Efficacité et équité en formation des adultes
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Efficacité et équité en formation des adultes
Efficacité et équité en formation des adultes Coord. : I.Cherqui-Houot et E. Triby Efficacité et équité en formation des adultes : éléments de problématisation Isabelle Cherqui-Houot et Emmanuel Triby LISEC (EA 2310), UHP et ULP, Nancy et Strasbourg À l’origine de la thématique de ce symposium, il y a un double constat : la plupart des chercheurs comme des praticiens semblent douter de l’efficacité de la formation des adultes. De même, les travaux statistiques illustrent l’inéquité récurrente de cette même formation : « 2de chance » régulièrement invoquée, elle profite à ceux qui en sont déjà pourvus ou dont la position professionnelle est déjà d’une certaine façon favorisée (grandes entreprises, secteur public). Certes, la question de la mesure de cette efficacité comme de la définition de l’équité en la matière doit être posée mais cette convergence dans le négatif est à relever, non pour déceler on ne sait quel « effet pervers » ou « cercle vicieux », mais plutôt pour autoriser l’hypothèse suivante : l’efficacité et l’équité fonctionnent ensemble, vont du même pas... La question principale de la thématique proposée est de savoir comment on arrive à articuler ces deux questions. Une réflexion, même assez sommaire, aboutit à la conviction que le problème se situe dans la définition ou plutôt la conception que l’on a de l’équité et, derrière elle, des conceptions de l’éthique qui la fondent. Car finalement, la problématique de l’efficacité ne devient intéressante qu’en rapport à la question : efficace par rapport à quoi ? Un rapide inventaire des réponses possibles suffit à comprendre alors que la conception que l’on a de l’efficacité dépend de deux éléments : l’ancrage disciplinaire de l’analyste (le cognitif)1 et le point de vue privilégié (le politique). À cet égard, l’économie et la sociologie – notamment celle d’inspiration « individualiste méthodologique » - ont en commun de distinguer plus ou moins explicitement deux niveaux d’analyse (Mouchot, 2003 ; Piketty, 2004) : - le niveau de ce que l’on pourrait appeler le niveau de nature2 qui pose que, de même qu’il y a un mouvement spontané de l’humain vers l’action, vers la recherche d’un effet sur son milieu, en interaction avec les autres, il existe au sein de la société comme de l’économie des injustices dont la forme la plus courante et la plus explicite 1 On n’insistera jamais assez sur l’importance, déterminante, de cet ancrage disciplinaire. Les sciences de l’éducation tentent de simuler une sorte d’interdisciplinarité assumée, alors que la plupart des productions dans ce champ portent la trace de l’ancrage disciplinaire de leur auteur. A contrario, à force de jouer l’interdisciplinarité, les sciences de l’éducation finissent par dessiner une sorte d’archipel qui se constitue luimême en discipline. 2 « L’ordre spontané » serait également un bon terme, dans la filiation de P. Bourdieu, J.C. Chamborédon et J.C. Passeron parlant du « savoir spontané » de celui qui apprend (in Le métier de sociologue, Minuit, 1ère éd . 1968). 1 est l’inégalité de richesse et de droits. L’articulation entre ces deux domaines est au fondement même des sociétés et de leur dynamique historique ; - le niveau de l’intervention sociale et politique est la réponse construite, collective, réglée, formulée par la société face aux changements générés par le niveau de nature. Dans cette sphère de l’intervention, l’inégalité pose problème, tant du point de vue du vivre ensemble et de son fonctionnement quotidien que du point de vue de la pérennité de l’ensemble sociétal (Savidan, 2007). Dans cette conception duale, le marché est la « nature » face à un pouvoir régulateur, construit social et historique, qui peut aller jusqu’à s’y substituer. Entre une logique de l’arrangement interindividuel, d’appariement ou d’ajustement, vient s’opposer une logique de la régulation, de l’organisation réglée. À cet égard, il peut être aussi utile de rappeler la distinction proposée par les économistes entre redistribution « pure » et redistribution « efficace ». Dans la redistribution « pure », on fait confiance aux mécanismes de marché pour nourrir une amélioration tendancielle des du sort des plus démunis. Dans la redistribution « efficace », on considère qu’il faut intervenir dans la formation même des mécanismes de marché pour assurer une tendance à l’égalisation des conditions. Déjà s’ébauche l’idée que l’équité pourrait être aussi efficace, en fait aussi nécessaire que l’efficacité. Mais on pressent immédiatement qu’il ne s’agit peut être pas de la même nécessité. De quelles nécessités s’agit-il ? Ou plutôt : qu’est-ce qui les différencie ? L’efficacité serait du côté de la production et relèverait l’économique, l’équité serait plutôt de nature politique et sociale, et recouvrirait pour partie ce qu’on nomme éthique. L’éthique et l’économique sont les deux termes dialectiquement articulés de la nécessité propre aux sociétés humaines, qu’elle s’exprime sous la forme de l’idée – et les discours qui l’enveloppent – ou selon des modalités les plus pratiques, les plus matérielles. 1. Un modèle qui permet d’articuler les deux notions Dans cette optique, il est possible d’avancer que l’éthique est non pas l’opposé, mais le revers de l’efficacité, si l’on place ces deux phénomènes au niveau de la société, et non de l’individu ou des entités microsociales (entreprises, collectifs organisés...). L’éthique serait le pendant de l’efficacité mais dans l’ordre de l’anticipation, donc du plus long terme, et des croyances que les sociétés humaines doivent tendre à partager pour s’assurer une certaine pérennité. Survivre à elles-mêmes, et aux dommages de l’efficacité. L’éthique serait également le revers de l’efficacité en ce qu’elle serait, non pas (seulement) un discours, mais une ensemble de valeurs potentiellement actualisées, une manière de viser la mise en œuvre de ce qui paraît adapté à des besoins sociaux à long terme. Ce qui semble pratiquement et théoriquement établi, c’est qu’efficacité et éthique ont à voir avec la ou les valeur(s), qu’elles imposent de croiser le singulier et le pluriel, la valeur n’étant que l’expression de l’efficacité quand les valeurs sont celle de l’éthique. L’équité, principe organisateur de la pérennité du social, en fait ses conditions de survie à long terme, quand l’efficacité se confond avec le court terme, l’immédiat. L’équité puise à l’éthique et ses valeurs quand l’efficacité s’alimente à l’économique et sa valeur. L’éthique est une grammaire dont l’équité constitue une règle fondamentale depuis l’avènement de l’État libéral aux XVIIIème et XIXème siècles (Foucault, 2004). Et par ailleurs, l’équité constituerait d’une certaine façon le moteur de l’éthique conçue ici non comme discours sur le bien et les normes sociales mais sur un ensemble de croyances partagées, reconnues comme légitimes et significatives de l’état d’un rapport au monde. L’équité est ce qui permet de nommer les exigences d’un devenir commun comme horizon 2 possible, d’autant plus probable qu’il est conçu comme possible. L’éthique doit prendre forme, elle a aussi, comme l’efficacité marchande ses « investissements de forme », formes réelles ou formes symboliques. En ce sens, l’équité dont il est ici question n’est pas très éloignée de la justice telle qu’elle apparaît chez Luc Boltanski. En suivant De Blic (2000), on relèvera chez lui « l’idée de ne pas tout accorder à la force, mais de prendre au sérieux les compétences critiques des personnes et leur capacité à s’accorder aussi selon des principes de justice » (p.154). En retour, l’efficacité serait la forme sous laquelle l’éthique s’actualise : au modèle industriel qui a dominé depuis la deuxième moitié du XIX° siècle, viendrait aujourd’hui se substituer un modèle de la validation sociale et de la reconnaissance (Caillé, 2007). Une vaste et profond processus de socialisation des normes et des dispositions générées par l’économique serait en cours, bousculant les anciennes croyances partagées et les valeurs. D’où l’extrême actualité du thème de la reconnaissance. La dynamique de la personne La finalité de la formation pour l’adulte (ou la personne sortie du système de formation initiale) est la réinscription dans un projet, la reconstruction de soi à partir d’une analyse critique de son expérience, ses acquis, son histoire... Non pas « l’entrepreneur de soi » dans une société du risque, appuyé sur le discours de l’autonomie, mais seulement une volonté de sortir de la méprise ou de la déprise de son parcours. Traduit dans le champ de la formation des adultes , cela peut donner cette question élémentaire : pour quoi et à quoi nous formonsnous quand nous n’avons plus l’âge de l’éducation ? Telle pourrait être une formulation de notre question au fondement de notre modèle. On glisse du simple devenir, irrémédiable, au projet, que l’on voudrait maîtriser. Plus que l’autonomie, c’est l’emprise de la personne sur ce qui concourt à la fabriquer qui est en jeu. Et chacun, de plus en plus, est ici en position singulière. Contre la dépossession de soi, on pourrait opter pour quelque chose comme l’arraisonnement de soi : des actions de reconversion, des formations diplômantes, la VAE, un chantier d’insertion accueillant des personnes « éloignées de l’emploi » (cf. plus loin)... Le sujet qui constituait un frein à l’activité redevient un point d’appui, car ce sujet est mis à distance, la personne peut ainsi se reconstruire. L’arraisonnement saisi dans sa dialectique car s’il y a, comme l’a relevé M. Foucault, une emprise du raisonnable, du rationnel, de la rationalisation, il y a également un réalisme de la raison qui n’est ni simple pragmatisme, ni simple fatalisme, deux attitudes largement inspirées, malgré leur grande différence, de l’esprit du capitalisme contemporain. Il s’agit de faire advenir quelque chose qui nous est propre, approprié, dans un temps et un espace social dont on a d’autant plus la maîtrise qu’on a eu et pris les moyens d’en rendre compte. Le temps, les temporalités Dans un contexte de mondialisation et d’individuation, « la justice sociale ne renvoie pas simplement à des questions immédiates d’états de lieux, mais pose plus fondamentalement le problème de la discordance des conditions à l’égard du temps. Sans la prise en compte de la question de la temporalité, il est vain d’escompter une quelconque cohésion sociale » (Savidan, 2007 : 14). Dans ce double contexte, les individus sont dispersés entre le court, le présent, l’urgence, le déjà-là, et le long terme, la longue durée, entre l’histoire de la personne, entre faits quotidiens et mémoire, et l’histoire qui se poursuit... La question des temporalités, c’est d’abord celle de l’articulation entre le passé de l’expérience et les projets ou simplement le devenir réfléchi. Cette question est également celle des durées qui se croisent et parfois se télescopent entre le temps court de l’efficacité 3 économique qui semble imposer des formations courtes dites d’“adaptation“ et le temps long de la construction de la personne, qui exige des durées d’appropriation. C’est enfin l’entrecroisement des temps du développement des organisations et des systèmes avec ses tensions, ses accélérations et ses récessions, et le temps de développement des personnes. Une caractéristique commune semble reconnue à ces deux temps longs, par ailleurs bien distincts : l’abolition des cycles, cycles de croissance, cycle de vie de l’autre ; cela s’efface aujourd’hui et ne semble plus pouvoir servir que de référence intellectuellement confortable. La personne, le collectif : la reconnaissance Dans la formation des adultes, notamment les formations longues ou les formations de reconversion, il devrait y avoir un désir de reconnaissance. La formation est une manière de se présenter à soi et aux autres. « L’aspiration à la reconnaissance met en jeu un idéal d’authenticité où chacun est appelé à évaluer les conditions nécessaires à la réussite de sa vie (...) (et) déterminer ce que c’est d’être humain, dans une perspective avec les mêmes et les différents » (Monegani et Sadoun, 2008 : 122 et 123). Cette question est proprement cruciale car la reconnaissance n’est un désir nouveau qu’en tant qu’il constitue une critique d’un ordre social fondé sur la redistribution. « L’éradication de l’inégalité ne représente plus l’objectif normatif, mais c’est plutôt l’atteinte à la dignité ou la prévention du mépris, la « dignité » ou le « respect », et non plus la « répartition équitable des biens » ou « l’égalité matérielle » qui constituent ses catégories centrales. Utilisant une formule choc qui devait rapidement devenir paradigmatique, N. Fraser a qualifié ce changement de passage de l’idée de « redistribution » à l’idée de « reconnaissance » (Honneth, 2002). Ce désir de reconnaissance a une contrepartie, il recouvre une transaction sociale latente : reconnaître ce qu’on doit au collectif. Et pourtant la formation, des reconversions incertaines à la démarche de validation des acquis de son expérience, suppose de travailler à faire émerger ce qui nous est propre. La tension est immense : affirmer sa capacité à être différent, et pourtant s’inscrire dans des filiations et des liens. Reconnaître que nos appartenances sourdent encore par quelques adhérences, que notre histoire n’est pas qu’un simple parcours personnel, que si un réseau peut aider provisoirement à exister, il n’est jamais rien d’autre qu’une sorte de relais d’étape. Que peut faire la formation là-dedans ? Que doit-elle faire pour porter cette exigence ? Le savoir, les savoirs La savoir qui, au cours de la jeunesse, avait pu constituer un obstacle (formation initiale incomplète, ratés de la scolarité...) devient à nouveau, en formation d’adulte, un facteur de construction de soi. Par la médiation du savoir, dans sa tension constitutive qui le déploie des savoirs pratiques au savoir de référence, le sujet trouve le moyen de se défaire de la norme pour identifier son espace de normativité. En formalisant son activité pratique, il lui devient loisible d’en comparer les formes à celles adoptées par ses pairs et plus globalement à celles prescrites par le collectif. Il peut alors situer sa singularité et son « genre » professionnel au regard de la pluralité et de la diversité des savoirs collectifs : savoirs pratiques comme savoirs de référence. En somme, c’est un peu la normalisation vs la normativité (Schwartz et Durrive, 2003) : - face aux contraintes du travail, comment composer avec l’irrésistible tendance à la rationalisation taylorienne ? L’enrichissement des tâches, l’autonomisation des salariés, ne sont jamais que des dispositions temporaires avant la mise en œuvre de nouvelles modalités de prescription dans le travail, jusqu’au moment où le retour du réel appelle de nouvelles ouvertures à l’initiative, à des espaces de jeu. La formation des adultes doit trouver sa place dans ce mouvement dialectique. 4 - face à la distance par rapport à l’emploi, comment retrouver le travail, reconstruire le métier et permettre de se l’approprier ? L’efficacité formative se mesure à la capacité offerte de s’approprier son travail. L’équité formative s’apprécie aux conditions offertes à l’apprentissage individuel et collectif. Dans ces deux perspectives, il s’agit de donner une plus juste place à l’objectivisation de la règle (implicite), des savoirs (de référence) mobilisés, de même qu’il s’agit de construire des situations de travail qui impliquent l’apprentissage, c’est-à-dire le besoin de trouver de nouveaux modes de travail et les conditions de la réflexivité. 2. Une théorie de la valeur serait-elle utile ? Une notion pourrait servir à intégrer davantage encore cette approche : la valeur. La notion n’a apparemment pas le même sens au singulier – la valeur (plutôt celle des économistes) - et au pluriel – les valeurs (celles du moraliste ou de l’éthicien, pas celles du boursicoteur ou du trader). L’intégration est possible si l’on peut identifier un fond sémantique commun. À cet égard, il est utile de rappeler certains croisements entre la valeur et les valeurs3 : - les économistes, après en avoir fait l’objet central de leur réflexion et de leur dispute, ont fini par abandonner ce terme à l’insignifiant : la valeur correspondrait à l’utile, l’utilité... Autant décider que le terme n’a plus lieu d’être, l’objectivation minimale n’étant plus possible. En remontant l’histoire de la pensée économique, on redécouvre les Classiques, Marx (on pourrait remonter aux Antiques) : la valeur a quelque chose à voir avec le travail. - la valeur a bien évidemment le même radical qu’évaluation, mais également que valeureux... Et l’évaluation elle-même se déploie entre le contrôle (de conformité) au langage de l’action, individuelle et collective, et la valeur du valeureux, qui se mesure à son effort pour résister aux éléments et vaincre ; en somme, celui qui sait utiliser des contraintes, des conditions matérielles à la nécessité plus ou moins appuyée pour réaliser comme une sorte d’exploit : faire advenir quelque chose d’inespéré, d’inconcevable peut-être... - les valeurs morales et les valeurs boursières ont en commun le fait qu’elles sont principalement constituées de croyances partagées, d’adhésion commune, sans que ce qui justifie cette attitude soit nécessairement explicité. Elles relèvent également toutes deux de l’investissement : les valeurs boursières impliquent l’investissement d’un capital, les valeurs morales ne peuvent réellement exister que si elles sont l’objet de l’investissement psychique de chacun. Il faut accepter de donner quelque chose de soi pour espérer gagner quelque chose de plus, plus tard. Au singulier comme au pluriel, le fonds commun qui paraît émerger, c’est le travail : activité spécifiquement humaine, finalisée, marquant l’effort des humains pour générer quelque chose des conditions qui leur sont plus ou moins imposées (par leur activité même d’abord), acceptant de donner un peu d’eux-mêmes pour qu’une transformation ait lieu et génère du nouveau. À ce sujet, on s’appuiera utilement sur la distinction proposée par Pharo (2007) entre les valeurs, fonctionnelle, d’agrément, juridique et morale. « La valeur fonctionnelle » est celle d’une personne qui génère directement ou indirectement de la valeur par son activité et/ou par 3 Pour plus de précisions et une large diversité de points de vue, on se reportera au dossier de la revue Questions vives. L’état de la recherche en éducation, 6, 2006 : L’économie et l’éducation, un conflit de valeur (s) (coord. E. Triby). 5 son existence même. Le travailleur bien sûr mais aussi le vieillard grabataire car il induit tout un ensemble d’activités. « La valeur fonctionnelle des hommes est le résultat direct de la division organisée du travail social et reproductif des sociétés » (p.109). La « valeur d’agrément » se distinguerait de la « valeur fonctionnelle » et concernerait l’attractivité que pourrait produire une personne, par son apparence, ses attitudes, son comportement vis-à-vis de l’autre… Pharo note que les valeurs d’agrément « ont tendance à interagir avec les valeurs fonctionnelles » (p.112). En somme, la valeur d’agrément correspond à la capacité à se mettre en valeur. « La valeur juridique et morale » est le cœur de la reconnaissance, à la fois selon des règles de droit et selon des normes éthiques, les premières visant à garantir le vivre ensemble dans l’interaction entre les individus, les secondes à garantir que l’individu sera pris en considération du fait même de son humanité. Sommairement, ce troisième type correspond à la capacité à « mettre de la valeur » dans les relations qui se construisent entre individus, particulièrement lorsqu’il s’agit de reconnaître quelque chose de quelqu’un. 3. Au croisement des deux phénomènes : les dispositifs L’économique, c’est accepter de se soumettre non pas seulement au marché, mais à une contrainte d’efficacité dans l’insertion et la formation, le marché et l’efficacité entretenant entre eux des liaisons très indirectes et somme toute aléatoires. En rapport à la contrainte du marché, il convient de distinguer les partenaires du marché et les parties prenantes de l’entreprise. L’économie est ce qu’on organise pour entrer dans les finalités de l’économique, construire en tenant compte de ces contraintes. Ce sont en général des dispositifs qui, d’une certaine façon, constituent les modalités par lesquelles l’économique s’actualise (Agamben, 2007) : une trame organisationnelle se fait mécanismes, relations, contraintes, une intention d’instruire le social devient instrument de construction de l’activité. « Lorsqu’il s’agit de définir les moyens de la formation, le dispositif se conçoit en s’appuyant sur les motifs individuels, les intentions cognitives des acteurs.