BCE : « et croyez-moi, ce sera suffisant

Transcription

BCE : « et croyez-moi, ce sera suffisant
Aperiodique – n°16/075 – 15 mars 2016
BCE : « et croyez-moi, ce sera suffisant »
 La BCE a annoncé qu’elle augmentait le
montant du QE de 20 Mds EUR par mois et
qu’elle
ajoutait
certaines
obligations
d’entreprises à la liste des actifs éligibles.
Elle a également abaissé ses trois taux
directeurs (de 5 pdb à 0% pour le taux de
refinancement, de 10 pdb à -0,40% pour le
taux de dépôt et de 5 pdb à 0,25% pour le
taux de prêt marginal). La principale
mesure, selon nous, est la mise en place
d’une nouvelle série de TLTROs assorties
de conditions favorables à partir du mois de
juin.
 La BCE semble avoir réorienté le cœur de sa
politique d’une politique de dévaluation du
cours de change et d’assouplissement
quantitatif vers un assouplissement sur le
crédit – le crédit bancaire avec les TLTROs
et l’amélioration des conditions pour les
entreprises avec le nouveau programme
d’achat d’obligations d’entreprises (ou
CSPP pour corporate sector purchase
programme). Cette décision, bien qu’elle
soutienne relativement peu le sentiment de
marché, pourrait s’avérer plus efficace pour
soutenir l’économie de la zone euro à
moyen terme.
 Nous continuons à penser qu’un tel
assouplissement n’était pas justifié par la
situation économique actuelle : les
projections macroéconomiques de la BCE
montrent une inquiétude croissante à
propos des effets de second tour de la
baisse des cours du pétrole sur l’inflation
sous-jacente. Cette accélération du QE
pourrait nécessiter un nouvel assouplissement des modalités concernant les achats
d’actifs. Nous manquons d’informations
détaillées à propos du CSPP et espérons
que la BCE abordera le marché des
obligations d’entreprises avec prudence.
 La réaction des marchés à ces annonces –
et en particulier à l’intention affichée par la
conomiques Groupe
es-economiques.credit-agricole.com
BCE de ne pas assouplir davantage sa
politique monétaire à l’avenir – a été
négative. Nous sommes convaincus que la
BCE souhaite – et peut – assouplir
davantage, mais nous partageons le point
de vue de la BCE selon lequel la zone euro
n’a pas besoin d’un assouplissement
supplémentaire dans un avenir prévisible.
La BCE a annoncé six nouvelles
mesures de politique monétaire
 Le taux d’intérêt des opérations principales de
refinancement de l’Eurosystème est abaissé de
5 pdb, à 0,00%, à partir de l’opération devant
être réglée le 16 mars 2016.
 Le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal
est réduit de 5 pdb, à 0,25%, avec effet au
16 mars 2016.
 Le taux d’intérêt de la facilité de dépôt est
abaissé de 10 pdb, à -0,40%, avec effet au
16 mars 2016.
 Les achats mensuels au titre du programme
d’achats d’actifs seront portés à 80 milliards
d’euros à partir d’avril.
 Des obligations bien notées (investment grade)
libellées en euros émises par des sociétés non
bancaires établies dans la zone euro seront
ajoutées à la liste des actifs éligibles aux achats
réguliers.
 Une nouvelle série de quatre opérations de
refinancement à plus long terme ciblées
(TLTRO II), toutes d’une durée de quatre ans,
sera lancée à compter de juin 2016. Les taux
d’emprunt lors de ces opérations pourront être
aussi bas que le taux d’intérêt de la facilité de
dépôt.
BCE : « et croyez-moi, ce sera suffisant »
Louis Harreau
[email protected]
Ces mesures, qui vont au-delà de ce
qu’attendaient les marchés (nous y compris),
sont destinées à répondre aux inquiétudes
réitérées de la BCE sur l’économie de la zone
euro. Les prévisions de croissance ont été
abaissées de 1,7% (chiffre de décembre) à 1,4%
pour 2016 et de 1,9% à 1,7% pour 2017, tandis
que les prévisions d’inflation ont été abaissées de
1,0% à 0,1% pour 2016 et de 1,6% à 1,3% pour
2017. Pire encore, la BCE a ramené ses prévisions
d’inflation sous-jacente de 1,3% à 1,1% pour 2016
et de 1,6% à 1,3% pour 2017. Dernier point, la
BCE prévoit une inflation de seulement 1,6% en
2018. Alors que la BCE s’était montrée trop
optimiste ces dernières années, ses prévisions
d’inflation sont désormais plus proches des nôtres.
