Quel avenir pour le journalisme d`investigation à la télévision

Transcription

Quel avenir pour le journalisme d`investigation à la télévision
1
Peut-on encore parler de journalisme
d’investigation à la télévision ?
Etude de l’uniformisation et de la
spectacularisation de l’information.
2
Sommaire
INTRODUCTION..............................................................................................................................4
1) Définition de l’objet d’étude : le journalisme d’investigation............................................4
2) Choix de la problématique ....................................................................................................9
3) Présentation du plan ............................................................................................................12
4) La méthode ...........................................................................................................................13
Partie I) Histoire du journalisme d'investigation en France........................................................15
1) Comment le journalisme d'investigation est-il né en France? .........................................15
A)
La naissance du journalisme comme champ autonome ...........................................16
B)
Les ancêtres du journalisme d'investigation en France ...........................................21
C)
Des évènements précurseurs .......................................................................................24
D)
L'impact du Watergate en France ..............................................................................26
E)
Les années 1980-1990, une époque faste pour les journalistes d'investigation.......30
2) L'importation du journalisme d'investigation à la télévision et son évolution...............35
A)
Cinq colonnes à la une, une émission extrêmement novatrice, et l'apparition du
grand reportage à la télévision................................................................................................35
B)
Les années 1980, la renaissance du grand reportage à la télévision........................42
C)
Les années 1990, l'apparition d'émissions devenues cultes ......................................44
D)
Les années 2000, l'explosion du nombre de magazines d'information....................52
Partie II) Uniformisation et spectacularisation des reportages d'investigation.........................62
1) Des noms d’émissions accrocheurs : la promesse du grand frisson ! .............................62
2) Des sujets récurrents, répondant au principe de la « circulation circulaire de
l’information », et conduisant à la dénaturation du réel..........................................................67
A)
La circulation circulaire de l’information .................................................................67
B)
Un goût pour les mauvaises nouvelles, conduisant à la dramatisation du réel et à
l’abandon de sujets d’investigation potentiels.......................................................................69
C)
Illustration graphique..................................................................................................72
3) Le formatage croissant du traitement de l’information : scénarisation et
spectacularisation.........................................................................................................................79
A)
Prendre le téléspectateur par la main.........................................................................80
B)
La boîte à outils M6 .....................................................................................................83
C)
La dictature du commentaire à l’image .....................................................................86
D)
Une dramatisation et une « cinématoisation » de l’information..............................89
E)
La personnalisation des sujets : le risque de basculer dans le reportage, au
détriment de l’enquête ? ..........................................................................................................93
4) Quelles sont les causes de cette uniformisation ? ..............................................................97
A)
Des facteurs économiques............................................................................................97
B)
Des facteurs politiques ...............................................................................................101
C)
Réaliser une enquête à la télévision, une difficulté supplémentaire ? ...................106
CONCLUSION............................................................................................................................... 111
BIBLIOGRAPHIE......................................................................................................................... 115
ANNEXES....................................................................................................................................... 118
3
INTRODUCTION
« L’investigation, c’est un journalisme de combat qui ne se contente pas de décrire, mais
aussi d’interpeller. Un journalisme qui ne craint pas de choisir ses causes, et qui doit rester
un outil de contre-pouvoir dans la société1 ». Cette citation est tirée d’une interview de Paul
Moreira, personnage emblématique du journalisme d’investigation télévisuel en France. Elle
s’inscrit dans la lignée de la figure du journaliste engagé, sur les traces d’Albert Londres.
Un héros justicier participant à un mouvement pour la vérité, au service de l’intérêt public
dans une démocratie fébrile et corrompue. Un quatrième pouvoir que l’on pare de milles
vertus, et qui bénéficie d’une position privilégiée dans le champ journalistique. Mais qu’y at-il derrière le mythe ?
Pour tenter de répondre à cette première interrogation, il convient tout d’abord de définir ce
qu’est le journalisme d’investigation d’un point de vue exemplaire, et d’expliquer pourquoi
est-ce qu’il est considéré comme la matière la plus noble du journalisme, avant de
démontrer que le journalisme d’investigation ne fonctionne pas de manière intrinsèque mais
est dépendant d’autres univers sociaux et des sources. La définition générale de l’objet
d’étude nous permettra d’établir les bases conceptuelles inhérentes à l’étude du journalisme
d’investigation. Cela nous permettra aussi de mieux comprendre les enjeux de la
problématique qui seront exposés dans la deuxième partie de cette introduction.
1) Définition de l’objet d’étude : le journalisme d’investigation
-Ancrage historique
On fait grossièrement remonter l’apparition du journalisme d’investigation à l’épisode du
1
Bakchich, Le journalisme d’investigation, comment ça marche ?, mis en ligne le 31/12/2009, consulté le 10/03/2010
4
Watergate en 1972, lorsque deux journalistes du Washington Post révélèrent l’implication
de la maison blanche dans le cambriolage des locaux du parti démocrate, dans l’immeuble
du Watergate. Les journalistes se rendirent compte que le vol avait été piloté par le Comité
de réélection du Président Nixon. L’information fut par la suite reprise dans d’autres
journaux, et cela éveilla l’inquiétude du pouvoir judiciaire, du Sénat et de l'opinion
publique, ce qui poussa Richard Nixon à la démission.
Cet évènement ne connaît pas de précédent, et demeure à ce jour le plus gros « coup » du
journalisme d’investigation. C’est pourquoi le journalisme d’enquête est dès lors considéré
comme un quatrième pouvoir, nécessaire à la démocratie. Les élites sont perçues comme
corrompues, et le journaliste est là pour révéler la face cachée de ces personnages publics.
Les années 80 enregistrent ainsi l’explosion du journalisme d’investigation. L’enquête
acquiert ses lettres de noblesse, et domine dès lors le champ journalistique, mais cela a
impliqué des changements profonds à l’intérieur et à l’extérieur du champ.
Le Watergate a également eu un impact en France. Il a contribué à créer un mythe dans
lequel le journaliste est présenté comme un héro justicier, et on a ainsi voulu recréer un
Watergate à la française avec, notamment, l’affaire du sang contaminé à la fin des années
80. Le journaliste sort des « affaires », capables de déstabiliser les élites politiques et
économiques. Mais le champ journalistique n’a pas évolué de façon intrinsèque. Il a
toujours été dépendant de l’évolution des autres champs, politique ou économique, mais
surtout judiciaire comme nous le verrons dans la première partie de ce mémoire.
-La méthode du journalisme d’investigation
Avec le Watergate, une nouvelle méthodologie émerge. Les journalistes revendiquent alors
une plus grande professionnalisation, et une véritable technique dans l’exercice de leur
métier. En effet, par définition, il s’agit de révéler des informations jusqu’ici dissimulées,
touchant le plus souvent à des sujets « sensibles ». Cette information est par ailleurs censée
être exclusive. Pour sortir une affaire, le journaliste d’investigation doit vérifier
attentivement les informations données par les sources. La phase de recherche est donc bien
5
plus longue que pour un simple reportage. Il convient de recouper au maximum les données,
et de confronter les informations provenant des sources officielles avec celles provenant des
sources non officielles : « A partir du moment où l'on commence à creuser un sujet, à tenter
d'avoir des informations et des scoops, à mélanger le terrain, l'analyse et l'information
nouvelle que l'on va chercher chez les sources officielles ou officieuses, et bien cela
s'appelle faire de l'enquête. Si c'est uniquement raconter ce que l'on voit, cela s'appelle un
reportage. 2».
Depuis quelques années, il existe également une autre définition du journalisme d’enquête,
qui ne consiste pas uniquement à dénicher des documents cachés. Selon Vincent Nouzille, il
existe aussi le « data journalism », plus anglo-saxon, mais que l’on peut appliquer en
France. Dans ce cas, l’enquête consiste en l’analyse d’une énorme masse de documents de
source publique. Celle-ci permet de comprendre une réalité morcelée, sans forcément
pénétrer des milieux cachés pour arracher leurs secrets. A titre d’exemple, cela peut
concerner le lobbying ou encore les absences des députés à l’Assemblée. Cela peut aussi
permettre de créer un classement des hôpitaux les plus sûrs etcetera…
Dans la réalité, les deux techniques sont souvent liées. Pour arriver à déduire l'existence
d'un secret, et encore plus pour le tirer d'une source, il faut d'abord comprendre les liens
entre un grand nombre de faits et de personnages. On doit donc chercher non seulement les
faits cachés, mais avant tout le sens caché des faits plus ou moins évidents.
-Une façon d’envisager le métier différente aux Etats-Unis et en France
Il est ici intéressant de faire une distinction entre le point de vue anglo-saxon et le point de
vue français sur la discipline. Aux Etats-Unis, devenir un journaliste d’investigation est à la
portée de tout journaliste. Il s’agit uniquement d’appliquer minutieusement une boîte à
outils, une technique, permettant d’effectuer une enquête. En France, la capacité d’un
journaliste à réaliser un travail d’investigation est considérée comme étant liée au réseau
que le journaliste est à même d’activer. Ainsi, bien souvent, comme le souligne Vincent
2
Entretien avec Vincent Nouzille réalisé le 20/03/2010
6
Nouzille, « Les journalistes dits d’investigation en France se détestent les uns les autres et
ne travaillent jamais ensemble, ils sont jaloux de leurs scoops… 3». Chacun est occupé à
protéger ses sources, et ne souhaite en aucun cas les partager. Les journalistes français
s'occupent essentiellement « des affaires politiquement sensibles », où « des raisons
personnelles, politiques et d'Etat sont combinées. Leur méthode réside plus dans leur
capacité à mobiliser leurs sources que leur recherche de documents. Des sources du monde
politique, judiciaire, policier, fondamentales pour leur travail. Des relations personnelles
qui ne peuvent être codifiées 4».
On est donc loin de l'image américaine d'un journalisme qui serait avant tout une méthode
que tout le monde pourrait appliquer, et à tout type de sujets. Car en France, durant des
années, l’investigation s’est portée uniquement sur les affaires politico-financières, ce qui
n’est pas le cas aux Etats-Unis. De ce fait, au bout d’un moment, il y a eu une véritable
saturation dans les rédactions et de la part des lecteurs, comme l’évoque Vincent Nouzille :
« Quand j’étais à l'express, j’ai bien vu que le système s’épuisait. Que ce soit Denis Jambart
ou Christophe Barbier, qui sont deux brillants journalistiques politiques, au début ils te
soutenaient et puis à la fin ils disaient « Oh ça fait chier encore tel sujet, encore tel scandale
politico-financier», voilà c’était fini quoi. Alors ils ne disaient pas cela aussi brutalement,
ils disaient plutôt « Oh on ne pourrait pas faire autre chose ? », sauf si on en était au 40ème
épisode de telle affaire judiciaire. Mais ce que je veux dire c’est que du coup cela a un peu
écrasé les services d’investigation. Par exemple à l’Express, le service investigation a
disparu. Il a été refondu dans le service France. Alors les mecs se ressoudent entre eux à
l’intérieur du service France tu vois, mais ce que je veux dire c’est qu’il y avait une
autonomie de ces services qui a un peu disparue 5».
Aux Etats-Unis, au contraire, l’investigation a investi très tôt bien d’autres terrains à
l’image du sport, de l’éducation, de la santé…
Ainsi, les journalistes français ont perpétué et perpétuent encore une tradition du
3
Entretien avec Vincent Nouzille réalisé le 20/03/2010
4
Jacques Derogy, Policiers et journalistes: entre compétition et connivence, Cahiers de la sécurité intérieure, 1993)
Entretien avec Vincent Nouzille réalisé le 20/03/2010
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7
journalisme politique, bien enracinée en France comme nous le verrons par la suite. Aussi,
si les américains et les français ne travaillent pas de la même façon, c’est qu’ils ne disposent
pas du même accès aux sources officielles. Nous accusons un très fort retard en la matière.
-Le difficile accès aux sources en France
Voici un point essentiel dans l’étude du journalisme d’investigation : la question des
sources. En France, l’accès aux sources officielles est entravé par bon nombre de
dispositions légales, alors qu’aux Etats-Unis, l’accès aux documents officiels est un droit.
C’est pourquoi, en France, il est indispensable de se constituer un réseau de sources
personnelles, contrairement aux Etats-Unis, où la profession s'est dirigée vers l'obtention de
sources plus officielles. Cela s'explique très simplement. En France, il est particulièrement
compliqué d'avoir accès aux archives malgré la loi du 17 juillet 1978 sur l'Accès aux
documents administratifs. Le secret judiciaire est également très prégnant. Aux Etats-Unis,
il existe le Freedom of Information Act: même si les autorités peuvent mettre du temps à
fournir des documents, c'est un droit non opposable à tous les citoyens.
Vincent Nouzille nous explique concrètement ces difficultés : « En France, on est sur une
posture où toute l’information publique, c’est quand même un truc qui est encore assez
verrouillé. La preuve c’est que pour obtenir les contrats sur l’achat de vaccins contre la
grippe A, le Point a du demander quand même le fameux recours à la CADA (Commission
d’Autorisation d’Accès aux Documents Administratifs), qui a fait pression sur le ministère
de la santé pour délivrer les contrats en disant que c’était tout à fait justifié que ces contrats
soient rendus publics, étant donné qu’ils concernent des données publiques. Mais c’est pas
automatique ! Alors que dans d’autres pays, comme aux États-Unis, tu as le FOIA (Freedom
of Information Act), qui est extrêmement important puisque c’est un droit, on ne peut pas
t’opposer cela. S’ils refusent, c’est à eux de se défendre. Ils sont obligés de te répondre.
Après ils peuvent jouer la tactique du temps, de retarder la réponse, mais ils sont obligés de
te répondre. Tu es dans une position tout à fait différente. Ce qui est d’ailleurs le cas pour
l’accès aux archives tout court. Aux États-Unis, les archives sont déclassifiées de manière
automatique, donc tu peux faire des demandes d’accès. En France, en gros, la loi t’interdit
8
tout, sauf dérogations à la tête du client, que tu montres patte blanche ».
-Pour une démystification de la figure du journaliste d’enquête
La soudaine apparition du journalisme d’investigation semble être liée au seul mérite des
journalistes, ne craignant rien ni personne. Pourtant, comme nous allons l’étudier par la
suite, l’épanouissement du journalisme d’investigation n’est possible que si toutes les
conditions sociales, économiques, judiciaires ou politiques sont réunies.
Les journalistes se vantent de « voler les informations », mais ils sont toujours dépendants
du bon vouloir de leurs sources. « Les divisions marquant le champ politique se reflètent
dans le champ journalistique. L’accès au dossier dépend toujours d’une alliance conclue
avec la source. Les journalistes fonctionnent comme des boîtes aux lettres : on leur suggère
d’aller enquêter sur telle ou telle chose. Il s’agit donc moins d’enquête que de capacité à se
procurer des documents avant les autres »6.
Cette vision du journalisme d’investigation est certainement sévère, mais elle a le mérite de
présenter une réalité différente de celle que nous exposent les médias. Cela permet d’avoir
un œil plus sociologique sur la question et de prendre du recul sur la profession, qui est elle
aussi dépendante de nombreux facteurs extérieurs.
2) Choix de la problématique
Après avoir défini ce qu’est le journalisme d’investigation, et donné quelques outils
conceptuels nous permettant de mieux comprendre les enjeux de la discipline, nous allons
maintenant expliquer le choix de la problématique.
Après des heures de gloire dans les années 80 et 90, la pratique du journalisme
d’investigation semble s’être tarie en France au sein de la presse écrite, avec la disparition
6
Dominique Marchetti, Les révélations du journalisme d’investigation, Actes de la recherche en sciences sociales, n°
131-132, pages 30-40, 2000.
9
des cellules d’enquête des rédactions depuis les années 20007. A l’inverse, le genre semble
avoir fleuri à la télévision, avec l’explosion du nombre d’émissions d’enquête nées durant la
dernière décennie, et notamment depuis l’apparition de la TNT : Compléments d’Enquêtes
sur France 2, Enquêtes et Révélations sur TF1, Enquête Exclusive sur M6, 90’ Enquêtes sur
TMC, Pièces à conviction sur France 3, Spécial Investigation sur Canal +, Enquête d’action
sur W9… Ces émissions connaissent un grand succès qui explique leur multiplication, et
chaque chaîne se targue de diffuser son émission d’enquête. Une réussite qu’Elise Lucet,
présentatrice de l’émission Pièces à conviction sur France 3, voit d’un bon œil : « Je crois
que les patrons de chaîne ont été surpris de l’intérêt des téléspectateurs pour ce type de
programmes. Il faut croire que beaucoup de gens en ont assez des émissions de flux. Je
crois aussi que les magazines d’enquête ont fait beaucoup de progrès dans la mise en
images, la fluidité. Ça n’est plus réservé à une élite, tout le monde peut comprendre certains
enjeux même si les sujets sont parfois très compliqués. En tout cas, c’est bon signe8 ! »
C’est cette soudaine multiplication du nombre d’émissions consacrées à l’enquête (et
particulièrement depuis deux ans), qui m’a tout d’abord semblé intéressante à analyser.
Pourquoi un tel succès ? Il m’est apparu, comme le décrit Elise Lucet, que ces émissions
avaient l’art de dynamiser des sujets d’ordinaire jugés ennuyants par bon nombre de
téléspectateurs. Je voyais ainsi cette « démocratisation » d’un œil plutôt positif, séduite par
le rythme et la fluidité de ces émissions type Enquêtes Exclusive, qui consacrait à l’époque
de nombreux sujets sur l’étranger, chose que l’on voyait encore peu sur le PAF, puisque les
émissions montées de la sorte comme Capital ou Zone Interdite, étaient plus consacrées à
l’hexagone.
Puis, au fur et à mesure, il m’a semblé que le champ d’étude de ces émissions s’était
restreint aux sujets types police, secours et prostitution, tombant de plus en plus dans la
recherche du choquant et du scandaleux… pour au final n’énoncer que des lieux communs.
Aussi, la ressemblance entre les émissions m’est apparue très clairement : même
thématiques, même teasers, même expressions, même intonations, même personnalisation
7
8
Entretien avec Vincent Nouzille réalisé le 20/03/2010
Télérama, “Pièces à conviction” dès 20h50 ! Oui mais à quel prix ?, mis en ligne le 08/10/2008, consulté le
25/05/2010
10
des sujets…. Je me suis alors dit qu’il serait judicieux de regarder s’il en était de même dans
le service public, avec l’étude d’émissions telles qu’Envoyé Spécial ou encore Complément
d’enquête sur France 2, et de constater une hypothétique évolution. Dès lors, ma
problématique s’est tournée vers la question de l’uniformisation des programmes, mais
également vers celle de la spectacularisation de l’information. Au fur et à mesure de mes
recherches, ces différentes tendances me sont apparues comme étant en totale contradiction
avec la prétention de faire de l’enquête, puisqu’une enquête est censée être exclusive.
Je me suis alors davantage penchée sur la problématique du journalisme d’investigation en
lui-même, notamment parce que les questions d’uniformisation et de spectacularisation de
l’information ont été maintes fois étudiées, et que la question du journalisme d’investigation
à la télévision a au contraire été peu couverte. J’ai donc voulu comprendre ce qu’était
véritablement le journalisme d’investigation, pour pouvoir analyser cette myriade
d’émissions prétendant faire de l’enquête, et tenter de déterminer s’il s’agissait
véritablement d’investigation. Par définition, le journalisme d’enquête se doit de révéler au
grand jour des vérités cachées. La reprise systématique de sujets tels que la police et la
drogue, sans que de nouvelles informations soient révélées au téléspectateur, nous amène
donc à nous demander si la dénomination de ces émissions est bien correcte.
A partir de là, j’ai ainsi pu dégager une série de questions.
-D’une part, des questions relatives au journalisme d’investigation en lui-même : qu’est-ce
que le journalisme d’investigation ? Quand et comment est-il apparu en France ? Y a-t-il eu
des freins à son développement, notamment par rapport aux Etats-Unis ? Quelle forme a-t-il
pris à la télévision ?
-D’autre part, des questions relatives à l’uniformisation du journalisme d’investigation à la
télévision : quelles formes prend ce formatage tant au niveau du contenu que de la forme ?
Cette façon systématique de « prendre le téléspectateur par la main » (dicton de M6)
permet-elle d'attirer des téléspectateurs qui ne seraient d'ordinaire pas au rendez-vous, et
ainsi, de remplir une mission pédagogique? Ou au contraire obstrue t-elle une réalité
complexe au profit de schémas trop simplistes, menant à l’abrutissement? Enfin, quelles
sont les causes de cette uniformisation ?
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Ces questions nous permettront de tenter de répondre en dernier lieu à la question suivante :
la multiplication des émissions d'investigation, et leur paradoxale uniformisation, est-elle en
voie de détruire l'essence même du journalisme d'investigation?
3) Présentation du plan
Pour tenter de répondre à ces questions, nous allons distinguer deux grandes parties dans ce
mémoire.
-La première sera consacrée à l’étude du journalisme d’investigation de manière générale,
en étudiant aussi bien la presse écrite que la presse télé. Ainsi, on tentera d’établir un
historique du journalisme d’investigation en France, en montrant que les conditions étaient
peu propices à son développement : avant même d’envisager le développement du
journalisme d’investigation, il fallait que le champ journalistique parvienne à s’autonomiser
et à s’extirper du champ politique et du champ littéraire. Nous identifierons par la suite les
ancêtres du journalisme d’investigation, et notamment le reportage, avant d’évoquer
l’épisode du Watergate, qui a révolutionné le champ journalistique à l’époque, aux EtatsUnis puis en France. Nous aborderons ensuite l’importation du journalisme d’investigation
à la télévision, en étudiant notamment l’émission de grands reportages Cinq colonnes à la
Une, très novatrice, puis en faisant l’historique des émissions d’enquête depuis les années
80.
-La seconde partie tentera de démontrer l’uniformisation et la spectacularisation des
émissions d’enquête ces dernières années. Dans un premier temps, il s’agira d’étudier le
formatage des contenus, en analysant les noms des émissions puis en répertoriant les
thématiques traitées dans les émissions, afin de mettre à jour un certain nombre de
mécanismes tels que la « circulation circulaire de l’information », ou encore l’attrait pour
les mauvaises nouvelles, conduisant à la dramatisation de l’information, au détriment du
réel. Dans un second temps, on étudiera l’uniformisation de la forme en se basant tout
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d’abord sur l’analyse des techniques M6 qui ont aujourd’hui inondé tout le PAF. Ainsi, on
verra en quoi consiste le dicton « prendre le téléspectateur par la main », et qui a influencé
l’écriture de presque tous les magazines d’enquête, y compris dans le service public. On
étudiera ensuite la boîte à outils de M6, permettant d’identifier une « recette » applicable au
montage de la plupart des émissions d’enquête. On verra ensuite la question du
commentaire à l’image, aujourd’hui extrêmement formaté, puis la question de la
personnalisation des sujets. Enfin, on tentera de trouver les causes de ce formatage
croissant, en étudiant notamment les facteurs économiques et politiques.
-En guise de conclusion, on tentera d’établir des perspectives d’avenir sur la profession.
4) La méthode
La première partie de ce mémoire étant plus académique, j’ai eu recours à divers ouvrages à
l’image du livre de Mark Hunter intitulé Le journalisme d’investigation, une publication
fondamentale qui retrace l’histoire du journalisme d’investigation en France et aux EtatsUnis. J’ai consulté par ailleurs l’ouvrage de Jean Noël Jeanneney et Monique sauvage:
Télévision, Nouvelle mémoire, Les magazines de grands reportages, afin d’avoir un
éclairage sur l’ancêtre du journalisme d’investigation à la télévision. J’ai également relu les
différents cours que j’ai pu suivre à sciences po, à l’image du cours d’Histoire des médias
d’Olivier Baisnée, et je me suis aussi aidée d’une publication de Dominique Marchetti, Les
révélations du journalisme d’investigation, afin d’avoir une approche plus sociologique de
la question, m’aidant à problématiser mon mémoire. Aucun de ces ouvrages n’étaient
véritablement consacré au journalisme d’investigation à la télévision, mais en recroisant les
informations, j’ai pu tenter d’établir une perspective historique de sa naissance sur le petit
écran. J’ai donc commencé par étudier la naissance du journalisme d’investigation dans les
médias de presse écrite, puis j’ai essayé de dater son apparition à la télévision. Outre
l’ouvrage de Jean Noël Jeanneney et Monique sauvage, je n’ai trouvé aucune publication
traitant véritablement de ma problématique. C’est pourquoi j’au du effectuer mes recherches
sur les archives de l’INA afin de pouvoir retracer l’historique des émissions d’investigation.
13
Mon entretien avec Vincent Nouzille m’a également été utile dans cette partie, me
permettant de théoriser la question du journalisme d’investigation.
La seconde partie de ce mémoire est plus empirique. Les réflexions sont tirées de mon
observation du panel d’émissions choisies pour l’étude (Enquêtes et révélations sur TF1,
Envoyé Spécial et Complément d’enquête sur France 2, Pièces à conviction sur France 3,
Enquête Exclusive sur M6, Enquête d’action sur W9, 90’ Enquêtes sur TMC9) ; mais
également de mon stage effectué au sein de la boîte de production Ligne de Front. Je me
suis par ailleurs grandement aidée de mes entretiens avec les trois interlocuteurs suivants :
Bernard de la Villardière, animateur et producteur d’Enquête Exclusive, Vincent Nouzille,
enquêteur freelance pour l’Express, auteur de divers ouvrages d’investigation et professeur
au CFJ, et enfin Renaut Fessaguet, grand reporter chez Tony Comiti et ancien rédacteur en
chef de France 24. Ces trois personnages m’ont apporté des éclairages très différents sur ma
problématique. Les propos de Bernard de la Villardière étaient symptomatiques du système
M6 qui s’est répandu sur tout le PAF. Ceux de Vincent Nouzille m’ont permis de prendre du
recul sur la question de l’uniformisation et de ses causes, et m’ont donné quelques clefs
pour parvenir à répondre à la question ultime de ce mémoire. Enfin, les propos de Renaut
Fessaguet, plus subjectifs et plus incisifs, ont été ceux qui relataient le plus les questions
d’uniformisation et de spectacularisation. Il convient tout de même de les prendre avec
précaution, ce dernier étant réputé être assez pessimiste sur l’avenir de la profession. Dans
cette seconde partie, j’ai également effectué des recherches dans les archives de l’INA afin
de réaliser des graphiques illustrant les thématiques traitées dans chaque émission. J’ai étalé
cette étude sur la période de septembre 2008 (date de création de l’émission Enquêtes et
révélations sur TF1) à août 201010. J’ai également eu recours à une série d’articles
provenant de journaux spécialisés dans le traitement de l’actualité des médias.
9
A noter que je n’ai pas pu étudier Spécial Investigations sur Canal +, n’ayant accès au programme
A noter que je n’ai pas pu étudier Pièces à conviction sur France 3 car les archives sur le site de l’INA n’étaient pas
complètes.
10
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Partie I) Histoire du journalisme d'investigation en
France
Dans cette première partie, nous étudierons les conditions d’importation du journalisme
d’investigation en France, et notamment les freins à son développement en comparaison
avec les Etats-Unis. Nous analyserons ensuite de façon plus pragmatique l'offre présente
dans le paysage audiovisuel français depuis trois décennies.
1) Comment le journalisme d'investigation est-il né en France?
Pour tenter de dater l'apparition du journalisme d'investigation en France, il convient tout
d'abord de remonter un peu dans le temps, aux origines de la création du journalisme
français en tant que « champ ». Comme l'a démontré Pierre Bourdieu dans ses différents
ouvrages, ce dernier ne peut exister que dans la mesure où il jouit d'une certaine autonomie
par rapport aux autres univers sociaux (politique, économique, littéraire...). Sans cette
autonomie, point de journalisme. Ce champ possède ainsi ses propres lois, ses propres
luttes. C'est un champ de force que les acteurs déjà présents souhaitent conserver tel quel, et
que les nouveaux entrants souhaitent modifier en imposant de nouveaux critères
d'évaluation sur ce qui constitue un bon ou un mauvais journaliste. Ainsi, les acteurs vont
être tentés de valoriser divers capitaux (scolaire, économique, social...) en fonction de leurs
propres dotations, afin d'obtenir la meilleure place au sein de la hiérarchie.
Ces bases conceptuelles nous permettent de mieux comprendre pourquoi certaines pratiques
vont s'imposer et être valorisées par rapport à d'autres, et donc de comprendre pourquoi les
techniques d'investigation ne se sont pas imposées directement en France. Bien sûr, il
convient de ne pas étudier le champ journalistique comme un univers déconnecté du reste de
l'espace social. En effet, des conditions externes au champ (économiques, politiques...)
15
doivent être réunies pour qu'émergent certaines pratiques. Cela explique pourquoi la
naissance du journalisme, puis la naissance de l'investigation accusent un certain « retard »
en France par rapport aux pays anglo-saxons. Il convient bien sûr ici de rappeler que le
journalisme ne se réduit pas au seul journalisme d'investigation. Mais dans le cadre de cette
étude, il semble intéressant de remonter aux origines de la création du journalisme pour
comprendre pourquoi les techniques d'investigation n'ont pas vues le jour immédiatement en
France.
A) La naissance du journalisme comme champ autonome
a)La nécessaire extraction du champ politique et littéraire, autant d'obstacles à
l'émergence d'un champ journalistique autonome
Si l'on fait traditionnellement remonter la naissance du journalisme en France à la gazette de
Théophaste Renaudot en 1631, il semblerait qu'il n'émerge véritablement qu'à la fin du
XIXème siècle avec la loi de 1881 relative à la liberté de la presse. Il devra ainsi s'extraire
du champ littéraire et politique pour exister en tant qu'entité autonome. Cependant, l'on
verra qu'aujourd'hui encore, les champs politiques et littéraires pénètrent le champ
journalistique, ce qui s'avère être un véritable obstacle à l'émergence du journalisme
d'investigation en France, et notamment de la confiance de l'opinion publique envers les
journalistes. La presse française étant, selon Thomas Ferenczi, une « combinaison originale
aux confluents de la vie littéraire et politique »11.
-Avant 1881: une profession accaparée par la littérature où les faits importent peu
A l'origine, le journalisme est une profession accaparée par des hommes de lettres, souvent
d'origine aristocratique, pour qui il s'agit plus d'un passe-temps que d'un métier. Bien
11 Thomas Ferenczi, L'invention du journalisme en France, Plon, 1994.
16
souvent, ces journalistes sont avant tout des écrivains, à l'image de François-René de
Chateaubriand ou encore Gérard de Nerval. Ces derniers rédigent des « romans-feuilletons »
leur permettant d'obtenir un revenu régulier en complément de leur activité d'écriture. Ainsi,
la « critique », souvent théâtrale, et la « chronique », sorte de carnet mondain, sont les
genres les plus recherchés. La façon de rapporter les faits est bien évidemment centrale dans
ce type d'exercice. Au fond, l'information n'a en elle-même que peu d'intérêt, ce qui n'est
absolument pas le cas aux Etats-Unis où seuls les « faits » importent. Cela montre bien que
les conditions n'étaient pas propices à l'établissement du journalisme d'investigation,
puisque la recherche des informations était dénigrée. Aujourd'hui encore, les journalistes
anglo-saxons jugent l'écriture journalistique française très « fleurie ». Bien écrire demeure
essentiel, en témoigne la place des éditorialistes au sein de la hiérarchie du champ
journalistique français.
-Une profession sous haut contrôle gouvernemental, étroitement liée au champ politique
Jusqu'en 1789, éditer un journal demeure un "privilège" et non un droit. Si aux Etats-Unis,
le premier amendement de la Constitution interdit à l'Exécutif et au Congrès de formuler
"toute loi" visant à limiter la liberté de la presse, en France, l'article XI de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen, prévoit que "la libre communication des pensées et
opinions" est garantie "sauf à réponde de l'abus de cette liberté dans le cas prévus par la loi".
Des restrictions qui n'ont pas d'équivalents outre-atlantique.
Avant 1881, la presse est ainsi sous haut contrôle gouvernemental. La censure et la
propagande se mêlent allégrement aux « informations ». A l'époque, les journaux sont
détenus par des hommes politiques, et la partialité est de mise. Les partis s'attaquent par
journaux interposés, à tel point que les « journalistes » se battent en duel lorsque les conflits
sont trop graves. Des salles sont prévues à cet effet dans les rédactions. Là encore, le
journalisme n'est pas vu comme une activité en soi, mais seulement le moyen d'atteindre une
carrière politique.
La loi de 1881 est donc un grand tournant puisqu'elle instaure la liberté de la presse, non
seulement en la proclamant, mais également en énonçant ses éventuelles atteintes.
17
Malgré tout, l'indépendance de la presse demeure moins assurée en France que dans d'autres
pays comme en Allemagne ou encore aux Etats-Unis.
Aujourd'hui encore, il existe de nombreux biais pour interdire la publication d'une
information: "attentats et atteintes à la sécurité extérieure de l'Etat" (article 75 du Code
pénal), "offenses aux chefs d'Etat étrangers" (loi du 16 mars 1893), atteintes "aux crédits de
la Nation" (loi du 18 août 1936), "outrage aux bonnes moeurs" (article 283 du Code pénal),
"atteinte à l'intimité de la vie privée" (loi du 17 juillet 1970), des saisies administratives sont
autorisées quand il y a "péril grave et imminent" (tribunal des conflits, 8 mars 1935) ou
encore "secrets militaires" (décret moi du 20 mars 1939). En ce qui concerne les affaires
civiles, un seul juge, lors d'un référé, peut prononcer la saisie d'un journal (article 809
Nouveau Code de procédure civile).
Aussi, outre ces procédures, le financement des journaux laisse parfois à désirer: "Jusqu'à la
Libération, tous les gouvernements français ont disposé de fonds spéciaux pour influencer la
presse", explique Jacques Henno12. Par exemple, en 1926, Le Quotidien de Henri Dumay,
fut démasqué pour avoir reçu des subventions de la Banque de France, en échange d'une
série d'articles attaquant Raoul Pret, ministre des Finances. Cela a laissé des traces pérennes
dans la presse française, et encore aujourd'hui. Cela explique la défiance des français envers
les journalistes, et en particulier les journalistes d'investigation.
Dans le traitement de l'information, le journalisme français demeure également aujourd'hui
encore lié au champ politique. "Le journalisme américain incline naturellement vers la
représentation de la réalité, que celle-ci réside dans la conduite d'un homme, l'expression
d'une pensée ou bien les réalisations d'une institution. Et son homologue européen est
davantage attiré par l'interprétation des événements qui adviennent"13. Le journaliste
français est donc plus souvent considéré comme un professionnel de la politique qu'un
professionnel de la presse.
-Les changements véhiculés par la loi de 1881: une professionnalisation du métier de
12 Jacques Henno, La presse économique et financière, PUF, 1993.
13 Francis Balle, Et si la presse n'existait pas..., JCLattès, 1987
18
journaliste
Même si les choses n'aient pas changées du tout au tout, la loi de 1881 est une véritable
révolution dans la représentation du journaliste, et notamment de son statut social. Bien
qu'elle n'établisse par de réelle charte du métier, elle encadre et professionnalise le métier de
journaliste en définissant les différents délits de presse pouvant exister. Elle permet
également d'encadrer les atteintes à la liberté de la presse, et ainsi de libérer les journaux du
poids de la censure, et de pouvoir envisager un vrai travail journalistique où l'indépendance
politique serait respectée.
C'est pourquoi, d'une activité étant considérée comme un passe-temps, le journalisme
devient une profession salariée à part entière, une fin en soi, qui se détache peu à peu du
champ littéraire et politique. Les littérateurs (souvent aisés), vont donc laisser leur place aux
journalistes (souvent plus modestes) qui vont dès lors revendiquer une plus grande
autonomisation et professionnalisation du journalisme. Les modes de recrutement vont de ce
fait évoluer, et le journalisme va être accessible à de nouvelles classes sociales. Alors qu'en
1858, 44% des journalistes sont grands bourgeois ou aristocrates, ils ne sont plus que 16%
en 189314.
Peu à peu, l’enjeu crucial sera de savoir si le journaliste est un bon professionnel, et non un
bon écrivain. Il s'agira ainsi d'écarter les amateurs.
Ainsi, l'on voit bien qu'avant la fin du XIX, les conditions historiques ne sont pas propices à
l'établissement du journalisme en France, et a fortiori, du journalisme d'investigation,
puisque l'indépendance à l'égard de la politique, et la place de l'information sont minimes.
b) L'information comme objet de concurrence entre les journaux
Peu à peu, un élément nouveau va prendre de plus en plus d'importance: l'information. A la
fin du XIXème siècle, les pratiques journalistiques vont beaucoup évoluer. Ces dernières
sont grandement influencées par le journalisme américain, où les conditions économiques,
politiques et sociales ont été réunies de façon plus précoce pour faire émerger le journalisme
14 Olivier Baisnée, Cours d'Histoire des médias, IEP 4ème année, 2009
19
en tant que champ autonome. Ainsi, il convient de ne pas tomber dans le culturalisme, en
faisant l'apologie d'une société qui serait plus avancée qu'une autre. Qu'il s'agisse des EtatsUnis, de l'Angleterre ou encore de la France, il aura fallu à ces trois pays s'extraire d'autres
univers sociaux: industriel, politique ou encore littéraire.
-Le passage d'une économie artisanale à une économie industrielle avec l'apparition d'un
lectorat populaire
Il est important de rappeler les circonstances économiques dans lesquelles se sont
développées ces nouvelles pratiques. En effet, sans ces évolutions structurelles,
l'information n'aurait pu devenir un objet de concurrence entre les journaux. De 1880 à
1899, le nombre de titres est multiplié par deux à Paris, passant de 1316 à 268515.
Parallèlement, le nombre de tirages explose: il passe de 2 millions par jour en 1880 à 5
millions en 1914. L'on passe ainsi d'une économie artisanale à une économie industrielle.
Aussi, 4 titres populaires (« Le petit journal », « l'Aurore » « Le petit matin », « Le petit
parisien ») concentrent 80% du lectorat. Derrière ces journaux, l'on trouve donc des
entrepreneurs qui souhaitent rentabiliser leur affaire, plutôt que d'offrir des tribunes aux
politiques. L'instauration du suffrage universel masculin en 1948 est bien évidemment
essentiel dans ce processus, puisqu'il s'agit désormais aussi pour les politiques de capter un
public beaucoup plus large, et donc d'éviter les clivages partisans d'antan. L'on a désormais
affaire à une classe ouvrière urbaine et conscientisée.
L'on peut ici faire un comparatif avec les Etats-Unis et l'apparition de la « penny press » en
1833 avec le « New York Sun ». Cette presse populaire est révolutionnaire. Vendue dans la
rue par des crieurs, elle est beaucoup moins chère que la presse élitiste qui ne coûtait pas
moins de 8% du salaire d'un ouvrier par jour16. Cette presse était réservée à une élite,
rapportant des informations sur la politique fédérale ou encore sur le trafic maritime. Les
journaux, désormais rémunérés par la publicité, ne vendent plus des tribunes aux partis
politiques mais de l'information à un public général17. Michael Schudson explique cette
15 Olivier Baisnée, Cours d'Histoire des médias, IEP 4ème année, 2009
16 Olivier Baisnée, Cours d'Histoire des médias, IEP 4ème année, 2009
17 Michael Schudson, Discovering the news: A social history of american newspaper, The perseus books group, 1978
20
révolution par l'apparition d'audiences populaires qui n'existaient pas auparavant. Ces
dernières sont apparues avec la libéralisation économique et plus encore politique de
l'Amérique (suffrage universel masculin pour les blancs).
Il en va de même en Grande-Bretagne. Selon Jean Chalaby, la disparition en 1836 de taxes
visant à censurer la presse ouvrière (qui était de ce fait jusque là clandestine), a permis
l'apparition d'une économie de la presse18. Désormais, les journaux vont tenter de capter un
lectorat populaire beaucoup plus étendu. Ainsi, l'information va devenir un objet de
concurrence économique entre les journaux, et les journalistes vont être à la recherche de
scoops: « Old news are bad news », afin d'attirer un maximum de lecteurs.
Ainsi, ces changements économiques sont loin d'être anecdotiques, ils vont largement
contribuer à professionnaliser le métier, et à placer l'information au coeur des
préoccupations des journalistes, ce qui n'était absolument pas le cas auparavant.
B) Les ancêtres du journalisme d'investigation en France
Ainsi, on a pu voir que l'héritage culturel et historique français a souvent été un obstacle à
l'émergence du journalisme comme champ autonome, et a fortiori du journalisme
d'investigation. Malgré cela, la libéralisation économique et politique du pays, à l’image de
la loi de 1881 relative à la liberté de la presse, ont permis l'apparition de pratiques que l'on
peut considérer comme étant les ancêtres du journalisme d'investigation en France.
-Le fait-divers
Le fait divers, véritable ancêtre du journalisme d'enquête, fait son apparition en France en
même temps qu'aux Etats-Unis, au milieu du XIXe siècle. Le genre est par la suite
renouvelé lorsque la presse populaire explose. Si jadis le fait-divers était plus traité comme
un compte-rendu d’audience, il va de plus en plus s’apparenter à un roman feuilleton.
18 Jean Chalaby, The invention of journalism, Palgrave Macmillan, 1998
21
Scénarisé et illustré, il va séduire un public plus large, et acquérir ses lettres de noblesse
jusqu’à remonter à la Une du journal.
-L'affaire Dreyfus
Parallèlement, l'affaire Dreyfus éclate en France. Le très célèbre « J’accuse » d’Emile Zola
paru dans l’Aurore en 1898, conduit à une nouvelle conception du métier, prônant désormais
un journalisme engagé. Un évènement central dans la profession puisque pour la première
fois, le journaliste s’apparente à un justicier, ce qui n’est pas sans rappeler la symbolique du
journalisme d’investigation. D’un point de vue technique, il existe également des
similitudes avec le journalisme d’enquête. Bernard Lazare, rédacteur en chef à l'Aurore, a
assemblé à cette époque un nombre hors-norme de documents et croisé des témoignages,
afin de découvrir la vérité. Le croisement des sources est quelque chose d’absolument
fondamental dans l’enquête. Ainsi, "Nous sommes tentés de dire que ce n'est pas toujours
l'investigation qui crée l'histoire, mais l'histoire qui fait appel à l'investigation: c'est en
répondant aux exigences des affaires particulières que les journalistes ont inventé
l'investigation"19, souligne très justement Mark Hunter dans un ouvrage fondamental
consacré au journalisme d'investigation.
-L'apparition de la figure du reporter en France, et l'émergence de nouvelles pratiques
A l'image du muckraker20 aux Etats-Unis, le grand reporter est le véritable ancêtre du
journaliste d'investigation en France. Les premiers grands reportages sont à la base des
correspondances de guerre, à l'image du récit du conflit entre la France et la Prusse en 1870.
A partir de 1880, les grands reportages vont commencer à s'intéresser aux conflits sociaux
19 Mark Hunter, Le journalisme d'investigation, PUF, 1997
20
Terme prononcé par Théodore Roosevelt en 1906, fustigeant "l'homme au râteau à fumier qui ne peut regarder
que le sol". Les muckrakers, littéralement « remueurs de boue », ont des techniques d'enquête activistes et agressives, et
se considèrent comme de véritables « chiens de garde de la société ». Ils ont sorti de nombreuses affaires au début du
XXe siècle relatant des scandales politico financiers dans la sphère publique à l'image de "La honte des villes" en 1902
où des dirigeants de NY sont traités de "honnêtement corrompus" par Lincoln Stefffens. Ce genre s'épuisera par la suite,
le public étant usé d'entendre ces scandales à répétition.
22
comme les manifestations. A l'Assemblée nationale, où d'ordinaire seuls les camarillistes
rapportaient les débats, les journalistes vont récupérer les bruits de couloir et les
confidences. En 1901, deux journaux français vont suivre les péripéties de deux jeunes
journalistes tentant de faire le tour du monde en moins de 80 jours.
Cette idée d'aller chercher l'information sur le terrain a exigé une remise en question des
pratiques journalistiques. Il a fallu que ces reporters s'imposent face aux littérateurs pour
qui, se déplacer sur le terrain, était des plus vulgaires. La citation qui suit en témoigne, le
reportage ne serait autre qu’ « un amas indigeste de petits faits qui tombent les uns pardessus les autres, sans qu'aucun ferment d'idées mette en jeu et fasse lever cette pâte »21,
Francisque Sarcey, cité par Bernard Voyenne. Le genre du grand reportage a donc perduré
aux côtés du genre littéraire. Puis, peu à peu, le reportage s'est imposé en haut de la
hiérarchie journalistique, gagnant en légitimité en montrant qu'il était également possible
dans ce type d'exercice de continuer à « bien raconter ».
Cette figure du grand reporter est essentielle dans le champ journalistique français
puisqu’elle conservera son aura jusqu'aux années 70, comme l’a souligné Vincent Nouzille
lors de notre entretien : « L'autre figure qui était valorisée à l'époque [années 70, peu avant
le Watergate], c'était celle du grand-reporter. L'homme qui va courir les conflits, la planète.
A la fois un peu missionnaire, à la Albert Londres, c'est à dire qui défend une cause, et qui
rapporte en même temps les faits ». Ainsi, même s'il n'est pas un enquêteur au sens moderne
du terme, il demeure un modèle d'engagement et de courage. Cette citation très célèbre
d’Albert Londres le prouve :"Un journaliste n'est pas un enfant de chœur et son rôle ne
consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de
roses... il est de porter la plume dans la plaie"22. Très souvent, ces grands reporters font
référence à une "vocation", un engagement qui les transcende, les pousse à se surpasser pour
une « cause ». L’un de ces reporters décrit ainsi la profession : "métier fabuleux, vie
trépidante, et un monde presque inaccessible ou l'on ne peut entrer que servi par la chance
et grâce à un travail acharné doublé d'une vocation puissante"23.
21Bernard Voyenne, Les journalistes français, éditions CFPJ, 1985
22 Albert Londres, Terre d’ébène (La Traite des Noirs), récit, Paris : Privat/Le Rocher, 2007.
23 Yves Courrière, L'Homme qui court: l'aventure d'un grand reporter, Fayard, 1977.
23
Outre ce modèle de l’engagement, l'enquêteur et le grand reporter partagent le désir et la
nécessité de s'immerger dans leurs histoires: "Chacune de ces histoires qui ressemblent à
des nouvelles ou à des romans en puissance, je l'ai vécu"24, se targue Joseph Kessel. Un
instigateur contemporain dira la même chose : "Ce qui me plaît, c'est d'être au cœur des
choses, de vivre des affaires un peu folles25."