(…) Au fond, les dispositifs, en visant à aider l’apprenant à s’aider lui-même, représentent aujourd’hui une tentative curieuse, celle d’une instrumentation optimale de l’autonomie des acteurs – association paradoxale, ou tout au moins déroutante a priori, entre instrumentation efficace et autonomie maximale ». Cette association s’illustre notamment par un déplacement de la problématique de la connaissance, d’une logique de transmission du savoir vers une logique d’expérience ou d’expérimentation du savoir » (Peeters et Charlier, 1999 : 18). Moins pour appliquer un cadre théorique que pour poursuivre l’investigation sémantique et l’élaboration conceptuelle, on se propose d’analyser succinctement deux dispositifs pour nous significatifs du devenir actuel de la question de la formation des adultes. Dispositif 1 : un chantier d’insertion Comment s’articulent l’efficacité et l’éthique au sein d’une expérience de chantier d’insertion dans le bâtiment, ouvert à des personnes prétendument « éloignées de l’emploi » et pourtant à nouveau en activité salariée – pour 80% d’entre elles – après six mois de passage par ce dispositif ? Quels sont les ingrédients d’une innovation qui vise avant tout l’insertion professionnelle pour ces personnes comme signe d’une équitable efficacité ? La formation aux fonctions élémentaires du bâtiment sert en fait de prétexte et de cadre à quelque chose comme un arraisonnement de la marginalisation sociale et économique. 6 Le marché rencontre le social. Dans ce dispositif, c’est le marchand qui est déterminant car c’est la condition d’une insertion durable pour les personnes concernées. Le « social » est pris en compte parce qu’il constitue une contrainte de l’insertion ; il est donc impliqué non au titre d’une compassion ou d’un besoin d’ordre social, mais parce qu’il est en jeu dans chacune des personnes en insertion. La charge du « social » est d’abord celle des personnes concernées elles-mêmes avant d’être celle de la collectivité. En ce sens, d’ailleurs, il serait sans doute possible d’utiliser une notion clé de la didactique pour la transférer dans l’insertion : la notion d’objectif-obstacle. Seul compte le fait que des situations matérielles peuvent tout simplement empêcher le retour à l’emploi : si une personne a de graves problèmes de logement, cela constitue un handicap pour la « remise à l’emploi ». Mais le social n’est pas le traitement de tous les problèmes personnels de ces adultes. « Il faut faire la part des choses ! » : dans l’optique des porteurs de ce projet, cela signifie ne pas mélanger les différentes composantes de la problématique de ces personnes. Dans la pratique, cela suppose deux dispositions particulières : - réserver des temps à l’expression du « social » qui en réalité est le « personnel », ce que chaque personne fait et dit de ce qu’elle est : des problèmes concrets, du ressenti personnel (sentiment d’incompétence, par exemple) ou collectif (tensions internes au groupe, impression de malveillance…) et des représentations. C’est notamment le rôle des réunions plénières hebdomadaires, le vendredi matin, juste avant le nettoyage des outils et le rangement du chantier. Cela implique que l’encadrant “social“ n’a pas à se préoccuper par exemple du fait qu’un stagiaire est absent, sans explication. S’il est absent, c’est parce qu’il a des raisons de ne pas venir ; dans tout les cas, la règle est de prévenir l’employeur de son absence et de la justifier ; tout silence est donc, de prime abord, considéré comme un choix ; les personnes qui ont de bonne raisons d’être absentes préviennent toujours… Ce ne sont pas ses conditions de vie qui doivent les lui dicter : enfant malade, grosse fatigue… - répartir le travail entre les différents encadrants, même s’ils continuent à se partager les tâches fonctionnelles : un encadrant plutôt pour le « technique », l’autre plutôt pour le « savoir-être », l’autre encore pour le « social », en fait le traitement des problèmes individuels qui empêchent matériellement de poursuivre la démarche. La séparation des rôles est motivée par la nécessité de proposer aux bénéficiaires une équipe structurée donc potentiellement structurante… Le responsable du chantier remarque : « il y a une tendance à mélanger l’affect avec le reste et l’affect est le premier de nos refuges ». C’est pour cela que non seulement le social doit être géré dans un espace temps bien identifié, mais qu’il doit aussi relever d’une personne qui n’aura aucun moyen d’interagir sur le professionnel. C’est cela aussi la détermination par l’économique ; on considère que c’est la condition d’une certaine efficacité que d’avoir une approche forcément « partielle » de chaque personne en insertion ; c’est le moyen d’éviter une approche trop « personnelle » justement, une approche trop nouée, donc sans issue concevable. La distance par rapport à l’emploi est pensée ici comme une catégorie instaurant la difficulté d’insertion comme obstacle à l’emploi ; un « débat de valeurs » doit s’ouvrir, opposant formellement ceux qui affirment la primauté de l’emploi et du travail, et ceux qui affirment la primauté de la personne et son histoire. Mais cette opposition est-elle tenable ? Est-elle réaliste dans ces termes ? Qui prend au sérieux la personne et son histoire ? Celui qui, comme la majorité des organismes d’insertion, prend le temps d’un travail sur soi et une remise à niveau (Orianne et Marois, 2008), ou celui qui met la personne en demeure de comprendre ce que travailler veut dire ? Qui respecte le plus la liberté de ces personnes ? Parce qu’on a opté pour la seconde alternative, il est question ici de « remettre en emploi » (comme on remet le pied à l’étrier ou comme on réinstalle à une place, une position) et non d’insertion. La distance – ou l’éloignement - par rapport à l’emploi est une « invention », comme, à la fin du 7 XIX° siècle, celle du chômage, au fondement des politiques sociales de gestion de la mobilité, mais aussi de la légitimation d’un ordre national quand la mondialisation du capital impose la définition de frontières « protectrices ». C’est également une catégorie qui instaure et légitime une certaine répartition du travail entre les acteurs de l’insertion et de la gestion de l’emploi. Il faudrait sortir de cet ordre pour autoriser les personnes en difficulté à s’insérer… Dispositif 2 : la VAE Dès son origine, « la VAE est apparue comme une mesure équitable et susceptible de réduire les inégalités qui caractérisent le monde éducatif et celui de la formation continue » (Merle, 2008 : 22). « La loi sur la VAE tend à accentuer la valeur des diplômes en tant que gages d’aptitudes et de compétences au détriment de leur valeur distinctive » (ibid., p.24). Cela étant, le dispositif a mis en lumière des tensions particulières : - l’évaluation s’y situe au croisement du compromis de valeurs entre membres du jury et système de valorisation propre à un système de formation. « La délivrance de tout ou partie d’un diplôme sur la base d’un dossier et d’un entretien avec un jury est une procédure qui, pour n’être pas tout à fait nouvelle, n’en apparaît pas moins comme plus aléatoire et moins équitable que les épreuves traditionnelles » (Merle, 2008 : 23), moins efficace (car plus aléatoire) et plus inéquitable qu’un devoir sur table préparé dans l’intimité de l’activité scolaire de l’élève. - la valorisation des acquis de l’expérience par le truchement de leur mise en mots. La survalorisation des formes écrites auxquels conduisent les dispositions prévues par la loi (le dossier notamment) tend de facto à remettre en cause l’équité des moyens choisis et mis en œuvre : les publics les plus éloignés des formes scolaires ne disposent à l’évidence pas des mêmes probabilités de réussite que les populations « habituées » de la formation initiale ou continue. - la traduction du collectif en individuel et son inverse, l’appropriation et la socialisation des savoirs d’action. Mais aussi un désir de reconnaissance personnel qui peut s’appuyer sur la conscience d’appartenir à des « métiers en souffrance », des « fonctions en crise » (Bruneau, 2008) ou encore sur la perspective de participer à une histoire professionnelle en marche ; derrière le « projet » de la personne, une réalité collective. Le sens de la démarche VAE. Du point de vue de la transaction sociale, la VAE va plus loin que la formation des adultes : avec le VAE, le candidat accepte de soumettre son expérience à l’exercice d’une traduction par des savoirs académiques ou de référence ; plus encore, il accepte de réinterpréter son propre projet de vie dans les termes d’un acquis à valoriser dans un futur que, par là même, il contribue à construire. Symétriquement, des professionnels de ces savoirs de référence acceptent de soumettre ces savoirs, fonctionnant par la certification (diplômation) sous les attributs d’une monnaie, à la sanction d’une valeur d’usage, au risque de concourir à « l’inflation des diplômes » (Passeron, 1982). Le candidat, par ce travail sur son expérience tente de se défaire à la fois de ses déterminations et du collectif de travail qui l’a pourtant rendu possible ; c’est assez strictement ce que l’on peut comprendre comme une « quête de reconnaissance », dans le contexte de la subjectivisation contemporaine. Le jury de validation accepte de suspendre son jugement d’autorité, exercé habituellement aux termes de formations classiques, pour estimer le crédit qu’il accorde à un dossier de “preuves“ et son argumentation. Cette « habilitation intersubjective » (Roelens, 1999) donne corps aux « acquis de l’expérience » en reconnaissant que le travail effectué sur cette expérience a constitué un processus d’apprentissage (et non l’expérience elle-même). 8 La dynamique de la démarche. La démarche VAE instrumente la double transaction (Dubar, 1992) à la fois en appelant la transaction de soi à soi puisque l’objectif est de traduire son expérience en signe susceptible de lui donner une autre valeur et ainsi de donner à la subjectivation, à l’origine de la démarche, la réalité d’une forme “monnayable“ ; et la transaction entre le candidat et le jury, transaction entre des savoirs incarnés, d’expérience, et des savoirs de référence, académiques. Ce croisement articule une troisième transaction, tout aussi déterminante, entre le candidat et son “accompagnateur“ qui, en réalité, va redoubler la double transaction fonctionnant comme trame de la démarche : jouant le rôle du tiers médiateur, l’accompagnateur offre des points d’accroche et des occasions d’opérer la transaction personnelle, de même qu’il éclaire sur la grammaire autant que le lexique qui donneront aux savoirs d’expérience les caractéristiques du savoir de référence dans le dossier et dans cadre de l’entretien avec le jury. Ces micro-ajustements mettent en jeu les identités sociales et professionnelles des trois partenaires qui acceptent de suspendre le jeu de leur position sociale respective pour participer à ce « compromis pratique » (Ledrut) sur le projet d’une personne. Implications et perspectives critiques. Une première implication a trait aux univers entre lesquels la VAE « établit des règles d’équivalence » (Bonami), qui sont également des « oppositions structurantes » dont la validation concourt à montrer la cohérence existentielle : entre deux systèmes de valeurs, la valeur économique, sanctionnée par le marché, et la valeur de gratuité, mesurée à l'aune de la progression historique des savoirs et des modalités de leur socialisation ; entre deux temporalités : le temps séquentiel, celui des trois âges de la vie (formation, activité professionnelle, retraite), et le temps continu, celui de la “formation tout au long de la vie“ ; entre deux institutions étrangères l’une vis-à-vis de l’autre : l'entreprise et la sanction économique de la valeur du capital humain - et l'institution de formation - et la sanction "pédagogique" de l’apprentissage formel ; entre deux sphères, celle du privé, du vécu, de la subjectivité, et celle du public, du socialisé, de l'objectivable ; entre l’expérience personnelle, intime, et l’expérience professionnelle, forcément partagée. Une seconde implication se joue dans la réflexivité propre au processus de validation. La sanction de la « valeur de la personne » (Pharo, 2007) qu’est le jugement du jury VAE, est possible par une triple réflexivité : celui du candidat sur son expérience, ou plutôt sur son devenir par son expérience ; celle des « accompagnateurs » sur le rapport d’accompagnement et ce qu’il engage, mais aussi, ses propres conceptions de l’activité et des savoirs qui y sont en jeu ; celle des membres du jury sur leur rôle d’évaluateur d’une réalité extérieure à l’institution (l’expérience professionnelle) mais également sur leur rapport aux savoirs académiques. Pour que la démarche de VAE devienne un apprentissage, les trois acteurs doivent être également impliqués dans cette réflexion concourant à faire re-connaître un passé pour légitimer un projet de devenir. Ce compromis de valeur fait avancer l’autonomisation des partenaires vis-à-vis de leurs attachements professionnels et personnels et marque ainsi une possible expression de la citoyenneté sur la base de la valeur de son activité propre que chacun apporte dans le processus de validation. Cet engagement n’est évidemment pas dénué de tensions et de résistances à la mesure des adhérences symboliques et pratiques toujours résurgentes. Perspectives pour le symposium Pour rester dans la perspective théorique privilégiée, ce symposium devrait travailler dans trois domaines, trois directions : à commencer par l’articulation entre efficacité et équité, bien sûr. Appuyé sur cette articulation, il convient également de tenter de mettre au jour ce qui 9 pourrait constituer les axes de la dynamique de cette question. Enfin, notre réflexion commune doit être l’occasion de revisiter à nouveaux frais certains concepts et théories. Nous pensons avoir montré de façon plutôt convaincante qu’il existe bien une articulation forte entre efficacité et équité ; cette articulation ne peut plus aujourd’hui être pensée en termes de contradiction mais de tension dialectique. Le débat dans ce symposium laisse espérer que cette articulation en sortira renforcée, au moins confortée, ébauchant une autre configuration du fonctionnement à long terme des sociétés. Une telle entrée problématique pose des questions nouvelles à la formation des adultes, notamment la réflexion sur les fins. Dans un contexte historique qui s’est ouvert au début des années 1990 par un appel à une « culture de l’évaluation », l’orientation de la réflexion semble porter davantage sur la possibilité de croiser des attentes différentes voire divergentes, ou de formuler des projets qui concentrent pour un temps déterminé les volontés et les ressources. Cette différence de conception est nécessaire au bon fonctionnement du projet. C’est ainsi davantage du côté de la conceptualisation que l’on doit se situer : « la dynamique de la formation nous semble aussi tributaire de trois processus majeurs : processus de traduction, de problématisation, de transaction, à partir desquels il est possible de coconstruire des grilles d’analyse et d’évaluation » (Jorro, 2007 : 112). Tout au long de cette contribution introductive, des notions-clés et des concepts ont été mobilisés ; entre histoire sociale et sociologie des savoirs, émergent notamment le concept de dispositif et la théorie de la traduction. On peut espérer que ces concepts sortiront densifiés, enrichis, par notre réflexion commune. Bibliographie Agamben, G. (2007), Qu’est-ce qu’un dispositif ?, Paris : Payot. Bessy, et Eymard-Duvernay, F. (1997), Les intermédiaires du marché du travail, Paris : PUF. Bruneau N. (2008), VAE : évaluation quinquennale, Actualité de la formation permanente, 212, pp.710. Caillé, A. (ed.) (2007), La quête de reconnaissance, Paris : La découverte. De Blic D. (2000), La sociologie politique et morale de Luc Boltanski, Raisons politiques, pp. 153156. C. Dubar (1992), Formes identitaires et socialisation professionnelle, Revue française de sociologie, XXIII, pp.505-529. Eymard-Duvernay, F. (2007), Pour une citoyenneté économique, Alternatives économiques, 259, juin. Foucault, M. (1975). Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris : Gallimard. Foucault, M. (2004). Naissance de la biopolitique (cours de 78-79), Paris : Seuil et Gallimard. Freynet M.C., Blanc M. et Pineau G. (coord.) (1999), Les transactions aux frontières du social, Lyon : Chronique sociale. Honneth A. (2002), Reconnaissance et justice, Le passant ordinaire, 38, janvier - février. Revue en ligne : http://www.passant-ordinaire.com/revue/ Jorro A. (2007), L’alternance recherche – formation – terrain professionnel, Recherche et formation, 54, pp.101-114. Merle, V. 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Schwartz Y. et Durrive L. (2003), Travail et ergologie. Entretiens sur l’activité humaine, Toulouse : Octares. Vincent, J. (2006), Universités : un diplôme et un emploi pour chaque étudiant, Les notes du Lirhe, 437, Toulouse. 11 Quelle place pour l’équité d’accomplissement en formation professionnalisante ? Anne JORRO Université de Toulouse CREFI-T La professionnalisation des acteurs dans les masters professionnels s’inscrit dans un contexte d’ouverture du monde universitaire vers le monde du travail. Omniprésente dans le champ socio-économique, l’efficacité s’impose comme la norme du pilotage des systèmes et dispositifs de formation dans l’enseignement supérieur. De manière concomitante, la valeur d’équité constitue un principe majeur dans le contexte de demande de justice sociale et de reconnaissance des acteurs. Si ces deux principes imprègnent les modes de gouvernance, un point limite semble se dessiner lorsqu’ils sont confrontés à certaines conceptions du développement professionnel. Des conflits de valeurs émergent dès lors que le registre universalisant du discours gestionnaire se heurte à l’approche singulière que supposent les processus de transformations des acteurs sur une année de formation. Ces valeurs accueillent des significations différentes en fonction des points de vue adoptés et des ordres de grandeur privilégiés (Boltanski et Thévenot, 1991). Notre communication se centrera sur la valeur d’équité et interrogera ses différentes acceptions. Les politiques européennes, les discours institutionnels insistent sur les approches pragmatiques et s’accordent sur le principe d’une équité d’accès vers les formations. Telle qu’elle est promue, cette valeur rend compte d’une logique des usages de la formation. Le stagiaire est conçu plutôt comme un futur professionnel devant « faire la preuve » de la mobilisation de compétences professionnelles, moins comme un sujet impliqué dans un processus de professionnalisation. De même, un consensus existe sur le critère d’équité d’accomplissement, notamment sur la conception externe de ce critère. L’accomplissement se traduisant par l’intégration professionnelle du stagiaire sur le marché de l’emploi (premier emploi, reconversion, promotion). L’équité d’accomplissement repose ainsi sur une conception instrumentale du parcours de formation. Cette situation nous paraît problématique si l’on considère que les changements vécus par les stagiaires en formation constituent autant d’épreuves à surmonter. La possibilité de se développer professionnellement mobilise plusieurs registres existentiels, pragmatiques, éthiques. Dès lors, l’équité d’accomplissement supposerait la prise en compte d’un critère interne à côté du critère externe utilisé par les économistes. Une double acception du critère d’équité d’accomplissement nous semble nécessaire : une « approche processuelle » à travers la mise en évidence de l’engagement des sujets dans leur projet de professionnalisation ; une approche « résultats ou effets de la formation » rendant compte de la transformation du projet professionnel dans le monde du travail. L’équité d’accomplissement ne conduit-elle pas à envisager la place accordée aux processus de reconnaissance des formés par l’institution et, notamment, à situer son rôle devant la norme d’efficacité des formations professionnalisantes ? 