L’aspect négatif est que la baisse du taux de
refinancement se fait au détriment de la mise
en place d’un système de dépôt à deux
vitesses, ce qui accrédite un peu plus l’idée
selon laquelle la BCE pense qu’elle a atteint le
niveau plancher de ses taux directeurs :
Le service de presse de la BCE a indiqué que ces
projections n’intégraient que partiellement l’effet
des mesures annoncées ce mois-ci.
 Nous comprenons cette ambiguïté : le Conseil
des
gouverneurs
–
qui
s’attendait
vraisemblablement à cette question – n’a pas
voulu s’engager à baisser les taux davantage,
mais Mario Draghi ne souhaitait pas exclure
cette possibilité, quel que soit le contexte.
Les mesures conventionnelles :
les taux
La baisse du taux de la facilité de prêt marginal
n’aura guère d’impact sur quoi que ce soit. De nos
jours, ce taux n’intéresse plus personne.
La baisse de 10 pdb du taux de la facilité de
dépôt était largement attendue. Nous pensons
que cette baisse reste avant tout un instrument de
la guerre des changes ; elle permet d’abaisser
légèrement l’ensemble de la courbe des taux, mais
son but principal est d’éliminer les pressions
haussières sur l’euro. Comme anticipé, cela n’aura
pas beaucoup d’effet dans un avenir immédiat,
mais l’euro aurait probablement rebondi beaucoup
plus haut si la BCE n’avait pas abaissé ce taux.
La baisse de taux de refinancement ne devrait
avoir qu’un effet limité. Nous avions espéré une
baisse en décembre dernier : nous ne pensons
pas qu’il existe de limite basse pour le taux de
refinancement et continuons à penser que la BCE
aurait dû l’abaisser parallèlement au taux de
dépôt : de 10 pdb en décembre et de 10 pdb ce
mois-ci.
Le taux de refinancement n’a qu’un impact très
limité sur le marché monétaire (en effet, l’Eonia
suit le taux de dépôt dès que l’excès de liquidité
dépasse 300 Mds EUR) et n’a par conséquent
aucun impact sur le taux de change. Nous voyons
deux points positifs dans la baisse du taux de
refinancement :
 cette baisse est un signal de politique
monétaire qui devrait dès lors soutenir le
sentiment de marché ;
 elle abaisse, ne serait-ce qu’à la marge, le coût
des opérations de refinancement des banques.
N°16/075 – 15 mars 2016
 Mario Draghi a tenu un discours ambigu sur
l’éventualité de nouvelles baisses des taux : il a
affirmé que, dans son analyse actuelle, la BCE
ne s’attendait pas à abaisser davantage les
taux et a ajouté que la BCE ne pouvait pas
abaisser les taux à des niveaux tels que cela
mettrait les banques à mal. Il a cependant
ajouté que la position de la BCE sur l’évolution
des taux pouvait changer si de nouveaux
éléments apparaissent.
 Le point le plus important, selon nous, est que
la BCE a écarté la possibilité d’un système de
dépôt à deux vitesses. De fait, la BCE ne
pourra pas abaisser davantage le taux de dépôt
sans mettre en place un système destiné à
réduire le coût de cette baisse pour les
banques. En définitive, de nouvelles baisses de
taux restent possibles, mais la probabilité d’un
tel scénario a clairement diminué.
Les mesures non
(1 sur 2) : le QE+
conventionnelles
La BCE a décidé d’augmenter le montant mensuel
de ses achats d’actifs de 20 Mds EUR. Nous ne
considérons pas que cette mesure soit bénéfique
pour l’économie de la zone euro. En effet, l’effet
positif de l’augmentation de la liquidité sera
contrebalancé par une nouvelle dégradation du
marché des obligations souveraines, avec des
conséquences négatives pour le marché du repo
(prise en pension de titres).
Nous estimons par ailleurs que la BCE n’a pas
suffisamment assoupli les règles encadrant les
achats d’actifs :
 Elle a relevé le plafond de détention par
émission à 50% pour les obligations
supranationales.
