportage est l’ancêtre de l’investigation. Si l’on parle déjà d’investigation dans la presse écrite à la fin des années 80, cela va mettre plus de temps à arriver à la télévision. Le fait d’aller se déplacer sur le terrain et de rapporter des images pour créer de longs reportages est déjà une prouesse technique ! Auparavant, le matériel ne permettait pas de réaliser de tels sujets, car il était bien trop encombrant. Déjà, à la fin des années 80, on se déplace aux quatre coins du globe, et c’est là-dessus que ces émissions basent leur succès et leur prestige. La notion d’aller dévoiler des vérités cachées afin de faire « frissonner » le téléspectateur n’est donc pas encore présente. -Des titres d’émissions s’inscrivant dans la logique d’un JT approfondi Envoyé Spécial est une émission qui évoque quant à elle l’approfondissement de sujets d’actualité par l’envoi d’envoyés spéciaux sur le terrain. Là encore, on n’insiste pas encore sur la notion d’investigation, mais plutôt sur le caractère inédit des sujets traités du fait de 63 leur éloignement. D’ailleurs, à son lancement en 1990, l’émission diffusait jusqu’à huit sujets, nous n’étions donc pas dans la logique d’investigation pure et dure. On n’enquêtait pas uniquement sur un thème. Zoom et Cinq colonnes à la Une répondaient également à la même logique : celle, en quelque sorte, de poursuivre le JT en effectuant un focus sur certaines thématiques. -Un titre d’émission induisant une nouvelle rythmique et un nouveau traitement de l’information 24 heures sur Canal + initie une véritable petite révolution. C’est le premier titre d’émission à être réellement novateur : nous ne sommes plus dans la logique du reportage ou du JT version plus avancée, mais bien d’une petite histoire à part entière. Ce nom nous évoque aujourd’hui la série 24 heures chrono, et la comparaison n’est pas si ridicule. Il s’agit de la première émission à condenser autant l’information afin d’en faire un vrai petit film, quelque chose de plus sexy et digeste à regarder. Une vraie révolution que l’on mesure rien qu’en observant ce titre, intriguant, qui suppose déjà une temporalité, un rythme différent des autres émissions. On commence désormais à raconter des histoires, à les mettre en scène et à tenir en haleine le spectateur. -Des titres d’émission introduisant la notion de face cachée Droit de savoir est également une émission précurseur. Par la suite, son modèle va être largement repris dans d’autres programmes qui apparaîtront dans les années 2000. Son nom en dit long sur son ambition : il reprend le credo du journaliste justicier, qui est là pour éveiller le citoyen sur une réalité jusqu’ici occultée. Un titre ambitieux donc, et particulièrement accrocheur par rapport à ce qui se faisait jusqu’ici sur les chaînes gratuites. Les autres titres étaient plus plats. Rien que dans son appellation, Droit de savoir induit déjà un côté dramatique : « il y a des choses que vous, citoyens, vous ignorez, notre rôle est de le mettre à jour ». Pourtant, à partir des années 2000, l’émission devient plus banale et tombe dans la spectacularisation. Elle ne sert plus à informer comme son nom le sous-entendrait, mais elle se consomme… 64 Zone Interdite peut également être placée dans la même case que Droit de savoir. Là aussi, on suppose que le journaliste va pénétrer des milieux fermés, et aller dénicher des petits secrets bien gardés. Il est clair que le titre surpasse quelque peu le contenu de l’émission : lorsque les journalistes vont filmer les vacances des français au camping, il ne s’agit pas d’investigation mais de reportage. Cela témoigne cependant qu’en presse télé, les diffuseurs ont voulu, au même titre que la presse écrite, avoir leur case hebdomadaire d’investigation, sans pour autant s’en donner les moyens véritables. Capital occupe une case à part, étant la seule émission à être consacrée à un seul type de thématique : l’économie. L’étude de son titre n’apporte donc rien à la réflexion, puisqu’il ne s’inscrit pas dans la même logique que les autres. -Des titres d’émissions jouant sur la sobriété, avant d’être copiés Puis arrive ensuite 90 minutes, le nouveau né de Canal +. Dans ce cas, le titre n’est pas très original, et reprend juste le format de l’émission, mais il s’agit ici d’un des meilleurs programmes d’investigation que le PAF ait connu. Il est ici intéressant de faire un parallèle avec 90’ enquêtes, une émission qui est née 8 ans après sur la TNT. Cette dernière se nourrit de la notoriété de 90 minutes, en y accolant juste le mot enquête. Cela laisse à penser que l’émission réalise un vrai travail d’investigation, mais 90’ enquêtes est très loin de l’exigence éditoriale du programme de Canal +. Quant à Lundi investigation, rien de spécial à analyser. L’émission indique clairement son ambition de faire de l’investigation, et s’en donne généralement les moyens malgré les quelques critiques qui ont été énoncées dans la présentation de l’émission dans la partie I). -Des titres d’émissions introduisant un vocabulaire policier Pièces à conviction et Compléments d'enquête, deux excellentes émissions d’investigation, ont des noms évocateurs. Elles semblent sorties du champ sémantique policier, et semblent 65 proposer une contre-enquête ou une enquête plus approfondie sur des sujets qui ont déjà été traités, soit dans les médias, soit par la justice. Elles semblent mener un travail d’investigation au même titre que le juge d’instruction mène son enquête. On est clairement dans la logique de la recherche poussée, du croisement des informations et de l’élaboration de causes : il s’agit donc clairement d’investigation, et ces émissions sont parmi les seules à pouvoir prétendre assumer le nom qu’elles portent. -Des titres d’émissions indifférenciés Vient ensuite le flot indifférencié des émissions ne faisant pas vraiment preuve d’originalité quant à leur appellation : Enquête Exclusive, Enquête d'action, 90' enquêtes, Enquêtes et révélations…. Cette constellation d’émissions pourrait être complétée par bien d’autres petits programmes qui ont fleuri sur le PAF.Ces émissions surfent sur le succès des émissions d’information et prétendent toutes faire de l’enquête, alors que cela n’est pas vraiment le cas. La juxtaposition de ces titres montre déjà l’uniformisation de ces émissions, et leur surenchère. Chacune promet son lot de révélations, de secrets, d’inédits, d’informations exclusives… ce qui est le propre de l’investigation. Pourtant, bien souvent, on voit presque les même sujets tourner d’une chaîne à l’autre. Il devient difficile pour le téléspectateur de se repérer dans cette myriade d’émissions. -Synthèse On voit donc clairement avec l’étude de ces titres que toutes les émissions prétendent faire de l’enquête, alors que leur contenu est extrêmement inégal. Bien souvent, ces émissions empruntent un vocabulaire policier ou judiciaire, montrant ainsi leur volonté de créer du sensationnel et du spectaculaire. Certaines se servent également sur la légitimité historique d’autres émissions, en reprenant de façon flagrante leur appellation. Aussi, on voit bien qu’avec leur multiplication, ces émissions peinent à se démarquer les unes des autres, rien qu’en étudiant leur titre. 66 2) Des sujets récurrents, répondant au principe de la « circulation circulaire de l’information », et conduisant à la dénaturation du réel Après avoir étudié les titres de ces émissions, nous allons étudier les thématiques traitées afin de mettre en lumière une uniformisation des contenus. Pour ce faire, une première souspartie sera consacrée à l’étude sociologique du phénomène que l’on nomme « la circulation circulaire de l’information », puis une seconde sous-partie soulignera le fait que les médias insistent toujours sur ce qui va mal et non sur ce qui va bien, au risque parfois de déformer la réalité et de tomber dans la dramatisation pure et dure. Enfin, une troisième sous-partie sera consacrée à une illustration de ces théories par un tableau statistique. A) La circulation circulaire de l’information -Le mécanisme des reprises La théorie de la « circulation circulaire de l’information » a été établie par Pierre Bourdieu63. Elle est fondamentale dans l’étude sociologique des médias contemporains. Cette théorie met à jour le mécanisme de reprise des médias : pour qu’une information existe, il faut qu’elle soit reprise dans d’autres médias. Sans cela, aussi passionnante soitelle, elle n’existe pas. Aussi, pour être reconnue, cette dernière doit être validée par un média dominant, à l’image de l’Agence France Presse ou du journal Le Monde dans l’hexagone. Par effet inverse, si une information sort de l’AFP ou du Monde, les autres médias se doivent de la reprendre. Cette news est alors validée telle quelle, sans être vérifiée par les autres médias. La concurrence entre les médias mène ainsi paradoxalement à l’uniformisation de l’information. Ce mécanisme conduit alors inévitablement à ce que l’on appelle « la circulation circulaire 63 Pierre Bourdieu, Sur la télévision, Raisons d’agir, p.22 67 de l’information » : les même sujets tournent inlassablement sur les chaînes d’informations, les papiers titrent sur les même thématiques, laissant de côté des sujets pourtant dignes d’intérêt. A titre d’exemple, on se souvient de l’emballement médiatique à la suite du Tsunami en Asie ou dernièrement du séisme en Haïti, quand bien même on ne parlait pas des milliers d’individus qui se faisaient massacrer dans une guerre civile interminable au Congo. Et si certains sujets comme la grippe A ont fait la une des journaux pendant plusieurs semaines, quelques mois plus tard, on observe un silence radio de la part des médias sur un sujet qui avait été érigé en véritable catastrophe planétaire ! Un point que Vincent Nouzille a souligné durant l’entretien : « De mon point de vue, il y a toujours énormément de sujets d'enquêtes qui ne sont toujours pas traités à cause du mimétisme des télés comme de la presse écrite. Les sujets du parisien sont repris à la télé, et vont donner lieu à des enquêtes, qui vont repartir au Parisien, puis à RTL... Voilà, donc il y a une espèce de cercle comme ça.. Cela ne veut pas dire que tout ce qui en sort soit mauvais, mais il y a 10 000 autres manières de trouver des infos et d'avoir des idées de sujets qui peuvent être très grand public, très concernant, mais qui n'ait pas été vu 10 000 fois. Donc l'enquête ça reste toujours à réinventer, des sujets d'enquêtes y'en a toujours des tonnes, il suffit de ne pas être là où des milliers de projecteurs éclairent déjà64 ». -Le mécanisme des reprises, valable de la presse TV à la presse écrite ? On peut profiter ici de cet aparté sur le mécanisme des reprises pour étudier la question de la légitimité de la presse télévision dans le champ du journalisme d’investigation. On a vu que les médias se reprenaient les uns les autres, notamment quand cela provenait de médias dominants. Or, si la télévision est un média qui possède un impact énorme sur la population, jouit-elle de la même crédibilité que la presse écrite ? Cela semble peu certain. Certains journalistes de presse écrite reprochent même à la télévision de piller les enquêtes qu’ils ont réalisées pour le papier. Ainsi, Pierre Abramovici, journaliste indépendant, a déclaré dans une interview : « Une investigation peut prendre énormément de temps. La 64 Entretien avec Vincent Nouzille réalisé le 20/03/2010 68 tentation est donc forte à la télévision d'aller voir ce qui a été fait dans la presse écrite et de le reprendre tel quel, sans consulter le journaliste à l'origine de l'enquête. Il n'est alors pas difficile de décrocher le téléphone et d'appeler les témoins qui ont été cités dans l'article. C'est une tendance lourde. » Fabrice Tassel, journaliste à Libération, confirme : « Le pillage par la télévision est systématique. Beaucoup de sujets sont repris en rajoutant un ou deux témoignages, puis en s'accaparant l'exclusivité. » Un avis que Paul Moreira, également interrogé dans cet article, ne partage bien évidemment pas : « Tout le monde reprend tout le monde. La seule fois, me semble-t-il, où cette critique pouvait être un peu justifiée, c'est quand nous avons fait un portrait d'Alfred Sirven qui n'apportait pas grand-chose de neuf par rapport à ce qui était paru dans la presse. Et cela nous a servi de leçon65 ». A l’inverse, certains journalistes de presse télé regrettent que leurs enquêtes ne soient jamais reprises dans les médias de presse écrite. C’est en tout cas ce que déclare dans une interview Emilie Raffoul, la présentatrice de Lundi Investigation. Cette dernière regrette un "certain dédain" de la part de la presse écrite à l'égard des journalistes télé. D'où un sentiment de "frustration" quand des enquêtes solides ne trouve pas d'écho dans les journaux. "Nous allons sur le terrain, pour vérifier, établir, revérifier, on fait un vrai travail contraignant, très besogneux d'investigation. Nous n'avons pas de stylo mais une caméra, et notre métier c'est journaliste66", s’est-elle exclamée. B) Un goût pour les mauvaises nouvelles, conduisant à la dramatisation du réel et à l’abandon de sujets d’investigation potentiels On le sait, les journaux aiment les mauvaises nouvelles : crash aérien, volcan enragé, pandémie mondiale, élites corrompues… Voilà le fond de commerce privilégié des médias. 65 66 Strategies.fr, Contre-enquête sur Lundi investigation, mis en ligne le 16/12/2004, consulté le 15/06/2010 Telesatellite.com, Lundi investigation" fête sa 100ème, mis en ligne le 10/2006, consulté le 02/04/2010 69 Chaque fois, les superlatifs ne manquent pas pour nous annoncer qu’il s’agit de la plus grosse catastrophe que l’on ait enregistré depuis X années. En quelques jours, comme on a pu le voir pour la grippe A, les médias sont capables de créer une véritable psychose collective, pour finalement retourner leur veste quelques jours plus tard. Si ce phénomène est particulièrement visible dans les journaux télévisés, il est également très prégnant dans les émissions d’enquête. Si parfois des sujets type : la crise leur a profité ou mamans extraordinaires sont possibles, en règle général, les émissions pointent toujours sur ce qui ne va pas, sur la face sombre des choses : les risques de la chirurgie esthétique, la nocivité de ce que l’on mange au quotidien, la face cachée de tel ou tel pays en montrant que la drogue et la prostitution ont ravagé la vie des habitants, les dérives de la sexualité des mineurs, le cannabis ou l’alcool chez les jeunes, les chauffards… Les émissions cherchent toujours à faire du spectaculaire, quand bien même le niveau d’exigence éditoriale n’est pas à la hauteur des révélations qu’elles prétendent apporter. -La volonté de dévoiler la face cachée, au détriment de la réalité Dans mon entretien avec Bernard de la Villardière, ce dernier a reconnu ouvertement que pendant la phase d’enquête ou de tournage, les équipes d’Enquête Exclusive cherchaient systématiquement les points noirs du tableau, au risque de déformer le réel : « Il y a ce qu'on appelle des ficelles dans ce métier qui permettent justement de raconter, de faire partager la complexité d'une situation en tenant le spectateur en haleine. Vous parliez tout à l'heure de la « spectacularisation de l'information », c'est vrai que c'est une écriture qui peut entraîner certaines dérives, où l'on privilégie le gadget et la petite histoire par rapport au fond, voire on évenementialise ou on met en exergue l'exceptionnel, quitte à abandonner justement l'explication ou la mise en perspective de la réalité elle même. Et c'est vrai qu'Enquête Exclusive, quand je vais à St Domingue ou quand je vais à Cuba, je ne vais pas m'intéresser à ce qui va bien, je vais plutôt m'intéresser à ce qui va mal. J'ai souvent cette expression: « on va vous raconter ce qui se passe en coulisse, ou l'envers du décors ». Quand on va à Tahiti on va dire: « vous voyez, les plages sont paradisiaques, mais on va vous montrer ce qui se passe derrière, c'est pas joli joli ». I l faut toujours être très vigilant 70 pour ne pas tomber dans l'excès, qui privilégie essentiellement la catastrophe, la tragédie, l'émotion, l'exceptionnel en contrevenant à la vérité et à la réalité67 ». -L’appel aux instincts primaires des téléspectateurs, au détriment de l’étude de sujets d’investigation réels Renaut Fessaguet va même plus loin dans ses déclarations, en soulignant que les médias jouent sur les instincts primaires des téléspectateurs afin de faire grimper l’audience, laissant ainsi de côté bon nombre de sujets d’investigation qui mériteraient pourtant qu’on leur prête attention : « Il faut que ce soit choc, à défaut d’être chic ! C’est toujours par le petit bout de la lorgnette, et toujours sous le côté le plus dégueulasse. On ne va jamais très loin dans l’investigation. Moi je vois par exemple chez Comiti, on fait très souvent les mêmes sujets. A un moment on les appelait les trois P : Police, Pompier, Pute. Moi je suis frappé de voir qu’on fait toujours la même chose et que l’on ne va pas vers les vrais problèmes. On ne fait jamais rien sur la corruption politique. Car finalement l’esprit français c’est qu’on les considère tous comme un peu pourris, voilà c’est comme ça. Du coup, le champ d’investigation se déplace plus vers ce qui est moral, social, la prostitution, la drogue, les banlieues. Mais qu’est-ce que c’est que l’investigation ? Est-ce filmer avec ou sans la police des saisies de drogue ? Oui ça apprend des choses, mais le journaliste s’est tellement épuisé avec la quête d’images fortes qu’il n’a plus le temps de faire la vraie enquête sur les réseaux, la distribution, et ça c’est un autre problème. Aujourd'hui, on veut du boom boom, on veut du spectaculaire, on veut du choc. Mais moi si je ramène un truc sur Charles Pasqua, ça ne passera pas, à part en presse écrite. J'ai rien contre ce type, mais c'est pour vous dire. Maintenant si je suis la brigade anti-prostitution avec la loi contre le racolage de Sarkozy, alors là ça va faire de l'audience car c'est voyeur. Mais qui n'est pas voyeur? Qui n'a jamais regardé la fenêtre de son voisin pour voir ce qui s'y passe? Moi le premier, même sans y être scotché. Donc ce que reprochent certains journalistes plus exigeants, c'est que pour faire de l'audience on fait appel aux bas fonds, aux instincts primaires68 ». 67 68 Entretien avec Bernard de la Villardière réalisé le 10/07/2009 Entretien avec Renaut Fessaguet réalisé le 28/04/2010 71 On peut très aisément illustrer ces propos en étudiant la liste de sujets qui ont été proposés ces derniers temps par les émissions d’enquête. A titre d’exemple, lorsque Enquête Exclusive a consacré une émission à l’Himalaya, le documentaire a été axé sur deux points : prostitution et drogue, idem pour le Bois de Boulogne et bien d’autres sujets… C’est ce que nous allons voir plus précisément dans la partie suivante. C) Illustration graphique Après avoir mis en relief les phénomènes de récurrence des sujets et de choix éditoriaux basés sur la recherche du spectaculaire, nous allons illustrer de façon pragmatique ces propos.69 69 Graphiques réalisés à partir des archives de l’INA. Voir liste des sujets en annexe. Les thématiques des légendes ont été choisies en fonction de leur récurrence générale dans toutes les émissions. 72 -Programmes chaînes hertziennes (TF1 et M6) Enquêtes et révélations Jeunesse Précarité Sécurité Autres Délits Prostitution Maternité Prison Pouvoir d'achat Arnaques Arnaques Délinquance routière Malbouffe Pouvoir d'achat Prison Maternité Prostitution Délits Sécurité Jeunesse Précarité Autres Malbouffe Délinquance routière Nous observons ici que l’émission est très portée sur les sujets type « arnaques », « délinquance routière », « malbouffe » et « pouvoir d’achat », des thématiques de société concernant directement les français. 73 Enquête exclusive Sécurité Délits Jeunesse Précarité Drogue Prostitution Santé Prison Délinquance routière Arnaques Délinquance routière Prison Prostitution Délits Sécurité Jeunesse Précarité Drogue Santé Autres Arnaques Autres Enquête Exclusive est une émission très clairement portée sur les questions de « sécurité » et les « délits » en tous genres. Elle évoque également assez régulièrement les questions de « prostitution », les « arnaques », la « délinquance routière » et la « jeunesse dépravée ». En général, les sujets mélangent ces diverses thématiques. A noter qu’il s’agit de l’émission proposant le plus de sujets à l’étranger proportionnellement au nombre de sujets, mais toujours présentés sous l’angle du spectaculaire. 74 -Programmes service public France 2 Envoyé spécial Santé Mal être au travail Crise Précarité Jeunesse Sécurité Délits Prostitution Maternité Autres Arnaques Malbouffe Prison Maternité Prostitution Délits Sécurité Jeunesse Précarité Crise Mal être au travail Santé Autres Prison Malbouffe Arnaques Envoyé spécial se distingue de ces deux émissions puisque le programme, même s’il évoque de temps à autre les mêmes problématiques, fait la part belle à des problématiques qui ne rentrent pas dans les 12 catégories identifiées comme étant les plus récurrentes. Envoyé spécial continue également à se rendre à l’étranger. L’uniformisation des contenus n’est donc pas aussi prégnante. 75 Complément d'enquête Mal être au travail Crise Drogue Santé Précarité Jeunesse Sécurité Autres Délits Malbouffe Arnaques Délinquance routière Malbouffe Délits Sécurité Jeunesse Précarité Drogue Crise Mal être au travail Santé Autres Délinquance routière Arnaques Complément d’enquête s’attaque à des sujets de société assez franco-français, en particulier les « délits » et les « arnaques ». Le graphique est assez équilibré entre les différentes thématiques, ce qui s’explique aussi par le fait que l’on dénombre un nombre bien plus minime d’émissions que pour les autres. Il est donc plus difficile de faire ressortir une tendance. On observe tout de même que presque la moitié des sujets ne rentrent pas dans les catégories citées. 76 -Programmes issus de la TNT Enquête d'action Sécurité Délits Prostitution Jeunesse Maternité Précarité Prison Malbouffe Délinquance routière Arnaques Autres Arnaques Délinquance routière Malbouffe Prison Maternité Prostitution Délits Sécurité Jeunesse Précarité Autres Pour Enquête d’action, on observe que les thématiques de « sécurité » et d’ « arnaques » sont très présentes. Les sujets sur la police et les secours sont en effet très présents. Viennent ensuite celles des « délits », de la « maternité », « délinquance routière », « malbouffe » et « précarité ». Cela ressemble donc à ce que l’on trouve sur M6 et TF1. Et l’on voit bien que la part « autres » est bien plus faible que dans le service public ! 77 90' enquêtes Sécurité Maternité Jeunesse Délits Prison Précarité Drogue Pouvoir d'achat Santé Malbouffe Délinquance routière Arnaques Autres Arnaques Délinquance routière Malbouffe Pouvoir d'achat Prison Maternité Délits Sécurité Jeunesse Précarité Drogue Santé Autres Pour 90’ enquêtes, on peut relever une fois encore que les thématiques de « sécurité » et d’ « arnaques » sont très présentes, puis viennent la « délinquance routière » et les « délits ». Les sujets ressemblent énormément à ceux proposés sur W9, la ressemblance est ainsi parfois troublante car il ne s’agit pourtant pas de la même filiale. On voit bien que les émissions sont en concurrence directe, et qu’elles acquièrent leur audimat sur les sujets à sensation. 78 -Synthèse Cette étude graphique nous montre donc que l’uniformisation du contenu est extrêmement prégnante sur les chaînes privées et les chaînes de la TNT, mais qu’elle n’est pas évidente sur le service public. Certes, l’on retrouve des sujets semblant similaires, mais ces émissions veillent tout de même plus à varier les thématiques et beaucoup n’entrent pas dans les catégories prédéfinies. En fait, l’uniformisation dans le service public est plus à chercher du côté du traitement de l’information. 3) Le formatage croissant du traitement de l’information : scénarisation et spectacularisation Après avoir mis à jour l’uniformisation des contenus sur les chaînes privées et de la TNT, nous allons montrer que la façon de traiter ces contenus souffre elle aussi d’un réel formatage. Selon Renaut Fessaguet, cette uniformisation serait même encore plus prégnante sur la forme que sur le fond (ce qui se vérifie pour le service public): « A mon avis, c’est moins dans le contenu - même si vous aviez raison de dire qu’il faut que ce soit toujours les coulisses, les arnaques, les secrets - que dans la façon de monter d’abord, la façon de s’exprimer, et les commentaires… C’est toujours pareil 70». Nous allons donc voir que ces émissions sont formatées à divers niveaux. On peut faire remonter l’origine de ce formatage au modèle M6 lancé par l’émission Capital, qui induit que les journalistes « prennent le téléspectateur par la main ». Nous expliquerons donc en quoi consiste ce modèle, et pourquoi est-ce qu’il est apparu. Nous étudierons ensuite la « boîte à outils » de M6, extrêmement déterminante dans le montage, et qui s’est diffusée dans toutes les télévisions. Puis, nous aborderons la question de la scénarisation du réel et de la cinématoisation des reportages avec l’emploi d’effets (musique, ralenti…). C’est alors que nous verrons en quoi les commentaires à l’image, omniprésents, sont totalement formatés depuis quelques années. Aussi, nous envisagerons le fait que les journalistes se 70 Entretien avec Renaut Fessaguet réalisé le 28/04/2010 79 mettent en scène au cœur même des reportages qu’ils effectuent. Enfin, nous aborderons la question de l’incarnation des reportages par des personnages, dans le but d’ancrer l’enquête dans une réalité familière. A) Prendre le téléspectateur par la main Avant toute chose, il convient d’évoquer ce modèle qui est à la base de tous les points que nous allons développer par la suite dans cette partie. « Prendre le téléspectateur par la main » est une expression qui provient du jargon de M6. Son origine remonte à la création de l’émission Capital, en 1990. Pilotée par Emmanuel Chain, un journaliste venu de la pub, l’émission possède un style fortement influencé par le marketing. Il s’agit de démocratiser les sujets économiques en les présentant sous la forme de sagas et de success stories incarnées par des personnages qui tirent l’histoire. L’émission touche ainsi le plus grand nombre, car on a ôté aux sujets toute forme de complexité. « Notre ambition était d’instaurer une proximité avec le public, et d’employer un style moins institutionnel71 », souligne François Ducroux, ancien membre de l’équipe de Capital aujourd’hui devenu rédacteur en chef de 66 minutes. Bernard de la Villardière a également évoqué cette écriture M6 : « L’écriture M6, c’est des commentaires extrêmement précis, fournis. On laisse assez peu parler l'image toute seule. On « prend les gens par la main », comme on dit. Avec un récit construit du début à la fin. Souvent, on raconte une histoire à travers des personnages, on est très proches des personnages. Les gens s'attachent à des destins, des individus qui sont au milieu d'une histoire, qui vivent ou partagent une histoire, une problématique, une souffrance, un combat. Donc voilà, c'est ça qui fait la spécificité de l'écriture M6. Une écriture très commentée, très présente, un commentaire image très présent, collé à l'image, qui peut même être redondant avec l'image. 