12 I – Le «tout compétence » La réforme qui affecte les universités depuis le processus de Bologne a entraîné un mouvement de rationalisation dans la conception des formations. Désormais, tout diplôme est soumis à la démarche d’explicitation et de formalisation des compétences visées. Requises pour l’habilitation des diplômes, les fiches RNCP (répertoire national des compétences professionnelles) garantissent une lisibilité opératoire des contenus de formation. Cette volonté de traduction conduit à des réaménagements. La coutume universitaire qui instaurait une sorte d’évidence dans les enseignements proposés est interpellée de sorte que les universitaires sont mobilisés sur la lisibilité de l’offre de formation. Au-delà de la refonte des modes d’exposition des contenus de formation, l’approche par compétences modifie aussi la conception du curriculum. La modularisation succède à une approche plus cumulative des enseignements et oblige à penser en termes de parcours de formation. La conception du curriculum évolue vers la transversalité à travers la création de troncs communs d’où rayonnent des modules de spécialisation. L’approche curriculaire accorde une place non négligeable à l’action du stagiaire en organisant des dispositifs de mise en situation professionnelle. La formation s’entend donc par l’acquisition d’un capital culturel transversal et spécifique, par l’incorporation de compétences professionnelles. Or, la professionnalisation telle qu’elle est éclairée par la recherche (Bajoit 2006, Barbier 1996, Beckers 2007, Bourgeois 2000, Kaddouri 2001) tend à montrer d’autres dimensions constitutives du développement professionnel comme la mobilisation de composantes identitaires, la construction de représentations professionnelles, la caractérisation des processus d’engagement. Force est de constater que l’approche par compétences tend à voiler ces dimensions moins visibles du développement professionnel et valorise de ce fait le registre fonctionnel. Ne s’orienterait-on pas vers une formation qui doterait le stagiaire de répertoires d’actions sans lui donner la possibilité de construire des savoirs professionnels personnels (Eraut, 2007) et de se reconnaître dans son style professionnel ? La conception de la formation alignée sur le « ce qu’il convient de faire » constitue un parti pris à identifier. Parti pris qui éloigne le sujet des variations possibles, des gestes de bricolage comme de ceux de braconnage (De Certeau 1981, Jorro 2002). La conception de l’offre de formation a un effet non négligeable sur les dynamiques de transformations des acteurs. Si les compétences professionnelles répondent aux attentes d’efficacité du monde du travail, leur valorisation laisse au second plan les processus de construction identitaire, les conflits de valeurs éprouvés par les acteurs, les significations qu’ils accordent aux situations. Les travaux de recherche issus de la psychologie du travail mettent en évidence que, pour les acteurs, les significations importent tout autant que la détermination de buts (Clot, 1999). D’autres travaux dans la formation des adultes montrent la nécessité de construire des grilles d’analyses des situations de formation suffisamment complexes pour saisir les rapports établis, le sens construit, les significations données en formation (Barbier 2000). De même, Bourgeois (2000) met en évidence les racines subjectives des processus d’engagement en formation. Autrement dit, l’effectuation de l’action, son efficacité ne peuvent primer sur le sens qu’elle revêt. De ce fait, n’y aurait-il pas nécessité de concevoir des évaluations articulant l’intelligibilité des processus à l’oeuvre dans l’action aux résultats obtenus ? En mettant en regard l’approche des « process » via les compétences professionnelles et celle du positionnement professionnel (Wittorski, 2007), rendant compte de l’investissement des 13 stagiaires, il s’agirait alors d’ouvrir le développement professionnel à des dimensions existentielles, intersubjectives, éthiques et stratégiques. Les formations universitaires courent le risque d’une instrumentation excessive sur des objets visibles, parfois trop visibles tant ils oblitèrent d’autres dimensions. L’imaginaire de la gestion qui prime dans l’approche par compétences nous paraît réducteur du point de vue de la reconnaissance des acteurs (Jorro, 2008). Selon De Gaulejac (2005), un tel imaginaire conçoit l’acteur comme un facteur parmi d’autres. Il importe alors de réfléchir à la place du sujet dans les conceptions du développement professionnel. II- Quelle conception du développement professionnel ? Les conceptions du développement professionnel sont aujourd’hui plurielles (Uwamariya & Mukamurera, 2005), elles s’inscrivent dans des approches développementales (sujet épistémique), des approches situées (Eraut, 2007, Lave & Wenger 1991, Mottier-Lopez 2007), des approches pragmatiques valorisant la navigation professionnelle (Le Boterf, 2007). Notre conception prend appui sur des approches philosophiques et anthropologiques de l’agir humain, où les processus évaluatifs jouent un rôle de levier dans le développement professionnel, reconnaissant l’acteur dans ses potentiels, dans sa capacité à apprendre, en situation et à partir des situations, dans sa capacité à ajuster son action. • Du côté philosophique : La théorie de l’homme capable élaborée par Ricoeur (2004) attribue un rôle majeur au sujet agissant, compris, non pas comme le simple exécutant de gestes mais comme l’initiateur de l’action, en mesure d’attester de ses actes. Son engagement dans l’action et la manière d’en rendre compte caractériseraient l’agentivité de l’acteur. Cette approche reconnaît la puissance d’agir du sujet, le conçoit comme un être auto-positionnel, réfléchissant aux significations et à la portée de ses actes. Le rapport que le sujet entretient avec l’action constitue un analyseur puisque ce rapport peut osciller de la passivité à l’engagement, du simple déroulement de l’action à son amplification, de stratégies d’évitement à la prise de responsabilité. L’agentivité est donc une question essentielle dans le champ de la professionnalisation des acteurs de l’éducation et de la formation parce qu’elle met en évidence la part que le sujet prend dans la compréhension de son action, dans son infléchissement, dans son ajustement. Ce qui tendrait à montrer sa capacité d’autoréalisation. L’accomplissement dont serait capable le stagiaire en formation reviendrait à interpeller la manière dont il se positionne dans son parcours de professionnalisation. La question de l’accomplissement des sujets ne peut être rabattue exclusivement sur une approche par compétences. Et ce d’autant plus que l’agentivité est étroitement liée à la problématique identitaire ; la constitution du sujet renvoyant au travail incessant de toute personne quant à la construction d’une cohérence interne. Le philosophe distinguera une identité (ipséité) qui se recompose au fur et à mesure des expériences vécues, qui s’éprouve par un jeu d’altérations de l’identité (idem) qui se fige dans une enveloppe identitaire. Chez Ricœur, cette problématique dépend d’un rapport dialectique entre l’identité - idem relevant de la permanence d’un caractère dans la durée et l’identité – ipse caractérisant le changement. Ricoeur propose une double lecture de l’identité, entre permanence et changement, qui fait écho dans le champ de la professionnalisation. Pour les stagiaires en formation, l’ipséité suppose une identité engagée qui se construit dans les situations, l’identité idem relevant alors de la construction d’un éthos professionnel, c’est-à-dire d’une identité fondée sur les valeurs et normes professionnelles structurant son activité. Les tensions identitaires qui résultent de 14 ce double jeu de l’identité accaparent les formés. Il s’agit à la fois de se positionner différemment selon les contextes en mobilisant des postures congruentes avec ces contextes sans perdre de vue une manière d’agir comme professionnel. Entre postures professionnelles et éthos professionnel, se situent les enjeux identitaires car il s’agit pour le stagiaire de se reconnaître dans ces deux registres identitaires. Le questionnement sur les dynamiques identitaires est donc capital pour penser une professionnalisation pertinente et efficace. • Du côté anthropologique : Gebauer et Wulf (2004) conçoivent l’agir humain comme un remodelage incessant d’actes, de pratiques héritées combinées, transformées. En accordant une grande importance au corps agissant, à la gestualité, au non verbal, les auteurs mettent en évidence le fait que le corps unit le sujet au monde, qu’il intériorise la société. La plasticité du corps faisant de celui-ci un médiateur entre le sujet agissant et le monde, il s’en suit une rupture avec les représentations habituelles, «on considère rarement les hommes comme des personnes qui existent physiquement ; au contraire, on considère abstraitement leurs actes comme des normes, des règles, des lois, des formes d’échanges, des attentes, des rôles et des décisions rationnelles ». (p.12). La théorisation proposée nous semble pertinente pour analyser la manière dont le stagiaire mobilise des gestes du métier qui lui préexistent, qu’il a déjà rencontrés dans sa vie personnelle, qu’il a observés, étudiés, perçus, interprétés, refusés, et réajustés selon son propre rapport à l’activité. L’activité conduite dans les mises en situation professionnelles dépendrait d’un sujet social, historique, culturellement situé. Les gestes professionnels témoignent d’une implication de l’acteur, ils marquent une qualité opératoire et symbolique (Guérin, 1995). Ils constituent un niveau de caractérisation de l’activité plus précis que celui proposé par les compétences professionnelles. Les gestes deviennent professionnels lorsqu’ils témoignent d’une liberté d’action, lorsqu’ils sont mobilisés au bon moment, lorsqu’ils sont destinés à autrui. (Jorro, 2002). Le professionnel agit sur le mode de l’engagement et la compréhension de ses actes suppose une lecture non pas seulement opératoire, mais symbolique, culturelle, expérientielle. La conception du développement professionnel prend source dans une approche phénoménologique de l’homme capable, elle permet de considérer les processus autoévaluatifs à l’oeuvre lorsque le sujet est en mesure d’attester de ses actes (Jorro, 2007). Cette conception est exigeante pour le sujet : non seulement il est l’initiateur d’une action mais aussi il en devient l’auteur une fois l’activité effectuée et, à ce titre, en assume la responsabilité. C’est dire qu’il a fait sienne l’idée que l’acte ne porte pas en soi sa rationalité et qu’il lui incombe de mobiliser des processus réflexifs. En ce sens, l’homme capable peut recourir à la fonction critique. Se professionnaliser revient donc à faire l’expérience d’une tension entre le désir de cohérence dans la construction d’une identité professionnelle, la recherche d’une pertinence et d’une efficacité de et dans l’activité. III- Le développement professionnel selon le point de vue des stagiaires Une recherche conduite durant l’année 2008 en formation master professionnel auprès de 20 étudiants cherchait à identifier comment ces derniers incorporent les règles, normes valeurs professionnelles visées pour les métiers du conseil (Jorro, 2009). Le corpus de la recherche, constitué de 20 entretiens en milieu de formation, de vingt autoévaluations écrites en fin de formation, a fait l’objet d’analyses de contenus. 15 Les entretiens portaient sur les évolutions du projet professionnel (du mois de septembre au mois de janvier), sur les expériences formatives vécues comme constructives par les stagiaires, sur la construction de compétences professionnelles. L’analyse de ces entretiens permet de noter l’importance que revêt pour chaque stagiaire la dynamique identitaire vécue en formation et la valeur accordée aux mises en situations professionnelles parce qu’elles sont l’occasion de vivre des actes professionnalisants. • Au niveau identitaire : Les préoccupations identitaires des acteurs relèvent du « vouloir agir comme un professionnel » et supposent un temps de projection vers le monde professionnel. Lorsque cette projection se réalise l’étudiant évolue du rôle d’étudiant vers celui de stagiaire, puis du rôle de stagiaire vers le rôle de novice (ou de professionnel se perfectionnant dans le cas de professionnels en reconversion). Se professionnaliser revient à construire une place de stagiaire en formation : les stagiaires font la différence entre l’attitude qu’ils pouvaient avoir à l’université dans les formations académiques et l’attitude qu’ils gagnent dans un parcours de professionnalisation. A la passivité de l’étudiant, ces stagiaires très engagés dans la formation répondent par l’envie d’en découdre et de se débrouiller. Bourgeois (2006) souligne que l’implication du sujet en formation serait d’autant plus forte que le stagiaire saisirait la valeur ajoutée de celleci dans la poursuite de sa quête identitaire. Sur une promotion de 20 étudiants, un quart est resté dans un rôle d’étudiant tout au long du parcours de formation, prenant conscience en fin de cursus de la nécessité de se positionner autrement sans vraiment être en mesure de vivre cette mutation identitaire. Le manque de confiance en soi, le fait de ne pas oser se lancer ont généré une forme d’immobilisme. Les stagiaires qui sont entrés dans une dynamique identitaire expriment souvent l’obstacle psychoaffectif qui les inhibe un temps et qu’ils ont combattu à leur manière. Cette recherche est confortée par les travaux de Chaix (2008) dans les formations alternées. Pour les professionnels en reconversion, qui déclarent « savoir ce qu’ils veulent », la construction d’une posture de stagiaire se pose autrement : le fait de revenir sur les bancs de l’université implique de trouver sa place. La problématique identitaire évolue ensuite vers le fait de d’être perçu comme un collègue novice ou un « presque collègue »: ce passage concerne les stagiaires qui ont pu en stage mettre en œuvre des actions qu’ils présentent comme enrichissantes et qui peuvent apporter un service au collectif de travail. Le regard des professionnels peut changer et le stagiaire agir comme novice. « Au début du stage, je me sentais dans la peau d’un stagiaire. Au fur et à mesure que le temps a passé, j’ai senti que l’on me faisait plus confiance et que ma part d’autonomie devenait plus large. Ma posture de stagiaire devenait une posture de collègue avec tout de même une certaine réserve. » L’analyse des entretiens montre que le caractère professionnel qui se manifeste à travers une posture reste un objectif majeur chez les stagiaires. La nécessité de prendre confiance en eux, d’oser mobiliser des ressources personnelles et professionnelles devant autrui et de faire valoir leur point de vue en situation de travail représentent autant d’épreuves identitaires. Dès lors, les compétences professionnelles, parlées en termes de savoirs professionnels, n’apparaissent qu’au second plan. 16 • Au niveau de l’action, l’expérience d’un acte professionnalisant : L’analyse des entretiens comme des évaluations de fin d’année montre l’importance de l’acte professionnalisant, lequel revêt le caractère d’un passage à l’acte, transformant le stagiaire, lui donnant le sentiment d’avoir gagné une étape dans son processus de professionnalisation. Il est donc question de la découverte d’un pouvoir d’agir qui initie le stagiaire au monde du travail. Les actes professionnalisants marquent une différence avec la situation initiale telle qu’elle se présentait avant l’intervention du stagiaire. Autrement dit, l’activité effective crée un écart significatif qui situe le stagiaire à une autre étape de son développement professionnel. Le processus de développement professionnel ressemble à un acte d’initiation au sens que lui donne Van Genep (1987) comme processus de transformation du statut social de l’individu. La structuration du rite de passage dégagée par l’anthropologue peut être transposée dans le contexte de la formation alternée puisque les stagiaires évoquent leur expérience de stage comme des situations de franchissement de seuils : -Avant de faire, le stagiaire puise dans ses ressources personnelles et environnementales pour définir une démarche qui lui paraît pertinente, - au moment d’agir, il se donne la motivation nécessaire pour se lancer dans l’activité, il ose agir y compris dans un contexte incertain. Son engagement lui apparaît coûteux au plan identitaire comme au plan social, puisque le regard sur soi et le regard des autres - après l’action, il peut analyser la qualité de son action, capitaliser ce savoir, et le rendre disponible pour d’autres situations. Au cours des entretiens conduits en janvier, les actes professionnalisants relèvent plus du sentiment de réussite (Bourgeois, 2006) tant ce qui importe c’est de se reconnaître en développement professionnel en identifiant les enjeux qui relèvent des apprentissages professionnels en cours ou à venir. Le sentiment de réussite marquant l’engagement positif du stagiaire. Les autoévaluations de fin d’année sont plus ciblées sur les compétences construites à partir du stage long du second semestre. Contrairement aux analyses effectuées à partir des entretiens, les autoévaluations rédigées au mois de juin mettent en évidence la valeur ajoutée du stage et, plus précisément, l’importance des actes professionnalisants dans la construction des compétences professionnelles. En fin d’année, les mêmes stagiaires évoquent le sentiment de réussite comme un effet du sentiment d’efficacité (Bandura, 1997). IV – L’équité et ses déclinaisons Portant le principe d’une justice sociale, l’équité représente pour les économistes une façon de partager les investissements dans le champ éducatif. L’équité d’accomplissement est appréciée selon un point de vue externe « une fois sortis du système, les personnes ou les groupes ont les mêmes possibilités d’exploiter les diplômes ou compétences acquises, c’est-àdire de se réaliser en tant que personnes ou groupes dans la société » (Sall & De Ketele, 1997, p.137). Cette approche externe repose sur l’exploitation du projet professionnel par le stagiaire. Si l’on prend comme base d’appréciation le critère externe, il s’agira de porter le regard au-delà de la formation en considérant notamment le parcours ultérieur du stagiaire en matière d’emploi, de reconversion professionnelle, de promotion professionnelle. A ce point de vue externe, il nous paraît important d’ajouter un point de vue interne. L’équité d’accomplissement peut être appréciée selon le projet de professionnalisation du stagiaire. Dans ce cas, l’équité d’accomplissement revient à poser la question de la possibilité pour un acteur de mettre en œuvre le projet professionnel qui est le sien. De faire valoir en formation ce qu’il désire réaliser, d’agir au nom de ce projet lors des situations proposées dans le cadre 17 de l’alternance, d’accepter les ajustements nécessaires et de savoir renoncer en partie à des idées irréalistes. Il ne s’agit donc pas de faire valoir une égalité de traitement uniformisante, ce qui reviendrait à effacer les singularités mais à permettre des libres choix. La formation serait le l’espace-temps privilégié pour une « démocratie des capabilités » (Renaut, 2007). L’équité d’accomplissement concerne aussi la manière dont le stagiaire apprécie son positionnement en formation, l’interaction avec ses pairs, avec les intervenant, les défis que constituent les mises en situation professionnelle, les constructions sociales, intellectuelles, pragmatiques rendues possibles dans le cadre de la formation. Le sentiment d’une autoréalisation ne conduisant pas à établir un rapport d’équivalence entre l’identité désirée et l’identité engagée mais un rapport de pertinence au regard de l’expérience vécue et des ajustements et modifications supposées par le réel de l’activité de formation. Du point de vue du responsable de formation (et des encadrants), l’équité d’accomplissement concerne la capacité de saisie et de transformation des opportunités rencontrées en formation par le stagiaire. La question suivante est posée : comment le stagiaire tire-t-il parti de sa formation ? comment se positionnait-il à l’entrée en formation, en cours de formation, après les stages, en fin de formation, trois mois après la formation. La formation a-t-elle favorisé tant par son architecture, que par ses modalités interactives un développement professionnel pour chacun des stagiaires ? En reprenant l’analyse à laquelle procède Renaut (2007) sur la théorie des capacités élaborée par l’économiste Amartya Sen, il s’agit de considérer les modes de fonctionnement des individus leur « égale aptitude (…) à convertir des moyens en résultats conformes à leur conception de la vie » (p.59). C’est dire que l’équité d’accomplissement intègre non pas seulement le point de vue externe pris en compte par les économistes mais qu’elle suppose aussi l’appréciation des processus de formation avec le point de vue interne. L’équité d’accomplissement traduit un niveau de réalisation élevé pour le sujet. Les processus de transformations générés par la formation ne relèvent pas obligatoirement de l’équité d’accomplissement. Cette précision oblige à caractériser l’équité en formation selon quatre niveaux : 1. L’équité d’accès en formation : ce critère souvent utilisé par les économistes de l’éducation rend compte d’une équité fondamentale, celle permettant à toute personne d’accéder aux formations. L’équité d’accès peut être comprise comme la possibilité de se confronter à des savoirs inédits, jusqu’alors réservés pour un public spécifique. Des limites se posent à ce premier niveau : il ne suffit pas de fréquenter un dispositif de formation. Il ne suffit pas d’accéder, ni de rencontrer sur son parcours des savoirs encore faut-il tirer parti de ces offres de formation dans la durée. Les universités se posent aujourd’hui la question du décrochage des étudiants, le critère d’accès suppose l’adjonction du critère de maintien. 