 Elle a annoncé l’ajout des obligations
d’entreprises à la liste des actifs éligibles : les
80 Mds EUR mensuels du QE peuvent donc
désormais être composés d’ABSPP, de
CBPP 3, de PSPP et du nouveau programme,
le CSPP (pour corporate sector purchase
programme).
2
BCE : « et croyez-moi, ce sera suffisant »
Louis Harreau
[email protected]
Nous manquons encore d’information sur le
CSPP : la BCE va acheter « des obligations bien
notées (investment grade) libellées en euros
émises par des sociétés non bancaires établies
dans la zone euro », mais a précisé que
« l’éligibilité des actifs qui seront achetés dans le
cadre du CSPP [sera] sujette à d’autres critères ».
Mario Draghi a ajouté que des comités de la BCE
étudieraient les spécificités de ce programme.
Nous ne savons pas encore si la BCE a l’intention
d’acheter autant d’obligations d’entreprises qu’elle
le pourra ou si ce programme restera de faible
taille (à l’instar de l’ABSPP) avec pour objectif
d’améliorer les conditions de financement des
entreprises. Nous sommes enclins à penser que la
BCE devrait se montrer prudente en entrant sur ce
marché, qui n’est pas très profond.
Nous continuons à penser que la BCE assouplira à
nouveau les modalités qui régissent les achats
(afin de faciliter leur mise en œuvre rapide) et
qu’elle
poursuivra
ses
achats
jusqu’en
septembre 2017, dans la mesure où, en mars
2017, l’inflation ne sera toujours pas en ligne avec
le niveau de 2% à moyen terme.
En conclusion, nous ne nous attendions pas à ce
que la BCE augmente le montant de ses achats
d’actifs et ne sommes toujours pas convaincus de
l’intérêt de cette décision.
Les mesures non conventionnelles
(2 sur 2) : les TLTRO II
La mise en place d’une nouvelle série de TLTROs
est, selon nous, la mesure qui aura de loin l’impact
le plus important sur l’économie de la zone euro.
La BCE va lancer quatre TLTROs entre juin 2016
et mars 2017.
Les nouvelles TLTROs auront une maturité de
quatre ans (la dernière, qui sera lancée en mars
2017, arrivera à échéance en mars 2021).
Le taux de ces TLTROs sera fixe et égal au taux
de refinancement au moment de leur lancement
(0% actuellement). Les banques qui dépasseront
leur objectif de prêts (l’objectif étant égal au
montant de prêts actuellement inscrit dans leurs
comptes) se verront appliquer un taux plus bas : si
elles dépassent leur objectif de 2,5%, le taux
appliqué sera celui de la facilité de dépôt (-0,40%
actuellement). Cela signifie que, si les banques
augmentent leurs prêts au secteur privé, elles
recevront une rémunération pour emprunter
auprès de la BCE.
Les banques ont la possibilité de basculer des
TLTROs I vers les TLTROs II, ce qui signifie
qu’aucune banque ne sera obligée de rembourser
les TLTROs I à l’avance dès septembre 2016 (en
raison d’un éventuel non-respect de l’objectif de
prêts), dans la mesure où les établissements
concernés auront la possibilité de basculer avant
cette échéance sur le TLTRO II.
Nous pensons que les TLTROs restent le
meilleur instrument pour accroître le bilan de la
BCE et soutenir le crédit bancaire – sans nuire
aux banques et sans créer de distorsion de
marché excessive – et qu’ils devraient prouver
leur efficacité à moyen terme pour l’économie
de la zone euro.
Bilan de la BCE : évolution anticipée avant les annonces Bilan de la BCE : évolution envisageable après les
du mars de mars
annonces du mois de mars
4500 Md EUR
Autres
4000
CBPP3
4500 Md EUR
LTRO
TLTRO
ABSPP
4000
PSPP
Prévision
3500
3500
3000
3000
2500
2500
2000
2000
1500
Jan-11
Jul-12
Jan-14
Source : BCE, Crédit Agricole CIB
N°16/075 – 15 mars 2016
Jul-15
Jan-17
Jul-18
1500
Jan-11
Autres
TLTRO
ABSPP
PSPP & CSPP
Jul-12
Jan-14
LTRO
TLTROII
CBPP3
Prévision
Jul-15
Jan-17
Jul-18
Source : BCE, Crédit Agricole CIB
3
BCE : « et croyez-moi, ce sera suffisant »
Louis Harreau
[email protected]
La BCE a-t-elle épuisé ses outils
disponibles ?