72». 71 72 Télérama.fr, La pêche au ton, le 29/12/2010, consulté le 15/03/2010 Entretien avec Bernard de la Villardière réalisé le 10/07/2009 80 Il s’agit donc clairement d’une écriture opposée à celle des documentaires sur Arte, beaucoup plus réalisés à l’image. Dans ces derniers, les commentaires sont bien moins présents et l’on s’attache moins à des personnages qu’au discours et à la situation. Les images d’archive sont également plus présentes, et l’on va davantage contextualiser, et non pas rester rivés à un parcours. On va prendre plus de champ, et l’on va raconter davantage la problématique en elle-même. -L’influence des années marketing Capital est une émission extrêmement novatrice, qui va avoir une influence considérable sur l’avenir de la télévision. Pour la première fois, les reportages vont être considérés comme des produits à part entière, devant répondre à un certain nombre de critères afin de plaire au plus grand nombre. Il s’agit donc clairement d’optimiser l’audimat, en réalisant des reportages susceptibles d’attirer la masse des spectateurs. Ainsi, les recettes publicitaires gonflent, puisque les téléspectateurs sont au rendez-vous. Bernard de la Villardière évoque d’ailleurs l’efficacité de cette écriture : « Cette écriture M6 est efficace car si vous abordez le même thème dans un style documentaire pour Arte, vous avez 800.000 ou 500.000 téléspectateurs pour Arte, et pour Enquête Exclusive, Capital, vous avez 10 voire 20 fois plus de téléspectateurs73 ». On peut supposer qu’elle est efficiente puisqu’en effet, le modèle a été repris dans presque toutes les chaînes de télévision, y compris dans le service public. Aussi, Bernard de la Villardière considère cette écriture comme étant un intérêt nouveau porté au téléspectateur. La recherche de la démocratisation de certains sujets jusque lors inaccessibles. L’intention semble donc bonne, mais poussée à l’extrême, la simplification automatique des sujets finit par ne plus être pédagogique, et coïncide uniquement avec la recherche d’un plus fort audimat. « En fait, pendant très longtemps, le journalisme ça a été un exercice très épuré, où l'on ne s'intéressait pas forcément à son lecteur et à son 73 Entretien avec Bernard de la Villardière réalisé le 10/07/2009 81 téléspectateur, et on s'adressait à la communauté des journalistes, on se faisait plaisir. Alors ça avait une certaine exigence intellectuelle et éditoriale évidemment, et en même temps, on ne s'intéressait pas assez à ses récepteurs, aux gens qui recevaient votre information. Et puis il y a eu les années marketing qui sont arrivées là dedans et qui ont dit: « attendez, un journal c'est aussi un produit, quelque chose qui doit être façonné pour s'adresser à ses lecteurs. » Donc comment intéresser les lecteurs? Donc les valeurs du marketing ont gagné celles de l'information pour se mettre au service de l'information. Mais aujourd'hui, ce qui risque de se passer, c'est qu'on privilégie le marketing par rapport à l'information en elle même et à la réalité des choses, d'où le danger en effet de déformer. 74» Et il semblerait en effet que le marketing ait pris le pas sur les valeurs de l’information : on cherche aujourd’hui à réaliser des reportages qui marchent, plus qu’ils n’informent. -Un nivellement vers le bas : des répétitions menant à l’abrutissement « Prendre le téléspectateur par la main » signifie clairement mâcher l’information. Avec cette écriture, chaque image est explicitée, on ne laisse jamais place à la déduction. C'est-àdire que l’on ne présuppose pas que le téléspectateur ait a priori une base d’information lui permettant de comprendre la situation. Au contraire, on martèle plusieurs fois la même information, afin d’être le plus clair possible. Les phrases sont courtes, et les mots employés simples. Renaut Fessaguet constate une très forte évolution du mode de narration des documentaires depuis quelques années, et déplore « un abrutissement du téléspectateur » : « Regardez, là on fait un gros truc sur le génocide du Rwanda, et le rôle de la France dans le génocide du Rwanda, avril août 1994. Et je suis allé voir hier, l’émission de Jean Marie Cavada qu’il avait consacré à l’époque sur ce thème. C’était donc deux reportages à chaud puisqu’ils dataient de septembre, excellents. Le génocide venait de se terminer, l’opération turquoise était engagée, elle allait se terminer. La façon dont est fait ce reportage, aujourd’hui, on ne 74 Entretien avec Bernard de la Villardière réalisé le 10/07/2009 82 peut plus le voir, c’est impossible. C'est-à-dire qu’on prend là le spectateur pour quelqu’un d’intelligent. On fait appel pas à des concepts, mais à des phrases, des mots, c’est écrit. Aujourd’hui, ce n’est plus écrit. Mais encore une fois, je ne jette pas la pierre à M6, ils font aussi des choses intéressantes. Mais le genre M6 c’est : Robert rentre chez lui, interview Robert dit « et bien oui je rentre chez moi », Robert est rentré chez lui. Une redondance permanente qui mène à l’abrutissement75 ». B) La boîte à outils M6 Après avoir mis en perspective en quoi consiste cette écriture M6 que l’on retrouve aujourd’hui sur presque toutes les chaînes de télévision, et qui induit un certain nombre de dérives, nous allons étudier de plus près ce que l’on appelle « la boîte à outils de M6 ». Afin de rationaliser cette écriture, les équipes de M6 ont mis sur pied une « boîte à outils ». Cette dernière permet de produire des documents conformes aux attentes prédéfinies. Chaque sujet sera retravaillé afin de se plier à ce modèle, à cette recette qui a aujourd’hui envahi tous les documents d’enquête sur le PAF. Si l’on dissèque les enquêtes, on trouve presque à coup sûr cette formule. -En quoi consiste cette boîte à outils M6 ? La boîte à outils induit un formatage du montage des sujets. Le document est donc maintes fois travaillé jusqu’à ce qu’il réponde aux exigences prédéfinies. Il s’agit ici d’une écriture par la séquence : « Le sujet est comparable à un édifice dont chaque séquence est une pierre. Il faut qu’à chaque moment on sache d’où l’on vient, et où on va. Nous avons donc imaginé une sorte de boîte à outils76 », explique François Ducroux. Et cette boîte à outils est constituée de cinq éléments principaux que l’on va retrouver tout au long du sujet. 75 76 Entretien avec Renaut Fessaguet réalisé le 28/04/2010 Télérama.fr, La pêche au ton, le 29/12/2010, consulté le 15/03/2010 83 -L’accroche : on commence chaque chapitre par une annonce de ce qui va arriver derrière : on montre les images les plus choquantes ou révélatrices du reportage, généralement sous la forme de flashs qui se succèdent. Selon Renaut Fessaguet, ces « teasers » sont maintenant omniprésents dans tout le document : « Au montage, ils rajoutent un espèce de teaser au début. Ce sont des 52 minutes, donc au bout de 3,4 minutes, une fois que l’on a posé l’enjeu, on va avoir ce teaser, alors que ya 10 ans 15 ans, ça n’existait pas 77». Ces teasers permettent ainsi de tenir en haleine le spectateur, et de lui donner envie de regarder la suite. On est donc clairement dans une logique de scénarisation de l’information. On a presque l’impression que l’on assiste à une série télévisée. -La « context » : après l’accroche, il convient de présenter le personnage, le lieu ou l’histoire que nous allons étudier. Par exemple, dans un sujet consacré aux erreurs médicales dans Compléments d’Enquête, on va commencer le sujet avec un retour sur le lieu de l’accident d’un jeune garçon de 14 ans en vélo, en expliquant les circonstances de sa mort. - Les enjeux : après la « context », on explique ce que l’on est venu chercher en allant dans tel endroit ou en suivant tel personnage. On pose en quelque sorte la problématique générale du sujet. Très souvent, les enjeux sont formulés sous la forme d’une série de questions. Dans le sujet de Compléments d’Enquête consacré aux erreurs médicales, les questions vont être les suivantes : « Que s’est-il vraiment passé pendant ces deux jours à l’hôpital de Strasbourg ?, Pourquoi Maxime est-il mort ici après un traumatisme que l’on sait normalement parfaitement soigner ? ». Ces questions permettent ainsi de clarifier au maximum les intentions du journaliste, mais contribuent également à gonfler les enjeux du sujet. -La technique de l’escalier : alors que le sujet a démarré, il convient de remettre un peu de piment à l’affaire… Par le biais de petites phrases qui font mouche, on dit en quelque sorte au téléspectateur : « vous allez voir, vous n’avez encore rien vu ». Toujours dans le même sujet consacré aux erreurs médicales, on retrouve à la moitié du sujet cette relance : 77 Entretien avec Renaut Fessaguet réalisé le 28/04/2010 84 « Comme lui, ils sont de plus en plus nombreux à mettre la médecine au banc des accusés. Dix milles procédures sont engagées chaque année : infection nosocomiale et opérations ratées défraient la chronique. Mais entre erreurs médicales, fautes et aléas thérapeutiques, comment juger de la responsabilité d’un médecin et comment indemniser la victime ? ». Une technique qui contribue ainsi à galvaniser le sujet. On laisse ainsi le téléspectateur entrevoir un évènement encore plus choc que ce à quoi il a pu déjà assister. Cela attise bien évidemment la curiosité et l’excitation de la personne qui visionne le sujet. -La relance, que l’on nomme aussi le cloutage : à la fin de chaque séquence, pour être certain de bien avoir bouclé la boucle, on résume au téléspectateur la séquence passée. Le commentaire étant déjà en permanence redondant avec l’image, on est certain que l’information a été répétée plusieurs fois. Comme l’a souligné Renaut Fessaguet, cette répétition constante risquerait bien de mener le téléspectateur à l’abrutissement. -Une boîte à outils induisant un formatage inévitable des sujets Face au succès de Capital et de sa boîte à outils, les autres chaînes n’ont pu résister à l’engouement du public pour ce nouveau mode d’écriture. Il est clair que ce dernier était séduisant, et positif à bien des égards malgré tout ce que l’on peut dire sur ses dérives. Il a permis d’entraîner le plus grand nombre à regarder des émissions d’enquête, qui pouvaient sembler autrefois réservées à une certaine partie de la population. Les sujets sont devenus beaucoup plus sexys, beaucoup plus vivants, grâce à de nombreuses ficelles : séquences, musiques, commentaires omniprésents… Des petites formules magiques qui vont peu à peu se retrouver dans toutes les émissions : Envoyé Spécial, Enquêtes et révélations ou même Spécial Investigation, qui, malgré un contenu audacieux, souffre aussi d’une uniformisation au niveau de la forme. L’emploi de cette boîte à outils suppose un réel formatage puisque toutes les émissions vont être montées de la même façon. Cela est quasiment devenu une dictature. Aussi, les émissions sont presque toutes produites par des boîtes de production à l’image de Capa ou de Tony Comiti qui fournissent toutes les chaînes de télévision, les émissions ont souvent 85 perdu leur identité. Ces dernières doivent toutes se conformer au style de l’émission. C’est ce qu’exprime Bernard de la Villardière : « On fait travailler des boîtes de production très différentes, donc elles ont chacune un peu leur style, même si on passe derrière et qu'on réécrit beaucoup, qu'on lisse, qu'on "re cadence" pour donner plus de rythme, pour conformer cette écriture et ces documents qui nous sont livrés ou proposés au style de l'émission ». Un euphémisme pour dire que ces émissions sont carrément entièrement retravaillées pour se conformer au programme. C) La dictature du commentaire à l’image Nous allons maintenant aborder un point crucial concernant le formatage de la forme de ces émissions, et qui est peut-être le plus prégnant : le commentaire à l’image. Certains journalistes vont même plus loin, et dénoncent carrément une « dictature » : « C'est une forme de dictature, déplore un reporter dans un article de Télérama. Cette manière de raconter les choses, initiée par Capital, a contaminé toute la télévision. Ceux qui l'ont créée sont devenus les grands prêtres d'une nouvelle secte du langage78. » Ainsi, d’une part, on se rend compte que le contenu des phrases est formaté, mais aussi d’autre part, que le ton du commentaire est presque toujours le même. -Le formatage du contenu des phrases du commentaire D'Envoyé spécial à Enquête Exclusive en passant par Spécial investigation, on retrouve un peu partout les mêmes expressions, les mêmes transitions… des petites phrases dont on use et on abuse. Les équipes de Télérama79 se sont amusées à ce propos à répertorier les petits tics de langage de leurs confrères journalistes. Ils ont ainsi mis sur pied un petit précis de formatage 78 79 Télérama.fr, La pêche au ton, le 29/12/2010, consulté le 15/03/2010 Télérama, Petit précis de formatage journalistique, mis en ligne le 26/12/2009, consulté le 18/03/2010 86 journalistique à l’usage de l’apprenti journaliste. Ils identifient 7 points principaux, qui, s’ils peuvent sembler avant tout humoristique, reflètent une réalité. -Faire de chaque sujet une saga : lorsque l’on écoute les commentaires, on se rend compte que les superlatifs ne manquent pas : « Marcus et sa famille ont bâti tout un empire grâce à un objet qui peut paraître tout simple, mais qui fait un carton dans le monde entier : les carafes filtrantes », « Nous avons sillonné le bassin d’Arcachon. Les mollusques y sont en guerre. Ils livrent une bataille féroce contre des souris. Nous finirons par découvrir que l’huître est en train de vivre une révolution». -La personnalisation du sujet : comme nous le verrons dans une partie plus développée, chaque sujet est personnalisé au maximum, et on n’hésite donc pas à utiliser le nom de la personne que l’on suit tout au long du reportage : «Marie-France est ravie de son acquisition », « Comme beaucoup d’intégristes, Jérôme et sa femme sont antirépublicains » -L’emploi de questions à tour de bras : Afin de dynamiser le reportage, on n’hésite pas à poser des questions. Ces dernières permettent de tenir en haleine le téléspectateur : « Mais alors, quelle est l’activité de cette entreprise, qui pousse comme un champignon ? », « Pourquoi le Vatican cherche t-il à séduire ces catholiques qui font polémique ? », « Mais alors, qu’est-ce qui fait mourir les huîtres ? » -Inverser les phrases : on remarque également que les journalistes inversent très souvent la constitution des phrases : « Son image auprès de ses administrés, elle y travaille chaque jour », « Sa popularité en banlieue, elle la cultive jalousement », « Les interdictions de vente, cela fait 5 ans que ça dure ». -La pratique du cloutage : on reprend la fin de phrase de l’interviewé, et on la répète afin d’être certain que le message est passé… : « « Ici au Cameroun, c’est entre 50 et 60 000 francs ». 50 000 francs CFA, soit une centaine d’euros au Cameroun », « « Ahahah j’ai rien dit ». Elle ne dit rien, mais elle n’en pense pas moins », « « En tout cas ya un rêve de 87 gamin ». Un rêve de gamin, avec Guillaume Canet, l’expression veut dire quelque chose ». -Les tics de langage : on retrouve de nombreux tics de langage dans les commentaires: « Ce matin là », « Pour le comprendre », « Ce jour là », « Direction… » -L’emploi d’expressions toutes faites : on n’hésite pas non plus à utiliser des expressions « bateau » : «Mais pour l’heure les ostréiculteurs ont d’autres chats à fouetter », « Comme un poisson dans l’eau, elle rit », « Quand Joe met le nez dans sa facture, il est plutôt fier de son coup ». Comme nous l’avons vu précédemment avec l’interview de Bernard de la Villardière, M6 conforme le produit rendu par les boites de production afin qu’il colle au maximum avec le style M6.Cela passe donc aussi par une réécriture du commentaire : « Le commentaire est rédigé au fur et à mesure du montage. Après, il est soumis à la validation du diffuseur. Et là, il faut tout réécrire ! » déplore un journaliste. Mais M6 assume cet interventionnisme : « Notre rôle n'est pas d'uniformiser, mais de réorienter l'écriture pour qu'elle colle à la ligne de l'émission »80, explique Jean-Bernard Schmidt, Rédacteur en Chef de Capital. Il n’en demeure pas moins que l’on ne peut nier que cette écriture est au final totalement uniformisée, et même au-delà de M6. -Le formatage du ton employé Le ton employé par les journalistes lorsqu’ils « déclament » leur commentaire est également extrêmement formaté. D’une chaîne à l’autre, on a l’impression de retrouver les même voix. Une voix que l’on pourrait presque qualifier de voix de « bateleur ». Cette façon de parler renvoie au soucis des chaînes de télé de « prendre par la main » et ainsi de simplifier au maximum l’information : « Il faut scander le texte, rabâcher les infos, forcer la voix, utiliser trois cents mots de vocabulaire maxi !, déplore un journaliste. On n'est plus dans l'info, mais, dans le slogan publicitaire. Même à Arte, ce ton commence à apparaître dans certains sujets. » « Poser des questions de manière appuyée est devenu une norme. Aujourd'hui, un 80 Télérama.fr, La pêche au ton, le 29/12/2010, consulté le 15/03/2010 88 commentaire doit être très démonstratif 81 », admet Denis Boutelier, ancien membre de l’équipe de Capital, aujourd'hui directeur de la rédaction de l'agence TAC Presse. Et pour coller au maximum avec ces exigences, certains diffuseurs n’hésitent pas à changer la voix du journaliste qui a réalisé le reportage. Ainsi, une journaliste témoigne que l’on a non seulement changé sa voix, mais qu’on a également modifié son texte : « Déjà, le fait de lancer un reportage à mon nom, pour qu'après on entende une voix d'homme, c'était bizarre. Mais j'aurais aimé qu'on me prévienne qu'une info allait être rajoutée. » Un autre reporter va même plus loin en dénonçant une logique industrielle : « On nous demande de fabriquer des produits. C'est comme dans l'industrie. Quand une bagnole sort de l'usine, l'âme de l'ouvrier n'existe plus. L'important, c'est que le client soit satisfait82. » Une réalité que j’ai pu observer l’an dernier lorsque j’ai effectué mon stage chez Ligne de Front. Le responsable du site internet Lesinfos.com enregistrait également toutes les voix de 100% mag. Il avait l’intonation typique de M6. Il posait donc sa voix sur des sujets dont il ne connaissait absolument rien. Il s’agit donc d’un métier totalement à part. C’est pourquoi on retrouve sans cesse les même voix, parmi lesquelles celle de Denis Boutelier, la voix légendaire de Capital, que l’on a retrouvé par la suite dans d’autres émissions. Chez Capa, on fait souvent appel à Pascal Manoukian, l'un des rédacteurs en chef de la boite, qui fait les voix de l’émission Des racines et des ailes : « Lorsqu'il s'agit de commenter un cent dix minutes en prime time, les diffuseurs ne veulent pas prendre de risques. Ma voix est prisée, car on estime que je suis capable de tenir un récit sur la longueur !83 » D) Une dramatisation et une « cinématoisation » de l’information Outre l’utilisation de cette boîte à outils sur toutes les chaînes, induisant logiquement un 81 Télérama.fr, La pêche au ton, le 29/12/2010, consulté le 15/03/2010 Télérama.fr, La pêche au ton, le 29/12/2010, consulté le 15/03/2010 83 Télérama.fr, La pêche au ton, le 29/12/2010, consulté le 15/03/2010 82 89 formatage de ces émissions, on peut souligner l’utilisation d’une série d’effets permettant de galvaniser le sujet. Ces effets permettent de dramatiser les propos, et d’émouvoir le téléspectateur. Sans ces derniers, les sujets manqueraient souvent de force réelle, et tomberaient à plat. Ils servent en quelque sorte à maquiller parfois un manque de contenu. Et même si le contenu est intéressant, cela permet d’en remettre une couche. Ce modèle est à la base anglo-saxon et a été très fortement influencé par le cinéma hollywoodien. Il s’est imposé jusque dans les écoles de journalisme, ce qui explique aussi pourquoi il est presque impossible de voir autre chose à la télévision de nos jours. « Je donne des cours en France et à l’étranger, et on apprend aux jeunes journalistes à ce que leur reportage soit le plus vivant possible. Donc ce sont des séquences effectivement où on accompagne les gens plutôt que de les poser. On préfère qu’il s’exprime en faisant quelque chose. Ca c’est l’école française, c’est pas seulement M6. C’est-à-dire que si vous faisiez un sujet maintenant avec image, interview, image, interview, ça ne passerait pas. Les émissions de M6 genre L’amour est dans le pré, Super nany… c’est vivant, c’est bien foutu, ça y a contribué aussi. Mais à la base c’est anglo-saxon 84». Aussi, on peut remarquer que les journalistes se mettent souvent en scène dans ces émissions, ce qui peut sembler aussi être une autre astuce narrative. -La musique La musique est un composant central dans les émissions d’enquête. Si l’on passe ces émissions à la loupe, on se rend compte qu’elle est omniprésente. Les sujets commencent presque toujours par une prise de vue accompagnée d’une musique tonique. La musique permet de rythmer le sujet, elle inscrit chaque séquence dans une temporalité différente. Elle permet également d’émouvoir, lorsque par exemple on met une musique dramatique sur une séquence triste. « On met de la musique pour relancer le rythme, accentuer le caractère dramatique. La télévision a ses artifices, il faut en être conscient. Mais Internet et les 84 Entretien avec Renaut Fessaguet réalisé le 28/04/2010 90 images brutes qu'on y voit vont certainement influencer notre travail 85», a déclaré François Ducroux (rédacteur en chef de 66 minutes sur M6), lors du Festival international du grand reportage d'actualité (FIGRA). L’emploi de cette musique est devenu systématique et incontournable, même dans des émissions au contenu de qualité comme Complément d’Enquêtes. Là aussi, les chaînes privées ont eu une influence considérable sur le service public, puisqu’il n’était autrefois pas envisageable de mettre de la musique dans des émissions comme Envoyé spécial qui existe depuis plus de 20 ans. Renaut Fessaguet a ainsi évoqué l’importance croissante de la musique dans les émissions d’enquête : «Il y a encore 15 ans, sur le service public, il était encore impossible de mettre de la musique. Moi je sais que l’un de mes derniers reportages pour Envoyé spécial, il est passé uniquement parce que j’avais choisi des musiques qui ajoutaient de l’emphase. Ah oui tout cela est réel. Mais l’on pourrait dire la même chose d’Hollywood, à moins d’avoir un nom comme Clint Eastwood ou Mel Gibson qui ont vraiment des idées en tête, et qui sont aujourd’hui plus des réalisateurs que des acteurs. A Hollywood, il y a des codes à respecter. Le montage très serré à la 24H chrono, maintenant il y a 8 images secondes au lieu de 4 ! 86» -Les ralentis, les zooms… des effets venus tout droits du cinéma On le voit bien, ces émissions sont montées comme de véritables petits films. Il est ici intéressant de donner le témoignage de Renaut Fessaguet à ce propos : « On surjoue le réel, ça ça arrive souvent! C'est toujours le plus, on est toujours les premiers, et puis les effets comptent pour beaucoup. On utilise les ralentis, alors que dans la vie il n'y a pas de ralentis. On utilise une musique dramatique, mais un peu comme au cinéma. Je pense qu'il y a une tendance à la cinémaisation et la scénarisation du reportage. Un reportage sur le réel au coeur de la Thaïlande ça ne va pas le faire. Déjà parce qu'avec Internet, les gens ont 85 Rue89, Fin du Figra. La télé nous informe-t-elle encore ?, mis en ligne le 29/03/2008, consulté le 15/03/2010 86 Entretien avec Renaut Fessaguet réalisé le 28/04/2010 91 déjà vu beaucoup d'images, mais surtout parce que la réalité elle n'est pas en 3D, ni en 4D. Elle est assez univoque, enfin, surtout au travers de l'oeil d'une caméra. L'utilisation des zooms, des gros plans, tout ça vient du cinéma! Dans mon souvenir, enfin je ne crois pas me tromper, dans 5 colonnes à la Une, ils ne faisaient pas de gros plans. Ils cadraient super bien car ils filmaient sur des pellicules. Aujourd'hui, pour une minute exploitable, il faut 40 minutes de rush. 5 colonnes à la Une, ils filmaient 10 minutes et ils en sortaient 8 minutes. Alors c'est que les journalistes sont moins bien formés aujourd'hui, ou alors ils ne s'intéressent pas à la chose, ou bien encore qu'ils savent que c'est borduré et ils ne s'aventurent donc pas 87». -La mise en scène des journalistes Dans ces émissions, bien souvent, le journaliste se met en scène durant le processus de l’enquête. Cette technique narrative vient de loin. On fait remonter ses origines à l’émission Cinq Colonnes à la une, dans laquelle on mettait en scène les enquêtes et les débats parfois houleux de la rédaction. Le reporter devient un « Témoin-Acteur-Narrateur, et apparaît très souvent à l’écran. Aujourd’hui, cette mise en scène prend différentes formes : lorsqu’une journaliste va réaliser l’interview délicate d’un médecin mis en cause pour homicide involontaire, elle s’introduit en se présentant ainsi : « Je suis journaliste à France 2 », ou encore, il est possible de voir un journaliste se faire passer pour un client potentiel dans un salon de massage à Katmandou, afin de tester jusqu’où le client peut aller. Lorsque le journaliste est infiltré dans un réseau, par exemple un réseau de drogue en Colombie, ce qui n’est a priori pas simple, le processus d’infiltration est alors particulièrement mis en avant dans le reportage. Bernard de la Villardière, journaliste star de M6, se met également fortement en scène dans ses émissions. Ses interventions sur le terrain ont même tendance à être de plus en plus longues, car, selon ses propos, la courbe d’audience est alors très bonne. Ces techniques narratives apportent de la plus-value au programme, et immergent 87 Entretien avec Renaut Fessaguet réalisé le 28/04/2010 92 directement les téléspectateurs dans les rouages de l’enquête, au cœur de l’action. Cette mise en scène agace certains observateurs des médias qui accusent alors les journalistes de dérives « sensationnalistes ». Une critique qui agace Paul Moreira : « Dans le sujet sur les martyrs d'al-Aqsa en Palestine, diffusé le 30 novembre, j'ai mis des images que nous avons filmées au moment où nous entrions dans Gaza : à un moment donné, nous nous faisons tirer dessus par un sniper. La balle est passée à 50 cm au-dessus de nos têtes. Qu'on tire sur des journalistes, je pensais que les confrères trouveraient cela incroyable et choquant. Eh bien non ! On se fait cartonner dans un article de Télérama sur justement le sensationnalisme. Je suis tombé de mon siège ! Je trouve vraiment que c'est une critique d'enfant gâté. Dès que la situation est tendue à l'écran, ce serait sensationnel. Mais c'est sensationnel parce que c'est la réalité ! S'il arrive quelque chose, on le montre. C'est le but du jeu88» . Qu’elle soit utilisée à bon escient ou non, cette mise en scène a le mérite pédagogique de montrer au téléspectateur la façon dont se déroule l’enquête. E) La personnalisation des sujets : le risque de basculer dans le reportage, au détriment de l’enquête ? Durant notre entretien, Vincent Nouzille a été établi une distinction claire entre le reportage et l’enquête :« Si il s’agit uniquement de raconter ce que l'on voit, cela s'appelle un reportage. Par exemple, un reportage en banlieue: insécurité, on suit une équipe de policiers etcetera. Après, si l'on veut déterminer qui contrôle le trafic de stup dans telle cité, et bien c'est une enquête puisque là, il faut aller voir les flics, les magistrats. On ne va pas raconter tout ce que l'on voit, mais on va tenter d'avoir cerné les infos. Est-ce que c'est la bande de machin? Les mecs ont-ils été poursuivis? D'où viennent les dealers? C'est la différence entre balader sa caméra à la recherche d'un spectacle ou d'une séquence, et à mes yeux, faire une enquête ». 