Tous deux comprennent ainsi que pour obtenir ce qu'ils cherchent, il faut entrer dans la vie
des personnes qu’ils rencontrent. "C'est la même leçon que les muckrakers ont apporté au
journalisme d'investigation à l'américaine"26.
Cependant, il existe une différence de taille entre ces deux journalistes. Le reporter raconte
ce qu’il voit, l’investigateur dévoile une vérité occultée. De ce fait, le reporter se contente de
rapporter les faits et l'atmosphère dans laquelle il est immergé du fait du caractère déjà assez
exotique de son périple. C’est pourquoi il se soucie peu du détail de l'information qu'il
rapporte. Dans Terre d'ébène ou la traite des Noirs en 1929, Albert Londres avait des
difficultés à donner des éléments précis et concrets: "Le détachement de gribingui perdait
75% de ses effectifs... pour les autres convois, la mortalité était dans ces proportions". Le
journaliste d'investigation à l’inverse cherche à découvrir la vérité cachée, et doit justifier
ses révélations par des données très précises, autrement, ses révélations ne valent rien.
C) Des évènements précurseurs
-Le contexte : une nouvelle génération de journalistes en partenariat avec un Etat
novateur
Au sortir de la seconde guerre mondiale, la presse se trouve totalement délégitimée
puisqu’elle a souvent collaboré. Une nouvelle génération de journalistes émerge alors, à
24 Joseph Kessel, Tous n'étaient pas des anges, Collection 10/18, 1988.
25 Jean-Marie Pontaut et Jacques Derogy, Investigation passion, Fayard, 1993
26 Mark Hunter, Le journalisme d'investigation, PUF, 1997
24
l'image d'Hubert Beuve-Méry (journaliste au Monde), qui, formée au sein de la Résistance,
s'oppose à l'héritage de la presse collaborationniste. Cette presse se donnera pour objectif de
soutenir un nouvel Etat, moderne et droit. Cela peut nous évoquer la relation entre les
médias et la bureaucratie américaine à la même période, puisque la presse américaine
détenait un rôle majeur dans la lutte contre le communisme. A cette époque, l'Etat est perçu
comme un protecteur, un garant de l'indépendance des médias. Cela implique donc
logiquement un partenariat officieux entre la presse et l'Etat. A maintes reprises, l'Etat a aidé
les journalistes au travers de diverses subventions ou encore de baisses d'impôts. Le
symbole le plus fort de ce partenariat est la création de l'Agence France Presse en 1944.
C’est pourquoi la presse ne pourra remettre en cause l'Etat sans remettre en cause ses
propres pratiques. En effet, il semble peu probable que le journalisme d’investigation, très
concentré sur les affaires de corruption publique à ses débuts, puisse éclore dans ce
contexte.
-Une déférence envers l’Etat : la Guerre d'Algérie, mai 68, et le développement de la
presse alternative
Et cette cassure entre l’Etat et les journalistes, elle se produit durant la guerre d'Algérie. Ce
conflit est central dans la refonte des relations entre l'Etat et la presse.
Durant cette période, de nombreux journalistes vont être incarcérés, et des journaux saisis
(révélations des tortures infligées par l'Armée française). Les journalistes français vont ainsi
très rapidement faire le parallèle avec la guerre du Viêt-Nam, événement catalyseur dans
l'émergence du journalisme d'investigation américain27. Un conflit qu'ils ont d'ailleurs
parfois couvert aux côtés des américains au prix de leurs vies. Autrement dit, la presse
française a participé à l'un des moments précurseurs de la révolution journalistique du
Watergate.
27 Pour la première fois depuis la seconde Guerre Mondiale, les directeurs de rédaction ont dû choisir entre les
rapports établis par les autorités politiques, censées protéger l'Amérique du supposé péril communiste, et leurs propres
reporters qui décrivaient une réalité toute autre. Choisir entre patriotisme et professionnalisme. Ces journalistes, à
l'image de Seymour Hersh (récit sur le massacre de My Lai 1969), montraient que la Guerre était en train d'être perdue
par les américains. En 1970, le New York Times et le Washington Post révèlent la politique mensongère du
gouvernement américain au Viêt-Nam.
25
Comme aux Etats-Unis, la presse alternative va se développer suite à ces conflits majeurs.
Une presse incisive, activiste, propice à l’établissement du journalisme d’investigation. Les
journalistes de cette nouvelle presse seront généralement tous très marqués par l’expérience
de mai 68. Des journalistes tels que Serge July ou encore Edwy Plenel qui ont fait leurs
armes dans la gauche trotskiste, avant de s'approcher de la gauche radicale, vont intégrer les
rédactions de ces journaux. Ces journalistes nourriront la volonté de transformer les
institutions au nom du bien public, un élément phare de la mentalité du journaliste
d'investigation.
D) L'impact du Watergate en France
Le Watergate est considéré par tous comme l'évènement fondateur du journalisme
d'investigation. C’est pourquoi son onde ne pouvait que traverser l’Atlantique et venir
remuer le champ journalistique français.
-Petit rappel historique des faits
C'est en 1972 que Robert Woodward et Carl Bernestein, deux jeunes reporters au
Washington Post, découvrent le scandale du "Watergate". Alors qu'ils cherchaient des
informations sur un cambriolage commis au sein de l'immeuble du "Watergate", dans les
bureaux où le parti démocrate préparait sa campagne, les deux journalistes découvrirent un
lien entre un consultant impliqué dans le délit (Howard Hunt), et la maison blanche elle
même. Ils se rendirent compte que le vol avait été commandité par le Comité de réélection
du Président Nixon, qui avait payé les cambrioleurs. L'information sera reprise quelques
temps plus tard par d'autres médias majeurs à l'image du New York Times, du Los Angeles
Times ou encore de CBS news. Cela éveilla l'inquiétude du pouvoir judiciaire, du Sénat et
de l'opinion publique qui poussèrent Richard Nixon à la démission. "La presse avait
apparemment réussi à chasser un président au summum de son pouvoir, évènement sans
26
précédent dans l'histoire de la démocratie américaine"28.
-La révolution méthodologique initiée par le Watergate
Le Watergate révolutionne totalement la façon de travailler des journalistes. D'un point de
vue méthodologique, ces changements ont été perçus comme une violation des canons
journalistiques par les officiels, à savoir l'utilisation de sources anonymes ou encore de
rumeurs publiques. Les journalistes du Watergate répliquèrent que sans cet anonymat, ils
n'auraient jamais obtenu ces informations.
Autre nouveauté, les journalistes accumulent une quantité d'information colossale. Dans ce
processus, le carnet d’adresses devient quelque chose de parfaitement fondamental. Plus ces
journalistes sont capables de croiser d’informations, plus ils réussiront à s’approcher de la
vérité. Les entretiens sont également plus longs que la normale, et accordent de l'importance
à chaque détail, et en particulier aux expressions de l'interviewé. Jusque là, un journaliste
était pourtant tenu d'ignorer les sentiments de son interlocuteur. La subjectivité est donc de
mise dans ce nouveau procédé.
Aussi, les journalistes mettent en scène leurs protagonistes, conférant à chacun un rôle
presque prédéfini. D’un côté, il y aurait les victimes : les sources courageuses, le journaliste
noble, le public et les idéalistes du parti, de l’autre, les mauvaises personnes : le Président et
ses acolytes. Dans cette affaire, les journalistes ont donc abandonné toute notion
d'objectivité, pariant sur la culpabilité du Président.
Cette distinction, quelque peu binaire et manichéenne, reprend ainsi les conventions de la
littérature romanesque. Il existerait d'un côté un monde "associé avec le bonheur, la sécurité
et la paix: un monde idyllique", de l'autre "un monde d'aventures, mais ces aventures
impliquent des séparations, la solitude, l'humiliation, la douleur et la crainte de souffrir
encore davantage29". Dans le Watergate, il est aisé de distinguer ces deux mondes. Le
monde idéal n’est autre que celui que le journaliste appelle de ses vœux : un monde de
28 Mark Hunter, Le journalisme d'investigation, PUF, 1997
29 Northop Frye, The Secular Scripture: A study of the Structure of Romance, Cambridge, Harvard University Press,
1976
27
justice. De l’autre côté du rivage : la réalité, la corruption, la déception. Le journaliste est
donc cet aventurier perdu entre deux mondes, qui a conscience que la société est corrompue
mais qui doit faire face à ses propres contradictions : il peut être parfois difficile pour un
journaliste de découvrir toute cette vérité, laide. Il doit également faire face à une société
aveugle, une société qui peut être réticente à ces révélations. L’affaire du Watergate en
témoigne puisque Nixon est réélu au milieu de l'affaire. Mais à la différence d'un roman, le
journaliste ne peut terminer cette histoire. Il laisse alors aux acteurs de la société, aux
autorités, l'opportunité d'écrire cette fin et de revenir à un monde plus juste.
-Une réflexion sur l'opportunité du journalisme d'investigation en France
En France, un tel degré d'agressivité journalistique étonne. Dans un pays où la stabilité
politique est quelque chose de précieux et de nouveau, les gains du match peuvent s’avérer
être à double tranchant. Pour autant, les journalistes français n'en demeurent pas moins
attirés. Pierre Viansson-Ponté, du Monde, déclara à l'époque : "Les journalistes américains
sont moins respectueux que leurs collègues européens, et à cause de cela, ils sont plus
respectés". Il est vrai que selon Sophie Gerbaud: "une partie de l'opinion publique paraît
éprouver de meilleurs sentiments à l'égard des journalistes qui pratiquent l'investigation30".
Les éditeurs republient alors les écrits d'Albert Londres, tentant de faire un rapprochement
avec le Watergate, et de présenter Albert Londres comme un précurseur du journalisme
d'investigation.
Ainsi, avant même que le journalisme d'investigation ne naisse véritablement en France, l'on
s'interroge déjà sur ses tenants et aboutissants, preuve qu'il existe une réelle volonté
d'importer le genre en France. Le 12 janvier 1981, Le Centre pour le Perfectionnement des
Journalistes organise un colloque autour de cette thématique: le "Journalisme
d'investigation: en France aussi!". Mais dans l’hexagone, il faut reconnaître que l'on peine à
en définir la méthodologie. Si aux Etats-Unis, il existe une véritable « boîte à outils »
permettant aux journalistes désireux de faire de l'enquête d'acquérir certaines techniques, en
30 Sophie Gerbaud, Le journalisme d'investigation en France de 1945 à nos jours, thèse de doctorat d’histoire,
Université Paris X, 1993
28
France, telle initiative est totalement inexistante. En témoigne cette citation du directeur du
Centre de Perfectionnement des Journalistes à l'époque pour qui "L'investigation n'est que
du bon journalisme". Dans la même veine, le rédacteur en chef du supplément
hebdomadaire du Monde déclare que "l'ensemble de ce supplément se veut de
l'investigation". Or, cela est totalement irréaliste, sauf à manquer de rigueur, puisque
l'investigation nécessite davantage de temps et d'argent que le journalisme classique. Une
dimension qui ne semble pas encore avoir été prise en compte par les journalistes français.
-Les freins au développement du journalisme d'investigation
Le Watergate intervient en même temps que "l'affaire des micros du canard". Cet évènement
nous montre que les conditions n’étaient pas encore réunies pour que le journalisme
d’investigation naisse en France, alors qu’il était en train d’éclore outre-Atlantique. En 1973
et 1974, les bureaux du Canard sont illégalement mis sur écoute. Certains journaux, dont Le
Point, évoquent alors la possibilité qu'il s'agisse d'une commande du Ministre de l'Intérieur.
Mais l'enquête judiciaire prend fin lorsque le Ministre interdit à ses agents de témoigner. Il
faudra donc attendre que le monde judiciaire parte en quête d'indépendance pour que le
journalisme d'investigation puisse se développer. Sans cette autonomie du champ judiciaire,
il est parfaitement impossible que les journalistes puissent mener à bien leurs révélations.
En effet, pour que le journalisme d'investigation puisse éclore, il faut que trois éléments
soient réunis: des journalistes prêts à renouveler leurs pratiques, une audience potentielle et
enfin un pouvoir judiciaire enclin à soutenir cette nouvelle démarche.
Aussi, à gauche comme à droite, les gouvernements n'hésitent pas à sanctionner les
journalistes quelque peu dérangeants. En 1980, l'écrivain Roger Delpley est incarcéré pour
"intelligence avec les agents d'une puissance étrangère de nature à nuire aux intérêts
diplomatiques de la France". En fait, Giscard D'Estaing était alors mis en cause dans une
affaire de diamants. Le livre ne sera jamais publié. Des journalistes d'investigation comme
Edwy Plenel ont quant à eux été placés sur écoute par des gendarmes rattachés au service du
président de la République.
29
D’autre part, malgré l’attirance de certains journalistes envers ces nouvelles pratiques, la
majeure partie de la profession demeure quelque peu réticente à l'établissement du
journalisme d'investigation en France. Nous l'avons vu précédemment avec l'introduction de
la figure du grand reporter, il n'est jamais aisé d'introduire de nouvelles pratiques dans le
champ. Les journalistes sont sceptiques quant à la corruption systématique de l'Etat. Entre
janvier 1980 et juin 1984, seulement 22 articles du Monde font référence aux affaires de
corruption. Aussi, la plupart des élus cités dans ces articles n'occupent pas un poste plus
élevé que celui de maire. De "fausses factures" sont par exemple relevées, mais bien
souvent, les journalistes ne les analysent que comme l'agissement de "quelques hommes à la
dérive". Le problème en fait, est "qu'il ne s'agit pas ici d'une presse corrompue- en tout cas,
pas forcément- mais d'une presse complaisante, qui s'identifie aux sujets qu'elle est censée
surveiller et qui partage les valeurs des institutions et des personnalités dominantes"31.
E) Les années 1980-1990, une époque faste pour les journalistes
d'investigation
Malgré ces hésitations, le journalisme d’investigation va connaître ses plus grandes heures
de gloire. En effet, sur les 19 enquêtes retenues par Sophie Gerbaud32 depuis 1945, 7 ont été
réalisées à cette période. Les enquêtes deviennent dès lors un objet de concurrence entre les
journaux, comme l’a été le reportage au début du XXème siècle. Et au cœur de ce florilège,
des noms d’affaires retentissent encore dans la mémoire des français : en premier lieu,
l’inoubliable affaire du sang contaminé. Mais aussi l’affaire Greenpeace, l’affaire des
Avions renifleurs, l’affaire des Irlandais de Vincennes, l’affaire Carrefour du
Développement, ou encore l’affaire Luchaire. Chacune à leur façon ont apporté quelque
chose au développement du journalisme d’investigation.
-Le rôle du « juge rouge », et la dépendance du journalisme d'investigation à l'égard des
autres champs
31 Mark Hunter, Le journalisme d'investigation, PUF, 1997
32 Sophie Gerbaud, Le journalisme d'investigation en France de 1945 à nos jours, thèse de doctorat d’histoire,
Université Paris X, 1993
30
Il est fondamental de mentionner ici le rôle essentiel de ceux que l’on nommera les « juges
rouges ». Ces nouveaux magistrats en quête d’indépendance par rapport au pouvoir
politique, produiront une jurisprudence permettant enfin aux journalistes de tacler les
institutions. Ces juges, issus des classes moyennes, sont plus sensibles aux droits de
l'homme, et n'hésitent pas à donner des informations aux journalistes.
Cela montre donc que pour éclore, le champ journalistique a été totalement dépendant de
luttes qui se passaient hors du champ. Les querelles entre le champ politique et le champ
judiciaire sont centrales dans le développement du journalisme d'investigation. Les
journalistes qui se vantent de voler des infos sont en fait totalement dépendants d'autres
champs sociaux.
Aussi, il est intéressant de souligner un autre point: les élites, de droite comme de gauche,
sont désormais toutes formées à l'ENA, et un véritable consensus « libéral » a émergé au
sein de la classe politique. Désormais, les journalistes ne s'intéressent donc plus aux
querelles politiques, mais à la morale, à l'homme qui se cache derrière l'idéologie. Dans les
années 80, il s'agit surtout de la morale publique et des affaires politico-financières
(enrichissement personnel, financement occulte des activités partisanes...)
En somme, les journalistes étant désormais moins révérencieux à l’égard de l’Etat, et le
public prêt à découvrir la vérité cachée, toutes les conditions sont réunies pour que le
journalisme d’enquête explose.
Le journalisme d’investigation prend dès lors du poids et de l’envergure au sein de la société
française, et devient un référent dans le champ journalistique. A tel point que quand le
Figaro demande à François Mitterrand pourquoi le Parti Socialiste a chuté en 1993, celui-ci
répond: "Ce qui nous a le plus coûté, c'est l'accumulation de médiocres affaires qui
mettaient en cause la moralité et l'honnêteté33".
33 Franz-Olivier Giesbert, Les vérités de François Mitterrand, Le Figaro, 8 septembre 1994.
31
-Le développement d’une méthodologie dans l’affaire des irlandais
Si l'investigation s'est développée en France, ce n'est pas qu'à cause des erreurs commises
par les pouvoirs. Les techniques d'investigation se sont beaucoup développées. Dans
l’affaire des Irlandais par exemple, les journalistes ont appris à creuser les indices fournis
par leurs sources. Inlassablement, ils posent les mêmes questions, s'attardent sur le moindre
détail et prennent garde à la chronologie des événements. Ainsi, en testant la mémoire de
leurs interlocuteurs, les journalistes vérifient les détails des déclarations.
De plus, il est essentiel pour les journalistes d'investigation de replacer leurs protagonistes
dans un espace social et politique donné. Cela semble être une préoccupation plus
européenne qu'américaine, puisque outre atlantique, on accorde plus d’importance aux
actions et aux personnalités des sujets.
Une méthode d'investigation était donc réellement en train d'émerger sans que les reporters
ne se rendent véritablement compte de son existence.
-Des répercussions politiques dans l’affaire Greenpeace
L’affaire Greenpeace est un grand tournant puisque c’est la première fois qu’une enquête
mène à la démission d’un membre du gouvernement. Il a donc fallu aux journalistes
remettre en cause l’intégrité de l’Etat, et cela n’a pas tout de suite été chose aisée.
Elle commence lorsque des reporters français découvrent, en juillet 1985, que le sabotage
d'un bateau appartenant à des militants de Greenpeace à Auckland, avait en fait été
commandité par des agents des services secrets français. Durant le sabotage, une bombe a
par ailleurs tué un photographe-reporter. La police néo-zélandaise a alors arrêté deux agents
dotés de fausses identités. Au début de l’enquête, les journalistes ne sont pas encore certains
de vouloir s’embarquer dans l’aventure. Libération a été le premier journal à rapporter
l'attentat, le 13 juillet 1985. Mais cette citation de Serge July témoigne des hésitations de la
presse : « Je ne veux pas croire que les services français soient impliqués. Laissez
32
tomber »34. C’est alors l’Express qui prend le relais. Grâce à des informations de la presse
néo-zélandaise, traduites par un collègue, le magazine va forcer le pouvoir à reconnaître que
des militaires français se trouvaient sur le lieu du crime par ordre express, mais uniquement
en tant qu'observateur selon le ministère de la défense. Sous la pression des médias, le
ministre de la Défense, Charles Hernu, est forcé à démissionner.
Pendant toute l'investigation, le gouvernement a tenté de faire obstacle à ses propres
enquêteurs, nommés pour calmer l'opinion publique. Une stratégie qui a échoué puisque ces
agents ont finalement livré la vérité aux reporters afin de dédouaner leurs collègues en
prison en Nouvelle Calédonie. A cause du secret officiel, le Premier ministre était lui même
moins informé que la presse.
L’agressivité des journalistes en quête d'intérêts supérieurs au pouvoir et à l'Etat a marqué le
commencement d’une nouvelle ère. Autre point important, les journaux se sont soutenus
mutuellement, comme dans l’affaire du Watergate : Jean Marie Pontaut souligne ainsi que
sans le soutien de l'Express, cette version de l'affaire aurait eu du mal à s'imposer: "Cette
fois, nous allons nous montrer beau joueur, car ce qui est en cause aujourd'hui c'est la
crédibilité de la presse et nous devons nous serrer les coudes pour la défense de la vérité"35.
-L’affaire du sang contaminé, un Watergate à la française
C’est sous le second septennat de François Mitterrand que va se produire l’affaire la plus
marquante dans l’histoire du journalisme d’investigation au sein de l’hexagone. Pour
beaucoup, l’affaire du sang contaminé est un véritable Watergate à la française. Menée par
Anne-Marie Casteret, journaliste santé à l’Événement du Jeudi, l’enquête révèle que l'Etat a
vendu, consciemment, des produits sanguins infectés par le virus du sida aux hémophiles
français.
Outre cette information des plus capitales, ce qui est particulièrement intéressant est que
34 Françoise Berger, Journaux intimes, Robert Laffont, 1992
35 Jean Marie Pontaut, Investigation, passion : Enquête sur 30 ans d'affaires, éditions Fayard, 1993
33
l’investigation étend désormais son champ de recherche à d’autres domaines que les
scandales politico-financiers. Or, on le sait, la presse française se concentre très, voire trop
souvent, sur la sphère politique. Enquêter sur la santé, le sport ou encore l’éducation rejoint
plus la conception anglo-saxonne du journalisme d’investigation pour qui l’enquête est une
technique pouvant s’appliquer à n’importe quel sujet.
Cette influence anglo-saxonne est également visible à un autre niveau. Comme il a été
exposé précédemment, accéder aux sources publiques en France s’avère être un véritable
parcours du combattant. C’est pourquoi, les journalistes français travaillent d’arrache-pied à
la constitution d’un réseau personnel. Or, dans l’affaire du sang contaminé, Anne-Marie
Casteret se sert de cette documentation officielle pour mener ses recherches. Une sorte de
« data journalism », où l’on écume une documentation extrêmement vaste. Dans le cas
présent, cette dernière était constituée de rapports de laboratoires ou encore d’études
médicales. Lorsque la journaliste a croisé toutes ces informations, elle a découvert des
éléments cruciaux. En effet, en recoupant la chronologie économique de l’histoire avec la
chronologie scientifique, la journaliste a réussi à pointer du doigt les anomalies de l’affaire.
Anne-Marie Casteret s’était donc rendue compte que l’affirmation selon laquelle les
hémophiles contaminés l’étaient déjà avant 1983, était fausse. Elle en obtient la preuve
ultime grâce à un compte rendu d’une réunion datant du 29 mai 1985 ; où un docteur
déclare « Avec 2 à 3% de donneurs [séropositifs] et des lots de 1000 1, soit 4 à 5000
donneurs, tous nos lots sont contaminés », et d’ajouter « C’est aux autorités de tutelle de
prendre leurs responsabilités sur ce grave problème et d’éventuellement nous interdire de
céder ces produits ». En gros, alors que le docteur savait que ses produits anti
hémophiliques étaient contaminés, le CNTS envisageait quand même de les vendre tant
qu’ils n’étaient pas interdits.
Ces révélations sont publiées le 25 avril 1991 par l’Evénement du jeudi. La journaliste
communique ses documents à de multiples rédactions afin que l’affaire ne soit pas étouffée.
Elle prépare des articles de défense en prévision des réponses probables des autorités à ses
révélations. Il s’en suivra un procès au cours duquel 4 hauts fonctionnaires seront arrêtés.
34
Dans les années 80, l'investigation devient dès lors un véritable objet de concurrence entre
les journaux, comme l'a été le reportage au début du XXe siècle. Ce modèle ainsi se
répandre à la télévision et à la radio. Ce que nous allons voir dans la partie qui suit.
2) L'importation du journalisme d'investigation à la télévision et
son évolution
Parallèlement à l'étude de l'importation du genre de façon plutôt générale, il convient de
faire un focus sur le développement du journalisme d'enquête à la télévision. Les marqueurs
temporels sont quelque peu similaires aux médias de presse écrite que nous avons largement
étudié ci-dessus: développement tout d'abord du reportage, puis apparition de l'investigation
dans les années 80, et enfin essoufflement du genre. Mais la télévision revêt de multiples
autres acceptions qui lui sont propres. L'évolution de l'investigation est en effet étroitement
liée au développement de la technique (tournage, montage...), qui conditionne l'émergence
de l'investigation. Les enjeux politiques et économiques sont également prépondérants au
sein des médias audiovisuels. Des enjeux que la presse écrite connaît à bien moindre
échelle, ce qui lui permet de jouir d'une plus grande liberté. Ainsi, l'audimat est central à la
télévision, et impose de fortes restrictions à tout le milieu audiovisuel. Nous allons voir que
ces restrictions n'ont cessé de s'étendre au fil des années. Il est donc encore plus complexe
aujourd'hui pour le journalisme d'investigation de s'épanouir à la télévision qu'en presse
écrite, même si paradoxalement, nous n'avons jamais eu autant d'émissions se prévalant de
faire de l'enquête sur le PAF.
A) Cinq colonnes à la une, une émission extrêmement novatrice, et
l'apparition du grand reportage à la télévision
Cinq colonnes à la une est une émission qui est restée gravée dans l'esprit de tous les
français qui l'ont connue. Son impact est tel que son étude a servi à l'établissement d'une
mémoire de la télévision dans l'ouvrage fondateur de Jean Noël Jeanneney et Monique
35
sauvage: Télévision, Nouvelle mémoire, Les magazines de grands reportages 1959-196836.
Cette émission marque un véritable tournant puisqu'elle fait naître le grand reportage à la
télévision. Le reportage étant précurseur du journalisme d'investigation, comme nous avons
pu le voir dans la partie précédente. Selon Renaut Fessaguet (Annexes), on pourrait même
dire que l'émission allait plus loin que le reportage : « C’était de l’investigation à leur façon,
comme quand ils ont fait un document sur l’engagement français en Algérie ».
Cette émission est particulièrement intéressante car bon nombre de procédés clefs dans le
reportage à la télévision aujourd'hui, sont nés dans cette émission. Ces points en commun ne
seront pas développés plus avant dans cette partie puisque des éléments tels que la
rythmique ou encore la personnalisation des sujets seront repris dans le second chapitre de
ce mémoire.
-Le contexte
Jusqu'à la fin des années 50, les informations à la télévision ne sont pas des plus
passionnantes. Il s'agit d'une succession d'images d'agence, en France ou à l'étranger. Mais
vers 1958, les choses changent. Tout d'abord, à l'image de la révolution qu'a engendrée
l'imprimerie, l'évolution du matériel va être cruciale. Il devient plus technique et surtout plus
léger, permettant désormais à un sujet d'être conçu, tourné, monté, et commenté en une
seule journée. Il s'agit d'une véritable révolution pour le monde de la production et de la
programmation. Mais par dessus tout, l'on se rend enfin compte des potentialités de la
télévision qui va bientôt supplanter la presse écrite et devenir le média populaire par
excellence.
A cette époque, la télévision britannique et la télévision américaine ont plus de moyens.
Mais les grands reportages n'apparaissent que dans les années 60, comme en France.
-Les apports de l’émission
36
Jean Noël Jeanneney et Monique sauvage: Télévision, Nouvelle mémoire, Les magazines de grands reportages
1959-1968, Seuil, 1982
36
5 colonnes à la une inaugurent la naissance du grand reportage télévisé. Magazine d’un
genre nouveau, il prend place entre la fiction et le JT. Le premier numéro est lancé le 9
janvier 1959 sur la RTF. Produite par Pierre Lazareff, Pierre Desgraupes, Pierre Dumayet
(surnommés les « 3 P ») et réalisée par Igor Barrère, l’émission est étroitement liée à la
présidence du général de Gaulle puisqu’elle l’accompagne jusqu’en mai 1968, presque au
terme de son pouvoir.
Même si l'émission est placée sous l'autorité du Directeur de l'information et du Directeur
des programmes, « Cinq colonnes se fait dans une salle de rédaction et non pas dans un
ministère » souligne Pierre Desgraupes. Les responsables de l'émission jouissent ainsi d'une
grande autonomie que ce soit dans le choix des sujets, des séquences à diffuser ou encore
des équipes. Cela renvoie à ce qui a été exposé dans la partie précédente: à cette époque,
l'Etat est garant de l'autonomie des médias.
Durant 90 minutes, une douzaine de sujets d'information s'enchaînent. Les sujets sont donc
brefs, et le rythme est heurté afin d'interpeller au maximum le téléspectateur. Pour la
première fois, l'accent est donc mis sur la rythmique et l'intensité du sujet. Cela est donc très
novateur puisque jusque lors, les sujets étaient tous construits de façon linéaire, toujours
sous le même format. Le rythme mensuel de l'émission oblige ses créateurs à trouver un
éclairage différent sur des évènements déjà connus par les autres médias. L'émission connaît
un immense succès: « Il ne fait pas doute que 5 colonnes est une formule neuve qui fait
éclater les cadres des émissions ronronnantes que nous connaissons »37.
Contrairement aux actualités standardisées, cette émission souhaite imposer la patte du
journaliste. Le reporter doit devenir « Témoin-Acteur-Narrateur ». Le journaliste apparaît
très souvent à l'écran pour l'interview. Le reporter se déplace aux quatre coins du monde, et
l'émission n'est pas seulement un assemblage de dépêches comme cela l'était auparavant.
Cela fait échos à la figure du grand reporter qui rêve de voyages et d'aventures à la Joseph
Kessel ou Albert Londres. Et si l'on se projette dans le monde contemporain, cela peut nous
37 Article tiré du Monde, le 11 janvier 1959.
37
faire penser à Bernard de la Villardière et Enquêtes Exclusive, que l'on retrouve chaque
semaine au Brésil, aux Etats-Unis...
Cinq colonnes à la une bouscule les habitudes télévisuelles et explore le potentiel de la
télévision. Il s'agit de donner une information réelle, tout en lui donnant un climat de
« vécu », familier, pour faire participer au maximum le spectateur. L'émission a donc pour
vocation d'être comprise par tous, une volonté en rupture avec ce qui se faisait jusque là.
Selon ses producteurs, l'émission a pour vocation « d'offrir à chaque spectateur la gamme
de sensation qu'il attend d'une information-spectacle, sensation tout à la fois opposées et
complémentaires: le dépaysement, voire l'exotisme, succèdent à la description d'une réalité
familière, le sourire doit faire place à l'émotion, l'analyse d'un commentaire équilibre le
choix des images ». « Les grands reportages lointains n'éclipsent pas l'héroïsme des vies
quotidiennes ».Cette citation pourrait tout à fait qualifier les émissions aujourd'hui: une
télévision populaire, qui, même en traitant de sujets internationaux, cherche toujours à
personnaliser le sujet pour le ramener à une réalité familière.
Les « papas » de l'émission la définissent ainsi « Les idées à travers les faits, les faits à
travers les hommes »38. Cette idée d'incarnation des sujets par des personnages est donc très
novatrice, et imprègne encore aujourd'hui les reportages puisque la personnification des
sujets est essentielle dans tout reportage d'investigation. Le but de la manoeuvre est donc
qu'il y ait à la fois le côté vivant du magazine de par ces personnages, mais aussi la diversité
d'un journal.
Afin de démocratiser au maximum l'émission, un autre point est cardinal. Les émissions
sont toujours construites sur le même schéma. En introduction, on présente les faits, les
lieux et les acteurs de l'évènement. En guise de développement, on retrouve les interviews,
les images et les commentaires de transition. La voix off fait enfin office de conclusion. Le
but étant d'expliciter au maximum les informations, et qu'il n'y ait aucun points d'ombre. Il y
a aussi des séquences émouvantes et dramatiques où l'image parle d'elle même, lorsque la
38
Jean Noël Jeanneney et Monique sauvage: Télévision, Nouvelle mémoire, Les magazines de grands reportages
1959-1968, Seuil, 1982
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parole décrit de façon trop abstraite l'ambiguïté d'une situation. Bref, il s'agit quelque peu
d'un mélange des genres comme le décrit très bien un critique de Combat, le 6 février 1961:
« Cinq colonnes hésite entre le langage de journaliste à grand titrage et l'écriture du
reporter qui aurait du talent. Entre l'efficacité du choc et un certain sens de l'analyse ».
Si l'interview existait déjà dans d'autres programmes, elle devient centrale dans Cinq
colonnes. Elle est au cœur du reportage. « L'interview de témoins ou d'acteurs devient une
source d'informations qui personnalise un problème et donne souvent à des personnages
modestes une place généralement attribuée aux autorités et aux compétences reconnues »39.
Ce concept de journalisme « par le bas » sera au cœur du concept de Capital sur M6 qui
prônera un journalisme de terrain, privilégiant d'autres sources d'informations que les
sources officielles. Et cela est bien évidemment aussi la base du journalisme d'investigation.
-L'ouverture à la concurrence et l'apparition de Zoom
En 1964, l'ORTF devient un établissement public à caractère industriel et commercial. Dès
lors, l'objectif affiché est d'accroître la rentabilité de l'émission. Désormais, plus de 4,5
millions de français sont équipés de téléviseurs. La création de France 2 libère ainsi de
l'espace dans les grilles de programme. Il faut désormais produire une émission
hebdomadaire et non plus mensuelle. Des études d'audience précises montrent la popularité
de Cinq colonnes à la Une, et la diversité du public. Ce succès pousse alors les
programmateurs à la multiplier les magazines d'information.
On retrouvera ainsi Panorama sur la une. Sur la deux, on lancera Caméra III de Philippe
Labro et Henri de Turenne, Tel quel d'Henri Marque et Pierre Charpy, et Séance tenante
avec Eliane Victor et Jean-Louis Guillaud avec des directs et des multiplex faisant réagir des
invités comme par exemple un duplex avec l'ONU.
Mais une émission a été encore plus révolutionnaire en la matière. Il s'agit de Zoom avec
39
Jean Noël Jeanneney et Monique sauvage: Télévision, Nouvelle mémoire, Les magazines de grands reportages
1959-1968, Seuil, 1982
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André Harris. Mélangeant les genres (croquis, cinéma-vérité, commentaires écrits...),
l'émission suit l'actualité au plus près et est la première à briser le tabou du traitement de la
politique intérieure. Pendant longtemps, les magazines ont évité de traiter de sujets sensibles
de politique intérieure, les plus propres à diviser, pour aller chercher hors de nos frontières
le confort de la non-confrontation. Zoom a justement voulu se démarquer et briser ce tabou.
-Un changement de situation
Cette époque marque également un grand changement. Les réalisateurs, jugés prétentieux,
vont perdre le monopole qui existait du temps de Cinq colonnes. Ils ne vont plus être les
seuls maîtres. Désormais, tous les réalisateurs seront extérieurs à l'ORTF. De ce fait, les
réalisateurs cesseront de voir les magazines de reportage comme un lieu privilégié pour
l'exercice de leur métier, et préfèreront mettre leur expérience au profit de documents
sociaux.
De plus en plus, les directeurs de chaîne vont vouloir différencier au maximum les JT des
magazines. Il s'agira de traiter de politique intérieure avec un style propre à chaque
magazine. Sur France 2, Zoom a davantage de liberté car l'émission est peu visionnée.
Cependant, cette liberté est relative. En 1966, l'ORTF obéit à son tuteur gouvernemental et
interdit à Zoom un sujet consacré à Mitterrand.
La 2 est la première chaîne à donner des informations sur les hommes de l'opposition. La 1
réplique en créant Face à face de Jean Farran et Igor Barrère, une émission reprenant une
formule anglo-saxonne déjà existante à la radio en France.
« Ces nouvelles options politiques, professionnelles et institutionnelles sont lourdes de
conséquences sur la définition même d'une genre télévisuel qui n'existe que depuis 5 ans. Le
style de Zoom, en particulier, eut été inconcevable auparavant40 ».
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Jean Noël Jeanneney et Monique sauvage: Télévision, Nouvelle mémoire, Les magazines de grands reportages
1959-1968, Seuil, 1982
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-La disparition de Cinq colonnes à la Une et de Zoom, la fin d'une ère
Cinq colonnes à la Une bénéficie d'une aura particulière auprès de public en raison de sa
liberté de ton. Bien que soumise au contrôle gouvernemental, elle jouit d'une vraie
autonomie: en 1961, Pierre Desgraupes déclare: « il y a très peu de censure (…). Il y a
seulement des pressions politiques qui nous font choisir tel sujet. Une seule séquence, sur
l’Algérie, a sauté il y a un an environ. La meilleure défense de l’émission contre la censure
? Sa très grande popularité auprès du public »41. Aussi, quand bien même un sujet serait
censuré (à l'image d'un sujet sur l'Irak en 1963, et le rôle du nassérisme au Moyen-Orient),
Pierre Lazareff, personnage extrêmement influent, publie dans la foulée un communiqué de
presse faisant état de cette censure : « La direction générale de la RTF a interdit, à la
demande d’un représentant du Quai d’Orsay, la diffusion de cette séquence. Pourtant, elle
était de l’avis même de ceux qui l’ont censurée, en tout point objective et mesurée (…). Ces
crises devenant de plus en plus fréquentes, rendent de plus en plus hasardeuses la
réalisation d’une émission du type "Cinq colonnes". Dans ces conditions, les producteurs se
trouvent bien malgré eux dans l’obligation d’attendre (…) que des garanties élémentaires
mettent l’information télévisée à l’abri d’incident de ce genre »42. Une semaine plus tard, le
sujet est alors diffusé.
Mais la multiplication de ces actions de censure aura raison de l'émission. En guise de
protestation contre les mesures prises par le Gouvernement en mai 1968, l'émission est
sabordée par les producteurs. Elle renaît alors quelques mois plus tard sous le nom de De
nos envoyés spéciaux. Mais l'élan est brisé : l'émission disparaît définitivement des écrans
de l’ORTF en décembre 1968. A cette époque, l'émission Zoom s'arrête également: ses
prises de position périlleuses auront eu raison d'elle.
C'est pourquoi, dans les années 70, le genre semble périr. Il renaît pourtant dans les années
80 tandis que le journalisme d'investigation explose au sein de la presse écrite. On va alors
tenter de faire renaître le grand reportage à la télévision, en s'inspirant des émissions cultes
41 Pierre Desgraupes, interview dans L'Echo de la presse, 25/03/1961
42 Wikipédia, Cinq colonnes à la Une, dernière modification le 23/05/2010, consulté le 15/06/2010
41
des années 60 à l'image de Zoom et Cinq colonnes à la Une.
B) Les années 1980, la renaissance du grand reportage à la télévision
-Reporters sur France 5, 19 septembre 1987
Si Envoyé spécial est souvent considérée comme l'émission qui marque le grand retour du
reportage à la télévision, il n'en est rien. En réalité, la réapparition du grand reportage à la
télévision intervient avec Reporters, une émission crée, produite et présentée par Patrick de
Carolis sur la 5. La première diffusion du programme date du 19 septembre 1987. A
l'époque, Reporters est diffusé tous les samedis de 12h30 à 13h00, jusqu'en décembre 1989.
L'émission est ensuite diffusé tous les jours de la semaine de 19h00 à 19h40 du 5 janvier
1990 à avril 1991, puis le dimanche soir en seconde partie de soirée d'avril 1991 à 1992.
Durant l'émission, trois reportages sont diffusés, à l'issue desquels Patrick de Carolis
interroge les réalisateurs du reportage en plateau. Les reportages étaient réalisés par les
journalistes de la rédaction de la Cinq et par des agences extérieures. A titre d'illustration,
l'émission du 15 mars 1992 était composée d'un reportage sur Ecosse : l'industrie du
mariage, Enfance : les forçats du Madre des Dios au Pérou, Avenue Foch, entre rêves et
fantasmes.
-52 minutes sur la Une: le magazine de grand reportage, sur TF1, 1988
52 sur la une : le magazine du grand reportage, est une émission qui va marquer le retour
du grand reportage sur TF1. Présentée et crée par Jean Bertolino de 1988 à 1998, elle
intervient en deuxième partie de soirée à 22H30 le jeudi soir. L'émission commence toujours
par un plateau avec le présentateur, puis est suivie d'un reportage de 52 minutes. L'objectif
affiché de ses producteurs est "d'inventorier et témoigner de tout ce qui constitue la
42
diversité humaine sur les 5 continents"43.
Le site de l'INA ne répertorie les émissions que depuis 1995, mais il est assez intéressant de
voir que les thématiques traitées sont très proches de ce que l'on fait aujourd'hui, 15 ans
après... En effet, l'émission traite d'actualité internationale avec des sujets la prostitution des
enfants en Asie: Saïgon : le nouveau marché de l'innocence, ou encore une émission
consacrée à l'ouverture de casinos à Las Vegas par des Indiens : Rien ne va plus pour les
visages pâles. Mais si l'émission prétend traiter de l'actualité aux quatre coins du monde, il
semblerait qu'elle se soit surtout concentrée sur le traitement de sujets franco-français, très
populaires: Le cambriolage en France, Délinquance des mineurs : traitement de choc, J'ai
maigri de 120 kilos,Gros et bien dans sa peau Mi-homme, mi-femme, Chasseurs de top
models, Profession Miss France, J'ai deux mamans... Il est à noter que beaucoup
d'émissions sont consacrées aux femmes, montrant leur poids croissant dans la société: Je
suis un patron mais une femme aussi, Routières au long cours, Femmes de choc, Tout feu,
tout femme...
L'émission est donc très proche de ce que l'on peut observer sur le PAF aujourd'hui, même si
les sujets policiers étaient tout de même moins récurrents qu'aujourd'hui. L'accent était plus
mis sur les thématiques telles que l'homosexualité, la place de la femme, ou encore le rôle
essentiel du physique dans la société.
Lorsqu'il évoque cette émission, Renaut Fessaguet parle « de bon reportage », et non pas
d'investigation. 24 heures sur Canal + est vraisemblablement la première émission à faire de
l'investigation à la télévision, et à imposer un nouveau style télévisuel.
-24 heures sur Canal +, 1989
L'émission 24 heures sur Canal + est très marquante dans l'histoire de la télévision. Comme
le souligne Bernard de la Villardière (Annexes) dans l'entretien qu'il m'a accordée, 24 heures
a imposé en France le traitement cinématographique de l'information. Un genre que Renaut
43 INA, 52 sur la une : le magazine du grand reportage, consulté le 19/06/2010
43
Fessaguet fait clairement remonter au cinéma hollywoodien: « Spielberg, et les grands noms
comme ça ont imposé le fait que les histoires soient bien racontées, que ce soit rapide, que
les scénarios soient super chiadés, et donc par capillarité cela s’est répandu en Europe », et
cela s'est répandu à la télévision. Cet élément est crucial et très significatif dans l'étude du
reportage d'investigation aujourd'hui. Cela sera développé plus avant dans la seconde partie
de ce mémoire.
24 heures est donc crée en 1989 par le patron de Capa, Hervé Chabalier. Une émission à
l'aura incroyable qui fit même dire à Mathieu Kassowitz que la Haine avait été plus
influencée par 24 Heures que par n'importe quel film de Martin Scorcese44. Le journaliste de
Libération estime quant à lui que le magazine a contribué « à moderniser en profondeur le
genre ingrat de l'image d'information ». L'émission proposait de véritables reportages de
fond d'une durée de 54 minutes, avec des thématiques souvent plus périlleuses que les
émissions concurrentes. Elle était produite aux quatre coins du monde, avec un premier
reportage à Beyrouth, et un ultime à la Havane, en 1995, après 250 numéros. «Nous étions
fatigués au bout de six ans, car le concept de l'émission, mettre quatre ou cinq caméras sur
un même événement, demande beaucoup d'énergie», rapporte à l'époque Hervé Chabalier.
L'arrêt de 24 heures témoigne qu'en dépit de son succès, cette émission devait être si
gourmande en termes de temps et d'argent qu'elle ne devait pas offrir un rapport de
rentabilité assez intéressant pour les diffuseurs. Cette recherche de la rentabilité sera
d'ailleurs de plus en plus prégnante à la télévision.
C) Les années 1990, l'apparition d'émissions devenues cultes
La renaissance du magazine de grand reportage va se confirmer dans les années 90. Des
émissions devenues cultes telles qu'Envoyé spécial, Droit de savoir, Zone Interdite ou
encore Capital vont apparaître dans les années 90, et perdurer dans les années 2000.
-Envoyé Spécial sur France 2, 18 janvier 1990
44 Libération, 24H, dernière émission, 24/06/1995, consulté le 19/06/2010
44
Le 18 janvier 1990 est diffusé, en première partie de soirée, le premier numéro d'Envoyé
Spécial. Les présentateurs sont alors Paul Nahon et Bernard Benyamin. En janvier 2001, le
magazine est ensuite dirigé et présenté par Françoise Joly et Guilaine Chenu.
Envoyé spécial est diffusé chaque jeudi en première partie de soirée de septembre à juin. En
théorie, comme son nom l'indique, l'émission devait être une extension du journal télé, avec
la contribution d'envoyés spéciaux à l'étranger. Mais très vite, l'émission prend une autre
envergure, et tente au contraire de se démarquer du journal télé jugé trop « lapidaire » et
assimilable à un « flot indifférencié d'images » selon les deux présentateurs. Il s'agit dès lors
d'approfondir au maximum l'actualité, afin que le téléspectateur puisse comprendre au
mieux les tenants et les aboutissants d'un événement récent. L'émission mélange des sujets
internationaux délicats à l'image de « Bombes à retardement » (un numéro traitant de
bombes posées au Kazakhstan), ou encore « Silence on tue » (une émission racontant la vie
d'un intellectuel algérien qui a risqué sa vie au nom de la liberté), avec des sujets plus
légers comme « Les pilules magiques », ou « L'habit fait le moine » (reportage sur les
conseillers en image).
L'émission rencontre un vif succès et atteint très vite les 20% d'audience, ce qui représente
entre 3 et 7 millions de spectateurs. Avec la multiplication de la concurrence, l'audience
décline dans les années 2000. Au fur et à mesure du temps le nombre de sujets diminue pour
finalement se stabiliser à 4 par émission. Ils deviennent également plus longs, passant à 30
minutes en moyenne. On voit donc qu'il y a une vraie évolution depuis Cinq colonnes à la
Une où l'on voyait défiler 12 sujets en deux heures.
L'émission se décline ensuite sous la forme de divers concepts avec les Carnets de voyage
d'Envoyé spécial durant la période estivale, présentés en dehors du plateau habituel. A partir
de janvier 2010, le samedi à 14H, est diffusée l'émission Envoyé Spécial, la suite, au travers
de laquelle on découvre l'évolution de personnages rencontrés des années auparavant.