2. L’équité de ressources : la formation offre-t-elle les conditions pour que les processus de transformations visés aient lieu. Des moyens sont –ils mis en oeuvre ? Que ces moyens relèvent des ressources humaines, de dispositifs de formation, de démarches formatives, instrumentées… 3. L’équité d’accompagnement pédagogique : la formation propose-t-elle à chaque stagiaire un encadrement individualisé et collectif qui permettrait un développement professionnel ? Ce critère permet d’éclairer la nature des médiations, notamment de valoriser les médiations formatives proposées aux stagiaires pendant la formation. Mais aussi de pointer la faiblesse de certains dispositifs. Ainsi, dans le domaine des dispositifs d’aide aux étudiants, Michaut (2003) montre leur faible efficacité. 18 4. L’équité d’accomplissement : la formation permet-elle à chaque stagiaire de conduire son projet de développement professionnel, quel que soit le point de départ et les contextes professionnels dans lesquels les stagiaires se sont engagés ? La formation a-t-elle débouché sur un emploi, une reconversion professionnelle, une promotion professionnelle ? Dans le tableau qui suit et à ce stade de la réflexion, nous présentons les éléments qui caractérisent l’équité en formation à partir des quatre niveaux dégagés précédemment et selon une approche croisée de l’équité : paramètres de l’offre de formation et clarification des enjeux pour le stagiaire. Niveaux d’équité Equité d’accès N. Macro Equité de ressources Ce qui favorise l’équité • • • • Visibilité de l’offre de formation Lisibilité de la formation Procédures VAE Ouverture à des publics variés • Entrer en formation • • Diversification des contenus Dispositif de formation intégrant des R.H., matériel, environnement Mises en situation professionnelles Diversité des intervenants • Bénéficier d’un cadre et de ressources Différenciation des projets professionnels Suivi individualisé Co - analyse des méthodes de travail Engagement dans des séances de régulation • Exprimer son projet de professionnalisation Le faire évoluer pendant la formation Aide à la mise en oeuvre du projet de professionnalisation Entretiens de positionnement Mise en perspective de l’expérience de formation Projection dans le champ professionnel Préparation à l’après formation • N. Meso • • Equité d’accompagnement Pédagogique N. Micro • • • • • Equité d’accomplissement N. Micro Enjeux pour le stagiaire • • • • • • Construire sa place en formation Se connaître et s’affirmer comme professionnel • Se positionner comme professionnel sur le terrain professionnel • Se préparer à la transition professionnelle • Trouver un emploi, obtenir un nouveau poste… L’équité d’accomplissement suppose la convergence de processus d’engagement entre les parties prenantes de la formation. Il est possible de ne pas tirer parti d’une formation quand : - L’acteur met en œuvre des stratégies d’évitement, - Les dispositifs de formation sont uniformisants, - Les intervenants s’adressent à un sujet épistémique, 19 - Les modèles du développement professionnel sont unidimensionnels, La relation stagiaire –formateur ne se déroule pas sur le mode de la co-construction, Le retour vers le monde professionnel à l’issue de la formation n’est pas travaillé… Parler d’équité d’accomplissement en formation professionnalisante permet d’introduire la question éthique. En effet, les pratiques de formation sous la pression des contextes politiques et économiques ont évolué en répondant aux besoins du marché, aux attentes des entreprises. Reliées aux exigences du monde du travail, les aspirations des individus s’expriment difficilement si bien que la formation semble plus orientée vers les organisations que vers les individus (Deniger & al 2005, Palazzeschi, 2008). Que devient alors le principe d’équité dans la construction d’un soi professionnel ? Cette question nous conduit vers les transactions de reconnaissance. VI – Vers une éthique des transactions de reconnaissance La question éthique, selon Imbert (1987), «s’entend comme une praxis, c’est-à-dire, un acte à travers lequel le sujet (…) non seulement exerce et développe ses capacités, mais encore, ne cesse de s’autocréer, d’exister, à travers l’autocréation et l’existence d’un autre / d’autres sujets » ( p. 19). Avec cette approche, il ne s’agit pas de fabriquer des acteurs à la compétence professionnelle, d’injecter en formation des formes de retaylorisation qui n’oseraient pas s’afficher comme telles, mais d’accompagner le développement professionnel des acteurs. L’approche phénoménologique présentée plus haut s’inscrit dans cette conception de l’action. Dès lors, l’équité d’accomplissement présuppose que tout acteur puisse se développer professionnellement dans une institution de formation, dans une relation d’accompagnement à partir d’une « attribution réciproque de valeurs » (Barbier, 2001). En tant qu’acteur, il éprouverait le sentiment de pouvoir devenir autre parce qu’il est un être qui a de la valeur sous le regard d’autrui. Ses actes relèveraient du jugement de beauté (Clot, 1999, Barbier 2001), non pas seulement du jugement d’efficacité. L’équité d’accomplissement nécessite l’existence de transactions de reconnaissance pendant le déroulement de la formation. Le stagiaire sera conforté dans ses engagements si la reconnaissance de soi par autrui est manifeste. Les relations avec un tuteur, un formateur s’établissent sur et avec des transactions de reconnaissances. De même, dans un processus de professionnalisation la reconnaissance de soi par soi est nécessaire tant au plan identitaire qu’au plan de l’action. L’analyse des évaluations des stagiaires montre que la reconnaissance par autrui tient au fait que le stagiaire a trouvé sa place en stage, qu’il s’est intégré dans un collectif de travail, qu’il a apporté autre chose, et qu’il a gagné une crédibilité de collègue novice (dans le cas de stagiaire qui vivent une première expérience professionnelle), de collègue à part entière pour les stagiaire (ayant plus de 15 années d’expérience professionnelle). Les transactions de soi par autrui existent lorsque les stagiaires ont le sentiment de devenir un interlocuteur à part entière du monde professionnel, que l’appréciation de leur pouvoir d’agir par autrui (collègues, référent de stage) constitue une autorisation à aller de l’avant et à envisager un futur professionnel. Quel que soit le niveau d’expérience, les transactions de reconnaissances existent entre soi et soi, soi et autrui. Ainsi, les transactions de soi par soi sont confortées par la découverte d’une autonomie dans l’action. Le stagiaire découvre l’action dans sa dimension générique et singulière, il apprend à jouer avec l’imprévu, à se confronter à des organisations et aux cultures organisationnelles qui configurent des relations professionnelles. 20 Il prend confiance en lui lorsqu’il franchit les seuils que constituent les mises en situation professionnelle. Les transactions de reconnaissances constituent « le terreau » de l’équité d’accomplissement car elles prennent appui sur une conception du développement professionnel différente des logiques de management largement ouvertes sur les ingénieries du soi. Il s’agit plutôt de mettre en évidence le lien étroit entre la manière de permettre à un formé de tirer parti de sa formation dans un contexte de valorisation de ses potentialités. L’aiguillon éthique visant à ne pas confondre les modalités prescriptives du dépassement professionnel avec les modalités constructives du développement professionnel. Conclusion L’équité d’accomplissement en formation master professionnel ne peut se suffire d’une lecture unidimensionnelle telle qu’elle est proposée par les économistes et reprise par les institutions. Nous cherchons à poser une approche croisée de l’équité d’accomplissement en plaçant sur le même plan le critère externe et le critère interne. L’intégration de ce dernier critère dans les modes de gouvernance permettrait la reconnaissance du développement professionnel non pas seulement à partir des résultats obtenus mais en tenant compte des processus de transformations des acteurs durant la formation. Si les temps actuels correspondent à « une érosion de l’idéal d’avancement des connaissances, de développement de la pensée critique et d’autonomie institutionnelle, au profit des impératifs du marché, une tendance consacrant, par voie de conséquence, le rétrécissement des liens sociaux et politiques entre l’université et la société civile. » (Deniger & al, 2005, p.163) ; il reste que la justice distributive (Dubet, 2004) ne peut rester un idéal inatteignable mais un principe moteur de la reconnaissance des acteurs dans leurs processus de professionnalisation. Bibliographie Bajoit, G. (2006). Le changement social. Paris : Armand Colin. Barbier, J-M. (1996). Savoirs théoriques, savoirs d’action. Paris : PUF Barbier, J-M. 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Depuis la réglementation de 1971 et l’apparition de tendances fortes vers l’individuation de la formation, certaines questions interrogent le processus de formation dans la preuve qu’il peut donner de son adaptation à une double contrainte, la commande, et la demande. C’est ainsi qu’aujourd’hui la question de l’équité en formation d’adulte peut prendre toute sa place dans l’approche des fondamentaux et des références légitimant cette entreprise. D’autre part, celle de l’efficacité est également intéressante à poser, dans les contextes d’actuation et d’évaluation qui entourent les pratiques, comme réponse et comme relations entre les apprenants et les apprentissages. Ceci étant, il est des espaces de sens qui tout pertinents qu’ils soient à instruire et à développer, ne sont pas forcément reliés dans les quotidiens pluriels des attentes et des attendus. C’est pourquoi il me semble important de relever le défi soulevé par ce colloque et de participer à la démarche collective proposée par/dans le symposium, à savoir initier une réflexion se fondant sur une critique épistémologique et éthique des démarches et des outils. Les éléments qui serviront à cette approche relèveront à la fois de la redécouverte d’intentions passées, déjà marquées et transformées par le temps, les contextes et les acteurs, mais aussi de la mise en parallèle de ces deux notions, différentes et inséparables à la fois, et dont la conjugaison problématique pourrait nous ouvrir à des perspectives constructives et d’approfondissement. 1- Approche contextuelle et conceptuelle Parler d’efficacité en Formation d’adultes me paraît renvoyer à plusieurs ambitions : - se rapprocher des principes qui fondent et légitiment cette proposition - questionner le topos, lieu d’accueil et de développement des fondamentaux qui l’autorisent - mettre au jour quelques objectifs pour servir d’explicitation. - les principes Il faut revenir ou repartir de Condorcet : son rapport à l’assemblée nationale peut être lu dans le contexte qui l’a vu naître. Il s’agissait de rompre les liens d’allégeance avec les pratiques discriminantes et dominatrices, et pour cela les « ci-devant » devaient être instruits et capables de les repérer et d’y résister. Instruire c’était libérer et l’éducation devenait un processus, assis sur l’efficacité : éducation continuée, disponible tt au long de la vie, selon les capacités et 23 selon les besoins…la mesure des possibles et des attendus est alors inscrite en pertinence et en nécessité4. C’est la ligne actuelle des discours et des méthodes se réclamant du marquis. L’éducation doit donc être permanente, ou elle n’est pas : ceci résume le principe d’efficience, ou d’efficacité. Il est en effet de l’enjeu de l’éducation et de sa réussite qu’elle ne s’arrête ni ne se limite à un temps et un espace, le temps de l’enfance et l’espace scolaire, mais qu’elle puisse apparaître comme permanente pour répondre aux exigences de la complexité, de la citoyenneté et de l’industrie. - Le topos/ Approche historique et contextualisation Le 19eme siècle s’installera sur une industrialisation croissante et les premiers à bénéficier des idées et des propositions de l’ancêtre seront les ouvriers. Des classes d’adultes seront organisées (et officialisées par Guizot), des bibliothèques ouvertes, des journaux créés, dont certains seront dirigés par des ouvriers (l’atelier, la ruche). Seront ensuite développées les fédérations (jean Macé et la Ligue), et des écoles rurales. Puis vint l’Affaire Dreyfus : les différents mouvements et écoles de pensée vont se retrouver devant un choix qui perturbe encore aujourd’hui les significations et les notions. Cet événement peut à la fois être considéré comme un temps fort de la rencontre entre le peuple et les intellectuels (ouverture des U.P. et des instituts populaires-catholiques) mais aussi de la séparation entre les partisans du conservatisme élitiste qui mettra au service des productions et des industrie une éducation tout entière tournée vers la demande de mobilité et de qualification, et les partisans d’une démocratisation avancée de l’instruction devant mettre en avant une construction de la personne en citoyenneté et en responsabilité. Le 20eme siècle sera alors en sa première moitié le siècle de l’éducation populaire, en charge d’associations et de mouvement dont la diligence et l’extension ne s’est jamais démentie : mouvements chrétiens (scoutisme, MJAC, JOC) puis associations de loisirs (Léo Lagrange 1936,) ou d’intégration sociale, (compagnons de France 1940), socio-culturelle (école des cadres d’Uriage, 1944 et Maisons de la culture). Cette permanence dans l’effort pour éduquer et entraîner à une citoyenneté utile va alors être « récupérée » par les instances étatiques et de gouvernement. Le temps n’est plus aux initiatives d’une société civile qui utilise les faiblesses de la société politique pour investir un territoire collectif d’éducation, jouant le rôle de substitut et de moteur de la démocratie. Autrement dit, la réussite est telle, dans les différentes formes d’exercice de cet élan associatif, que les politiques intègrent les lieux et formes de l’éducation populaires aux instances qu’ils animent et aux ministères qu’ils gèrent. De Paul Langevin (1945) à Jean Gehenno, jusqu’à la création du ministère des affaires culturelles (1959), des financements d’état,(Fonjep 1964), et de diplômes (DECEP, 1964, CAFAS, 1969), la deuxième moitié du 20eme siècle commencera par la reprise en main, souvent jacobine, des intelligences et des investissements. 4 Condorcet , 1792, rapport à l’assemblée nationale sur l'organisation générale de l'instruction publique, : « tant qu'il y aura des hommes qui n'obéiront pas à leur raison seule, qui recevront leurs opinions d'une opinion étrangère, en vain, toutes les chaînes auraient été brisées en vain, ces opinions de commandes seraient d'utiles vérités ; le genre humain n'en resterait pas moins partagé entre deux classes : celle des hommes qui raisonnent, et celle des hommes qui croient. Celle des maîtres et celle des esclaves ». 24 On va, reconstruction oblige, utiliser toutes les énergies et s’orienter vers une formation d’adultes à la mesure des besoins et des politiques de rassemblement national. Cette formation sera professionnelle, et continue. C’est ainsi que pendant la deuxième moitié du 20ème siècle seront mis en place différents moyens institutionnels devant permettre le développement de la F.P.C. sur l'ensemble du territoire national : - 1ère ambition, structurer les modes et contenus de formation existants et pratiqués jusqu'alors en formation initiale, sur des bases, avec des moyens et pour un public spécifique, les adultes. - 2eme ambition, permettre aux individus prise de distance, affirmation, réassurance et réinvestissement. Dans le même temps, mettre à disposition des entreprises des ressources humaines plus averties et aptes à les accompagner dans les processus de changement et d'innovation. Nous retiendrons de cette institutionnalisation/territorialisation plusieurs objectifs: - étendre à l'ensemble d'un public adulte qui le désirait les possibilités de retour à la formation, pour favoriser et accompagner une démarche de reprise des études, d'adaptation ou de préparation à un nouvel emploi, de réinsertion ou de mobilité professionnelle : permettre le déplacement d’un territoire à un autre, celui de l’acquis et celui à découvrir, par des moyens, des outils et des méthodes. - Permettre aux salariés concernés par une exigence de spécialisation ou de mobilité d'accéder à des formations devant faciliter leur réponse et leur investissement : donner lieu[topos] à une meilleure inscription et implication, en logique de connaissance et d’approfondissement - Mobiliser les entreprises sur les dynamiques internes de formation à promouvoir dans leur projet de développement ou d'adaptation au marché et les sensibiliser à leur responsabilité dans la prise en charge de ces formations : structurer et consolider, - Mettre à disposition des différents demandeurs de formation des compétences et des ressources leur permettant de mener à bien leur projet : donner forme et contenu en pertinence et en raccourci, et donc construire l’espace à occuper. - Inscrire les différents types de formations proposés dans des axes de cohérence référés soit au contexte de l'entreprise, soit à des validations externes susceptibles de faire accéder les participants à des positions sociales et professionnelles plus assurées et mieux reconnues : valider et légitimer en intégrant dans un espace avant inconnu et inabordable, - Légitimer des acquis professionnels par des qualifications susceptibles d'être négociées dans le cadre de pré requis et de référentiels métiers adaptés aux demandes évolutives des entreprises et du monde du travail : transposer et transférer les intelligences des réponses aux situations. - Permettre à de nouveaux métiers de s'inscrire en pertinence dans le développement national ou local en validant des pratiques professionnelles non prise en compte dans les champs traditionnels : requalifier - Valider des compétences pratiquées sur de nouveaux espaces d'interventions et non répertoriées ou apprises, dans les cadres scolaires de la formation initiale : innover 25 Voici donc oubliée l’intention première, de mettre à la disposition de tous, quelque soient les moments et les lieux (de vie) connaissances et savoirs grâce auxquels chaque individu pourrait s’installer dans une maturité sociale. Il semblerait que nous ayons ici besoin d’aller voir ailleurs, du côté d’autres remisses et d’autres volontés. • Parler d’équité en Formation d’adultes me paraît également renvoyer à plusieurs ambitions : - Se référer à quelques principes - Accepter comme épistémè un long et parfois douteux apprivoisement : le doute est là qui ôte d’emblée la certitude de la certification. - Se rapprocher des propositions faites par certains, oubliés parfois des discours et des synergies. - les principes : Il est indispensable de suspendre le jugement, la théorisation et l’évaluation, pour donner aux intelligences et aux sensibilités multiples de quoi se nourrir et s’exprimer. Il n’est pas de lieu qui puisse, isolé, répondre à ces exigences. Il existe des espaces et des temps, qui se conjuguent pour faire apparaître la complexité (cf idée reprise mais non aboutie, chez Condorcet). Il faut alors aller revisiter Coménius et sa célèbre formule, « omnes omnia omnino » Equité. Le rêve est permis, qui dépasse et subsume les catégories attachées au topos. U-topos, esprit es-tu là ? C’est en effet pouvoir mettre en avant une autre intention, (ubi omnes omnia omnino doceantur) "tout doit être enseigné à tout le monde", sans distinction de richesse, de religion ou de sexe. « Que les écoles supérieures soient accessibles à tous ceux qui montrent des aptitudes, et non pas seulement aux enfants des riches et des nobles ». Cette dimension universaliste de la pensée de Comenius, est contenue dans le concept de pansophia, ou sagesse universelle ; Il s’agit en fait de ne pas discriminer, d’éviter de sélectionner les aptes à entendre et à étudier, au nom de critères exogènes et dépendants d’une orthodoxie mégalomaniaque de ceux qui savent et qui le font savoir. Omnia sponte fluant, absit violentia rebus (Que tout vienne spontanément, que la contrainte soit bannie) Ce qui est intéressant a prendre en compte ici, c’est que l’acte que Coménius appelle enseignement, et qu’il assimile à la transmission dans le cadre d’une pansophie, s’attache aux activités de la pensée, de la raison (ratio), mais aussi à l’operatio, c’est-à-dire au travail manuel5. Nous sommes donc à la porte de la formation personnelle ET professionnelle continue, ou continuée. Trois prédicats vont apparaître pour donner toute son intelligibilité à cette proposition : tout être humain est potentiellement un être de connaissance, et cette connaissance doit lui permettre de progresser vers la sagesse, elle-même contenue dans la création. Autrement dit, le monde « est/fait preuve » de sagesse, cette sagesse divine « diluée/active » dans toute créature et toute création. 