88 Strategies.fr, Contre-enquête sur Lundi investigation, mis en ligne le 16/12/2004, consulté le 15/06/2010 93 Or, on peut se demander si les émissions qui déclarent faire de l’enquête, en font encore véritablement? -La recherche d’une identification au personnage La personnalisation des sujets est devenue automatique. Toutes les enquêtes commencent toujours par l’histoire d’un personnage qui va illustrer la thématique. Ce personnage est en mouvement. Il est presque impossible aujourd’hui d’interviewer un personnage de manière statique. On doit le suivre dans son quotidien, dans son histoire. Cela permet ainsi de dénouer le complexe en l’ancrant dans une réalité familière, et de faire par la même augmenter les taux d’audience : « Le téléspectateur partage ou appréhende une réalité à travers des gens que l'on suit et dont on fait le portrait. Sans interview statique mais en les accompagnant sur le terrain, en partageant leur vie quotidienne. Voilà, c'est une écriture par la séquence, beaucoup plus que par l'image elle-même89 », explique Bernard de la Villardière. C’est également de cette façon que l’émission Enquête Exclusive aborde les sujets internationaux : « Parfois pour parler de l'étranger, il faut partir de la France. Quand on a fait les vendeurs à la sauvette, on s'est intéressés à la secte des Mouridess, mais on est partis du pied de la Tour Eiffel. Les gens étaient au rendez-vous d'ailleurs. Quand on a fait un film sur le trafic de pièces détachées entre la France et le Bénin, on est partis de la problématique du marché de l'occasion en Belgique, en France etcetera... Et on a suivi deux jeunes français qui partaient vendre leur voiture en Afrique. Et c'est grâce à cette astuce, à ce procédé, ce choix, que l'on a pu intéresser les téléspectateurs à cette problématique du trafic de métaux, de la débrouille dans certains pays d'Afrique ». -S’agit-il plus de reportage que d’enquête ? Ainsi, les sujets sont personnifiés à chaque fois, afin de faire gonfler l’audience. Durant la phase d’enquête, les journalistes sont chargés de trouver des interlocuteurs au journaliste qui 89 Entretien avec Bernard de la Villardière réalisé le 10/07/2009 94 va aller réaliser le sujet sur place. Une stagiaire enquêtrice chez Tony Comiti m’a ainsi confié que les rédacteurs en chef ont souvent une idée prédéfinie de ce qu’ils recherchent dans le sujet. Ainsi, la fiction peut dépasser la réalité puisque l’on attend au préalable d’un personnage qu’il fasse ou dise telle ou telle chose. Cela laisse donc peu de place au naturel et au spontané. Une situation qui agace grandement Renaut Fessaguet : « En fait, il faudrait que la réalité soit fictionnelle. A mon époque on vous demandait pas si votre personnage allait faire telle ou telle chose, et puis il n'y avait pas ce type de magazines de société. Aujourd'hui, on va suivre une famille en vacances... ce n'est pas de l’investigation! A mon époque, je parle comme si j'avais 200 ans, on allait vers les situations, soit de crise, soit humainement compliquée, et puis on voyait ce qui en ressortait! Aujourd'hui, on a une préparation en amont qui est énorme, faut des autorisations de tournage... » 90. Vincent Nouzille semble avoir un constat moins sévère sur cette pratique, saluant son dynamisme : « En même temps, que les sujets soient concrets, qu'on suive des gens impliqués dans la lutte contre la drogue par exemple, c'est très bien, vaut mieux avoir ça que des mecs dans un bureau qui te disent, voilà ce que je pense de l'évolution du monde. On s'en fout un peu. Donc je comprends qu'on ait besoin de héros et de personnages qui vont tirer l'histoire91 ». La question étant plus pour lui d’utiliser le bon outil : reportage ou enquête, et ce, au bon moment. Le problème aujourd’hui étant que l’on prétend faire de l’enquête alors que l’on fait en vérité du reportage. Or, dans l’enquête, il convient de prendre de la distance avec le personnage. Ce qui est donc en opposition avec la recherche de personnification, qui caractérise plus le reportage : «Aux Etats-Unis, on distingue deux boîtes à outils: Investigate journalism, et narrative journalism. Le premier c'est donc vraiment la boîte à outils pour chercher les infos, il y a beaucoup de journalistes qui sont devenus des grands spécialistes de cela. Le second, c'est comment on écrit une histoire, comment on va avoir un héros. C'est ce qu'on appelle au fond un reportage, je suis au plus près de mon héros. Quelque part, l'investigative doit te distancier de ton objet, alors que le narrative doit te rapprocher de ton 90 91 Entretien avec Renaut Fessaguet réalisé le 28/04/2010 Entretien avec Vincent Nouzille réalisé le 20/03/2010 95 sujet. C'est ça la grande distinction. Dans la manière de le raconter, c'est pas pareil d'être quasiment à la première personne avec ton personnage de la narrative. C'est à la fois un genre formidable le reportage, mais effectivement moi je suis plutôt dans l'école de l'investigative. J'ai mes héros, mais je prends une distance avec eux. D'abord, je ne veux pas être lié à eux, et ensuite je préfère avoir d'autres sources que je vais mettre en perspective avec d'autres gens. Mais la grande valeur d'un reportage c'est quand tu finis pas être si proche d'une personne que tu peux ressentir presque ce qu'elle ressent. Une victime, un malade. Je me souviens très bien d'un reportage dans le Washington Post d'une double page par jour dans le Washington Post sur le vécu d'un jeune homosexuel de 17 ans vivant au Texas. C'était quasiment son journal de bord. Donc la nana elle avait dû passer des semaines avec lui. Là, on est dans un sujet extraordinaire. C'est à dire qu'on te raconte le racisme, l'homophobie, le Texas... on est dedans quoi. Ce que fait Florence Aubenas. Elle est vraiment dans le reportage. C'est magnifique ce qu'elle fait. Et donc l'investigation quelque part, c'est pas l'inverse, mais c'est la mise à distance. Cette opposition qui aux Etats-Unis est un peu catégorique dans le genre, ca va être « comment tu veux raconter ton histoire : faire un scoop? Taper sur les puissants? Ou c'est 15 jours embedded avec le JI sur le terrain? ». Donc, rien à voir. Et les modes d'écriture, et les écoles de formation, les conférences sont bien distincts pour le narrative et l'investigate. En France, cette distinction n'existe pas. En fait, le vrai plus du journalisme, c'est d'avoir ces deux boîtes à outils et de décider de laquelle l'on va se servir. Laquelle est la plus opérante pour tel ou tel sujet? Avoir l'angle narrative avec le paysan afghan qui cultive son pavot et qui n'a que ça pour bouffer, et l'ange investigate pour savoir comment l'héroïne est transportée etcetera. C'est deux genres qui ne sont pas exclusifs l'un de l'autre, qui ne doivent pas l'être. Simplement, c'est à nous en tant que professionnels de se servir de telle ou telle technique pour construire un sujet ». Cette réflexion nous permet ainsi de bien distinguer la différence entre reportage et enquête, et de nous rendre compte que l’on bascule souvent plus dans le côté narrative que dans le côté investigate. Souvent, les journalistes posent des questions auxquelles ils n’ont pas les moyens de répondre. Ils ont le mérite de dévoiler une réalité, mais peinent à en distinguer 96 les tenants et les aboutissants profonds. Souvent, on ne fait finalement que planer à la surface des problèmes, sans vraiment les comprendre. On se rend compte que ce que l’on nous vend comme de l’enquête, est en vérité plus du reportage. Bien sûr, parfois, certains documents peuvent sortir du lot et témoignent d’un réel travail d’investigation, mais le manque de temps et d’argent consacré aux enquêtes fait que les journalistes ont rarement les moyens de leurs ambitions. C’est ce que nous allons étudier maintenant. 4) Quelles sont les causes de cette uniformisation ? Après avoir constaté cette uniformisation du contenu et de la forme, nous allons tenter d’en déterminer les causes potentielles. Celles-ci ont souvent des origines économiques ou politiques, mais l’on verra également que la télévision pose des problèmes supplémentaires par rapport à la presse écrite, notamment juridiques. A) Des facteurs économiques Nous allons tout d’abord étudier les facteurs économiques qui semblent gouverner aujourd’hui la production de l’information. D’une part, on peut parler d’une rationalisation des coûts de production, d’autre part, on peut étudier la question de la recherche d’audimat tout azimut, puisqu’elle répond à un objectif économique. -La rationalisation des coûts de production Comme pour n’importe quel produit que l’on trouve sur le marché, les chaînes vont tenter de rationaliser les coûts de production. Dans un premier temps, elles vont externaliser leur production. C’est un mouvement que nous avons pu constater dans l’historique des émissions réalisé dans la partie I). Nous avons vu que des émissions telles qu’Envoyé Spécial, qui possédaient autrefois leur rédaction en interne, ont peu à peu externalisé leur production. C’est le même phénomène que nous avons pu constaté lors de la disparition de 97 l’émission 90 minutes, produite en interne, qui a ensuite été remplacée par Lundi Investigation, une émission produite en externe, car elle coûtait bien moins cher. L’externalisation de la production permet de faire baisser les coûts de production puisque les boîtes sont en concurrence pour obtenir les sujets, et qu’elles ne vivent que grâce à l’achat des chaînes. Elles ne peuvent donc pas négocier pleinement leurs salaires, et sont soumises à des contraintes temporelles extrêmement difficiles à tenir. Aussi, l’externalisation de cette production permet aux chaînes de se libérer de diverses contraintes logistiques (gestion du personnel, fiscale etc…).Renaut Fessaguet nous illustre cette évolution : « Un 52 minutes aujourd’hui, la chaîne donne 80 000 euros. Pour un 26 minutes, elle donne la moitié. Les tarifs n’ont pas augmenté depuis 10 ans, alors que tout augmente… sauf nos salaires je vous rassure ! Le prix des cassettes, le prix des mixages, le prix des machines… Avant, on ne comptait pas trop nos journées. Aujourd'hui, mobiliser une journée un cameraman, un journaliste, plus la location de la voiture, le miam miam... C'est vite du 1000 euros par jour pour le producteur. C'est assez vicieux, et je ne sais pas trop comment on va faire pour s'en sortir. Mais les chaînes ne justifient pas ces tarifs ! Il y a une grande bataille entre producteurs et chaînes, notamment M6. Ils s’arqueboutent, ils disent « on vous fait vivre », on commande beaucoup, ce qui est vrai. Si M6 arrête demain ses émissions de reportage, il y a un gros souci ! Alors ils disent on vous fait vivre, et puis on trouve que c’est tout à fait raisonnable, et on peut pas plus. Si vous êtes une boîte établie et que vous avez un compte au CNC, qui en fait irrigue et fait vivre le cinéma français et la télévision, vous arrivez pour un 52 à 100 000 euros, mais faut la marge du producteur car il y a des frais de structure etcetera… Mais c’est pour ça qu’on tourne de plus en plus vite. Un 70 minutes qu’on a fait en Colombie sur Pablo Escobar, on a tourné comme des malades ! Par exemple l’autre soir, j’ai vu deux magnifiques documentaires sur la Corée du Nord. Ils ont suivi deux gamines qui participent aux tableaux vivants à la gloire du dictateur. C’est un des plus beaux documentaires que j’ai jamais vu. C’est la BBC qui a fait ça il y a deux ans. C’est un boulot phénoménal. Nous, on nous demande de faire ça, on n’a pas le temps ! Mon premier 26 minutes j’ai eu 1 mois. Aujourd’hui, vous savez combien on nous donne ? 6 jours !92». 92 Entretien avec Renaut Fessaguet réalisé le 28/04/2010 98 Ce manque de temps et d’argent alloué aux documentaires explique notamment ce formatage. Puisque les chaînes n’ont presque plus de rédaction en interne, et que les sujets sont produits par des boîtes de production telles que Capa ou Tony Comiti, qui travaillent pour toutes les chaînes, il est logique que les émissions perdent leur identité. Beaucoup de journalistes considèrent cette externalisation comme une menace pour l’enquête, les boîtes de production ne disposant pas d’assez de pouvoir pour imposer certains sujets peut-être plus délicats à l’antenne. De ce fait, elles répondent plus souvent à des commandes des chaînes : « On arrive à en proposer, mais on sait pas définition que, à moins qu’il soit particulièrement original, ou d’avoir un lien privilégié avec la personne ou l’évènement, c’est très difficile. Ou alors, il faut être un grand nom. Et puis il faut voir qui choisit les programmes dans les grandes chaînes. Ca c’est aussi la vraie question parce que les gens qui font la télé sont omnibulés, pour ne pas dire plus, par l’audimat », explique Renaut Fessaguet. La circulation croissante des journalistes entre les rédactions explique également ce phénomène : « Jusqu’aux années 2000, les journalistes circulaient moins d’une rédaction à une autre. Depuis, les frontières entre chaînes publiques et chaînes privées ont explosé93 », explique Jean-Bernard Schmidt, rédacteur en chef de Capital. -La quête permanente de l’audimat La quête d’audimat est très certainement la raison principale de ce formatage croissant : elle explique le nivellement par le bas, la recherche maximale d’identification, et le manque de prise de risque dans le choix des sujets : « On est rattrapés par la logique d'audience où effectivement les sujets étrangers sont plus difficiles, plus risqués en audience94 », souligne Bernard de la Villardière. Lors du Festival international du grand reportage d'actualité (FIGRA), un spectateur a demandé à François Ducroux (rédacteur en chef de 66 minutes sur M6), si 66 Minutes s'était déjà autocensurée sur un sujet d'actualité par peur du manque d'audience : “Très clairement, oui. Nous sommes sur une chaîne privée, et l'audience est le 93 Télérama.fr, La pêche au ton, le 29/12/2010, consulté le 15/03/2010 94 Entretien avec Bernard de la Villardière réalisé le 10/07/2009 99 seul critère de survie d'une émission. En revanche, les présupposés sur l'audience ne sont pas toujours bons : nous avons fait un pic d'audience inattendu en parlant des Karens de Birmanie95». Un plus fort audimat signifie une meilleure rente publicitaire, c’est pourquoi les chaînes mettent tout en œuvre pour l’optimiser. « Il y a des études d’une finesse… ils analysent minutes par minutes, je ne sais pas si vous voyez ! Même sur France Télévisions, il y a des bureaux entiers de personnes qui ne font que ça de la journée. Ils ne font plus que ça ! Exemple : quand Comiti a fait un sujet sur la nouvelle pauvreté il y a cinq ans parce que ça le frappait. Les clodos, les soupes populaires… frappant parce que c’est réel même s’il y a beaucoup de gens qui viennent d’Europe de l’Est. Le patron de M6 à l’époque voit ça, c’était pour Zone Interdite, il les insulte. A 21 heures il appelle il dit « qu’est ce que c’est cette merde ? ». A 22h30, fin de l’émission. Les chiffres d’audience ont été excellents, le lendemain : félicité ! », relate Renaut Fessaguet. Afin de parfaire au maximum cette quête d’audimat, M6 a mis au point un profil type de téléspectateur : « Les équipes de 100 % mag ont défini une téléspectatrice type, témoigne une reporter. Elles l'appellent Nathalie, elle a deux enfants, et c'est une femme active aux revenus moyens. A l'écriture, on part du principe que Nathalie ne doit pas attendre une minute pour comprendre ce dont on va parler !96 » . Cela fait échos à la volonté de prendre le téléspectateur par la main, et nous permet de comprendre pourquoi cette écriture mène à l’abrutissement. Renaut Fessaguet évoque également ce point, en soulignant qu’avant toute chose, il convient d’étudier qui se trouve devant le téléviseur, et ce que cette personne attend du visionnage d’un reportage : « Il y a parfois des émissions de prestige, des choses pas mal, mais malheureusement, c’est pas ce qui fait de l’audience. Donc la véritable question au final, c’est l’audimat. Faut regarder aussi qui regarde la télé, c'est-à-dire que des jeunes de votre milieu social vous la regardez pas assidûment. Donc ce sont soit des vieux, ce n’est 95 Rue89, Fin du Figra. La télé nous informe-t-elle encore ?, mis en ligne le 29/03/2008, consulté le 15/03/2010 96 Télérama.fr, La pêche au ton, le 29/12/2010, consulté le 15/03/2010 100 pas péjoratif, ce sont juste des gens d’un certain âge. Je vois par exemple ma mère, qui a 78 ans qui est une femme intelligente et cultivée, elle en prend plein la tête. Donc ils regardent sans regarder, ça c’est un premier pan du public, mais ils sont quand même consommateurs d’émissions et de programmes, documentaires ou pas. Et puis des jeunes, enfin ce n’est pas une critique, moi je suppose que si je faisais trois heures de transport par jour plus un métier de merde toute la journée, je rentre chez moi, je regarde des choses pas très compliquées mais surtout mâchées. Donc ça explique tout ça dans la mesure où l’audimat est devenu crucial97 ». La majorité des gens cherche peut-être finalement plus à se divertir qu’à s’informer en regardant ces émissions. C’est pourquoi on leur mâche le travail intellectuel. B) Des facteurs politiques Outre ces questions économiques, on peut également analyser les facteurs politiques. S’il est difficile d’aborder la question de la censure, tant elle demande une véritable enquête approfondie, il convient tout de même de l’évoquer, et de confronter à ce propos différents points de vue. On peut également évoquer la question de la connivence entre sphère journalistique, politique et industrielle, puisque les médias sont aujourd’hui détenus par de grands groupes économiques. Cette connivence est bien évidemment un frein à l’investigation. La dépendance aux annonceurs, notamment dans les chaînes privées, peut aussi poser problème. Alors vrai ou faux débat ? -Des liens incestueux entre la presse, la politique et la sphère économique ? En France, les grands groupes sont autorisés à racheter des entreprises de presse. Ainsi, Bouygues détient TF1, Vivendi possède Canal + et Bolloré a quant à lui carrément lancé sa propre chaîne, Direct 8. Si en Italie, cela est chose commune avec les fameuses acquisitions de Berlusconi, en Allemagne, cela est carrément anticonstitutionnel : « Le contrôle d’un certain nombre de grands groupes industriels sur les grands médias et les grandes télés 97 Entretien avec Renaut Fessaguet réalisé le 28/04/2010 101 françaises est quand même un espèce de vis congénital, qui est très français d’ailleurs. Certes, la dérive est encore plus grande en Italie, mais ce n’est pas le cas dans les pays anglo-saxons ou comme en Allemagne où il y a quasiment interdiction constitutionnelle aux groupes industriels de détenir des groupes de médias. Ce sont donc des groupes de médias qui se sont constitués tout seuls, si je puis-dire. Personne n’imaginerait que Siemens ou Bmw achète une télé. Alors c’est lié à l’histoire de l’Allemagne au moment où les grands groupes industriels allemands étaient au service de la propagande du Reich, donc si tu veux, il y a un passé. Donc ce mur existe, cela autonomise les médias et leur donne une force. Ça leur a donné au fond une puissance de feu plus grande. En France, cette frontière n’existant pas, les réglementations étant très limitées, et bien effectivement on est face à un perpétuel mélange des genres entre qui contrôle qui, qui couche avec qui ?98 » Aussi, pour en revenir à la sous partie précédente, on comprend pourquoi l’audimat a pris le pas sur la recherche d’un contenu riche, puisque ces médias ont été rachetés ou créés pour être rentables et viables. Les médias français manquent donc d’autonomie, et s’avèrent être frileux lorsqu’il s’agit de prendre des prises de position qui pourraient compromettre leurs relations avec leurs annonceurs, ou autres partenaires. Par exemple, M6 a refusé dans le passé des sujets sur la Française des Jeux ou Renault, ou encore sur McDonald's et KFC en octobre dernier en bloquant un sujet de l'agence Tony Comiti99. Aussi, les patrons de chaînes entretiennent souvent des relations privilégiées avec les politiques : l’exemple le plus typique est celui de la relation entre Nicolas Sarkozy et Vincent Bolloré. Renaut Fessaguet dénonce ainsi des « relations incestueuses » entre la presse et la politique. D’ailleurs, bon nombre de journalistes sont liés intimement avec des politiques : Marie Drucker et François Baroin, Christine Ockrent et Bernard Kouchner. Dès lors, on peut s’interroger sur leur indépendance... Renaut Fessaguet nous explique qu’outre les difficultés croissantes que l’on a à accéder aux personnes, il est presque impossible d’attaquer frontalement une personnalité du monde économique ou politique, tant les 98 99 Entretien avec Vincent Nouzille réalisé le 20/03/2010 Rue 89, Journalisme d'investigation à la télé : faisable, mais épineux, mis en ligne le 31/03/2010, consulté le 15/04/2010 102 connivences sont fortes : « Il n’y a aucune transparence. Il y a tout un barrage d’attachés de presse, des filtres, qui vous empêchent d’accéder aux personnes. Vous imaginez bien que s’il y a une affaire à sortir sur la BNP, le Crédit Lyonnais ou la Société générale, un journaliste n’ira jamais poser la question au patron car il y a trop de connivences, le mec ne comprendrait pas. Il y a un contrôle, une opacité qui est réelle, d’où l’apparition de ces sujets dits d’investigation sur par exemple les arnaques (crédit à la consommation etc…) plus faciles à faire et qui intéressent le plus grand nombre. Alors qu’un sujet sur Pasqua, ça ne va pas aller très loin. Donc il y a d’abord eu fermeture d’un espace : communication, politique, macro-économie ; puis prise de contrôle de la sphère politique et économique. Mais si les diffuseurs privilégient ces sujets triviaux, c’est également car ils sont bien moins périlleux politiquement, et cela est très certainement l’une des causes de cet état de fait. Les patrons de chaîne ne veulent surtout pas avoir d'enquêtes relatives à la politique ou l'économie! Dénoncer la prostitution, les salons de massage, ça ça dérange personne. Vous le faites une fois bon... mais alors plusieurs fois... Très souvent, on enfonce des portes ouvertes. La drogue chez les jeunes par exemple, ça n'impressionne que les patrons de chaînes. Un sujet sur l'alcool mondain, ça par contre on ne va pas en parler car les pinardiers forment un vrai lobby. On a voulu faire un sujet sur les femmes alcooliques... impossible100 ». Renaut Fessaguet renchérit même en dénonçant carrément une censure venue des plus hautes sphères politiques, et notamment depuis l’élection de Nicolas Sarkozy : « Aujourd'hui c'est sûr que les scandales politiques et financiers, on enquête plus vraiment dessus. ll y a un tel contrôle... Moi j'ai des copains au Canard Enchaîné, ils n'inventent jamais rien, ils n'ont que des infos qu'on leur a donné... depuis Sarkozy: ça s'est tari. L'histoire des vedettes de Karachi... ça ça vient de loin! C'est un coup des chiraquiens contre Sarkozy!Qui va aller enquêter dessus? Libé? Personne ne le lit. Où va l'argent du Téléthon, de la lutte contre le cancer... qui va aller enquêter là dessus? Aller à l'association des myopathes... D'abord ils ne vous laisseront même pas y aller. Qui va vous acheter le sujet? Parce que même si y'en a un qui dépense un peu trop pour l'administration, s'il fait un peu de détournement... on ne va pas aller taper contre une cause nationale! Enfin je ne 100 Entretien avec Renaut Fessaguet réalisé le 28/04/2010 103 vous parle que de la télé, je n'ai pas la prétention de parler de tout ce qui se fait en investigation. Donc la politique, circulez! Le Cac 40, circulez! Il ne reste pas grand chose! Même sans dénoncer, juste montrer voilà, c'est comme ça que ça se passe. La dernière fois j'ai fais quelque chose sur la désindustrialisation en France pour Tf1. Ca n'a pas marché. Donc on préfère un truc sur Paris Hilton. Les patrons de chaîne ou même le Directeur de France télévision font gaffe à ce qu'ils diffusent. Quand c'est trop de responsabilité politique, ils ne le font pas. Le patron de Paris Match s'est fait