Envoyé spécial a beaucoup évolué au cours des années. Même si l'émission bénéficie d'une
45
légitimé historique auprès des téléspectateurs, beaucoup la perçoive comme une émission
vieillissante. Avec l'explosion de la concurrence dans les années 2000, l'émission a été
obligée d'évoluer. La rédaction a finit par externaliser la majeure partie de sa production, et
a succombé, elle aussi, aux sirènes de l'audimat. Un contenu que Renaut Fessaguet juge
aujourd'hui très appauvri : « Envoyé Spécial, ils font des trucs sur l’huile d’argan…. On
s’endort ! Non mais ce qui est compliqué c’est que ce sont des peaux de léopard, il y a de
tout là dedans. Du noir, du blanc, du fauve… Les filles d’Envoyé spécial, elles ne feront
jamais un sujet qui dérangerait le pouvoir, car elles sont contrôlées par la Direction de
l’Information, elles ne veulent pas d’ennuis. Elles préfèrent faire de l’audience avec des
sujets conso, ou parfois elles font un petit roman, un truc bien sur la Tchétchénie »45.
Lors du FIGRA (Festival international du grand reportage d'actualité), les deux
présentatrices ont reconnu qu’Envoyé Spécial ne pouvait être définit comme une émission
engagée, tout en assurant leur indépendance: “On veut faire un newsmagazine, avec des
choses sérieuses et des choses légères [Cette] ‘mayonnaise’ journalistique a du sens pour
nous. […] C'est vrai qu'il y a une accélération du rythme de l'info. Envoyé Spécial n'est pas
une émission engagée, sauf sur nos trois principes : éthique, rigueur, respect de la dignité
humaine. […] Nous refusons de montrer nos documentaires aux personnes concernées
avant diffusion, et nous sommes une des dernières émissions dans ce cas : le final cut’ nous
appartient46.”
-Droit de savoir sur TF1, 9 novembre 1990
Droit de savoir est diffusé pour la première fois le 9 novembre 1990 sur TF1. Cette émission
est considérée par beaucoup comme une émission d'investigation de référence. Ainsi Renaut
Fessaguet considère que « Le droit de savoir, au début, c'était de l'investigation », tout en
précisant: « mais après ça a dévié ». Le titre de l'émission est l'un des premiers à sousentendre que le magazine allait dénicher des vérités cachées afin de les livrer à des
45 Entretien avec Renaut Fessaguet réalisé le 28/04/2010
46
Rue 89, Fin du Figra. La télé nous informe-t-elle encore ?, mis en ligne le 29/03/2008, consulté le 10/06/2010
46
spectateurs en quête de vérité. Mais dès les années 2000, l'émission évolue vers une plus
grande spectacularisation de l'information afin de faire grimper l'audimat. Droit de savoir
est ainsi l'un des premiers programmes à ouvrir la brèche du style d'émissions que l'on
retrouve aujourd'hui sur le PAF à l'image d'Enquêtes d'action sur W9 ou encore Enquêtes et
révélations sur TF1, le successeur de Droit de savoir.
Présenté par Charles Villeneuve à son lancement, puis co-présenté avec Béatrice Schönberg
à partir de 1993, ce magazine bimensuel est diffusé le mardi en deuxième partie de soirée. A
l'issue de chaque sujet abordé, les présentateurs reçoivent un ou plusieurs invités en studio
pour débattre du thème abordé. Ce magazine de société d'1H43 traite de sujets à l'image de
l'euthanasie « Chronique d'une mort demandée », la légion étrangère « La Légion : les
hommes sans nom », « Les enfants criminels », « La drogue », « 36 quai des Orfèvres » ou
encore « Un voyage à l'intérieur des sectes », des sujets qui sont largement repris
aujourd'hui. On voit donc que Droit de savoir est plus axé qu'Envoyé Spécial sur les sujets
nationaux, et traite moins de politique.
En septembre 2004, Droit de savoir diffuse un reportage consacré à l'affaire Marjorie, du
nom d'une aide-soignante de 21 ans qui avait été assassinée. Les journalistes s'étaient
introduits dans les rouages de l'enquête, n'épargnant rien des détails les plus sordides au
téléspectateur. Mais pour avoir diffusé des images de la garde à vue et des aveux des
présumés coupables, TF1 se retrouve en correctionnelle pour recel de violation de
l'instruction. La procédure est finalement annulée pour vice de forme par le tribunal
correctionnel d'Alès. Mais en 2008, après 18 ans d'existence, l'émission est remplacée par
Enquêtes et révélations, un programme dans la même veine, mais promettant d'offrir aux
téléspectateurs encore plus de sensations fortes.
-Capital sur M6, 9 décembre 1990
Capital est diffusé sur M6 depuis le 9 décembre 1990, et a littéralement révolutionné la
télévision française en termes d'écriture. Le magazine traite de l'actualité économique,
financière et sociale, en France et à l'étranger : « Le défi était de parler d’économie face au
47
film du dimanche soir, de rendre sexy une matière aride 47», a déclaré Laurent Huberson,
l’un des anciens membres de la rédaction de Capital. Créée et présentée par Emmanuel
Chain, l'émission dure au départ trente minutes et est diffusée tard le soir. Mais elle
rencontre vite un franc succès et est programmée un dimanche soir sur deux en première
partie de soirée, en alternance avec Zone Interdite. Capital est présenté depuis 2003 par
Guy Lagache, qui était auparavant l'un des journalistes qui travaillaient sur le programme.
L'émission dure 100 minutes et est composée de plusieurs reportages sur un même thème :
l'immobilier, les hôtels de luxe, les impôts ou l'histoire de chefs d'entreprise qui ont réussi à
faire fortune. Les reportages sont entrecoupés d'interviews réalisées par le présentateur. La
majorité des programmes dans les années 90 sont produits en interne.
Dans un article des Inrocks sur le net, l'émission
est saluée pour avoir réussi à « inventer
un mode de récit journalistique factuel, pédagogique et scénarisé – copié partout depuis –,
en racontant au grand public des stories puisées dans la sphère économique »48. Capital a
réussi le tour de force d'imposer un rapport « décomplexé » à la culture d'entreprise en la
présentant sous la forme de figures héroïques, tout en « déconstruisant les règles du
capitalisme ».
Comme le souligne Bernard de la Villardière dans l'entretien qu'il m'a accordée, Capital est
symbolique du style M6 qui consiste à « prendre le téléspectateur par la main ». La
complexité est évacuée au maximum afin que le téléspectateur puisse comprendre les
tenants et les aboutissants du sujet sans difficulté. Capital incarne les sujets en faisant
intervenir de nombreux personnages, ce qui contribue à ancrer le sujet dans une réalité
familière. Le journaliste se veut être un homme de terrain, proche de son objet. En ce sens,
il s'agit donc plus de « narrative journalism », comme le souligne Vincent Nouzille, que
d ' « investigate journalism », puisque l'investigation est censée tenir à distance son sujet.
Toutefois, Capital se veut être une émission parfois critique et offensive, puisqu'elle tente
parfois d'ouvrir les portes d'entreprises qui ne souhaitent pas communiquer sur leur activité,
et pratique souvent la caméra cachée. En ce sens, l'émission fait tout de même de
47
Télérama.fr, La pêche au ton, le 29/12/2010, consulté le 15/03/2010
48 Les Inrocks, Capital Terre l'émission verte de M6, le 24/03/2010, consulté le 20/06/2010
48
l'investigation, mais elle mélange les genres, ce qui est aujourd'hui très fréquent selon
Vincent Nouzille.
Il y a peu, l'émission Capital Terre a été lancée en mars dernier. Il s'agit de décliner
l'émission Capital en un programme consacré à l'écologie. Dès le début, le ton est donné: il
s'agit là encore d'aller voir ce qui se cache derrière les produits de consommation que nous
mangeons. Les journalistes se rendent aux quatre coins du monde afin de dénicher des
secrets bien gardés. Pour le moment, aucune nouvelle émission n'a été annoncée.
Capital demeure une émission de référence sur le PAF, mais elle peine aujourd'hui à
renouveler son contenu, traitant régulièrement des même problématiques à l'image de ces
sujets : « vacances pas chères », « enquête sur la France des fraudeurs », « Appartements,
maisons : comment se loger moins cher ? ».
-Zone Interdite sur M6, 7 mars 1993
Zone Interdite est lancé le 7 mars 1993. D'abord mensuel, le magazine devient bimensuel
dès décembre 1995. Plusieurs journalistes de renom se sont succédés à la présentation de
Zone Interdite : Patrick de Carolis de 1993 à 1997, qui a créé le magazine, puis Florence
Dauchez jusqu'en 1998, Bernard de la Villardière de 1998 à 2005, Anne-Sophie Lapix de
2005 à 2006 et Mélissa Theuriau depuis septembre 2006. A l'instar de Capital, Zone
Interdite mêle reportages et séquences plateau durant 100 minutes. Les reportages sont
réalisés en majeure partie par Capa et Tony Comiti, et non pas en interne comme pour
Capital. Zone Interdite « est un grand magazine de société franco-français », selon Bernard
de la Villardière, et ne traite donc pas de l'actualité étrangère. A l'instar de Capital, Zone
Interdite a contribué à développer la marque M6 en personnifiant ses sujets, mais aussi en
les scénarisant. Le nom même de l'émission en dit long sur son ambition: à l'image de Droit
de savoir, il s'agit d'aller dévoiler des vérités cachées, et ce sens, il s'agit d'investigation.
Dans les années 90, environ 5 sujets sont diffusés pendant l'émission: à titre d'exemple,
49
voici le sommaire de l'émission du 25 juin 199549:
− « Génération paillettes » (reportage sur une solution
apportée à la stérilité masculine)
− « FIV : erreur médicale aux Pays Bas »
− « Des femmes sur le ring »
− « Phobie : le mal de l'air »
L'émission axe donc principalement ses reportages sur des sujets à sensation,
particulièrement concernant pour les français. Les sujets traités n'ont donc pas beaucoup
évolué si on les compare à ce que l'on fait aujourd'hui.
-90 minutes sur Canal +, 1999
Créée en 1999 par
Luc Hermann et Paul Moreira, figure de proue du journalisme
d'investigation, 90 minutes est une émission qui a marqué les esprits. Ce magazine
d’enquête, diffusé de manière trimestrielle, est très certainement le plus incisif du PAF à
cette époque.
Durant 1h45, plateaux et reportages se succèdent (en général, trois reportages), sur des
thématiques extrêmement délicates. Le style est très « Canal+ », dans la lignée de la défunte
24 heures, avec un rythme très enlevé et percutant.
24 heures a soulevé de nombreuses « affaires », à l'origine de révélations très marquantes.
Par exemple, l'émission a fait rouvrir le dossier du suicide du ministre Robert Boulin. Elle a
également démontré la responsabilité des autorités djiboutiennes dans le décès du juge
Borrel, ou encore obligé Total à admettre qu'il y avait eu du travail forcé sur son chantier en
Birmanie. Enfin, et c'est un fait marquant, les équipes de 24 heures ont forcé l’armée
française à admettre qu’elle avait tiré dans une foule désarmée en Côte d’Ivoire en
novembre 2004. « Nous ne craignons pas de prendre de front les pouvoirs économiques ou
politiques. Je pense que l'investigation a la capacité de faire changer les choses. Elle doit
49 Ina.fr, catalogue des fonds de l'INA, consulté le 13/07/2010
50
être l'un des outils de contre-pouvoir de la société
50
», souligne à ce propos Paul Moreira
dans une interview.
Mais en 2006, quelques mois avant la présidentielle, 90 minutes disparaît brutalement. Les
directeurs de la chaîne expliquent alors qu'ils entendent en fait clarifier leur grille des
programmes, en établissant un seul « rendez-vous investigation » avec l'émission Lundi
Investigation : « Il y avait confusion, assure Ara Aprikian, directeur du pôle flux. Et pour
maintenir un haut niveau, mieux vaut renouveler régulièrement les auteurs des sujets. Rien
à voir, donc, avec des pressions politiques. » La raison serait-elle dès lors interne? « Le
courant n'est jamais passé avec la nouvelle direction de Canal, symbolisée par Rodolphe
Belmer, directeur général depuis 2003, reconnaît un journaliste. Et puis, on coûtait très
cher... ».51
En effet,
90 minutes est une émission produite en interne, contrairement à Lundi
Investigation qui fait pour sa part appel à des prestataires extérieurs. Ainsi, la production de
Lundi Investigation est moins coûteuse que celle de 90 minutes, mais également plus aisée,
les boîtes de production étant réputées plus dociles. Ainsi, la suppression de ce programme
est un signal fort en cette période électorale, et inquiète toute la profession. Il symbolise la
fin d'une certaine liberté éditoriale qui prévalait jusque lors à Canal +, une chaîne réputée
plus offensive envers le pouvoir que ses homologues.
« Cette nouvelle est une mauvaise surprise, affirme Pascal Richard, rédacteur en chef de «
Pièces à Conviction » sur France 3. Avec Duquesne et Moreira, nous n'étions déjà que trois
vrais représentants du genre. Sans doute parce que nos rendez-vous étaient produits en
interne. »52
Cette réflexion est particulièrement intéressante dans le cadre de ce mémoire. A mesure que
l'on tente d'étudier le journalisme d'investigation à la télévision, l'on se rend finalement
50
Strategies.fr, Contre-enquête sur Lundi investigation, mis en ligne le 16/12/2004, consulté le 15/06/2010
51 20 minutes.fr, «90 minutes» à la trappe, remue-ménage à Canal+, mis en ligne le 16/07/2006, consulté le
15/07/2010.
52 20 minutes.fr, «90 minutes» à la trappe, remue-ménage à Canal+, mis en ligne le 16/07/2006, consulté le
15/07/2010.
51
compte que les émissions pouvant se réclamer du genre sont en réalité très peu nombreuses.
De plus en plus, ces émissions sont produites en externe par des boîtes de production
travaillant pour une multitude de programmes différents, et peinent à avoir leur propre
identité et à produire de véritables émissions d'enquête, faute de temps et d'argent. Ce
phénomène s'est amplifié dans les années 2000, alors que les émissions dites d'enquête sont
devenues très nombreuses. Il est également important de souligner que la liberté des
émissions, désormais produites en externe, a été considérablement réduite ces dernières
années, et notamment depuis l'élection de Nicolas Sarkozy, en 2007. Mais nous
développeront ces aspects plus avant dans une autre partie de ce mémoire.
D) Les années 2000, l'explosion du nombre de magazines d'information
Les années 2000 vont voir émerger un très grand nombre d'émissions d'investigation,
notamment depuis 2006. Mais si cette explosion numéraire pourrait sembler plutôt
bénéfique pour le champ journalistique, cela n'est pas réellement évident. Certes, certaines
émissions comme Pièces à conviction ou encore Compléments d'enquête proposent des
reportages d'investigation véritables, mais d'autres telles que 90 minutes enquêtes ou encore
Enquête d'action, ne peuvent prétendre au même statut. Au contraire, cette explosion semble
mener le PAF sur la voie d'une uniformisation à outrance.
-Pièces à conviction sur France 3, 26 octobre 2000
Pièces à conviction est « le » magazine d'investigation de France 3, et est également un
magazine de référence pour le PAF. Il a été lancé par Hervé Brusini en 2000. L'émission est
présentée par Elise Lucet, et le rédacteur en chef est Lionel de Coninck. Le magazine est
notamment connu pour avoir diffusé la « cassette Méry », en référence à Jean-Claude Méry
promoteur et membre du comité central du RPR dans les années 90, et qui joua un rôle
central dans l'affaire des HLM de Paris et la collecte de fonds pour le financement illégal du
RPR. Les équipes de Pièces à conviction ont ainsi multiplié les enquêtes osées à l'image de
52
celle réalisée sur la Française des jeux, le principal annonceur de France Télévisions.
Le nom de l'émission est par ailleurs évocateur, faisant échos à un véritable travail policier
d'investigation. Pièces à conviction est une émission produite en interne, par les équipes de
France 3.
A l'origine, l'émission, d'une durée de 01H30, est diffusée une fois par mois le jeudi en
deuxième partie de soirée à 23 heures, ce qui lui procure une réelle liberté, l'émission n'étant
pas soumise à des contraintes d'audience. Mais en 2008, l'émission est programmée en
prime time à 20H50 avec un numéro consacré au pouvoir d'achat, ce qui pourrait porter à
croire que l'émission serait en péril, c'est en tout cas la question que se pose une journaliste
de Télérama en 2008, et à laquelle Lionel de Coninck répond de la sorte : « Est-ce que les
choses vont changer ? Pour tout dire, je n’en sais rien. Autant vous l’avouer, ce thème du
pouvoir d’achat nous a été proposé par France 3. On l’a accepté parce que c’est une bonne
chose, pour un premier numéro en prime time, d’essayer de rassembler. Mais en aucun cas
je ne ferai six émissions sur la consommation. On va continuer à faire ce qu’on sait faire, et
si ça n’est plus possible, j’irai ailleurs »53.
Au cours des années, l'émission va se moderniser. Elise Lucet n'est désormais plus en
plateau pour accueillir ses invités, mais sur le terrain, filmée en train d'interroger divers
témoins. On n'hésite plus à mettre en scène le journaliste, ce que l'on va d'ailleurs retrouver
dans bien d'autres émissions, à l'image d'Enquête Exclusive et Bernard de la Villardière.
Malgré une certaine uniformisation de la forme, l'émission demeure une véritable référence
pour le journalisme d'investigation télévisuel français.
-Compléments d'enquête sur France 2, 17 septembre 2001
En 2001, c'est au tour de Compléments d'enquête de faire son apparition sur le PAF. Le
53 Télérama,“Pièces à conviction” dès 20h50 ! Oui mais à quel prix ?, mis en ligne le 08/10/2010, consulté le
15/07/2010.
53
programme a été créé par Benoit Duquesnes, qui en est également le présentateur, encore
aujourd'hui. Un lundi sur deux, en deuxième partie de soirée, une thématique est
développée. Ainsi, durant 01H30, plusieurs sujets (en général quatre), s'enchaînent afin
d'illustrer cette thématique. Celle ci peut être consacrée aux privilèges des fonctionnaires,
les jeunes et le cannabis ou encore aux erreurs médicales, des sujets qui peuvent sembler
assez communs, car ils sont traités dans d'autres émissions. Mais Compléments d'enquête se
distingue tout de même par un traitement quelque peu plus approfondi que ses congénères.
Mais la différence considérable entre Compléments d'enquête et d'autres émissions dites
d'investigation, est que lorsque Benoît Duquesne étudie l'univers carcéral en 200254, cette
thématique n'a encore été que très peu traitée à la télévision. Des sujets pouvant sembler vus
et revus aujourd'hui ont pu être très novateurs dans le passé.
De plus, Compléments d'enquête possède une véritable emprunte stylistique. L'information
n'y est pas présentée de la même façon que dans beaucoup d'autres émissions. On fait assez
largement parler l'image, sans musique ni même commentaire, ce qui déroge grandement
avec les émissions style Capital ou encore Droit de savoir où le commentaire à l'image est
omniprésent.
Enfin, un dernier élément est central dans l'étude de Compléments d'enquête. L'émission est
produite en interne à France 2, tout comme l'était 90 minutes à l'époque sur Canal +, ou
encore tout comme l'est Pièces à conviction. Cela s'avère être un élément central.
L'externalisation de la production va en général de paire avec une recherche de
l'optimisation des coûts, alors peu propice à la liberté éditoriale.
-Lundi investigation sur Canal +, 2002
Lundi investigation est un programme documentaire hebdomadaire sur le modèle de 90
minutes. Sa création a été supervisée par Paul Moreira en 2002. Chaque lundi en deuxième
54 Ina.fr, catalogue des fonds de l'INA, consulté le 13/07/2010
54
partie de soirée, cette case propose un reportage de 52 minutes sous la forme de portraits ou
d'histoires. L'émission se veut offensive, et tente d'éveiller le citoyen en l'alertant sur la face
cachée, sombre, de certains évènements ou personnages. Elle est présentée par Emilie
Raffoul et Stéphane Haumant.
Entre 2002 et 2003, toutes les émissions étaient produites par Capa. Après 2003, Lundi
investigation travaille avec 7 boîtes de production. L'émission ne dispose en fait que de 4
journalistes permanent et d'une assistante55. Cela reprend ce qui a été dit plus haut:
contrairement à 90 minutes enquête, Lundi investigation n'est pas produit en interne.
A titre d'exemple, les sujets type sont « Jean Paul II : contre enquête sur l'attentat »,
« Assassinat du juge Borrel : une affaire française », ou encore « Dans la cuisine des
sondages ». L'émission est ainsi souvent axée sur des thématiques judiciaires, mais cela
n'est pas non plus automatique.
Si l'émission jouit globalement d'une bonne réputation, elle n'échappe pas aux critiques de
ses confrères qui dénoncent certaines dérives comme le sensationnalisme. Le site stratégie.fr
rapporte ainsi les propos d'un journaliste souhaitant rester anonyme : «Lundi investigation se
démarque positivement des autres émissions de ce type. Mais on y voit tout de même le
meilleur comme le pire. Ils sont parfois radicaux dans leurs thèses, avec une fâcheuse
propension à donner crédit surtout à ce qui les arrange. Avec une émission par semaine, ils
ont besoin de faire des gros coups, ce qui peut les pousser à en rajouter. »56
En effet, si 90 minutes était diffusé de manière trimestrielle, Lundi investigation doit
supporter une cadence hebdomadaire. Or, réaliser un travail d'investigation est extrêmement
chronophage, et prétendre réaliser de véritables enquêtes en si peu de temps peut parfois
paraître improbable. De ce fait, les journalistes peuvent être tentés d'emphaser le réel, et de
prétendre dénicher des scoops qu'ils n'ont parfois pas eu le temps de véritablement étayer.
L'émission est remplacée en 2008 par Spécial Investigation, un programme présenté par
55 Telesatellite.com, Lundi investigation" fête sa 100ème, mis en ligne le 22/10/2010, consulté le 25/07/2010
56 Strategies.fr, Contre-enquête sur Lundi investigation, mis en ligne le16/12/2004, consulté le 16/07/2010
55
Stéphane Haumont. Il s'agit en fait de la même émission, mais l'on a évité de citer dans le
titre de l'émission le jour de diffusion puisque le programme a été déplacé plusieurs fois
dans la grille des programmes: lundi, jeudi, vendredi...
On peut tout de même constater que Spécial Investigation est aujourd'hui l'une des rares
émissions avec Compléments d'Enquêtes et Pièces à conviction à se démarquer du reste du
PAF, tant sur le fond que sur la forme. Sur la forme, l'émission est beaucoup plus réalisée à
l'image et utilise beaucoup plus d'images d'archives. Sur le fond, l'émission s'intéresse à
des sujets qui dénoncent la défaillance d'un système et non d'individus, et cela est un point
essentiel. L'émission s'attache aussi à contextualiser au maximum la thématique et à prendre
un maximum de champ. Cela démarque clairement l'émission des autres qui cherchent
toujours des sujets concernant pour les français. : "On nous a proposé une enquête sur la
manière dont les Français truandent le fisc. Nous ne la ferons pas car les comportements
individuels aussi délinquants soient-ils nous intéressent beaucoup moins que le
dysfonctionnement des systèmes"57, explique Emilie Raffoul. Derrière ces propos se trame
aussi une façon de concevoir le métier de journaliste. Cette citation va dans le sens d'un
journalisme justicier, sorte de quatrième pouvoir pour la société. Les autres émissions type
90 minutes enquêtes ne se lancent jamais dans des investigations d'ampleur, et s'attardent
plus à dénoncer des comportements déviants individuels. Ces émissions peuvent être
considérées comme étant plus des magazines de consommation que d'information.
-Enquête Exclusive sur M6, 11 septembre 2005
Enquête Exclusive est un magazine qui a été conçu en 2005 par Bernard de la Villardière,
qui présentait à l'époque Zone Interdite. A l'origine de l'émission, il y eut les « Spéciales de
l'info », en seconde partie de soirée le dimanche soir. Un programme proposé par Bernard
de la Villardière qui nous explique les raisons de la création de cette case : « Quand
l'actualité était un peu trop chaude, qu'il y avait des documents un peu trop liés à l'actualité,
qu'il y avait un angle éditorial différent de celui de Zone Interdite (qui est un grand
magazine de société franco-français), du fait qu'il parlait de l'étranger, rebondissant sur
57 Telesatellite.com, Lundi investigation" fête sa 100ème, mis en ligne le 22/10/2010, consulté le 25/07/2010
56
l'actualité, à l'image du 11 septembre. Voilà, quand l'actualité suggérait de faire des
spéciales on en faisait dans cette case là, mais c'était des sujets plus journalistiques et news
que magazines. A partir de là, on a proposé à la chaîne avec la rédaction de Zone Interdite
qui travaillait avec moi, de faire un rendez-vous régulier, mensuel, qui s'appellerait
« Enquête Exclusive ». On y mettrait ces docs à plus forte exigence éditoriale entre
guillemets, plus proches du journalisme et de l'investigation. Des docs difficiles à mettre à
20H50 pour des raisons euh... voilà, d'audience.. plus exigeants et donc plus difficiles à
cette heure là. On les a donc mis à 22H50, et on a fait une émission mensuelle qu'on a
appelé Enquête Exclusive ».58
Face au succès de l'émission, M6 décide d'augmenter progressivement la cadence: la
deuxième année, on produit deux émissions par mois; la troisième année, trois par mois et
la quatrième année, l'émission devient hebdomadaire.
Enquête Exclusive s'articule autour d'un reportage de 52 minutes, puis d'un plateau de 15 ou
20 minutes sur le terrain, animé par Bernard de la Villardière, et donnant un axe de réflexion
nouveau sur la thématique qui vient d'être traitée. Selon Bernard de la Villardière, de bonnes
audiences sont réalisées avec ces plateaux qui apportent de la plus-value au programme. Il
est vrai que c'est la seule émission d'enquête qui soit présentée sous cette forme. M6 joue
d'ailleurs sur la personnalisation du programme sous les traits de Bernard de la Villardière.
Ce dernier dispose d'ailleurs d'un certain pouvoir sur la rédaction puisqu'en décembre
dernier, il a été à l'origine de l'éviction de Laurent Huberson, rédacteur en chef d'Enquête
Exclusive et journaliste chez M6 depuis seize ans, pour « incompatibilité d'humeur ». Il a
fait pression sur la chaîne en la mettant face à un dilemme : ce serait lui ou Laurent
Huberson. Cela a provoqué la colère des salariés de M6 qui ont menacé de faire grève
(parmi eux, les présentateurs phares de M6 Mélissa Theuriau et Guy Lagache), mais c'est
finalement Bernard de la Villardière qui a obtenu gain de cause.
Il faut dire la position de Bernard de la Villardière est assez spéciale: il est à la fois
présentateur de l'émission, co-rédacteur en chef et producteur. Or, l'émission est alimentée à
58 Entretien avec Bernard de la Villardière réalisé le 10/07/2009
57
¼ par C production, une filiale de M6 dans laquelle Laurent Huberson exerçait un poste à
responsabilité. Certains ont donc vu dans son éviction la volonté de la part de Bernard de la
Villardière d'accroître la production de sa propre boîte, Ligne de Front. Si l'intéressé dément
en bloc ces accusations, la théorie peut sembler assez viable59...
L'émission propose un grand nombre d'émissions se déroulant à l'étranger : Trafic d'opium
et attentats suicide : au coeur du piège afghan, Gangs et favelas à Rio : l'autre visage du
carnaval, Voyage au coeur du pays le plus fermé du monde : la Corée du Nord, Les
nouveaux pirates des Caraïbes, Maharadjahs, enfants des rues et pierres précieuses : les
mystères de Jaïpur, Himalaya : la face cachée du toit du monde... Mais les reportages sont
toujours axés sur des thématiques type drogue, prostitution ou encore les trafics d'armes.
Des sujets souvent sensationnels et qui drainent une forte audience. L'écriture de l'émission
est très « M6 », et symptomatique de ce que l'on va retrouver dans les autres programmes
qui vont être lancés après. Mais nous développerons cet aspect dans la partie II).
-Enquête d'action sur W9, 26 octobre 2005
Enquête d'action a été diffusé sur W9 pour la première fois le 26 octobre 2005, peu après le
lancement de la TNT en mars 2005. W9 est aujourd'hui la chaîne leader de la TNT. Le
programme est diffusé en prime time, mais aussi en deuxième partie de soirée lors de ses
rediffusions. On retrouve également des rediffusions d'Enquête Exclusive, W9 étant une
filiale de M6. L'émission dure 1h50 et se présente sous la forme de deux reportages d'une
durée de 52 minutes, puis d'un plateau.
Enquête d'action est présenté par François Pécheux, qui va très prochainement être remplacé
par Marie-Ange Casalta : "C'est une longue histoire. Enquête d'action existe depuis cinq ans
et c'est un crève-coeur pour moi de me retrouver dans cette situation... J'ai beaucoup appris
avec cette équipe, notamment à recevoir des invités sur un beau plateau. Partis de rien - la
TNT n'existait pas encore ! -, nous avons grandi ensemble et vécu une expérience
59 Lepoint.fr, Mélissa Theuriau et Estelle Denis s'engagent dans un conflit social, mis en ligne le 05/12/2009, consulté
le 25/07/2010
58
fantastique" a déclaré François Pécheux au sujet de son départ.
60
Le présentateur se veut
décontracté, veste en cuir et barbe de trois jours, donnant l'image d'un baroudeur.
Enquête d'action multiplie les sujets consacrés à la police, aux secours ou encore aux trafics
en tout genres: ainsi en l'espace de quelques semaines, les spectateurs ont pu assister aux
sujets suivant : Taxi, routiers : enquête sur les nouveaux flics de la route, CRS, Sécurité
Civile : les sauveteurs de l'extrême, Arnaques, contrefaçons : un trafic hors norme, Sports et
mafia, le scandale des matchs truqués, Urgences, dans la chaleur de la nuit.
A l'origine, l'émission s'appelait En quête d'action. Ce nom avait été choisi pour mettre en
avant l'adrénaline du travail de journaliste, mais ce titre a été modifié, peut-être parce qu'il
semblait quelque peu exagéré. Ce magazine symbolise aussi une nouvelle génération de
programmes très axés sur le sensationnalisme, avec une musique bien calibrée et un rythme
très enlevé. L'émission invite les téléspectateurs à découvrir le quotidien de personnages
« hors-du-commun ». L'on comprend vite que le but de la manoeuvre n'est donc pas de
s'éloigner de son sujet mais au contraire de s'en approcher au maximum. En ce sens, il ne
peut s'agir d'investigation, mais au contraire de « narrative journalism »61. Pourtant, sur le
site de W9, l'émission est présentée comme étant de l'enquête : « Enquête d'action c'est le
magazine d'investigation qui vous plonge au cœur de l'action ». On est donc plus en quête
d’action que d’information.
-90' enquêtes sur TMC, 10 octobre 2007
Le 10 octobre 2007, c’est au tour de 90’ enquêtes de prendre place sur le PAF. Le slogan de
l’émission est le suivant : « Informer, alerter, révéler, telle est la promesse de 90' Enquêtes,
programme consacré aux principales préoccupations des Français. S'inscrivant dans la
lignée des grands magazines d'informations américains et de reportages, 90' Enquêtes est le
nouveau magazine 100% investigation présenté par Carole Rousseau ». Une émission
jouant donc sur la scénarisation de l’information, technique issue de la télé américaine, et
60 Pure people, François Pécheux : Avant d'abandonner "Enquête d'action", il vous présente une maman... de 16
enfants !, mis en ligne le 25
61 Entretien avec Vincent Nouzille réalisé le 20/03/2010
59
prétendant clairement faire de l’investigation, révéler des données secrètes, remplir une
mission citoyenne. 90’ enquêtes s’attache à traiter des préoccupations des français, et ne
traite donc pas d’actualité étrangère. L’émission prend soin à toujours personnaliser ses
sujets afin de les ramener au maximum à une réalité familière. Elle est l’archétype des
émissions commerciales d’information.
L’émission est diffusée sur TMC, une filiale de TF1. Elle est diffusée le mercredi en
première partie de soirée. L’émission alterne plateaux avec des experts et reportages.
Chaque semaine, une thématique en particulier est traitée. Très souvent les émissions
tournent autour de sujets largement traités comme la malbouffe : « Malbouffe et fraude
alimentaire : enquête dans les coulisses de la restauration », la police : « Flics de chocs :
enquête sur les anges gardiens de la République », ou encore la chirurgie esthétique :
« Belle à tout prix : enquête sur les dérives de la chirurgie esthétique ». A partir de 2008,
90’ enquêtes rediffuse des émissions d’Enquêtes et révélations sur TF1. L'émission a atteint
son record d'audience le 21 avril 2009 avec plus d'un million de téléspectateurs au rendezvous. 90’ enquêtes peut être identifiée comme étant le concurrent direct d’Enquêtes d’action.
-Enquêtes et révélations sur TF1, 23 septembre 2008
Le 23 septembre 2008, Enquêtes et révélations prend la succession de Droit de savoir sur
TF1. L’émission est présentée sur le terrain par Magali Lunel, et non pas en plateau comme
le faisait Charles Villeneuve. L’émission dure en général une heure et demi et ne traite que
d’une thématique sous la forme d’un sujet long. Elle a lieu tous les quinze jours. Les
diffuseurs l’ont promis, l’émission sera encore plus « spectaculaire ». Ainsi, à son
lancement, Eric Hannezo, le patron de TAP, la filiale de la Une qui produira ce nouveau
programme, a déclaré : «On s'éloignera le plus possible de ce qui existe par ailleurs en
privilégiant le point de vue humain (...) Le fond ne sera pas dissocié de la forme, qui tiendra
compte des codes narratifs des séries américaines (...) Logo, habillage, musique… la forme
sera spectaculaire. Ce sera une vraie création !»62. Privilégier le point de vue humain, cela
ne s’avère pas être une grande nouveauté, il s’agit de la technique narrative de M6, reprise
62
Ozap, Le successeur de droit de savoir sera spectaculaire, mis en ligne le 19/05/2008, consulté le 15/06/2010
60
dans la majorité des émissions d’enquête. On se rend compte dans cette description que la
forme importe énormément, peut-être plus que le fond. Comme l’a souligné Renaut
Fessaguet dans notre entretien, le cinéma américain a fortement influencé la manière de
traiter l’information. La rythmique effrénée, importée en France par Canal +, est essentielle
dans cet émission. Les diffuseurs ne s’en cachent pas, ils sont en quête de spectaculaire.
Mais ils se targuent tout de même d’enquêter et de faire des révélations au grand public.
Pourtant, là encore, les sujets tournent toujours autour des mêmes thématiques. L’insécurité
routière : Français au volant : Enquête sur ces nouveaux délinquants de la route, les
arnaques : Arnaques, patrons voyous et escroqueries en tous genres, malbouffe : Nourriture
avariée, tromperie sur la qualité : comment être sûrs de ce que nous mangeons... N’en
déplaise aux diffuseurs, l’émission ressemble grandement à ses concurrents.
Après avoir établi cette perspective historique, et présenté les émissions que nous allons
étudier, nous allons passer à leur analyse de forme et de contenu.
61
Partie II) Uniformisation et spectacularisation des
reportages d'investigation
.
Après avoir établi cette perspective historique et comparative du journalisme
d’investigation, nous allons étudier de façon plus pragmatique les émissions choisies dans le
cadre de cette étude. Nous tenterons de vérifier le postulat établi dans l’introduction : les
émissions d’enquête souffrent aujourd’hui d’une profonde uniformisation, et tendent à
spectaculariser toujours plus le réel. Pour ce faire, nous étudierons différents aspects : le
nom choisi pour ces émissions, les thématiques traitées, le montage et la façon de construire
les histoires. Nous tenterons enfin de comprendre les raisons des tendances que nous aurons
mises à jour.
1) Des noms d’émissions accrocheurs :
la promesse du grand
frisson !
L’étude du nom de ces émissions est assez révélatrice de l’ambition que ces dernières
nourrissent. Voici ci-dessous la liste des émissions que nous avons évoquées dans la
première partie. Cela nous permet de les juxtaposer dans l’analyse.
-Cinq colonnes à la une, sur la une
-Zoom, sur France 2
-Reporters sur France 5
-52 minutes sur la Une: le magazine de grand reportage, sur TF1
-24 heures sur Canal +,
62
-Envoyé Spécial sur France 2
-Droit de savoir sur TF1
-Capital sur M6
-Zone Interdite sur M6
-90 minutes sur Canal +,
-Pièces à conviction sur France 3
-Compléments d'enquête sur France 2
-Lundi investigation sur Canal +
-Enquête Exclusive sur M6
-Enquête d'action sur W9
-90' enquêtes sur TMC
-Enquêtes et révélations sur TF1
-Des titres d’émission reprenant la notion de reportage
On voit que les premiers titres ne reprennent pas encore la notion d’enquête mais plutôt de
reportage, à l’image de 52 minutes sur la Une: le magazine de grand reportage et de
Reporters. Comme on l’a vu dans la partie précédente, le reportage est l’ancêtre de
l’investigation. Si l’on parle déjà d’investigation dans la presse écrite à la fin des années 80,
cela va mettre plus de temps à arriver à la télévision. Le fait d’aller se déplacer sur le terrain
et de rapporter des images pour créer de longs reportages est déjà une prouesse technique !
Auparavant, le matériel ne permettait pas de réaliser de tels sujets, car il était bien trop
encombrant. Déjà, à la fin des années 80, on se déplace aux quatre coins du globe, et c’est
là-dessus que ces émissions basent leur succès et leur prestige. La notion d’aller dévoiler
des vérités cachées afin de faire « frissonner » le téléspectateur n’est donc pas encore
présente.
-Des titres d’émissions s’inscrivant dans la logique d’un JT approfondi
Envoyé Spécial est une émission qui évoque quant à elle l’approfondissement de sujets
d’actualité par l’envoi d’envoyés spéciaux sur le terrain. Là encore, on n’insiste pas encore
sur la notion d’investigation, mais plutôt sur le caractère inédit des sujets traités du fait de
63
leur éloignement. D’ailleurs, à son lancement en 1990, l’émission diffusait jusqu’à huit
sujets, nous n’étions donc pas dans la logique d’investigation pure et dure. On n’enquêtait
pas uniquement sur un thème. Zoom et Cinq colonnes à la Une répondaient également à la
même logique : celle, en quelque sorte, de poursuivre le JT en effectuant un focus sur
certaines thématiques.
-Un titre d’émission induisant une nouvelle rythmique et un nouveau traitement de
l’information
24 heures sur Canal + initie une véritable petite révolution. C’est le premier titre d’émission
à être réellement novateur : nous ne sommes plus dans la logique du reportage ou du JT
version plus avancée, mais bien d’une petite histoire à part entière. Ce nom nous évoque
aujourd’hui la série 24 heures chrono, et la comparaison n’est pas si ridicule. Il s’agit de la
première émission à condenser autant l’information afin d’en faire un vrai petit film,
quelque chose de plus sexy et digeste à regarder. Une vraie révolution que l’on mesure rien
qu’en observant ce titre, intriguant, qui suppose déjà une temporalité, un rythme différent
des autres émissions. On commence désormais à raconter des histoires, à les mettre en scène
et à tenir en haleine le spectateur.
-Des titres d’émission introduisant la notion de face cachée
Droit de savoir est également une émission précurseur. Par la suite, son modèle va être
largement repris dans d’autres programmes qui apparaîtront dans les années 2000. Son nom
en dit long sur son ambition : il reprend le credo du journaliste justicier, qui est là pour
éveiller le citoyen sur une réalité jusqu’ici occultée. Un titre ambitieux donc, et
particulièrement accrocheur par rapport à ce qui se faisait jusqu’ici sur les chaînes gratuites.
Les autres titres étaient plus plats. Rien que dans son appellation, Droit de savoir induit déjà
un côté dramatique : « il y a des choses que vous, citoyens, vous ignorez, notre rôle est de le
mettre à jour ». Pourtant, à partir des années 2000, l’émission devient plus banale et tombe
dans la spectacularisation. Elle ne sert plus à informer comme son nom le sous-entendrait,
mais elle se consomme…
64
Zone Interdite peut également être placée dans la même case que Droit de savoir. Là aussi,
on suppose que le journaliste va pénétrer des milieux fermés, et aller dénicher des petits
secrets bien gardés. Il est clair que le titre surpasse quelque peu le contenu de l’émission :
lorsque les journalistes vont filmer les vacances des français au camping, il ne s’agit pas
d’investigation mais de reportage. Cela témoigne cependant qu’en presse télé, les diffuseurs
ont voulu, au même titre que la presse écrite, avoir leur case hebdomadaire d’investigation,
sans pour autant s’en donner les moyens véritables.
Capital occupe une case à part, étant la seule émission à être consacrée à un seul type de
thématique : l’économie. L’étude de son titre n’apporte donc rien à la réflexion, puisqu’il ne
s’inscrit pas dans la même logique que les autres.
-Des titres d’émissions jouant sur la sobriété, avant d’être copiés
Puis arrive ensuite 90 minutes, le nouveau né de Canal +. Dans ce cas, le titre n’est pas très
original, et reprend juste le format de l’émission, mais il s’agit ici d’un des meilleurs
programmes d’investigation que le PAF ait connu. Il est ici intéressant de faire un parallèle
avec 90’ enquêtes, une émission qui est née 8 ans après sur la TNT. Cette dernière se nourrit
de la notoriété de 90 minutes, en y accolant juste le mot enquête. Cela laisse à penser que
l’émission réalise un vrai travail d’investigation, mais 90’ enquêtes est très loin de
l’exigence éditoriale du programme de Canal +.
Quant à Lundi investigation, rien de spécial à analyser. L’émission indique clairement son
ambition de faire de l’investigation, et s’en donne généralement les moyens malgré les
quelques critiques qui ont été énoncées dans la présentation de l’émission dans la partie I).
-Des titres d’émissions introduisant un vocabulaire policier
Pièces à conviction et Compléments d'enquête, deux excellentes émissions d’investigation,
ont des noms évocateurs. Elles semblent sorties du champ sémantique policier, et semblent
65
proposer une contre-enquête ou une enquête plus approfondie sur des sujets qui ont déjà été
traités, soit dans les médias, soit par la justice. Elles semblent mener un travail
d’investigation au même titre que le juge d’instruction mène son enquête. On est clairement
dans la logique de la recherche poussée, du croisement des informations et de l’élaboration
de causes : il s’agit donc clairement d’investigation, et ces émissions sont parmi les seules à
pouvoir prétendre assumer le nom qu’elles portent.
-Des titres d’émissions indifférenciés
Vient ensuite le flot indifférencié des émissions ne faisant pas vraiment preuve d’originalité
quant à leur appellation : Enquête Exclusive, Enquête d'action, 90' enquêtes, Enquêtes et
révélations…. Cette constellation d’émissions pourrait être complétée par bien d’autres
petits programmes qui ont fleuri sur le PAF.Ces émissions surfent sur le succès des
émissions d’information et prétendent toutes faire de l’enquête, alors que cela n’est pas
vraiment le cas. La juxtaposition de ces titres montre déjà l’uniformisation de ces émissions,
et leur surenchère. Chacune promet son lot de révélations, de secrets, d’inédits,
d’informations exclusives… ce qui est le propre de l’investigation. Pourtant, bien souvent,
on voit presque les même sujets tourner d’une chaîne à l’autre. Il devient difficile pour le
téléspectateur de se repérer dans cette myriade d’émissions.
-Synthèse
On voit donc clairement avec l’étude de ces titres que toutes les émissions prétendent faire
de l’enquête, alors que leur contenu est extrêmement inégal. Bien souvent, ces émissions
empruntent un vocabulaire policier ou judiciaire, montrant ainsi leur volonté de créer du
sensationnel et du spectaculaire. Certaines se servent également sur la légitimité historique
d’autres émissions, en reprenant de façon flagrante leur appellation. Aussi, on voit bien
qu’avec leur multiplication, ces émissions peinent à se démarquer les unes des autres, rien
qu’en étudiant leur titre.
66
2) Des sujets récurrents, répondant au principe de la « circulation
circulaire de l’information », et conduisant à la dénaturation du
réel
Après avoir étudié les titres de ces émissions, nous allons étudier les thématiques traitées
afin de mettre en lumière une uniformisation des contenus. Pour ce faire, une première souspartie sera consacrée à l’étude sociologique du phénomène que l’on nomme « la circulation
circulaire de l’information », puis une seconde sous-partie soulignera le fait que les médias
insistent toujours sur ce qui va mal et non sur ce qui va bien, au risque parfois de déformer
la réalité et de tomber dans la dramatisation pure et dure. Enfin, une troisième sous-partie
sera consacrée à une illustration de ces théories par un tableau statistique.
A) La circulation circulaire de l’information
-Le mécanisme des reprises
La théorie de la « circulation circulaire de l’information » a été établie par Pierre
Bourdieu63. Elle est fondamentale dans l’étude sociologique des médias contemporains.
Cette théorie met à jour le mécanisme de reprise des médias : pour qu’une information
existe, il faut qu’elle soit reprise dans d’autres médias. Sans cela, aussi passionnante soitelle, elle n’existe pas. Aussi, pour être reconnue, cette dernière doit être validée par un
média dominant, à l’image de l’Agence France Presse ou du journal Le Monde dans
l’hexagone. Par effet inverse, si une information sort de l’AFP ou du Monde, les autres
médias se doivent de la reprendre. Cette news est alors validée telle quelle, sans être vérifiée
par les autres médias. La concurrence entre les médias mène ainsi paradoxalement à
l’uniformisation de l’information.
Ce mécanisme conduit alors inévitablement à ce que l’on appelle « la circulation circulaire
63
Pierre Bourdieu, Sur la télévision, Raisons d’agir, p.22
67
de l’information » : les même sujets tournent inlassablement sur les chaînes d’informations,
les papiers titrent sur les même thématiques, laissant de côté des sujets pourtant dignes
d’intérêt. A titre d’exemple, on se souvient de l’emballement médiatique à la suite du
Tsunami en Asie ou dernièrement du séisme en Haïti, quand bien même on ne parlait pas
des milliers d’individus qui se faisaient massacrer dans une guerre civile interminable au
Congo. Et si certains sujets comme la grippe A ont fait la une des journaux pendant
plusieurs semaines, quelques mois plus tard, on observe un silence radio de la part des
médias sur un sujet qui avait été érigé en véritable catastrophe planétaire !
Un point que Vincent Nouzille a souligné durant l’entretien : « De mon point de vue, il y a
toujours énormément de sujets d'enquêtes qui ne sont toujours pas traités à cause du
mimétisme des télés comme de la presse écrite. Les sujets du parisien sont repris à la télé, et
vont donner lieu à des enquêtes, qui vont repartir au Parisien, puis à RTL... Voilà, donc il y
a une espèce de cercle comme ça.. Cela ne veut pas dire que tout ce qui en sort soit
mauvais, mais il y a 10 000 autres manières de trouver des infos et d'avoir des idées de
sujets qui peuvent être très grand public, très concernant, mais qui n'ait pas été vu 10 000
fois. Donc l'enquête ça reste toujours à réinventer, des sujets d'enquêtes y'en a toujours des
tonnes, il suffit de ne pas être là où des milliers de projecteurs éclairent déjà64 ».