5 La grande didactique ou l'art universel de tout enseigner à tous, trad. de Marie-Françoise Bosquet-Frigout, Dominique Saget, Bernard Jolibert. 2 e éd. revue et corrigée. Paris, Klincksieck, 2002 26 - l’épistémè : L'équité s’entend et se dit dans les dictionnaires comme principe modérateur du droit objectif (lois, règlements administratifs)qui redonne sens à une justice naturelle basée sur les droits individuels. (Anglais fairness). Dans un double mouvement, la prise en considération du droit général, et son application, modulée selon le droit de chacun à prétendre à un traitement juste, égalitaire et raisonnable. Il est dit aussi que dans certains cas limités, la loi fait une place à la notion d'équité en laissant au juge le soin de se déterminer "ex aequo et bono"(selon ce qui est équitable et bon) c'est à dire, en (s’) écartant les règles légales lorsqu'il estime que leur application stricte aurait des conséquences inégalitaires ou déraisonnables. Nous voici donc devant l’affirmation du déplacement permis, ou décalage obligé qui autorise les postures et les décisions pouvant se référer à autre chose qu’à une loi générale, lorsque la situation particulière le demande, au nom de l’imprescriptible droit de chacun à une ou plusieurs particularités. La juris-prudence mérite alors bien son nom puisqu’elle peut ne pas imposer d’injonctions générales mais se fier à la spécificité du cas individuel et lui attribuer une légitimité. - les sources : Cette prééminence de l’équitable sur le juste est affirmée déjà par Aristote: ce terme prend sa place dans la proposition qu’il fait de prendre de la distance par rapports aux lois humaines qui ne peuvent faire que dans le général et ont donc un caractère partiel, ou limité. Les hommes ont selon lui la possibilité, et le droit de corriger la loi en la réinterprétant selon le cas particulier. Aristote évoque l’ordre naturel qui se saisit à la fois « du général et du particulier, du nécessaire et du contingent, du régulier et de l'irrégulier »6 : « L'équitable, tout en étant juste, n'est pas le juste selon la loi, mais un correctif de la justice légale. La raison en est que la loi est toujours quelque chose de général, et qu'il y a des cas d'espèce pour lesquels il est impossible de poser un énoncé général qui s'y applique avec rectitude. Dans les matières, donc, où on doit nécessairement se borner à des généralités et où il est impossible de le faire correctement, la loi ne prend en considération que les cas les plus fréquents, sans ignorer d'ailleurs les erreurs que cela peut entraîner. La loi n'en est pas moins sans reproche, car la faute n'est pas à la loi, ni au législateur, mais tient à la nature des choses, puisque par leur essence même la matière des choses de l'ordre pratique revêt ce caractère d'irrégularité. Quand, par suite, la loi pose une règle générale et que là-dessus survient un cas en-dehors de la règle générale, on est alors en droit, là où le législateur a omis de prévoir le cas et a péché par excès de simplification, de corriger l'omission et de se faire 6 Guillaume Dupont, La notion d'équité, Philosophie / Politique - Revue permanente de philosophie politique in http://www.philosophiepolitique.net 27 l'interprète de ce qu'eût dit le législateur lui-même s'il avait été présent à ce moment, et de ce qu'il aurait porté dans sa loi s'il avait connu le cas en question. » 7 Autre référence, plus proche des emplois actuels de cette notion, largement utilisée dans certains discours politiques celle plus philosophique de John Rawls. Pour lui, « cette notion désigne alors le souci d'organiser la coopération sociale selon des principes qui tiennent compte des éventuelles disparités entre les membres d'une même société: c'est le sens des principes de la justice tels que les définit Rawls. »8 : « L'idée principale est la suivante: quand un certain nombre de personnes s'engagent dans une entreprise de coopération mutuellement avantageuse selon des règles et donc imposent à leur liberté des limites nécessaires pour produire des avantages pour tous, ceux qui se sont soumis à ces restrictions ont le droit d'espérer un engagement semblable de la part de ceux qui ont tiré avantage de leur propre obéissance. Nous n'avons pas à tirer profit de la coopération des autres sans contrepartie équitable. Les deux principes de la justice définissent ce qu'est une contrepartie équitable dans le cas des institutions de la structure de base. Ainsi, si le système est juste, chacun recevra une contrepartie équitable à condition que chacun (y compris lui-même) coopère. »9 2- Questionnement : de Coménius à Condorcet, glissement et détournement ? Or la formation continue, présentée par les chantres de l’éducation permanente comme une 2eme chance, remobilisation voire reconstruction…et donc comme une logique de l’équité, semble bien s’entourer d’abord de précautions (pédagogiques, didactiques et méthodologiques) qui la font se dissoudre dans la Formation professionnelle continue. Cette dernière, au nom du principe d’efficacité, accompagne d’abord les changements socioprofessionnels, jusqu’aux méthodes « roses » de réactivation de l’intelligence (P.E.I.), ou d’accompagnement dirigé vers une utilité sociale retrouvée (PNL, APP, etc.…). Nous quitterions ainsi, dans un glissement progressif accentué par quelques accidents de l’histoire, Coménius et quelques défenseurs d’un éthos pédagogique et éducatif fondé sur l’équité. Il s’agissait en effet avec ces derniers, de suspendre le jugement, la théorisation et l’évaluation, seule posture permettant de donner aux intelligences et aux sensibilités multiples de quoi se nourrir et s’exprimer. 7 Aristote (384-322 avant JC), Ethique à Nicomaque, Vrin, Bibliothèque des textes philosophiques, Paris, 1990: (livre V, chapitre 14, 1137 b 10). 8 Guillaume Dupont, op.cit. 9 John RAWLS Théorie de la justice, 1987, Paris, Seuil. 28 3- Hypothèse de recherche Il n’est pas de construction conceptuelle qui puisse se passer d’une anamnèse centrée sur les histoires et les parcours des apprenants et des praticiens de l’éducation, parce qu’il n’est pas de lieu théorique qui puisse, isolé, répondre à ces exigences. Il existe des lieux et des temps, qui se conjuguent pour faire apparaître la complexité, seule capable d’entraîner à l’apprendre et à la transmission. 4- Pour conclure…et poursuivre Il serait intéressant de pouvoir progresser dans la connaissance que nous avons des pratiques et de leurs résultats (acquis, évaluation, progrès), à partir d’une vérification de cette hypothèse et de sa mise en perspective. Les différents aperçus que nous pouvons avoir des formes et modes d’actuation des formations professionnelles pour adultes - je pense particulièrement ici à un récent colloque sur la recherche-action, et à une thèse sur la formation des primoarrivants (soutenance nov. 2008) -, font tous état de l’indispensable apprivoisement des histoires et des géographies occupées par les individus en formation, avant même que ne se dise et s’affirme la prétention à la transformation des schémas explicatifs et des savoirs, et comme première garantie d’une réussite du process d’apprentissage engagé. Il revient alors à l’organisation et à ses agents de tenir et se tenir sur l’espace occupé par les didactiques et les contenus de formation en n’omettant jamais de répondre à des demandes, mêmes insignifiantes ou informulées d’écoute et d’attention, dans le respect des identités, la reconnaissance des histoires singulières et l’accompagnement des projets. Equité. 29 La question de l’efficacité et de l’équité au cœur des actions de formationinsertion Ioana Deicu, doctorante, LISEC (EA 2310), ULP, Strasbourg La question de l’efficacité et de l’équité des systèmes d’éducation et de formation est présente dans les débats européens. La Commission au Conseil et au Parlement Européen remarque, en 2006, que dans nombreux pays européens les « systèmes d'éducation et de formation reproduisent, voire accentuent, les inégalités existantes » et les personnes qui sont plus touchées par ce phénomène sont celles qui ont de faibles qualifications10. En France, plus de 100 000 jeunes sortent encore chaque année, du système scolaire sans qualification. Lors des recrutements, le diplôme reste le premier critère de sélection à l’embauche car il représente avant tout le signal d’un potentiel. Sans le précieux titre les jeunes non diplômés se retrouvent rapidement écartés du marché du travail. En alimentant la part de la population au chômage, ces jeunes représentent un coût social important : une perte en matière d’impôt sur le revenu, une demande accrue de soins de santé et d’aide publique, le risque de délinquance. Or, comme le souligne la Commission, ces coûts apparaissent rarement dans les systèmes de comptabilité publique. Cependant, depuis le milieu des années 70, l’Etat français s’est fait une obligation de lutter contre la pauvreté et l’exclusion des « publics en difficulté » par la création de différentes mesures pour faciliter l’insertion sociale et professionnelle. Ces mesures regroupent des subventions en direction des entreprises11 et la création d’emplois atypiques, accompagnées souvent par des actions de formation. Ainsi les contrats de type particulier se multiplient et les actions de formation-insertion incarnent une seconde chance pour ceux qui ont raté leur scolarité, en permettant d’obtenir une expérience professionnelle et/ou une qualification. Au début du lancement de cette politique, les jeunes ont adhéré facilement et ils se sont déclarés satisfaits par rapport aux formations suivies. Mais la complexification des politiques de formation et de l’emploi n’a pas réussi à réduire le chômage et les jeunes ont commencé à adopter des stratégies d’évitement à l’égard de ces dispositifs (Nicole-Drancourt et Roulleau- Berger, 2001). L’efficacité des dispositifs commence à être remise en cause par les usages autant que par les financeurs. Placés entre l’école et le monde professionnel ces dispositifs représentent pour les jeunes un espace de transition visant une multiplicité d’objectifs « de l’accès à l’emploi à la remédiation cognitive en passant par la socialisation » (P. Santelmann, 2007a). Finalement, la formation postscolaire est appelée à la fois à corriger l’école, à résoudre le chômage, à réduire les inégalités. Les objectifs assignés ne seraient-ils pas trop ambitieux ? Les chercheurs comme les professionnels de la formation continue l’admettront volontiers. Alors quel est l’effet réel de la formation sur les parcours professionnels des jeunes ? Voilà quelques questions auxquelles nous allons essayer de répondre en analysant l’utilisation des concepts d’efficacité et d’équité dans l’évaluation des politiques formation-insertion. 1. L’équité des dispositifs de formation-insertion L’équité est une notion qui évolue en fonction du contexte historique, ce qui est socialement juste aujourd’hui pouvait ne pas l’être hier. L’introduction dans le discours 10 En 2004, 32% de la main-d’œuvre des états membres de l’Union Européen était peu qualifiée. 11 Exonérations de charges patronales ou fiscales, primes à l’embauche, aide à la formation, aidé à la rémunération du jeune, les unes n’étant pas exclusives des autres 30 politique est assez récent mais les interprétations sont disparates, elles sont pris dans une tension entre deux exigences « donner à chacun ce qui lui revient » et « donner plus à ceux qui ont moins » (Gonthier, 2008). Au niveau européen, une définition fait le consensus des spécialistes de l’éducation et de la formation selon laquelle « l’équité désigne le degré auquel les individus peuvent bénéficier de l’éducation et de la formation, en matière des possibilités, d’accès, de traitement et de résultats » (Commission au Conseil et au Parlement Européen 2006). Examinons maintenant si les critères inhérents à l’équité sont respectés tout au long du parcours de formation professionnelle, c’est-à-dire à l’entrée dans l’action qualifiante, pendant son déroulement et à la sortie du dispositif. 1.1 L’égalité des chances d’accès à la formation Les dispositifs de formation pour les personnes faiblement qualifiées prennent des formes très diverses qui se structurent selon Borras (2004) sur trois niveaux : une période préparatoire (construction de projet, bilan de compétences, bilan jeune, valorisation des capacités, mobilisation), une action préqualifiante de remise à niveau et enfin la formation qualifiante. En ce qui concerne l’égalité des chances d’accès à la formation continue les études disponibles sont asses unanimes pour considérer que les jeunes les moins formés accèdent difficilement aux mesures les plus qualifiantes (Léné, 2000 ; Bonaïti et alii., 2006). Les enquêtes DARES (2006) illustrent bien le fait que très peu de jeunes non-qualifiés accèdent à des contrats en alternance, visant à compléter ou à obtenir une qualification. En revanche, ils sont plus nombreux à bénéficier d’une formation qui n’est sanctionnée ni par un titre, ni par un diplôme12. Par ailleurs, les jeunes sortis du système scolaire, non diplômés, déclarent avoir intégré plus souvent des formations en dehors de l’emploi (c’est-à-dire sans la signature d’un contrat de travail) que les autres jeunes de la même génération (Bonaïti et alii., 2006). Ces résultats rejoignent les conclusions de ceux qui étudient les entrées en apprentissage où seulement quatre jeunes sur dix ont un niveau de formation inférieur. Ce qui signifie que les entreprises recrutent également pour une formation de niveau V des jeunes ayant déjà obtenu une qualification professionnelle et que les jeunes parfois « préparent un diplôme de même niveau dans une spécialité connexe » (Moreau, 2005). Pour comprendre les inégalités d’accès à la formation qualifiante, il est nécessaire de regarder au niveau du processus de recrutement des stagiaires. Mais avant cela il faut préciser que pour les jeunes qui ont échoué à l’école il y a deux stratégies pour se qualifier : • Signer un contrat de travail : le contrat d’apprentissage13 ou le contrat de professionnalisation14 ; • Intégrer une formation qualifiante proposée par l’Afpa ou par les programmes jeunes des conseils régionaux. Les recrutements sont réalisés par deux catégories d’acteurs - les employeurs et les formateurs - sur la base du niveau de formation initiale et de l’éventuelle expérience professionnelle. Les employeurs interviennent surtout lors des recrutements pour la signature d’un contrat en alternance. Les enquêtes sur l’accès au contrat de professionnalisation (mis en place en 2004) ne sont pas nombreuses, pour le moment. Par 12 En 2004, les jeunes sans qualification ont signée seulement 6,6% des contrats d’adaptation et 8, 6% des contrats de qualification contre 50,3% contrats d’orientation. 13 Le contrat d’apprentissage vise à acquérir une qualification sanctionnée par un diplôme de l’enseignement professionnel ou technologique 14 Le contrat de professionnalisation vise à acquérir une qualification enregistré dans le répertoire national de certifications professionnelles 31 conséquent, nous prendrons en compte dans cette partie de notre analyse les recherches sur l’apprentissage. En étudiant les modalités de recrutement des apprentis, dans les grandes entreprises Kergoat (2006) a relevé que la sélection des candidats est fondée sur les notions de personnalité, motivation, expérience. Les employeurs essaient de classer les jeunes se présentant à des formation destinées à des emplois d’exécution en fonction de la capacité à mobiliser leur force de travail dans des situations variables à l’acceptation des conditions de travail difficile : endurance physique, disponibilité temporelle. Ils tentent de déceler « le rapport des candidats à un système de moralité (ponctualité, probité, rapport au travail) et à un ordre social établi (capacité à tenir sa place vis-à-vis de la hiérarchie ou dans une équipe de travail) » (ibid., p.2). Les petites entreprises ne disposent pas des moyens aussi élaborés. Du coup, la présence des parents, lors de la première rencontre avec le patron, est un atout et cette présence représente une garantie de l’engagement du jeune dans la formation. Les employeurs optent également pour des périodes d’essai, de quelques semaines durant lesquelles les encadrants testent la conduite, l’adhésion aux règles, et aux principes du travail qui leur est confié. La procédure de recrutement des apprentis est moins centrée sur les compétences techniques applicables mais plutôt sur ce qui est autour, c’est-à dire sur les compétences sociales et comportementales. Paradoxalement, « les établissements de l’Education nationale pourtant chargés d’une partie de la formation des apprentis n’interviennent d’aucune façon » dans le processus de recrutement (Kergoat, 2002, p.155). L’entrée dans les formations financées par les conseils régionaux dépend de l’accord du formateur. Un test de niveau est souvent prévu avant l’entretien pour vérifier le degré de maitrise des acquis en lecture, écriture et calcul. Lors de l’entretien les jeunes doivent prouver que la formation qu’ils souhaitent suivre correspond bien à un projet professionnel réaliste et réalisable, soit à travers le récit des stages effectués dans le domaine visé, soit en faisant le lien entre les expériences extérieures au champ professionnel et le métier envisagé. Comme pour les employeurs, l’autre critère important est la motivation, qui est mise en relief par des « réinterprétations positives des épreuves traversées» : recherches de contrat en alternance inaboutis, rupture du contrat d’apprentissage (Demazière et alii., 2004). La motivation est aussi interrogée par la capacité de la personne à retourner dans un contexte institutionnel. Finalement, les organismes de formation opèrent une sélection des futurs stagiaires en gardant les jeunes présumés employables. Ceux qui ne correspondent pas aux critères sont renvoyés vers leurs conseillèrs (Missions locale ou ANPE) pour retravailler leur projet professionnel ou pour être positionné sur des formations de remise à niveau si leurs compétences de base sont jugés trop faibles. I. Nicaise (2000) a recensé les arguments justificatifs des organismes de formation : les barrières psychologiques (l’image négative de soi, la crainte de l’échec), la durée de la formation qui n’est pas compatible avec les importantes lacunes au niveau des savoirs fondamentaux; ce sont les attitudes au travail qui sont montrées du doigt. Ce comportement sélectif est cohérent pour Demazière et ses collaborateurs (2004) - mais pas excusable - avec la double contrainte à laquelle sont soumis les centres de formation : la contrainte de recruter leurs stagiaires parmi les catégories déclarées les moins employables afin de les former pour l’emploi et la contrainte d’obtenir des taux de placement satisfaisants à l’issue de la formation (signature d’un contrat de travail ou entrée en formation qualifiante). En conclusion, les organismes de formation se positionnent « comme un espace d’adaptation d’une maind’œuvre potentielle et comme chambre de pré recrutement pour les entreprises partenaires » (Demazière et alli., 2004, p. 66). 