virer car l'autre il a diffusé la photo de Cécilia.... Donc on veut pas trop risquer sa carrière professionnelle, sa vie... Ca limite l'investigation. Les élites ont vraiment peur de la télévision, en revanche je suis surpris par les gens du quotidien qui n'ont pas de mal à s'exprimer devant une télé ». Il s’agit donc ici de son point de vue personnel, et on ne peut prendre ses déclarations au présent de vérité générale, ce dernier dressant un tableau extrêmement sombre du journalisme. -De la censure… ou de l’autocensure ? Il convient de nuancer ces propos. Pour certains journalistes, certes, les directeurs de chaînes privilégient les sujets triviaux car ils font plus d’audience, mais le tableau n’est pas si noir : un journaliste audacieux a encore le pouvoir de faire de l’enquête à la télévision s’il le souhaite au plus profond de lui, malgré toutes les difficultés que l’on connaît en France, notamment en ce qui concerne l’accès aux sources. Selon Vincent Nouzille, la question de l’indépendance des médias est un faux débat : « Selon moi, c’est devenu un faux débat. Pour plusieurs raisons : tout d’abord, la concurrence entre les médias est très vive, et l’apparition de la presse Internet décuple cet effet. Du coup, si une information est étouffée à un endroit, elle ressortira autre part. Globalement, c’est quand même la tendance de fond : le marché est de plus en plus ouvert, du coup, le contrôle de l’information devient de plus en plus difficile pour tout groupe économique, politique…101 ». Il est vrai que l’actualité récente montre qu’Internet peut jouer 101 Entretien avec Vincent Nouzille réalisé le 20/03/2010 104 un rôle déterminant et galvaniser à nouveau le journalisme d’investigation, au regard des révélations du site Médiapart sur l’affaire bettencourt. D’autres vont même plus loin en déclarant qu’il est plus aisé d’enquêter aujourd’hui à la télévision qu’auparavant. Ainsi, Hervé Brusini, rédacteur en chef du JT de France 2 et ancien reporter, a déclaré lors d’un festival au Touquet : « Je suis stupéfait qu'on continue à employer le terme de “censure”. J'ai connu l'époque Giscard, et c'était différent. La censure et l'autocensure sont dans le bateau de l'info télévisée depuis 50 ans. De Gaulle a pratiqué la censure, ce qui a fait que l'autocensure s'est imposée 102 ». Toujours au Touquet, même son de cloche chez un autre représentant du service public, qui ne se sent absolument pas pieds et poings liés aux annonceurs : « Nous diffusons jeudi 1er avril dans Envoyé Spécial une enquête sur la discrimination au crédit pour les personnes âgées par des enseignes comme But, Conforama ou Cetelem, qui sont des annonceurs de la chaîne. Le sujet a été validé sans aucun problème », affirme le journaliste Luc Hermann, de l'agence de presse Premières lignes télévision. Paul Moreira relate quant à lui « des tensions sur certains sujets », mais nuance : « On arrivait toujours à les passer. Ce qui nous protégeait, c'est d'être en interne, avec une société des journalistes, des syndicats. La vraie censure, ce sont les services juridiques », un point que nous soulèverons un peu plus tard. Il semblerait cependant que les journalistes s’accordent à dire qu’il est de plus en plus compliqué d’enquêter à l’étranger, et que le quai d’Orsay exercerait des pressions sur les journalistes. Ainsi, le producteur Arnaud Hamelin de l’agence Sunset Presse, a envoyé récemment des reporters en Somalie pour un sujet diffusé en janvier sur France 5 : « J'ai reçu un coup de fil du Quai d'Orsay, suivi d'une lettre me demandant de les rapatrier. Je leur ai dit qu'il ne fallait pas compter sur moi pour laisser le monopole de l'information à CNN et Al-Jazira. » Le reporter Jean-Jacques Le Garrec, rapporte le même type de faits : enfui de la cellule de Jolo (Indonésie) où il était retenu en otage par Abu Sayyaf, en 2000, il 102 Rue 89, Journalisme d'investigation à la télé : faisable, mais épineux, mis en ligne le 31/03/2010, consulté le 15/04/2010 105 a déjeuné à son retour avec Lionel Jospin et Hubert Védrine : « Ils m'ont dit qu'ils trouvaient anormal de n'avoir pas été associés à ce déplacement à l'étranger103. » Pour le rédacteur en chef d'Arte Reportage, Marco Nassivera : « Ce discours officiel instille peu à peu un poison auprès des directions et des rédactions, qui risque de les conduire à l'autocensure ». Dès lors, peut-être serait-il donc plus sage de parler d’autocensure, plus que de censure, car on ne peut en apporter les preuves véritables. Ainsi, le manque de prise de risque dans le choix des sujets s’expliquerait par la crainte d’une confrontation directe, et par une trop grande interpénétration des champs politiques et journalistiques. On peut également profiter de ce paragraphe pour démystifier la figure du journaliste d’enquête qui demeure toujours dépendant d’autres champs sociaux. C) Réaliser une enquête à la télévision, une difficulté supplémentaire ? Outre ces considérations plus générales relatives aux questions de censure et d’autocensure, qui pourraient concerner aussi bien la presse écrite que la presse télévisée, nous allons maintenant aborder les difficultés inhérentes à la presse télé. Il semblerait que le journalisme d’investigation soit plus compliqué à réaliser à la télévision, l’image posant des difficultés supplémentaires, en termes juridiques ou même symboliques. -Des difficultés juridiques Comme l’a exprimé ci-dessus Paul Moreira, les véritables difficultés que rencontre aujourd’hui le journalisme d’investigation à la télévision sont d’ordre juridique, le droit à l’image induisant bon nombre de restrictions. « Tu ne peux même plus parler de la drogue, parce que tu incites à la consommation », se lamente un journaliste. « La vraie censure, ce 103 Rue 89, Journalisme d'investigation à la télé : faisable, mais épineux, mis en ligne le 31/03/2010, consulté le 15/04/2010 106 sont les services juridiques104 », lance un rédacteur en chef d'une grande agence de presse, lors de la rencontre au Touquet du FIGRA 2010. « Même si parfois ils s'étonnent qu'on floute tel visage ou qu'on ne mentionne pas tel nom, leurs appréciations aléatoires conduisent beaucoup de journalistes à l'autocensure. » Renaut Fessaguet a également longuement insisté sur cet aspect, expliquant que ces entraves juridiques font souvent reculer les producteurs qui craignent les procès. « Même si le type il a un super sujet, il se dit si c'est pour me prendre 4 procès et perdre sa chemise, ça fait hésiter. La télévision ça entraîne de graves conséquences juridiques! Pour le petit sujet qu'on a fait sur le commerce halal, on a du visionner 4 fois le sujet avec les avocats! Parce que ce sont de grandes marques: Quick, Mac Donald... ils sont très soucieux de leur image, ça peut aller très loin. Du coup parfois on donne une caméra aux salariés, et ils risquent leur place […] Les tribunaux sont plein de gens qui protestent: "on m'a filmé, je ne voulais pas...". Le juge des référés très souvent est saisi car un mec se réveille et ne veut pas qu'on diffuse l'émission car il est dedans à son désavantage ». Bref, les questions de droit à l’image sont bel et bien propres au journalisme d’enquête à la télé et compliquent la réalisation des sujets. -La valeur symbolique de l’image Aussi, la télévision effraie. J’ai pu m’en rendre compte lorsque j’ai fais un stage à Direct 8 et que je devais réaliser un micro-trottoir : dès que l’on approche la caméra, avant même d’avoir posé une question, les gens fuient. Alors que si vous les abordez avec un bloc-notes, le rapport n’est plus du tout le même. Voir le visage de quelqu’un semble enregistrer de façon plus pérenne les mots d’une personne. Aussi, la télévision est présupposée être un média détenant une force de frappe bien plus puissante que la presse écrite : elle est regardée. 104 Rue 89, Journalisme d'investigation à la télé : faisable, mais épineux, mis en ligne le 31/03/2010, consulté le 15/04/2010 107 Aussi face aux réticences des gens du quotidien comme des entreprises ou politiques, on en vient de plus en plus à la caméra cachée et au floutage, afin de contourner tous ces problèmes. L’émission Les infiltrés en est l’illustration même, puisqu’elle base son concept sur l’utilisation de la caméra cachée. La question de l’emploi de la caméra cachée était d’ailleurs au cœur du FIGRA 2009, son emploi commençant à se banaliser, et pouvant parfois poser des problèmes déontologiques. La caméra cachée est cependant autorisée en France à condition que l’on floute le visage des personnes, selon la loi informatique et liberté de 1978, et les décrets sur le droit à l'image datant de 2001. Face à la difficulté d’obtenir des autorisations de tournage, Renaut Fessaguet estime que le recours à la caméra cachée va devenir de plus en plus automatique : « Aujourd’hui, tout est filmé, les télévisions sont entrées partout dans la sphère internationale, et donc, on a de plus en plus de mal à tourner, d’où l’apparition des caméras cachées et de tout ce genre de choses. En Afrique et dans certains continents, je le dis assez ouvertement, il est presque impossible de filmer quelqu’un sans le payer, enfin si ce n’est pas institutionnel. Quand vous allez filmer la misère, la pauvreté des gens, ils vont vous réclamer de l’argent en retour. C’est quasiment automatique. Et moi je vois le moment en France où cela va se passer comme ça aussi ». Vincent Nouzille nous apporte en la matière un témoignage extrêmement intéressant, nous révélant que pour une même thématique, un sujet bien moins étoffé n’est pas passé à la télé alors qu’il est passé en presse écrite. Afin de bien comprendre de quoi il s’agit, j’ai préféré laissé le passage intégral : « J'ai fait par exemple un bouquin sur les lobbyistes, dont on a fait une couverture dans l'Express, qui révèle que Frédéric Lefevbre était à la fois conseiller de Sarkozy, et lobbyiste, ce qui est quand même un conflit d'intérêt majeur. Donc un vrai scoop. Il supportait une société qui elle-même faisait du lobbying pour les casinos, or il est conseiller du Ministre de l'intérieur qui délivre les autorisations. Alors, on met tout ça dans la presse. Nous, ça passe comme une lettre à la poste. On a le bénéfice du scoop, on le met dans le bouquin, on est absolument pas attaqués car on est béton armé. Les équipes de Canal + font le même sujet quasiment en même temps, et sont obligées de s'appuyer sur ce qu'on sort nous pour pouvoir justifier leurs infos. On leur file d'ailleurs les preuves, et ils 108 subissent des assauts de Sarkozy pour les empêcher de publier leur truc. Censure, menaces... etcetera. Finalement, ils passent leur truc, mais le producteur du sujet et le réalisateur sont blacklistés de Canal + pendant 6 mois. Donc nous, en tant que journalistes de presse écrite, on sort le truc, on en a rien à foutre, on sait qu'on est en béton armé. S'ils nous attaquent, on sait qu'on ne craint rien, mais ils ne font même pas pression sur nous. En revanche la télé, présumée plus puissante, présentait des séquences où il y avait 10 fois moins d'infos sur le sujet que dans le bouquin, mais qui mettaient en scène Frédéric Lefebvre lui-même. Nous, on l'avait interviewé, il nous avait répondu, voilà. Mais quand on le voit à l'image en train de dire, non, je ne veux pas répondre, ça suffit pour créer un problème. Donc tu vois ce que je veux dire, c'est que pour la même enquête (on ne s'était même pas concertés d'ailleurs, on a décidé de travailler ensemble finalement, c'était plus intelligent pour s'aider), quelque part c'était mieux qu'on la sorte en premier, car sinon, ils n'auraient jamais pu sortir leur truc sur Canal +. Mais malgré ça, nous on avait l'essentiel des infos, eux ils avaient la séquence qui tue, et c'est cette séquence qui a posé un maximum de problèmes, qui leur a valu des déboires. Donc, ça veut pas dire que c'est pareil pour tout, mais la prise de risque est plus grande dans certains domaines. On se rend compte que si on veut, on peut y aller très fort, et notamment dans la presse écrite, pour peu qu'on soit raccord sur l'enquête, les sources, le croisement des sources, bref que l'enquête est sérieuse. Souvent en télé ya une espèce de volonté à la fois de faire des trucs très spectaculaires, et en même temps, au bout du compte, ça se termine avec scénettes, qui bon sont spectaculaires mais dans le fond, la qualité de l'information peut être assez bonne, mais elle est quand même assez minime par rapport à ce qu'on pouvait sortir nous en presse écrite. Mais c'est intéressant de voir comment ça s'est passé en même temps, et on a vu qu'il y en a qui ont subi des coups pour vraiment des conneries, et nous on est passés tout droit, et ça m'a montré qu'à la télé c'était parfois plus difficile. Parce qu'il te faut de la séquence, et si tu as de la séquence qui est embarrassante pour le mec, comme l'impact de la télé est plus fort, la mise en cause est plus difficile105 ». Ce témoignage est donc extrêmement intéressant car il synthétise bon nombre de difficultés 105 Entretien avec Vincent Nouzille réalisé le 20/03/2010 109 que l’on retrouve uniquement à la télévision, avec notamment la question basique de la nécessité d’avoir une image prouvant ce que l’on dit, et la force de frappe présupposée de la télévision, qui, malgré l’avènement d’Internet, possède encore un véritable poids dans le champ journalistique. 110 CONCLUSION Tout au long de ce mémoire, nous avons tenté de dresser un tableau du journalisme d’investigation à la télévision, et de montrer un certain formatage des programmes d’enquête que l’on retrouve sur le PAF. Tout d’abord, il a été question de montrer en quoi l’histoire française du champ journalistique était peu propice à son développement, de par la longue extraction du champ journalistique des champs politiques et littéraires. On s’est rendu compte par la suite que certains stigmates d’antan, comme la connivence politico médiatique, étaient encore visibles aujourd’hui, et constituaient un frein au développement du journalisme d’investigation. On a également étudié l’importation du genre à la télévision, et montré qu’il y a eu, ces dernières années, une explosion du nombre d’émissions consacrées à l’enquête, mais qu’il y a eu une véritable précipitation dans le genre. En effet, ces émissions dites d’investigation n’ont pas toutes les moyens de leurs ambitions, et ont tendance à basculer du côté de la spectacularisation de l’information, afin de palier à leur manque de contenu. Elles ont également tendance à tomber dans les travers de la simplification, et peinent à renouveler leurs thématiques. On a par ailleurs étudié l’uniformisation du point de vue de la forme, et qui semble encore plus prégnante que l’uniformisation du contenu. Enfin, on a tenté de définir les causes de ce formatage croissant, en étudiant notamment les facteurs économiques et politiques, mais aussi la difficulté supplémentaire que les journalistes de presse télé rencontrent par rapport aux journalistes de presse écrite. Le but de ce mémoire était de démontrer ce formatage, et, au terme de cette étude, il semblerait que la réponse s’avère être positive : les émissions d’enquête souffrent véritablement d’une uniformisation et d’une spectacularisation de l’information, voire d’une scénarisation du réel. A la base, je pensais que les émissions du service public échappaient un peu à la règle, étant moins soumises aux contraintes d’audience. Mais elles semblent être tombées elles aussi dans les mêmes travers que d’autres émissions sur les chaînes privées, 111 en termes de traitement de l’information, mais pas véritablement en termes de thématiques. Ces émissions ont calqué leur format sur le modèle M6, et sont devenues au fil du temps plus « sexys » : elles possèdent des teasers, mettent en scène l’action, personnalisent les sujets, même si l’intonation dans les commentaires est tout de même moins marquée que dans les émissions des chaînes privées... Cependant, il est à noter que du point de vue de l’investigation, elles se détachent par leur plus grande analyse des thématiques. Elles mettent plus en relief les concepts, et prennent un peu moins le « téléspectateur par la main ». Elles problématisent plus les sujets, et prennent davantage de champ. Somme toute, seules les cases documentaires semblent procurer encore une liberté de style, à l’image des soirées Infrarouge sur France 2, qui ont par exemple proposé il y a quelques mois une émission sur la pédophilie féminine, avec un traitement visuel et sonore très différent de ce que l’on trouve d’habitude : pas de musique pour émouvoir, un commentaire à l’image peu présent, et des séquences longues. Mais ces cases documentaires, y compris sur des chaînes comme Arte, ont tendance à disparaître elles aussi. On est donc en droit de se demander si cette explosion des émissions d’enquête, ainsi que leur uniformisation, ne va pas mener les téléspectateurs à la saturation ? Pour l’heure, elles jouissent d’un véritable succès sans quoi les responsables des chaînes ne miseraient pas sur elles. Mais à l’image du tarissement des enquêtes d’investigation sur la sphère politicofinancière dans les années 90, il risque peut-être à la longue d’y avoir un essoufflement du genre. Tout comme l’épuisement des télé-réalités qui, pour survivre, proposent des émissions de plus en plus « trashs » ; que vont devenir ces émissions d’enquête qui jouent sans cesse le jeu de la surenchère ? Selon Vincent Nouzille, la lassitude des téléspectateurs est tout à fait possible. Pour que le genre perdure, « La question va être : un, sont-ils capables de se renouveler sans se copier tous les uns les autres. Ce qui est une grande question! Et deux : dans les modes narratifs, qu'est-ce que l'on va trouver autre que « je suis le héros, je suis la brigade de police dans la banlieue en train de se faire matraquer » »106. Il semblerait qu’aujourd’hui on consomme plus que l’on ne s’informe. Même s’il existe 106 Entretien avec Vincent Nouzille réalisé le 20/03/2010 112 aujourd’hui encore des émissions de renom, certains nouveaux venus semblent être de purs produits de consommation, voués à disparaître dès lors qu’ils tomberont en désuétude. On est loin de l’image du journaliste justicier au service de la vérité, on est plutôt aujourd’hui dans le refrain des chaînes de télévision à la recherche d’une plus grande rentabilité. On entend souvent que nous sommes aujourd’hui de plus en plus informés, mais finalement, de plus en plus mal informés. Il semblerait que l’équation ne soit pas fausse. On a vu des milliers de fois l’enquête sur le trafic de drogues, sans jamais savoir finalement qui irrigue véritablement ce réseau. Il existe aussi des centaines d’autres sujets d’enquête qui mériteraient d’être éclairés, et qui ne trouvent pas d’écho à la télévision. Aussi, bien souvent, il ne s’agit pas d’enquête mais de reportage. Finalement, le problème n’est peut-être pas au fond celui de la censure, mais plutôt celui de la conception primaire du rôle de ces émissions. Pour se maintenir, elles doivent faire de l’audience. Les visées ne sont donc pas pédagogiques mais financières, et l’on donne au public ce qu’il a envie de voir : son propre reflet. Nous sommes dans une société de la mise en scène, c’est ce qui explique cette volonté infaillible de personnaliser les sujets, et de les ramener à une réalité familière. Comme l’a très justement souligné Vincent Nouzille, avec l’avènement d’Internet, les informations finissent tôt ou tard par rejaillir quelque part. Le problème n’est donc pas celui de la censure, mais plutôt celui du mimétisme des médias. Pour clôturer ce mémoire, je trouve intéressant d’utiliser cet extrait de mon entretien avec Vincent Nouzille, puisqu’il permet de nuancer le propos, et de ne pas tomber dans le « c’était mieux avant », mais au contraire d’ouvrir d’autres perspectives : « Le genre n'est pas mort, et ce n'est pas à cause de la censure politique ou machin... ce sont des conneries, car le mec qui a vraiment des couilles, il va le faire. C'est plus un problème de mimétisme général, de peur de perdre de l'audience. Aujourd’hui, les journalistes font de l'enquête, mais ils font de l'enquête light. De l'enquête qui ne met pas toujours à distance les personnages, de l'enquête sur des sujets en général rebattus. Donc cela pose trois problèmes différents. Donc après si ils se renouvèlent en mettant davantage de distance, en remettant en question un certain nombre de choses, si 113 ils changent un peu de sujets, et trouvent des modes de narration un peu plus variés, alors, tout est possible. C'est pas plus long ou plus compliqué d'être original et de mettre à distance. C'est simplement dans les outils que tu emploies, et la démarche journalistique que tu as. Le conformisme c'est quand même le vrai ennemi du journalisme à la télé comme dans la presse écrite. Moi j'appelle ça de la paresse, de la paresse intellectuelle. Le conformisme, c'est vraiment ça qui tue la presse, c'est ça qui tue le journalisme, plus que la censure en tant que telle». 114 BIBLIOGRAPHIE Bakchich, Le journalisme d’investigation, comment ça marche ?, mis en ligne le 31/12/2009, consulté le 10/03/2010 Jacques Derogy, Policiers et journalistes: entre compétition et connivence, Cahiers de la sécurité intérieure, 1993) Dominique Marchetti, Les révélations du journalisme d’investigation, Actes de la recherche en sciences sociales, n° 131-132, pages 30-40, 2000 Télérama, “Pièces à conviction” dès 20h50 ! Oui mais à quel prix ?, mis en ligne le 08/10/2008, consulté le 25/05/2010 Thomas Ferenczi, L'invention du journalisme en France, Plon, 1994. 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Enquête exclusive c'était en septembre 2005 je crois. Auparavant lorsque je présentais Zone Interdite on faisait parfois en deuxième partie de soirée le dimanche des « Spéciales de l'info ». C'était une case que je présentais également après Zone Interdite qui était souvent en deuxième partie de soirée, en direct. Il s'agissait de documents beaucoup plus proche de l'actualité. J'étais à l'époque 100% salarié de M6 et j'ai donc proposé avec l'équipe de Zone Interdite cette émission. Quand l'actualité était un peu trop chaude, qu'il y avait des documents un peu trop liés à l'actualité, qu'il y avait un angle éditorial différent de celui de Zone Interdite (qui est un grand magazine de société franco-français), du fait qu'il parlait de l'étranger, rebondissant sur l'actualité, à l'image du 11 septembre. Voilà, quand l'actualité suggérait de faire des spéciales on en faisait dans cette case là, mais c'était des sujets plus journalistiques et news que magazines. A partir de là, on a proposé à la chaîne avec la rédaction de Zone Interdite qui travaillait avec moi, de faire un rendez-vous régulier, mensuel, qui s'appellerait « Enquête Exclusive ». On y mettrait ces docs à plus forte exigence éditoriale entre guillemets, plus proches du journalisme et de l'investigation. Des docs difficiles à mettre à 20H50 pour des raisons euh... voilà, d'audience.. plus exigeants et donc plus difficiles à cette heure là. On les a donc mis à 22H50, et on a fait une émission mensuelle qu'on a appelé Enquête Exclusive. Et donc au départ Enquête Exclusive c'était plutôt la fausse traque de Ben Laden, euh.. les routes de l'héroïne... -Plus international donc? Oui exactement. -Quand j'ai commencé à regarder l'émission il y a un an, il y avait par exemple des sujets sur Moscou, la Colombie... puis c'est vrai que de plus en plus, les sujets sont franco-français. Cela vous peine un peu non? Oui. Parfois oui, absolument. On est rattrapés par la logique d'audience où 118 effectivement les sujets étrangers sont plus difficiles, plus risqués en audience. Et en même temps on a eu de très bonnes surprises dans Enquête Exclusive avec la Colombie, avec Cuba, avec la Corée du Nord. Avec des films de ce genre, ça a très bien marché. Je pense que ça fait partie justement de l'ADN de l'émission. -Croyez-vous justement qu'à chaque fois c'est cette mise en scène, l'incarnation du sujet par un personnage, la musique.. La mise en abîme du reportage puisque chaque fois on prend un bout du document pour inciter le spectateur à rester devant sa télé en lui montrant qu'il va il y avoir de l'action... c'est comme un mini film. On crée du suspens... Vous croyez que c'est cela qui permet de parler de sujets qui intéresseraient moins d'ordinaire? Et bien c'est à dire que c'est l'écriture M6: des commentaires extrêmement précis, fournis. On laisse assez peu parler l'image toute seule. On « prend les gens par la main », comme on dit. Avec un récit construit du début à la fin. Souvent, on raconte une histoire à travers des personnages, on est très proches des personnages. Les gens s'attachent à des destins, des individus qui sont au milieu d'une histoire, qui vivent ou partagent une histoire, une problématique, une souffrance, un combat. Donc voilà, c'est ça qui fait la spécificité de l'écriture M6. Une écriture très commentée, très présente, un commentaire image très présent, collé à l'image, qui peut même être redondant avec l'image. C'est ce qui fait la spécificité de cette écriture par rapport à d'autres, comme l'écriture du documentaire classique version Arte, version cases documentaires des télévisions publiques sur France Télévision. Vous vous en êtes sûrement aperçue, le commentaire y est nettement moins présent, on laisse parler l'image. Mais cette écriture M6 est efficace car si vous abordez le même thème dans un style documentaire pour Arte, vous avez 800.000 ou 500.000 téléspectateurs pour Arte, et pour Enquête Exclusive, Capital, vous avez 10 voire 20 fois plus de téléspectateurs. -D'accord. Et est-ce qu'il y a quatre ans, il y avait d'autres émissions qui s'apparentaient à Enquête Exclusive? Car maintenant il y a une explosion de ce nombre d'émissions. Euh je pense qu'Enquête Exclusive est une case à part et un style à part. Car par exemple « Complément d'Enquête » c'est fabriqué autrement. C'est plus lié à l'actualité, ce sont des sujets beaucoup plus courts. Le présentateur est sur le terrain mais installé dans un fauteuil. C'est à dire qu'il déplace le studio sur le terrain. Il n'est pas vraiment mobile. En général, il interview des responsables politiques ou des experts. Donc c'est différent. Nous, je pense qu'Enquête Exclusive a un style à part, on a notre domaine à nous. C'est vrai que l'on est très attachés au lieu: on a fait le périphérique, le métro de Paris, on fait des villes. C'est une écriture 360 degrés quand on est sur un lieu ou une ville, ou Roissy ou le périphérique, ou la Ratp... bientôt la SNCF, les trains de banlieues etcétéra... Et on va raconter l'histoire de ce lieu et la problématique de ce lieu, de ce mode de vie, de cette tranche de vie à travers des personnages. 