-Le mécanisme des reprises, valable de la presse TV à la presse écrite ?
On peut profiter ici de cet aparté sur le mécanisme des reprises pour étudier la question de la
légitimité de la presse télévision dans le champ du journalisme d’investigation. On a vu que
les médias se reprenaient les uns les autres, notamment quand cela provenait de médias
dominants. Or, si la télévision est un média qui possède un impact énorme sur la population,
jouit-elle de la même crédibilité que la presse écrite ? Cela semble peu certain.
Certains journalistes de presse écrite reprochent même à la télévision de piller les enquêtes
qu’ils ont réalisées pour le papier. Ainsi, Pierre Abramovici, journaliste indépendant, a
déclaré dans une interview : « Une investigation peut prendre énormément de temps. La
64
Entretien avec Vincent Nouzille réalisé le 20/03/2010
68
tentation est donc forte à la télévision d'aller voir ce qui a été fait dans la presse écrite et de
le reprendre tel quel, sans consulter le journaliste à l'origine de l'enquête. Il n'est alors pas
difficile de décrocher le téléphone et d'appeler les témoins qui ont été cités dans l'article.
C'est une tendance lourde. » Fabrice Tassel, journaliste à Libération, confirme : « Le pillage
par la télévision est systématique. Beaucoup de sujets sont repris en rajoutant un ou deux
témoignages, puis en s'accaparant l'exclusivité. » Un avis que Paul Moreira, également
interrogé dans cet article, ne partage bien évidemment pas : « Tout le monde reprend tout le
monde. La seule fois, me semble-t-il, où cette critique pouvait être un peu justifiée, c'est
quand nous avons fait un portrait d'Alfred Sirven qui n'apportait pas grand-chose de neuf
par rapport à ce qui était paru dans la presse. Et cela nous a servi de leçon65 ».
A l’inverse, certains journalistes de presse télé regrettent que leurs enquêtes ne soient jamais
reprises dans les médias de presse écrite. C’est en tout cas ce que déclare dans une interview
Emilie Raffoul, la présentatrice de Lundi Investigation. Cette dernière regrette un "certain
dédain" de la part de la presse écrite à l'égard des journalistes télé. D'où un sentiment de
"frustration" quand des enquêtes solides ne trouve pas d'écho dans les journaux. "Nous
allons sur le terrain, pour vérifier, établir, revérifier, on fait un vrai travail contraignant,
très besogneux d'investigation. Nous n'avons pas de stylo mais une caméra, et notre métier
c'est journaliste66", s’est-elle exclamée.
B) Un goût pour les mauvaises nouvelles, conduisant à la
dramatisation du réel et à l’abandon de sujets d’investigation
potentiels
On le sait, les journaux aiment les mauvaises nouvelles : crash aérien, volcan enragé,
pandémie mondiale, élites corrompues… Voilà le fond de commerce privilégié des médias.
65
66
Strategies.fr, Contre-enquête sur Lundi investigation, mis en ligne le 16/12/2004, consulté le 15/06/2010
Telesatellite.com, Lundi investigation" fête sa 100ème, mis en ligne le 10/2006, consulté le 02/04/2010
69
Chaque fois, les superlatifs ne manquent pas pour nous annoncer qu’il s’agit de la plus
grosse catastrophe que l’on ait enregistré depuis X années. En quelques jours, comme on a
pu le voir pour la grippe A, les médias sont capables de créer une véritable psychose
collective, pour finalement retourner leur veste quelques jours plus tard.
Si ce phénomène est particulièrement visible dans les journaux télévisés, il est également
très prégnant dans les émissions d’enquête. Si parfois des sujets type : la crise leur a profité
ou mamans extraordinaires sont possibles, en règle général, les émissions pointent toujours
sur ce qui ne va pas, sur la face sombre des choses : les risques de la chirurgie esthétique, la
nocivité de ce que l’on mange au quotidien, la face cachée de tel ou tel pays en montrant
que la drogue et la prostitution ont ravagé la vie des habitants, les dérives de la sexualité des
mineurs, le cannabis ou l’alcool chez les jeunes, les chauffards… Les émissions cherchent
toujours à faire du spectaculaire, quand bien même le niveau d’exigence éditoriale n’est pas
à la hauteur des révélations qu’elles prétendent apporter.
-La volonté de dévoiler la face cachée, au détriment de la réalité
Dans mon entretien avec Bernard de la Villardière, ce dernier a reconnu ouvertement que
pendant la phase d’enquête ou de tournage, les équipes d’Enquête Exclusive cherchaient
systématiquement les points noirs du tableau, au risque de déformer le réel : « Il y a ce qu'on
appelle des ficelles dans ce métier qui permettent justement de raconter, de faire partager la
complexité d'une situation en tenant le spectateur en haleine. Vous parliez tout à l'heure de
la « spectacularisation de l'information »,
c'est vrai que c'est une écriture qui peut
entraîner certaines dérives, où l'on privilégie le gadget et la petite histoire par rapport au
fond, voire on évenementialise ou on met en exergue l'exceptionnel, quitte à abandonner
justement l'explication ou la mise en perspective de la réalité elle même. Et c'est vrai
qu'Enquête Exclusive, quand je vais à St Domingue ou quand je vais à Cuba, je ne vais pas
m'intéresser à ce qui va bien, je vais plutôt m'intéresser à ce qui va mal. J'ai souvent cette
expression: « on va vous raconter ce qui se passe en coulisse, ou l'envers du décors ».
Quand on va à Tahiti on va dire: « vous voyez, les plages sont paradisiaques, mais on va
vous montrer ce qui se passe derrière, c'est pas joli joli ». I l faut toujours être très vigilant
70
pour ne pas tomber dans l'excès, qui privilégie essentiellement la catastrophe, la tragédie,
l'émotion, l'exceptionnel en contrevenant à la vérité et à la réalité67 ».
-L’appel aux instincts primaires des téléspectateurs, au détriment de l’étude de sujets
d’investigation réels
Renaut Fessaguet va même plus loin dans ses déclarations, en soulignant que les médias
jouent sur les instincts primaires des téléspectateurs afin de faire grimper l’audience,
laissant ainsi de côté bon nombre de sujets d’investigation qui mériteraient pourtant qu’on
leur prête attention : « Il faut que ce soit choc, à défaut d’être chic ! C’est toujours par le
petit bout de la lorgnette, et toujours sous le côté le plus dégueulasse. On ne va jamais très
loin dans l’investigation. Moi je vois par exemple chez Comiti, on fait très souvent les
mêmes sujets. A un moment on les appelait les trois P : Police, Pompier, Pute. Moi je suis
frappé de voir qu’on fait toujours la même chose et que l’on ne va pas vers les vrais
problèmes. On ne fait jamais rien sur la corruption politique. Car finalement l’esprit
français c’est qu’on les considère tous comme un peu pourris, voilà c’est comme ça. Du
coup, le champ d’investigation se déplace plus vers ce qui est moral, social, la prostitution,
la drogue, les banlieues. Mais qu’est-ce que c’est que l’investigation ? Est-ce filmer avec ou
sans la police des saisies de drogue ? Oui ça apprend des choses, mais le journaliste s’est
tellement épuisé avec la quête d’images fortes qu’il n’a plus le temps de faire la vraie
enquête sur les réseaux, la distribution, et ça c’est un autre problème. Aujourd'hui, on veut
du boom boom, on veut du spectaculaire, on veut du choc. Mais moi si je ramène un truc sur
Charles Pasqua, ça ne passera pas, à part en presse écrite. J'ai rien contre ce type, mais
c'est pour vous dire. Maintenant si je suis la brigade anti-prostitution avec la loi contre le
racolage de Sarkozy, alors là ça va faire de l'audience car c'est voyeur. Mais qui n'est pas
voyeur? Qui n'a jamais regardé la fenêtre de son voisin pour voir ce qui s'y passe? Moi le
premier, même sans y être scotché. Donc ce que reprochent certains journalistes plus
exigeants, c'est que pour faire de l'audience on fait appel aux bas fonds, aux instincts
primaires68 ».
67
68
Entretien avec Bernard de la Villardière réalisé le 10/07/2009
Entretien avec Renaut Fessaguet réalisé le 28/04/2010
71
On peut très aisément illustrer ces propos en étudiant la liste de sujets qui ont été proposés
ces derniers temps par les émissions d’enquête. A titre d’exemple, lorsque Enquête
Exclusive a consacré une émission à l’Himalaya, le documentaire a été axé sur deux points :
prostitution et drogue, idem pour le Bois de Boulogne et bien d’autres sujets… C’est ce que
nous allons voir plus précisément dans la partie suivante.
C) Illustration graphique
Après avoir mis en relief les phénomènes de récurrence des sujets et de choix éditoriaux
basés sur la recherche du spectaculaire, nous allons illustrer de façon pragmatique ces
propos.69
69
Graphiques réalisés à partir des archives de l’INA. Voir liste des sujets en annexe. Les thématiques des légendes ont
été choisies en fonction de leur récurrence générale dans toutes les émissions.
72
-Programmes chaînes hertziennes (TF1 et M6)
Enquêtes et révélations
Jeunesse
Précarité
Sécurité
Autres
Délits
Prostitution
Maternité
Prison
Pouvoir d'achat
Arnaques
Arnaques
Délinquance routière
Malbouffe
Pouvoir d'achat
Prison
Maternité
Prostitution
Délits
Sécurité
Jeunesse
Précarité
Autres
Malbouffe
Délinquance routière
Nous observons ici que l’émission est très portée sur les sujets type « arnaques »,
« délinquance routière », « malbouffe » et « pouvoir d’achat », des thématiques de société
concernant directement les français.
73
Enquête exclusive
Sécurité
Délits
Jeunesse
Précarité
Drogue
Prostitution
Santé
Prison
Délinquance routière
Arnaques
Délinquance routière
Prison
Prostitution
Délits
Sécurité
Jeunesse
Précarité
Drogue
Santé
Autres
Arnaques
Autres
Enquête Exclusive est une émission très clairement portée sur les questions de « sécurité » et
les « délits » en tous genres. Elle évoque également assez régulièrement les questions de
« prostitution », les « arnaques », la « délinquance routière » et la « jeunesse dépravée ». En
général, les sujets mélangent ces diverses thématiques. A noter qu’il s’agit de l’émission
proposant le plus de sujets à l’étranger proportionnellement au nombre de sujets, mais
toujours présentés sous l’angle du spectaculaire.
74
-Programmes service public France 2
Envoyé spécial
Santé
Mal être au travail
Crise
Précarité
Jeunesse
Sécurité
Délits
Prostitution
Maternité
Autres
Arnaques
Malbouffe
Prison
Maternité
Prostitution
Délits
Sécurité
Jeunesse
Précarité
Crise
Mal être au travail
Santé
Autres
Prison
Malbouffe
Arnaques
Envoyé spécial se distingue de ces deux émissions puisque le programme, même s’il évoque
de temps à autre les mêmes problématiques, fait la part belle à des problématiques qui ne
rentrent pas dans les 12 catégories identifiées comme étant les plus récurrentes. Envoyé
spécial continue également à se rendre à l’étranger. L’uniformisation des contenus n’est
donc pas aussi prégnante.
75
Complément d'enquête
Mal être au travail
Crise
Drogue
Santé
Précarité
Jeunesse
Sécurité
Autres
Délits
Malbouffe
Arnaques
Délinquance routière
Malbouffe
Délits
Sécurité
Jeunesse
Précarité
Drogue
Crise
Mal être au travail
Santé
Autres
Délinquance routière
Arnaques
Complément d’enquête s’attaque à des sujets de société assez franco-français, en particulier
les « délits » et les « arnaques ». Le graphique est assez équilibré entre les différentes
thématiques, ce qui s’explique aussi par le fait que l’on dénombre un nombre bien plus
minime d’émissions que pour les autres. Il est donc plus difficile de faire ressortir une
tendance. On observe tout de même que presque la moitié des sujets ne rentrent pas dans les
catégories citées.
76
-Programmes issus de la TNT
Enquête d'action
Sécurité
Délits
Prostitution
Jeunesse
Maternité
Précarité
Prison
Malbouffe
Délinquance routière
Arnaques
Autres
Arnaques
Délinquance routière
Malbouffe
Prison
Maternité
Prostitution
Délits
Sécurité
Jeunesse
Précarité
Autres
Pour Enquête d’action, on observe que les thématiques de « sécurité » et d’ « arnaques »
sont très présentes. Les sujets sur la police et les secours sont en effet très présents. Viennent
ensuite celles des « délits », de la « maternité », « délinquance routière », « malbouffe » et
« précarité ». Cela ressemble donc à ce que l’on trouve sur M6 et TF1. Et l’on voit bien que
la part « autres » est bien plus faible que dans le service public !
77
90' enquêtes
Sécurité
Maternité
Jeunesse
Délits
Prison
Précarité
Drogue
Pouvoir d'achat
Santé
Malbouffe
Délinquance routière
Arnaques
Autres
Arnaques
Délinquance routière
Malbouffe
Pouvoir d'achat
Prison
Maternité
Délits
Sécurité
Jeunesse
Précarité
Drogue
Santé
Autres
Pour 90’ enquêtes, on peut relever une fois encore que les thématiques de « sécurité » et
d’ « arnaques » sont très présentes, puis viennent la « délinquance routière » et les « délits ».
Les sujets ressemblent énormément à ceux proposés sur W9, la ressemblance est ainsi
parfois troublante car il ne s’agit pourtant pas de la même filiale. On voit bien que les
émissions sont en concurrence directe, et qu’elles acquièrent leur audimat sur les sujets à
sensation.
78
-Synthèse
Cette étude graphique nous montre donc que l’uniformisation du contenu est extrêmement
prégnante sur les chaînes privées et les chaînes de la TNT, mais qu’elle n’est pas évidente
sur le service public. Certes, l’on retrouve des sujets semblant similaires, mais ces émissions
veillent tout de même plus à varier les thématiques et beaucoup n’entrent pas dans les
catégories prédéfinies. En fait, l’uniformisation dans le service public est plus à chercher du
côté du traitement de l’information.
3) Le formatage croissant du traitement de l’information :
scénarisation et spectacularisation
Après avoir mis à jour l’uniformisation des contenus sur les chaînes privées et de la TNT,
nous allons montrer que la façon de traiter ces contenus souffre elle aussi d’un réel
formatage. Selon Renaut Fessaguet, cette uniformisation serait même encore plus prégnante
sur la forme que sur le fond (ce qui se vérifie pour le service public): « A mon avis, c’est
moins dans le contenu - même si vous aviez raison de dire qu’il faut que ce soit toujours les
coulisses, les arnaques, les secrets - que dans la façon de monter d’abord, la façon de
s’exprimer, et les commentaires… C’est toujours pareil 70».
Nous allons donc voir que ces émissions sont formatées à divers niveaux. On peut faire
remonter l’origine de ce formatage au modèle M6 lancé par l’émission Capital, qui induit
que les journalistes « prennent le téléspectateur par la main ». Nous expliquerons donc en
quoi consiste ce modèle, et pourquoi est-ce qu’il est apparu. Nous étudierons ensuite la
« boîte à outils » de M6, extrêmement déterminante dans le montage, et qui s’est diffusée
dans toutes les télévisions. Puis, nous aborderons la question de la scénarisation du réel et
de la cinématoisation des reportages avec l’emploi d’effets (musique, ralenti…). C’est alors
que nous verrons en quoi les commentaires à l’image, omniprésents, sont totalement
formatés depuis quelques années. Aussi, nous envisagerons le fait que les journalistes se
70
Entretien avec Renaut Fessaguet réalisé le 28/04/2010
79
mettent en scène au cœur même des reportages qu’ils effectuent. Enfin, nous aborderons la
question de l’incarnation des reportages par des personnages, dans le but d’ancrer l’enquête
dans une réalité familière.
A) Prendre le téléspectateur par la main
Avant toute chose, il convient d’évoquer ce modèle qui est à la base de tous les points que
nous allons développer par la suite dans cette partie. « Prendre le téléspectateur par la
main » est une expression qui provient du jargon de M6. Son origine remonte à la création
de l’émission Capital, en 1990. Pilotée par Emmanuel Chain, un journaliste venu de la pub,
l’émission possède un style fortement influencé par le marketing. Il s’agit de démocratiser
les sujets économiques en les présentant sous la forme de sagas et de success stories
incarnées par des personnages qui tirent l’histoire. L’émission touche ainsi le plus grand
nombre, car on a ôté aux sujets toute forme de complexité. « Notre ambition était
d’instaurer une proximité avec le public, et d’employer un style moins institutionnel71 »,
souligne François Ducroux, ancien membre de l’équipe de Capital aujourd’hui devenu
rédacteur en chef de 66 minutes.
Bernard de la Villardière a également évoqué cette écriture M6 : « L’écriture M6, c’est des
commentaires extrêmement précis, fournis. On laisse assez peu parler l'image toute seule.
On « prend les gens par la main », comme on dit. Avec un récit construit du début à la fin.
Souvent, on raconte une histoire à travers des personnages, on est très proches des
personnages. Les gens s'attachent à des destins, des individus qui sont au milieu d'une
histoire, qui vivent ou partagent une histoire, une problématique, une souffrance, un
combat. Donc voilà, c'est ça qui fait la spécificité de l'écriture M6. Une écriture très
commentée, très présente, un commentaire image très présent, collé à l'image, qui peut
même être redondant avec l'image. 72».
71
72
Télérama.fr, La pêche au ton, le 29/12/2010, consulté le 15/03/2010
Entretien avec Bernard de la Villardière réalisé le 10/07/2009
80
Il s’agit donc clairement d’une écriture opposée à celle des documentaires sur Arte,
beaucoup plus réalisés à l’image. Dans ces derniers, les commentaires sont bien moins
présents et l’on s’attache moins à des personnages qu’au discours et à la situation. Les
images d’archive sont également plus présentes, et l’on va davantage contextualiser, et non
pas rester rivés à un parcours. On va prendre plus de champ, et l’on va raconter davantage
la problématique en elle-même.
-L’influence des années marketing
Capital est une émission extrêmement novatrice, qui va avoir une influence considérable sur
l’avenir de la télévision. Pour la première fois, les reportages vont être considérés comme
des produits à part entière, devant répondre à un certain nombre de critères afin de plaire au
plus grand nombre. Il s’agit donc clairement d’optimiser l’audimat, en réalisant des
reportages susceptibles d’attirer la masse des spectateurs. Ainsi, les recettes publicitaires
gonflent, puisque les téléspectateurs sont au rendez-vous.
Bernard de la Villardière évoque d’ailleurs l’efficacité de cette écriture : « Cette écriture M6
est efficace car si vous abordez le même thème dans un style documentaire pour Arte, vous
avez 800.000 ou 500.000 téléspectateurs pour Arte, et pour Enquête Exclusive, Capital,
vous avez 10 voire 20 fois plus de téléspectateurs73 ».
On peut supposer qu’elle est efficiente puisqu’en effet, le modèle a été repris dans presque
toutes les chaînes de télévision, y compris dans le service public.
Aussi, Bernard de la Villardière considère cette écriture comme étant un intérêt nouveau
porté au téléspectateur. La recherche de la démocratisation de certains sujets jusque lors
inaccessibles. L’intention semble donc bonne, mais poussée à l’extrême, la simplification
automatique des sujets finit par ne plus être pédagogique, et coïncide uniquement avec la
recherche d’un plus fort audimat. « En fait, pendant très longtemps, le journalisme ça a été
un exercice très épuré, où l'on ne s'intéressait pas forcément à son lecteur et à son
73
Entretien avec Bernard de la Villardière réalisé le 10/07/2009
81
téléspectateur, et on s'adressait à la communauté des journalistes, on se faisait plaisir. Alors
ça avait une certaine exigence intellectuelle et éditoriale évidemment, et en même temps, on
ne s'intéressait pas assez à ses récepteurs, aux gens qui recevaient votre information. Et
puis il y a eu les années marketing qui sont arrivées là dedans et qui ont dit: « attendez, un
journal c'est aussi un produit, quelque chose qui doit être façonné pour s'adresser à ses
lecteurs. » Donc comment intéresser les lecteurs? Donc les valeurs du marketing ont gagné
celles de l'information pour se mettre au service de l'information.
Mais aujourd'hui, ce qui risque de se passer, c'est qu'on privilégie le marketing par rapport
à l'information en elle même et à la réalité des choses, d'où le danger en effet de
déformer. 74»
Et il semblerait en effet que le marketing ait pris le pas sur les valeurs de l’information : on
cherche aujourd’hui à réaliser des reportages qui marchent, plus qu’ils n’informent.
-Un nivellement vers le bas : des répétitions menant à l’abrutissement
« Prendre le téléspectateur par la main » signifie clairement mâcher l’information. Avec
cette écriture, chaque image est explicitée, on ne laisse jamais place à la déduction. C'est-àdire que l’on ne présuppose pas que le téléspectateur ait a priori une base d’information lui
permettant de comprendre la situation. Au contraire, on martèle plusieurs fois la même
information, afin d’être le plus clair possible. Les phrases sont courtes, et les mots employés
simples.
Renaut Fessaguet constate une très forte évolution du mode de narration des documentaires
depuis quelques années, et déplore « un abrutissement du téléspectateur » : « Regardez, là
on fait un gros truc sur le génocide du Rwanda, et le rôle de la France dans le génocide du
Rwanda, avril août 1994. Et je suis allé voir hier, l’émission de Jean Marie Cavada qu’il
avait consacré à l’époque sur ce thème. C’était donc deux reportages à chaud puisqu’ils
dataient de septembre, excellents. Le génocide venait de se terminer, l’opération turquoise
était engagée, elle allait se terminer. La façon dont est fait ce reportage, aujourd’hui, on ne
74
Entretien avec Bernard de la Villardière réalisé le 10/07/2009
82
peut plus le voir, c’est impossible. C'est-à-dire qu’on prend là le spectateur pour quelqu’un
d’intelligent. On fait appel pas à des concepts, mais à des phrases, des mots, c’est écrit.
Aujourd’hui, ce n’est plus écrit. Mais encore une fois, je ne jette pas la pierre à M6, ils font
aussi des choses intéressantes. Mais le genre M6 c’est : Robert rentre chez lui, interview
Robert dit « et bien oui je rentre chez moi », Robert est rentré chez lui. Une redondance
permanente qui mène à l’abrutissement75 ».
B) La boîte à outils M6
Après avoir mis en perspective en quoi consiste cette écriture M6 que l’on retrouve
aujourd’hui sur presque toutes les chaînes de télévision, et qui induit un certain nombre de
dérives, nous allons étudier de plus près ce que l’on appelle « la boîte à outils de M6 ». Afin
de rationaliser cette écriture, les équipes de M6 ont mis sur pied une « boîte à outils ». Cette
dernière permet de produire des documents conformes aux attentes prédéfinies. Chaque
sujet sera retravaillé afin de se plier à ce modèle, à cette recette qui a aujourd’hui envahi
tous les documents d’enquête sur le PAF. Si l’on dissèque les enquêtes, on trouve presque à
coup sûr cette formule.
-En quoi consiste cette boîte à outils M6 ?
La boîte à outils induit un formatage du montage des sujets. Le document est donc maintes
fois travaillé jusqu’à ce qu’il réponde aux exigences prédéfinies. Il s’agit ici d’une écriture
par la séquence : « Le sujet est comparable à un édifice dont chaque séquence est une
pierre. Il faut qu’à chaque moment on sache d’où l’on vient, et où on va. Nous avons donc
imaginé une sorte de boîte à outils76 », explique François Ducroux.
Et cette boîte à outils est constituée de cinq éléments principaux que l’on va retrouver tout
au long du sujet.
75
76
Entretien avec Renaut Fessaguet réalisé le 28/04/2010
Télérama.fr, La pêche au ton, le 29/12/2010, consulté le 15/03/2010
83
-L’accroche : on commence chaque chapitre par une annonce de ce qui va arriver derrière :
on montre les images les plus choquantes ou révélatrices du reportage, généralement sous la
forme de flashs qui se succèdent. Selon Renaut Fessaguet, ces « teasers » sont maintenant
omniprésents dans tout le document : « Au montage, ils rajoutent un espèce de teaser au
début. Ce sont des 52 minutes, donc au bout de 3,4 minutes, une fois que l’on a posé l’enjeu,
on va avoir ce teaser, alors que ya 10 ans 15 ans, ça n’existait pas 77». Ces teasers
permettent ainsi de tenir en haleine le spectateur, et de lui donner envie de regarder la suite.
On est donc clairement dans une logique de scénarisation de l’information. On a presque
l’impression que l’on assiste à une série télévisée.
-La « context » : après l’accroche, il convient de présenter le personnage, le lieu ou
l’histoire que nous allons étudier. Par exemple, dans un sujet consacré aux erreurs médicales
dans Compléments d’Enquête, on va commencer le sujet avec un retour sur le lieu de
l’accident d’un jeune garçon de 14 ans en vélo, en expliquant les circonstances de sa mort.
- Les enjeux : après la « context », on explique ce que l’on est venu chercher en allant dans
tel endroit ou en suivant tel personnage. On pose en quelque sorte la problématique générale
du sujet. Très souvent, les enjeux sont formulés sous la forme d’une série de questions. Dans
le sujet de Compléments d’Enquête consacré aux erreurs médicales, les questions vont être
les suivantes : « Que s’est-il vraiment passé pendant ces deux jours à l’hôpital de
Strasbourg ?, Pourquoi Maxime est-il mort ici après un traumatisme que l’on sait
normalement parfaitement soigner ? ». Ces questions permettent ainsi de clarifier au
maximum les intentions du journaliste, mais contribuent également à gonfler les enjeux du
sujet.
-La technique de l’escalier : alors que le sujet a démarré, il convient de remettre un peu de
piment à l’affaire… Par le biais de petites phrases qui font mouche, on dit en quelque sorte
au téléspectateur : « vous allez voir, vous n’avez encore rien vu ». Toujours dans le même
sujet consacré aux erreurs médicales, on retrouve à la moitié du sujet cette relance :
77
Entretien avec Renaut Fessaguet réalisé le 28/04/2010
84
« Comme lui, ils sont de plus en plus nombreux à mettre la médecine au banc des accusés.
Dix milles procédures sont engagées chaque année : infection nosocomiale et opérations
ratées défraient la chronique. Mais entre erreurs médicales, fautes et aléas thérapeutiques,
comment juger de la responsabilité d’un médecin et comment indemniser la victime ? ».
Une technique qui contribue ainsi à galvaniser le sujet. On laisse ainsi le téléspectateur
entrevoir un évènement encore plus choc que ce à quoi il a pu déjà assister. Cela attise bien
évidemment la curiosité et l’excitation de la personne qui visionne le sujet.
-La relance, que l’on nomme aussi le cloutage : à la fin de chaque séquence, pour être
certain de bien avoir bouclé la boucle, on résume au téléspectateur la séquence passée. Le
commentaire étant déjà en permanence redondant avec l’image, on est certain que
l’information a été répétée plusieurs fois. Comme l’a souligné Renaut Fessaguet, cette
répétition constante risquerait bien de mener le téléspectateur à l’abrutissement.
-Une boîte à outils induisant un formatage inévitable des sujets
Face au succès de Capital et de sa boîte à outils, les autres chaînes n’ont pu résister à
l’engouement du public pour ce nouveau mode d’écriture. Il est clair que ce dernier était
séduisant, et positif à bien des égards malgré tout ce que l’on peut dire sur ses dérives. Il a
permis d’entraîner le plus grand nombre à regarder des émissions d’enquête, qui pouvaient
sembler autrefois réservées à une certaine partie de la population. Les sujets sont devenus
beaucoup plus sexys, beaucoup plus vivants, grâce à de nombreuses ficelles : séquences,
musiques, commentaires omniprésents… Des petites formules magiques qui vont peu à peu
se retrouver dans toutes les émissions : Envoyé Spécial, Enquêtes et révélations ou même
Spécial Investigation, qui, malgré un contenu audacieux, souffre aussi d’une uniformisation
au niveau de la forme.
L’emploi de cette boîte à outils suppose un réel formatage puisque toutes les émissions vont
être montées de la même façon. Cela est quasiment devenu une dictature. Aussi, les
émissions sont presque toutes produites par des boîtes de production à l’image de Capa ou
de Tony Comiti qui fournissent toutes les chaînes de télévision, les émissions ont souvent
85
perdu leur identité. Ces dernières doivent toutes se conformer au style de l’émission. C’est
ce qu’exprime Bernard de la Villardière : « On fait travailler des boîtes de production très
différentes, donc elles ont chacune un peu leur style, même si on passe derrière et qu'on
réécrit beaucoup, qu'on lisse, qu'on "re cadence" pour donner plus de rythme, pour
conformer cette écriture et ces documents qui nous sont livrés ou proposés au style de
l'émission ». Un euphémisme pour dire que ces émissions sont carrément entièrement
retravaillées pour se conformer au programme.
C) La dictature du commentaire à l’image
Nous allons maintenant aborder un point crucial concernant le formatage de la forme de ces
émissions, et qui est peut-être le plus prégnant : le commentaire à l’image. Certains
journalistes vont même plus loin, et dénoncent carrément une « dictature » : « C'est une
forme de dictature, déplore un reporter dans un article de Télérama. Cette manière de
raconter les choses, initiée par Capital, a contaminé toute la télévision. Ceux qui l'ont créée
sont devenus les grands prêtres d'une nouvelle secte du langage78. »
Ainsi, d’une part, on se rend compte que le contenu des phrases est formaté, mais aussi
d’autre part, que le ton du commentaire est presque toujours le même.
-Le formatage du contenu des phrases du commentaire
D'Envoyé spécial à Enquête Exclusive en passant par Spécial investigation, on retrouve un
peu partout les mêmes expressions, les mêmes transitions… des petites phrases dont on use
et on abuse.
Les équipes de Télérama79 se sont amusées à ce propos à répertorier les petits tics de
langage de leurs confrères journalistes. Ils ont ainsi mis sur pied un petit précis de formatage
78
79
Télérama.fr, La pêche au ton, le 29/12/2010, consulté le 15/03/2010
Télérama, Petit précis de formatage journalistique, mis en ligne le 26/12/2009, consulté le 18/03/2010
86
journalistique à l’usage de l’apprenti journaliste. Ils identifient 7 points principaux, qui, s’ils
peuvent sembler avant tout humoristique, reflètent une réalité.
-Faire de chaque sujet une saga : lorsque l’on écoute les commentaires, on se rend compte
que les superlatifs ne manquent pas : « Marcus et sa famille ont bâti tout un empire grâce à
un objet qui peut paraître tout simple, mais qui fait un carton dans le monde entier : les
carafes filtrantes », « Nous avons sillonné le bassin d’Arcachon. Les mollusques y sont en
guerre. Ils livrent une bataille féroce contre des souris. Nous finirons par découvrir que
l’huître est en train de vivre une révolution».
-La personnalisation du sujet : comme nous le verrons dans une partie plus développée,
chaque sujet est personnalisé au maximum, et on n’hésite donc pas à utiliser le nom de la
personne que l’on suit tout au long du reportage : «Marie-France est ravie de son
acquisition », « Comme beaucoup d’intégristes, Jérôme et sa femme sont antirépublicains »
-L’emploi de questions à tour de bras : Afin de dynamiser le reportage, on n’hésite pas à
poser des questions. Ces dernières permettent de tenir en haleine le téléspectateur : « Mais
alors, quelle est l’activité de cette entreprise, qui pousse comme un champignon ? »,
« Pourquoi le Vatican cherche t-il à séduire ces catholiques qui font polémique ? », « Mais
alors, qu’est-ce qui fait mourir les huîtres ? »
-Inverser les phrases : on remarque également que les journalistes inversent très souvent la
constitution des phrases : « Son image auprès de ses administrés, elle y travaille chaque
jour », « Sa popularité en banlieue, elle la cultive jalousement », « Les interdictions de
vente, cela fait 5 ans que ça dure ».
-La pratique du cloutage : on reprend la fin de phrase de l’interviewé, et on la répète afin
d’être certain que le message est passé… : « « Ici au Cameroun, c’est entre 50 et 60 000
francs ». 50 000 francs CFA, soit une centaine d’euros au Cameroun », « « Ahahah j’ai
rien dit ». Elle ne dit rien, mais elle n’en pense pas moins », « « En tout cas ya un rêve de
87
gamin ». Un rêve de gamin, avec Guillaume Canet, l’expression veut dire quelque chose ».
-Les tics de langage : on retrouve de nombreux tics de langage dans les commentaires:
« Ce matin là », « Pour le comprendre », « Ce jour là », « Direction… »
-L’emploi d’expressions toutes faites : on n’hésite pas non plus à utiliser des expressions
« bateau » : «Mais pour l’heure les ostréiculteurs ont d’autres chats à fouetter », « Comme
un poisson dans l’eau, elle rit », « Quand Joe met le nez dans sa facture, il est plutôt fier de
son coup ».
Comme nous l’avons vu précédemment avec l’interview de Bernard de la Villardière, M6
conforme le produit rendu par les boites de production afin qu’il colle au maximum avec le
style M6.Cela passe donc aussi par une réécriture du commentaire : « Le commentaire est
rédigé au fur et à mesure du montage. Après, il est soumis à la validation du diffuseur. Et là,
il faut tout réécrire ! » déplore un journaliste. Mais M6 assume cet interventionnisme : «
Notre rôle n'est pas d'uniformiser, mais de réorienter l'écriture pour qu'elle colle à la ligne
de l'émission »80, explique Jean-Bernard Schmidt, Rédacteur en Chef de Capital. Il n’en
demeure pas moins que l’on ne peut nier que cette écriture est au final totalement
uniformisée, et même au-delà de M6.
-Le formatage du ton employé
Le ton employé par les journalistes lorsqu’ils « déclament » leur commentaire est également
extrêmement formaté. D’une chaîne à l’autre, on a l’impression de retrouver les même voix.
Une voix que l’on pourrait presque qualifier de voix de « bateleur ». Cette façon de parler
renvoie au soucis des chaînes de télé de « prendre par la main » et ainsi de simplifier au
maximum l’information : « Il faut scander le texte, rabâcher les infos, forcer la voix, utiliser
trois cents mots de vocabulaire maxi !, déplore un journaliste. On n'est plus dans l'info,
mais, dans le slogan publicitaire. Même à Arte, ce ton commence à apparaître dans certains
sujets. » « Poser des questions de manière appuyée est devenu une norme. Aujourd'hui, un
80
Télérama.fr, La pêche au ton, le 29/12/2010, consulté le 15/03/2010
88
commentaire doit être très démonstratif
81
», admet Denis Boutelier, ancien membre de
l’équipe de Capital, aujourd'hui directeur de la rédaction de l'agence TAC Presse.
Et pour coller au maximum avec ces exigences, certains diffuseurs n’hésitent pas à changer
la voix du journaliste qui a réalisé le reportage. Ainsi, une journaliste témoigne que l’on a
non seulement changé sa voix, mais qu’on a également modifié son texte : « Déjà, le fait de
lancer un reportage à mon nom, pour qu'après on entende une voix d'homme, c'était
bizarre. Mais j'aurais aimé qu'on me prévienne qu'une info allait être rajoutée. » Un autre
reporter va même plus loin en dénonçant une logique industrielle : « On nous demande de
fabriquer des produits. C'est comme dans l'industrie. Quand une bagnole sort de l'usine,
l'âme de l'ouvrier n'existe plus. L'important, c'est que le client soit satisfait82. »
Une réalité que j’ai pu observer l’an dernier lorsque j’ai effectué mon stage chez Ligne de
Front. Le responsable du site internet Lesinfos.com enregistrait également toutes les voix de
100% mag. Il avait l’intonation typique de M6. Il posait donc sa voix sur des sujets dont il
ne connaissait absolument rien. Il s’agit donc d’un métier totalement à part.
C’est pourquoi on retrouve sans cesse les même voix, parmi lesquelles celle de Denis
Boutelier, la voix légendaire de Capital, que l’on a retrouvé par la suite dans d’autres
émissions. Chez Capa, on fait souvent appel à Pascal Manoukian, l'un des rédacteurs en chef
de la boite, qui fait les voix de l’émission Des racines et des ailes : « Lorsqu'il s'agit de
commenter un cent dix minutes en prime time, les diffuseurs ne veulent pas prendre de
risques. Ma voix est prisée, car on estime que je suis capable de tenir un récit sur la
longueur !83 »
D) Une dramatisation et une « cinématoisation » de l’information
Outre l’utilisation de cette boîte à outils sur toutes les chaînes, induisant logiquement un
81
Télérama.fr, La pêche au ton, le 29/12/2010, consulté le 15/03/2010
Télérama.fr, La pêche au ton, le 29/12/2010, consulté le 15/03/2010
83
Télérama.fr, La pêche au ton, le 29/12/2010, consulté le 15/03/2010
82
89
formatage de ces émissions, on peut souligner l’utilisation d’une série d’effets permettant
de galvaniser le sujet. Ces effets permettent de dramatiser les propos, et d’émouvoir le
téléspectateur. Sans ces derniers, les sujets manqueraient souvent de force réelle, et
tomberaient à plat. Ils servent en quelque sorte à maquiller parfois un manque de contenu.
Et même si le contenu est intéressant, cela permet d’en remettre une couche.
Ce modèle est à la base anglo-saxon et a été très fortement influencé par le cinéma
hollywoodien. Il s’est imposé jusque dans les écoles de journalisme, ce qui explique aussi
pourquoi il est presque impossible de voir autre chose à la télévision de nos jours.
« Je donne des cours en France et à l’étranger, et on apprend aux jeunes journalistes à ce
que leur reportage soit le plus vivant possible. Donc ce sont des séquences effectivement où
on accompagne les gens plutôt que de les poser. On préfère qu’il s’exprime en faisant
quelque chose. Ca c’est l’école française, c’est pas seulement M6. C’est-à-dire que si vous
faisiez un sujet maintenant avec image, interview, image, interview, ça ne passerait pas. Les
émissions de M6 genre L’amour est dans le pré, Super nany… c’est vivant, c’est bien foutu,
ça y a contribué aussi. Mais à la base c’est anglo-saxon 84».
Aussi, on peut remarquer que les journalistes se mettent souvent en scène dans ces
émissions, ce qui peut sembler aussi être une autre astuce narrative.
-La musique
La musique est un composant central dans les émissions d’enquête. Si l’on passe ces
émissions à la loupe, on se rend compte qu’elle est omniprésente. Les sujets commencent
presque toujours par une prise de vue accompagnée d’une musique tonique. La musique
permet de rythmer le sujet, elle inscrit chaque séquence dans une temporalité différente. Elle
permet également d’émouvoir, lorsque par exemple on met une musique dramatique sur une
séquence triste. « On met de la musique pour relancer le rythme, accentuer le caractère
dramatique. La télévision a ses artifices, il faut en être conscient. Mais Internet et les
84
Entretien avec Renaut Fessaguet réalisé le 28/04/2010
90
images brutes qu'on y voit vont certainement influencer notre travail 85», a déclaré François
Ducroux (rédacteur en chef de 66 minutes sur M6), lors du Festival international du grand
reportage d'actualité (FIGRA).
L’emploi de cette musique est devenu systématique et incontournable, même dans des
émissions au contenu de qualité comme Complément d’Enquêtes. Là aussi, les chaînes
privées ont eu une influence considérable sur le service public, puisqu’il n’était autrefois pas
envisageable de mettre de la musique dans des émissions comme Envoyé spécial qui existe
depuis plus de 20 ans.
Renaut Fessaguet a ainsi évoqué l’importance croissante de la musique dans les émissions
d’enquête : «Il y a encore 15 ans, sur le service public, il était encore impossible de mettre
de la musique. Moi je sais que l’un de mes derniers reportages pour Envoyé spécial, il est
passé uniquement parce que j’avais choisi des musiques qui ajoutaient de l’emphase. Ah oui
tout cela est réel. Mais l’on pourrait dire la même chose d’Hollywood, à moins d’avoir un
nom comme Clint Eastwood ou Mel Gibson qui ont vraiment des idées en tête, et qui sont
aujourd’hui plus des réalisateurs que des acteurs. A Hollywood, il y a des codes à respecter.
Le montage très serré à la 24H chrono, maintenant il y a 8 images secondes au lieu de
4 ! 86»
-Les ralentis, les zooms… des effets venus tout droits du cinéma
On le voit bien, ces émissions sont montées comme de véritables petits films. Il est ici
intéressant de donner le témoignage de Renaut Fessaguet à ce propos : « On surjoue le réel,
ça ça arrive souvent! C'est toujours le plus, on est toujours les premiers, et puis les effets
comptent pour beaucoup. On utilise les ralentis, alors que dans la vie il n'y a pas de
ralentis. On utilise une musique dramatique, mais un peu comme au cinéma. Je pense qu'il y
a une tendance à la cinémaisation et la scénarisation du reportage. Un reportage sur le réel
au coeur de la Thaïlande ça ne va pas le faire. Déjà parce qu'avec Internet, les gens ont
85
Rue89, Fin du Figra. La télé nous informe-t-elle encore ?, mis en ligne le 29/03/2008, consulté le 15/03/2010
86
Entretien avec Renaut Fessaguet réalisé le 28/04/2010
91
déjà vu beaucoup d'images, mais surtout parce que la réalité elle n'est pas en 3D, ni en 4D.
Elle est assez univoque, enfin, surtout au travers de l'oeil d'une caméra. L'utilisation des
zooms, des gros plans, tout ça vient du cinéma! Dans mon souvenir, enfin je ne crois pas me
tromper, dans 5 colonnes à la Une, ils ne faisaient pas de gros plans. Ils cadraient super
bien car ils filmaient sur des pellicules. Aujourd'hui, pour une minute exploitable, il faut 40
minutes de rush. 5 colonnes à la Une, ils filmaient 10 minutes et ils en sortaient 8 minutes.
Alors c'est que les journalistes sont moins bien formés aujourd'hui, ou alors ils ne
s'intéressent pas à la chose, ou bien encore qu'ils savent que c'est borduré et ils ne
s'aventurent donc pas 87».
-La mise en scène des journalistes
Dans ces émissions, bien souvent, le journaliste se met en scène durant le processus de
l’enquête. Cette technique narrative vient de loin. On fait remonter ses origines à l’émission
Cinq Colonnes à la une, dans laquelle on mettait en scène les enquêtes et les débats parfois
houleux de la rédaction. Le reporter devient un « Témoin-Acteur-Narrateur, et apparaît très
souvent à l’écran.
Aujourd’hui, cette mise en scène prend différentes formes : lorsqu’une journaliste va
réaliser l’interview délicate d’un médecin mis en cause pour homicide involontaire, elle
s’introduit en se présentant ainsi : « Je suis journaliste à France 2 », ou encore, il est
possible de voir un journaliste se faire passer pour un client potentiel dans un salon de
massage à Katmandou, afin de tester jusqu’où le client peut aller. Lorsque le journaliste est
infiltré dans un réseau, par exemple un réseau de drogue en Colombie, ce qui n’est a priori
pas simple, le processus d’infiltration est alors particulièrement mis en avant dans le
reportage. Bernard de la Villardière, journaliste star de M6, se met également fortement en
scène dans ses émissions. Ses interventions sur le terrain ont même tendance à être de plus
en plus longues, car, selon ses propos, la courbe d’audience est alors très bonne.
Ces techniques narratives apportent de la plus-value au programme, et immergent
87
Entretien avec Renaut Fessaguet réalisé le 28/04/2010
92
directement les téléspectateurs dans les rouages de l’enquête, au cœur de l’action. Cette
mise en scène agace certains observateurs des médias qui accusent alors les journalistes de
dérives « sensationnalistes ». Une critique qui agace Paul Moreira : « Dans le sujet sur les
martyrs d'al-Aqsa en Palestine, diffusé le 30 novembre, j'ai mis des images que nous avons
filmées au moment où nous entrions dans Gaza : à un moment donné, nous nous faisons
tirer dessus par un sniper. La balle est passée à 50 cm au-dessus de nos têtes. Qu'on tire sur
des journalistes, je pensais que les confrères trouveraient cela incroyable et choquant. Eh
bien non ! On se fait cartonner dans un article de Télérama sur justement le
sensationnalisme. Je suis tombé de mon siège ! Je trouve vraiment que c'est une critique
d'enfant gâté. Dès que la situation est tendue à l'écran, ce serait sensationnel. Mais c'est
sensationnel parce que c'est la réalité ! S'il arrive quelque chose, on le montre. C'est le but
du jeu88» .
Qu’elle soit utilisée à bon escient ou non, cette mise en scène a le mérite pédagogique de
montrer au téléspectateur la façon dont se déroule l’enquête.
E) La personnalisation des sujets : le risque de basculer dans le
reportage, au détriment de l’enquête ?
Durant notre entretien, Vincent Nouzille a été établi une distinction claire entre le reportage
et l’enquête :« Si il s’agit uniquement de raconter ce que l'on voit, cela s'appelle un
reportage. Par exemple, un reportage en banlieue: insécurité, on suit une équipe de
policiers etcetera. Après, si l'on veut déterminer qui contrôle le trafic de stup dans telle cité,
et bien c'est une enquête puisque là, il faut aller voir les flics, les magistrats. On ne va pas
raconter tout ce que l'on voit, mais on va tenter d'avoir cerné les infos. Est-ce que c'est la
bande de machin? Les mecs ont-ils été poursuivis? D'où viennent les dealers? C'est la
différence entre balader sa caméra à la recherche d'un spectacle ou d'une séquence, et à
mes yeux, faire une enquête ».
88
Strategies.fr, Contre-enquête sur Lundi investigation, mis en ligne le 16/12/2004, consulté le 15/06/2010
93
Or, on peut se demander si les émissions qui déclarent faire de l’enquête, en font encore
véritablement?
-La recherche d’une identification au personnage
La personnalisation des sujets est devenue automatique. Toutes les enquêtes commencent
toujours par l’histoire d’un personnage qui va illustrer la thématique. Ce personnage est en
mouvement. Il est presque impossible aujourd’hui d’interviewer un personnage de manière
statique. On doit le suivre dans son quotidien, dans son histoire. Cela permet ainsi de
dénouer le complexe en l’ancrant dans une réalité familière, et de faire par la même
augmenter les taux d’audience : « Le téléspectateur partage ou appréhende une réalité à
travers des gens que l'on suit et dont on fait le portrait. Sans interview statique mais en les
accompagnant sur le terrain, en partageant leur vie quotidienne. Voilà, c'est une écriture
par la séquence, beaucoup plus que par l'image elle-même89 », explique Bernard de la
Villardière.