32 1.2 L’égalité de traitement à la formation Pour mesurer l’égalité de traitement les spécialistes de l’évaluation des systèmes d’éducation (Demeuse et Baye, 2005) nous conseillent de regarder au niveau des processus de formation. Ainsi, nous allons nous intéresser d’abord aux activités qui se déroulent en centre de formation, pour ensuite examiner les périodes de stage en entreprise. Russier (1998) a analysé finement le contenu des actions préparatoires, qu’il nomme « actions éducatives, à contenu psychologique » : il a mis en évidence qu’elles sont des espaces « d’adaptation sociale » - adaptation à un poste ou acceptation des conditions de travail précaire - ou de « disqualification ». Le travail sur le projet professionnel représente l’occupation principale des stagiaires autour duquel gravitent des activités secondaires telles que l’apprentissage des savoirs de base et le respect des règles. Souvent il s’agit plus d’une déconstruction de projet, de partir des désirs de la personne de l’amener à se confronter à la réalité du marché du travail. La confrontation aux emplois accessibles permet de réaliser plus facilement le travail de deuil sur des désirs non reconnus comme légitimes par la société, car les projets doivent être avant tout « conformes aux besoins de l’économie, à ce que la société attend » (Léauté, 109/110, p.74). Demaziere et ses collègues (2004) retrouvent les mêmes stratégies des formateurs, envers les chômeurs de longue durée, c’est-à-dire de les préparer aux conditions dégradées d’emploi ou d’idéaliser les emplois en tension, en réduisant les aspects contraignants (comme le travail de nuit par exemple). Les chercheurs dénoncent l’usage des ces techniques psychologiques qui inculquent « surtout un rapport à l’emploi et même à l’absence d’emploi, à l’assistance » (Russier, 1995, p. 108) en parlant même de la dictature ou du terrorisme du projet (Castra, 2003; Léauté, 1991/1992). Selon Castra (2003) une méthodologie d’intervention centrée exclusivement sur les cognitions (information, attitudes, représentation, projet) ne fait que renforcer les personnes dans leur situation précaire plutôt que les aider à s’en sortir. Toutes les actions de formation-insertion, indépendamment des objectifs visés, prévoient des périodes, plus au moins longues, d’immersion en entreprise. Des études sur l’alternance ont montré que les entreprises ne s’impliquent pas toutes de la même façon dans la formation de leurs stagiaires. Interrogés sur les tâches confiées aux stagiaires les tuteurs déclarent ne pas faire, au sein de la même entreprise, de différence en fonction de la nature des contrats15 (Monaco, 1993). En s’intéressant à la question de la formation reçue en entreprise, le chercheur a constaté que les jeunes les moins diplômés se trouvent souvent cantonnés dans des activités traditionnelles relevant du travail ouvrier ou non qualifié. En règle générale, les stagiaires remplacent ou secondent des ouvriers auxquels l’entreprise assigne les activités de préparation. Ils effectuent des tâches élémentaires qui ne réclament ni des compétences professionnelles très longues à obtenir, ni des connaissances techniques poussées, car les entreprises veulent les rendre opérationnels au plus vite. Pour les jeunes munis d’un niveau de formation initiale plus élevé, la situation n’est pas identique. Même si au début du stage la prise en charge peut être similaire, la différence se réalise dans le temps. Encadré plus souvent par des agents de maîtrise ou par des techniciens, ces stagiaires sont associés à un travail qui demande davantage de responsabilité, une maîtrise des savoirs très pointus et une participation aux phases d’accomplissement du travail. La taille de l’entreprise peut jouer sur la manière de réagir face aux incitations économiques et législatives mises en place par les pouvoirs publics. Les petits établissements de moins de 50 salariés utilisent le plus souvent les différents contrats en alternance. Par contre, les entreprises de taille plus importante semblent rester à l’écart, préférant ne pas trop s’engager dans le processus de formation professionnelle des jeunes sans qualification 15 Il s’agit du contrat d’adaptation, de qualification ou d’orientation 33 (Sanchez, 2005). La formation suppose une prise de risque, surtout pour les petites entreprises, signale A. Léné (2000), à cause de l’absence de perspective en termes de conditions de travail, de revenu et de carrière pour leurs salariés. Même si le coût de la formation est subventionné par l’Etat et même si des réglementations portant sur les conditions dans lesquelles est dépensée la formation en entreprise sont prises par les chambres consulaires, on enregistre certaines différences dans le degré d’implication des entreprises. Ainsi dans les entreprises de petite taille, « la formation s’inscrit le plus souvent dans l’activité normale de travail, alors que dans les grandes entreprises16, on mobilise du personnel spécialisé dans la formation et des ateliers spécifiques » (Léné, 2000, p. 23). Pour résumer plus la taille de l’entreprise est petite et plus les moyens alloués à la formation des stagiaires sont moindres. Moins les jeunes sont diplômés plus ils sont conduits à effectuer des stages ou à se qualifier dans une petite entreprise où la qualité de la formation n’est pas une priorité. De plus, les petites entreprises de l’artisanat embauchent rarement les jeunes qu’elles ont formés, car elles préfèrent signer de nouveaux contrats en alternance. A la fin du contrat les moins diplômés se retournent, sur le marché du travail, armés d’une première expérience professionnelle mais « ce type d’expérience est difficilement valorisable dans un emploi plus qualifiés» (Léné, 2000). Dans le contexte actuel de mondialisation et de transformation des métiers due au progrès technologique les entreprises ont besoin non seulement de « bons professionnels » mais aussi d’« acteurs de changement », capables de faire évoluer leur métier, leur organisation, leur place dans la société (Gerard, 2007). Par conséquent, il y a urgence à améliorer la qualité de la formation professionnelle en incitant les entreprises à s’impliquer dans la production des compétences transversales afin de devenir des «organisations apprenantes». Pour revenir à la définition de l’équité donnée par la Commission au Conseil et au Parlement Européen (2006), « un système est équitable si les résultats de l’éducation et de la formation sont indépendants du milieu socio-économique et d'autres facteurs conduisant à un handicap éducatif et que le traitement reflète les besoins spécifiques des individus en matière d'apprentissage ». Les conditions pour qu’une véritable égalité des résultats se mette en place, s’est que l’égalité des chances d’accès à la qualification et l’égalité de traitement au sein du système de formation continue doivent êtres effectives (Demeuse et Nicaise, 2005). La lecture des études évoquées ont mis en lumière que ces conditions ne sont pas encore réunis dans le cadre des dispositifs formation-insertion. 2. Efficacité des dispositifs de formation-insertion Toutes les définitions de l‘efficacité que nous avons recensées font le lien entre les objectifs et les résultats. Ainsi, les systèmes de formation sont efficaces lorsque les objectifs préalablement fixées sont atteints. Nous avons vu plus haut que les objectifs assignés aux actions de formation-insertion sont plus flous que celle des actions qualifiantes. En conséquence, l’évaluation de l’efficacité de ces actions soulève selon M. Duru-Bellat (1996) quelques problèmes. Premièrement, on évalue d’habitude l’efficacité de la formation à travers le taux des sorties positives en emploi ou en formation qualifiante. Toutefois, n’oublions pas que les organismes de formation sélectionnent leurs stagiaires et que les taux de placement mesurent non seulement les effets possibles de la formation (Lenoir, 2006; Gerard, 2001) mais aussi « l’impact de tous les antécédents (formation initiale, expérience de travail) » (Nicaise, 2000, p. 157). Par conséquent, si on prend comme critère uniquement le taux de placement l’évaluation n’est pas pertinente. 16 Dans cette citation nous avons remplacé le mot « secondes » avec « grandes entreprises ». 34 Deuxièmement, on cherche à identifier l’impact de la formation sur le parcours ultérieur du jeune. Pourtant « la formation n’est jamais qu’un élément parmi d’autres », rappelle F.-M. Gerard dans ses articles (2001, 2007). Lorsqu’on effectue des études longitudinales on doit tenir compte aussi des facteurs environnementaux qui influencent les trajectoires des personnes. Dans un contexte économique défavorable le jeune mettra plus de temps pour trouver un emploi. En ce qui concerne la formation qualifiante, les régions ne financent que les actions « censées répondre à des besoins de main-d’œuvre clairement identifiés » sur le territoire (Borras, 2004). « Ces formations correspondent aux métiers pour lesquels existent des tensions récurrentes en matière de recrutement » (ibid., p. 84). Donc si le projet personnel de formation ne coïncide pas avec l’offre mise à disposition par la Région, la personne a deux possibilités. Soit elle change de région, soit elle abandonne son projet professionnel. Ainsi, on peut en conclure que la formation n’a pas d’effet mécanique sur l’avenir professionnel des bénéficiaires. Enfin, une des constantes des dispositifs de formation-insertion est l’élaboration d’un projet professionnel et la modification de certains aspects de la personnalité des stagiaires (Duru-Bellat, 1996 ; Demazière et alli., 2004). Pour Coquelle (1994) « les insertions heureuses » ne sont pas le résultat exclusif de projets mais plutôt une suite d’opportunités, des occasions qui se présentent par hasard et qui sont saisies par les intéressés. Prétendre que le projet est une condition sine qua non de l’insertion ne fait que renfermer la personne dans son projet car elle risque d’ignorer toutes les autres alternatives incompatibles avec le cadre prévu. Dans le même esprit, reprocher à la personne de n’avoir pas un projet élaboré, c’est lui attribuer la totalité de la responsabilité de ce que lui arrive, cela revient à la culpabiliser. Sur le terrain, une partie des professionnels (conseillers d’insertion, formateurs) essaient d’intégrer ces critiques dans leur pratique professionnelle. Ils tentent d’accompagner les jeunes dans l’élaboration de plusieurs projet professionnels à la fois, d’avancer à partir de microprojets (Léauté, 1991/1992) ou encore décident de renoncer à cette méthode et de contourner le processus de recrutement (Castra, 2003). Le danger se situe dans l’usage de la méthode du projet dans la durée. En prolongeant « des activités sans rapport visible avec l’objectif d’insertion professionnel », on incite les personnes à vivre dans le futur, dans l’imaginaire et non pas dans le présent. Les économistes de l’éducation et de la formation distinguent l’efficacité interne de l’efficacité externe. Généralement, l’efficacité interne se mesure à l’aide des performances atteintes par les formés à l’intérieur du système de formation « sans considérer leur mise en application ou leurs conséquences hors du système » (Gerard, 2001). Il s’agit d’estimer le degré de maîtrise des compétences acquises pendant la formation par rapport aux objectifs visés. Dans les systèmes de formation professionnelle l’évaluation de l’efficacité interne porte également sur le nombre de réussites aux examens, de certificats de qualification obtenus, d’abandons de formation ou de stage. Nous avons déjà montré que ce qui est recherché dans les dispositifs de formation-insertion c’est avant tout l’amélioration des performances des jeunes sur le marché de travail en terme « d’employabilité » et la modification du comportement par rapport aux autres : la hiérarchie, les collègues de travail et les clients. La plupart des évaluations des stagiaires prennent la forme des bilans de formation, remises aux orienteurs (conseillers) et aux financeurs ou des simples bilans de stage. Les bilans de formation tracent les parcours des jeunes pendant le déroulement de l’action, insistant sur les démarches effectuées, sur les difficultés rencontrées et sur les qualités révélées. La réussite des périodes en entreprise représentent un critère important pour évaluer l’efficacité interne de ce type de formation. Mais n’oublions pas que l’expérience en entreprise n’est pas toujours formatrice. S’il y a abandon de stage ou si les remarques des tuteurs ne sont pas très constructives, c’est toujours le comportement du jeune qui est remis en cause, sans que l’on interroge l’environnement. 35 L’efficacité externe se réfère aux effets de la formation sur la société tout entière et sur l’amélioration de la vie professionnelle et personnelle des bénéficiaires. Dans cet esprit, F.-M. Gerard (2001) propose d’établir le nombre des jeunes qui n’ont pas décroché un emploi ou entré en formation qualifiante à la fin des actions formation-insertion, le nombre d'offres d'emploi non pourvues par manque de main-d’œuvre qualifiée, la qualité des postes occupés mais aussi « le nombre de demandes d'emploi pas encore satisfaites formulées par les produits du système» (ibid., p. 57). Les professionnels de la formation nous invitent à ne pas nous contenter de prendre en compte un seul indicateur- le taux de placement en emploi « au mépris des considérations pédagogiques (rythme d’apprentissage, logique formative plus générale » (Frétigné, 2007, p.39), car les bénéfices réels peuvent dépasser largement les effets attendus. Comme le témoigne d’ailleurs l’étude de H. Lenoir (2006), conduite sur un public adultes de premier niveau de qualification, les dispositifs de formation ont des effets positifs « tant en terme d’apprentissage formel qu’en matière de savoirs de base, des projets personnelles/professionnels, de socialisation et sur d’évolution personnelle de toute nature » (p. 51). Bien sûr, essayer de quantifier ces indicateurs qualitatifs n’est pas une tâche facile mais cela permet de ne pas réduire l’évaluation de l’efficacité à la simple rentabilité (Crochard, 2007). De plus, certaines évaluations des politiques régionales de formation ont établi qu’une mesure peut avoir une fonction utile sans atteindre les résultats escomptés (Bartoli et Meriaux, 2006). Les associations de formation affirment qu’aujourd’hui la préoccupation de l’efficacité pédagogique s’efface au profit des préoccupations gestionnaires et certains organismes constatent que les actions ne sont plus reconduites faute de résultats en termes d’insertion. Pour ces associations les sources de financement sont pour plus de la moitié d’ordre public (Aballea, 1998) et les prix de l’intervention sont restées inchangés depuis bien longtemps. La survie des organismes est difficile « face aux changements assez brutaux d’orientation des décideurs politiques et à l’imprévisibilité croissante en matière de financements publics » (Frétigné, 2007, p. 38). L’objectif de la réforme du code des marchés publics de 2001 a été une plus grande lisibilité des appels à projet, une meilleure qualité de la formation et la rationalisation des coûts de formation. Les financeurs justifient leurs choix par la raréfaction des moyens disponibles, pour une meilleure gestion de ressources avec le minimum de gaspillage. Sauf que la France qui investit, chaque année, environ 24 milliards d’euros dans la formation continue, en gardant la deuxième place dans le classement mondial des pays qui investissent dans la formation continue (Pinte, 2007). S’il est tout à fait légitime d’attendre des résultats si on finance quelque chose, on peut s’interroger : pourquoi prend-on en compte dans l’évaluation des dispositifs de formation seulement les résultats sous l’angle quantitatif, en ignorant sciemment ou non les effets pédagogiques ? Selon nous, c’est parce que l’évaluation de l’efficacité s’inscrit ici dans une logique de contrôle (Gerard, 2001, Santelmann, 2007 b). Les acteurs institutionnels interviennent à tout moment du déroulement de l’action de formation : - en amont, par la définition des objectifs et des contenus, l’élaboration des cahiers de charge précis, la charte qualité, les réglementations. - pendant la formation, en assistant aux évaluations intermédiaires - en aval, par les études sur le rôle de la formation dans les trajectoires des jeunes. Il est reconnu que l’efficacité de la formation dépend aussi des compétences des formateurs, de leur l’expérience, des pratiques pédagogiques, de la connaissance du public car « plus le contexte est défavorable, plus la conception de la réponse formative est complexe et exige un professionnalisme de la part des formateurs » (Santelmann, 2007b, p. 8). Mais les organismes de formation ne participent plus à l’analyse des besoins de formation, à 36 l’évaluation et à l’étude d’impact. Ils sont devenus des prestataires de service et non plus des partenaires. Si le critère d’efficacité se résume au taux de placement « une telle quantité d’énergie est dépensée à satisfaire le commanditaire et ses critères d'évaluation que le travail en lui-même ne peut être effectué de manière optimale » (Gerard, 2001, p.73). Fixer aux prescripteurs et aux opérateurs de formation « des contraintes organisationnelles ou méthodologiques a, comme premier effet, d’éviter d’évaluer leurs performances » (Santelmann, 2007b, p. 10). Suite à ces exemples nous pouvons avoir l’impression que les deux principes d’équité et d’égalité ne peuvent pas exister à l’intérieur d’un même système, qu’ils sont complètement antagonistes. 3. Pourquoi l’équité et l’efficacité sont-elle continuellement en tension ? Pour répondre à cette question nous allons faire référence à l’« espace tripolaire » d’Y. Schwartz (1997). D’après lui, toute activité - qu’elle soit de formation ou de travail - est traversée par des débats, débats entre certains valeurs, celles qui se trouvent (a) au pôle du politique, les valeurs du bien commun (le bien-être de la population, l’égalité d’accès aux soins, le développement de la culture) et (b) au pôle de l’économique, les valeurs marchandes (efficacité, productivité, rentabilité). L’égalité, la justice, la santé, la formation sont des valeurs qui ne se mesurent pas en quantité. Pourtant il est impossible « de les réaliser sans leur donner des dimensions, sans leur allouer des ressources » (Schwartz, 2003). Et c’est ici que le croisement devient problématique car il faut faire des choix, utiliser au mieux l’argent public. Le politique intervient dans la vie des entreprises à travers le cadre légal, comme par exemple les réglementations qui concernent l’usage de la force travail ou l’obligation de participer au financement de la formation continue des salariés. De plus, à chaque pôle correspond une temporalité différente. Le temps du politique est un temps de très longue durée, car la création des lois, le déroulement de la formation nécessitent des mois ou des années, tandis que pour le pôle du marché le temps est plus court, plus volatile. « Ces valeurs sont à la fois communicantes, c'est-à-dire les valeurs de l’un sont retravaillées par les valeurs de l’autre, et en même temps elles peuvent entrer à certains moments en opposition les unes avec les autres. Ce n’est pas un univers pacifié, ce qui est un grand problème » (ibid., p.245). Les contradictions entre les valeurs au fondement du vivre ensemble et les valeurs de marché traversent tous les niveaux (institutionnel, territorial, individuel) de la société moderne, marchande et de droit. Les tensions se jouent non seulement au niveau global mais aussi à l’échelle individuelle, au plus micro de l’activité humaine. Ce sont les individus qui vont vivre et faire vivre au cœur de leur activité les tensions entre les deux pôles, puisque l’être humain, s’il se trouve plongé dans un bain de valeurs, est lui aussi source de valeur. Certes, les valeurs lui sont données socialement, mais lui aussi est producteur de valeur, car il va « retraiter » à sa manière les valeurs ambiantes. Il s’agit ici du troisième pôle dans l’espace social décrit par Y. Schwartz, le pôle dit des « gestions du travail ». Les personnes doivent gérer la situation, ici et maintenant tout en tenant compte, simultanément, des impératifs du secteur marchand et des valeurs du « vivre ensemble ». Est-ce que je prends le temps d’expliquer à la stagiaire – vendeuse en boulangerie comment s’adresser à un client, en risquant d’être moins productif aujourd’hui ? Ou est-ce que je considère les qualités relationnelles comme innées en quelque sorte, et faute de les constater chez la stagiaire dont il est question ici, je lui demande, comme hier, d’éplucher les légumes, de laver la salade pour la préparation des sandwichs? Est-ce que je balaie au mieux la cour de l’entreprise car les clients qui la parcourent doivent remarquer qu’elle est propre et c’est bon pour l’image du commerce, ou bien est-ce que je fais le minimum parce que je suis 37 en stage pour apprendre le métier de peintre et non celui d’agent d’entretien ? Voilà quelques exemples de ces questions qui traversent constamment le travail des acteurs de la formation en alternance. Maintenant regardons de plus près ce qui se passe au niveau du pôle des gestions, autrement dit de l’activité de la personne. Nous avons vu plus haut que le centre de formation classique valorise l’apprentissage d’un métier à travers l’acquisition des savoirs décontextualisés, la maîtrise des opérations techniques et le respect des procédures. Dans les entreprises, chaque salarié sait que le travail est loin d’être une succession de procédures car il est traversé par des aléas. Pour atteindre les résultats visés, il ne suffit pas d’appliquer seulement les consignes. La réalité est plus complexe et malgré toutes les précautions prises par l’encadrement et les ingénieurs (procédure, règlements, guides techniques…) l’organisation du travail n’arrive pas à prévoir toutes les variables d’une situation de travail. Entre la tâche prescrite par l’organisation et l’activité réelle effectuée par le travailleur, il y a toujours un écart et les procédures sont forcément incomplètes. Face aux résistances du réel, l’opérateur est amené à faire appel à son « intelligence pratique », à ses compétences afin de gérer cet écart. Le travail n’est pas un acte isolé car l’individu évolue au sein d’un collectif. L’action collective ne représente pas la somme des actes effectués par chaque travailleur car elle est une construction singulière en train d’être réalisée par l’ensemble des protagonistes de la situation de travail. Travailler suppose une coordination des activités entre les membres du collectif qui n’est pas entièrement construite d’avance. Anticiper sur le déroulement des opérations, gérer les aléas tout en évitant les retards, prendre en compte le rythme de chacun et l’avancement général fait partie de la complexité du travail. « Travailler ensemble c’est à la fois un « faire ensemble » et un « être ensemble » (Efros, Duc, Faïta, 1997). De son côté, l’entreprise attend du stagiaire qu’il corresponde à un emploi, qu’il rende un service avec les autres, dans un contexte bien spécifique. Cette logique de l’emploi peut percuter la logique du métier, celle pour laquelle le jeune s’est mobilisé dans l’alternance. La contradiction risque de produire de l’échec si le stagiaire n’est pas accompagné pour problématiser le « travail » ; c'est-à-dire formuler « ce que ça lui demande » dans la situation de travail, l’effort qu’il doit fournir, les choix qu’il doit opérer. C’est en clarifiant la situation qu’il vit dans l’emploi qu’il pourra reconnaître les apprentissages nécessaires du métier. 