119 -Vous intervenez toujours en fin d'émission, pensez-vous que ce soit la plus-value du programme? Oui c'est vrai que là aussi, on a trouvé avec les plateaux un style et une écriture différente. C'est lié au fait d'abord ben que j'aime ça déjà, et qu'ensuite j'ai fais ça pendant très longtemps du reportage. Donc on poursuit le reportage en étant sur le terrain. En prenant un peu de champ, en prenant un angle particulier. -M6, c'est un peu une autre forme de journalisme, est-ce que c'est inspiré des émissions qu'il y avait dans les pays anglo saxons? Un journalisme par en bas? Par exemple, estce que vous pensez que c'est Capital qui a importé ce style là? Est-ce que vous pensez que vous êtes dans la continuité de ce genre d'émissions? Vous parlez du plateau ou du reportage? -De la façon de construire les reportages Oui c'est à la fois Capital et Zone Interdite. Chaque émission avec son style quand même. Capital est très attaché à l'économie, à l'argent, qu'est-ce que ça coûte? -Ça a pas mal révolutionné le journalisme quand même à l'époque? Oui dans leur écriture oui. En même temps il y a eu la série 24H sur Canal, produit par Capa. Historiquement je crois que c'est Capa, puis les équipes de Capital et de Zone Interdite qui ont installé ce style un peu nouveau. -Quel est le public que vous ciblez en deuxième partie de soirée? Vous savez un peu qui regarde l'émission? Euh...ce sont les CSP+, ménagère de moins de 50 ans, c'est un très large public en fait. Ça dépend des numéros aussi, de ce que l'on traite. Mais c'est une émission plutôt jeune, féminine, voilà mais qui en même temps rassemble un public assez large. Je sais qu'on est très présent chez les jeunes, chez les femmes, les moins de 50 ans et les cadres sup. -Ce serait difficile de mettre ce genre d'émission en première partie de soirée, encore aujourd'hui? Non ce serait possible, mais je pense que ça en changerait encore la nature. C'est à dire que l'on ferait encore moins de sujets étrangers sans doute, et que l'on risquerait ainsi de marcher sur les plates-bandes de Zone et de Capital. -A partir de quand vous a t-on demandé d'augmenter la cadence de l'émission? De passer d'une mensuelle à une hebdomadaire? Ça s'est fait progressivement puisque la deuxième année on en a fait deux fois par mois, la 120 troisième année, trois fois par mois, et la quatrième année l'émission est devenue hebdomadaire. -Pourquoi? Car cela avait rencontré un vrai succès? Oui ça marche bien. -Bon cela rejoint un peu ce que je vous ai demandé tout à l'heure, mais quelles émissions considérez-vous comme étant concurrentes? Même si ce n'est pas exactement comme vous... Je ne sais pas si vous connaissez Enquêtes et révélations sur TF1 qui vous copient peut être un peu... Par exemple j'ai vu un sujet sur la prostitution à Madagascar, c'était encore un sujet international, en format 90 min, voilà on va vous montrer... euh.. La face cachée en quelque sorte. -Oui exactement ya plein d'émissions un peu comme ça. Donc quelles émissions considérez-vous comme vos concurrents? Enquêtes et révélations je crois que c'est mensuel ou bi-mensuel, c'est pas le même rythme que nous. Cette émission me paraît être plus dans la veine de Droit de Savoir, c'est de l'enquête, de l'investigation au quotidien. Ils ont fait quelque chose sur les prix récemment, sur l'alimentation, sur la fraude... Je ne peux pas te dire car je la vois assez peu cette émission donc j'en ai vu de bouts de temps en temps mais.. pas beaucoup. -Et dans le Service Public? Par exemple Envoyé spécial, comment voyez-vous cette émission? Envoyé spécial c'est multi-thématique. C'est à dire qu'ils ne creusent pas qu'un seul sujet. Il y a trois ou quatre reportages chaque jeudi sur des thèmes extrêmement différents. A la fois des sujets de proximité comme on dit, des sujets un peu saga... Le jambon de Bayonne, l'huile d'olive etc... La dernière tournée d'Alain Souchon, de Laurent Voulzy, et en parallèle les pirates de Somalie. Voilà donc ils ont la possibilité en deux heures d'attirer un public large en ayant une offre beaucoup plus large. -Et même eux ont évolué au niveau de la mise en scène, de la musique... avant c'était très sobre, il n'y avait rien. Peut-être que justement l'écriture M6 et toutes les émissions qui s'y s'apparentent ont eu une influence? Oui bien sûr, c'est évident. Ce qui nous condamne à faire plus et mieux, d'inventer autre chose. -Et quelles sont justement les clefs du succès? Votre recette? Euh... difficile à dire, difficile à dire. Parce que maintenant qu'on est hebdomadaire, c'est vrai qu'on a élargit notre palette de sujets. On fait travailler des boîtes de production très 121 différentes, donc elles ont chacune un peu leur style, même si on passe derrière et qu'on réécrit beaucoup, qu'on lisse, qu'on "re cadence" pour donner plus de rythme, pour conformer cette écriture et ces documents qui nous sont livrés ou proposés au style de l'émission qui voilà encore une fois qui est d'être proche des personnages, qui prône l'investigation, toujours dans une optique 360 degrés. C'est à dire que sur un sujet donné, on aime faire partager le point de vue ou l'itinéraire, le combat, de personnes très différentes. Par exemple, quand on fait le trafic d'héroïne en Colombie, on est à la fois avec le trafiquant, avec le policier, avec le cultivateur qui est obligé de planter de la Coca sinon il est enlevé ou tué par les trafiquants, voilà. -Je voulais aussi aborder les tensions que vous avez évoqué avec M6 lors du séminaire de Ligne de Front. Donc vous leur proposez des sujets et après c'est eux qui choisissent? Oui -Ils veulent donc de plus en plus de sujets sur la police, sur la France... donc ils disent que ça intéresse plus? Non, ce n'est pas exprimé comme ça, mais c'est vrai que moi j'ai un statut particulier puisque je suis à la fois rédacteur en chef, co-rédacteur en chef, présentateur, salarié de M6, et en même temps producteur. Donc j'ai une double casquette. C'est donc très difficile d'avoir cette double casquette, même si elle comporte certains avantages, elle a aussi certains inconvénients. Ce qui fait que je suis obligé parfois d'abandonner du terrain sur la rédaction en chef de l'émission, et qu'il arrive qu'on commande des sujets sans me consulter ou à peine, sans me demander mon avis. Bon, c'est pas toujours le cas, mais ça arrive de temps en temps. Et donc bon... le climat est parfois un peu tendu. Mais bon moi je continue à me battre, et il y a Ligne de Front donc je continue à produire pour Enquête Exclusive les sujets à mon avis les plus exigeants éditorialement et les plus difficiles, et notamment les sujets à l'étranger. C'est comme ça qu'on a fait le Mexique, La Colombie, Cuba... -Et pour ça vous avez des enquêteurs à l'étranger? Oui, il arrive qu'il y ait des gens qui nous appellent. Des réalisateurs, ou des gens à l'étranger. -Est-ce difficile pour une boîte de production de conserver son indépendance? On est obligés évidemment de se conformer... enfin c'est ce qui fait aussi la richesse de notre métier. On travaille pour un diffuseur, pour une émission, qui a son style, son écriture, son histoire, ses domaines de prédilection. Et donc il faut s'adapter à ses interlocuteurs et à la case pour laquelle on travaille c'est évident. Donc on apporte sa patte et en même temps on est obligés de se conformer au style et au format de l'émission pour laquelle on travaille. Mais c'est ce qui fait aussi le charme de ce métier. 122 Et c'est pour ça que j'ai crée cette société aussi. C'est pour pouvoir non seulement travailler pour Zone, Capital ou pour Enquête Exclusive et donc pour une écriture M6, qui est relativement formatée, et pour pouvoir justement introduire un peu de souplesse dans cette écriture, dans ce travail, et proposer à d'autres des sujets écrits et conçus autrement. C'est comme ça qu'on a fait une série sur « Qui a tué? ». « Qui a tué Massoud? », « Qui a tué Raffic Hariri? ».. Il s'agissait donc de documents qui étaient du documentaire d'investigation, plus que du reportage d'investigation. Et ensuite, c'est comme ça qu'on a également travaillé pour des chaînes comme Arte, comme Canal. -Et lorsque vous faites un sujet pour Arte, c'est donc complètement différent? Tout d'abord, c'est beaucoup plus réalisé à l'image, c'est moins écrit, moins de commentaires, et voilà on va peut-être être moins attachés au personnage qu'au discours et à la situation. On va mettre un peu plus d'images d'archives, on va contextualiser d'avantage plutôt que d'être justement rivé à une ligne, à un parcours, à une femme. On va prendre un peu plus de champs, on contextualise, on raconte d'avantage la problématique elle même. Ce sont des sujets plus généralistes. -Quelle est votre conception du journalisme? Le journalisme à la base c'est aller chercher l'information, la vérifier, la recouper, et la mettre en perspective. Donc un bon journaliste est celui qui va chercher l'information, qui la sélectionne, la met en image ou en musique... Il va distinguer l'essentiel de l'accessoire. Mais un bon journaliste c'est aussi celui qui met en exergue la bonne information, qui la choisit, en la contextualisant et en racontant une histoire pour faire partager à un maximum de gens cette information qui peut sembler brutale, qui peut sembler superfétatoire. Donc oui un journaliste c'est ça: celui qui va sur le terrain, va chercher l'information, la vérifier, la recoupe et la met en perspective, la met en image. Pour être un bon journaliste il faut donc être passionné d'information, mais également savoir raconter une histoire. C'est ce qu'on disait du papier de presse écrite autrefois. On disait qu'un bon papier de presse écrite est celui qui accrochait le lecteur. Et un bon papier ou un bon reportage en télévision, c'est celui qui accroche le lecteur, pas seulement au début, mais aussi tout au long du reportage, tout au long du document. Donc il y a ce qu'on appelle des ficelles dans ce métier qui permettent justement de raconter, de faire partager la complexité d'une situation en tenant le spectateur en haleine. Vous parliez tout à l'heure de la « spectacularisation de l'information », c'est vrai que c'est une écriture qui peut entraîner certaines dérives, où l'on privilégie le gadget et la petite histoire par rapport au fond, voire on évenementialise ou on met en exergue l'exceptionnel, quitte à abandonner justement l'explication ou la mise en perspective de la réalité elle même. Et c'est vrai qu'Enquête Exclusive, quand je vais à St Domingue ou quand je vais à Cuba, je vais pas m'intéresser à ce qui va bien, je vais plutôt m'intéresser à ce qui va mal. J'ai souvent cette expression: « on va vous raconter ce qui se passe en coulisse, ou l'envers du décors ». Quand on va à Tahiti on va dire: « vous voyez, les plages sont paradisiaques, mais on va vous montrer ce qui se passe derrière, c'est pas joli joli ». 123 En fait, pendant très longtemps, le journalisme ça a été un exercice très épuré, où l'on ne s'intéressait pas forcément à son lecteur et à son téléspectateur, et on s'adressait à la communauté des journalistes, et on se faisait plaisir. Alors ça avait une certaine exigence intellectuelle et éditoriale évidemment, et en même temps, on ne s'intéressait pas assez à ses récepteurs, aux gens qui recevaient votre information. Et puis il y a eu les années marketing qui sont arrivées là dedans et qui ont dit: « attendez, un journal c'est aussi un produit, quelque chose qui doit être façonné pour s'adresser à ses lecteurs. » Donc comment intéresser les lecteurs? Donc les valeurs du marketing ont gagné celles de l'information pour se mettre au service de l'information. Mais aujourd'hui, ce qui risque de se passer, c'est qu'on privilégie le marketing par rapport à l'information en elle même et à la réalité des choses, d'où le danger en effet de déformer.. -Quand vous faites un sujet, il faut obligatoirement qu'il se passe quelque chose. Ouai. Donc il faut toujours être très vigilant pour ne pas tomber dans l'excès, qui privilégie essentiellement la catastrophe, la tragédie, l'émotion, l'exceptionnel en contrevenant à la vérité et à la réalité. -Vous avez peur de tomber dans ce travers là? Bien sûr, bien sûr! Il faut toujours être très vigilant, absolument -Est-ce que M6 vous fait quelque peu pression en vous demandant des sujets super rythmés, où il se passe des choses en permanence? Oui, tout à fait. -Je trouvais que cette année on avait tellement d'émissions intitulées 66 minutes, 90 minutes... Je me disais qu'il y en a tellement que les gens vont peut-être finir par se lasser. Dans ces émissions on veut leur montrer quelque chose de si « exceptionnel » que cela ne l'est plus. Les émissions sont de véritables produits en chaîne. Étonnamment, les magazines d'information marchent très bien. On pourrait penser que les gens se lassent mais en tout cas, ça marche. -Donc Enquête Exclusive est un magazine et non un documentaire. Pouvez-vous me rappeler la différence? Le magazine, c'est un traitement beaucoup plus journalistique encore une fois, pas news mais magazine. C'est à dire qu'on est pas dans l'actualité, mais à côté. On approfondit beaucoup plus, par rapport à ce que fait un journaliste de news qui est condamné à faire deux ou trois minutes. Et puis le documentaire, c'est une écriture beaucoup plus réalisée. Ce ne sont pas forcément des journalistes qui réalisent les documentaires. Ils s'intéressent à un aspect des choses, ils ont un angle plus artistique, un choix beaucoup plus personnel, beaucoup plus subjectif. Alors que dans l'écriture journalistique, le journaliste se doit de conserver une certaine 124 objectivité. -Dans la construction des émissions, elles sont toujours montées un peu de la même façon? Y a-il des séquences au niveau de la rythmique? Les séquences sont inspirées par le résultat du tournage, des images que l'on a ramenées. Voilà, donc après il y a des pleins et des déliés dans un bon sujet télévisé. -Donc il n'y a pas forcément, de « recette », à part le fait qu'il y ait une petite introduction pour raconter ce qu'il va se passer, des rappels aussi, c'est assez important. Sur Arte par exemple, on ne va pas dire voilà il va se passer ça... attention! Oui. -Pourquoi a t-on fait le choix de ce format 90 minutes pour Enquête Exclusive? Enquête Exclusive c'est du 52 minutes, plus 15 ou 20 minutes de plateau. C'est une question de format, c'est une question de place sur la grille. Il y a un bon magazine de 90 minutes avant. Zone ou Capital ça fait entre 100 et 110 minutes, et puis il y a une émission après. Il y a 100% foot au cours de l'année, c'est donc une problématique de grille. -Ce n'est donc pas évident de tenir un reportage si long, ce n'est pas quatre petits reportages. Ça vous prend combien de temps à peu près? C'est une émission hebdomadaire, donc il y a toujours entre 12 et 15 numéros, voire plus, en préparation. Soit en enquête, soit en tournage, soit en montage, soit déjà montés et sur une étagère, ce qui est assez rare quand même! Car on a un rythme de travail assez infernal, on a pas tellement d'avance. Donc voilà, c'est entre six mois et un an de travail. I y a des sujets plus durs que d'autres. Tahiti on va le tourner là et on l'a déclenché il y a un mois, un mois et demi. L'équipe est partie quinze jours après, là ils viennent de rentrer, ils vont commencer à le monter la semaine prochaine. -Et vous quand vous partez sur le terrain, comment cela se passe? C'est quelqu'un qui vous a déjà préparé vos interlocuteurs etc... Oui j'ai une équipe à M6 qui travaille avec moi, et qui affine les angles et prépare le terrain, prend les rendez-vous etcétéra. -Après au niveau des questions, vous avez toute votre liberté? Oui complète. -Comment préparez-vous votre intervention, en étant catapulté dans des pays si divers? A chaque fois, je pars avec une bonne doc, je travaille dans l'avion et puis voilà. J'ai l'avantage de l'âge et de l'expérience. 125 -Que pensez-vous que cela apporte votre petit plateau à la fin? Les audiences sont bonnes sur les plateau en général. La courbe est bonne, ce qui fait qu'on a commencé à faire des plateaux de cinq ou six minutes, puis de sept ou huit, dix... puis aujourd'hui on est à 20 ou 25, parfois même 30. Tant et si bien que j'ai proposé à la chaîne une émission de prime que l'on va commencer à produire à la rentrée dans laquelle je serai présent du début à la fin. Les thématiques seront transversales: où va t-on habiter demain? Ces grands animaux en voie de disparition, les plus grandes prisons du monde. -Dans votre émission sur la mafia en Sicile, vous étiez très présent non? Oui car je l'avais réalisé de bout en bout, c'est un film que j'avais fait, que j'avais tourné tout seul, enfin avec Anne. C'est vrai que je m'étais pas mal impliqué parce que je parle italien et donc c'était plus simple. C'est pas facile de trouver des réalisateurs qui parlent bien italien. Moi je parle bien italien et comme c'est un sujet qui me plaisait je l'ai fait. Ce n'est pas évident de conceptualiser tout ça, mais voilà ce qu'il faut savoir c'est qu'on prend le téléspectateur par la main par rapport à un documentaire classique, qu'on commente énormément, qu'on est très proches des gens, qu'on a une écriture très séquencée, c'est à dire que l'on ne va pas prendre des images prétextes sur lesquelles on va coller un commentaire pour décrire la généralité d'une situation. On va au contraire aller au général en partant du particulier. -On dénoue le complexe pour le livrer au spectateur. Le téléspectateur partage ou appréhende une réalité à travers des gens que l'on suit et dont on fait le portrait. Sans interview statique mais en les accompagnant sur le terrain, en partageant leur vie quotidienne. Voilà, c'est une écriture par la séquence, beaucoup plus que par l'image elle même. -Justement, s'ils privilégient les sujets français c'est pour l'identification? C'est important dans un reportage que les gens puissent s'identifier? Oui, tout à fait, c'est moins évident à l'étranger. Et c'est vrai que c'est un peu dommage. Donc parfois pour parler de l'étranger, il faut partir de la France. Quand on a fait les vendeurs à la sauvette, on s'est intéressés à la secte des Mouridess, mais on est partis du pied de la Tour Eiffel. Les gens étaient au rendez-vous d'ailleurs. Quand on a fait un film sur le trafic de pièces détachées entre la France et le Bénin, on est partis de la problématique du marché de l'occasion en Belgique, en France etcétéra... Et on a suivi deux jeunes français qui partaient vendre leur voiture en Afrique. Et c'est grâce à cette astuce, à ce procédé, ce choix, que l'on a pu intéresser les téléspectateurs à cette problématique du trafic de métaux, de la débrouille dans certains pays d'Afrique, avec le génie Africain, cette capacité à recycler tous les matériaux. 126 -Moi j'ai vraiment vu l'évolution de l'émission, je regardais en septembre, et j'avais bien aimé l'émission sur Moscou et les nouveaux riches, mais c'est vrai qu'au fur et à mesure, il y a eu de plus en plus de sujets sur la police par exemple. Mais du coup, cela enlève la spécificité d'Enquête Exclusive. Cela ressemble plus à Zone Interdite. Absolument. Je suis tout à fait d'accord. Mais les gens viennent. Hier, on fait l'autoroute et cela a cartonné. Entretien avec Vincent Nouzille, enquêteur freelance pour l’Express, auteur de divers ouvrages d’investigation et professeur au CFJ. -Comment le journalisme d'investigation a émergé en France? Et bien tout d'abord, le journalisme d'investigation, c'est un pléonasme bien évidemment, puisque qui dit journalisme dit enquête a priori. Sauf que par rapport à des grands pans du journalisme qui, par exemple en France, sont plutôt des journalismes politiques, militants, issus de la presse d'opinion d'après-guerre, où le point de vue politique était plus important que l'information en tant que telle. Ça, c'était le modèle dominant en France. D'ailleurs, les grandes figures du journalisme c'était plutôt soit des figures de la télé, soit le patron du monde qui s'appellee Colombani et qui est issu du service politique, ou Serge July qui était l'éditorialiste de Libération. Il s'agissait donc de la figure du commentaire, du brillant commentaire à la française. On sait faire ça. Et donc cette image du journaliste d'enquête, soit elle n'existait pas, soit elle était sous-évaluée et décotée dans les rédactions, donc l'enquête, ça n'existait pas. L'autre figure qui était valorisée à l'époque, c'était celle du grand-reporter. L'homme qui va courir les conflits, la planète. A la fois un peu missionnaire, à la Albert Londres, c'est à dire qui défend une cause et qui en même temps rapporte les faits. Donc là c'est les figures dominantes que l'on retrouve dans le prix Albert Londres. Donc premier volet très valorisé, le reportage, l'écriture, la narration. Deuxième volet, l'éditorialisation politique. Le journaliste d'enquête, le besogneux, celui qui allait chercher les informations sur le terrain, n'avait pas vraiment sa place. La vraie révolution se passe aux États-Unis avec donc les grandes affaires politicofinancières, le Watergate. Les journalistes du Post ont des informations provenues d'une « deep throat », qui est en fait le numéro 2 du FBI, a t-on appris récemment. Ces informations montraient comment le président Nixon avait non seulement fait poser des micros dans les locaux des démocrates en 1972 lors de la campagne, mais aussi avait empêché la justice de faire son travail en détruisant des documents, et donc fait obstruction 127 à la justice, ce qui était aux États-Unis finalement plus grave que les faits initiaux. Donc les mecs du Washington post publient ces documents, ce qui provoque l'impeachment, et donc la destitution de Nixon. Donc cette figure, c'est l'enquête qui fait tomber le Président. -Les sociologues critiquent souvent ce mythe du journaliste d'investigation « justicier », défenseur de la démocratie. Je voulais donc avoir votre point de vue à ce sujet en tant que journaliste d'investigation:comment envisages-tu ton métier? Et bien écoute, ce modèle du journaliste justicier a été très valorisé dans la presse américaine évidemment, et aussi dans la presse français un petit peu en échos en disant « Oh lala, qu'est-ce que c'est notre Watergate à nous? » Alors en France on a le Canard Enchaîné qui est une espèce de sanctuaire, où dans le fond c'était le seul endroit où l'enquête et la satire, un mélange des deux assez étonnant, avait le droit de cité. Donc c'était le canard enchaînéqui « sortait les affaires » contre Giscard etc.. Puis, au début des années 80, milieu des années 80, l'enquête se diffuse dans l'ensemble de la presse, et ça devient un genre en soi. C'est le Monde avec l'affaire Greenpeace, c'est l'affaire du sang contaminé avec une nana qui s'appelait Anne Marie Casteret à l'évènement du Jeudi, c'est le tandem Marion qui était au Canard Enchaîné et Plenel qui était au monde qui sortent plein d'affaires sur Mitterand, et quelque part, avec l'émergence de la figure du juge qui s'émancipe du pouvoir politique. -Le juge rouge? Le juge rouge d'abord mais après le juge tout simplement qui dit il n'y a pas de raisons de ne pas faire d'enquêtes sur la dérive des affaires politiques, sur les abus de biens sociaux, donc toute la délinquance politico-financière. Et bien dans le fond il y a une espèce d'alliance objective entre la figure du juge, qui va tenter de faire bouger les choses du côté judiciaire, et la figure du journaliste d'enquête, dit d'investigation, qui va à la fois rendre compte du travail du juge, l'anticiper parfois, ou se servir PV pour relater l'affaire Elf, les affaires Crédit Lyonnais... Puis dans le fond tout ça va arriver à un autre stade. A un moment il y a une espèce d'érosion. D'une part, étant un peu trop dépendant des juges, on accuse le journaliste d'être trop en osmose avec l'appareil judiciaire, ce qui est un vrai reproche puisque dans le fond, chacun doit avoir sa propre logique, et les pouvoirs ne peuvent pas se mêler. Le quatrième doit être indépendant du troisième, sinon c'est pas drôle. Et puis d'autre part, sur le fond, il n'y a pas que les affaires financières et politiques qui méritent enquête. Donc en fait ya eu dans tous les hebdos, les magazines... des figures de gens qui sont nés et qui ont constitué des cellules d'enquête, à l'événement du jeudi, au Point, à l'Express où j'ai été pendant longtemps dans ces mouvances là. Alors on suivait le terrorisme, les enquêtes judiciaires, la justice... enfin voilà. Et puis progressivement, les affaires politico-financières ont un peu décliné, les gens en ont eu un peu ras-le-bol. Le juge s'est aussi un peu épuisé, il est rentré dans le rang. Maintenant on lui met carrément la main dessus, on veut l'écraser. Puis du côté des médias, et bien ils ont trouvé que ça coûtait un peu cher, que ça intéressait un peu moins le public, que y'en avait ras-le-bol d'entendre toujours les histoires sur Tapis... Donc ya une espèce de lassitude, sans compter la crise de la presse écrite: ça coûte cher, ça prend du temps, qu'est-ce que l'on va sortir comme scoop? Plus le fait que les médias se diversifiant, 128 la télé prenant un peu de pouvoir aussi, un certain nombre d'émissions d'enquêtes à la télé ont émergé. Alors c'est Canal +, c'est Envoyé Spécial... -Il y a un caméraman qui m'a dit que c'était 52 minutes à la Une, selon lui, la première émission d'investigation? Oui, oui on pet dire ça. En tout cas c'est peut-être pas la première mais c'est l'émission phare. Et maintenant t'as eu le droit de savoir sur TF1 qui n'était pas une vraie émission d'investigation, on suivait des flics! Après tu as Enquête Exclusive sur M6 avec machin, Complément d'Enquêtes. Donc l'enquête est devenue à la télévision un vrai genre. -C'est justement mon axe de réflexion. Il y a un an et demi, lorsque j'ai choisi mon sujet j'ai constaté une explosion de ce nombre d'émissions. Il y a 90 minutes enquêtes qui reprend le titre de Canal + sur TMC, qui propose les même sujets qu'Enquêtes et Révélations sur TF1. Enquête Exclusive qui refile ses sujets à Enquête d'action sur W9, sans même changer le titre. Et ils