C’est également de cette façon que l’émission Enquête Exclusive aborde les sujets
internationaux : « Parfois pour parler de l'étranger, il faut partir de la France. Quand on a
fait les vendeurs à la sauvette, on s'est intéressés à la secte des Mouridess, mais on est
partis du pied de la Tour Eiffel. Les gens étaient au rendez-vous d'ailleurs. Quand on a fait
un film sur le trafic de pièces détachées entre la France et le Bénin, on est partis de la
problématique du marché de l'occasion en Belgique, en France etcetera... Et on a suivi deux
jeunes français qui partaient vendre leur voiture en Afrique. Et c'est grâce à cette astuce, à
ce procédé, ce choix, que l'on a pu intéresser les téléspectateurs à cette problématique du
trafic de métaux, de la débrouille dans certains pays d'Afrique ».
-S’agit-il plus de reportage que d’enquête ?
Ainsi, les sujets sont personnifiés à chaque fois, afin de faire gonfler l’audience. Durant la
phase d’enquête, les journalistes sont chargés de trouver des interlocuteurs au journaliste qui
89
Entretien avec Bernard de la Villardière réalisé le 10/07/2009
94
va aller réaliser le sujet sur place. Une stagiaire enquêtrice chez Tony Comiti m’a ainsi
confié que les rédacteurs en chef ont souvent une idée prédéfinie de ce qu’ils recherchent
dans le sujet. Ainsi, la fiction peut dépasser la réalité puisque l’on attend au préalable d’un
personnage qu’il fasse ou dise telle ou telle chose. Cela laisse donc peu de place au naturel
et au spontané. Une situation qui agace grandement Renaut Fessaguet : « En fait, il faudrait
que la réalité soit fictionnelle. A mon époque on vous demandait pas si votre personnage
allait faire telle ou telle chose, et puis il n'y avait pas ce type de magazines de société.
Aujourd'hui, on va suivre une famille en vacances... ce n'est pas de l’investigation! A mon
époque, je parle comme si j'avais 200 ans, on allait vers les situations, soit de crise, soit
humainement compliquée, et puis on voyait ce qui en ressortait! Aujourd'hui, on a une
préparation en amont qui est énorme, faut des autorisations de tournage... » 90.
Vincent Nouzille semble avoir un constat moins sévère sur cette pratique, saluant son
dynamisme : « En même temps, que les sujets soient concrets, qu'on suive des gens
impliqués dans la lutte contre la drogue par exemple, c'est très bien, vaut mieux avoir ça
que des mecs dans un bureau qui te disent, voilà ce que je pense de l'évolution du monde.
On s'en fout un peu. Donc je comprends qu'on ait besoin de héros et de personnages qui
vont tirer l'histoire91 ».
La question étant plus pour lui d’utiliser le bon outil : reportage ou enquête, et ce, au bon
moment. Le problème aujourd’hui étant que l’on prétend faire de l’enquête alors que l’on
fait en vérité du reportage. Or, dans l’enquête, il convient de prendre de la distance avec le
personnage. Ce qui est donc en opposition avec la recherche de personnification, qui
caractérise plus le reportage : «Aux Etats-Unis, on distingue deux boîtes à outils: Investigate
journalism, et narrative journalism. Le premier c'est donc vraiment la boîte à outils pour
chercher les infos, il y a beaucoup de journalistes qui sont devenus des grands spécialistes
de cela. Le second, c'est comment on écrit une histoire, comment on va avoir un héros. C'est
ce qu'on appelle au fond un reportage, je suis au plus près de mon héros. Quelque part,
l'investigative doit te distancier de ton objet, alors que le narrative doit te rapprocher de ton
90
91
Entretien avec Renaut Fessaguet réalisé le 28/04/2010
Entretien avec Vincent Nouzille réalisé le 20/03/2010
95
sujet. C'est ça la grande distinction. Dans la manière de le raconter, c'est pas pareil d'être
quasiment à la première personne avec ton personnage de la narrative. C'est à la fois un
genre formidable le reportage, mais effectivement moi je suis plutôt dans l'école de
l'investigative. J'ai mes héros, mais je prends une distance avec eux. D'abord, je ne veux pas
être lié à eux, et ensuite je préfère avoir d'autres sources que je vais mettre en perspective
avec d'autres gens. Mais la grande valeur d'un reportage c'est quand tu finis pas être si
proche d'une personne que tu peux ressentir presque ce qu'elle ressent. Une victime, un
malade. Je me souviens très bien d'un reportage dans le Washington Post d'une double page
par jour dans le Washington Post sur le vécu d'un jeune homosexuel de 17 ans vivant au
Texas. C'était quasiment son journal de bord. Donc la nana elle avait dû passer des
semaines avec lui. Là, on est dans un sujet extraordinaire. C'est à dire qu'on te raconte le
racisme, l'homophobie, le Texas... on est dedans quoi. Ce que fait Florence Aubenas. Elle
est vraiment dans le reportage. C'est magnifique ce qu'elle fait. Et donc l'investigation
quelque part, c'est pas l'inverse, mais c'est la mise à distance. Cette opposition qui aux
Etats-Unis est un peu catégorique dans le genre, ca va être « comment tu veux raconter ton
histoire : faire un scoop? Taper sur les puissants? Ou c'est 15 jours embedded avec le JI sur
le terrain? ». Donc, rien à voir. Et les modes d'écriture, et les écoles de formation, les
conférences sont bien distincts pour le narrative et l'investigate. En France, cette distinction
n'existe pas.
En fait, le vrai plus du journalisme, c'est d'avoir ces deux boîtes à outils et de décider de
laquelle l'on va se servir. Laquelle est la plus opérante pour tel ou tel sujet? Avoir l'angle
narrative avec le paysan afghan qui cultive son pavot et qui n'a que ça pour bouffer, et
l'ange investigate pour savoir comment l'héroïne est transportée etcetera.
C'est deux genres qui ne sont pas exclusifs l'un de l'autre, qui ne doivent pas l'être.
Simplement, c'est à nous en tant que professionnels de se servir de telle ou telle technique
pour construire un sujet ».
Cette réflexion nous permet ainsi de bien distinguer la différence entre reportage et enquête,
et de nous rendre compte que l’on bascule souvent plus dans le côté narrative que dans le
côté investigate. Souvent, les journalistes posent des questions auxquelles ils n’ont pas les
moyens de répondre. Ils ont le mérite de dévoiler une réalité, mais peinent à en distinguer
96
les tenants et les aboutissants profonds. Souvent, on ne fait finalement que planer à la
surface des problèmes, sans vraiment les comprendre. On se rend compte que ce que l’on
nous vend comme de l’enquête, est en vérité plus du reportage. Bien sûr, parfois, certains
documents peuvent sortir du lot et témoignent d’un réel travail d’investigation, mais le
manque de temps et d’argent consacré aux enquêtes fait que les journalistes ont rarement les
moyens de leurs ambitions. C’est ce que nous allons étudier maintenant.
4) Quelles sont les causes de cette uniformisation ?
Après avoir constaté cette uniformisation du contenu et de la forme, nous allons tenter d’en
déterminer les causes potentielles. Celles-ci ont souvent des origines économiques ou
politiques, mais l’on verra également que la télévision pose des problèmes supplémentaires
par rapport à la presse écrite, notamment juridiques.
A) Des facteurs économiques
Nous allons tout d’abord étudier les facteurs économiques qui semblent gouverner
aujourd’hui la production de l’information. D’une part, on peut parler d’une rationalisation
des coûts de production, d’autre part, on peut étudier la question de la recherche d’audimat
tout azimut, puisqu’elle répond à un objectif économique.
-La rationalisation des coûts de production
Comme pour n’importe quel produit que l’on trouve sur le marché, les chaînes vont tenter
de rationaliser les coûts de production. Dans un premier temps, elles vont externaliser leur
production. C’est un mouvement que nous avons pu constater dans l’historique des
émissions réalisé dans la partie I). Nous avons vu que des émissions telles qu’Envoyé
Spécial, qui possédaient autrefois leur rédaction en interne, ont peu à peu externalisé leur
production. C’est le même phénomène que nous avons pu constaté lors de la disparition de
97
l’émission 90 minutes, produite en interne, qui a ensuite été remplacée par Lundi
Investigation, une émission produite en externe, car elle coûtait bien moins cher.
L’externalisation de la production permet de faire baisser les coûts de production puisque les
boîtes sont en concurrence pour obtenir les sujets, et qu’elles ne vivent que grâce à l’achat
des chaînes. Elles ne peuvent donc pas négocier pleinement leurs salaires, et sont soumises à
des contraintes temporelles extrêmement difficiles à tenir. Aussi, l’externalisation de cette
production permet aux chaînes de se libérer de diverses contraintes logistiques (gestion du
personnel, fiscale etc…).Renaut Fessaguet nous illustre cette évolution : « Un 52 minutes
aujourd’hui, la chaîne donne 80 000 euros. Pour un 26 minutes, elle donne la moitié. Les
tarifs n’ont pas augmenté depuis 10 ans, alors que tout augmente… sauf nos salaires je
vous rassure ! Le prix des cassettes, le prix des mixages, le prix des machines… Avant, on
ne comptait pas trop nos journées. Aujourd'hui, mobiliser une journée un cameraman, un
journaliste, plus la location de la voiture, le miam miam... C'est vite du 1000 euros par jour
pour le producteur. C'est assez vicieux, et je ne sais pas trop comment on va faire pour s'en
sortir. Mais les chaînes ne justifient pas ces tarifs ! Il y a une grande bataille entre
producteurs et chaînes, notamment M6. Ils s’arqueboutent, ils disent « on vous fait vivre »,
on commande beaucoup, ce qui est vrai. Si M6 arrête demain ses émissions de reportage, il
y a un gros souci ! Alors ils disent on vous fait vivre, et puis on trouve que c’est tout à fait
raisonnable, et on peut pas plus.
Si vous êtes une boîte établie et que vous avez un compte au CNC, qui en fait irrigue et fait
vivre le cinéma français et la télévision, vous arrivez pour un 52 à 100 000 euros, mais faut
la marge du producteur car il y a des frais de structure etcetera… Mais c’est pour ça qu’on
tourne de plus en plus vite. Un 70 minutes qu’on a fait en Colombie sur Pablo Escobar, on a
tourné comme des malades ! Par exemple l’autre soir, j’ai vu deux magnifiques
documentaires sur la Corée du Nord. Ils ont suivi deux gamines qui participent aux tableaux
vivants à la gloire du dictateur. C’est un des plus beaux documentaires que j’ai jamais vu.
C’est la BBC qui a fait ça il y a deux ans. C’est un boulot phénoménal. Nous, on nous
demande de faire ça, on n’a pas le temps ! Mon premier 26 minutes j’ai eu 1 mois.
Aujourd’hui, vous savez combien on nous donne ? 6 jours !92».
92
Entretien avec Renaut Fessaguet réalisé le 28/04/2010
98
Ce manque de temps et d’argent alloué aux documentaires explique notamment ce
formatage. Puisque les chaînes n’ont presque plus de rédaction en interne, et que les sujets
sont produits par des boîtes de production telles que Capa ou Tony Comiti, qui travaillent
pour toutes les chaînes, il est logique que les émissions perdent leur identité. Beaucoup de
journalistes considèrent cette externalisation comme une menace pour l’enquête, les boîtes
de production ne disposant pas d’assez de pouvoir pour imposer certains sujets peut-être
plus délicats à l’antenne. De ce fait, elles répondent plus souvent à des commandes des
chaînes : « On arrive à en proposer, mais on sait pas définition que, à moins qu’il soit
particulièrement original, ou d’avoir un lien privilégié avec la personne ou l’évènement,
c’est très difficile. Ou alors, il faut être un grand nom. Et puis il faut voir qui choisit les
programmes dans les grandes chaînes. Ca c’est aussi la vraie question parce que les gens
qui font la télé sont omnibulés, pour ne pas dire plus, par l’audimat », explique Renaut
Fessaguet.
La circulation croissante des journalistes entre les rédactions explique également ce
phénomène : « Jusqu’aux années 2000, les journalistes circulaient moins d’une rédaction à
une autre. Depuis, les frontières entre chaînes publiques et chaînes privées ont explosé93 »,
explique Jean-Bernard Schmidt, rédacteur en chef de Capital.
-La quête permanente de l’audimat
La quête d’audimat est très certainement la raison principale de ce formatage croissant : elle
explique le nivellement par le bas, la recherche maximale d’identification, et le manque de
prise de risque dans le choix des sujets : « On est rattrapés par la logique d'audience où
effectivement les sujets étrangers sont plus difficiles, plus risqués en audience94 », souligne
Bernard de la Villardière. Lors du Festival international du grand reportage d'actualité
(FIGRA), un spectateur a demandé à François Ducroux (rédacteur en chef de 66 minutes sur
M6), si 66 Minutes s'était déjà autocensurée sur un sujet d'actualité par peur du manque
d'audience : “Très clairement, oui. Nous sommes sur une chaîne privée, et l'audience est le
93
Télérama.fr, La pêche au ton, le 29/12/2010, consulté le 15/03/2010
94
Entretien avec Bernard de la Villardière réalisé le 10/07/2009
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seul critère de survie d'une émission. En revanche, les présupposés sur l'audience ne sont
pas toujours bons : nous avons fait un pic d'audience inattendu en parlant des Karens de
Birmanie95».
Un plus fort audimat signifie une meilleure rente publicitaire, c’est pourquoi les chaînes
mettent tout en œuvre pour l’optimiser. « Il y a des études d’une finesse… ils analysent
minutes par minutes, je ne sais pas si vous voyez ! Même sur France Télévisions, il y a des
bureaux entiers de personnes qui ne font que ça de la journée. Ils ne font plus que ça !
Exemple : quand Comiti a fait un sujet sur la nouvelle pauvreté il y a cinq ans parce que ça
le frappait. Les clodos, les soupes populaires… frappant parce que c’est réel même s’il y a
beaucoup de gens qui viennent d’Europe de l’Est. Le patron de M6 à l’époque voit ça,
c’était pour Zone Interdite, il les insulte. A 21 heures il appelle il dit « qu’est ce que c’est
cette merde ? ». A 22h30, fin de l’émission. Les chiffres d’audience ont été excellents, le
lendemain : félicité ! », relate Renaut Fessaguet.
Afin de parfaire au maximum cette quête d’audimat, M6 a mis au point un profil type de
téléspectateur : « Les équipes de 100 % mag ont défini une téléspectatrice type, témoigne
une reporter. Elles l'appellent Nathalie, elle a deux enfants, et c'est une femme active aux
revenus moyens. A l'écriture, on part du principe que Nathalie ne doit pas attendre une
minute pour comprendre ce dont on va parler !96 » . Cela fait échos à la volonté de prendre
le téléspectateur par la main, et nous permet de comprendre pourquoi cette écriture mène à
l’abrutissement.
Renaut Fessaguet évoque également ce point, en soulignant qu’avant toute chose, il
convient d’étudier qui se trouve devant le téléviseur, et ce que cette personne attend du
visionnage d’un reportage : « Il y a parfois des émissions de prestige, des choses pas mal,
mais malheureusement, c’est pas ce qui fait de l’audience. Donc la véritable question au
final, c’est l’audimat. Faut regarder aussi qui regarde la télé, c'est-à-dire que des jeunes de
votre milieu social vous la regardez pas assidûment. Donc ce sont soit des vieux, ce n’est
95
Rue89, Fin du Figra. La télé nous informe-t-elle encore ?, mis en ligne le 29/03/2008, consulté le 15/03/2010
96
Télérama.fr, La pêche au ton, le 29/12/2010, consulté le 15/03/2010
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pas péjoratif, ce sont juste des gens d’un certain âge. Je vois par exemple ma mère, qui a 78
ans qui est une femme intelligente et cultivée, elle en prend plein la tête. Donc ils regardent
sans regarder, ça c’est un premier pan du public, mais ils sont quand même consommateurs
d’émissions et de programmes, documentaires ou pas. Et puis des jeunes, enfin ce n’est pas
une critique, moi je suppose que si je faisais trois heures de transport par jour plus un
métier de merde toute la journée, je rentre chez moi, je regarde des choses pas très
compliquées mais surtout mâchées. Donc ça explique tout ça dans la mesure où l’audimat
est devenu crucial97 ». La majorité des gens cherche peut-être finalement plus à se divertir
qu’à s’informer en regardant ces émissions. C’est pourquoi on leur mâche le travail
intellectuel.
B) Des facteurs politiques
Outre ces questions économiques, on peut également analyser les facteurs politiques. S’il est
difficile d’aborder la question de la censure, tant elle demande une véritable enquête
approfondie, il convient tout de même de l’évoquer, et de confronter à ce propos différents
points de vue. On peut également évoquer la question de la connivence entre sphère
journalistique, politique et industrielle, puisque les médias sont aujourd’hui détenus par de
grands groupes économiques. Cette connivence est bien évidemment un frein à
l’investigation. La dépendance aux annonceurs, notamment dans les chaînes privées, peut
aussi poser problème. Alors vrai ou faux débat ?
-Des liens incestueux entre la presse, la politique et la sphère économique ?
En France, les grands groupes sont autorisés à racheter des entreprises de presse. Ainsi,
Bouygues détient TF1, Vivendi possède Canal + et Bolloré a quant à lui carrément lancé sa
propre chaîne, Direct 8. Si en Italie, cela est chose commune avec les fameuses acquisitions
de Berlusconi, en Allemagne, cela est carrément anticonstitutionnel : « Le contrôle d’un
certain nombre de grands groupes industriels sur les grands médias et les grandes télés
97
Entretien avec Renaut Fessaguet réalisé le 28/04/2010
101
françaises est quand même un espèce de vis congénital, qui est très français d’ailleurs.
Certes, la dérive est encore plus grande en Italie, mais ce n’est pas le cas dans les pays
anglo-saxons ou comme en Allemagne où il y a quasiment interdiction constitutionnelle aux
groupes industriels de détenir des groupes de médias. Ce sont donc des groupes de médias
qui se sont constitués tout seuls, si je puis-dire. Personne n’imaginerait que Siemens ou
Bmw achète une télé. Alors c’est lié à l’histoire de l’Allemagne au moment où les grands
groupes industriels allemands étaient au service de la propagande du Reich, donc si tu
veux, il y a un passé. Donc ce mur existe, cela autonomise les médias et leur donne une
force. Ça leur a donné au fond une puissance de feu plus grande. En France, cette frontière
n’existant pas, les réglementations étant très limitées, et bien effectivement on est face à un
perpétuel mélange des genres entre qui contrôle qui, qui couche avec qui ?98 »
Aussi, pour en revenir à la sous partie précédente, on comprend pourquoi l’audimat a pris le
pas sur la recherche d’un contenu riche, puisque ces médias ont été rachetés ou créés pour
être rentables et viables. Les médias français manquent donc d’autonomie, et s’avèrent être
frileux lorsqu’il s’agit de prendre des prises de position qui pourraient compromettre leurs
relations avec leurs annonceurs, ou autres partenaires. Par exemple, M6 a refusé dans le
passé des sujets sur la Française des Jeux ou Renault, ou encore sur McDonald's et KFC en
octobre dernier en bloquant un sujet de l'agence Tony Comiti99.
Aussi, les patrons de chaînes entretiennent souvent des relations privilégiées avec les
politiques : l’exemple le plus typique est celui de la relation entre Nicolas Sarkozy et
Vincent Bolloré. Renaut Fessaguet dénonce ainsi des « relations incestueuses » entre la
presse et la politique. D’ailleurs, bon nombre de journalistes sont liés intimement avec des
politiques : Marie Drucker et François Baroin, Christine Ockrent et Bernard Kouchner. Dès
lors, on peut s’interroger sur leur indépendance... Renaut Fessaguet nous explique qu’outre
les difficultés croissantes que l’on a à accéder aux personnes, il est presque impossible
d’attaquer frontalement une personnalité du monde économique ou politique, tant les
98
99
Entretien avec Vincent Nouzille réalisé le 20/03/2010
Rue 89, Journalisme d'investigation à la télé : faisable, mais épineux, mis en ligne le 31/03/2010, consulté le
15/04/2010
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connivences sont fortes : « Il n’y a aucune transparence. Il y a tout un barrage d’attachés de
presse, des filtres, qui vous empêchent d’accéder aux personnes. Vous imaginez bien que s’il
y a une affaire à sortir sur la BNP, le Crédit Lyonnais ou la Société générale, un journaliste
n’ira jamais poser la question au patron car il y a trop de connivences, le mec ne
comprendrait pas. Il y a un contrôle, une opacité qui est réelle, d’où l’apparition de ces
sujets dits d’investigation sur par exemple les arnaques (crédit à la consommation etc…)
plus faciles à faire et qui intéressent le plus grand nombre. Alors qu’un sujet sur Pasqua, ça
ne va pas aller très loin. Donc il y a d’abord eu fermeture d’un espace : communication,
politique, macro-économie ; puis prise de contrôle de la sphère politique et économique.
Mais si les diffuseurs privilégient ces sujets triviaux, c’est également car ils sont bien moins
périlleux politiquement, et cela est très certainement l’une des causes de cet état de fait. Les
patrons de chaîne ne veulent surtout pas avoir d'enquêtes relatives à la politique ou
l'économie! Dénoncer la prostitution, les salons de massage, ça ça dérange personne. Vous
le faites une fois bon... mais alors plusieurs fois... Très souvent, on enfonce des portes
ouvertes. La drogue chez les jeunes par exemple, ça n'impressionne que les patrons de
chaînes. Un sujet sur l'alcool mondain, ça par contre on ne va pas en parler car les
pinardiers forment un vrai lobby. On a voulu faire un sujet sur les femmes alcooliques...
impossible100 ».
Renaut Fessaguet renchérit même en dénonçant carrément une censure venue des plus
hautes sphères politiques, et notamment depuis l’élection de Nicolas Sarkozy :
« Aujourd'hui c'est sûr que les scandales politiques et financiers, on enquête plus vraiment
dessus. ll y a un tel contrôle... Moi j'ai des copains au Canard Enchaîné, ils n'inventent
jamais rien, ils n'ont que des infos qu'on leur a donné... depuis Sarkozy: ça s'est tari.
L'histoire des vedettes de Karachi... ça ça vient de loin! C'est un coup des chiraquiens
contre Sarkozy!Qui va aller enquêter dessus? Libé? Personne ne le lit. Où va l'argent du
Téléthon, de la lutte contre le cancer... qui va aller enquêter là dessus? Aller à l'association
des myopathes... D'abord ils ne vous laisseront même pas y aller. Qui va vous acheter le
sujet? Parce que même si y'en a un qui dépense un peu trop pour l'administration, s'il fait
un peu de détournement... on ne va pas aller taper contre une cause nationale! Enfin je ne
100
Entretien avec Renaut Fessaguet réalisé le 28/04/2010
103
vous parle que de la télé, je n'ai pas la prétention de parler de tout ce qui se fait en
investigation. Donc la politique, circulez! Le Cac 40, circulez! Il ne reste pas grand chose!
Même sans dénoncer, juste montrer voilà, c'est comme ça que ça se passe. La dernière fois
j'ai fais quelque chose sur la désindustrialisation en France pour Tf1. Ca n'a pas marché.
Donc on préfère un truc sur Paris Hilton. Les patrons de chaîne ou même le Directeur de
France télévision font gaffe à ce qu'ils diffusent. Quand c'est trop de responsabilité
politique, ils ne le font pas. Le patron de Paris Match s'est fait virer car l'autre il a diffusé la
photo de Cécilia.... Donc on veut pas trop risquer sa carrière professionnelle, sa vie... Ca
limite l'investigation. Les élites ont vraiment peur de la télévision, en revanche je suis
surpris par les gens du quotidien qui n'ont pas de mal à s'exprimer devant une télé ».
Il s’agit donc ici de son point de vue personnel, et on ne peut prendre ses déclarations au
présent de vérité générale, ce dernier dressant un tableau extrêmement sombre du
journalisme.
-De la censure… ou de l’autocensure ?
Il convient de nuancer ces propos. Pour certains journalistes, certes, les directeurs de
chaînes privilégient les sujets triviaux car ils font plus d’audience, mais le tableau n’est pas
si noir : un journaliste audacieux a encore le pouvoir de faire de l’enquête à la télévision s’il
le souhaite au plus profond de lui, malgré toutes les difficultés que l’on connaît en France,
notamment en ce qui concerne l’accès aux sources.
Selon Vincent Nouzille, la question de l’indépendance des médias est un faux débat :
« Selon moi, c’est devenu un faux débat. Pour plusieurs raisons : tout d’abord, la
concurrence entre les médias est très vive, et l’apparition de la presse Internet décuple cet
effet. Du coup, si une information est étouffée à un endroit, elle ressortira autre part.
Globalement, c’est quand même la tendance de fond : le marché est de plus en plus ouvert,
du coup, le contrôle de l’information devient de plus en plus difficile pour tout groupe
économique, politique…101 ». Il est vrai que l’actualité récente montre qu’Internet peut jouer
101
Entretien avec Vincent Nouzille réalisé le 20/03/2010
104
un rôle déterminant et galvaniser à nouveau le journalisme d’investigation, au regard des
révélations du site Médiapart sur l’affaire bettencourt.
D’autres vont même plus loin en déclarant qu’il est plus aisé d’enquêter aujourd’hui à la
télévision qu’auparavant. Ainsi, Hervé Brusini, rédacteur en chef du JT de France 2 et
ancien reporter, a déclaré lors d’un festival au Touquet : « Je suis stupéfait qu'on continue à
employer le terme de “censure”. J'ai connu l'époque Giscard, et c'était différent. La censure
et l'autocensure sont dans le bateau de l'info télévisée depuis 50 ans. De Gaulle a pratiqué
la censure, ce qui a fait que l'autocensure s'est imposée 102 ».
Toujours au Touquet, même son de cloche chez un autre représentant du service public, qui
ne se sent absolument pas pieds et poings liés aux annonceurs : « Nous diffusons jeudi 1er
avril dans Envoyé Spécial une enquête sur la discrimination au crédit pour les personnes
âgées par des enseignes comme But, Conforama ou Cetelem, qui sont des annonceurs de la
chaîne. Le sujet a été validé sans aucun problème », affirme le journaliste Luc Hermann, de
l'agence de presse Premières lignes télévision.
Paul Moreira relate quant à lui « des tensions sur certains sujets », mais nuance : « On
arrivait toujours à les passer. Ce qui nous protégeait, c'est d'être en interne, avec une
société des journalistes, des syndicats. La vraie censure, ce sont les services juridiques », un
point que nous soulèverons un peu plus tard.
Il semblerait cependant que les journalistes s’accordent à dire qu’il est de plus en plus
compliqué d’enquêter à l’étranger, et que le quai d’Orsay exercerait des pressions sur les
journalistes. Ainsi, le producteur Arnaud Hamelin de l’agence Sunset Presse, a envoyé
récemment des reporters en Somalie pour un sujet diffusé en janvier sur France 5 : « J'ai
reçu un coup de fil du Quai d'Orsay, suivi d'une lettre me demandant de les rapatrier. Je
leur ai dit qu'il ne fallait pas compter sur moi pour laisser le monopole de l'information à
CNN et Al-Jazira. » Le reporter Jean-Jacques Le Garrec, rapporte le même type de faits :
enfui de la cellule de Jolo (Indonésie) où il était retenu en otage par Abu Sayyaf, en 2000, il
102
Rue 89, Journalisme d'investigation à la télé : faisable, mais épineux, mis en ligne le 31/03/2010, consulté le
15/04/2010
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a déjeuné à son retour avec Lionel Jospin et Hubert Védrine : « Ils m'ont dit qu'ils trouvaient
anormal de n'avoir pas été associés à ce déplacement à l'étranger103. » Pour le rédacteur en
chef d'Arte Reportage, Marco Nassivera : « Ce discours officiel instille peu à peu un poison
auprès des directions et des rédactions, qui risque de les conduire à l'autocensure ».
Dès lors, peut-être serait-il donc plus sage de parler d’autocensure, plus que de censure, car
on ne peut en apporter les preuves véritables. Ainsi, le manque de prise de risque dans le
choix des sujets s’expliquerait par la crainte d’une confrontation directe, et par une trop
grande interpénétration des champs politiques et journalistiques. On peut également profiter
de ce paragraphe pour démystifier la figure du journaliste d’enquête qui demeure toujours
dépendant d’autres champs sociaux.
C) Réaliser une enquête à la télévision, une difficulté supplémentaire ?
Outre ces considérations plus générales relatives aux questions de censure et d’autocensure,
qui pourraient concerner aussi bien la presse écrite que la presse télévisée, nous allons
maintenant aborder les difficultés inhérentes à la presse télé. Il semblerait que le journalisme
d’investigation soit plus compliqué à réaliser à la télévision, l’image posant des difficultés
supplémentaires, en termes juridiques ou même symboliques.
-Des difficultés juridiques
Comme l’a exprimé ci-dessus Paul Moreira, les véritables difficultés que rencontre
aujourd’hui le journalisme d’investigation à la télévision sont d’ordre juridique, le droit à
l’image induisant bon nombre de restrictions. « Tu ne peux même plus parler de la drogue,
parce que tu incites à la consommation », se lamente un journaliste. « La vraie censure, ce
103
Rue 89, Journalisme d'investigation à la télé : faisable, mais épineux, mis en ligne le 31/03/2010, consulté le
15/04/2010
106
sont les services juridiques104 », lance un rédacteur en chef d'une grande agence de presse,
lors de la rencontre au Touquet du FIGRA 2010. « Même si parfois ils s'étonnent qu'on
floute tel visage ou qu'on ne mentionne pas tel nom, leurs appréciations aléatoires
conduisent beaucoup de journalistes à l'autocensure. »
Renaut Fessaguet a également longuement insisté sur cet aspect, expliquant que ces entraves
juridiques font souvent reculer les producteurs qui craignent les procès. « Même si le type il
a un super sujet, il se dit si c'est pour me prendre 4 procès et perdre sa chemise, ça fait
hésiter. La télévision ça entraîne de graves conséquences juridiques! Pour le petit sujet
qu'on a fait sur le commerce halal, on a du visionner 4 fois le sujet avec les avocats! Parce
que ce sont de grandes marques: Quick, Mac Donald... ils sont très soucieux de leur image,
ça peut aller très loin. Du coup parfois on donne une caméra aux salariés, et ils risquent
leur place […] Les tribunaux sont plein de gens qui protestent: "on m'a filmé, je ne voulais
pas...". Le juge des référés très souvent est saisi car un mec se réveille et ne veut pas qu'on
diffuse l'émission car il est dedans à son désavantage ».
Bref, les questions de droit à l’image sont bel et bien propres au journalisme d’enquête à la
télé et compliquent la réalisation des sujets.
-La valeur symbolique de l’image
Aussi, la télévision effraie. J’ai pu m’en rendre compte lorsque j’ai fais un stage à Direct 8
et que je devais réaliser un micro-trottoir : dès que l’on approche la caméra, avant même
d’avoir posé une question, les gens fuient. Alors que si vous les abordez avec un bloc-notes,
le rapport n’est plus du tout le même. Voir le visage de quelqu’un semble enregistrer de
façon plus pérenne les mots d’une personne. Aussi, la télévision est présupposée être un
média détenant une force de frappe bien plus puissante que la presse écrite : elle est
regardée.
104
Rue 89, Journalisme d'investigation à la télé : faisable, mais épineux, mis en ligne le 31/03/2010, consulté le
15/04/2010
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Aussi face aux réticences des gens du quotidien comme des entreprises ou politiques, on en
vient de plus en plus à la caméra cachée et au floutage, afin de contourner tous ces
problèmes. L’émission Les infiltrés en est l’illustration même, puisqu’elle base son concept
sur l’utilisation de la caméra cachée. La question de l’emploi de la caméra cachée était
d’ailleurs au cœur du FIGRA 2009, son emploi commençant à se banaliser, et pouvant
parfois poser des problèmes déontologiques. La caméra cachée est cependant autorisée en
France à condition que l’on floute le visage des personnes, selon la loi informatique et
liberté de 1978, et les décrets sur le droit à l'image datant de 2001.
Face à la difficulté d’obtenir des autorisations de tournage, Renaut Fessaguet estime que le
recours à la caméra cachée va devenir de plus en plus automatique : « Aujourd’hui, tout est
filmé, les télévisions sont entrées partout dans la sphère internationale, et donc, on a de
plus en plus de mal à tourner, d’où l’apparition des caméras cachées et de tout ce genre de
choses. En Afrique et dans certains continents, je le dis assez ouvertement, il est presque
impossible de filmer quelqu’un sans le payer, enfin si ce n’est pas institutionnel. Quand vous
allez filmer la misère, la pauvreté des gens, ils vont vous réclamer de l’argent en retour.
C’est quasiment automatique. Et moi je vois le moment en France où cela va se passer
comme ça aussi ».
Vincent Nouzille nous apporte en la matière un témoignage extrêmement intéressant, nous
révélant que pour une même thématique, un sujet bien moins étoffé n’est pas passé à la télé
alors qu’il est passé en presse écrite. Afin de bien comprendre de quoi il s’agit, j’ai préféré
laissé le passage intégral : « J'ai fait par exemple un bouquin sur les lobbyistes, dont on a
fait une couverture dans l'Express, qui révèle que Frédéric Lefevbre était à la fois conseiller
de Sarkozy, et lobbyiste, ce qui est quand même un conflit d'intérêt majeur. Donc un vrai
scoop. Il supportait une société qui elle-même faisait du lobbying pour les casinos, or il est
conseiller du Ministre de l'intérieur qui délivre les autorisations. Alors, on met tout ça dans
la presse. Nous, ça passe comme une lettre à la poste. On a le bénéfice du scoop, on le met
dans le bouquin, on est absolument pas attaqués car on est béton armé. Les équipes de
Canal + font le même sujet quasiment en même temps, et sont obligées de s'appuyer sur ce
qu'on sort nous pour pouvoir justifier leurs infos. On leur file d'ailleurs les preuves, et ils
108
subissent des assauts de Sarkozy pour les empêcher de publier leur truc. Censure,
menaces... etcetera. Finalement, ils passent leur truc, mais le producteur du sujet et le
réalisateur sont blacklistés de Canal + pendant 6 mois. Donc nous, en tant que journalistes
de presse écrite, on sort le truc, on en a rien à foutre, on sait qu'on est en béton armé. S'ils
nous attaquent, on sait qu'on ne craint rien, mais ils ne font même pas pression sur nous. En
revanche la télé, présumée plus puissante, présentait des séquences où il y avait 10 fois
moins d'infos sur le sujet que dans le bouquin, mais qui mettaient en scène Frédéric
Lefebvre lui-même. Nous, on l'avait interviewé, il nous avait répondu, voilà. Mais quand on
le voit à l'image en train de dire, non, je ne veux pas répondre, ça suffit pour créer un
problème.
Donc tu vois ce que je veux dire, c'est que pour la même enquête (on ne s'était même pas
concertés d'ailleurs, on a décidé de travailler ensemble finalement, c'était plus intelligent
pour s'aider), quelque part c'était mieux qu'on la sorte en premier, car sinon, ils n'auraient
jamais pu sortir leur truc sur Canal +. Mais malgré ça, nous on avait l'essentiel des infos,
eux ils avaient la séquence qui tue, et c'est cette séquence qui a posé un maximum de
problèmes, qui leur a valu des déboires. Donc, ça veut pas dire que c'est pareil pour tout,
mais la prise de risque est plus grande dans certains domaines. On se rend compte que si on
veut, on peut y aller très fort, et notamment dans la presse écrite, pour peu qu'on soit
raccord sur l'enquête, les sources, le croisement des sources, bref que l'enquête est sérieuse.
Souvent en télé ya une espèce de volonté à la fois de faire des trucs très spectaculaires, et en
même temps, au bout du compte, ça se termine avec scénettes, qui bon sont spectaculaires
mais dans le fond, la qualité de l'information peut être assez bonne, mais elle est quand
même assez minime par rapport à ce qu'on pouvait sortir nous en presse écrite. Mais c'est
intéressant de voir comment ça s'est passé en même temps, et on a vu qu'il y en a qui ont
subi des coups pour vraiment des conneries, et nous on est passés tout droit, et ça m'a
montré qu'à la télé c'était parfois plus difficile. Parce qu'il te faut de la séquence, et si tu as
de la séquence qui est embarrassante pour le mec, comme l'impact de la télé est plus fort, la
mise en cause est plus difficile105 ».
Ce témoignage est donc extrêmement intéressant car il synthétise bon nombre de difficultés
105
Entretien avec Vincent Nouzille réalisé le 20/03/2010
109
que l’on retrouve uniquement à la télévision, avec notamment la question basique de la
nécessité d’avoir une image prouvant ce que l’on dit, et la force de frappe présupposée de la
télévision, qui, malgré l’avènement d’Internet, possède encore un véritable poids dans le
champ journalistique.
110
CONCLUSION
Tout au long de ce mémoire, nous avons tenté de dresser un tableau du journalisme
d’investigation à la télévision, et de montrer un certain formatage des programmes
d’enquête que l’on retrouve sur le PAF. Tout d’abord, il a été question de montrer en quoi
l’histoire française du champ journalistique était peu propice à son développement, de par la
longue extraction du champ journalistique des champs politiques et littéraires. On s’est
rendu compte par la suite que certains stigmates d’antan, comme la connivence politico
médiatique, étaient encore visibles aujourd’hui, et constituaient un frein au développement
du journalisme d’investigation. On a également étudié l’importation du genre à la télévision,
et montré qu’il y a eu, ces dernières
années, une explosion du nombre d’émissions
consacrées à l’enquête, mais qu’il y a eu une véritable précipitation dans le genre. En effet,
ces émissions dites d’investigation n’ont pas toutes les moyens de leurs ambitions, et ont
tendance à basculer du côté de la spectacularisation de l’information, afin de palier à leur
manque de contenu. Elles ont également tendance à tomber dans les travers de la
simplification, et peinent à renouveler leurs thématiques. On a par ailleurs étudié
l’uniformisation du point de vue de la forme, et qui semble encore plus prégnante que
l’uniformisation du contenu. Enfin, on a tenté de définir les causes de ce formatage
croissant, en étudiant notamment les facteurs économiques et politiques, mais aussi la
difficulté supplémentaire que les journalistes de presse télé rencontrent par rapport aux
journalistes de presse écrite.
Le but de ce mémoire était de démontrer ce formatage, et, au terme de cette étude, il
semblerait que la réponse s’avère être positive : les émissions d’enquête souffrent
véritablement d’une uniformisation et d’une spectacularisation de l’information, voire d’une
scénarisation du réel. A la base, je pensais que les émissions du service public échappaient
un peu à la règle, étant moins soumises aux contraintes d’audience. Mais elles semblent être
tombées elles aussi dans les mêmes travers que d’autres émissions sur les chaînes privées,
111
en termes de traitement de l’information, mais pas véritablement en termes de thématiques.
Ces émissions ont calqué leur format sur le modèle M6, et sont devenues au fil du temps
plus « sexys » : elles possèdent des teasers, mettent en scène l’action, personnalisent les
sujets, même si l’intonation dans les commentaires est tout de même moins marquée que
dans les émissions des chaînes privées... Cependant, il est à noter que du point de vue de
l’investigation, elles se détachent par leur plus grande analyse des thématiques. Elles
mettent plus en relief les concepts, et prennent un peu moins le « téléspectateur par la
main ». Elles problématisent plus les sujets, et prennent davantage de champ. Somme toute,
seules les cases documentaires semblent procurer encore une liberté de style, à l’image des
soirées Infrarouge sur France 2, qui ont par exemple proposé il y a quelques mois une
émission sur la pédophilie féminine, avec un traitement visuel et sonore très différent de ce
que l’on trouve d’habitude : pas de musique pour émouvoir, un commentaire à l’image peu
présent, et des séquences longues. Mais ces cases documentaires, y compris sur des chaînes
comme Arte, ont tendance à disparaître elles aussi.
On est donc en droit de se demander si cette explosion des émissions d’enquête, ainsi que
leur uniformisation, ne va pas mener les téléspectateurs à la saturation ? Pour l’heure, elles
jouissent d’un véritable succès sans quoi les responsables des chaînes ne miseraient pas sur
elles. Mais à l’image du tarissement des enquêtes d’investigation sur la sphère politicofinancière dans les années 90, il risque peut-être à la longue d’y avoir un essoufflement du
genre. Tout comme l’épuisement des télé-réalités qui, pour survivre, proposent des
émissions de plus en plus « trashs » ; que vont devenir ces émissions d’enquête qui jouent
sans cesse le jeu de la surenchère ? Selon Vincent Nouzille, la lassitude des téléspectateurs
est tout à fait possible. Pour que le genre perdure, « La question va être : un, sont-ils
capables de se renouveler sans se copier tous les uns les autres. Ce qui est une grande
question! Et deux : dans les modes narratifs, qu'est-ce que l'on va trouver autre que « je suis
le héros, je suis la brigade de police dans la banlieue en train de se faire matraquer » »106.
Il semblerait qu’aujourd’hui on consomme plus que l’on ne s’informe. Même s’il existe
106
Entretien avec Vincent Nouzille réalisé le 20/03/2010
112
aujourd’hui encore des émissions de renom, certains nouveaux venus semblent être de purs
produits de consommation, voués à disparaître dès lors qu’ils tomberont en désuétude. On
est loin de l’image du journaliste justicier au service de la vérité, on est plutôt aujourd’hui
dans le refrain des chaînes de télévision à la recherche d’une plus grande rentabilité.
On entend souvent que nous sommes aujourd’hui de plus en plus informés, mais finalement,
de plus en plus mal informés. Il semblerait que l’équation ne soit pas fausse. On a vu des
milliers de fois l’enquête sur le trafic de drogues, sans jamais savoir finalement qui irrigue
véritablement ce réseau. Il existe aussi des centaines d’autres sujets d’enquête qui
mériteraient d’être éclairés, et qui ne trouvent pas d’écho à la télévision. Aussi, bien
souvent, il ne s’agit pas d’enquête mais de reportage.
Finalement, le problème n’est peut-être pas au fond celui de la censure, mais plutôt celui de
la conception primaire du rôle de ces émissions. Pour se maintenir, elles doivent faire de
l’audience. Les visées ne sont donc pas pédagogiques mais financières, et l’on donne au
public ce qu’il a envie de voir : son propre reflet. Nous sommes dans une société de la mise
en scène, c’est ce qui explique cette volonté infaillible de personnaliser les sujets, et de les
ramener à une réalité familière.
Comme l’a très justement souligné Vincent Nouzille, avec l’avènement d’Internet, les
informations finissent tôt ou tard par rejaillir quelque part. Le problème n’est donc pas celui
de la censure, mais plutôt celui du mimétisme des médias. Pour clôturer ce mémoire, je
trouve intéressant d’utiliser cet extrait de mon entretien avec Vincent Nouzille, puisqu’il
permet de nuancer le propos, et de ne pas tomber dans le « c’était mieux avant », mais au
contraire d’ouvrir d’autres perspectives : « Le genre n'est pas mort, et ce n'est pas à cause
de la censure politique ou machin... ce sont des conneries, car le mec qui a vraiment des
couilles, il va le faire. C'est plus un problème de mimétisme général, de peur de perdre de
l'audience. Aujourd’hui, les journalistes font de l'enquête, mais ils font de l'enquête light. De
l'enquête qui ne met pas toujours à distance les personnages, de l'enquête sur des sujets en
général rebattus. Donc cela pose trois problèmes différents. Donc après si ils se renouvèlent
en mettant davantage de distance, en remettant en question un certain nombre de choses, si
113
ils changent un peu de sujets, et trouvent des modes de narration un peu plus variés, alors,
tout est possible. C'est pas plus long ou plus compliqué d'être original et de mettre à
distance. C'est simplement dans les outils que tu emploies, et la démarche journalistique
que tu as. Le conformisme c'est quand même le vrai ennemi du journalisme à la télé comme
dans la presse écrite. Moi j'appelle ça de la paresse, de la paresse intellectuelle. Le
conformisme, c'est vraiment ça qui tue la presse, c'est ça qui tue le journalisme, plus que la
censure en tant que telle».
114
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Rue 89, Journalisme d'investigation à la télé : faisable, mais épineux, mis en ligne le
31/03/2010, consulté le 15/04/2010
117
ANNEXES
Entretien avec Bernard de la Villardière, présentateur de l’émission Enquête Exclusive
sur M6 et directeur de la boîte de production Ligne de Front.
-Pouvez-vous me rappeler les conditions de création de l'émission?
Enquête exclusive c'était en septembre 2005 je crois. Auparavant lorsque je présentais Zone
Interdite on faisait parfois en deuxième partie de soirée le dimanche des « Spéciales de
l'info ». C'était une case que je présentais également après Zone Interdite qui était souvent
en deuxième partie de soirée, en direct. Il s'agissait de documents beaucoup plus proche de
l'actualité. J'étais à l'époque 100% salarié de M6 et j'ai donc proposé avec l'équipe de Zone
Interdite cette émission. Quand l'actualité était un peu trop chaude, qu'il y avait des
documents un peu trop liés à l'actualité, qu'il y avait un angle éditorial différent de celui de
Zone Interdite (qui est un grand magazine de société franco-français), du fait qu'il parlait de
l'étranger, rebondissant sur l'actualité, à l'image du 11 septembre. Voilà, quand l'actualité
suggérait de faire des spéciales on en faisait dans cette case là, mais c'était des sujets plus
journalistiques et news que magazines.
A partir de là, on a proposé à la chaîne avec la rédaction de Zone Interdite qui travaillait
avec moi, de faire un rendez-vous régulier, mensuel, qui s'appellerait « Enquête Exclusive ».
On y mettrait ces docs à plus forte exigence éditoriale entre guillemets, plus proches du
journalisme et de l'investigation. Des docs difficiles à mettre à 20H50 pour des raisons euh...
voilà, d'audience.. plus exigeants et donc plus difficiles à cette heure là. On les a donc mis à
22H50, et on a fait une émission mensuelle qu'on a appelé Enquête Exclusive.
Et donc au départ Enquête Exclusive c'était plutôt la fausse traque de Ben Laden, euh.. les
routes de l'héroïne...
-Plus international donc?
Oui exactement.
-Quand j'ai commencé à regarder l'émission il y a un an, il y avait par exemple des
sujets sur Moscou, la Colombie... puis c'est vrai que de plus en plus, les sujets sont
franco-français. Cela vous peine un peu non?
Oui. Parfois oui, absolument. On est rattrapés par la logique d'audience où
118
effectivement les sujets étrangers sont plus difficiles, plus risqués en audience. Et en
même temps on a eu de très bonnes surprises dans Enquête Exclusive avec la Colombie,
avec Cuba, avec la Corée du Nord. Avec des films de ce genre, ça a très bien marché. Je
pense que ça fait partie justement de l'ADN de l'émission.