4. Méthodologie et premiers résultats Le but de notre recherche est de comprendre le rapport au travail des jeunes notamment les moins qualifiés - et de mieux cerner ainsi les causes de l’abandon des formations professionnelles. Nous avons choisi d’analyser dans les actions de formation non qualifiante les pratiques des formateurs et d’étudier le discours des stagiaires à partir des entretiens de retour sur l’expérience, selon l’approche ergologique d’Y. Schwartz. Les résultats partiels de cette étude mettent en évidence qu’il y a un décalage entre ce que les jeunes croient qu’on attend d’eux en entreprise et ceux que demande réellement la situation de travail. Les stagiaires découpent le travail en tâches en les hiérarchisant et le plus souvent ils ne saisissent pas la démarche globale du collectif afin de rendre le service attendu. Du coup, ils revendiquent l’attribution dès leur démarrage en entreprise des tâches les plus valorisées par la société (l’image du métier) mais aussi davantage de temps pour les réaliser que les autres membres de l’équipe. « On prend le temps de le faire, je suis un apprenti, c’est normal » (apprenti boucher). S’ils consentent à effectuer certaines activités qui selon eux ne font pas partie du métier, c’est seulement en échange de l’apprentissage des savoir-faire et des techniques. En outre, ils se montrent contrariés de n’avoir pas eu l’occasion d’apprendre 38 davantage. « Mais j’y pense …le temps que j’ai balayé tout ça …ils devraient me montrer plus que ça …plus que ça, je pensais » (stagiaire en bâtiment). Ce qui revient couramment dans les témoignages des jeunes, c’est la manière d’apprendre en situation de travail. Le rôle de « l’expert » est d’apprendre au stagiaire le métier, de s’asseoir à côté de lui et de lui montrer, de vérifier si la manière avec laquelle il a réalisé la tâche est conforme aux normes, et éventuellement de le corriger s’il fait des erreurs. Nous sommes dans une logique où l’apprentissage du métier se fait par reproduction, par essai- erreur. « Quand tu es stagiaire, ils te montrent. Je suis à côté d’eux, ils te montrent » (stagiaire-vendeuse en boulangerie). A l’opposé, nous avons des stagiaires qui ne se donnent pas le temps d’apprendre. Ils veulent maîtriser assez rapidement les techniques, les procédures qui constituent la base de l’évaluation lors du retour en centre de formation. Mais par peur d’être jugés, ils n’osent pas poser des questions, exprimer leurs doutes. En général, les jeunes échouent en stage lorsqu’ils ignorent toutes les exigences (les contraintes de temps, d’organisation) qui s’imposent à l’équipe. Ils se positionnent alors du côté des seules valeurs non dimensionnées, celles de la formation et de la qualification, tournant le dos aux caractéristiques de l’emploi spécifique. Cependant, cet échec n’est pas dû seulement aux jeunes. En effet, l’employeur peut exiger d’un jeune d’être responsable sans lui donner de responsabilité effective. L’entreprise attend du jeune qu’il gère la situation de travail et comprenne les enjeux de la situation. Dans la plupart des cas, on lui demande de remplir les tâches les plus dévalorisées par le collectif de travail sans expliciter forcément le « service attendu »17. Cette situation se rencontre fréquemment, surtout lorsque les jeunes travaillent sous pression. Et chaque erreur est toute suite sanctionnée verbalement. « Il m’engueulait parce que je n’ai pas mis la viande au bon endroit, parce que je ne faisais pas tout vite, parce qu’il disait « vite fait, bien fait » à chaque fois et moi, j’en avais marre. Et je faisais « vite fait » mais c’était mal fait » (apprenti boucher). Le stagiaire comprend assez rapidement qu‘il n’arrive pas à répondre aux attentes de l’équipe et il a l’impression que tout ses efforts, toute sa bonne volonté n’aboutissent en fin de compte qu’à aggraver la situation. Aucune analyse de la situation de travail ou une discussion sur le rapport au travail n’est prévu pas plus par le centre de formation que par le tuteur. En conséquence, si la personne tout entière n’est pas prise en compte avec ses fins et ses besoins de formation, le tutorat devient mécanique et ceci va entraîner un nouvel échec. Enfermé dans la logique marchande, celle des valeurs dimensionnées, l’employeur et/ou le collectif de travail participent alors au processus qui conduit à l’échec. Nos résultats confirment les conclusions de L. Durrive (à paraître, 2009). L’échec des stages de la formation professionnelle est manifeste lorsque le protagoniste de l’alternance (formateur, stagiaire, tuteur) se place soit uniquement du côté des valeurs non dimensionnées, celle de la formation et la qualification, soit uniquement du côté des valeurs dimensionnées, celle de l’efficacité, et de la productivité. De ce fait, selon nous, l’évaluation d’un dispositif de formation n’est pas pertinente sans la prise en compte de ce qu’Y. Schwartz appelle le « pôle des gestions », celui de l’activité complexe de chacun. 5. Conclusions/perspectives Il nous semble effectivement que les deux principes d’équité et d’efficacité sont continuellement en tension dans les actions de formation / insertion, ce qui est une façon pour 17 L. Durrive (2009) met en évidence que le « service demandé » n’est pas identique au « service attendu ». Le service demandé, exprimé à travers la consigne répond aux objectifs fixés à l’avance. Par contre le service attendu mesuré dans le résultat rejoint les enjeux de l’action. 39 eux de coexister. La Commission européenne souligne qu’envisagés dans une plus large perspective, les deux principes se renforcent mutuellement à l’intérieur du système de l’éducation et de la formation. La valeur ajoutée de la formation professionnelle est plus importante pour les jeunes qui se trouvent au bout de « la file d’attente » que pour ceux qui sont proches de l’emploi. Une fois formés, leurs chances d’être embauchés sont beaucoup plus grandes. Dès lors, ces jeunes ne représentent plus une charge pour la société mais une vraie ressource. Au point où nous en sommes, nous pensons pouvoir dire que les objectifs de départ des politiques de l’insertion professionnelle des jeunes n’ont pas été atteints. Les dispositifs de formation postscolaires renforcent paradoxalement les inégalités entre les diplômés et les non diplômés au lieu de les réduire. Pour inverser cette tendance, il nous semble important de changer le regard des formateurs et des ingénieurs de formation sur le travail réel. Nous partageons l’avis de G. Jobert (1993), selon lequel il est urgent « que les formateurs d’adultes isolent la notion de travail en la démarquant du sens commun et en la différenciant clairement des notions d’emploi ou de poste » (p.17). Par ailleurs, les spécialistes s’accordent pour dire qu’une culture de l’évaluation est nécessaire au sein des systèmes d’éducation et de formation mais aussi que les critères d’évaluation doivent être révisés. 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Thélot, 1993, les objectifs du système éducatif sont au nombre de trois plus une exigence : -Transmettre des connaissances, des savoirs, une culture ; -Préparer à la vie professionnelle ; -Former à la vie en société et, dans une démocratie à la citoyenneté, et par là, contribuer à la construction et à l’identité du pays…..A ces trois objectifs s’ajoute l’exigence d’équité (souligné par nous). Ce qui caractérise les systèmes éducatifs, c’est le poids attaché à chacun des trois ». A la même période, dans un ouvrage qui a fait débat Ecole et justice, J.L. Derouet, 1992, met en évidence une triple logique qui a présidé au développement du monde scolaire du siècle dernier : une logique civique, puis une logique domestique et pour la période contemporaine, une logique industrielle. Mais que génère la logique industrielle quand une quinzaine d’années plus tard, nous sommes entrés dans une « société ouverte » (K. Popper) sur un monde globalisé, qui tend à dissoudre les services publics dans des services marchands ? Notre contribution prend place dans l’AXE n°1 en apportant quelques éléments de réponse notionnelle à la problématique que nous venons de formuler. Dans une perspective critique, Nous répondrons aux questions suivantes : 1. L’égalité des chances à l’école : le pire des systèmes à l’exception de tous les autres ? 2. Que signifie entreprendre une démarche qualité ? 3. La performance jusqu’où ? 4. Chacun(e) est-il appelé(e) à l’excellence ? 5. L’orientation à tout âge de la vie : une « utopie concrète » ? Question conclusive ouvrant sur un débat : le service public d’éducation et d’orientation doitil s’évaluer en fonction de la demande de ses usagers ? A un moment où l’actualité politique met en discussion la pertinence d’un véritable service public d’orientation tout au long de la vie, il nous sommes important de réfléchir aux valeurs d’efficacité et d’équité porté notamment par les conseillers-psychologues de l’Education nationale. Mots-clefs : Egalité des chances ; Excellence ; Orientation (scolaire, universitaire, professionnelle) ; Performance ; Qualité (démarche) ; Service public d’éducation ; Valeurs… 43 « L’Etat-providence capitaliste, même lorsqu’il prévoit des minima sociaux généreux, est incompatible avec la justice sociale démocratique précisément parce qu’il ne prévoit aucune limite à l’inégalité », J. Rawls, 2003, La justice comme équité, Paris, La découverte, p.6 1. L’égalité des chances à l’école : le pire des systèmes à l’exception de tous les autres ? « L’égalité des chances » est une métaphore tirée de la loterie, qui masque une double inégalité, celle du départ et celle de l'arrivée. L'égalité des chances n'est pas l'égalité des droits. On peut concevoir « l’inégalité » des chances d’accès aux différents niveaux et types d’éducation au moins de quatre façons différentes : 1. « L’inégalité de participation » des représentants des divers groupes sociaux dans les écoles de divers niveaux d’enseignement. Autrement dit, on admet qu’une partie seulement des élèves d’une origine sociale particulière, proportionnelle à la part que celle-ci occupe dans la population totale, devrait participer à tous les niveaux de l’enseignement. 2. L’inégalité d’utilisation du « potentiel intellectuel » que l’on trouve à l’état latent dans chaque classe sociale. Cette inégalité apparaît dans les débats sur les « ressources inutilisées », le gaspillage des talents, etc. Ce sont seulement les élèves doués et intelligents qui, dans tous les groupes sociaux, servent de référence à la mesure de ce que l’on appelle « inégalité ». Si l’on s'en tient à cette conception des inégalités au sein de l’enseignement, on peut imaginer une société dans laquelle la composition sociale des écoles serait très différente de la composition sociale de la population nationale dans son ensemble, mais qui serait considérée comme égalitaire dans sa mise en valeur des « réserves de talents et d’aptitudes » (c’est-à-dire celles des élèves les plus doués) de façon égale au sein de tous les groupes sociaux. Il y aurait alors égalité des chances pour les plus capables, mais les principes de l’égalitarisme ne seraient pas valables pour les autres, simplement à cause des inégalités intellectuelles. Ici, on affirme que ceux qui « méritent » l’égalité des chances à cause de leur niveau intellectuel, de leurs connaissances ou de leurs aptitudes, devraient avoir ces chances. 3. « L’inégalité des chances » de réalisation des rêves et d'aspirations des jeunes, qu’ils soient ou non justifiés et réalistes. Dans ce troisième cas, on affirme que ceux qui désirent avoir droit à l’égalité des chances devraient en profiter, qu’ils le méritent objectivement ou non. 4. « L’inégalité des chances de départ » conçue comme l’inégalité économique, sociale et culturelle des conditions dans lesquelles l’enfant se développe et qui font obstacle à l’épanouissement de ses capacités intellectuelles et de ses pôles d’intérêt, l’empêche d’accéder aux niveaux successifs de la connaissance et par là-même, lui barre l’accès aux institutions d’enseignement supérieur. Quel que soit le point de vue envisagé, le problème de l’inégalité des chances d’accès à l’enseignement résulte des considérations politiques et idéologiques de la démocratie. Les conséquences de ces diverses significations sont à la fois théoriques et pratiques (adoption de « numerus clausus »...). On peut concevoir une politique scolaire se proposant de fournir à tous les élèves indistinctement les meilleures chances de formation. On peut aussi imaginer une politique allant jusqu'à imposer certains handicaps aux plus doués pour que les plus défavorisés puissent faire jeu égal avec eux. En définitive, selon C. Jencks, 1979, « Si nous voulons l’égalité économique dans notre société, c’est en changeant nos institutions économiques, et non nos écoles, qu’il nous faudra l’obtenir ». Pour P. Naville, 1987, le principe fameux de l’égalité des chances est né des conditions mêmes du développement de la bourgeoisie capitaliste à savoir l’économie de marché, le capitalisme concurrentiel, le commerce bourgeois des compétences, en dépit de toutes les espérances collectivistes ou communautaires. De quelle égalité et de quelles chances s’agit-il? Interroge le sociologue. La chance ne peut être que le nom familier du hasard, abandonné à des conditions incontrôlées ; sinon, il s’agit des probabilités révélées par le calcul mathématique, qui suppose au contraire un certain contrôle des conditions envisagées. « Depuis près d’une centaine d’années en France, les divergences se sont polarisées sur l’interprétation d’un concept apparemment commun à toutes les tendances : celui d’égalité des chances. Rendre les 44 chances égales pour tous, c’est en apparence réaliser la justice sociale et, par là, assurer la paix civile. Et c’est aussi affecter chacun à l’emploi qui lui convient le mieux et qu’il remplira à la satisfaction de tous. Mais cette unanimité ne résiste pas à l’analyse des conséquences opérationnelles que les uns et les autres pensent voir en résulter. Pour les uns, l’égalité des chances sera réalisée par la suppression des filières socialement ségrégatives et par l’observation des aptitudes conduisant à une différenciation pédagogique. La nécessité d’une formation générale prolongée en fonction des exigences de professions de plus en plus abstraites conforte les tenants de l’unification. A l’arrière-plan de ces partis pris d’apparence technique, on trouve une idéologie nourrie à la fois d’éthique et de sociologie... A l’opposé de ce que les "réalistes" considèrent comme erreur "idéologique" s’exprime une conception toute différente, mais nourrie elle-même d’une idéologie cachée. Les hommes sont naturellement divers : ils ont des dons hérités de la nature. Le moteur du progrès est la compétition. L’égalité des chances consiste à laisser jouer la compétition qui conduit "naturellement" chacun à la place qui lui est naturellement assignée. Les classes sociales sont naturelles et inévitables. Essayer de les supprimer, c’est perturber gravement le jeu normal et abaisser le niveau des compétences au lieu de l’élever. », L. Legrand, 1994. L’objectif de l’égalisation des chances est devenu un objectif majeur pour les pays occidentaux pendant les années de croissance qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, mais le problème est de déterminer les moyens de parvenir efficacement à cette fin. « Deux solutions antithétiques se présentent presque immédiatement à l’esprit : on peut soutenir qu’en mettant les enfants dans un monde scolaire commun aussi longtemps que possible, on se rapprochera du résultat recherché... mais on peut utiliser une argumentation opposée : en introduisant des filières variées, on permettra à chacun de trouver chaussure à son pied. » R. Boudon, 1986. Dans notre pays, la scolarisation de masse dans le secondaire paraît techniquement réussie mais soulève des problèmes pédagogiques non résolus et s’est trouvée en défaut sur le terrain de l’orientation scolaire et de l’ajustement des formations aux besoins du marché du travail. Peut-être a-t-on fait l’impasse sur une fonction essentielle de l’éducation, à savoir la mise en place d’un espace de liberté citoyen et la construction d’un rapport à la connaissance. A. Prost, 1986, opère une distinction essentielle entre « la démographisation » par opposition à « la démocratisation ». L’accroissement de la démographie scolaire, c’est pour un segment du système d’enseignement, l’augmentation globale des taux de scolarisation, donc des chances moyennes de scolarisation de chacun. Notion à distinguer de la démocratisation, qui désigne le processus de rapprochement des chances scolaires d’élèves sociologiquement différents (selon l’appartenance sociale, le sexe, etc.). La démographisation n'entraîne pas nécessairement la démocratisation. La démocratisation, réelle, de l’enseignement peut s’accompagner d’une moindre mobilité sociale. Les études de l’INSEE, D. Goux et alii, 1998, sur la part de l’hérédité et de la formation dans la mobilité sociale soulignent à nouveau l’incapacité de l’école à corriger les inégalités sociales et culturelles. Si la démocratisation du système scolaire n’est pas négligeable, de fait les mécanismes qui permettent aux inégalités de se maintenir, perdurent en raison notamment de l’importance des stratégies de « positionnement » (demandes d’orientation, appels de décision, choix d’option, d’établissement, relations avec l’établissement scolaire) qui expliquent selon M. Duru et A. Mingat, un tiers des disparités d’accès à un second cycle long. Le recul des inégalités d’origine économique et le renforcement des inégalités d’origine culturelle sont apparus au cours des dernières décennies, avec l’essor du système éducatif, la multiplication des filières et l’importance croissante d’une bonne maîtrise des processus d’orientation (se montrer capable de faire face aux maquis des filières et à la complexité de l'information professionnelle). L’analyse sur quarante ans des inégalités de chances sociales, L.A. Vallet, 2001, conduit à imputer en grande partie la transformation de la structure sociale au développement de la scolarité en général, qui a contribué aussi à une « fluidité sociale » légèrement plus marquée entre les groupes sociaux, M. Duru-Bellat, 2002. La concurrence accrue pour les « bonnes places » (positions sociales dans une hiérarchie de revenus, de pouvoir et de prestige) se joue sur les bancs de l’école jusqu’à l’université : « La hiérarchie scolaire respecte les hiérarchies des origines sociales à peine moins souvent aujourd’hui qu’il y a vingt ans ». De plus, les inégalités de destinées sociales se construisent également tout au long de la vie professionnelle. Plus on avance dans la vie, plus ce qu'on vient de faire professionnellement 45 conditionne notre futur. Est-ce l'origine familiale ou la réussite professionnelle qui fait les bonnes carrières ? Faut-il en conclure à une fatalité de l’échec scolaire, produit du système nécessaire à l’équilibre du système ? « L’égalisation des chances de réussite par l’école et à l’école reste un idéal, une finalité vers laquelle il faut tendre mais en restant lucide, en sachant que l’échec scolaire peut régresser mais ne peut sans doute pas être éradiqué du système scolaire. » F. Best, 1997. La thématique de « l’égalité des chances » qui repose sur des savoirs historiques, sociologiques et philosophiques reste une grande préoccupation sociétale. Le philosophe Y. Michaud, septembre 2004, a relevé que le président de la République, J. Chirac, a prononcé 120 fois l’expression dans ses discours depuis 1995. Cependant, note J.L. Derouet, 2006, l’égalité des chances après la Deuxième Guerre mondiale relevait d’un grand compromis national, comparable à celui de forger l’unité nationale à la fin du XIXe siècle. Aujourd’hui, depuis la loi d’orientation sur l’éducation de L. Jospin, 1989, ne s’agit-il pas davantage d’équité, d’égalité des résultats et plus généralement d’une régulation par compromis locaux ? La notion d’« égalité des chances » est une problématique qui se pose en France et dans le monde entier. « Grande cause nationale 2006 », l’année suivante a été déclaré « Année 2007 : année mondiale de l’égalité des chances ». Commencer par améliorer l’égalité des chances dès l’école, est sans doute une voie prometteuse pour réaliser l’efficacité et l’équité en formation d’adultes. 