se targuent de faire de l'enquête alors qu'ils n'ont peut être ni le temps ni le moyen de le faire. En fait oui, il y a une espèce de précipitation dans le genre et dans l'accumulation de scoops et pseudos révélations qui dans le fond ne rime pas avec grand chose. On a vu 10 fois les filières de la prostitution... -La police, les accidents de la route... On suit les équipes de la BAC en banlieue, c'est toujours la même chose. Alors, c'est pas inintéressant, mais ça manque un peu de diversité dans les sujets traités, dans la manière de les traiter. -Vous considérez ces émissions comme de l'investigation? Je vouais également savoir si vous considérez qu'il existe une différence entre l'enquête et l'investigation? Non pour moi c'est la même chose. A partir du moment où l'on commence à creuser un sujet, à tenter d'avoir des informations et des scoops, à mélanger le terrain, l'analyse et l'information nouvelle que l'on va chercher chez les sources officielles ou officieuses, et bien cela s'appelle faire de l'enquête. Si c'est uniquement raconter ce que l'on voit, cela s'appelle un reportage. Par exemple, un reportage en banlieue: insécurité, on suit une équipe de policiers etcétéra. Après, si l'on veut déterminer qui contrôle le trafic de stup dans telle cité, et bien c'est une enquête puisque là faut aller voir les flics, les magistrats. On ne va pas raconter tout ce que l'on voit, mais on va tenter d'avoir cerné les infos. Est-ce que c'est la bande de machin? Les mecs ont-ils été poursuivis? D'où viennent les dealers? C'est la différence entre balader sa caméra à la recherche d'un spectacle ou d'une séquence, et à mes yeux, faire une enquête. -Et justement, ces émissions qui estiment qu'elles font de l'investigation, qu'en pensezvous? Avec leur multiplication, ne sont-elles pas vidées de sens? 129 Oui avec la multiplication et la surenchère, ça perd un peu tout son sens. Mais de mon point de vue, ya toujours énormément de sujets d'enquêtes qui ne sont toujours pas traités à cause du mimétisme des télés comme de la presse écrite. Les sujets du parisien sont repris à la télé, et vont donner lieu à des enquêtes, qui vont repartir au Parisien, puis à RTL... Voilà, donc il y a une espèce de cercle comme ça.. Cela ne veut pas dire que tout ce qui en sort soit mauvais, mais il y a 10 000 autres manières de trouver des infus et d'avoir des idées de sujets qui peuvent être très grand public, très concernant, mais qui n'ait pas été vu 10 000 fois. Donc l'enquête ça reste toujours à réinventer, des sujets d'enquêtes y'en a toujours des tonnes, il suffit de ne pas être là où des milliers de projecteurs éclairent déjà. D'ailleurs c'est un bonheur pour un indépendant comme moi car il y a toujours des sujets qui sont délaissés: historiques ou encore à la frontière de deux mondes. Souvent dans les rédactions tu as des services: santé, politiques, économie... Très souvent ces gens ne se parlent pas ou ne travaillent pas ensemble, ne mélangent pas leurs sources. Du coup, il y a plein de sujets qui sont souvent à la frontière de ces domaines et qui sont délaissés. Je te donne par exemple une illustration: les domaines de santé environnementale, sur lesquels j'ai travaillé c'est à dire pollution du type à l'amiante, pesticides.. c'est quoi? C'est de la santé? De l'environnement? De la Politique? Société? Donc tu vas mélanger les sources: faut aller voir le procureur, faut aller voir le médecin du travail, l'entreprise qui pollue, les pêcheurs à la ligne. Voilà, le fait de faire toute cette tournée c'est d'abord une ouverture d'esprit, une capacité à mélanger les approches: qu'est-ce qu'une procédure judiciaire? Qu'est-ce qu'un règlement environnemental? Ce que c'est qu'une autorité administrative? Comment fonctionne une entreprise? -Donc on peut faire des sujets sur tout type de sphères, et pas seulement politicofinancière Donc voilà c'est typiquement des sujets, comme par exemple dans le sport, où tu peux aller car il n'y a personne. Donc les coulisses des négociations des droits sportifs à la télé, tous les sujets sont possible, y'en a des kilos. Moi à un moment donné avec une de mes collègues journalistes on s'est dit, « tiens on va faire un truc sur les lobbyistes ». Pourquoi? Car les journalistes traitent de l'actualité politique, ils parlent des partis, de l'actualité présidentielle... ils ne regardent absolument pas ce qu'il se passe dans les coulisses de l'Assemblée. Et les gens du service économie, ils voient les entreprises... Personne ne fait le rapprochement. Et à un moment donné il suffit juste de se pencher un peu sur le sujet pour voir que telle ou telle société une société, ou tel élu fait la Tel élu qui est complètement vendu, et qui fait la promo avec les amendements clefs en main. Tu te dis tiens, ce sont des réalités cachées que personne ne regarde. Pourtant, il suffit d’un peu se pencher dessus pour les découvrir et les mettre en jour. -Dans son livre qui a tout de même 10 ans, Mark Hunter établit une différence entre le journalisme d’investigation à l’américaine qui aurait établi une « méthode » à la portée de tous les journalistes désireux de faire du journalisme d’investigation, et les journalistes français qui se basaient plus sur leur Capital source. Alors aujourd’hui, où en est-on, et notamment dans la formation ? 130 Alors je pense que cette distinction est encore un peu opérante, c'est-à-dire qu’effectivement aux États-Unis c’est plus vu comme une méthode et une boîte à outils, et en France comme un service à part dans une rédaction (je caricature certes), et ne traitant qu’un nombre de sujets limités. Je pense qu’on est quand même en train de sortir de ça, un peu grâce à la télé quand même, et un peu parce l’on s’est un peu lassés des mêmes sujets. Donc aujourd’hui, il y a une nouvelle manière de traiter les choses. Et moi je suis de ceux qui tentent de délivrer un message aux étudiants en journalisme : prenons le meilleur de ce qui existe chez les anglo-saxons, c'est-à-dire la technique d’enquête, la boîte à outils. N’ayons pas d’œillères sur qui va le faire, et sur quel sujet on va le traiter. Soyons très ouverts, la boîte à outils c’est pas : « Je suis le journaliste qui a ses sources , je ne peux rien vous dire » . D’ailleurs souvent les journalistes dits d’investigation en France se détestent les uns les autres et ne travaillent jamais ensemble, ils sont jaloux de leurs scoops… Alors que bon voilà il y a parfois une intelligence collective à échanger des idées, des sources, ya parfois une méthodologie à partager : sur c’est quoi les sources ouvertes, les sources fermées, les sources semi-ouvertes… On a également le « data journalism », très anglo-saxon, mais que tu peux appliquer en France. Plus tu as de données ouvertes, ce qui est quand même plus souvent le cas, plus tu peux agréger des informations et trouver des choses intéressantes comme par exemple le lobbying à l’Assemblée, la présence des députés, sur les ministres… Dans le mesure où un certain nombre de documents sont de plus en plus mis sur la place publique : le rapport de la cour des comptes etcétéra… Le fait d’aller collecter un certain nombre d’informations un peu éparses, parfois de façon un peu ingrate : le data journalism… Tout à coup tu peux créer des sujets passionnants ! Classement des hôpitaux les moins sûrs… voilà. -On a également dit que si le journalisme d’investigation avait mis du temps à émerger en France, c’est à cause de l’accès difficile aux sources publiques contrairement aux ÉtatsUnis.. Est-ce toujours le cas ? Bonne question. Alors on a pas beaucoup progressé. On a quand même une amélioration grâce à la multiplication des sources et des sites car l’on met plus de choses en ligne. Donc en gros, l’information qui est disponible est décuplée par rapport à ce qui était le cas il y a 10 ou 15 ans. Donc cette question semble plus ou moins réglée. Mais en réalité, elle ne l’est pas tout à fait, pour des raisons de fond, des raisons légales. En France, on est sur une posture où toute l’information publique, c’est quand même un truc qui est encore assez verrouillé. La preuve c’est que pour obtenir les contrats sur l’achat de vaccins contre la grippe A, le Point a du demander quand même le fameux recours à la CADA (Commission d’Autorisation d’Accès aux Documents Administratifs), qui a fait pression sur le ministère de la santé pour délivrer les contrats en disant que c’était tout à fait justifié que ces contrats soient rendus publics étant donné qu’ils concernent des données publiques. Mais c’est pas automatique ! Alors que dans d’autres pays, comme aux États-Unis, tu as le FOIA (Freedom of Information Act), qui est extrêmement important puisque c’est un droit, on ne peut pas t’opposer cela. S’ils refusent, c’est à eux de se défendre. Ils sont obligés de te répondre. Après ils peuvent jouer la tactique du temps, de retarder la réponse, mais ils ont obligés de te répondre. Tu es dans une position tout à fait différente. Ce qui est d’ailleurs le cas pour l’accès aux archives tout court. Aux États-Unis, les archives sont déclassifiées de manière 131 automatique, donc tu peux faire des demandes d’accès. En France, en gros, la loi t’interdit tout, sauf dérogations à la tête du client, que tu montres patte blanche. -Dans les rédactions, qu’en est-il de l’indépendance, les télés sont détenues par de grands groupes, qu’en est-il ? Selon moi, c’est devenu un faux débat. Pour plusieurs raisons : tout d’abord, la concurrence entre les médias est très vive, et l’apparition de la presse Internet décuple cet effet. Du coup, si une information est étouffée à un endroit, elle ressortira autre part. Globalement, c’est quand même la tendance de fond : le marché est de plus en plus ouvert, du coup, le contrôle de l’information devient de plus en plus difficile pour tout groupe économique, politique… Cependant, le contrôle d’un certain nombre de grands groupes industriels sur les grands médias, les grandes télés françaises est quand même un espèce de vis congénital, qui est très français d’ailleurs. Certes, la dérive est encore plus grande en Italie, mais ce n’est pas le cas dans les pays anglo-saxons ou comme en Allemagne où il y a quasiment interdiction constitutionnelle aux groupes industriels de détenir des groupes de médias. Ce sont donc des groupes de médias qui se sont constitués tout seuls, si je puis-dire. Mais, personne n’imaginerait que Siemens ou Bmw achète une télé. Alors c’est lié à l’histoire de l’Allemagne au moment où les grands groupes industriels allemands étaient au service de la propagande du Reich, donc si tu veux, il y a un passé. C’est la Cour Constitutionnelle qui voilà. Donc ce mur existe, cela autonomise les médias et leur donne une force. Ça leur a donné au fond une puissance de feu plus grande. En France, cette frontière n’existant pas, les réglementations étant très limitées, et bien effectivement on est face à un perpétuel mélange des genres entre qui contrôle qui, qui couche avec qui ? -Tu m’as dit que dans la presse écrite, les gens se sont lassés des scandales politicofinanciers… Oui et bien tu vois moi je le vois bien. Quand j’étais à l'express, j’ai bien vu que le système s’épuisait. Que ce soit Denis Jambart ou Christophe Barbier qui sont deux brillants journalistiques politiques, au début ils te soutenaient et puis à la fin ils disaient « Oh ça fait chier encore tel sujet, encore tel scandale», voilà c’était fini quoi. Alors ils ne disaient pas aussi brutalement, ils disaient plutôt « Oh on ne pourrait pas faire autre chose ? », sauf si on en était au 40ème épisode de telle affaire judiciaire. Mais ce que je veux dire c’est que du coup cela a un peu écrasé le mode et les services d’investigation. Par exemple à l’Express, le service investigation a disparu. Il a été refondu dans le service France. Alors les mecs se ressoudent entre eux à l’intérieur du service France tu vois, mais ce que je veux dire c’est qu’il y avait une autonomie de ces services qui a un peu disparue. -Mais alors à la télé, il risque d’y avoir cette lassitude là vue l’homogénéité des programmes ? C'est possible. La question va être: un, sont-ils capables de se renouveler sans se copier tous les uns les autres. Ce qui est une grande question! Et deux: dans les modes narratifs, qu'estce que l'on va trouver autre que « je suis le héros,je suis la brigade de police dans la banlieue en train de se faire matraquer ». 132 -J'avais parlé de cela avec Bernard de la Villardière, et c'est vrai que l'on observe qu'Enquête Exclusive à la base traitait de sujets internationaux, certes sous l'angle prostitution, corruption etcétéra... puis de plus en plus on leur a demandé de faire des sujets franco-français... Ya un mélange maintenant, il fait cinquante cinquante. C'est à dire que pour préserve l'audience, ils sont obligés de faire cela. -Même Envoyé Spécial est en train de changer... Oui, ça vieillit, ça fait ringard je trouve maintenant. -C'est à dire qu'ils copient un peu le mode d'écriture des autres. Ben oui ils sont obligés car leur mode d'écriture, leur présentation d'émission, c'est d'un ringard absolu. T'as l'impression d'avoir toujours les même gens, toujours les même types de sujets. Comme ils sont obligés de faire ça en prime time, il faut quand même qu'ils intéressent le plus grand nombre. Du coup, les sujets c'est obésité, poids, police, portrait d'une star... Car ça va marcher. Donc le grand magazine d'enquête aujourd'hui n'existe plus. Un peu Canal quand même. -Canal + a viré son émission d'investigation cependant. Oui, mais ils continuent tout de même à faire des trucs, mais c'est plus difficile. Je connais bien l'équipe. Ils ont beaucoup soufferts, ils sont un peu devenus leur propre caricature. Paul Moreira incarnait le journaliste d'enquête qui allait sur le terrain. Ils avaient inventé un mode d'écriture d'enquête assez offensif, où même le journaliste se mettait en scène. Aujourd'hui, faut peut-être trouver autre chose. Faut très certainement varier les sujets. Mais qui prend des risques aujourd'hui dans des enquêtes à l'antenne, dans la presse écrite? Qui va donner le temps de travailler trois mois sur un même thème... ya très peu de gens. Donc une partie de l'investigation s'est déportée sur l'édition. C'est d'ailleurs mon cas. Donc tu as une plus grande liberté, enfin si tu vends des livres évidemment. -C'est dommage, beaucoup de français, lorsque je lis les forums, regrettent que les émissions d'investigation soient en train de mourir. Elles ne sont pas vraiment en train de mourir car elles existent encore. -Mais les gens en ont marre qu'on les prenne pour des débiles. Ils disent qu'ils sont capables de comprendre plus de 300 mots dans un sujet. Exactement car les émissions ont été totalement formatées, il faut qu'il y ait de la séquence qui bouge... -Incarnation des personnages... c'est le modèle M6. 133 Exactement, c'est le modèle Capital, Zone Interdite. -C'est quand même fou que sur toutes les chaînes on aie les mêmes voix, les même modes de narration. Voilà, maintenant, sur les chaînes comme France 5, tu peux avoir du documentaire qui soit plus travaillé. Ce sera moins de l'enquête, ce sera plus du documentaire. D'ailleurs, cette frontière est de plus en plus ténue à certains égards. Le documentariste classique, celui qui fait des reportages sur des animaux, il existe toujours. Mais les gens veulent du documentaire qui bouge un peu plus, qui soit plus intéressant, plus vivant, qui va faire échos à quelque chose que tu connais, ou que t'as envie de découvrir. Donc le genre n'est pas mort, et ce n'est pas à cause de la censure politique ou machin... ce sont des conneries, car le mec qui a vraiment des couilles, il va le faire. C'est plus un problème de mimétisme général, de peur de perdre de l'audience. -Et c'est vraiment le cas donc s'ils font des sujets internationaux, ils perdent de l'audience? Ah oui oui, c'est clair. Donc la prise de risque ils la mesure. Tu vois Bernard de temps en temps il en met un, tu vois il est obligé de composer. Comme il est en première partie de soirée, il a un peu plus de liberté. Mais si t'es en prime time comme à Zone Interdite, t'es obligé d'avoir des sujets toujours concernant, toujours racontés de la même façon, sinon tu perds tes positions. Alors, l'international par définition, vend moins que le français. -Et même à l'international, c'est toujours traité de la même façon: drogue, prostitution.. N'y aurait-il pas moyen de traiter cela différemment? En même temps, que les sujets soient concrets, qu'on suive des gens impliqués dans la lutte contre la drogue par exemple, c'est très bien, vaut mieux avoir ça que des mecs dans un bureau qui te disent, voilà ce que je pense de l'évolution du monde. On s'en fout un peu. Donc je comprends qu'on ait besoin de héros et de personnages qui vont tirer l'histoire, mais quelque part, on ne renouvèle pas les sujets. Car quelque part, même sur le trafic de drogue, je n'ai pas vu depuis longtemps de sujets sur l'Afghanistan, premier producteur mondial d'héroïne car c'est compliqué à faire, cela demande de prendre des risques, parce qu'il faut aller sur place, faut faire une expertise. La construction de sujets comme cela que de faire la filière de prostitution... -Alors ce que Bernard de la Villardière me disait aussi qui était intéressant, c'est qu'il pouvait tomber dans le piège de déformer le réel, et de tendre vers ce qui ne va, et limite faire surjouer les acteurs. Qu'en est-il dans la presse écrite? On est beaucoup moins dans cette problématique là de la mise en scène. D'abord, tu peux la fabriquer complètement de ta plume, donc là aussi ya des gens qui bidonnent complètement. 134 C'est encore un autre problème. A l'image, c'est plus compliqué, il faut vraiment fabriquer le bidon. Donc en presse écrite, la question se pose tout de même moins, mais après c'est estce que t'es faignant, ou est-ce que t'es pas faignant? Est-ce que t'as une espèce de paresse intellectuelle qui fait que tu vas toujours faire les même sujets avec les même types d'approche, ou est-ce que tu vas t'ouvrir sur des nouveaux horizons? Par exemple, c'est quoi les coulisses de Luc Besson: qui il est, comment travailles t-il, où va son pognon, est-ce qu'il est lié à tel politique pour sa cité du cinéma en Seine-St-Denis? Typiquement, c'est le genre de sujet qu'on m'a demandé pour les inrocks mais que je n'ai pas fais car je n'ai pas le temps. Je te donne cet exemple car c'est vraiment un bon exemple. C'est typiquement le genre de personnage qui soit est critiqué, soit est mis sur un pied d'estale, mais tu restes toujours dans les apparences. Les pages culturelles vont le traiter ou les pages ciné. Mais tu as le droit de faire une vraie enquête sur ce mec. Comment il travaille... Il est moins primaire qu'on ne le croit, plus business man... voilà, intéressant! -Et dans les pays anglo-saxons, je connais mal leur situation... eux aussi ils souffrent de la même chose? Et bien je pense qu'ils sont confrontés au même type de problèmes économiques. Toutes les rédactions des grands journaux sont en train de faire laminer. Ils perdent de leur lectorat. Donc leur modèle économique est en train de s'effriter gentillement avec l'avènement d'Internet. Donc la question c'est de savoir comment ils basculent d'un monde à l'autre, vers le numérique, et comment ça leur permet de garder un contenu éditorial fort, pertinent et diversifié. C'est une vraie question pour les journaux. Et la question de l'enquête là dedans, quelque part, c'est une opportunité formidable pour inventer de nouvelles manières de raconter, faire du web documentaire, innover sur le site avec le son, l'image... Bref, tu peux faire plein de choses, ce que fait le NY Times très bien par exemple. Mais la question de savoir combien tu mets sur la table pour faire une vraie enquête, ça reste une la question centrale. Chose que les journaux français n'ont quasiment plus le temps de le faire, et que les télés ne font pas par faignantise ou par crainte de perdre leurs parts de marché. Donc ce modèle là fonctionne pareil pour la BBC et les journaux, mais avec des médias qui partaient de plus haut, qui avaient plus de puissance, plus d'autonomie. En France, on a une presse fragilisée, avec une question de rapport au pouvoir politique plus complexe, du fait de la connivence un petit peu classique des journalistes. Du coup, on part d'une position plus faible, et le questionnement est donc plus fort pour retrouver une originalité, une curiosité, un côté offenssif. Cela est fascinant. Un même sujet fait pour la presse écrite et la télé, la télé, ils craignent comme des malades en fait. C'est fascinant. J'ai fait par exemple un bouquin sur les lobbyistes, dont on a fait une couverture dans l'Express, qui révèle que Frédéric Lefevbre était à la fois conseiller de Sarkozy, et lobbyiste, ce qui est quand même un conflit d'intérêt majeur. Donc un vrai scoop. Il supportait une société qui elle-même faisait du lobbying pour les casinos, or il est conseiller du Ministre de l'intérieur qui délivre les autorisations. Alors, on met tout ça dans la presse. Nous, ça passe comme une lettre à la poste. On a le bénéfice du scoop, on le met dans le bouquin, on est absolument pas attqués car on est béton armé. Les équipes de Canal + font le même sujet quasiment en même temps, et sont obligées de s'appuyer sur ce qu'on sort nous pour pouvoir justifier leurs infos. On leur file d'ailleurs les 135 preuves, et ils subissent des assauts de Sarkozy pour les empêcher de publier leur truc. Censure, menaces... etcétéra. Finalement, ils passent leur truc, mais le producteur du sujet et le réalisateur sont blacklistés de Canal + pendant 6 mois. Donc nous, en tant que journalistes de presse écrite, on sort le truc, on en a rien à foutre, on sait qu'on est en béton armé. S'ils nous attaquent, on sait qu'on ne craint rien, mais ils ne font même pas pression sur nous. En revanche la télé, présumée plus puissante, présentait des séquences où il y avait 10 fois moins d'infos sur le sujet que dans le bouquin, mais qui mettaient en scène Frédéric Lefebvre lui-même. Nous, on l'avait interviewé, il nous avait répondu, voilà. Mais quand on le voit à l'image en train de dire, non, je ne veux pas répondre, ça suffit pour créer un problème. Donc tu vois ce que je veux dire, c'est que pour la même enquête (on ne s'étaient même pas concertés d'ailleurs, on a décidé de travailler ensemble finalement, c'était plus intelligent pour s'aider), quelque part c'était mieux qu'on la sorte en premier, car sinon, ils n'auraient jamais pu sortir leur truc sur Canal +. Mais malgré ça, nous on avait l'essentiel des infos, eux ils avaient la séquence qui tue, et c'est cette séquence qui a posé un maximum de problèmes, qui leur a valu des déboires. Donc, ça veut pas dire que c'est pareil pour tout, mais la prise de risque est plus grande dans certains domaines. On se rend compte que si on veut, on peut y aller très fort, et notamment dans la presse écrite, pour peu qu'on soit raccord sur l'enquête, les sources, le croisement des sources, bref que l'enquête est sérieuse. Souvent en télé ya une espèce de volonté à la fois de faire des trucs très spectaculaires, et en même temps, au bout du compte, ça se termine avec scènettes, qui bon sont spectaculaires mais dans le fond, la qualité de l'information peut être assez bonne, mais elle est quand même assez minime par rapport à ce qu'on pouvait sortir nous en presse écrite. Mais c'est intéressant de voir comment ça s'est passé en même temps, et on a vu qu'il y en a qui ont subi des coups pour vraiment des conneries, et nous on est passés tout droit, et ça m'a montré qu'à la télé c'était parfois plus difficile. Parce qu'il te faut de la séquence, et si tu as de la séquence qui est embarassante pour le mec, comme l'impact de la télé est plus fort, la mise en cause est plus difficile. Donc c'est pour ça par exemple que Charles Villeneuve avait délibéremment choisi de faire les bacs en banlieue comme ça il suit les flics, l'entraînement du GIGN. C'est du publireportage pour le Ministère de l'Intérieur. -C'est cela qui est embêtant. Par exemple vous avez Envoyé Spécial qui traite de ce type de sujet, ils vont quand même avoir un autre angle: combien de plaintes ont été portées contre la police. Alors qu'enquête d'action, ils vont suivre la brigade d'élite, et y'aura pas trop de sens critique. Donc ça c'est plus du reportage que de l'enquête. Exactement. Alors en plus, pour finir, aux Etats-Unis, on distingue deux boîtes à outils: Investigate journalism, et narrative journalism. Le premier c'est donc vraiment la boîte à outils pour chercher les infos, il y a beaucoup de journalistes qui sont devenus des grands specialistes de cela. Le second, c'est comment on écrit une histoire, comment on va avoir un héros. C'est ce qu'on appelle au fond un reportage, je suis au plus près de mon héros. Quelque part, l'investigative doit te distancier de ton objet, alors que le narrative doit te rapprocher de ton sujet. C'est ça la grande distinction. Dans la manière de le raconter, c'est 136 pas pareil d'être quasiment à la première personne avec ton personnage de la narative. C'est à la fois un genre formidable le reportage, mais effectivement moi je suis plutôt dans l'école de l'investigative. J'ai mes héros, mais je prends une distance avec eux. D'abord, je ne veux pas être lié à eux, et ensuite je préfère avoir d'autres sources que je vais mettre en perspective avec d'autres gens etctéra. Mais la grande valeur d'un reportage c'est quand tu finis pas être si proche d'une personne que tu peux ressentir presque ce qu'elle ressent. Une victime, un malade. Je me souviens très bien d'un reportage dans le Washington Post d'une double page par jour dans le Washington Post sur le vécu d'un jeune homosexuel de 17 ans vivant au Texas. C'était quasiment son journal de bord. Donc la nana elle avait dû passer des semaines avec lui. Là, on est dans un sujet extraordinaire. C'est à dire qu'on te raconte le racisme, l'homophobie, le Texas... on est dedans quoi. Ce que fait Florence Aubenas. Elle est vraiment dans le reportage. C'est magnifique ce qu'elle fait. Et donc l'investigation quelque part, c'est pas l'inverse, mais c'est la mise à distance. Cette opposition qui aux Etats-Unis est un peu catégorique dans le genre, ca va être « comment tu veux raconter ton histoire : faire un scoop? Taper sur les puissants? Ou c'est 15 jours embedded avec le JI sur le terrain? ». Donc, rien à voir. Et les modes d'écriture, et les écoles de formation, les conférences sont bien distincts pour le narrative et l'investigate. En France, cette distinction n'existe pas. En fait, le vrai plus du journalisme, c'est d'avoir ces deux boîtes à outils et de décider de laquelle l'on va se servir. Laquelle est la plus opérante pour tel ou tel sujet? Avoir l'angle narrative avec le paysan afghan qui cultive son pavot et qui n'a que ça pour bouffer, et l'ange investigate pour savoir comment l'héroïne est transportée etcétéra. C'est deux genres qui ne sont pas exclusifs l'un de l'autre, qui ne doivent pas l'être. Simplement, c'est à nous en tant que profesionels de se servir de telle ou telle technique pour construire un sujet. -Donc tu restes optimiste pour l'avenir du journalisme d'investigation à la télé? Oui je suis plutôt optimiste, mais j'attends de voir ce qu'ils font. Parce que pour l'instant, je sui pas très convaincu. -Ils ne font pas vraiment de l'invesigation pour le moment? Si, si, ils font de l'enquête, mais ils font de l'enquête light. De l'enquête qui ne met pas toujours à distance les personnages, de l'enquête sur des sujets en général rebattus. Donc cela pose trois problèmes différents. Donc après si ils se renouvèlent en mettant d'avantage de distance, en remettant en question un certain nombre de choses, si ils changent un peu de sujet, et trouvent des modes de narration un peu plus variés, alors, tou est possible. C'est pas plus long ou plus compliqué d'être original et de mettre à distance. C'est simplement dans les outils que tu emploies, et la démarche journalistique que tu as. Le conformisme c'est quand même le vrai ennemi du journalisme à la télé comme dans la presse écrite. Moi j'apelle ça de la paresse, de la paresse intellectuelle. Le conformisme, c'est vraiment ça qui tue la presse, c'est ça qui tue le journalisme, plus que la censure en tant que telle qui a bon dos à certains moments. -Ils sont récéptifs au CFJ? Ca fait combien de temps que c'est enseigné? 