-Croyez-vous justement qu'à chaque fois c'est cette mise en scène, l'incarnation du
sujet par un personnage, la musique.. La mise en abîme du reportage puisque chaque
fois on prend un bout du document pour inciter le spectateur à rester devant sa télé en
lui montrant qu'il va il y avoir de l'action... c'est comme un mini film. On crée du
suspens... Vous croyez que c'est cela qui permet de parler de sujets qui intéresseraient
moins d'ordinaire?
Et bien c'est à dire que c'est l'écriture M6: des commentaires extrêmement précis, fournis.
On laisse assez peu parler l'image toute seule. On « prend les gens par la main », comme on
dit. Avec un récit construit du début à la fin. Souvent, on raconte une histoire à travers des
personnages, on est très proches des personnages. Les gens s'attachent à des destins, des
individus qui sont au milieu d'une histoire, qui vivent ou partagent une histoire, une
problématique, une souffrance, un combat.
Donc voilà, c'est ça qui fait la spécificité de l'écriture M6. Une écriture très commentée, très
présente, un commentaire image très présent, collé à l'image, qui peut même être redondant
avec l'image. C'est ce qui fait la spécificité de cette écriture par rapport à d'autres, comme
l'écriture du documentaire classique version Arte, version cases documentaires des
télévisions publiques sur France Télévision. Vous vous en êtes sûrement aperçue, le
commentaire y est nettement moins présent, on laisse parler l'image.
Mais cette écriture M6 est efficace car si vous abordez le même thème dans un style
documentaire pour Arte, vous avez 800.000 ou 500.000 téléspectateurs pour Arte, et pour
Enquête Exclusive, Capital, vous avez 10 voire 20 fois plus de téléspectateurs.
-D'accord. Et est-ce qu'il y a quatre ans, il y avait d'autres émissions qui
s'apparentaient à Enquête Exclusive? Car maintenant il y a une explosion de ce
nombre d'émissions.
Euh je pense qu'Enquête Exclusive est une case à part et un style à part. Car par exemple
« Complément d'Enquête » c'est fabriqué autrement. C'est plus lié à l'actualité, ce sont des
sujets beaucoup plus courts. Le présentateur est sur le terrain mais installé dans un fauteuil.
C'est à dire qu'il déplace le studio sur le terrain. Il n'est pas vraiment mobile. En général, il
interview des responsables politiques ou des experts. Donc c'est différent.
Nous, je pense qu'Enquête Exclusive a un style à part, on a notre domaine à nous. C'est vrai
que l'on est très attachés au lieu: on a fait le périphérique, le métro de Paris, on fait des
villes. C'est une écriture 360 degrés quand on est sur un lieu ou une ville, ou Roissy ou le
périphérique, ou la Ratp... bientôt la SNCF, les trains de banlieues etcétéra... Et on va
raconter l'histoire de ce lieu et la problématique de ce lieu, de ce mode de vie, de cette
tranche de vie à travers des personnages.
119
-Vous intervenez toujours en fin d'émission, pensez-vous que ce soit la plus-value du
programme?
Oui c'est vrai que là aussi, on a trouvé avec les plateaux un style et une écriture différente.
C'est lié au fait d'abord ben que j'aime ça déjà, et qu'ensuite j'ai fais ça pendant très
longtemps du reportage. Donc on poursuit le reportage en étant sur le terrain. En prenant un
peu de champ, en prenant un angle particulier.
-M6, c'est un peu une autre forme de journalisme, est-ce que c'est inspiré des émissions
qu'il y avait dans les pays anglo saxons? Un journalisme par en bas? Par exemple, estce que vous pensez que c'est Capital qui a importé ce style là? Est-ce que vous pensez
que vous êtes dans la continuité de ce genre d'émissions?
Vous parlez du plateau ou du reportage?
-De la façon de construire les reportages
Oui c'est à la fois Capital et Zone Interdite. Chaque émission avec son style quand même.
Capital est très attaché à l'économie, à l'argent, qu'est-ce que ça coûte?
-Ça a pas mal révolutionné le journalisme quand même à l'époque?
Oui dans leur écriture oui. En même temps il y a eu la série 24H sur Canal, produit par
Capa. Historiquement je crois que c'est Capa, puis les équipes de Capital et de Zone
Interdite qui ont installé ce style un peu nouveau.
-Quel est le public que vous ciblez en deuxième partie de soirée? Vous savez un peu qui
regarde l'émission?
Euh...ce sont les CSP+, ménagère de moins de 50 ans, c'est un très large public en fait. Ça
dépend des numéros aussi, de ce que l'on traite. Mais c'est une émission plutôt jeune,
féminine, voilà mais qui en même temps rassemble un public assez large. Je sais qu'on est
très présent chez les jeunes, chez les femmes, les moins de 50 ans et les cadres sup.
-Ce serait difficile de mettre ce genre d'émission en première partie de soirée, encore
aujourd'hui?
Non ce serait possible, mais je pense que ça en changerait encore la nature. C'est à dire que
l'on ferait encore moins de sujets étrangers sans doute, et que l'on risquerait ainsi de marcher
sur les plates-bandes de Zone et de Capital.
-A partir de quand vous a t-on demandé d'augmenter la cadence de l'émission? De
passer d'une mensuelle à une hebdomadaire?
Ça s'est fait progressivement puisque la deuxième année on en a fait deux fois par mois, la
120
troisième année, trois fois par mois, et la quatrième année l'émission est devenue
hebdomadaire.
-Pourquoi? Car cela avait rencontré un vrai succès?
Oui ça marche bien.
-Bon cela rejoint un peu ce que je vous ai demandé tout à l'heure, mais quelles
émissions considérez-vous comme étant concurrentes? Même si ce n'est pas
exactement comme vous... Je ne sais pas si vous connaissez Enquêtes et révélations sur
TF1 qui vous copient peut être un peu... Par exemple j'ai vu un sujet sur la prostitution
à Madagascar, c'était encore un sujet international, en format 90 min, voilà on va vous
montrer... euh..
La face cachée en quelque sorte.
-Oui exactement ya plein d'émissions un peu comme ça. Donc quelles émissions
considérez-vous comme vos concurrents?
Enquêtes et révélations je crois que c'est mensuel ou bi-mensuel, c'est pas le même rythme
que nous. Cette émission me paraît être plus dans la veine de Droit de Savoir, c'est de
l'enquête, de l'investigation au quotidien. Ils ont fait quelque chose sur les prix récemment,
sur l'alimentation, sur la fraude... Je ne peux pas te dire car je la vois assez peu cette
émission donc j'en ai vu de bouts de temps en temps mais.. pas beaucoup.
-Et dans le Service Public? Par exemple Envoyé spécial, comment voyez-vous cette
émission?
Envoyé spécial c'est multi-thématique. C'est à dire qu'ils ne creusent pas qu'un seul sujet. Il
y a trois ou quatre reportages chaque jeudi sur des thèmes extrêmement différents. A la fois
des sujets de proximité comme on dit, des sujets un peu saga... Le jambon de Bayonne,
l'huile d'olive etc... La dernière tournée d'Alain Souchon, de Laurent Voulzy, et en parallèle
les pirates de Somalie. Voilà donc ils ont la possibilité en deux heures d'attirer un public
large en ayant une offre beaucoup plus large.
-Et même eux ont évolué au niveau de la mise en scène, de la musique... avant c'était
très sobre, il n'y avait rien. Peut-être que justement l'écriture M6 et toutes les
émissions qui s'y s'apparentent ont eu une influence?
Oui bien sûr, c'est évident. Ce qui nous condamne à faire plus et mieux, d'inventer autre
chose.
-Et quelles sont justement les clefs du succès? Votre recette?
Euh... difficile à dire, difficile à dire. Parce que maintenant qu'on est hebdomadaire, c'est
vrai qu'on a élargit notre palette de sujets. On fait travailler des boîtes de production très
121
différentes, donc elles ont chacune un peu leur style, même si on passe derrière et qu'on
réécrit beaucoup, qu'on lisse, qu'on "re cadence" pour donner plus de rythme, pour
conformer cette écriture et ces documents qui nous sont livrés ou proposés au style de
l'émission qui voilà encore une fois qui est d'être proche des personnages, qui prône
l'investigation, toujours dans une optique 360 degrés. C'est à dire que sur un sujet donné, on
aime faire partager le point de vue ou l'itinéraire, le combat, de personnes très différentes.
Par exemple, quand on fait le trafic d'héroïne en Colombie, on est à la fois avec le
trafiquant, avec le policier, avec le cultivateur qui est obligé de planter de la Coca sinon il
est enlevé ou tué par les trafiquants, voilà.
-Je voulais aussi aborder les tensions que vous avez évoqué avec M6 lors du séminaire
de Ligne de Front. Donc vous leur proposez des sujets et après c'est eux qui
choisissent?
Oui
-Ils veulent donc de plus en plus de sujets sur la police, sur la France... donc ils disent
que ça intéresse plus?
Non, ce n'est pas exprimé comme ça, mais c'est vrai que moi j'ai un statut particulier
puisque je suis à la fois rédacteur en chef, co-rédacteur en chef, présentateur, salarié de M6,
et en même temps producteur. Donc j'ai une double casquette. C'est donc très difficile
d'avoir cette double casquette, même si elle comporte certains avantages, elle a aussi
certains inconvénients. Ce qui fait que je suis obligé parfois d'abandonner du terrain sur la
rédaction en chef de l'émission, et qu'il arrive qu'on commande des sujets sans me consulter
ou à peine, sans me demander mon avis. Bon, c'est pas toujours le cas, mais ça arrive de
temps en temps. Et donc bon... le climat est parfois un peu tendu. Mais bon moi je continue
à me battre, et il y a Ligne de Front donc je continue à produire pour Enquête Exclusive les
sujets à mon avis les plus exigeants éditorialement et les plus difficiles, et notamment les
sujets à l'étranger. C'est comme ça qu'on a fait le Mexique, La Colombie, Cuba...
-Et pour ça vous avez des enquêteurs à l'étranger?
Oui, il arrive qu'il y ait des gens qui nous appellent. Des réalisateurs, ou des gens à
l'étranger.
-Est-ce difficile pour une boîte de production de conserver son indépendance?
On est obligés évidemment de se conformer... enfin c'est ce qui fait aussi la richesse de notre
métier. On travaille pour un diffuseur, pour une émission, qui a son style, son écriture, son
histoire, ses domaines de prédilection. Et donc il faut s'adapter à ses interlocuteurs et à la
case pour laquelle on travaille c'est évident. Donc on apporte sa patte et en même temps on
est obligés de se conformer au style et au format de l'émission pour laquelle on travaille.
Mais c'est ce qui fait aussi le charme de ce métier.
122
Et c'est pour ça que j'ai crée cette société aussi. C'est pour pouvoir non seulement travailler
pour Zone, Capital ou pour Enquête Exclusive et donc pour une écriture M6, qui est
relativement formatée, et pour pouvoir justement introduire un peu de souplesse dans cette
écriture, dans ce travail, et proposer à d'autres des sujets écrits et conçus autrement. C'est
comme ça qu'on a fait une série sur « Qui a tué? ». « Qui a tué Massoud? », « Qui a tué
Raffic Hariri? ».. Il s'agissait donc de documents qui étaient du documentaire
d'investigation, plus que du reportage d'investigation. Et ensuite, c'est comme ça qu'on a
également travaillé pour des chaînes comme Arte, comme Canal.
-Et lorsque vous faites un sujet pour Arte, c'est donc complètement différent?
Tout d'abord, c'est beaucoup plus réalisé à l'image, c'est moins écrit, moins de
commentaires, et voilà on va peut-être être moins attachés au personnage qu'au discours et à
la situation. On va mettre un peu plus d'images d'archives, on va contextualiser d'avantage
plutôt que d'être justement rivé à une ligne, à un parcours, à une femme. On va prendre un
peu plus de champs, on contextualise, on raconte d'avantage la problématique elle même. Ce
sont des sujets plus généralistes.
-Quelle est votre conception du journalisme?
Le journalisme à la base c'est aller chercher l'information, la vérifier, la recouper, et la
mettre en perspective. Donc un bon journaliste est celui qui va chercher l'information, qui la
sélectionne, la met en image ou en musique... Il va distinguer l'essentiel de l'accessoire.
Mais un bon journaliste c'est aussi celui qui met en exergue la bonne information, qui la
choisit, en la contextualisant et en racontant une histoire pour faire partager à un maximum
de gens cette information qui peut sembler brutale, qui peut sembler superfétatoire.
Donc oui un journaliste c'est ça: celui qui va sur le terrain, va chercher l'information, la
vérifier, la recoupe et la met en perspective, la met en image. Pour être un bon journaliste il
faut donc être passionné d'information, mais également savoir raconter une histoire.
C'est ce qu'on disait du papier de presse écrite autrefois. On disait qu'un bon papier de
presse écrite est celui qui accrochait le lecteur. Et un bon papier ou un bon reportage en
télévision, c'est celui qui accroche le lecteur, pas seulement au début, mais aussi tout au long
du reportage, tout au long du document.
Donc il y a ce qu'on appelle des ficelles dans ce métier qui permettent justement de raconter,
de faire partager la complexité d'une situation en tenant le spectateur en haleine. Vous
parliez tout à l'heure de la « spectacularisation de l'information », c'est vrai que c'est une
écriture qui peut entraîner certaines dérives, où l'on privilégie le gadget et la petite histoire
par rapport au fond, voire on évenementialise ou on met en exergue l'exceptionnel, quitte à
abandonner justement l'explication ou la mise en perspective de la réalité elle même.
Et c'est vrai qu'Enquête Exclusive, quand je vais à St Domingue ou quand je vais à Cuba, je
vais pas m'intéresser à ce qui va bien, je vais plutôt m'intéresser à ce qui va mal.
J'ai souvent cette expression: « on va vous raconter ce qui se passe en coulisse, ou l'envers
du décors ». Quand on va à Tahiti on va dire: « vous voyez, les plages sont paradisiaques,
mais on va vous montrer ce qui se passe derrière, c'est pas joli joli ».
123
En fait, pendant très longtemps, le journalisme ça a été un exercice très épuré, où l'on ne
s'intéressait pas forcément à son lecteur et à son téléspectateur, et on s'adressait à la
communauté des journalistes, et on se faisait plaisir. Alors ça avait une certaine exigence
intellectuelle et éditoriale évidemment, et en même temps, on ne s'intéressait pas assez à ses
récepteurs, aux gens qui recevaient votre information. Et puis il y a eu les années marketing
qui sont arrivées là dedans et qui ont dit: « attendez, un journal c'est aussi un produit,
quelque chose qui doit être façonné pour s'adresser à ses lecteurs. » Donc comment
intéresser les lecteurs? Donc les valeurs du marketing ont gagné celles de l'information pour
se mettre au service de l'information.
Mais aujourd'hui, ce qui risque de se passer, c'est qu'on privilégie le marketing par rapport à
l'information en elle même et à la réalité des choses, d'où le danger en effet de déformer..
-Quand vous faites un sujet, il faut obligatoirement qu'il se passe quelque chose.
Ouai. Donc il faut toujours être très vigilant pour ne pas tomber dans l'excès, qui privilégie
essentiellement la catastrophe, la tragédie, l'émotion, l'exceptionnel en contrevenant à la
vérité et à la réalité.
-Vous avez peur de tomber dans ce travers là?
Bien sûr, bien sûr! Il faut toujours être très vigilant, absolument
-Est-ce que M6 vous fait quelque peu pression en vous demandant des sujets super
rythmés, où il se passe des choses en permanence?
Oui, tout à fait.
-Je trouvais que cette année on avait tellement d'émissions intitulées 66 minutes, 90
minutes... Je me disais qu'il y en a tellement que les gens vont peut-être finir par se
lasser. Dans ces émissions on veut leur montrer quelque chose de si « exceptionnel »
que cela ne l'est plus. Les émissions sont de véritables produits en chaîne.
Étonnamment, les magazines d'information marchent très bien. On pourrait penser que les
gens se lassent mais en tout cas, ça marche.
-Donc Enquête Exclusive est un magazine et non un documentaire. Pouvez-vous me
rappeler la différence?
Le magazine, c'est un traitement beaucoup plus journalistique encore une fois, pas news
mais magazine. C'est à dire qu'on est pas dans l'actualité, mais à côté. On approfondit
beaucoup plus, par rapport à ce que fait un journaliste de news qui est condamné à faire
deux ou trois minutes.
Et puis le documentaire, c'est une écriture beaucoup plus réalisée. Ce ne sont pas forcément
des journalistes qui réalisent les documentaires. Ils s'intéressent à un aspect des choses, ils
ont un angle plus artistique, un choix beaucoup plus personnel, beaucoup plus subjectif.
Alors que dans l'écriture journalistique, le journaliste se doit de conserver une certaine
124
objectivité.
-Dans la construction des émissions, elles sont toujours montées un peu de la même
façon? Y a-il des séquences au niveau de la rythmique?
Les séquences sont inspirées par le résultat du tournage, des images que l'on a ramenées.
Voilà, donc après il y a des pleins et des déliés dans un bon sujet télévisé.
-Donc il n'y a pas forcément, de « recette », à part le fait qu'il y ait une petite
introduction pour raconter ce qu'il va se passer, des rappels aussi, c'est assez
important. Sur Arte par exemple, on ne va pas dire voilà il va se passer ça... attention!
Oui.
-Pourquoi a t-on fait le choix de ce format 90 minutes pour Enquête Exclusive?
Enquête Exclusive c'est du 52 minutes, plus 15 ou 20 minutes de plateau. C'est une question
de format, c'est une question de place sur la grille. Il y a un bon magazine de 90 minutes
avant. Zone ou Capital ça fait entre 100 et 110 minutes, et puis il y a une émission après. Il y
a 100% foot au cours de l'année, c'est donc une problématique de grille.
-Ce n'est donc pas évident de tenir un reportage si long, ce n'est pas quatre petits
reportages. Ça vous prend combien de temps à peu près?
C'est une émission hebdomadaire, donc il y a toujours entre 12 et 15 numéros, voire plus, en
préparation. Soit en enquête, soit en tournage, soit en montage, soit déjà montés et sur une
étagère, ce qui est assez rare quand même! Car on a un rythme de travail assez infernal, on a
pas tellement d'avance. Donc voilà, c'est entre six mois et un an de travail. I y a des sujets
plus durs que d'autres. Tahiti on va le tourner là et on l'a déclenché il y a un mois, un mois et
demi. L'équipe est partie quinze jours après, là ils viennent de rentrer, ils vont commencer à
le monter la semaine prochaine.
-Et vous quand vous partez sur le terrain, comment cela se passe? C'est quelqu'un qui
vous a déjà préparé vos interlocuteurs etc...
Oui j'ai une équipe à M6 qui travaille avec moi, et qui affine les angles et prépare le terrain,
prend les rendez-vous etcétéra.
-Après au niveau des questions, vous avez toute votre liberté?
Oui complète.
-Comment préparez-vous votre intervention, en étant catapulté dans des pays si
divers?
A chaque fois, je pars avec une bonne doc, je travaille dans l'avion et puis voilà. J'ai
l'avantage de l'âge et de l'expérience.
125
-Que pensez-vous que cela apporte votre petit plateau à la fin?
Les audiences sont bonnes sur les plateau en général. La courbe est bonne, ce qui fait qu'on
a commencé à faire des plateaux de cinq ou six minutes, puis de sept ou huit, dix... puis
aujourd'hui on est à 20 ou 25, parfois même 30. Tant et si bien que j'ai proposé à la chaîne
une émission de prime que l'on va commencer à produire à la rentrée dans laquelle je serai
présent du début à la fin. Les thématiques seront transversales: où va t-on habiter demain?
Ces grands animaux en voie de disparition, les plus grandes prisons du monde.
-Dans votre émission sur la mafia en Sicile, vous étiez très présent non?
Oui car je l'avais réalisé de bout en bout, c'est un film que j'avais fait, que j'avais tourné tout
seul, enfin avec Anne. C'est vrai que je m'étais pas mal impliqué parce que je parle italien et
donc c'était plus simple. C'est pas facile de trouver des réalisateurs qui parlent bien italien.
Moi je parle bien italien et comme c'est un sujet qui me plaisait je l'ai fait.
Ce n'est pas évident de conceptualiser tout ça, mais voilà ce qu'il faut savoir c'est qu'on
prend le téléspectateur par la main par rapport à un documentaire classique, qu'on commente
énormément, qu'on est très proches des gens, qu'on a une écriture très séquencée, c'est à dire
que l'on ne va pas prendre des images prétextes sur lesquelles on va coller un commentaire
pour décrire la généralité d'une situation. On va au contraire aller au général en partant du
particulier.
-On dénoue le complexe pour le livrer au spectateur.
Le téléspectateur partage ou appréhende une réalité à travers des gens que l'on suit et dont
on fait le portrait. Sans interview statique mais en les accompagnant sur le terrain, en
partageant leur vie quotidienne. Voilà, c'est une écriture par la séquence, beaucoup plus
que par l'image elle même.
-Justement, s'ils privilégient les sujets français c'est pour l'identification? C'est
important dans un reportage que les gens puissent s'identifier?
Oui, tout à fait, c'est moins évident à l'étranger. Et c'est vrai que c'est un peu dommage.
Donc parfois pour parler de l'étranger, il faut partir de la France. Quand on a fait les
vendeurs à la sauvette, on s'est intéressés à la secte des Mouridess, mais on est partis du pied
de la Tour Eiffel. Les gens étaient au rendez-vous d'ailleurs. Quand on a fait un film sur le
trafic de pièces détachées entre
la France et le Bénin, on est partis de la problématique du marché de l'occasion en Belgique,
en France etcétéra... Et on a suivi deux jeunes français qui partaient vendre leur voiture en
Afrique. Et c'est grâce à cette astuce, à ce procédé, ce choix, que l'on a pu intéresser les
téléspectateurs à cette problématique du trafic de métaux, de la débrouille dans certains pays
d'Afrique, avec le génie Africain, cette capacité à recycler tous les matériaux.
126
-Moi j'ai vraiment vu l'évolution de l'émission, je regardais en septembre, et j'avais
bien aimé l'émission sur Moscou et les nouveaux riches, mais c'est vrai qu'au fur et à
mesure, il y a eu de plus en plus de sujets sur la police par exemple. Mais du coup, cela
enlève la spécificité d'Enquête Exclusive. Cela ressemble plus à Zone Interdite.
Absolument. Je suis tout à fait d'accord. Mais les gens viennent. Hier, on fait l'autoroute et
cela a cartonné.
Entretien avec Vincent Nouzille, enquêteur freelance pour l’Express, auteur de divers
ouvrages d’investigation et professeur au CFJ.
-Comment le journalisme d'investigation a émergé en France?
Et bien tout d'abord, le journalisme d'investigation, c'est un pléonasme bien évidemment,
puisque qui dit journalisme dit enquête a priori. Sauf que par rapport à des grands pans du
journalisme qui, par exemple en France, sont plutôt des journalismes politiques, militants,
issus de la presse d'opinion d'après-guerre, où le point de vue politique était plus important
que l'information en tant que telle. Ça, c'était le modèle dominant en France.
D'ailleurs, les grandes figures du journalisme c'était plutôt soit des figures de la télé, soit le
patron du monde qui s'appellee Colombani et qui est issu du service politique, ou Serge July
qui était l'éditorialiste de Libération. Il s'agissait donc de la figure du commentaire, du
brillant commentaire à la française. On sait faire ça. Et donc cette image du journaliste
d'enquête, soit elle n'existait pas, soit elle était sous-évaluée et décotée dans les rédactions,
donc l'enquête, ça n'existait pas.
L'autre figure qui était valorisée à l'époque, c'était celle du grand-reporter. L'homme qui va
courir les conflits, la planète. A la fois un peu missionnaire, à la Albert Londres, c'est à dire
qui défend une cause et qui en même temps rapporte les faits. Donc là c'est les figures
dominantes que l'on retrouve dans le prix Albert Londres.
Donc premier volet très valorisé, le reportage, l'écriture, la narration. Deuxième volet,
l'éditorialisation politique. Le journaliste d'enquête, le besogneux, celui qui allait chercher
les informations sur le terrain, n'avait pas vraiment sa place.
La vraie révolution se passe aux États-Unis avec donc les grandes affaires politicofinancières, le Watergate. Les journalistes du Post ont des informations provenues d'une
« deep throat », qui est en fait le numéro 2 du FBI, a t-on appris récemment. Ces
informations montraient comment le président Nixon avait non seulement fait poser des
micros dans les locaux des démocrates en 1972 lors de la campagne, mais aussi avait
empêché la justice de faire son travail en détruisant des documents, et donc fait obstruction
127
à la justice, ce qui était aux États-Unis finalement plus grave que les faits initiaux. Donc les
mecs du Washington post publient ces documents, ce qui provoque l'impeachment, et donc
la destitution de Nixon. Donc cette figure, c'est l'enquête qui fait tomber le Président.
-Les sociologues critiquent souvent ce mythe du journaliste d'investigation « justicier »,
défenseur de la démocratie. Je voulais donc avoir votre point de vue à ce sujet en tant que
journaliste d'investigation:comment envisages-tu ton métier?
Et bien écoute, ce modèle du journaliste justicier a été très valorisé dans la presse
américaine évidemment, et aussi dans la presse français un petit peu en échos en disant « Oh
lala, qu'est-ce que c'est notre Watergate à nous? » Alors en France on a le Canard Enchaîné
qui est une espèce de sanctuaire, où dans le fond c'était le seul endroit où l'enquête et la
satire, un mélange des deux assez étonnant, avait le droit de cité. Donc c'était le canard
enchaînéqui « sortait les affaires » contre Giscard etc..
Puis, au début des années 80, milieu des années 80, l'enquête se diffuse dans l'ensemble de
la presse, et ça devient un genre en soi. C'est le Monde avec l'affaire Greenpeace, c'est
l'affaire du sang contaminé avec une nana qui s'appelait Anne Marie Casteret à l'évènement
du Jeudi, c'est le tandem Marion qui était au Canard Enchaîné et Plenel qui était au monde
qui sortent plein d'affaires sur Mitterand, et quelque part, avec l'émergence de la figure du
juge qui s'émancipe du pouvoir politique.
-Le juge rouge?
Le juge rouge d'abord mais après le juge tout simplement qui dit il n'y a pas de raisons de ne
pas faire d'enquêtes sur la dérive des affaires politiques, sur les abus de biens sociaux, donc
toute la délinquance politico-financière. Et bien dans le fond il y a une espèce d'alliance
objective entre la figure du juge, qui va tenter de faire bouger les choses du côté judiciaire,
et la figure du journaliste d'enquête, dit d'investigation, qui va à la fois rendre compte du
travail du juge, l'anticiper parfois, ou se servir PV pour relater l'affaire Elf, les affaires
Crédit Lyonnais...
Puis dans le fond tout ça va arriver à un autre stade. A un moment il y a une espèce
d'érosion. D'une part, étant un peu trop dépendant des juges, on accuse le journaliste d'être
trop en osmose avec l'appareil judiciaire, ce qui est un vrai reproche puisque dans le fond,
chacun doit avoir sa propre logique, et les pouvoirs ne peuvent pas se mêler. Le quatrième
doit être indépendant du troisième, sinon c'est pas drôle. Et puis d'autre part, sur le fond, il
n'y a pas que les affaires financières et politiques qui méritent enquête. Donc en fait ya eu
dans tous les hebdos, les magazines... des figures de gens qui sont nés et qui ont constitué
des cellules d'enquête, à l'événement du jeudi, au Point, à l'Express où j'ai été pendant
longtemps dans ces mouvances là. Alors on suivait le terrorisme, les enquêtes judiciaires, la
justice... enfin voilà. Et puis progressivement, les affaires politico-financières ont un peu
décliné, les gens en ont eu un peu ras-le-bol. Le juge s'est aussi un peu épuisé, il est rentré
dans le rang. Maintenant on lui met carrément la main dessus, on veut l'écraser. Puis du côté
des médias, et bien ils ont trouvé que ça coûtait un peu cher, que ça intéressait un peu moins
le public, que y'en avait ras-le-bol d'entendre toujours les histoires sur Tapis... Donc ya une
espèce de lassitude, sans compter la crise de la presse écrite: ça coûte cher, ça prend du
temps, qu'est-ce que l'on va sortir comme scoop? Plus le fait que les médias se diversifiant,
128
la télé prenant un peu de pouvoir aussi, un certain nombre d'émissions d'enquêtes à la télé
ont émergé. Alors c'est Canal +, c'est Envoyé Spécial...
-Il y a un caméraman qui m'a dit que c'était 52 minutes à la Une, selon lui, la première
émission d'investigation?
Oui, oui on pet dire ça. En tout cas c'est peut-être pas la première mais c'est l'émission
phare. Et maintenant t'as eu le droit de savoir sur TF1 qui n'était pas une vraie émission
d'investigation, on suivait des flics! Après tu as Enquête Exclusive sur M6 avec machin,
Complément d'Enquêtes. Donc l'enquête est devenue à la télévision un vrai genre.
-C'est justement mon axe de réflexion. Il y a un an et demi, lorsque j'ai choisi mon sujet
j'ai constaté une explosion de ce nombre d'émissions. Il y a 90 minutes enquêtes qui
reprend le titre de Canal + sur TMC, qui propose les même sujets qu'Enquêtes et
Révélations sur TF1. Enquête Exclusive qui refile ses sujets à Enquête d'action sur W9,
sans même changer le titre. Et ils se targuent de faire de l'enquête alors qu'ils n'ont peut
être ni le temps ni le moyen de le faire.
En fait oui, il y a une espèce de précipitation dans le genre et dans l'accumulation de scoops
et pseudos révélations qui dans le fond ne rime pas avec grand chose. On a vu 10 fois les
filières de la prostitution...
-La police, les accidents de la route...
On suit les équipes de la BAC en banlieue, c'est toujours la même chose. Alors, c'est pas
inintéressant, mais ça manque un peu de diversité dans les sujets traités, dans la manière de
les traiter.
-Vous considérez ces émissions comme de l'investigation? Je vouais également savoir si
vous considérez qu'il existe une différence entre l'enquête et l'investigation?
Non pour moi c'est la même chose. A partir du moment où l'on commence à creuser un
sujet, à tenter d'avoir des informations et des scoops, à mélanger le terrain, l'analyse et
l'information nouvelle que l'on va chercher chez les sources officielles ou officieuses, et
bien cela s'appelle faire de l'enquête. Si c'est uniquement raconter ce que l'on voit, cela
s'appelle un reportage. Par exemple, un reportage en banlieue: insécurité, on suit une équipe
de policiers etcétéra. Après, si l'on veut déterminer qui contrôle le trafic de stup dans telle
cité, et bien c'est une enquête puisque là faut aller voir les flics, les magistrats. On ne va pas
raconter tout ce que l'on voit, mais on va tenter d'avoir cerné les infos. Est-ce que c'est la
bande de machin? Les mecs ont-ils été poursuivis? D'où viennent les dealers? C'est la
différence entre balader sa caméra à la recherche d'un spectacle ou d'une séquence, et à mes
yeux, faire une enquête.
-Et justement, ces émissions qui estiment qu'elles font de l'investigation, qu'en pensezvous? Avec leur multiplication, ne sont-elles pas vidées de sens?
129
Oui avec la multiplication et la surenchère, ça perd un peu tout son sens. Mais de mon point
de vue, ya toujours énormément de sujets d'enquêtes qui ne sont toujours pas traités à cause
du mimétisme des télés comme de la presse écrite. Les sujets du parisien sont repris à la
télé, et vont donner lieu à des enquêtes, qui vont repartir au Parisien, puis à RTL... Voilà,
donc il y a une espèce de cercle comme ça.. Cela ne veut pas dire que tout ce qui en sort soit
mauvais, mais il y a 10 000 autres manières de trouver des infus et d'avoir des idées de
sujets qui peuvent être très grand public, très concernant, mais qui n'ait pas été vu 10 000
fois. Donc l'enquête ça reste toujours à réinventer, des sujets d'enquêtes y'en a toujours des
tonnes, il suffit de ne pas être là où des milliers de projecteurs éclairent déjà.
D'ailleurs c'est un bonheur pour un indépendant comme moi car il y a toujours des sujets qui
sont délaissés: historiques ou encore à la frontière de deux mondes. Souvent dans les
rédactions tu as des services: santé, politiques, économie... Très souvent ces gens ne se
parlent pas ou ne travaillent pas ensemble, ne mélangent pas leurs sources. Du coup, il y a
plein de sujets qui sont souvent à la frontière de ces domaines et qui sont délaissés. Je te
donne par exemple une illustration: les domaines de santé environnementale, sur lesquels
j'ai travaillé c'est à dire pollution du type à l'amiante, pesticides.. c'est quoi? C'est de la
santé? De l'environnement? De la Politique? Société? Donc tu vas mélanger les sources:
faut aller voir le procureur, faut aller voir le médecin du travail, l'entreprise qui pollue, les
pêcheurs à la ligne. Voilà, le fait de faire toute cette tournée c'est d'abord une ouverture
d'esprit, une capacité à mélanger les approches: qu'est-ce qu'une procédure judiciaire?
Qu'est-ce qu'un règlement environnemental? Ce que c'est qu'une autorité administrative?
Comment fonctionne une entreprise?
-Donc on peut faire des sujets sur tout type de sphères, et pas seulement politicofinancière
Donc voilà c'est typiquement des sujets, comme par exemple dans le sport, où tu peux aller
car il n'y a personne. Donc les coulisses des négociations des droits sportifs à la télé, tous les
sujets sont possible, y'en a des kilos. Moi à un moment donné avec une de mes collègues
journalistes on s'est dit, « tiens on va faire un truc sur les lobbyistes ». Pourquoi? Car les
journalistes traitent de l'actualité politique, ils parlent des partis, de l'actualité
présidentielle... ils ne regardent absolument pas ce qu'il se passe dans les coulisses de
l'Assemblée. Et les gens du service économie, ils voient les entreprises... Personne ne fait le
rapprochement. Et à un moment donné il suffit juste de se pencher un peu sur le sujet pour
voir que telle ou telle société une société, ou tel élu fait la
Tel élu qui est complètement vendu, et qui fait la promo avec les amendements clefs en
main. Tu te dis tiens, ce sont des réalités cachées que personne ne regarde. Pourtant, il suffit
d’un peu se pencher dessus pour les découvrir et les mettre en jour.
-Dans son livre qui a tout de même 10 ans, Mark Hunter établit une différence entre le
journalisme d’investigation à l’américaine qui aurait établi une « méthode » à la portée
de tous les journalistes désireux de faire du journalisme d’investigation, et les journalistes
français qui se basaient plus sur leur Capital source. Alors aujourd’hui, où en est-on, et
notamment dans la formation ?
130
Alors je pense que cette distinction est encore un peu opérante, c'est-à-dire qu’effectivement
aux États-Unis c’est plus vu comme une méthode et une boîte à outils, et en France comme
un service à part dans une rédaction (je caricature certes), et ne traitant qu’un nombre de
sujets limités. Je pense qu’on est quand même en train de sortir de ça, un peu grâce à la télé
quand même, et un peu parce l’on s’est un peu lassés des mêmes sujets. Donc aujourd’hui, il
y a une nouvelle manière de traiter les choses. Et moi je suis de ceux qui tentent de délivrer
un message aux étudiants en journalisme : prenons le meilleur de ce qui existe chez les
anglo-saxons, c'est-à-dire la technique d’enquête, la boîte à outils. N’ayons pas d’œillères
sur qui va le faire, et sur quel sujet on va le traiter. Soyons très ouverts, la boîte à outils c’est
pas : « Je suis le journaliste qui a ses sources , je ne peux rien vous dire » . D’ailleurs
souvent les journalistes dits d’investigation en France se détestent les uns les autres et ne
travaillent jamais ensemble, ils sont jaloux de leurs scoops…
Alors que bon voilà il y a parfois une intelligence collective à échanger des idées, des
sources, ya parfois une méthodologie à partager : sur c’est quoi les sources ouvertes, les
sources fermées, les sources semi-ouvertes… On a également le « data journalism », très
anglo-saxon, mais que tu peux appliquer en France. Plus tu as de données ouvertes, ce qui
est quand même plus souvent le cas, plus tu peux agréger des informations et trouver des
choses intéressantes comme par exemple le lobbying à l’Assemblée, la présence des
députés, sur les ministres… Dans le mesure où un certain nombre de documents sont de plus
en plus mis sur la place publique : le rapport de la cour des comptes etcétéra… Le fait
d’aller collecter un certain nombre d’informations un peu éparses, parfois de façon un peu
ingrate : le data journalism… Tout à coup tu peux créer des sujets passionnants ! Classement
des hôpitaux les moins sûrs… voilà.
-On a également dit que si le journalisme d’investigation avait mis du temps à émerger en
France, c’est à cause de l’accès difficile aux sources publiques contrairement aux ÉtatsUnis.. Est-ce toujours le cas ?
Bonne question. Alors on a pas beaucoup progressé. On a quand même une amélioration
grâce à la multiplication des sources et des sites car l’on met plus de choses en ligne. Donc
en gros, l’information qui est disponible est décuplée par rapport à ce qui était le cas il y a
10 ou 15 ans. Donc cette question semble plus ou moins réglée. Mais en réalité, elle ne l’est
pas tout à fait, pour des raisons de fond, des raisons légales. En France, on est sur une
posture où toute l’information publique, c’est quand même un truc qui est encore assez
verrouillé. La preuve c’est que pour obtenir les contrats sur l’achat de vaccins contre la
grippe A, le Point a du demander quand même le fameux recours à la CADA (Commission
d’Autorisation d’Accès aux Documents Administratifs), qui a fait pression sur le ministère
de la santé pour délivrer les contrats en disant que c’était tout à fait justifié que ces contrats
soient rendus publics étant donné qu’ils concernent des données publiques. Mais c’est pas
automatique ! Alors que dans d’autres pays, comme aux États-Unis, tu as le FOIA (Freedom
of Information Act), qui est extrêmement important puisque c’est un droit, on ne peut pas
t’opposer cela. S’ils refusent, c’est à eux de se défendre. Ils sont obligés de te répondre.
Après ils peuvent jouer la tactique du temps, de retarder la réponse, mais ils ont obligés de
te répondre. Tu es dans une position tout à fait différente. Ce qui est d’ailleurs le cas pour
l’accès aux archives tout court. Aux États-Unis, les archives sont déclassifiées de manière
131
automatique, donc tu peux faire des demandes d’accès. En France, en gros, la loi t’interdit
tout, sauf dérogations à la tête du client, que tu montres patte blanche.
-Dans les rédactions, qu’en est-il de l’indépendance, les télés sont détenues par de grands
groupes, qu’en est-il ?
Selon moi, c’est devenu un faux débat. Pour plusieurs raisons : tout d’abord, la concurrence
entre les médias est très vive, et l’apparition de la presse Internet décuple cet effet. Du coup,
si une information est étouffée à un endroit, elle ressortira autre part. Globalement, c’est
quand même la tendance de fond : le marché est de plus en plus ouvert, du coup, le contrôle
de l’information devient de plus en plus difficile pour tout groupe économique, politique…
Cependant, le contrôle d’un certain nombre de grands groupes industriels sur les grands
médias, les grandes télés françaises est quand même un espèce de vis congénital, qui est très
français d’ailleurs. Certes, la dérive est encore plus grande en Italie, mais ce n’est pas le cas
dans les pays anglo-saxons ou comme en Allemagne où il y a quasiment interdiction
constitutionnelle aux groupes industriels de détenir des groupes de médias. Ce sont donc des
groupes de médias qui se sont constitués tout seuls, si je puis-dire. Mais, personne
n’imaginerait que Siemens ou Bmw achète une télé. Alors c’est lié à l’histoire de
l’Allemagne au moment où les grands groupes industriels allemands étaient au service de la
propagande du Reich, donc si tu veux, il y a un passé. C’est la Cour Constitutionnelle qui
voilà. Donc ce mur existe, cela autonomise les médias et leur donne une force. Ça leur a
donné au fond une puissance de feu plus grande. En France, cette frontière n’existant pas,
les réglementations étant très limitées, et bien effectivement on est face à un perpétuel
mélange des genres entre qui contrôle qui, qui couche avec qui ?
-Tu m’as dit que dans la presse écrite, les gens se sont lassés des scandales politicofinanciers…
Oui et bien tu vois moi je le vois bien. Quand j’étais à l'express, j’ai bien vu que le système
s’épuisait. Que ce soit Denis Jambart ou Christophe Barbier qui sont deux brillants
journalistiques politiques, au début ils te soutenaient et puis à la fin ils disaient « Oh ça fait
chier encore tel sujet, encore tel scandale», voilà c’était fini quoi. Alors ils ne disaient pas
aussi brutalement, ils disaient plutôt « Oh on ne pourrait pas faire autre chose ? », sauf si on
en était au 40ème épisode de telle affaire judiciaire. Mais ce que je veux dire c’est que du
coup cela a un peu écrasé le mode et les services d’investigation. Par exemple à l’Express,
le service investigation a disparu. Il a été refondu dans le service France. Alors les mecs se
ressoudent entre eux à l’intérieur du service France tu vois, mais ce que je veux dire c’est
qu’il y avait une autonomie de ces services qui a un peu disparue.
-Mais alors à la télé, il risque d’y avoir cette lassitude là vue l’homogénéité des
programmes ?
C'est possible. La question va être: un, sont-ils capables de se renouveler sans se copier tous
les uns les autres. Ce qui est une grande question! Et deux: dans les modes narratifs, qu'estce que l'on va trouver autre que « je suis le héros,je suis la brigade de police dans la banlieue
en train de se faire matraquer ».
132
-J'avais parlé de cela avec Bernard de la Villardière, et c'est vrai que l'on observe
qu'Enquête Exclusive à la base traitait de sujets internationaux, certes sous l'angle
prostitution, corruption etcétéra... puis de plus en plus on leur a demandé de faire des
sujets franco-français...
Ya un mélange maintenant, il fait cinquante cinquante. C'est à dire que pour préserve
l'audience, ils sont obligés de faire cela.
-Même Envoyé Spécial est en train de changer...
Oui, ça vieillit, ça fait ringard je trouve maintenant.
-C'est à dire qu'ils copient un peu le mode d'écriture des autres.
Ben oui ils sont obligés car leur mode d'écriture, leur présentation d'émission, c'est d'un
ringard absolu. T'as l'impression d'avoir toujours les même gens, toujours les même types de
sujets. Comme ils sont obligés de faire ça en prime time, il faut quand même qu'ils
intéressent le plus grand nombre. Du coup, les sujets c'est obésité, poids, police, portrait
d'une star... Car ça va marcher. Donc le grand magazine d'enquête aujourd'hui n'existe plus.
Un peu Canal quand même.
-Canal + a viré son émission d'investigation cependant.
Oui, mais ils continuent tout de même à faire des trucs, mais c'est plus difficile. Je connais
bien l'équipe. Ils ont beaucoup soufferts, ils sont un peu devenus leur propre caricature. Paul
Moreira incarnait le journaliste d'enquête qui allait sur le terrain. Ils avaient inventé un
mode d'écriture d'enquête assez offensif, où même le journaliste se mettait en scène.
Aujourd'hui, faut peut-être trouver autre chose. Faut très certainement varier les sujets. Mais
qui prend des risques aujourd'hui dans des enquêtes à l'antenne, dans la presse écrite? Qui
va donner le temps de travailler trois mois sur un même thème... ya très peu de gens. Donc
une partie de l'investigation s'est déportée sur l'édition. C'est d'ailleurs mon cas. Donc tu as
une plus grande liberté, enfin si tu vends des livres évidemment.
-C'est dommage, beaucoup de français, lorsque je lis les forums, regrettent que les
émissions d'investigation soient en train de mourir.
Elles ne sont pas vraiment en train de mourir car elles existent encore.
-Mais les gens en ont marre qu'on les prenne pour des débiles. Ils disent qu'ils sont
capables de comprendre plus de 300 mots dans un sujet.
Exactement car les émissions ont été totalement formatées, il faut qu'il y ait de la séquence
qui bouge...
-Incarnation des personnages... c'est le modèle M6.
133
Exactement, c'est le modèle Capital, Zone Interdite.
-C'est quand même fou que sur toutes les chaînes on aie les mêmes voix, les même modes
de narration.
Voilà, maintenant, sur les chaînes comme France 5, tu peux avoir du documentaire qui soit
plus travaillé. Ce sera moins de l'enquête, ce sera plus du documentaire. D'ailleurs, cette
frontière est de plus en plus ténue à certains égards. Le documentariste classique, celui qui
fait des reportages sur des animaux, il existe toujours. Mais les gens veulent du
documentaire qui bouge un peu plus, qui soit plus intéressant, plus vivant, qui va faire échos
à quelque chose que tu connais, ou que t'as envie de découvrir. Donc le genre n'est pas mort,
et ce n'est pas à cause de la censure politique ou machin... ce sont des conneries, car le mec
qui a vraiment des couilles, il va le faire. C'est plus un problème de mimétisme général, de
peur de perdre de l'audience.
-Et c'est vraiment le cas donc s'ils font des sujets internationaux, ils perdent de
l'audience?
Ah oui oui, c'est clair. Donc la prise de risque ils la mesure. Tu vois Bernard de temps en
temps il en met un, tu vois il est obligé de composer. Comme il est en première partie de
soirée, il a un peu plus de liberté. Mais si t'es en prime time comme à Zone Interdite, t'es
obligé d'avoir des sujets toujours concernant, toujours racontés de la même façon, sinon tu
perds tes positions.
Alors, l'international par définition, vend moins que le français.
-Et même à l'international, c'est toujours traité de la même façon: drogue, prostitution..
N'y aurait-il pas moyen de traiter cela différemment?
En même temps, que les sujets soient concrets, qu'on suive des gens impliqués dans la lutte
contre la drogue par exemple, c'est très bien, vaut mieux avoir ça que des mecs dans un
bureau qui te disent, voilà ce que je pense de l'évolution du monde. On s'en fout un peu.
Donc je comprends qu'on ait besoin de héros et de personnages qui vont tirer l'histoire, mais
quelque part, on ne renouvèle pas les sujets. Car quelque part, même sur le trafic de drogue,
je n'ai pas vu depuis longtemps de sujets sur l'Afghanistan, premier producteur mondial
d'héroïne car c'est compliqué à faire, cela demande de prendre des risques, parce qu'il faut
aller sur place, faut faire une expertise. La construction de sujets comme cela que de faire la
filière de prostitution...