Non. Il est vrai que la BCE semble être allée aussi
loin qu’elle le pouvait dans l’environnement actuel,
mais nous restons convaincus que les mesures
qu’elle vient d’annoncer n’ont pas été dictées par
l’environnement actuel.
La réaction des marchés le jour de la réunion
montre que ces derniers craignent que la BCE ait
atteint les limites de son assouplissement : il est
clair que la BCE ne veut pas abaisser davantage
son taux de dépôt – et, comme nous l’avons déjà
évoqué, nous pensons qu’en l’absence d’un
système de dépôts à deux vitesses, une baisse
supplémentaire serait pénalisante pour les
banques et nous pensons que la hausse du QE
annoncée ce mois-ci est probablement à dernière
à laquelle il faille s’attendre.
Nous continuons toutefois à penser que la BCE n’a
pas de limite (elle peut à nouveau baisser les taux,
elle peut acheter davantage d’actifs), mais qu’elle
n’assouplira probablement pas davantage sa
politique si l’environnement général ne se dégrade
pas fortement.
N°16/075 – 15 mars 2016
Nous voyons cependant, dans les annonces du
mois de mars, un changement important dans la
position de la BCE : elle semble se focaliser moins
sur le taux de change (via des baisses de taux et
des mesures d’assouplissement quantitatif) et
davantage sur l’assouplissement du crédit (via les
TLTROs et les achats de titres d’entreprises). Les
marchés ont pu être déçus, ces dernières mesures
apportant sans doute un soutien moins marqué au
sentiment de marché, mais ce changement devrait
s’avérer bénéfique à moyen terme pour la zone
euro.
Nous devons à présent laisser les mesures de la
BCE produire leurs effets. Nous fondons de grands
espoirs sur la capacité des TLTROs II à améliorer
les conditions de crédit dans la zone euro. Une fois
de plus, nous sommes convaincus que la meilleure
manière de soutenir la croissance et l’inflation en
zone euro est désormais entre les mains des
gouvernements : les politiques structurelles et des
politiques budgétaires calibrées pour soutenir la
croissance restent la manière la plus simple et la
plus efficace d’améliorer la situation économique
en zone euro. 
4
BCE : « et croyez-moi, ce sera suffisant »
Louis Harreau
[email protected]
Crédit Agricole S.A. — Études Économiques Groupe
12 place des Etats-Unis – 92127 Montrouge Cedex
Directeur de la Publication : Isabelle Job-Bazille - Rédacteur en chef : Armelle Sarda
Documentation : Dominique Petit - Statistiques : Robin Mourier
Secrétariat de rédaction : Véronique Champion
Contact: [email protected]
Consultez les Etudes Economiques et abonnez-vous gratuitement à nos publications sur :
Internet : http://etudes-economiques.credit-agricole.com
iPad : application Etudes ECO disponible sur l’App store
Androïd : application Etudes ECO disponible sur Google Play
Cette publication reflète l’opinion de Crédit Agricole S.A. à la date de sa publication, sauf mention contraire (contributeurs extérieurs). Cette
opinion est susceptible d’être modifiée à tout moment sans notification. Elle est réalisée à titre purement informatif. Ni l’information contenue,
ni les analyses qui y sont exprimées ne constituent en aucune façon une offre de vente ou une sollicitation commerciale et ne sauraient
engager la responsabilité du Crédit Agricole S.A. ou de l’une de ses filiales ou d’une Caisse Régionale. Crédit Agricole S.A. ne garantit ni
l’exactitude, ni l’exhaustivité de ces opinions comme des sources d’informations à partir desquelles elles ont été obtenues, bien que ces
sources d’informations soient réputées fiables. Ni Crédit Agricole S.A., ni une de ses filiales ou une Caisse Régionale, ne sauraient donc
engager sa responsabilité au titre de la divulgation ou de l’utilisation des informations contenues dans cette publication.
No. 16/075 – 15 mars 2016
5