137 Oui ils ont voulu renouveler un peu le genre, mais ils sont un peu retombés dans des travers là je trouve. Avant les cessions enquête, le mec il arrivait, il disait vous faites le sujet que vous voulez, je ramasse dans trois semaines. C'est formidable mais en même temps ce n'est pas du tout utile si tu n'es pas guidé pour le faire. Le concept c'était faites vous plaisir, pour moi c'est pas ça un enseignement. Un enseignement c'est expliquer une démarche, comment on choisit un sujet, comment on traite un angle, comment on identifie les sources, comment on travaille après sur les entretiens, comment on obtient les infos, comment on écrit? Donc c'est les aider à chaque étape. Renaut Fessaguet, grand reporter chez Tony Comiti et ancien rédacteur en chef de France 24 -Je travaille donc sur la multiplication des reportages d’investigation sur le PAF depuis 2 ans. Il s’agit donc de constater l’uniformisation de ces émissions, et leur spectacularisation. Ce ne sont pas les thèmes, ni les émissions qui s’uniformisent, c’est le ton employé et le formatage. C'est-à-dire que quelque soit le sujet, on est obligés d’adopter un certain style et une certaine forme. Voilà sinon les sujets peuvent être très divers. Moi j’ai fais des sujets sur M6 par exemple l’année dernière pour Enquête Exclusive, d’ailleurs je trouve que cette émission prend plus de risques que les autres. Par contre, le traitement à l’intérieur alors c’est ça qui est formaté. Non M6 je trouve qu’ils prennent des risques sur les thèmes, maintenant c’est le traitement qui ne va pas. -J’ai fais un stage chez Bernard de la Villardière à Ligne de Front, et j’ai donc pu réaliser un entretien avec lui. Lui-même me disait que M6 exerçait souvent une certaine pression sur lui, puisqu’il est à la fois présentateur mais aussi producteur de ses propres émissions. Par contre c’est vrai que je trouvais qu’ils traitent davantage de sujets internationaux que TF1, mais cela va toujours être sous l’angle corruption, prostitution… Ah oui, c’est vrai que de ce point de vue là… il faut que ce soit choc, à défaut d’être chic ! C’est toujours par le petit bout de la lorgnette, et toujours sous le côté le plus dégueulasse. On ne va jamais très loin dans l’investigation. On a plusieurs autres problèmes. Aujourd’hui, tout est filmé, les télévisions sont entrées partout dans la sphère internationale, et donc, on a de plus en plus de mal à tourner, d’où l’apparition des caméras cachées et de tout ce genre de choses. En Afrique et dans certains continents, je le dis assez ouvertement, il est presque impossible de filmer quelqu’un sans le payer, enfin si ce n’est pas institutionnel. Quand 138 vous allez filmer la misère, la pauvreté des gens, ils vont vous réclamer de l’argent en retour. C’est quasiment automatique. Et moi je vois le moment en France où cela va se passer comme ça aussi. Alors ça ce sont des contraintes, c’est pas exactement votre sujet, mais ça explique aussi que comme tout a été… moi je vois par exemple chez Comiti, on fait très souvent les même sujets. A un moment on les appelait les trois P : Police, Pompier, Pute. Après, il n’y a pas que ça. Moi je travaille pour lui sous d’autres angles, dans d’autres domaines. Il y a parfois des émissions de prestige, des choses pas mal, mais malheureusement, c’est ce qui fait de l’audience. Donc la véritable question au final, c’est l’audimat. Faut regarder aussi qui regarde la télé, c'est-à-dire que des jeunes de votre milieu social vous la regardez pas assidument. Donc ce sont soit des vieux, ce n’est pas péjoratif, ce sont juste des gens d’un certain âge. Je vois par exemple ma mère, qui a 78 ans qui est une femme intelligente et cultivée, elle en prend plein la tête. Donc ils regardent sans regarder, ça c’est un premier pan du public, mais ils sont quand même consommateurs d’émissions et de programmes, documentaires ou pas. Et puis des jeunes, enfin ce n’est pas une critique, moi je suppose que si je faisais trois heures de transport par jour plus un métier de merde toute la journée, je rentre chez moi, je regarde des choses pas très compliquées mais surtout mâchées. Donc ça explique tout ça dans la mesure où l’audimat est devenu crucial. -Justement le fait de prendre le téléspectateur par la main, le dicton de M6, semble avoir investit toutes les autres émissions d’enquête, sur France 2 notamment. Bien sûr. Moi je n’ai pas fait de sujets d’Envoyé Spécial depuis un certain temps, mais c’est patent. Regardez, là on fait un gros truc sur le génocide du Rwanda, et le rôle de la France dans le génocide du Rwanda, avril août 1994. Et je suis allé voir hier, c’est drôle que vous disiez cela, l’émission de Jean Marie Cavada qu’il avait consacré à l’époque sur ce thème. C’était donc deux reportages à chaud puisqu’ils dataient de septembre, excellents. Le génocide venait de se terminer, l’opération turquoise était engagée, elle allait se terminer. La façon dont est fait ce reportage, aujourd’hui, on ne peut plus le voir, c’est impossible. C'està-dire qu’on prend là le spectateur pour quelqu’un d’intelligent. On fait appel pas à des concepts, mais à des phrases, des mots, c’est écrit. Aujourd’hui, ce n’est plus écrit. Mais encore une fois, je ne jette pas la pierre à M6, ils font aussi des choses intéressantes. Mais le genre M6 c’est : Robert rentre chez lui, interview Robert dit « et bien oui je rentre chez moi », Robert est rentré chez lui. Une redondance permanente qui mène à l’abrutissement. -Et si on reprend ce style partout c’est que ça marche mieux Ca marche mieux oui. Ca fait de l’audience, mais encore une fois je crois qu’on ne se pose pas la question de qui regarde la télévision. Et si l’on regarde qui regarde la télévision, sur le main stream, ce sont des gens très fatigués. Encore une fois, je ne veux pas critiquer et dire qu’il y a les débiles et les autres. Moi-même je suis souvent très fatigué, et j’ai envie de voir un truc un peu débile. Mais je pense qu’on ne se pose pas assez la question. Or des gens qui vont aller vers des émissions… euh TF1 je connais mal car je ne regarde plus du tout… -Justement dans mon panel il y a une émission qui s’appelle « Enquêtes et révélations », 139 qui a lieu deux fois par mois. Leur premier sujet était consacré à la prostitution à Madagascar, franchement, il était pas mal, mais depuis ils enchaînent police, huissiers… C’est du voyeurisme. C’est comme quand Comiti montre les femmes qui font du tourisme sexuel : ça a rien de très nouveau, ça a toujours existé, sauf que ça devient un modèle de société. C’est vrai qu’une femme de 50 ans, qui vient d’un pays européen, qui vient de divorcer et qui ne trouve plus d’homme pourra rencontrer quelqu’un facilement, contre argent ou pas d’ailleurs, en République dominicaine, au Sénégal, en Asie… Bon et bien ça n’a rien de spécial… qu’on désapprouve ou pas moralement. Alors la télé a besoin de montrer ça car il faut faire voyager des gens qui bougent très peu, et c’est le socle des téléspectateurs. C’est toujours pareil. -Je peine à faire un historique des émissions d’investigation à la télévision. Pourriez-vous m’éclairer un peu à ce propos ? Si vous voulez ce qui a changé c’est que quand vous regardez 5 colonnes à la une, c’était vraiment une émission excellente. A l’époque ils étaient en film. Moi j’ai un copain qui a travaillé pour eux. -C’était du reportage non ? C’était de l’investigation à leur façon, car quand ils ont fait un document sur l’engagement français en Algérie, ce sont de grosses bobines de film envoyées à Paris, qui sont montées à Paris. Cela n’avait rien à voir avec aujourd’hui. C’était d’une certaine façon de l’investigation. Comment théoriser tout cela en disant quelque chose de pertinent ? -On peut dire que la guerre d’Algérie est un renversement dans les relations entre la presse et le pouvoir. Mais selon les théoriciens, l’investigation apparaît vraiment dans les années 80. Oui et puis qu’est-ce qu’on investigue ? Moi je suis frappé de voir qu’on fait toujours la même chose et que l’on ne va pas vers les vrais problèmes. On ne fait jamais rien sur la corruption politique. Il y a une fille assez marrante qui a fait un truc sur Canal il y a deux trois ans à propos des dépenses publiques. Vous savez dans la Constitution, enfin dans la Déclaration des Droits de l’Homme, il est dit que le citoyen doit pouvoir contrôler l’usage qui est fait des fonds publics. Donc elle est allée en Suède, l’exemple caricatural de la transparence, et elle a demandé à voir les comptes du ministère de la justice. Donc il y a un type qui est arrivé une demi-heure après avec les notes de frais, fleurs… En France, elle a voulu faire la même chose, on lui a rit au nez. En France, c’est une forme d’investigation peu utilisée car elle parle à la citoyenneté et pas à l’audience. Car finalement l’esprit français c’est qu’on les considère tous comme un peu pourris, voilà c’est comme ça. Du coup, le champ d’investigation se déplace plus vers ce qui est moral, social, la prostitution, la drogue, les banlieues. Mais qu’est-ce que c’est que l’investigation ? Je ne sais pas. Est-ce filmer avec ou sans la police des saisies de drogue ? Oui ça apprend des choses, mais le journaliste s’est tellement épuisé avec la quête d’images fortes qu’il n’a plus le temps de 140 faire la vraie enquête sur les réseaux, la distribution, et ça c’est un autre problème. -Lors de mon entretien, Vincent Nouzille m’a dit qu’il considérait ces émissions plus comme de l’investigation que du reportage. Qu’en est-il pour vous ? Mais encore une fois, qu’est-ce que vous considérez comme de l’investigation ? Je dirais que c’est du reportage d’investigation. Moi je vois comment sont commandés les sujets par France 2 ou M6. Par exemple, je me souviens d’un sujet fait sur les lieux de pouvoir pour Zone Interdite. Nous devions filmer le Racing Club. Le groupe Lagardère a refusé de me donner l’autorisation. Vous vous souvenez c’était à l’époque où Lagardère venait de racheter le Racing. Lagardère est obsédé par son image sportive. Il investit d’ailleurs beaucoup d’argent dans le sport, d’ailleurs ce qui lui vaut des déboires car il ne s’occupe plus du tout des autres branches. Donc moi ce que je voulais montrer, c’est que c’était un lieu de pouvoir où se retrouvait une certaine élite énarque parisienne. S’ils nous avaient donné l’autorisation, on aurait eu le droit de filmer le tennis, le restaurant, les accès, la beauté du cadre, et tout le reste ça aurait été de la caméra cachée. Dominique de Villepin par exemple va y faire sa gym toutes les semaines. Vous imaginez bien que s’il y a une caméra, cela ne passera que si c’est à son avantage. Donc tout le côté ostraciste, élitiste du Racing Club, il m’aurait fallu une caméra cachée pour le montrer. -Est-ce que dans les pays anglo-saxons ils ont les mêmes difficultés ? Non parce que la communication est très différente. Si vous regardez par exemple les hommes du Président, le film avec Robert Redford et Dustin Hoffman sur l’affaire du Watergate. On s’aperçoit qu’aux Etats-Unis, c’est de la forfaiture et de la parjure qu’un homme d’Etat ou politique ne réponde pas aux journalistes. Cela m’a beaucoup frappé : à un moment ils appellent le Ministre de la Justice à 3 heures du matin, et le mec leur répond. En France, c’est inconcevable, car les liens entre la presse et la politique -enfin c’est mon analyse-, sont incestueux. C'est-à-dire que on couche ensemble, on vit ensemble, ya pas vraiment de barrière. Aux Etats-Unis, même si ce n’est plus pour moi un modèle de transparence, ils ont quand même encore une certaine déontologie. Par exemple quand la grande star de CNN épouse le conseiller de Clinton, le type démissionne. En France, c’est hallucinant ! Aux Etats-Unis, ils ont d’autres problèmes, mais en tout cas il n’y a pas celuici. Ici, il n’y a aucune transparence. Il y a tout un barrage d’attachés de presse, des filtres, qui vous empêchent d’accéder aux personnes. Vous imaginez bien que s’il y a une affaire à sortir sur la BNP, le Crédit Lyonnais ou la Société général, un journaliste n’ira jamais poser la question au patron car il y a trop de connivences, le mec ne comprendrait pas. Quand j’étais reporter pour la 5 ou France 2, moi j’allais au feu car je n’étais pas au service politique, et puis parce que c’était ma nature. Non pas pour juger mais pour montrer. Donc j’ai fait Rocard, Cresson, Mitterrand, car à l’époque c’était la gauche qui était au pouvoir, et je ferais la même chose aujourd’hui avec la droite si cela était possible. Mais avec Sarkozy c’est complètement fini. Il y a 200 gardes du corps, des attachés de presse… C’est complètement fini. -Donc il y a une évolution depuis les années 80, l’investigation s’est un peu essoufflée ? 141 Et bien c’est aussi que les sujets… on a très peur du contrôle politique, du contrôle des sociétés. Vous verrez un jour si vous faites carrière là dedans, vous pouvez jamais avoir d’infos, jamais ! Par exemple un type qui voudrait faire le portrait de Lagardère, c’est impossible. Ou alors c’est à charge en allant voir ses ennemis, ses copains… -Comment on explique que dans les années 80, il y avait plus de liberté ? Et bien il y avait une sorte d’angle-mort, ils n’ont pas vu que ça pouvait être dangereux. Par exemple sur Bernad Tapis, les seuls qui ont fait de bonnes enquêtes, ce sont les suisses. En France, soit Tapis vous cassez la gueule, soit ça passait par lui. -Vincent Nouzille m’a également raconté quelque chose d’intéressant, me montrant qu’il était plus difficile de faire de l’investigation à la télé qu’en presse écrite. Il avait sorti quelque chose sur les lobbyistes à l’Express, et Canal avait sorti simultanément un reportage sur le même thème. L’Express n’a eu aucun problème, Canal + a été censuré alors qu’il y avait moins d’infos dans ce reportage. Oui, car le problème de la télévision c’est que pour qu’on puisse dire quelque chose, il faut qu’il y ait l’image. D’où la nécessité d’avoir des bancs-titres : par exemple la feuille d’impôt de telle personne. Mais pour avoir cette feuille, ce n’est pas évident ! Là je travaille sur Charles Pasqua. Je ne le connais pas spécialement, mais je l’ai interviewé une ou deux fois quand j’étais journaliste. Le procès en lui-même est compliqué, je ne vais pas me cogner les 70 pages de rapport du dossier. D’abord, je n’y ai même pas accès. Alors comment faire une investigation là-dessus ? Les faits remontent trop, qu’est-ce que vous voulez que je sorte ? Ou alors je passe trois ans de ma vie à faire un portrait de Pasqua. C’est très compliqué en France. Il y a un contrôle, une opacité qui est réelle, d’où l’apparition de ces sujets dits d’investigation sur par exemple les arnaques (crédit à la consommation etc…) plus faciles à faire et qui intéressent le plus grand nombre. Alors qu’un sujet sur Pasqua, ça ne va pas aller très loin. Donc il y a d’abord eu fermeture d’un espace : communication, politique, macroéconomie ; puis prise de contrôle de la sphère politique et économique. Il est impossible de faire une enquête sur une entreprise du CAC 40, comme il est impossible de faire quelque chose sur Greenpeace, sauf si vous êtes infiltré, d’où le problème de cette émission car effectivement vous êtes infiltré, mais au final, vous montrez rien du tout, mais vous y êtes. Alors l’image bouge, c’est un peu flou, ça donne une impression… Mais sinon c’est impossible. -Est-ce que vous considérez qu’aujourd’hui il y a quand même des émissions qui se distinguent plus que d’autres, qui font plus d’investigation que d’autres ? Pas vraiment non. -Bon moi j’ai pas vraiment étudié complément d’enquêtes, ça pourrait être une émission qui se distingue des autres non ? C’est pas mal fait oui. 142 -Donc Envoyé Spécial vous le mettez au même niveau que les autres ? Envoyé Spécial, ils font des trucs sur l’huile d’argan…. On s’endort ! Non mais ce qui est compliqué c’est que ce sont des peaux de léopard, il y a de tout là dedans. Du noir, du blanc, du fauve… Les filles d’Envoyé spécial, elles ne feront jamais un sujet qui dérangerait le pouvoir, car elles sont contrôlées par la Direction de l’Information, elles ne veulent pas d’ennuis. Elles préfèrent faire de l’audience avec des sujets conso, ou parfois elles font un petit roman, un truc bien sur la Tchétchénie. Complément d ‘enquêtes c’est vrai c’est pas mal. Il y a aussi Lundi Investigations sur Canal +, mais ça ce n’est pas en clair. Sur TF1, il n’y a rien. A l’époque, il y avait un peu le Droit de savoir qui a levé deux trois trucs, mais qui a aussi évolué. Et puis au fond, qu’est-ce qui informerait vraiment les gens ? Soit il y a des choses que les gens savent, soit ils veulent voir des choses parce qu’on en parle… Enfin le paradoxe c’est que les sujets sur les banlieues, c’est regardé surtout dans les banlieues, et puis ça fait frémir le bourgeois du 16ème mais il n’y a rien de très nouveau là dedans. Déshérences dans ces quartiers, abandon de l’Etat, démission de l’Etat… ça ce sont des sujets que vous ne verrez pas ! Alors là ce n’est pas parce que c’est interdit, mais parce que ça n’intéresse personne. Typiquement le mec qui voit sa banlieue à la télé, les rues dégueulasses, des jeunes au chômage… il ne va pas regarder ça, il le sait c’est son quotidien. C’est comme le cinéma français, pourquoi est-ce qu’il est comme ça, cul-cul nian-nian ? Quand on regarde le cinéma latino-américain, le cinéma italien qui renaît, ou même parfois le cinéma américain… ça n’a rien à voir, en France on ne peut rien faire. Mais c’est aussi l’esprit français. Donc il y a plusieurs facteurs : est-ce que historiquement c’était les années 80-90 ? Car moi qui était sur la 5, pourtant Dieu sait si c’était une chaîne de droite (Berlusconi…), on faisait ce qu’on voulait ! Alors ça les arrangeait peut-être car le pouvoir était de gauche, mais c’était pas que ça. Moi j’étais pas politiquement engagé. On a fait chier Chirac aussi ! Je sais pas il y avait un espace de liberté. Bon vous allez me dire y’avait pas grand monde qui regardait, mais ça existait. -Et aujourd’hui Arte c’est compliqué ? Alors oui Arte, c’est une grosse machine : il y a deux têtes. Une tête allemande et une tête française. Et puis, ils ne dénoncent pas grand-chose. Ils enfoncent des portes ouvertes. Même la théma du mardi qui pourrait être pas mal, c’est un peu filandreux, c’est une écriture qui n’existe plus. Alors eux c’est l’anti M6, mais encore ils ont fait des progrès. A côté de ça il y a des documentaristes qui travaillent pour Arte et… C’est vachement compliqué. Par exemple l’autre soir il y a deux magnifiques documentaires sur la Corée du Nord. Ils ont suivi deux gamines qui participent aux tableaux vivants à la gloire du dictateur. C’est un des plus beaux documentaires que j’ai jamais vu. C’est la BBC qui a fait ça il y a deux ans. C’est un boulot phénoménal. Nous, on nous demande de faire ça, on n’a pas le temps ! Mon premier 26 minutes j’ai eu 1 mois. Aujourd’hui, vous savez combien on nous donne ? 6 jours ! 143 -C’était d’ailleurs l’une des questions que je voulais vous poser. En termes de budget et de temps, comment cela avait évolué ? Un 52 minutes aujourd’hui, la chaîne donne 80 000 euros. Pour un 26 minutes, elle donne la moitié. Et si vous êtes une boîte établie et que vous avez un compte au CNC, qui en fait irrigue et fait vivre le cinéma français et la télévision, vous arrivez pour un 52 à 100 000 euros, mais faut la marge du producteur car il y a des frais de structure etcetera… Mais c’est pour ça, on tourne de plus en plus vite. Un 70 minutes qu’on a fait en Colombie sur Pablo Escobar, on a tourné comme des malades ! -Comment les chaînes justifient-elles cela ? Les tarifs n’ont pas augmenté depuis 10 ans, alors que tout augmente… sauf nos salaires je vous rassure ! Le prix des cassettes, le prix des mixages, le prix des machines… Mais elles justifient pas ça ! Il y a une grande bataille entres producteurs et chaînes, notamment M6. Ils s’arqueboutent, ils disent « on vous fait vivre », on commande beaucoup, ce qui est vrai. Si M6 arrête demain ses émissions de reportage, il y a un gros souci ! Alors ils disent on vous fait vivre, et puis on trouve que c’est tout à fait raisonnable, et on peut pas plus. -Et est-ce que à leur création, la production des émissions d’enquête était décentralisée dans des boîtes de production, ou bien rattachée aux chaînes ? A bien à l’époque il n’y avait pas de boîtes de prod. -C’est depuis quand ? Toni… c’était il y a 20 ans. Oui cela date des années 90. On peut donc noter deux mouvements. Le premier c’était : on va faire des émissions de reportage, mais les équipes qui sont affectées au journal n’ont pas le temps de les réaliser car elles sont prises par le news, l’actualité. Donc on fait appel à des journalistes connus, confirmés, qui petit à petit vont se rendre compte qu’il leur faut monter une boîte. C’est comme ça que ça marche, ne serait-ce que pour des histoires fiscales et de factures. On pouvait pas facturer tout seul un reportage, en revanche on pouvait payer comme ça des images. Ca naît comme ça, ça se développe comme ça, et pour les chaînes en plus ça a un avantage en termes de gestion humaine. Il vaut mieux acheter un reportage clefs en main, on fait un chèque et basta, plutôt que d’avoir à gérer des personnes dans la rédaction qui vont être malades, qui vont prendre des congés… Je sais pas, il y a une justification économique aussi. Ce qui n’empêche pas à des gens de la rédaction de France 2, de travailler pour Envoyé spécial. Mais Envoyé spécial a aussi sa propre rédaction. Donc comme vous le savez, on aboutit aussi à une atomisation totale des tâches. Une parcellisation : ya celui qui fait-ci ca, et ça se retrouve à la télé et dans l’investigation. Moi je suis frappé. Quand je faisais les reportages sur France 2, je partais avec la caméra tout seul. Aujourd’hui quand vous regardez la liste des noms, ils sont 4 ou 5. Alors ya celui qui va filmer, celui qui va réaliser l’entretien… -J’ai lu un sujet assez marrant sur le site de Télérama qui s’appelait « la pêche au ton ». Les journalistes faisaient un récapitulatif des expressions qui reviennent régulièrement 144 dans les émissions, ainsi que des intonations employées. Ces émissions souffrent d’un réel formatage dans le commentaire à l’image, l’avez-vous expérimenté ? Il y a un formatage c’est clair. Par exemple même Frédéric Mitterrand qui avait un style bien à lui, il ne pourrait plus le faire aujourd’hui. Pourquoi ? C’est une bonne question. -Mais ils n’ont pas peur que les gens se lassent ? J’ai lu un forum à ce propos et les gens déplorent vraiment que l’on estime qu’ils ne sont pas capables de comprendre plus de 200 mots différents dans un même sujet ! Oui, ils ne regardent plus la télé. Vous connaissez le sketch du comique qui se fout de la gueule des gens de M6 ? J’ose pas vous le dire mais je l’ai écouté sur Rires et chansons. Alors le comique part sur un commentaire lambda très formaté genre M6, puis il se demande : « Mais à la maison, ils sont comme ça aussi ? ». Du coup il applique ça à tout ce qu’il peut dire dans la maison, c’est à hurler de rire ! Je sais pas quoi vous dire, c’est un métalangage, je crois qu’on est une société très fatiguée. Faudrait ciseler ces phrases. Moi j’ai essayé de le faire autrefois et ça a marché. Maintenant c’est impossible ! Sauf si vous trouvez la formule exceptionnelle. -Au niveau de l’intonation aussi Ca ça fait partie du formatage aussi. Mais je vous dis, à mon avis, c’est moins dans le contenu - même si vous aviez raison de dire qu’il faut que ce soit toujours les coulisses, les arnaques, les secrets - que dans la façon de monter d’abord, la façon de s’exprimer, les commentaires, oui c’est toujours pareil. -Je lisais quelque chose sur la boîte à outils de M6 qui contraint ses journalistes à toujours séquencer de la même façon leurs reportages. C’est le cas pour vous ? Oui et ça vient maintenant sur les documentaires. Je vois par exemple chez Comiti nous faisons toute une série de beaux reportages sur les routes de l’impossible, où en gros le principe c’est de suivre les gens qui font les routes les plus difficiles du monde entier : en Afrique, en Amérique Latine… Et bien au montage, ils rajoutent un espèce de teaser au début. Ce sont des 52 minutes, donc au bout de 3,4 minutes, une fois que l’on a posé l’enjeu, on va avoir ce teaser, alors que ya 10 ans 15 ans, ça n’existait pas. -La musique aussi joue un rôle primordial La musique encore ça me gêne moins. Il faut une dramatisation. Mais il y a encore 15 ans, sur le service public il était encore impossible de mettre de la musique. Moi je sais que l’un de mes derniers reportages pour Envoyé spécial, il est passé uniquement parce que j’avais choisi des musiques qui ajoutaient de l’emphase. Ah oui tout cela est réel. Mais l’on pourrait dire la même chose d’Hollywood, à moins d’avoir un nom comme Clint Eastwood ou Mel Gibson qui ont vraiment des idées en tête, et qui sont aujourd’hui plus des réalisateurs que des acteurs. A Hollywood, il y a des codes à respecter. Le montage très serré à la 24H chrono, maintenant il y a 8 images secondes au lieu de 4 ! 