-Alors ce que Bernard de la Villardière me disait aussi qui était intéressant, c'est qu'il
pouvait tomber dans le piège de déformer le réel, et de tendre vers ce qui ne va, et limite
faire surjouer les acteurs. Qu'en est-il dans la presse écrite?
On est beaucoup moins dans cette problématique là de la mise en scène. D'abord, tu peux la
fabriquer complètement de ta plume, donc là aussi ya des gens qui bidonnent complètement.
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C'est encore un autre problème. A l'image, c'est plus compliqué, il faut vraiment fabriquer le
bidon. Donc en presse écrite, la question se pose tout de même moins, mais après c'est estce que t'es faignant, ou est-ce que t'es pas faignant? Est-ce que t'as une espèce de paresse
intellectuelle qui fait que tu vas toujours faire les même sujets avec les même types
d'approche, ou est-ce que tu vas t'ouvrir sur des nouveaux horizons? Par exemple, c'est quoi
les coulisses de Luc Besson: qui il est, comment travailles t-il, où va son pognon, est-ce qu'il
est lié à tel politique pour sa cité du cinéma en Seine-St-Denis? Typiquement, c'est le genre
de sujet qu'on m'a demandé pour les inrocks mais que je n'ai pas fais car je n'ai pas le temps.
Je te donne cet exemple car c'est vraiment un bon exemple. C'est typiquement le genre de
personnage qui soit est critiqué, soit est mis sur un pied d'estale, mais tu restes toujours dans
les apparences. Les pages culturelles vont le traiter ou les pages ciné. Mais tu as le droit de
faire une vraie enquête sur ce mec. Comment il travaille... Il est moins primaire qu'on ne le
croit, plus business man... voilà, intéressant!
-Et dans les pays anglo-saxons, je connais mal leur situation... eux aussi ils souffrent de
la même chose?
Et bien je pense qu'ils sont confrontés au même type de problèmes économiques. Toutes les
rédactions des grands journaux sont en train de faire laminer. Ils perdent de leur lectorat.
Donc leur modèle économique est en train de s'effriter gentillement avec l'avènement
d'Internet. Donc la question c'est de savoir comment ils basculent d'un monde à l'autre, vers
le numérique, et comment ça leur permet de garder un contenu éditorial fort, pertinent et
diversifié. C'est une vraie question pour les journaux. Et la question de l'enquête là dedans,
quelque part, c'est une opportunité formidable pour inventer de nouvelles manières de
raconter, faire du web documentaire, innover sur le site avec le son, l'image... Bref, tu peux
faire plein de choses, ce que fait le NY Times très bien par exemple. Mais la question de
savoir combien tu mets sur la table pour faire une vraie enquête, ça reste une la question
centrale. Chose que les journaux français n'ont quasiment plus le temps de le faire, et que les
télés ne font pas par faignantise ou par crainte de perdre leurs parts de marché. Donc ce
modèle là fonctionne pareil pour la BBC et les journaux, mais avec des médias qui partaient
de plus haut, qui avaient plus de puissance, plus d'autonomie. En France, on a une presse
fragilisée, avec une question de rapport au pouvoir politique plus complexe, du fait de la
connivence un petit peu classique des journalistes. Du coup, on part d'une position plus
faible, et le questionnement est donc plus fort pour retrouver une originalité, une curiosité,
un côté offenssif.
Cela est fascinant. Un même sujet fait pour la presse écrite et la télé, la télé, ils craignent
comme des malades en fait. C'est fascinant. J'ai fait par exemple un bouquin sur les
lobbyistes, dont on a fait une couverture dans l'Express, qui révèle que Frédéric Lefevbre
était à la fois conseiller de Sarkozy, et lobbyiste, ce qui est quand même un conflit d'intérêt
majeur. Donc un vrai scoop. Il supportait une société qui elle-même faisait du lobbying pour
les casinos, or il est conseiller du Ministre de l'intérieur qui délivre les autorisations. Alors,
on met tout ça dans la presse. Nous, ça passe comme une lettre à la poste. On a le bénéfice
du scoop, on le met dans le bouquin, on est absolument pas attqués car on est béton armé.
Les équipes de Canal + font le même sujet quasiment en même temps, et sont obligées de
s'appuyer sur ce qu'on sort nous pour pouvoir justifier leurs infos. On leur file d'ailleurs les
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preuves, et ils subissent des assauts de Sarkozy pour les empêcher de publier leur truc.
Censure, menaces... etcétéra. Finalement, ils passent leur truc, mais le producteur du sujet et
le réalisateur sont blacklistés de Canal + pendant 6 mois. Donc nous, en tant que journalistes
de presse écrite, on sort le truc, on en a rien à foutre, on sait qu'on est en béton armé. S'ils
nous attaquent, on sait qu'on ne craint rien, mais ils ne font même pas pression sur nous. En
revanche la télé, présumée plus puissante, présentait des séquences où il y avait 10 fois
moins d'infos sur le sujet que dans le bouquin, mais qui mettaient en scène Frédéric
Lefebvre lui-même. Nous, on l'avait interviewé, il nous avait répondu, voilà. Mais quand on
le voit à l'image en train de dire, non, je ne veux pas répondre, ça suffit pour créer un
problème.
Donc tu vois ce que je veux dire, c'est que pour la même enquête (on ne s'étaient même pas
concertés d'ailleurs, on a décidé de travailler ensemble finalement, c'était plus intelligent
pour s'aider), quelque part c'était mieux qu'on la sorte en premier, car sinon, ils n'auraient
jamais pu sortir leur truc sur Canal +. Mais malgré ça, nous on avait l'essentiel des infos,
eux ils avaient la séquence qui tue, et c'est cette séquence qui a posé un maximum de
problèmes, qui leur a valu des déboires. Donc, ça veut pas dire que c'est pareil pour tout,
mais la prise de risque est plus grande dans certains domaines. On se rend compte que si on
veut, on peut y aller très fort, et notamment dans la presse écrite, pour peu qu'on soit raccord
sur l'enquête, les sources, le croisement des sources, bref que l'enquête est sérieuse. Souvent
en télé ya une espèce de volonté à la fois de faire des trucs très spectaculaires, et en même
temps, au bout du compte, ça se termine avec scènettes, qui bon sont spectaculaires mais
dans le fond, la qualité de l'information peut être assez bonne, mais elle est quand même
assez minime par rapport à ce qu'on pouvait sortir nous en presse écrite. Mais c'est
intéressant de voir comment ça s'est passé en même temps, et on a vu qu'il y en a qui ont
subi des coups pour vraiment des conneries, et nous on est passés tout droit, et ça m'a
montré qu'à la télé c'était parfois plus difficile. Parce qu'il te faut de la séquence, et si tu as
de la séquence qui est embarassante pour le mec, comme l'impact de la télé est plus fort, la
mise en cause est plus difficile.
Donc c'est pour ça par exemple que Charles Villeneuve avait délibéremment choisi de faire
les bacs en banlieue comme ça il suit les flics, l'entraînement du GIGN. C'est du publireportage pour le Ministère de l'Intérieur.
-C'est cela qui est embêtant. Par exemple vous avez Envoyé Spécial qui traite de ce type de
sujet, ils vont quand même avoir un autre angle: combien de plaintes ont été portées
contre la police. Alors qu'enquête d'action, ils vont suivre la brigade d'élite, et y'aura pas
trop de sens critique. Donc ça c'est plus du reportage que de l'enquête.
Exactement. Alors en plus, pour finir, aux Etats-Unis, on distingue deux boîtes à outils:
Investigate journalism, et narrative journalism. Le premier c'est donc vraiment la boîte à
outils pour chercher les infos, il y a beaucoup de journalistes qui sont devenus des grands
specialistes de cela. Le second, c'est comment on écrit une histoire, comment on va avoir un
héros. C'est ce qu'on appelle au fond un reportage, je suis au plus près de mon héros.
Quelque part, l'investigative doit te distancier de ton objet, alors que le narrative doit te
rapprocher de ton sujet. C'est ça la grande distinction. Dans la manière de le raconter, c'est
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pas pareil d'être quasiment à la première personne avec ton personnage de la narative. C'est
à la fois un genre formidable le reportage, mais effectivement moi je suis plutôt dans l'école
de l'investigative. J'ai mes héros, mais je prends une distance avec eux. D'abord, je ne veux
pas être lié à eux, et ensuite je préfère avoir d'autres sources que je vais mettre en
perspective avec d'autres gens etctéra. Mais la grande valeur d'un reportage c'est quand tu
finis pas être si proche d'une personne que tu peux ressentir presque ce qu'elle ressent. Une
victime, un malade. Je me souviens très bien d'un reportage dans le Washington Post d'une
double page par jour dans le Washington Post sur le vécu d'un jeune homosexuel de 17 ans
vivant au Texas. C'était quasiment son journal de bord. Donc la nana elle avait dû passer des
semaines avec lui. Là, on est dans un sujet extraordinaire. C'est à dire qu'on te raconte le
racisme, l'homophobie, le Texas... on est dedans quoi. Ce que fait Florence Aubenas. Elle est
vraiment dans le reportage. C'est magnifique ce qu'elle fait. Et donc l'investigation quelque
part, c'est pas l'inverse, mais c'est la mise à distance. Cette opposition qui aux Etats-Unis est
un peu catégorique dans le genre, ca va être « comment tu veux raconter ton histoire : faire
un scoop? Taper sur les puissants? Ou c'est 15 jours embedded avec le JI sur le terrain? ».
Donc, rien à voir. Et les modes d'écriture, et les écoles de formation, les conférences sont
bien distincts pour le narrative et l'investigate. En France, cette distinction n'existe pas.
En fait, le vrai plus du journalisme, c'est d'avoir ces deux boîtes à outils et de décider de
laquelle l'on va se servir. Laquelle est la plus opérante pour tel ou tel sujet? Avoir l'angle
narrative avec le paysan afghan qui cultive son pavot et qui n'a que ça pour bouffer, et l'ange
investigate pour savoir comment l'héroïne est transportée etcétéra.
C'est deux genres qui ne sont pas exclusifs l'un de l'autre, qui ne doivent pas l'être.
Simplement, c'est à nous en tant que profesionels de se servir de telle ou telle technique
pour construire un sujet.
-Donc tu restes optimiste pour l'avenir du journalisme d'investigation à la télé?
Oui je suis plutôt optimiste, mais j'attends de voir ce qu'ils font. Parce que pour l'instant, je
sui pas très convaincu.
-Ils ne font pas vraiment de l'invesigation pour le moment?
Si, si, ils font de l'enquête, mais ils font de l'enquête light. De l'enquête qui ne met pas
toujours à distance les personnages, de l'enquête sur des sujets en général rebattus. Donc
cela pose trois problèmes différents. Donc après si ils se renouvèlent en mettant d'avantage
de distance, en remettant en question un certain nombre de choses, si ils changent un peu de
sujet, et trouvent des modes de narration un peu plus variés, alors, tou est possible. C'est pas
plus long ou plus compliqué d'être original et de mettre à distance. C'est simplement dans
les outils que tu emploies, et la démarche journalistique que tu as. Le conformisme c'est
quand même le vrai ennemi du journalisme à la télé comme dans la presse écrite. Moi
j'apelle ça de la paresse, de la paresse intellectuelle. Le conformisme, c'est vraiment ça qui
tue la presse, c'est ça qui tue le journalisme, plus que la censure en tant que telle qui a bon
dos à certains moments.
-Ils sont récéptifs au CFJ? Ca fait combien de temps que c'est enseigné?
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Oui ils ont voulu renouveler un peu le genre, mais ils sont un peu retombés dans des travers
là je trouve. Avant les cessions enquête, le mec il arrivait, il disait vous faites le sujet que
vous voulez, je ramasse dans trois semaines. C'est formidable mais en même temps ce n'est
pas du tout utile si tu n'es pas guidé pour le faire. Le concept c'était faites vous plaisir, pour
moi c'est pas ça un enseignement. Un enseignement c'est expliquer une démarche, comment
on choisit un sujet, comment on traite un angle, comment on identifie les sources, comment
on travaille après sur les entretiens, comment on obtient les infos, comment on écrit? Donc
c'est les aider à chaque étape.
Renaut Fessaguet, grand reporter chez Tony Comiti et ancien rédacteur en chef de
France 24
-Je travaille donc sur la multiplication des reportages d’investigation sur le PAF depuis 2
ans. Il s’agit donc de constater l’uniformisation de ces émissions, et leur
spectacularisation.
Ce ne sont pas les thèmes, ni les émissions qui s’uniformisent, c’est le ton employé et le
formatage. C'est-à-dire que quelque soit le sujet, on est obligés d’adopter un certain style et
une certaine forme. Voilà sinon les sujets peuvent être très divers. Moi j’ai fais des sujets sur
M6 par exemple l’année dernière pour Enquête Exclusive, d’ailleurs je trouve que cette
émission prend plus de risques que les autres. Par contre, le traitement à l’intérieur alors
c’est ça qui est formaté. Non M6 je trouve qu’ils prennent des risques sur les thèmes,
maintenant c’est le traitement qui ne va pas.
-J’ai fais un stage chez Bernard de la Villardière à Ligne de Front, et j’ai donc pu réaliser
un entretien avec lui. Lui-même me disait que M6 exerçait souvent une certaine pression
sur lui, puisqu’il est à la fois présentateur mais aussi producteur de ses propres émissions.
Par contre c’est vrai que je trouvais qu’ils traitent davantage de sujets internationaux que
TF1, mais cela va toujours être sous l’angle corruption, prostitution…
Ah oui, c’est vrai que de ce point de vue là… il faut que ce soit choc, à défaut d’être chic !
C’est toujours par le petit bout de la lorgnette, et toujours sous le côté le plus dégueulasse.
On ne va jamais très loin dans l’investigation. On a plusieurs autres problèmes. Aujourd’hui,
tout est filmé, les télévisions sont entrées partout dans la sphère internationale, et donc, on a
de plus en plus de mal à tourner, d’où l’apparition des caméras cachées et de tout ce genre
de choses. En Afrique et dans certains continents, je le dis assez ouvertement, il est presque
impossible de filmer quelqu’un sans le payer, enfin si ce n’est pas institutionnel. Quand
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vous allez filmer la misère, la pauvreté des gens, ils vont vous réclamer de l’argent en
retour. C’est quasiment automatique. Et moi je vois le moment en France où cela va se
passer comme ça aussi.
Alors ça ce sont des contraintes, c’est pas exactement votre sujet, mais ça explique aussi que
comme tout a été… moi je vois par exemple chez Comiti, on fait très souvent les même
sujets. A un moment on les appelait les trois P : Police, Pompier, Pute. Après, il n’y a pas
que ça. Moi je travaille pour lui sous d’autres angles, dans d’autres domaines. Il y a parfois
des émissions de prestige, des choses pas mal, mais malheureusement, c’est ce qui fait de
l’audience. Donc la véritable question au final, c’est l’audimat. Faut regarder aussi qui
regarde la télé, c'est-à-dire que des jeunes de votre milieu social vous la regardez pas
assidument. Donc ce sont soit des vieux, ce n’est pas péjoratif, ce sont juste des gens d’un
certain âge. Je vois par exemple ma mère, qui a 78 ans qui est une femme intelligente et
cultivée, elle en prend plein la tête. Donc ils regardent sans regarder, ça c’est un premier
pan du public, mais ils sont quand même consommateurs d’émissions et de programmes,
documentaires ou pas. Et puis des jeunes, enfin ce n’est pas une critique, moi je suppose que
si je faisais trois heures de transport par jour plus un métier de merde toute la journée, je
rentre chez moi, je regarde des choses pas très compliquées mais surtout mâchées. Donc ça
explique tout ça dans la mesure où l’audimat est devenu crucial.
-Justement le fait de prendre le téléspectateur par la main, le dicton de M6, semble avoir
investit toutes les autres émissions d’enquête, sur France 2 notamment.
Bien sûr. Moi je n’ai pas fait de sujets d’Envoyé Spécial depuis un certain temps, mais c’est
patent. Regardez, là on fait un gros truc sur le génocide du Rwanda, et le rôle de la France
dans le génocide du Rwanda, avril août 1994. Et je suis allé voir hier, c’est drôle que vous
disiez cela, l’émission de Jean Marie Cavada qu’il avait consacré à l’époque sur ce thème.
C’était donc deux reportages à chaud puisqu’ils dataient de septembre, excellents. Le
génocide venait de se terminer, l’opération turquoise était engagée, elle allait se terminer. La
façon dont est fait ce reportage, aujourd’hui, on ne peut plus le voir, c’est impossible. C'està-dire qu’on prend là le spectateur pour quelqu’un d’intelligent. On fait appel pas à des
concepts, mais à des phrases, des mots, c’est écrit. Aujourd’hui, ce n’est plus écrit. Mais
encore une fois, je ne jette pas la pierre à M6, ils font aussi des choses intéressantes. Mais le
genre M6 c’est : Robert rentre chez lui, interview Robert dit « et bien oui je rentre chez
moi », Robert est rentré chez lui. Une redondance permanente qui mène à l’abrutissement.
-Et si on reprend ce style partout c’est que ça marche mieux
Ca marche mieux oui. Ca fait de l’audience, mais encore une fois je crois qu’on ne se pose
pas la question de qui regarde la télévision. Et si l’on regarde qui regarde la télévision, sur le
main stream, ce sont des gens très fatigués. Encore une fois, je ne veux pas critiquer et dire
qu’il y a les débiles et les autres. Moi-même je suis souvent très fatigué, et j’ai envie de voir
un truc un peu débile. Mais je pense qu’on ne se pose pas assez la question. Or des gens qui
vont aller vers des émissions… euh TF1 je connais mal car je ne regarde plus du tout…
-Justement dans mon panel il y a une émission qui s’appelle « Enquêtes et révélations »,
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qui a lieu deux fois par mois. Leur premier sujet était consacré à la prostitution à
Madagascar, franchement, il était pas mal, mais depuis ils enchaînent police, huissiers…
C’est du voyeurisme. C’est comme quand Comiti montre les femmes qui font du tourisme
sexuel : ça a rien de très nouveau, ça a toujours existé, sauf que ça devient un modèle de
société. C’est vrai qu’une femme de 50 ans, qui vient d’un pays européen, qui vient de
divorcer et qui ne trouve plus d’homme pourra rencontrer quelqu’un facilement, contre
argent ou pas d’ailleurs, en République dominicaine, au Sénégal, en Asie… Bon et bien ça
n’a rien de spécial… qu’on désapprouve ou pas moralement. Alors la télé a besoin de
montrer ça car il faut faire voyager des gens qui bougent très peu, et c’est le socle des
téléspectateurs. C’est toujours pareil.
-Je peine à faire un historique des émissions d’investigation à la télévision. Pourriez-vous
m’éclairer un peu à ce propos ?
Si vous voulez ce qui a changé c’est que quand vous regardez 5 colonnes à la une, c’était
vraiment une émission excellente. A l’époque ils étaient en film. Moi j’ai un copain qui a
travaillé pour eux.
-C’était du reportage non ?
C’était de l’investigation à leur façon, car quand ils ont fait un document sur l’engagement
français en Algérie, ce sont de grosses bobines de film envoyées à Paris, qui sont montées à
Paris. Cela n’avait rien à voir avec aujourd’hui. C’était d’une certaine façon de
l’investigation.
Comment théoriser tout cela en disant quelque chose de pertinent ?
-On peut dire que la guerre d’Algérie est un renversement dans les relations entre la
presse et le pouvoir. Mais selon les théoriciens, l’investigation apparaît vraiment dans les
années 80.
Oui et puis qu’est-ce qu’on investigue ? Moi je suis frappé de voir qu’on fait toujours la
même chose et que l’on ne va pas vers les vrais problèmes. On ne fait jamais rien sur la
corruption politique. Il y a une fille assez marrante qui a fait un truc sur Canal il y a deux
trois ans à propos des dépenses publiques. Vous savez dans la Constitution, enfin dans la
Déclaration des Droits de l’Homme, il est dit que le citoyen doit pouvoir contrôler l’usage
qui est fait des fonds publics. Donc elle est allée en Suède, l’exemple caricatural de la
transparence, et elle a demandé à voir les comptes du ministère de la justice. Donc il y a un
type qui est arrivé une demi-heure après avec les notes de frais, fleurs… En France, elle a
voulu faire la même chose, on lui a rit au nez. En France, c’est une forme d’investigation
peu utilisée car elle parle à la citoyenneté et pas à l’audience. Car finalement l’esprit
français c’est qu’on les considère tous comme un peu pourris, voilà c’est comme ça. Du
coup, le champ d’investigation se déplace plus vers ce qui est moral, social, la prostitution,
la drogue, les banlieues. Mais qu’est-ce que c’est que l’investigation ? Je ne sais pas. Est-ce
filmer avec ou sans la police des saisies de drogue ? Oui ça apprend des choses, mais le
journaliste s’est tellement épuisé avec la quête d’images fortes qu’il n’a plus le temps de
140
faire la vraie enquête sur les réseaux, la distribution, et ça c’est un autre problème.
-Lors de mon entretien, Vincent Nouzille m’a dit qu’il considérait ces émissions plus
comme de l’investigation que du reportage. Qu’en est-il pour vous ?
Mais encore une fois, qu’est-ce que vous considérez comme de l’investigation ? Je dirais
que c’est du reportage d’investigation. Moi je vois comment sont commandés les sujets par
France 2 ou M6. Par exemple, je me souviens d’un sujet fait sur les lieux de pouvoir pour
Zone Interdite. Nous devions filmer le Racing Club. Le groupe Lagardère a refusé de me
donner l’autorisation. Vous vous souvenez c’était à l’époque où Lagardère venait de racheter
le Racing. Lagardère est obsédé par son image sportive. Il investit d’ailleurs beaucoup
d’argent dans le sport, d’ailleurs ce qui lui vaut des déboires car il ne s’occupe plus du tout
des autres branches. Donc moi ce que je voulais montrer, c’est que c’était un lieu de pouvoir
où se retrouvait une certaine élite énarque parisienne. S’ils nous avaient donné
l’autorisation, on aurait eu le droit de filmer le tennis, le restaurant, les accès, la beauté du
cadre, et tout le reste ça aurait été de la caméra cachée. Dominique de Villepin par exemple
va y faire sa gym toutes les semaines. Vous imaginez bien que s’il y a une caméra, cela ne
passera que si c’est à son avantage. Donc tout le côté ostraciste, élitiste du Racing Club, il
m’aurait fallu une caméra cachée pour le montrer.
-Est-ce que dans les pays anglo-saxons ils ont les mêmes difficultés ?
Non parce que la communication est très différente. Si vous regardez par exemple les
hommes du Président, le film avec Robert Redford et Dustin Hoffman sur l’affaire du
Watergate. On s’aperçoit qu’aux Etats-Unis, c’est de la forfaiture et de la parjure qu’un
homme d’Etat ou politique ne réponde pas aux journalistes. Cela m’a beaucoup frappé : à un
moment ils appellent le Ministre de la Justice à 3 heures du matin, et le mec leur répond. En
France, c’est inconcevable, car les liens entre la presse et la politique -enfin c’est mon
analyse-, sont incestueux. C'est-à-dire que on couche ensemble, on vit ensemble, ya pas
vraiment de barrière. Aux Etats-Unis, même si ce n’est plus pour moi un modèle de
transparence, ils ont quand même encore une certaine déontologie. Par exemple quand la
grande star de CNN épouse le conseiller de Clinton, le type démissionne. En France, c’est
hallucinant ! Aux Etats-Unis, ils ont d’autres problèmes, mais en tout cas il n’y a pas celuici. Ici, il n’y a aucune transparence. Il y a tout un barrage d’attachés de presse, des filtres,
qui vous empêchent d’accéder aux personnes. Vous imaginez bien que s’il y a une affaire à
sortir sur la BNP, le Crédit Lyonnais ou la Société général, un journaliste n’ira jamais poser
la question au patron car il y a trop de connivences, le mec ne comprendrait pas. Quand
j’étais reporter pour la 5 ou France 2, moi j’allais au feu car je n’étais pas au service
politique, et puis parce que c’était ma nature. Non pas pour juger mais pour montrer. Donc
j’ai fait Rocard, Cresson, Mitterrand, car à l’époque c’était la gauche qui était au pouvoir, et
je ferais la même chose aujourd’hui avec la droite si cela était possible. Mais avec Sarkozy
c’est complètement fini. Il y a 200 gardes du corps, des attachés de presse… C’est
complètement fini.
-Donc il y a une évolution depuis les années 80, l’investigation s’est un peu essoufflée ?
141
Et bien c’est aussi que les sujets… on a très peur du contrôle politique, du contrôle des
sociétés. Vous verrez un jour si vous faites carrière là dedans, vous pouvez jamais avoir
d’infos, jamais ! Par exemple un type qui voudrait faire le portrait de Lagardère, c’est
impossible. Ou alors c’est à charge en allant voir ses ennemis, ses copains…
-Comment on explique que dans les années 80, il y avait plus de liberté ?
Et bien il y avait une sorte d’angle-mort, ils n’ont pas vu que ça pouvait être dangereux. Par
exemple sur Bernad Tapis, les seuls qui ont fait de bonnes enquêtes, ce sont les suisses. En
France, soit Tapis vous cassez la gueule, soit ça passait par lui.
-Vincent Nouzille m’a également raconté quelque chose d’intéressant, me montrant qu’il
était plus difficile de faire de l’investigation à la télé qu’en presse écrite. Il avait sorti
quelque chose sur les lobbyistes à l’Express, et Canal avait sorti simultanément un
reportage sur le même thème. L’Express n’a eu aucun problème, Canal + a été censuré
alors qu’il y avait moins d’infos dans ce reportage.
Oui, car le problème de la télévision c’est que pour qu’on puisse dire quelque chose, il faut
qu’il y ait l’image. D’où la nécessité d’avoir des bancs-titres : par exemple la feuille d’impôt
de telle personne. Mais pour avoir cette feuille, ce n’est pas évident ! Là je travaille sur
Charles Pasqua. Je ne le connais pas spécialement, mais je l’ai interviewé une ou deux fois
quand j’étais journaliste. Le procès en lui-même est compliqué, je ne vais pas me cogner les
70 pages de rapport du dossier. D’abord, je n’y ai même pas accès. Alors comment faire une
investigation là-dessus ? Les faits remontent trop, qu’est-ce que vous voulez que je sorte ?
Ou alors je passe trois ans de ma vie à faire un portrait de Pasqua. C’est très compliqué en
France. Il y a un contrôle, une opacité qui est réelle, d’où l’apparition de ces sujets dits
d’investigation sur par exemple les arnaques (crédit à la consommation etc…) plus faciles à
faire et qui intéressent le plus grand nombre. Alors qu’un sujet sur Pasqua, ça ne va pas aller
très loin. Donc il y a d’abord eu fermeture d’un espace : communication, politique, macroéconomie ; puis prise de contrôle de la sphère politique et économique. Il est impossible de
faire une enquête sur une entreprise du CAC 40, comme il est impossible de faire quelque
chose sur Greenpeace, sauf si vous êtes infiltré, d’où le problème de cette émission car
effectivement vous êtes infiltré, mais au final, vous montrez rien du tout, mais vous y êtes.
Alors l’image bouge, c’est un peu flou, ça donne une impression… Mais sinon c’est
impossible.
-Est-ce que vous considérez qu’aujourd’hui il y a quand même des émissions qui se
distinguent plus que d’autres, qui font plus d’investigation que d’autres ?
Pas vraiment non.
-Bon moi j’ai pas vraiment étudié complément d’enquêtes, ça pourrait être une émission
qui se distingue des autres non ?
C’est pas mal fait oui.
142
-Donc Envoyé Spécial vous le mettez au même niveau que les autres ?
Envoyé Spécial, ils font des trucs sur l’huile d’argan…. On s’endort ! Non mais ce qui est
compliqué c’est que ce sont des peaux de léopard, il y a de tout là dedans. Du noir, du blanc,
du fauve… Les filles d’Envoyé spécial, elles ne feront jamais un sujet qui dérangerait le
pouvoir, car elles sont contrôlées par la Direction de l’Information, elles ne veulent pas
d’ennuis. Elles préfèrent faire de l’audience avec des sujets conso, ou parfois elles font un
petit roman, un truc bien sur la Tchétchénie. Complément d ‘enquêtes c’est vrai c’est pas
mal. Il y a aussi Lundi Investigations sur Canal +, mais ça ce n’est pas en clair. Sur TF1, il
n’y a rien. A l’époque, il y avait un peu le Droit de savoir qui a levé deux trois trucs, mais
qui a aussi évolué.
Et puis au fond, qu’est-ce qui informerait vraiment les gens ? Soit il y a des choses que les
gens savent, soit ils veulent voir des choses parce qu’on en parle… Enfin le paradoxe c’est
que les sujets sur les banlieues, c’est regardé surtout dans les banlieues, et puis ça fait frémir
le bourgeois du 16ème mais il n’y a rien de très nouveau là dedans. Déshérences dans ces
quartiers, abandon de l’Etat, démission de l’Etat… ça ce sont des sujets que vous ne verrez
pas ! Alors là ce n’est pas parce que c’est interdit, mais parce que ça n’intéresse personne.
Typiquement le mec qui voit sa banlieue à la télé, les rues dégueulasses, des jeunes au
chômage… il ne va pas regarder ça, il le sait c’est son quotidien. C’est comme le cinéma
français, pourquoi est-ce qu’il est comme ça, cul-cul nian-nian ? Quand on regarde le
cinéma latino-américain, le cinéma italien qui renaît, ou même parfois le cinéma
américain… ça n’a rien à voir, en France on ne peut rien faire. Mais c’est aussi l’esprit
français.
Donc il y a plusieurs facteurs : est-ce que historiquement c’était les années 80-90 ? Car moi
qui était sur la 5, pourtant Dieu sait si c’était une chaîne de droite (Berlusconi…), on faisait
ce qu’on voulait ! Alors ça les arrangeait peut-être car le pouvoir était de gauche, mais
c’était pas que ça. Moi j’étais pas politiquement engagé. On a fait chier Chirac aussi ! Je
sais pas il y avait un espace de liberté. Bon vous allez me dire y’avait pas grand monde qui
regardait, mais ça existait.
-Et aujourd’hui Arte c’est compliqué ?
Alors oui Arte, c’est une grosse machine : il y a deux têtes. Une tête allemande et une tête
française. Et puis, ils ne dénoncent pas grand-chose. Ils enfoncent des portes ouvertes.
Même la théma du mardi qui pourrait être pas mal, c’est un peu filandreux, c’est une
écriture qui n’existe plus. Alors eux c’est l’anti M6, mais encore ils ont fait des progrès. A
côté de ça il y a des documentaristes qui travaillent pour Arte et… C’est vachement
compliqué. Par exemple l’autre soir il y a deux magnifiques documentaires sur la Corée du
Nord. Ils ont suivi deux gamines qui participent aux tableaux vivants à la gloire du dictateur.
C’est un des plus beaux documentaires que j’ai jamais vu. C’est la BBC qui a fait ça il y a
deux ans. C’est un boulot phénoménal. Nous, on nous demande de faire ça, on n’a pas le
temps ! Mon premier 26 minutes j’ai eu 1 mois. Aujourd’hui, vous savez combien on nous
donne ? 6 jours !
143
-C’était d’ailleurs l’une des questions que je voulais vous poser. En termes de budget et de
temps, comment cela avait évolué ?
Un 52 minutes aujourd’hui, la chaîne donne 80 000 euros. Pour un 26 minutes, elle donne la
moitié. Et si vous êtes une boîte établie et que vous avez un compte au CNC, qui en fait
irrigue et fait vivre le cinéma français et la télévision, vous arrivez pour un 52 à 100 000
euros, mais faut la marge du producteur car il y a des frais de structure etcetera… Mais c’est
pour ça, on tourne de plus en plus vite. Un 70 minutes qu’on a fait en Colombie sur Pablo
Escobar, on a tourné comme des malades !
-Comment les chaînes justifient-elles cela ?
Les tarifs n’ont pas augmenté depuis 10 ans, alors que tout augmente… sauf nos salaires je
vous rassure ! Le prix des cassettes, le prix des mixages, le prix des machines… Mais elles
justifient pas ça ! Il y a une grande bataille entres producteurs et chaînes, notamment M6. Ils
s’arqueboutent, ils disent « on vous fait vivre », on commande beaucoup, ce qui est vrai. Si
M6 arrête demain ses émissions de reportage, il y a un gros souci ! Alors ils disent on vous
fait vivre, et puis on trouve que c’est tout à fait raisonnable, et on peut pas plus.
-Et est-ce que à leur création, la production des émissions d’enquête était décentralisée
dans des boîtes de production, ou bien rattachée aux chaînes ?
A bien à l’époque il n’y avait pas de boîtes de prod.
-C’est depuis quand ?
Toni… c’était il y a 20 ans. Oui cela date des années 90. On peut donc noter deux
mouvements. Le premier c’était : on va faire des émissions de reportage, mais les équipes
qui sont affectées au journal n’ont pas le temps de les réaliser car elles sont prises par le
news, l’actualité. Donc on fait appel à des journalistes connus, confirmés, qui petit à petit
vont se rendre compte qu’il leur faut monter une boîte. C’est comme ça que ça marche, ne
serait-ce que pour des histoires fiscales et de factures. On pouvait pas facturer tout seul un
reportage, en revanche on pouvait payer comme ça des images. Ca naît comme ça, ça se
développe comme ça, et pour les chaînes en plus ça a un avantage en termes de gestion
humaine. Il vaut mieux acheter un reportage clefs en main, on fait un chèque et basta, plutôt
que d’avoir à gérer des personnes dans la rédaction qui vont être malades, qui vont prendre
des congés… Je sais pas, il y a une justification économique aussi. Ce qui n’empêche pas à
des gens de la rédaction de France 2, de travailler pour Envoyé spécial. Mais Envoyé spécial
a aussi sa propre rédaction. Donc comme vous le savez, on aboutit aussi à une atomisation
totale des tâches. Une parcellisation : ya celui qui fait-ci ca, et ça se retrouve à la télé et dans
l’investigation. Moi je suis frappé. Quand je faisais les reportages sur France 2, je partais
avec la caméra tout seul. Aujourd’hui quand vous regardez la liste des noms, ils sont 4 ou 5.
Alors ya celui qui va filmer, celui qui va réaliser l’entretien…
-J’ai lu un sujet assez marrant sur le site de Télérama qui s’appelait « la pêche au ton ».
Les journalistes faisaient un récapitulatif des expressions qui reviennent régulièrement
144
dans les émissions, ainsi que des intonations employées. Ces émissions souffrent d’un réel
formatage dans le commentaire à l’image, l’avez-vous expérimenté ?
Il y a un formatage c’est clair. Par exemple même Frédéric Mitterrand qui avait un style
bien à lui, il ne pourrait plus le faire aujourd’hui. Pourquoi ? C’est une bonne question.
-Mais ils n’ont pas peur que les gens se lassent ? J’ai lu un forum à ce propos et les gens
déplorent vraiment que l’on estime qu’ils ne sont pas capables de comprendre plus de 200
mots différents dans un même sujet !
Oui, ils ne regardent plus la télé. Vous connaissez le sketch du comique qui se fout de la
gueule des gens de M6 ? J’ose pas vous le dire mais je l’ai écouté sur Rires et chansons.
Alors le comique part sur un commentaire lambda très formaté genre M6, puis il se
demande : « Mais à la maison, ils sont comme ça aussi ? ». Du coup il applique ça à tout ce
qu’il peut dire dans la maison, c’est à hurler de rire ! Je sais pas quoi vous dire, c’est un
métalangage, je crois qu’on est une société très fatiguée. Faudrait ciseler ces phrases. Moi
j’ai essayé de le faire autrefois et ça a marché. Maintenant c’est impossible ! Sauf si vous
trouvez la formule exceptionnelle.
-Au niveau de l’intonation aussi
Ca ça fait partie du formatage aussi. Mais je vous dis, à mon avis, c’est moins dans le
contenu - même si vous aviez raison de dire qu’il faut que ce soit toujours les coulisses, les
arnaques, les secrets - que dans la façon de monter d’abord, la façon de s’exprimer, les
commentaires, oui c’est toujours pareil.
-Je lisais quelque chose sur la boîte à outils de M6 qui contraint ses journalistes à
toujours séquencer de la même façon leurs reportages. C’est le cas pour vous ?
Oui et ça vient maintenant sur les documentaires. Je vois par exemple chez Comiti nous
faisons toute une série de beaux reportages sur les routes de l’impossible, où en gros le
principe c’est de suivre les gens qui font les routes les plus difficiles du monde entier : en
Afrique, en Amérique Latine… Et bien au montage, ils rajoutent un espèce de teaser au
début. Ce sont des 52 minutes, donc au bout de 3,4 minutes, une fois que l’on a posé
l’enjeu, on va avoir ce teaser, alors que ya 10 ans 15 ans, ça n’existait pas.
-La musique aussi joue un rôle primordial
La musique encore ça me gêne moins. Il faut une dramatisation. Mais il y a encore 15 ans,
sur le service public il était encore impossible de mettre de la musique. Moi je sais que l’un
de mes derniers reportages pour Envoyé spécial, il est passé uniquement parce que j’avais
choisi des musiques qui ajoutaient de l’emphase. Ah oui tout cela est réel. Mais l’on pourrait
dire la même chose d’Hollywood, à moins d’avoir un nom comme Clint Eastwood ou Mel
Gibson qui ont vraiment des idées en tête, et qui sont aujourd’hui plus des réalisateurs que
des acteurs. A Hollywood, il y a des codes à respecter. Le montage très serré à la 24H
chrono, maintenant il y a 8 images secondes au lieu de 4 !
145
-Cela vient des pays anglo-saxons… et c’est Canal + qui a importé le genre ?
Je crois que c’est par capillarité. Il y a eu quand même Spielberg, les grands noms comme
ça qui ont imposé le fait que les histoires soient bien racontées, que c’était rapide, que les
scénarios étaient super chiadés, et donc par capillarité cela s’est répandu en Europe. Mais en
Allemagne par exemple, ils ont ce problème là sur Arte, quand ils commandent des
reportages aux allemands, ils se retrouvent avec des reportages dont la technique narrative
correspond à ce que l’on faisait il y a 20 ans. C'est-à-dire qu’en gros on a une image, une
interview, un commentaire, il n’y a pas d’ambiance. Je donne des cours en France et à
l’étranger, et on apprend aux jeunes journalistes à ce que leur reportage soit le plus vivant
possible. Donc ce sont des séquences effectivement où on accompagne les gens plutôt que
de les poser. On préfère qu’il s’exprime en faisant quelque chose. Ca c’est l’école française,
c’est pas seulement M6. C’est-à-dire que si vous faisiez un sujet maintenant avec image,
interview, image, interview, ça ne passerait pas. Les émissions de M6 genre L’amour est
dans le pré, Super nany… c’est vivant, c’est bien foutu, ça y a contribué aussi. Mais à la
base c’est anglo-saxon.
-S’ils en font autant, c’est que ça marche.
Oui ça marche. Moi par exemple, Déco une semaine pour tout changer, je trouve ça pas
chiant (enfin ça dépend des personnages), bien foutu. Ca se regarde, c’est ludique, et puis on
apprend deux ou trois petits trucs. Bon après ça c’est du reportage bien sûr. Mais si vous
voulez faire quelque chose sur la Grèce ou sur la Thailande, même si vous avez toutes les
infos qu’il faut pour, ça ne passera pas.
-C’était d’ailleurs une de mes questions, arrivez-vous encore à proposer des sujets ?
On arrive à en proposer, mais on sait pas définition que , à moins qu’il soit particulièrement
original, ou d’avoir un lien privilégié avec la personne ou l’évènement, c’est très difficile.
Ou alors, il faut être un grand nom. Et puis il faut voir qui choisit les programmes dans les
grandes chaînes. Ca c’est aussi la vraie question parce que les gens qui font la télé sont
omnibulés, pour ne pas dire plus, par l’audimat. Il y a des études d’une finesse… ils
analysent minutes par minutes, je ne sais pas si vous voyez ! Même sur France Télévisions,
il y a des bureaux entiers de personnes qui ne font que ça de la journée. Ils ne font plus que
ça ! Exemple : quand Comiti a fait un sujet sur la nouvelle pauvreté il y a cinq ans parce que
ça le frappait. Les clodos, les soupes populaires… frappant parce que c’est réel même s’il y
a beaucoup de gens qui viennent d’Europe de l’Est. Le patron de M6 à l’époque voit ça,
c’était pour Zone Interdite, il les insulte. A 21 heures il appelle il dit « qu’est ce que c’est
cette merde ? ». A 22h30, fin de l’émission. Les chiffres d’audience ont été excellents, le
lendemain : félicité !
-Comme quoi, il ne faut pas prendre les gens pour des cons. Comme disait Bernard,
parfois ils sont surpris des chiffres d’audience sur des sujets internationaux.
Oui, mais le tort c'est qu'on prenne trop en considération ça. Ya un événement, on s'en fout
146
que les gens s'y intéressent ou pas. C'est notre boulot de raconter. Haïti par exemple, je suis
curieux de savoir quels ont été les chiffres d'audience. Est-ce qu'il y a eu saturation de la
charité publique qui est sollicitée à tout bout de champ? Je sais pas... Je n'ai pas vu les
chiffres. Mais c'est émouvant, ce peuple est émouvant. D'abord parce qu'ils multiplient les
tragédies, mais au delà ça les gens de TF1 vous diront qu'à la télé, les noirs font moins
d'audience! C'est un paradoxe car il y a beaucoup de noirs en France (qu'ils soient d'origine
antillaise ou africaine), alors ça ne tient pas trop debout, mais ce qui est sûr c'est que tout
cela est étudié, minute par minute. Ca va devenir vraiment compliqué pour les jeunes
journalistes. Les champs de possibilité se restreignent, il faut vraiment en vouloir.
Aujourd'hui, on veut du boom boom, on veut du spectaculaire, on veut du choc. Mais moi si
je ramène un truc sur Charles Pasqua, ça ne passera pas, à part en presse écrite. J'ai rien
contre ce type, mais c'est pour vous dire. Maintenant si je suis la brigade anti-prostitution
avec la loi contre le racolage de Sarkozy, alors là ça va faire de l'audience car c'est voyeur.
Mais qui n'est pas voyeur? Qui n'a jamais regardé la fenêtre de son voisin pour voir ce qui
s'y passe? Moi le premier, même sans y être scotché. Donc ce que reprochent certains
journalistes plus exigeants, c'est que pour faire de l'audience on fait appel aux bas fonds, aux
instincts primaires.
-Bernard m'évoquait le risque de surjouer le réel, avez-vous déjà été confronté à cette
difficulté?
Ca c'est sur, il y a une scénarisation, mais non pas vraiment car je ne fais plus de news. Je
trouve qu'une image vaut 1000 mots, mais souvent, on a pas le temps de les tourner! J'ai été
rédacteur en chef à France 24 ses débuts. Même si la chaîne a eu sa côte d'estime à son
lancement, elle n'est pas beaucoup regardée. Moi j'aime beaucoup les no comment, mais il
faut du temps pour tourner, et on ne l'a plus. Je ne sais pas, c'est compliqué, moi je n'ai pas
été confronté à ça. Mais c'est réel, et c'est lié au manque de temps. Pour décrypter une
image, moi j'habitue mes élèves à faire des commentaires d'images dont ils ne connaissent
ni la date, ni le lieu.. juste pour s'habituer. Nous on est professionnel, mais vous avez déjà
imaginé le type qui fait la vaisselle, va se chercher un coca dans le frigo... son niveau
d'attention est faible. C'est pour ça que la radio est à la fois plus chaude et pertinente car elle
ne fait appel qu'à un sens, contrairement à la télévision, et permet ainsi de recevoir
l'information tout en faisant autre chose. La télé , ce n'est pas subtil. Moi sur la 5 j'ai essayé
de faire des choses plus subtiles, ça n'a pas marché. A la télé, vous avez l'image ou vous ne
l'avez pas, c'est impossible de raconter sans l'image.
Donc on surjoue le réel, ça ça arrive souvent! C'est toujours le plus, on est toujours les
premiers, et puis les effets comptent pour beaucoup. On utilise les ralentis, alors que dans la
vie il n'y a pas de ralentis. On utilise une musique dramatique, maisun peu comme au
cinéma. Je pense qu'il y a une tendance à la cinémaisation et la scénarisation du reportage.
Un reportage sur le réel au coeur de la Thaïlande ça ne va pas le faire. Déjà parce qu'avec
Internet, les gens ont déjà vu beaucoup d'images, mais surtout parce que la réalité elle n'est
pas en 3D, ni en 4D. Elle est assez univoque, enfin, surtout au travers de l'oeil d'une caméra.
L'utilisation des zooms, des gros plans, tout ça ça vient du cinéma! Dans mon souvenir,
enfin je ne crois pas me tromper, dans 5 colonnes à la Une, ils ne faisaient pas de gros plans.
Ils cadraient super bien car ils filmaient sur des pélicules. Aujourd'hui, pour une minute
147
exploitable, il faut 40 minutes de rush. 5 colonnes à la Une, ils filmaient 10 minutes et ils en
sortaient 8 minutes. Alors c'est que les journalistes sont moins bien formés aujourd'hui, ou
alors ils ne s'intéressent pas à la chose, ou bien encore qu'ils savent que c'est borduré et ils
ne s'aventurent donc pas.
Tout cela évolue très très vite, et on ne sait pas trop vers quoi. En fait, il faudrait que la
réalité soit fictionnelle. A mon époque on vous demandait pas si votre personnnage allait
faire telle ou telle chose, et puis il n'y avait pas ce type de magazines de société.
Aujourd'hui, on va suivre une famille en vacances... ce n'est pas du reportage! A mon
époque, je parle comme si j'avais 200 ans, on allait vers les situations, soit de crise, soit
humainement compliquée, et puis on voyait ce qui en ressortait! Aujourd'hui, on a une
préparation en amont qui est énorme, faut des autorisations de tournage... Les tribunaux sont
plein de gens qui protestent: "on m'a filmé, je ne voulais pas...". Le juge des référés très
souvent est saisi car un mec se réveille et ne veut pas qu'on diffuse l'émission car je suis
dedans à mon désavantage.
-Les juges leur donnent raison?
Non, rarement parce que si le type a signé... Par contre il peut il y avoir une attaque après
sur le droit à l'image lors de la diffusion. Et puis tout cela c'est dû à des raisons
économiques. Avant, on ne comptait pas trop nos journées. Aujourd'hui, mobiliser une
journée un cameraman, un journaliste, plus la location de la voiture, le miam miam... C'est
vite du 1000 euros par jour pour le producteur. C'est assez vicieux, et je ne sais pas trop
comment on va faire pour s'en sortir.