145 -Cela vient des pays anglo-saxons… et c’est Canal + qui a importé le genre ? Je crois que c’est par capillarité. Il y a eu quand même Spielberg, les grands noms comme ça qui ont imposé le fait que les histoires soient bien racontées, que c’était rapide, que les scénarios étaient super chiadés, et donc par capillarité cela s’est répandu en Europe. Mais en Allemagne par exemple, ils ont ce problème là sur Arte, quand ils commandent des reportages aux allemands, ils se retrouvent avec des reportages dont la technique narrative correspond à ce que l’on faisait il y a 20 ans. C'est-à-dire qu’en gros on a une image, une interview, un commentaire, il n’y a pas d’ambiance. Je donne des cours en France et à l’étranger, et on apprend aux jeunes journalistes à ce que leur reportage soit le plus vivant possible. Donc ce sont des séquences effectivement où on accompagne les gens plutôt que de les poser. On préfère qu’il s’exprime en faisant quelque chose. Ca c’est l’école française, c’est pas seulement M6. C’est-à-dire que si vous faisiez un sujet maintenant avec image, interview, image, interview, ça ne passerait pas. Les émissions de M6 genre L’amour est dans le pré, Super nany… c’est vivant, c’est bien foutu, ça y a contribué aussi. Mais à la base c’est anglo-saxon. -S’ils en font autant, c’est que ça marche. Oui ça marche. Moi par exemple, Déco une semaine pour tout changer, je trouve ça pas chiant (enfin ça dépend des personnages), bien foutu. Ca se regarde, c’est ludique, et puis on apprend deux ou trois petits trucs. Bon après ça c’est du reportage bien sûr. Mais si vous voulez faire quelque chose sur la Grèce ou sur la Thailande, même si vous avez toutes les infos qu’il faut pour, ça ne passera pas. -C’était d’ailleurs une de mes questions, arrivez-vous encore à proposer des sujets ? On arrive à en proposer, mais on sait pas définition que , à moins qu’il soit particulièrement original, ou d’avoir un lien privilégié avec la personne ou l’évènement, c’est très difficile. Ou alors, il faut être un grand nom. Et puis il faut voir qui choisit les programmes dans les grandes chaînes. Ca c’est aussi la vraie question parce que les gens qui font la télé sont omnibulés, pour ne pas dire plus, par l’audimat. Il y a des études d’une finesse… ils analysent minutes par minutes, je ne sais pas si vous voyez ! Même sur France Télévisions, il y a des bureaux entiers de personnes qui ne font que ça de la journée. Ils ne font plus que ça ! Exemple : quand Comiti a fait un sujet sur la nouvelle pauvreté il y a cinq ans parce que ça le frappait. Les clodos, les soupes populaires… frappant parce que c’est réel même s’il y a beaucoup de gens qui viennent d’Europe de l’Est. Le patron de M6 à l’époque voit ça, c’était pour Zone Interdite, il les insulte. A 21 heures il appelle il dit « qu’est ce que c’est cette merde ? ». A 22h30, fin de l’émission. Les chiffres d’audience ont été excellents, le lendemain : félicité ! -Comme quoi, il ne faut pas prendre les gens pour des cons. Comme disait Bernard, parfois ils sont surpris des chiffres d’audience sur des sujets internationaux. Oui, mais le tort c'est qu'on prenne trop en considération ça. Ya un événement, on s'en fout 146 que les gens s'y intéressent ou pas. C'est notre boulot de raconter. Haïti par exemple, je suis curieux de savoir quels ont été les chiffres d'audience. Est-ce qu'il y a eu saturation de la charité publique qui est sollicitée à tout bout de champ? Je sais pas... Je n'ai pas vu les chiffres. Mais c'est émouvant, ce peuple est émouvant. D'abord parce qu'ils multiplient les tragédies, mais au delà ça les gens de TF1 vous diront qu'à la télé, les noirs font moins d'audience! C'est un paradoxe car il y a beaucoup de noirs en France (qu'ils soient d'origine antillaise ou africaine), alors ça ne tient pas trop debout, mais ce qui est sûr c'est que tout cela est étudié, minute par minute. Ca va devenir vraiment compliqué pour les jeunes journalistes. Les champs de possibilité se restreignent, il faut vraiment en vouloir. Aujourd'hui, on veut du boom boom, on veut du spectaculaire, on veut du choc. Mais moi si je ramène un truc sur Charles Pasqua, ça ne passera pas, à part en presse écrite. J'ai rien contre ce type, mais c'est pour vous dire. Maintenant si je suis la brigade anti-prostitution avec la loi contre le racolage de Sarkozy, alors là ça va faire de l'audience car c'est voyeur. Mais qui n'est pas voyeur? Qui n'a jamais regardé la fenêtre de son voisin pour voir ce qui s'y passe? Moi le premier, même sans y être scotché. Donc ce que reprochent certains journalistes plus exigeants, c'est que pour faire de l'audience on fait appel aux bas fonds, aux instincts primaires. -Bernard m'évoquait le risque de surjouer le réel, avez-vous déjà été confronté à cette difficulté? Ca c'est sur, il y a une scénarisation, mais non pas vraiment car je ne fais plus de news. Je trouve qu'une image vaut 1000 mots, mais souvent, on a pas le temps de les tourner! J'ai été rédacteur en chef à France 24 ses débuts. Même si la chaîne a eu sa côte d'estime à son lancement, elle n'est pas beaucoup regardée. Moi j'aime beaucoup les no comment, mais il faut du temps pour tourner, et on ne l'a plus. Je ne sais pas, c'est compliqué, moi je n'ai pas été confronté à ça. Mais c'est réel, et c'est lié au manque de temps. Pour décrypter une image, moi j'habitue mes élèves à faire des commentaires d'images dont ils ne connaissent ni la date, ni le lieu.. juste pour s'habituer. Nous on est professionnel, mais vous avez déjà imaginé le type qui fait la vaisselle, va se chercher un coca dans le frigo... son niveau d'attention est faible. C'est pour ça que la radio est à la fois plus chaude et pertinente car elle ne fait appel qu'à un sens, contrairement à la télévision, et permet ainsi de recevoir l'information tout en faisant autre chose. La télé , ce n'est pas subtil. Moi sur la 5 j'ai essayé de faire des choses plus subtiles, ça n'a pas marché. A la télé, vous avez l'image ou vous ne l'avez pas, c'est impossible de raconter sans l'image. Donc on surjoue le réel, ça ça arrive souvent! C'est toujours le plus, on est toujours les premiers, et puis les effets comptent pour beaucoup. On utilise les ralentis, alors que dans la vie il n'y a pas de ralentis. On utilise une musique dramatique, maisun peu comme au cinéma. Je pense qu'il y a une tendance à la cinémaisation et la scénarisation du reportage. Un reportage sur le réel au coeur de la Thaïlande ça ne va pas le faire. Déjà parce qu'avec Internet, les gens ont déjà vu beaucoup d'images, mais surtout parce que la réalité elle n'est pas en 3D, ni en 4D. Elle est assez univoque, enfin, surtout au travers de l'oeil d'une caméra. L'utilisation des zooms, des gros plans, tout ça ça vient du cinéma! Dans mon souvenir, enfin je ne crois pas me tromper, dans 5 colonnes à la Une, ils ne faisaient pas de gros plans. Ils cadraient super bien car ils filmaient sur des pélicules. Aujourd'hui, pour une minute 147 exploitable, il faut 40 minutes de rush. 5 colonnes à la Une, ils filmaient 10 minutes et ils en sortaient 8 minutes. Alors c'est que les journalistes sont moins bien formés aujourd'hui, ou alors ils ne s'intéressent pas à la chose, ou bien encore qu'ils savent que c'est borduré et ils ne s'aventurent donc pas. Tout cela évolue très très vite, et on ne sait pas trop vers quoi. En fait, il faudrait que la réalité soit fictionnelle. A mon époque on vous demandait pas si votre personnnage allait faire telle ou telle chose, et puis il n'y avait pas ce type de magazines de société. Aujourd'hui, on va suivre une famille en vacances... ce n'est pas du reportage! A mon époque, je parle comme si j'avais 200 ans, on allait vers les situations, soit de crise, soit humainement compliquée, et puis on voyait ce qui en ressortait! Aujourd'hui, on a une préparation en amont qui est énorme, faut des autorisations de tournage... Les tribunaux sont plein de gens qui protestent: "on m'a filmé, je ne voulais pas...". Le juge des référés très souvent est saisi car un mec se réveille et ne veut pas qu'on diffuse l'émission car je suis dedans à mon désavantage. -Les juges leur donnent raison? Non, rarement parce que si le type a signé... Par contre il peut il y avoir une attaque après sur le droit à l'image lors de la diffusion. Et puis tout cela c'est dû à des raisons économiques. Avant, on ne comptait pas trop nos journées. Aujourd'hui, mobiliser une journée un cameraman, un journaliste, plus la location de la voiture, le miam miam... C'est vite du 1000 euros par jour pour le producteur. C'est assez vicieux, et je ne sais pas trop comment on va faire pour s'en sortir. -C'était justement une de mes dernières questions: comment appréhendez-vous l'avenir du journalisme d'investigation en France? Ben moi pour résumer ce qu'on a dit, je pense que l'investigation ne se porte pas sur les sujets qu'on devrait éclairer. Cela tient à la culture politique de notre pays. Par exemple, Denis Robert qui était obsessionnel avec l'affaire Clearstream, et j'ai jamais déterminé si c'était pour la bonne cause ou non, et bien il a gâché sa vie, il a divorcé, plus personne ne veut le voir. Donc pour des raisons politiques ya très peu de rédacteurs en chef qui vont s'engager dans des combats comme ça. L'histoire des vedettes de Karachi, Libé a fait un gros papier, et puis j'ai regardé un sujet sur France 2, deux jours après, ils y vont sur la pointe des pieds. Personne non plus ne fait de sujets sur le pouvoir rose. J'ai un ami qui a sorti un bouquin là dessus, c'est extrêmement intéressant. Cela changerait d'une énième couverture sur les francs massons. C'est comme une véritable mafia. Il y a des gens de pouvoir qui font partie de ce cercle au Ministère de la Culture par exemple ou encore dans les médias avec Morandini, Fogiel... c'est un critère de cooptation. Mais jamais on ferait ça comme sujet. Sur les musulmans modérés en France qui sont républicains, français, ils ferment leur gueule et qui ne disent rien. On préfère montrer des barbus comme l'autre excité avec ses 6 femmes. Les sujets d'investigation ne sont pas vraiment traités. A la 5 moi je pense qu'on l'aurait fait. Le second point c'est que même quand ils font véritablement de l'investigation, ils sont 148 formatés.Alors a contrario vous avez de temps en temps des bonnes émissions qui n'existent plus comme Secret d'Actualité sur la 6, c'était pas mal fait, c'était une investigation un peu sur les choses du passé. L'autre jour par exemple j'ai vu un truc sur Planète assez bien foutu l'autre jour qui faisait un docu sur l'affaire Beregovoy afin de savoir s'il s'est suicidé. Il faisait appel à des témoins qui disaient "moi j'ai entendu deux ou trois coups de feu", mais deux ou trois c'est pas la même chose. Donc son investigation consistait à recouper ces informations, cela concerne la vie politique même si c'est une affaire de personne. En revanche sur Clearstream, qui est un truc assez compliqué, je n'ai jamais rien vu! Sur les affaires économiques comme l''affaire Kerviel ou Goldmann Saxe, je n'ai rien vu non plus. -Complément d'Enquêtes c'est le genre de chose qu'ils pourraient faire. Oui Complément d'Enquêtes ils ont plus de moyen déjà car c'est un truc de France 2, et ils font des choses pas mal. Mais c'est en deuxième ou troisième partie de soirée c'est avec l'autre nabot, et puis je trouve que ya trop de plateaux.. Mais vous avez raison c'est une bonne émission. Vous devriez aller l'interviewer Benoît Duquesnes. Oui ce serait bien. Tony aussi vous pourriez aller l'interviewer. Bon après en tant que producteur il théorise moins son travail, il est là pour vendre et il s'adapte aux demandes des chaînes. J'aimerais aussi contacter les gens qui font les grilles M6 par exemple. Ben c'est Jérôme Durand..(doute sur le nom il n'est pas audible), Cathy Mespoulied elle s'occupe d'Enquête Exclusive ou Valérie Tranzier (rédactrice en chef Zone Interdite). En gros ce qu'il faut retenir c'est que plus une émission est regardée, le plus grand dénominateur commun doit être la facilité: de langage, de montage... parce que le pouvoir économique et de l'audimat se sont emparés des chaînes. C'est vrai aussi que Frédéric Mitterrand m'avait commandé un document à TV5 sur le cinéma philippin car j'ai vécu longuement là bas. Je l'ai donc accepté, et je l'ai fais comme un reportage, alors ça a excité un peu les gens qui ont vécu là bas. Mais honnêtement! Même si je l'ai fais de façon vivante et même si c'est pas trop mal foutu, qui va regarder ça? Aujourd'hui il faut vendre. Tout est monétisé. Beaucoup de producteurs tombent malades tant ce sont des métiers de chien! Maintenant ya tellement de problèmes juridiques... Tony il pourra vous raconter ça si vous allez le voir. Il faut flouter les gens... et ça coûte très cher! Ils ne s'en rendent pas compte. Ca devient un métier de chien, et c'est ça aussi qui freine l'investigation. Même si le type il a un super sujet, il se dit si c'est pour me prendre 4 procès et perdre sa chemise, ça fait hésiter. Ya donc des problèmes économiques et des problèmes juridiques, auxquels on ajoute la volonté de scénariser à tout prix pour des raisons économiques également, mais aussi pour des raisons idéologiques. L'investigation pure et simple, vous en voyez plus à la télé, sauf peut être sur des sujets étrangers. Mais sur de vrais sujets: le pouvoir rose, Bernard Arnaud... -C'est plus facile de sortir des affaires dans des bouquins 149 Ah mais à la télé c'est très très compliqué, les gens ont peur, tout est contrôlé, tout est filtré... Il y a la barrière des attachés de presse. Pourquoi on ne fait rien sur les attachés de presse? Donc dans le choix des sujets c'est limité, dans le traitement c'est limité. -Au niveau de l'historique des émissions, vous auriez une idée des premières émissions qui ont été crées? Envoyé spécial, droit de savoir? 52 minutes à la Une? Il y a eu Resistance, une émission consacrée aux droits de l'homme, animée par Noël Mammère. 52 minutes à la Une c'était Bertolino et Comiti justement. Mais c'était du bon reportage. Le droit de savoir de Charles Villeneuve, au début c'était de l'investigation, mais après ça a dévié. Parce que qu'est ce que c'est l'investigation finalement? -Selon Nouzille le reportage devrait permettre de se rapprocher de son sujet, de ce qu'il ressent. Alors que l'investigation devrait au contraire mettre à distance l'objet. Mais aujourd'hui on mélange un peu les genres.. Ouai, oui. C'est vrai, mais à l'origine on confondait les deux. Les types qui ont fait pendant la Révolution roumaine des sujets pour savoir qui a fait la révolution? Là il y a eu une vraie investigation, ils sont allés sur place, ils ont retrouvé les témoins etc... O s'aperçoit que c'est un groupe de communiste, pas des libertaires. -Si vous deviez donner une définition du journalisme d'investigation, quelle serait-elle? Je pense que c'est une approche exigeante à la recherche d'une vérité. Maintenant, en télévision, c'est quasiment impossible aujourd'hui. De plus en plus de portes se ferment, d'où le recours à la caméra cachée. au banc-titrage. Et que finalement c'est le montage subtile, habile, qui fait la différence. -Vous en pensez quoi de la caméra cachée? Dans les infiltrés, je trouve ça choquant que le type ait dénoncé ses sources, c'est antidéontologique, ou alors faut être flic, ou alors on fait pas le sujet. Mais sinon nous on l'utilise souvent, ça dépend donc de l'utilisation qu'on en fait. Nous par exemple chez Comiti on a fait pas mal de sujets sur les petites madame qui se font refaire faire les seins, et dont les médecins le taxe à la sécu. Et la sécu perd des millions d'euros là dessus, donc là elle est justifiée, c'est plus une vérité mais une dénonciation. Moi ça ne me choque pas, je suis plutôt pour à partir du moment où on respecte la dignité de la personne. Quand vous faîtes un reportage sur les cuisines d'un resto chinois, personne ne va vous dire que les produits sont pourris! Et ça c'est appelé du journalisme d'investigation... mais est-ce que ça l'est vraiment? Moi je trouve ça un peu faible quand même. Vous rentrez dans ces fameux traiteurs chinois, vous le savez d'entrée. Ya vraiment d'autres sujet! Mais la caméra cachée, on va y venir! Je vois aussi le moment où on sera tous fouillés, or 150 notre matériel est encore conséquent, donc ça ne passera pas, ils s'en rendront compte. Moi si j'étais un entrepreneur douteux, il y a des journalistes qui viennent, je les fais fouiller. L'investigation passe par là pour toutes les raisons dont je vous ai parlé. Et puis il y a une opacité très latine, les journalistes on les emmerde, ce sont des fouilles merdes! L'accès aux sources c'est très compliqué. Alors il faut être pote avec un juge, un avocat un policier... Ya aucune information sinon! Moi quand j'ai fais un sujet sur les clandestins chinois, je n'ai pas pu filmer une descente de flics, il manquait quelque chose. La télévision ça entraîne de graves conséquences juridiques! Pour le petit sujet qu'on a fait sur le commerce halal, on a du visionner 4 fois le sujet avec les avocats! Parce que ce sont de grandes marques: Quick, Mac Donald... ils sont très soucieux de leur image, ça peut aller très loin. Du coup parfois on donne une caméra aux salariés, et ils risquent leur place. Et puis je crois qu'on est pas tous d'accord sur ce qu'il faut dénoncer! Les patrons de chaîne ne veulent surtout pas avoir d'enquêtes relatives à la politique ou l'économie! Dénoncer la prostitution, les salons de massage, ça ça dérange personne. Vous le faites une fois bon... mais alors plusieurs fois... Très souvent, on enfonce des portes ouvertes. La drogue chez les jeunes par exemple, ça n'impressionne que les patrons de chaînes. Moi j'ai un copain qui a son fils qui cultive du Cannabis dans sa chambre, il est au courant! Finalement, le gros problème des journalistes aujourd'hui, et notamment à Paris, c'est qu'ils ne vivent rien. Donc ils sont étonnés par tout. Un sujet sur l'alcool mondain, ça par contre on ne va pas en parler car les pinardiers forment un vrai lobby. On a voulu faire un sujet sur les femmes alcooliques... impossible. Moi j'ai une idée plus exigeante de l'investigation, un peu à la Albert Londres: il faut planter la plume dans la plaie, sinon... -Justement dans Complément d'enquêtes, ils ont fait quelque chose sur la pédophilie chez les femmes. Oui, c'est une bonne émission. Je trouve que si il y a une émission, c'est elle. Ils ont une vraie liberté: c'est pas trop regardé et ils ont le service public derrière. -Après c'est sûr que le rythme est très lent, ça peut paraître chiant parfois quand on s'habitue aux autres émissions car ils laissent plus parler l'image. Mais le fond est très bon. Ils ont le temps. Lundi Investigation aussi c'est bien. Mais vous voyez par exemple le scandale de la chambre des communes, c'est la presse écrite qui l'a sorti. Ce que la télé fait pas mal à l'étranger en caméra cachée, et qu'on ne ferait pas en France, c'est voilà je me déguise en émir arabe, et je vais essayer de corrompre un député. En France on risque sa peau. -Carrément Et bien quand vous commencez à recevoir des menaces de mort par téléphone, les gens ils 151 ne sont pas très courageux. Un accident de voiture c'est vite arrivé. Ah oui, c'est mafieux en France. Le petit reportage sur la prostitution ça ne dérange personne, mais si vous allez étudier de plus près l'histoire de vedettes de Karachi... On peut aller piéger les gens, mais on le fera pas. Une fois de plus vous avez raison, Complément d'enquête, c'était les seuls qui avaient eu le courage de faire quelque chose sur Clearstream. Pièces à conviction aussi c'est une bonne émission. C'est également la seule émission en 2000 qui a osé diffuser le témoignage de Jean Claude Mery, l'ancienne pompe à finance du RPR. Mais ce ne sont pas des émissions phares. Sur TF1 je n'ai pas vu les nouvelles émissions... Sur M6, Capital à sa façon, c'était de l'investigation au début. -Je trouvais aussi que la démarche de Capital visant à démocratiser l'accès à un certain type d'information était intéressante. Je suis entièrement d'accord. J'ai jamais critiqué ça. Je critique le formatage du langage et du montage. Pendant longtemps en regardant Capital car on apprenait plein de choses, c'était bien foutu. Zone Interdite aussi. -Mais c'est vrai que maintenant les sujets tournent en rond: immobilier, vacances... Oui c'est normal, les portes se ferment. Les gens sont à la fois séduits et puis ils ont très peur. Pour une marque c'est gênant de se prendre un capital dans la tête. -Mais ce qui m'étonne c'est qu'il y a vraiment eu deux phases dans l'histoire du journalisme d'investigation. Durant la première, on a traité exclusivement des scandales politico-financiers. Et puis les gens se sont lassés de ces histoires. Alors on a étendu l'investigation à d'autres domaines. C'est aussi une raison de ce manque d'enquêtes dans la sphère politique et financière peut-être. Le genre s'est essoufflé. Aujourd'hui c'est sûr que les scandales politiques et financiers, on enquête plus vraiment dessus. ll y a un tel contrôle... Moi j'ai des copains au Canard Enchaîné, ils n'inventent jamais rien, ils n'ont que des infos qu'on leur a donné... depuis Sarkozy: ça s'est tari. L'histoire des vedettes de Karachi... ça ça vient de loin! C'est un coup des chiraquiens contre Sarkozy!Qui va aller enquêter dessus? Libé? Personne ne le lit. Où va l'argent du téléthon, de la lutte contre le cancer... qui va aller enquêter là dessus? Aller à l'association des myopathes... D'abord ils vous laisseront même pas y aller. Qui va vous acheter le sujet? Parce que même si y'en a un qui dépense un peu trop pour l'administration, s'il fait un peu de détournement... on na va pas aller taper contre une cause nationale! Enfin je ne vous parle que de la télé, je n'ai pas la prétention de parler de tout ce qui se fait en investigation. Donc la politique, circulez! Le Cac 40, circulez! Il reste pas grand chose! Même sans dénoncer, juste montrer voilà, c'est comme ça que ça se passe. La dernière fois j'ai fais quelque chose sur la désindustrialisation en France pour Tf1. Ca n'a pas marché. Donc on préfère un truc sur Paris Hilton. Les patrons de chaîne ou même le Directeur de France télévision font gaffe à ce qu'ils diffusent. Quand c'est trop de responsabilité politique, ils ne le font pas. Le patron de Paris Match s'est fait virer car l'autre il a diffusé la photo de Cécilia.... Donc on veut pas trop risquer sa carrière professionnelle, sa vie... Ca limite l'investigation. Les élites ont vraiment peur de la télévision, en revanche je suis surpris par les gens du quotidien qui n'ont 152 pas de mal à s'exprimer devant une télé. -Vous bossez donc sur quelles émissions? Enquête Exclusive, La grande Traque sur France 2 qui va sortir en septembre (c'est plutôt historique ou géopolitique, donc ça ne dérange personne en France et ça plaît à fond aux directeurs de chaîne). Archives des émissions depuis septembre 2008 -Légende : couleurs choisies pour répertorier les sujets par thématiques Arnaques Crise Délits Malbouffe Jeunesse Délinquance routière Sécurité Drogue Prisons Le mal être au travail Santé Pouvoir d’achat Maternité Prostitution Les dangers des jeux vidéos Précarité Enquêtes et révélations - Arnaques et scandales immobiliers : enquête sur les victimes et les profiteurs 01.04.2009 - La France dans la guerre : 2 mois au coeur du piège Afghan 02.09.2008 - Jeux dangereux, violence gratuite : faut-il avoir peur de nos enfants 23.09.2008 - Comment sortir du surendettement 07.10.2008 - Fraudes, abus et manque de moyens 18.11.2008 - Logement, emploi, pouvoir d'achat 02.12.2008 - Expulsions, faux papiers, travail au noir : Enquête sur la France clandestine 09.12.2008 153 - Madagascar, enquête sur le scandale du tourisme sexuel français 20.01.2009 - Ventres à louer, ovules à vendre, trafics d'enfants 03.02.2009 - Français au volant : Enquête sur ces nouveaux délinquants de la route 03.03.2009 - Français sous surveillance : comment sommes-nous espionnés au travail et dans notre vie privée 17.03.2009 - Serial Killers : dans la tête des tueurs en série 28.04.2009 - Malbouffe et fraudes alimentaires : qu'y a-t-il vraiment dans nos assiettes 26.05.2009 - Fric, frime, petites combines et grosses arnaques : enquête sur la face cachée de la côte d'azur 08.09.2009 - Promoteurs véreux et artisans sans scrupules : enquête sur les escrocs de l'immobilier 01.12.2009 - Arnaques, patrons voyous et escroqueries en tous genres 06.10.2009 - Prisons de femmes : une vie derrière les barreaux 27.10.2009 - Expulsions, saisies, surendettement : enquête sur les huissiers 05.01.2010 - Sécurité routière : enquête sur les nouveaux délinquants de la route 26.01.2010 - Vente forcée, abus de confiance, publicité mensongère : enquête sur les rois de l'arnaque 16.03.2010 - Mon usine va t elle fermer : Six mois au coeur d'une entreprise en lutte 06.04.2010 - Rites secrets et pouvoirs occultes : enquête au coeur de la franc maçonnerie 25.05.2010 - Vacances à prix cassés : comment éviter les arnaques 01.06.2010 - Nourriture avariée, tromperie sur la qualité : comment être sûrs de ce que nous mangeons 06.07.2010 Complément d’enquête -Vagabons, squatteurs, gitans : pourquoi les marginaux nous dérangent 29.09.2008 -Voiture propre : le marché de dupes 20.10.2008 -Crise : et maintenant, la facture 03.11.2008 -Noirs la révolution Obama 17.11.2008 -Sabotage, révolte, défiance : quand la France voit rouge ! 01.12.2008 -Ces nouveaux poisons qui nous entourent 05.01.2009 -Ces ados qui nous échappent 19.01.2009 -Gare aux escrocs ! 02.02.2009 -Patron : enquête sur un métier à risques ! 16.02.2009 -Antilles : la faute aux blancs ? 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