-C'était justement une de mes dernières questions: comment appréhendez-vous l'avenir
du journalisme d'investigation en France?
Ben moi pour résumer ce qu'on a dit, je pense que l'investigation ne se porte pas sur les
sujets qu'on devrait éclairer. Cela tient à la culture politique de notre pays. Par exemple,
Denis Robert qui était obsessionnel avec l'affaire Clearstream, et j'ai jamais déterminé si
c'était pour la bonne cause ou non, et bien il a gâché sa vie, il a divorcé, plus personne ne
veut le voir. Donc pour des raisons politiques ya très peu de rédacteurs en chef qui vont
s'engager dans des combats comme ça. L'histoire des vedettes de Karachi, Libé a fait un
gros papier, et puis j'ai regardé un sujet sur France 2, deux jours après, ils y vont sur la
pointe des pieds. Personne non plus ne fait de sujets sur le pouvoir rose. J'ai un ami qui a
sorti un bouquin là dessus, c'est extrêmement intéressant. Cela changerait d'une énième
couverture sur les francs massons. C'est comme une véritable mafia. Il y a des gens de
pouvoir qui font partie de ce cercle au Ministère de la Culture par exemple ou encore dans
les médias avec Morandini, Fogiel... c'est un critère de cooptation. Mais jamais on ferait ça
comme sujet. Sur les musulmans modérés en France qui sont républicains, français, ils
ferment leur gueule et qui ne disent rien. On préfère montrer des barbus comme l'autre
excité avec ses 6 femmes. Les sujets d'investigation ne sont pas vraiment traités. A la 5 moi
je pense qu'on l'aurait fait.
Le second point c'est que même quand ils font véritablement de l'investigation, ils sont
148
formatés.Alors a contrario vous avez de temps en temps des bonnes émissions qui n'existent
plus comme Secret d'Actualité sur la 6, c'était pas mal fait, c'était une investigation un peu
sur les choses du passé. L'autre jour par exemple j'ai vu un truc sur Planète assez bien foutu
l'autre jour qui faisait un docu sur l'affaire Beregovoy afin de savoir s'il s'est suicidé. Il
faisait appel à des témoins qui disaient "moi j'ai entendu deux ou trois coups de feu", mais
deux ou trois c'est pas la même chose. Donc son investigation consistait à recouper ces
informations, cela concerne la vie politique même si c'est une affaire de personne. En
revanche sur Clearstream, qui est un truc assez compliqué, je n'ai jamais rien vu! Sur les
affaires économiques comme l''affaire Kerviel ou Goldmann Saxe, je n'ai rien vu non plus.
-Complément d'Enquêtes c'est le genre de chose qu'ils pourraient faire.
Oui Complément d'Enquêtes ils ont plus de moyen déjà car c'est un truc de France 2, et ils
font des choses pas mal. Mais c'est en deuxième ou troisième partie de soirée c'est avec
l'autre nabot, et puis je trouve que ya trop de plateaux.. Mais vous avez raison c'est une
bonne émission. Vous devriez aller l'interviewer Benoît Duquesnes.
Oui ce serait bien.
Tony aussi vous pourriez aller l'interviewer. Bon après en tant que producteur il théorise
moins son travail, il est là pour vendre et il s'adapte aux demandes des chaînes.
J'aimerais aussi contacter les gens qui font les grilles M6 par exemple.
Ben c'est Jérôme Durand..(doute sur le nom il n'est pas audible), Cathy Mespoulied elle
s'occupe d'Enquête Exclusive ou Valérie Tranzier (rédactrice en chef Zone Interdite).
En gros ce qu'il faut retenir c'est que plus une émission est regardée, le plus grand
dénominateur commun doit être la facilité: de langage, de montage... parce que le pouvoir
économique et de l'audimat se sont emparés des chaînes. C'est vrai aussi que Frédéric
Mitterrand m'avait commandé un document à TV5 sur le cinéma philippin car j'ai vécu
longuement là bas. Je l'ai donc accepté, et je l'ai fais comme un reportage, alors ça a excité
un peu les gens qui ont vécu là bas. Mais honnêtement! Même si je l'ai fais de façon vivante
et même si c'est pas trop mal foutu, qui va regarder ça?
Aujourd'hui il faut vendre. Tout est monétisé. Beaucoup de producteurs tombent malades
tant ce sont des métiers de chien! Maintenant ya tellement de problèmes juridiques... Tony il
pourra vous raconter ça si vous allez le voir. Il faut flouter les gens... et ça coûte très cher!
Ils ne s'en rendent pas compte.
Ca devient un métier de chien, et c'est ça aussi qui freine l'investigation. Même si le type il a
un super sujet, il se dit si c'est pour me prendre 4 procès et perdre sa chemise, ça fait hésiter.
Ya donc des problèmes économiques et des problèmes juridiques, auxquels on ajoute la
volonté de scénariser à tout prix pour des raisons économiques également, mais aussi pour
des raisons idéologiques. L'investigation pure et simple, vous en voyez plus à la télé, sauf
peut être sur des sujets étrangers. Mais sur de vrais sujets: le pouvoir rose, Bernard Arnaud...
-C'est plus facile de sortir des affaires dans des bouquins
149
Ah mais à la télé c'est très très compliqué, les gens ont peur, tout est contrôlé, tout est
filtré... Il y a la barrière des attachés de presse. Pourquoi on ne fait rien sur les attachés de
presse?
Donc dans le choix des sujets c'est limité, dans le traitement c'est limité.
-Au niveau de l'historique des émissions, vous auriez une idée des premières émissions
qui ont été crées? Envoyé spécial, droit de savoir? 52 minutes à la Une?
Il y a eu Resistance, une émission consacrée aux droits de l'homme, animée par Noël
Mammère. 52 minutes à la Une c'était Bertolino et Comiti justement. Mais c'était du bon
reportage. Le droit de savoir de Charles Villeneuve, au début c'était de l'investigation, mais
après ça a dévié. Parce que qu'est ce que c'est l'investigation finalement?
-Selon Nouzille le reportage devrait permettre de se rapprocher de son sujet, de ce qu'il
ressent. Alors que l'investigation devrait au contraire mettre à distance l'objet. Mais
aujourd'hui on mélange un peu les genres..
Ouai, oui. C'est vrai, mais à l'origine on confondait les deux. Les types qui ont fait pendant
la Révolution roumaine des sujets pour savoir qui a fait la révolution? Là il y a eu une vraie
investigation, ils sont allés sur place, ils ont retrouvé les témoins etc... O s'aperçoit que c'est
un groupe de communiste, pas des libertaires.
-Si vous deviez donner une définition du journalisme d'investigation, quelle serait-elle?
Je pense que c'est une approche exigeante à la recherche d'une vérité. Maintenant, en
télévision, c'est quasiment impossible aujourd'hui. De plus en plus de portes se ferment, d'où
le recours à la caméra cachée. au banc-titrage. Et que finalement c'est le montage subtile,
habile, qui fait la différence.
-Vous en pensez quoi de la caméra cachée?
Dans les infiltrés, je trouve ça choquant que le type ait dénoncé ses sources, c'est antidéontologique, ou alors faut être flic, ou alors on fait pas le sujet. Mais sinon nous on
l'utilise souvent, ça dépend donc de l'utilisation qu'on en fait. Nous par exemple chez Comiti
on a fait pas mal de sujets sur les petites madame qui se font refaire faire les seins, et dont
les médecins le taxe à la sécu. Et la sécu perd des millions d'euros là dessus, donc là elle est
justifiée, c'est plus une vérité mais une dénonciation. Moi ça ne me choque pas, je suis
plutôt pour à partir du moment où on respecte la dignité de la personne. Quand vous faîtes
un reportage sur les cuisines d'un resto chinois, personne ne va vous dire que les produits
sont pourris! Et ça c'est appelé du journalisme d'investigation... mais est-ce que ça l'est
vraiment? Moi je trouve ça un peu faible quand même. Vous rentrez dans ces fameux
traiteurs chinois, vous le savez d'entrée. Ya vraiment d'autres sujet!
Mais la caméra cachée, on va y venir! Je vois aussi le moment où on sera tous fouillés, or
150
notre matériel est encore conséquent, donc ça ne passera pas, ils s'en rendront compte. Moi
si j'étais un entrepreneur douteux, il y a des journalistes qui viennent, je les fais fouiller.
L'investigation passe par là pour toutes les raisons dont je vous ai parlé. Et puis il y a une
opacité très latine, les journalistes on les emmerde, ce sont des fouilles merdes! L'accès aux
sources c'est très compliqué. Alors il faut être pote avec un juge, un avocat un policier... Ya
aucune information sinon! Moi quand j'ai fais un sujet sur les clandestins chinois, je n'ai pas
pu filmer une descente de flics, il manquait quelque chose.
La télévision ça entraîne de graves conséquences juridiques! Pour le petit sujet qu'on a fait
sur le commerce halal, on a du visionner 4 fois le sujet avec les avocats! Parce que ce sont
de grandes marques: Quick, Mac Donald... ils sont très soucieux de leur image, ça peut aller
très loin. Du coup parfois on donne une caméra aux salariés, et ils risquent leur place.
Et puis je crois qu'on est pas tous d'accord sur ce qu'il faut dénoncer! Les patrons de chaîne
ne veulent surtout pas avoir d'enquêtes relatives à la politique ou l'économie! Dénoncer la
prostitution, les salons de massage, ça ça dérange personne. Vous le faites une fois bon...
mais alors plusieurs fois... Très souvent, on enfonce des portes ouvertes. La drogue chez les
jeunes par exemple, ça n'impressionne que les patrons de chaînes. Moi j'ai un copain qui a
son fils qui cultive du Cannabis dans sa chambre, il est au courant! Finalement, le gros
problème des journalistes aujourd'hui, et notamment à Paris, c'est qu'ils ne vivent rien. Donc
ils sont étonnés par tout.
Un sujet sur l'alcool mondain, ça par contre on ne va pas en parler car les pinardiers forment
un vrai lobby. On a voulu faire un sujet sur les femmes alcooliques... impossible.
Moi j'ai une idée plus exigeante de l'investigation, un peu à la Albert Londres: il faut planter
la plume dans la plaie, sinon...
-Justement dans Complément d'enquêtes, ils ont fait quelque chose sur la pédophilie chez
les femmes.
Oui, c'est une bonne émission. Je trouve que si il y a une émission, c'est elle. Ils ont une
vraie liberté: c'est pas trop regardé et ils ont le service public derrière.
-Après c'est sûr que le rythme est très lent, ça peut paraître chiant parfois quand on
s'habitue aux autres émissions car ils laissent plus parler l'image. Mais le fond est très
bon.
Ils ont le temps. Lundi Investigation aussi c'est bien. Mais vous voyez par exemple le
scandale de la chambre des communes, c'est la presse écrite qui l'a sorti. Ce que la télé fait
pas mal à l'étranger en caméra cachée, et qu'on ne ferait pas en France, c'est voilà je me
déguise en émir arabe, et je vais essayer de corrompre un député. En France on risque sa
peau.
-Carrément
Et bien quand vous commencez à recevoir des menaces de mort par téléphone, les gens ils
151
ne sont pas très courageux. Un accident de voiture c'est vite arrivé. Ah oui, c'est mafieux en
France. Le petit reportage sur la prostitution ça ne dérange personne, mais si vous allez
étudier de plus près l'histoire de vedettes de Karachi... On peut aller piéger les gens, mais on
le fera pas. Une fois de plus vous avez raison, Complément d'enquête, c'était les seuls qui
avaient eu le courage de faire quelque chose sur Clearstream. Pièces à conviction aussi c'est
une bonne émission. C'est également la seule émission en 2000 qui a osé diffuser le
témoignage de Jean Claude Mery, l'ancienne pompe à finance du RPR. Mais ce ne sont pas
des émissions phares. Sur TF1 je n'ai pas vu les nouvelles émissions... Sur M6, Capital à sa
façon, c'était de l'investigation au début.
-Je trouvais aussi que la démarche de Capital visant à démocratiser l'accès à un certain
type d'information était intéressante.
Je suis entièrement d'accord. J'ai jamais critiqué ça. Je critique le formatage du langage et du
montage. Pendant longtemps en regardant Capital car on apprenait plein de choses, c'était
bien foutu. Zone Interdite aussi.
-Mais c'est vrai que maintenant les sujets tournent en rond: immobilier, vacances...
Oui c'est normal, les portes se ferment. Les gens sont à la fois séduits et puis ils ont très
peur. Pour une marque c'est gênant de se prendre un capital dans la tête.
-Mais ce qui m'étonne c'est qu'il y a vraiment eu deux phases dans l'histoire du
journalisme d'investigation. Durant la première, on a traité exclusivement des scandales
politico-financiers. Et puis les gens se sont lassés de ces histoires. Alors on a étendu
l'investigation à d'autres domaines. C'est aussi une raison de ce manque d'enquêtes dans
la sphère politique et financière peut-être. Le genre s'est essoufflé.
Aujourd'hui c'est sûr que les scandales politiques et financiers, on enquête plus vraiment
dessus. ll y a un tel contrôle... Moi j'ai des copains au Canard Enchaîné, ils n'inventent
jamais rien, ils n'ont que des infos qu'on leur a donné... depuis Sarkozy: ça s'est tari.
L'histoire des vedettes de Karachi... ça ça vient de loin! C'est un coup des chiraquiens contre
Sarkozy!Qui va aller enquêter dessus? Libé? Personne ne le lit. Où va l'argent du téléthon,
de la lutte contre le cancer... qui va aller enquêter là dessus? Aller à l'association des
myopathes... D'abord ils vous laisseront même pas y aller. Qui va vous acheter le sujet?
Parce que même si y'en a un qui dépense un peu trop pour l'administration, s'il fait un peu de
détournement... on na va pas aller taper contre une cause nationale! Enfin je ne vous parle
que de la télé, je n'ai pas la prétention de parler de tout ce qui se fait en investigation. Donc
la politique, circulez! Le Cac 40, circulez! Il reste pas grand chose! Même sans dénoncer,
juste montrer voilà, c'est comme ça que ça se passe. La dernière fois j'ai fais quelque chose
sur la désindustrialisation en France pour Tf1. Ca n'a pas marché. Donc on préfère un truc
sur Paris Hilton. Les patrons de chaîne ou même le Directeur de France télévision font gaffe
à ce qu'ils diffusent. Quand c'est trop de responsabilité politique, ils ne le font pas. Le patron
de Paris Match s'est fait virer car l'autre il a diffusé la photo de Cécilia.... Donc on veut pas
trop risquer sa carrière professionnelle, sa vie... Ca limite l'investigation. Les élites ont
vraiment peur de la télévision, en revanche je suis surpris par les gens du quotidien qui n'ont
152
pas de mal à s'exprimer devant une télé.
-Vous bossez donc sur quelles émissions?
Enquête Exclusive, La grande Traque sur France 2 qui va sortir en septembre (c'est plutôt
historique ou géopolitique, donc ça ne dérange personne en France et ça plaît à fond aux
directeurs de chaîne).
Archives des émissions depuis septembre 2008
-Légende : couleurs choisies pour répertorier les sujets par thématiques
Arnaques
Crise
Délits
Malbouffe
Jeunesse
Délinquance routière
Sécurité
Drogue
Prisons
Le mal être au travail
Santé
Pouvoir d’achat
Maternité
Prostitution
Les dangers des jeux vidéos
Précarité
Enquêtes et révélations
- Arnaques et scandales immobiliers : enquête sur les victimes et les profiteurs
01.04.2009
- La France dans la guerre : 2 mois au coeur du piège Afghan 02.09.2008
- Jeux dangereux, violence gratuite : faut-il avoir peur de nos enfants 23.09.2008
- Comment sortir du surendettement 07.10.2008
- Fraudes, abus et manque de moyens 18.11.2008
- Logement, emploi, pouvoir d'achat 02.12.2008
- Expulsions, faux papiers, travail au noir : Enquête sur la France clandestine 09.12.2008
153
- Madagascar, enquête sur le scandale du tourisme sexuel français 20.01.2009
- Ventres à louer, ovules à vendre, trafics d'enfants 03.02.2009
- Français au volant : Enquête sur ces nouveaux délinquants de la route 03.03.2009
- Français sous surveillance : comment sommes-nous espionnés au travail et dans notre vie
privée 17.03.2009
- Serial Killers : dans la tête des tueurs en série 28.04.2009
- Malbouffe et fraudes alimentaires : qu'y a-t-il vraiment dans nos assiettes 26.05.2009
- Fric, frime, petites combines et grosses arnaques : enquête sur la face cachée de la côte
d'azur 08.09.2009
- Promoteurs véreux et artisans sans scrupules : enquête sur les escrocs de l'immobilier
01.12.2009
- Arnaques, patrons voyous et escroqueries en tous genres 06.10.2009
- Prisons de femmes : une vie derrière les barreaux 27.10.2009
- Expulsions, saisies, surendettement : enquête sur les huissiers 05.01.2010
- Sécurité routière : enquête sur les nouveaux délinquants de la route 26.01.2010
- Vente forcée, abus de confiance, publicité mensongère : enquête sur les rois de l'arnaque
16.03.2010
- Mon usine va t elle fermer : Six mois au coeur d'une entreprise en lutte 06.04.2010
- Rites secrets et pouvoirs occultes : enquête au coeur de la franc maçonnerie 25.05.2010
- Vacances à prix cassés : comment éviter les arnaques 01.06.2010
- Nourriture avariée, tromperie sur la qualité : comment être sûrs de ce que nous mangeons
06.07.2010
Complément d’enquête
-Vagabons, squatteurs, gitans : pourquoi les marginaux nous dérangent 29.09.2008
-Voiture propre : le marché de dupes 20.10.2008
-Crise : et maintenant, la facture 03.11.2008
-Noirs la révolution Obama 17.11.2008
-Sabotage, révolte, défiance : quand la France voit rouge ! 01.12.2008
-Ces nouveaux poisons qui nous entourent 05.01.2009
-Ces ados qui nous échappent 19.01.2009
-Gare aux escrocs ! 02.02.2009
-Patron : enquête sur un métier à risques ! 16.02.2009
-Antilles : la faute aux blancs ? 09.03.2009
-Comment gagner des millions 23.03.2009
-Permis de conduire : la grande injustice 06.04.2009
-Les policiers en première ligne 20.04.2009
-Performance à tout prix : un marché de dupes 04.05.2009
-Crime parfait : mode d'emploi 18.05.2009
-Alimentation : main basse sur la terre 08.06.2009
-Histoire : la nouvelle passion des français 22.06.2009
-Mystères en haute mer 14.09.2009
-Drogues, la France en overdose 28.09.2009
-Pots de vin, corruption : Quand les élites dérapent 19.10.2009
154
-Réussir sa mort, l'ultime défi 02.11.2009
-Sexe : Enquête sur ces Français qui ont besoin d'amour 16.11.2009
-Les nouveaux champions de la chasse au gaspillage 30.11.2009
-Fugitifs : Ces criminels qui nous fascinent 14.12.2009
-Vols, cambriolages : les Français sur le qui vive 18.01.2010
-Les nouveaux naufragés du logement 01.02.2010
-Fin du monde : les nouveaux croisés de l'apocalypse 22.02.2010
-Crime passionnel, adultère : quand l'amour rend fou 29.03.2010
-Les sacrifiés du travail 19.04.2010
-Riches, fonctionnaires, ministres : L'heure des sacrifices 03.05.2010
-Quand la médecine se trompe 17.05.2010
-Mondial J-4, des bleus loin des yeux 07.06.2010
-Ils ont marqué l'année 28.06.2010
Envoyé spécial
-17.06.2010
Marchés d'été le meilleur comme le pire
Un si long chemin (adoption)
Japon, des cadres à la baguette
Hôtels que valent les étoiles
-27.05.2010
Jugé coupable, reconnues victimes
Du plomb dans le zinc
Hollywood, les enfants de la comédie
-13.05.2010
Les vacances extrêmes
Corse GR20 : L'exploit au bout du chemin
La fièvre de l'encens
Le tourisme nuptial
-06.05.2010
Dans l'ombre du renseignement
Beurre, de l'or en baratte
Colombie : Terminus eldorado
Fausses dents, vrais doutes
-29.04.2010
Energies vertes : l'envers du décor
Retraités cherchent emploi désespérément
Mystère et boule de gomme
155
Patagonie, sur le sentier d'une laine d'exception
-22.04.2010
Le massage dans tous ses états
Les malades du web
Vincent Lindon : l'intranquille
Les résidences secondaires
-08.04.2010
Centres d'appels : les nouveaux prolétaires
Eric Besson, la rupture pour identité
Palestine : la voix des femmes
Les guerriers du goût
-01.04.2010
Les séniors sur la touche
Patrimoine de l'Etat à vendre
Afganistan : les partisans de la paix
Cosmétiques bio : le bonheur est il dans le pot ?
-18.03.2010
Dépression, questions sur une épidémie
La folie du bistouri
Coup de pression sur le demi
Les étoiles de la toile
-11.03.2010
Enfance en danger
La vengeance du tigre
Huissiers dettes en souffrance
-04.03.2010
Pôle emploi, une fusion sous pression
La révolution twitter
La Yogamania
Faut il avoir peur des restaurants asiatiques
-25.02.2010
Profession DJ
Le bois dans tous ses états
Roquefort chef d'oeuvre en péril
Planète facebook
-18.02.2010
TV, hi fi, électroménager : le grand bluff
Elie Semoun, le comicologue
156
Le café, du petit jus au grand cru
-04.02.2010
Police, délits mineurs
Le retour de la fourrure
Stéphane Guillon, le comique flingeur
-28.01.2010
L'enfer du désabonnement
Daniel Cohn-Bendit du rouge au vert
Haïti les chemins de l'exil
Alcool mineurs sous influence
-07.01.2010
Glam, blogs et rock n'roll
Jeans à la mode : le prix à payer
Bénabar, un chanteur en piste
Travailler plus... pour vivre
-17.12.2009
Fermé comme une huître
Les profiteurs de la crise
Le pillage de l'or blanc
Voyages en quête de saveurs
-10.12.2009
Photos en trompe l'œil
L'algue tueuse
Guillaume le conquérant
La tentation du frisson
-03.12.2009
Les bonnes et les mauvaises affaires de l'e-commerce
Le cinéma de demain
L'Italie des berlusconiens
Le goût perdu de la pomme de terre
-19.11.2009
Cinéma et musique sur internet : la fin des hors-la-loi ?
Que valent les labels ?
Florence Cassez, retour sur une arrestation
Les chasseurs de crus
-12.11.2009
Mémoire, le business de la peur
Argentine, un hiver avec la grippe A
157
Juliette Gréco, histoire d'une passion
Les petits boulots à la mode
-05.11.2009
Classes prépas
Les glaneurs de Nairobi
Minceur en ligne de mire
-15.10.2009
Après le viol
Portrait : le toque des légumes
La France de la débrouille
-08.10.2009
Restaurants : des prix à la carte
L'Amérique de la haine
Jugnot : un héros très discret
Red Bull : avec ou sans modération ?
-01.10.2009
Le vin est-il toujours un produit naturel ?
Qui a tué le journaliste Christian Poveda ?
Bonus sans limite
La véritable histoire des vrais gens dans la pub
-24.09.2009
Multirécidivistes : des jeunes à la peine
La revanche de la dame en rouge
Après Guantanamo
Montre à tout prix
-10.09.2009
L'enfer des travaux
Police, quel respect pour l'uniforme ?
De l'ambre à la lumière
Les décroissants, moins consommer pour mieux vivre ?
-03.09.2009
Le prix du fast-food
Afghanistan : écoles, tableau noir
Les étoiles de la toile
Les nouveaux visages de la contrefaçon
-25.06.2009
L'Iran au coeur de la contestation
Pour quelques pincées de Safran
158
Chasseur de trésor au pays de l'Inca
-18.06.2009
Stéphane Guillon : délit d'humour
Le café du petit jus au grand cru
Voyages en quête de saveurs
Ma très chère bagnole
-11.06.2009
Visages de crise
Martine Aubry, la cheftaine de Gauche
Retour aux sources
Retour sur le triangle d'or
-28.05.2009
Les profiteurs de crise
Visages sans sourire
Jean Nouvel, le french batisseur
-14.05.2009
Génération braqueurs
La veuve et la mer
Banquier des pauvres
-07.05.2009
Enquête : les cybercriminels
Japon, des cadres à la baguette
Egypte, dans le secret des tours opérateurs
-30.04.2009
Hôpital, clinique : la guerre de la santé
Les désobéissants
-16.04.2009
Bébés made in India
Bouglione, une histoire de cirque
Les chasseurs de senteurs
-09.04.2009
Enquête : fille ou garçon, choisir à tout prix
Portrait : Xavier Bertrand, le premier de la classe
Découverte : badiane : l'or étoilé
Le blues de la fonction publique
-02.04.2009
159
Prison de Fleury, les images interdites
Yemen noces barbares
Villa des artistes
-19.03.2009
Faut-il avoir peur des restaurants asiatiques ?
Etudiants sur la paille
Swaziland, le virus en son royaume
Demaison, c'est l'histoire d'un mec
-12.03.2009
Le retour des petits boulots
Français en danger la diplomatie de l'urgence
A l'école de la différence
A la recherche de la perle noire
-05.03.2009
Vieillesse minimum
Antilles : îles en colère
Aznavour, l'autre visage
-19.02.2009
Les enfants de la frontière
Le nouvel eldorado des Beurs
Un rêve sans fin
Rouge tomate
-12.02.2009
Carton rouge les abus sexuels dans le sport
Somalie à l'assaut des pirates
Dany Boon : le triomphe d'un ch'ti
-22.01.2009
Enquête : Le soutien scolaire réussite ou échec ?
Découverte : Les fleurs de la discorde
Actualité : Gaza questions sur une guerre
Portrait : Retour sur Carole Bouquet sans fard
-16.01.2009
Gaza une guerre à l'abri des regards
Barack Obama, une histoire américaine
-08.01.2009
Jeunesse en fuite
Pierre Cardin : une griffe pour un empire
160
Irak : tourisme au front
-18.12.2008
Y aura-t-il des crevettes à Noël
Eglises : un patrimoine en danger
Hôtels : que valent les étoiles?
-28.11.2008
Albanie le prix du sang
Repetto, Converse la saga des chaussures
-20.11.2008
Prisons : que se passe-t-il derrière les murs ?
Retour sur : Franck Dubosc de l'ombre à la lumière
-30.10.2008
Thaïlande, l'ombre du paradis
Gambie charter pour l'amour
-23.10.2008
Immobilier : la fin du rêve
Un enfant presque comme les autres
Faut il avoir peur de Sarah Palin ?
Retour sur : Menace sur la Mozzarelle
-09.10.2008
Au coeur de la crise
A l'école de la palme d'or
Sur les traces du Dalaï Lama
La bataille du chocolat
-02.10.2008
Les nouveaux visages de la contrefaçon
GI's violées : l'ennemi de l'intérieur
Une famille de sauvages
-25.09.2008
Ecole : la violence entre les lignes
Avoir 20 ans à Lhassa
Magasin : vol à tous les étages
161
Enquête exclusive
-New York : les secrets d'une destination star 08.08.2010
-Alcool, pom-pom girls, bizutage : les secrets des campus américains 08.08.2010
-Ventres à louer, reins à vendre : les dérives du tourisme médical 01.08.2010
-La multinationale des vendeurs à la sauvette 01.08.2010
-Himalaya : la face cachée du toit du monde 25.07.2010
-Routiers : les transports de tous les dangers 25.07.2010
-Maharadjahs, enfants des rues et pierres précieuses : les mystères de Jaïpur 18.07.2010
-Abidjan, capitale de la débrouille 18.07.2010
-Nice - Rome : l'autoroute de folie 11.07.2010
-Fiesta, cocaïne et pickpockets : fièvre à Barcelone 04.07.2010
-Roissy, à la veille des grands départs 27.06.2010
-Hawaï : surf, sexe et drogue 20.06.2010
-La Riviera Belge : deux mois de folie en mer du Nord 13.06.2010
-Policiers : la dure loi du terrain 06.06.2010
-Dans l'enfer de Johannesburg 06.06.2010
-Business, tourisme et kalachnikov : les mille visages de Beyrouth 01.06.2010
-Les villes de demain 31.05.2010
-Plongée au coeur de Marseille 30.05.2010
-Tourisme sexuel : sur la trace des prédateurs 25.05.2010
-Contrebande de cigarettes : les étonnantes filières du trafic 23.05.2010
-Les coulisses des marchés de l'été 18.05.2010
-Côte d'Azur : le week end le plus chaud de l'année 12.05.2010
-Saint Domingue Haiti l’île aux deux visages 12.05.2010
-SDF, prostitués, milliardaires : les dessous du bois de Boulogne 04.05.2010
-Les secrets des Chinois de Paris 27.04.2010
-Strip-tease, poker, immobilier : rien ne va plus à Las Vegas 21.04.2010
-Retards, insécurité, grèves : guerre des nerfs à la SNCF 14.04.2010
-Tourisme et bétonnage : la grande saga du littoral 07.04.2010
-US Marines : au coeur d'un monde sans pitié 06.04.2010
-Saint Denis : Les nouveaux rois de la capitale du 93 31.03.2010
-Gangs favelas : Miss univers la folie 24.03.2010
-Chypre, une île sous haute tension 17.03.2010
-Hôpitaux psychiatriques, voyage au coeur de la folie 10.03.2010
-Argent caché, délinquance, racisme : l'autre visage de la Suisse 28.02.2010
-Gibraltar : le détroit de tous les dangers 24.02.2010
-Touristes, fêtards, et arnaqueurs : Paris entre paillettes et trafics 24.02.2010
-Sports d'hiver : vacances à haut risque 23.02.2010
-Les nouveaux hors la loi de la route 17.02.2010
-Les nouveaux ghettos de la peur 17.02.2010
-Egypte, la face cachée d'un voyage de rêve 07.02.2010
-Papa vend des armes : les surprenants VRP de la guerre 20.01.2010
-Au coeur des urgences de nuit 13.01.2010
-Catch, boxe, free fight : les nouveaux gladiateurs 06.01.2010
162
-Police mexicaine et barons de la drogue 16.12.2009
-Gendarmes de campagne contre voyous des villes 06.12.2009
-Châtelet les Halles : La bataille du centre de Paris 02.12.2009
-Le nouveau visage d'Alger : entre la fête et la peur 25.11.2009
-Brigade des moeurs : jeunes filles en danger 28.10.2009
-Routiers américains : L'impitoyable loi du bitume 21.10.2009
-Mayotte : les aventuriers de la France perdue 14.10.2009
-Indemnisations, accidents, procès, les experts sur la sellette 07.10.2009
-Les nouveaux mercenaires de la lutte anti contrefaçon 30.09.2009
-Espagne : les gagnants et les perdants de la folie immobilière 23.09.2009
-Premiers pas en prison, le choc carcéral 16.09.2009
-Immobilier et voitures aux enchères : bonnes affaires et combines 09.09.2009
-Du rêve au cauchemar, Thaïlande : quand les vacances tournent mal 02.09.2009
-Tahiti : enquête dans les coulisses d'un paradis 26.08.2009
-Police des beaux quartiers 19.08.2009
-Jeunes et alcool : quand les étudiants américains se lâchent 12.08.2009
-Gangs et favelas à Rio l'autre visage du du carnaval 05.08.2009
-Été : Urgences de nuit 29.07.2009
-Nice : grand ménage avant l'été 22.07.2009
-Marché aux puces : l'envers du décor 24.06.2009
-Hélicops : les nouveaux flics des airs 24.06.2009
-Police Mexicaine et barons de la drogue : la grande corruption 10.06.2009
-La surprenante vie clandestine des sans papiers 10.06.2009
-Roms, tsiganes : des vérité qui dérangent 03.06.2009
-Manifestations, espions : Bruxelles sous haute tension 31.05.2009
-La trépidante vie des forains 17.05.2009
-Chamans, gourous : nouveaux sorciers, nouveaux dangers 13.05.2009
-Taxis : les secrets d'un métier pas comme les autres 06.05.2009
-La face cachée de Marbella 06.05.2009
-Abidjan : capitale de la débrouille 29.04.2009
-Les nouveaux pirates des Caraïbes 29.04.2009
-Stades : les nouvelles violences 22.04.2009
-Jérusalem : La traque aux kamikazes 22.04.2009
-Cuba : paradis ou cauchemar 15.04.2009
-Police des beaux quartiers 15.04.2009
-Colombie : l'effroyable business du kidnapping 08.04.2009
-Brigade Financière : super flics contre escrocs 08.04.2009
-Les jusqu'au boutistes de l'écologie 01.04.2009
-Gibraltar le détroit de tous les dangers 25.03.2009
-La justice de Monaco : tolérance zéro 25.03.2009
-Chasseurs de primes : le grand business des fugitifs 18.03.2009
-Jeunes et alcool : quand les fêtes dégénèrent 18.03.2009
-Policiers : la dure loi du terrain 04.03.2009
-Jeunes de cités : entre espoir et révolte 04.03.2009
-Accidents, trafics, conduite à risque : les dangers du deux-roues 25.02.2009
-Au coeur de l'incroyable Far West Amazonien 18.02.2009
163
-Luxe, vols et arnaques : les secrets de la place Vendôme 18.02.2009
-US Marines : au coeur d'un monde sans pitié 11.02.2009
-Pigalle, Barbès, Montmartre : Les nouveaux dessous de Paris 04.02.2009
-Macao : casinos, mafia et clandestins 04.02.2009
-La nouvelle traque anti-mafia 28.01.2009
-Gardiens de prisons : des hommes sous haute tension 04.01.2009
-Dans les incroyables coulisses des Champs Elysées 21.12.2008
-Dans les secrets du plus grand pèlerinage du monde 14.12.2008
-France Afrique : la surprenante filière des voitures d'occasion 03.12.2008
-La surprenante filière des voitures d'occasion 30.11.2008
-Le Shérif de Los Angeles 26.11.2008
-Police-secours : l'urgence au quotidien 19.11.2008
-Les paparazzi du crime 12.11.2008
-Contrebande de cigarettes : les étonnantes filières du trafic 05.11.2008
-Moscou : Milliardaires et SDF 29.10.2008
-Routiers : le salaire de la peur 22.10.2008
-Les surprenants dessous de la mode 15.10.2008
Enquête d’action
-Taxi, routiers : enquête sur les nouveaux flics de la route 08.08.2010
-Faux papiers un trafic hors norme 30.07.2010
-Marché noir : j'achète mon grand cru 30.07.2010
-Enquête sur les nouveaux célibataires 24.07.2010
-Loto, héritage quand la roue tourne enfin 09.07.2010
-40 ans enfin enceinte 09.07.2010
-Cet été on échange nos maisons 02.07.2010
-Des mamans extraordinaires 25.06.2010
-Le boom des accouchements a domicile 25.06.2010
-Concierges prives majordomes décorateurs 18.06.2010
-Ile moustique destination interdite 11.06.2010
-Les Seychelles le palace flottant 11.06.2010
-Vacances en camping-Car sympa malin 04.06.2010
-Nice grand menage avant les vacances 11.06.2010
-Monaco tolerance zero 28.05.2010
-Police des beaux quartiers 21.05.2010
-Les secrets de la place Vendome 21.05.2010
-Les nuits a tel Aviv 14.05.2010
-Miami destination branchée 14.05.2010
-Papa part à la guerre 07.05.2010
-Cartes bancaires gare aux arnaques 30.04.2010
164
-L’alcool chez les adolescents 23.04.2010
-Je construis une maison qui va changer ma vie 19.02.2010
-Celibataires des vacances pour rencontre 16.04.2010
-Arnaques et escrocs de l’immobilier 09.04.2010
-6 mois au coeur d une prison Francaise 02.04.2010
-Colombie la guerre 02.04.2010
-Les nouveaux hors-la-loi de l'autoroute 26.03.2010
-Pigalle Barbes Montmartre 19.03.2010
-Taxis arnaques aux touristes 19.03.2010
-La guerre des bandes à paris 19.03.2010
-Police 93 12.03.2010
-Petits commerces alerte aux braquages 12.03.2010
-La juge et les jeunes delinquants 12.03.2010
-Femmes grands reporters 05.03.2010
-Les nouveaux rois du catch 05.03.2010
-Afghanistan un francais chez les g.I 05.03.2010
-Au coeur des métiers de l'extrême 05.03.2010
-Police secours l'urgence au quotidien 26.02.2010
-Derrière l'uniforme les soldats du feu 26.02.2010
-Les flics du ciel 12.02.2010
-Scanners corporels : sont-Ils efficaces 12.02.2010
-Moi vouloir toit 05.02.2010
-Les huissiers 05.02.2010
-Lancer sa boite l’entreprise de toute une vie 29.01.2010
-Internet le secret des voyages bradés 22.01.2010
-Ski le millionnaire des stations pas cher 22.01.2010
-Out of africa le boom des safaris 22.01.2010
-République dominicaine succès et dérives 22.01.2010
-Chasse au gaspillage dans la maison 15.01.2010
-Systèmes d alarmes la sécurité à 30 euros 15.01.2010
-Le jackpot des fenêtres en plastique 15.01.2010
-Ascenseurs pourquoi la facture explose 15.01.2010
-Racket a l école et au travail la loi du plus fort 08.01.2010
-Réveillon suspense au pays de la dinde 18.12.2009
-Sapins le grand rush 18.12.2009
-Jouets le père noël est chinois 18.12.2009
-Le noël des familles nombreuses 18.12.2009
-Sauveteurs des missions incroyables 11.12.2009
-Les anges gardiens de paris 11.12.2009
-Le sherif de los angeles 11.12.2009
-Le scandale des miss 04.12.2009
-Taxis routiers enquête 27.11.2009
-Routiers les transports de tous les dangers 27.11.2009
-Tourisme sexuel 27.11.2009
-Lycéenne et maman 20.11.2009
-Un bébé pour sauver notre fils 20.11.2009
165
-Pompiers dans le feu 20.11.2009
-Commandos parachutistes des hommes en mission 06.11.2009
-Marche aux puces l envers du décor 30.10.2009
-Déco mobilier objets d art les filières 30.10.2009
-36 quai des orfèvres les enquêteurs 23.10.2009
-Police dans le quotidien 23.10.2009
-Métro une ville sous la ville 16.10.2009
-Un camp de refugiés au coeur de paris 16.10.2009
-Barbes au coeur de paris 16.10.2009
-Le boum des merguez 09.10.2009
-Enquête sur les usines à tomates 09.10.2009
-Mozzarella enquête et révélations 09.10.2009
-Ados alerte a l obesite 09.10.2009
-Enquête sur les écologistes 09.10.2009
-Brigade anti-crim contre délinquants 02.10.2009
-Familles à la rue comment s en sortir 25.09.2009
-Enquête sur la France de l'arnaque 04.09.2009
-GIPN, CRS : au coeur de l'action 27.08.2009
-Douaniers contre trafiquants 08.08.2009
-Triplés, quadruplés : bonheur ou galère ? 06.08.2009
-Célibataires : elles cherchent l'homme de leur vie 18.07.2009
-Manger sain : combien ça coûte ? 14.07.2009
-Un été sous haute tension 30.06.2009
-Délinquance routière : tous les coups sont permis! 23.06.2009
-Comment font les familles nombreuses? 16.06.2009
-Police : la guerre des stups 02.06.2009
-Business, insécurité : la face cachée de la capitale 21.05.2009
-Travail au noir, arnaque à la Sécu : enquête sur la France qui triche 14.05.2009
-Pompiers : un quotidien sous haute tension 02.05.2009
-Business de la récup : bons plans et arnaques 23.04.2009
-Partis de rien : ils ont tout réussi 09.04.2009
-Palace : au coeur du rêve 02.04.2009
-Cuisine : enquête sur la grande passion des Français 26.03.2009
-30 jeunes défavorisés au coeur d'un lycée d'élite 19.03.2009
-Enquête sur la France de l'arnaque 12.03.2009
-Enquête sur le marché du luxe 21.02.2009
-Au coeur de la Légion : des hommes d'exception 19.02.2009
-Vivre au soleil : bon plan ou galère ? 12.02.2009
-A l'école des commandos 05.02.2009
-Parents : ils veulent un bébé avant tout ! 28.01.2009
-Famille, amour, argent : un an pour tout changer 21.01.2009
-Dans les coulisses de Rungis 4.01.2009
-Je change de vie, j'ouvre mon resto ! 07.01.2009
-Police : dans le quotidien des femmes d'action 17.12.2008
-BAC de nuit, au coeur de l'action : la 100ème 10.12.2008
-Enquête sur la France qui galère 15.11.2008
166
-Loto, PMU : enquête sur ceux qui gagnent 12.11.2008
-Coluche : enquête sur un mythe 22.10.2008
-Les papis font de la résistance 15.10.2008
-Pouvoir d'achat : comment dépenser moins ? 08.10.2008
90’ enquêtes
-Paris : une capitale sous haute tension ? 10.08.2010
-Au coeur de la brigade des accidents de la route 08.08.2010
-Malbouffe : pouvons nous manger en toute sécurité ? 05.08.2010
-Urgences chez les Ch'tis 03.08.2010
-Enquête sur les arnaques de l'été : tous les pièges à éviter 01.08.2010
-Délinquance routière, enquête sur les nouveaux hors-la-loi 25.07.2010
-Enquête sur le nouveau business des célibataires 18.07.2010
-Je change de vie, je construis une maison 11.07.2010
-Les dessous de la presse people 08.07.2010
-Escroquerie à la consommation : enquête sur les pièges que l'on vous tend 06.07.2010
-Sécurité routière : enquête sur les nouveaux chauffards 04.07.2010
-Les Français et le sexe : enquête sur les nouvelles tendances 01.07.2010
-Enquête sur le business des croisières 01.07.2010
-Les dessous des destinations stars de l'été 29.06.2010
-Permis à points : enquête sur les nouvelles dérives de la route 27.06.2010
-Tout pour mon toutou : le business des animaux de compagnie 23.06.2010
-Stages, formations, emplois : enquête sur les arnaques au travail 20.06.2010
-Construire sa maison : le défi d'une vie 16.06.2010
-Fraudes, arnaques : enquête sur ces Français qui trichent pour s'en sortir 16.06.2010
-Police scientifique : enquête sur les vrais experts 13.06.2010
-Corruption, arnaques, combines : enquête sur les dessous de la Côte d'Azur -10.06.2010
-Immobilier : enquête sur les nouveaux escrocs du logement 10.06.2010
-Pigalle, un quartier sous haute surveillance 09.06.2010
-Paris la nuit : enquête sur une délinquance qui ne s'arrête jamais 02.06.2010
-Adultères, filatures : enquête sur les détectives privés 30.05.2010
-Au coeur de la nouvelle guerre des drogues 29.05.2010
-Expulsions, saisies : Enquête sur les huissiers de justice 23.05.2010
-Policiers contre délinquants : la traque de tous les trafics 20.05.2010
-Braquages et agressions : flics de choc contre délinquants prêts à tout 16.05.2010
-Investisseurs ruinés contre promoteurs véreux : enquête sur les pièges de l'immobilier
12.05.2010
-Braqueurs, dealers, casseurs : enquête sur la nouvelle délinquance des jeunes 12.05.2010
167
-Douaniers contre trafiquants : enquête sur une nouvelle guerre 11.05.2010
-Jeunes et alcool : enquête sur les nouveaux comportements à risques 29.04.2010
-Stars des années 80 : que sont-ils devenus ? 28.04.2010
-Soldats du feu : au coeur de tous les dangers 26.04.2010
-Enquête au coeur d'une prison de femmes 11.04.2010
-En immersion au coeur de la BAC 08.04.2010
-Escroqueries à la consommation 06.04.2010
-Fraudes, arnaques : enquête sur ces Français qui trichent pour s'en sortir 04.04.2010
-Gendarmes de la route : les nouveaux shérifs ? 31.03.2010
-Enlèvements, disparitions, fugues : quelle vie pour les proches ? 31.03.2010
-Au coeur de la brigade des accidents de la route 28.03.2010
-Pensionnat : le retour des méthodes strictes 21.03.2010
-Personnes âgées : le scandale des maisons de retraite 15.03.2010
-Bandes contre police : enquête sur une nouvelle guerre 14.03.2010
-Au coeur de l'action avec les flics de l'été 15.02.2010
-Essence, chauffage, électricité : comment réduire la facture ? 08.02.2010
-Enquête sur la fièvre du jeu 01.02.2010
-Noël : comment passer de bonnes fêtes sans se ruiner ? 20.12.2009
-Au coeur des urgences vétérinaires 17.12.2009
-Surpoids, obésité : enquête au coeur d'un nouveau business 10.12.2009
-Bons plans pour consommer moins cher 10.12.2009
-Violence, humiliation, mariage forcé : enquête au coeur des couples en crise 02.12.2009
-Belle à tout prix : enquête sur les dérives de la chirurgie esthétique 19.11.2009
-La folie low cost : comment consommer moins cher en évitant les arnaques ? 25.10.2009
-Français au volant : enquête sur la sécurité routière 01.10.2009
-Flics de chocs : enquête sur les anges gardiens de la République 17.09.2009
-Voiture : comment rouler moins cher ? 16.09.2009
-Eté : la saison de tous les dangers 08.09.2009
-Crimes et délits : enquête au coeur de la justice 03.09.2009
-Gastronomie française : la guerre des grands chefs 30.08.2009
-Mariage et célibat : enquête sur le marché du coeur 25.08.2009
-Adoption, mère porteuse, achat d'ovules : prêts à tout pour devenir parents 23.08.2009
-Trafics et contrefaçons : enquête sur l'économie souterraine 20.08.2009
-Légion étrangère : enquête sur les hommes sans nom 20.08.2009
-Enquête sur les vacances préférées des Français 17.08.2009
-Manque de moyens, accidents, dysfonctionnements : notre système de santé est-il malade ?
16.08.2009
-Précarité : comment sortir de la galère ? 09.08.2009
-Travaux à domicile, enquêtes sur les pièges et les bonnes affaires 07.07.2009
-La fête à tout prix : enquête sur le business de la nuit 30.06.2009
-Français sous surveillance : comment sommes nous espionnés au quotidien ? 21.05.2009
-Sectes et guérisseurs : enquête sur les dérives des médecines parallèles 05.05.2009
-Emploi, logement, surendettement : enquête sur la France de la précarité 28.04.2009
-Pouvoir d'achat : les bons plans pour consommer moins cher 22.03.2009
-Marché du travail : la France peut-elle retrouver le plein emploi ? 12.03.2009
-Chômage, RMI, Sécu : enquête sur la France qui fraude 01.02.2009
168
-Anorexie, obésité 08.12.2008
169