2 Que signifie entreprendre une démarche qualité ? En première approche, une démarche qualité concerne l’ensemble des caractéristiques d'une entité qui lui confère l'aptitude à satisfaire des besoins exprimés et implicites, (définition économique proposée par l'International Organization for Standardisation, ISO). Il existe plusieurs niveaux de qualité : la qualité de conformité (assurance qualité); la qualité résultant de l'amélioration continue ; la qualité issue de l'innovation, etc. La qualité d'un service peut-être attendue, produite, conçue, perçue. L’essor de la logique de l’amélioration continue est symbolisée par l’ancien slogan de la société Philips : « Faisons toujours mieux ! ». La notion centrale est celle de « chaîne de valeur ». Aujourd’hui le but du jeu n’est plus de posséder tous les éléments de la chaîne de valeur, mais de contrôler les maillons stratégiques, P. Veltz, 2007. Ce sont les écarts entre ces différents services avec les besoins et les attentes qui sont sources de nonqualité et qu'il est nécessaire de diagnostiquer et de corriger pour améliorer les services. L’explosion de la navette spatiale Challenger en plein vol le 28 janvier 1986, en fournit une dramatique illustration. La navette a nécessité de mettre en commun le travail de plusieurs centaines d’équipes techniques, elle a mis bout à bout un nombre considérable de composants : tout ce travail et la vie de l’équipe ont été perdus par un joint qui n’a pas fonctionné de manière appropriée aux températures requises. Pour une chaîne de production complexe, le moindre dysfonctionnement d’une des parties menace la production du tout. Il en résulte, selon A. Léné, 2002, que les niveaux de qualité des facteurs ou de qualification des travailleurs qui sont engagés dans un processus de production commun doivent tous être élevés. Pour les autres types d’entreprises, les relations clients/fournisseurs évoluent tendanciellement de la qualité taylorienne vers la qualité totale. Un programme de travail agréé par les Etats Membres pour améliorer la qualité des systèmes d'éducation et de formation en Europe (l'orientation en faisant intégralement partie), connu sous le nom de « processus objectifs » (2001), a été approuvé par les chefs des gouvernements de l'Union Européenne en mars 2001. Un rapport européen sur les indicateurs de qualité du concept « se former tout au long de la vie » s'en est suivi, en 2002. Le mémorandum européen fait naître une nouvelle exigence en matière d’orientation : « veiller à ce que chacun ait facilement accès à une information et à des conseils de qualité sur l’offre de formation dans toute l’Europe, tout au long de la vie ». En Espagne, la loi organique d’orientation (LOCSE, 2002), s’inscrit dans le contexte européen de qualification, de validation des compétences et d’orientation tout au long de la vie, en considérant l’orientation « comme un facteur de qualité et d’amélioration de l’enseignement ». 46 Le management de la qualité peut être défini comme l’ensemble des actions de management orientées explicitement vers la qualité : planification de la qualité, maîtrise de la qualité, assurance de la qualité et amélioration de la qualité, L. Cruchant, 2000. On parle d’« entreprise du troisième type » pour qualifier une approche plus globale, dite de la « qualité totale » intégrant notamment les signaux de vigilance : zéro défaut, zéro délai, zéro panne, zéro stock, zéro accident, zéro stress, zéro mépris, etc. L’émulation est mis au service de la qualité : « benchmarking » comparaison avec la concurrence et « reporting » retour d’expérience. On parle de qualité de l’orientation, par les résultats (nombre de personnes orientées ou ayant recours aux services d’orientation, par les moyens (formation du personnel, suivi des orientés) par l’ajustement permanent (répartition territoriale, prévision de l’évolution des emplois…). Pour le MEDEF, 2002, une démarche compétences fait émerger une nouvelle conception de l’orientation : « l’objectif est de veiller à ce que chacun ait facilement accès à une information et à des conseils de qualité sur l’offre de formation et à des conseils de qualité sur l’offre de formation, dans toute l’Europe et tout au long de sa vie [...] il ne convient plus seulement d’envisager l’orientation pour les jeunes ou les adultes sortis du marché du travail et souhaitant y retourner. L’offre doit s’ouvrir à tous, même si la majeure partie des initiatives vise aujourd’hui à prévenir les échecs et à rattraper les abandons ». Cependant comme le font observer P. Frémeaux et C. Yerochewski, 2005, il n’y aura « aucune amélioration concrète des conditions dans lesquelles les services sont rendus, si elle ne s’accompagne pas d’une montée des normes imposées par l’administration et d’une sortie de la régulation concurrentielle qui prévaut aujourd’hui. [...] Car dans des activités de service, [...] toute amélioration de la qualité est nécessairement coûteuse : une vraie professionnalisation suppose d’assurer une formation du personnel, un encadrement constant et des conditions d’emploi, notamment en termes de temps de travail, lui permettant d’accéder à une rémunération décente. [...] Or, quelle que soit la bonne volonté des acteurs qui entrent aujourd’hui sur ce marché, si la concurrence par les prix continue de dominer, celle-ci continuera à jouer contre les conditions de travail et de rémunération des personnels et contre la qualité », (Alternatives économiques, mars 2005). Le CEDEFOP, 2005, a formulé huit axes d’amélioration de la qualité : articulation des critères qualité aux définitions et objectifs donnés à l’orientation tout au long de la vie ; importance centrale de l’usager ; qualité du système d’information utilisé comme ressource pour le réseau, les usagers et les acteurs ; les compétences des professionnels ; la production et l’appropriation de démarches et d’outils ; la formalisation et le développement des pratiques partenariales ; la régulation territoriale ; l’évaluation. Au-delà des préconisations propres à chaque contexte régional, le Référentiel qualité de l’orientation à l’échelle des régions européennes, 2006, définit un certain nombre de recommandations communes relatives au développement d’une approche qualité en matière d’orientation active, autour de six thèmes : 1. sensibilisation de tous les acteurs à la notion d’orientation tout au long de la vie et valorisation d’une approche formative ; 2. adaptation des services offerts aux besoins des publics (égalité d’accès, multiplicité des approches et des outils, recentrage sur l’usager) ; 3. conformité des ressources mises à disposition (systèmes d’information sur les formations, les emplois et les services d’orientation, personnels qualifiés et financements pérennes) ; 4. développement des réseaux d’orientation (instance de coordination et de régulation reconnue, soutien à la professionnalisation des acteurs et pratiques partenariales) ; 5. professionnalisation des personnels chargés de l’orientation (définition de profils, formations initiales et continues adaptées, développement des connaissances sur le contexte local) ; 6. assurance qualité (définition de standards et d’outils d’évaluation, consultations élargies aux publics et aux différents acteurs). Selon R. Normand et P. Cheynet, 2008, les organisations internationales entendent promouvoir une nouvelle gouvernance de l’orientation scolaire et professionnelle par des standards de qualité afin de satisfaire aux exigences de l’entrée des systèmes d’éducation et de formation dans une société de la connaissance. La qualité devient également un instrument de coordination de l’action publique régionale pour promouvoir la cohérence et la complémentarité des services concernés par la thématique de l’orientation tout au long de la vie (professionnalisation et mise en réseau des acteurs). 47 On le voit, entreprendre une démarche qualité implique le jeu de la transparence et la recherche de la performance. 3. Suffit-il d’être compétent pour être performant ? La première définition du terme « performance » est apparue en Angleterre, 1494, avec l’idée d’ « accomplissement d’une tâche, de mener à bien une action, un travail ». Vocable considéré comme du franglais, directement issu du verbe to perform, « interpréter », il est attesté au début des années soixante-dix dans le vocabulaire de la critique d’art aux Etats-Unis, et s’applique à toute manifestation dans laquelle l’acte ou le geste de l’exécution a une valeur pour lui-même et donne lieu à une appréciation esthétique distincte, Encyclopaedia Universalis, 1993. La performance est le résultat de la mise en œuvre de compétences. En pédagogie, tout objectif doit définir une performance à atteindre par l'apprenant et le formateur. Celle-ci doit pouvoir être évaluée par le formateur. Les psychologues à l’aide des tests ont réfléchi à la liaison entre performance et apprentissage (Tolman), comme les linguistes ont distingué la compétence de la performance (Chomsky). La distinction compétence/performance s’inscrit dans une longue tradition. N. Chomsky, 1965, l’a introduite en linguistique. Cette distinction a été aussi introduite dans l’étude du développement cognitif et a été jugée pertinente également dans les études culturelles et dans l’étude du raisonnement logique chez l’adulte. La compétence n’est que l’un des multiples facteurs de la performance. Une même performance peut être obtenue avec des niveaux de compétence différents et, réciproquement, une même compétence peut s’accompagner de niveaux de performance différents. La performance peut être définie selon deux acceptions : - La conformité au résultat attendu par l'organisation. En ce sens elle peut se confondre avec les objectifs atteints. Il s'agit de l'atteinte des buts fixés au salarié. En ce sens, un salarié performant atteint les objectifs qui lui ont été fixés. - Il peut s'agir d'un dépassement des objectifs fixés par l'organisation. En ce sens, le salarié performant fait plus que ce qu'on lui demande et ainsi mieux que les autres. La performance peut ainsi servir de base à une rémunération fondée sur des résultats objectifs. Cette distinction est d'importance d'autant que dans nombre d'organisations, l'évaluation des compétences des salariés se fait selon une gradation du type suivant : - n'atteint pas les résultats attendus ; - réalise ce qui lui est demandé ; - dépasse les exigences fixées ; - contribue de manière exceptionnelle. En ce sens, quelqu'un qui fait juste son travail est considéré comme un employé moyen, ce qui pose la question de la définition subjective de la performance, mais aussi des attentes parfois excessives vis-àvis des salariés. Pour le MEDEF, 2002, la performance est la mesure de la compétence en action, résultat chiffré : « Ce qui est baptisé système de reconnaissance des compétences s’apparente en réalité bien souvent à une batterie d’outils de mesure de la performance ». La révolution industrielle valorise la performativité du savoir (calculabilité des qualités). La performance ne serait-elle qu’une gestion de la crise ? Que l’on parle de performance de l’entreprise ou de performance dans l’entreprise, L’Homo performans dans un contexte professionnel suscite l’adhésion passionnelle, l’intensité de soi en quelque sorte, pour donner lieu à un hyperfonctionnement de soi. Dans une société de haute technologie et de compétitivité, le souci de perfection peut conduire au perfectionnisme : on peut toujours mieux faire et toujours plus. Nous avons toujours du mouvement 48 pour aller plus loin. R. Barthes a parlé de « s’ouvrir à la circulation des énergies », c’est-à-dire de passer les limites habituelles de l’homme. La performance est-elle une nouvelle idéologie ? Le domaine du sport est un bel exemple, des ambiguïtés de la performance, liée à la passion du risque et à la quête de soi, I. Queval, 2004. Le culte de la performance qui invite sans cesse l’individu à « performer » pour devenir soi-même, pénètre l’ensemble de nos activités sociales, et marque notre rapport au temps, aux autres et à nous-mêmes, B. Heilbrunn, 2004. L’idéologie de la performance nous interdit de penser/panser nos imperfections, impuissances et ratages. » Le surhomme n’est pas celui qui est très fort ou très puissant ; le surhomme, c’est l’ensemble des hommes dès lors qu’ils coopèrent et s’allient pour progresser et atteindre des performances supérieures », A. Jacquard, 2004. La performance : jusqu’où ? F. Dubet, 2004, critique la performance comme modèle de justice et évoque les « cruautés de la performance » qui dès l’école, engendre la révolte des « vaincus ». La sociologue N. Aubert, 2006 a développé le concept d’ hyper (per)formance : « L’exigence sans cesse accrue de compétitivité économique et le culte des records poussé à l’extrême dans une société où se sont peu à peu évanouies les sources de transcendance religieuse ou idéologique (incitaient) à penser que l’on assiste à l’émergence d’une nouvelle forme de religion : celle de la performance et du dépassement de soi ». Le temps des classements et palmarès, la multiplication des évaluations sont les symptômes du règne de l’hyperformance qui conduit non plus à l’accomplissement de soi, mais à l’excès de soi (zèle, virilité, etc.). 4. Chacun (e) est-il (elle) appelé (e) à l'excellence ? Dans leur rapport qui apparaît rétrospectivement comme l’un des textes fondateurs de l’Ecole républicaine du XXe siècle, P. Langevin et H. Wallon, 1947, évoquaient la pluralité des excellences, fondement d’une société moderne, équitable et efficace. L’école française est-elle capable de reconnaître une forme d’excellence qui ne soit pas l’excellence académique, stricto sensu ? « L'excellence naît de la difficulté » selon Spinoza. Le thème de l’excellence recouvre une politique d’amélioration continue des processus de conception et de réalisation de la qualité. La recherche de l’excellence dans la compétition se confond parfois avec les « zéros olympiques » évoqués précédemment : zéro panne, zéro délai, zéro stock, zéro papier, zéro accident, zéro mépris, etc. L’excellence existe lorsque l’institution scolaire est capable d’amener chaque étudiant à atteindre les objectifs d’apprentissage du programme d’éducation à un niveau approprié et réaliste de réussite, mais aussi aux limites de ses capacités personnelles. La mise ne place de « l’orientation active » peut par exemple, s’intégrer comme à l’université de Lille 2, dans une mission de développement de la qualité du service public. Ethier, 1989, dégage sept caractéristiques de l’excellence en éducation : - les objectifs et les priorités du programme scolaire sont bien explicités et rejoignent les attentes qualitatives de la formation de l’étudiant; - les standards, les attentes et les exigences sont précisés et déterminent les conditions véritables de la réussite des étudiants; - les contenus des programmes aussi bien que les méthodes de transmission des connaissances sont suffisamment explicites pour constituer des points d’appui de première importance pour le succès des étudiants; - l’organisation scolaire et la diffusion de l’enseignement font en sorte que tous savent comment, quand et où le processus éducatif interviendra. Elles touchent les étudiants et les professeurs et leurs interactions mutuelles; - l’organisation du temps consacré aux activités d’enseignement et à la gestion de ce temps est assumée par l’école. Il en est ainsi pour toutes les autres activités plus ou moins reliées à l’enseignement; - toutes les ressources humaines disponibles et toutes les ressources matérielles, didactiques et financières sont utilisées de façon optimale pour rendre l’école efficace et efficiente; 49 - les rôles et les responsabilités du personnel professionnel sont continuellement précisés et constituent le plus souvent la base pour leur évaluation et les récompenses professionnelles. Après la massification de l’enseignement apportée par la démocratisation quantitative, les exigences de qualité de l’éducation scolaire et universitaire rendront nécessaire dans les premières décennies du IIIe millénaire, la mise en œuvre de l’école de l’excellence pour tous. Pas d’excellence sans alliance. L’examen du cas des normaliennes et normaliens scientifiques montre que l’excellence scolaire est aussi une affaire de famille. M. Ferrand, F. Imbert, C. Marry, 1999, soulignent le fait que filles et garçons sont étonnamment semblables sauf sur un point crucial : « elles ont bénéficié, quel que soit leur milieu social, d’une éducation bousculant les stéréotypes de sexe… Les normaliennes scientifiques interrogées déclarent avoir été éduquées dans des familles où filles et garçons, aînés et cadets, étaient de la part de leurs parents, l’objet d’un traitement égalitaire, le destin scolaire et professionnel d’un enfant ne se dessinant jamais d’après son sexe ou son rang dans la fratrie… ici la famille est moins envisagée comme un destin que comme un lieu moderne d’éducation et d’égalité de traitement entre filles et garçons ». L’excellence ne se fait-elle pas aux dépens de la qualité moyenne du système et d’un mépris « du maillon faible » ? Le best-seller américain de T. Peters et R. Waterman, 1983, Le prix de l’excellence, célébrait le culte de la performance. Depuis lors des travaux de sociologie clinique, N. Aubert et V. de Gaulejac, 1991, ont souligné « le coût psychique de l’excellence » qui fait dire à M. Lacroix, 2007, que dans la mesure où l’idéologie de la réussite envahit tout, « la société d’excellence se transforme inexorablement en une société de dépression », avec la montée de l’anxiété dans le monde de la formation (y compris d’adultes) et de la souffrance au travail. Selon le sociologue, M. Oberti, 2006, c’est avant tout une pratique de classes supérieures de rechercher l’excellence scolaire, l’entre-soi, de telle sorte d’atteindre un niveau toujours supérieur à celui qui est directement accessible. On a là un effet d’emballement dans la compétition scolaire, dans la recherche de l’excellence. Les classes moyennes ne sont pas d’abord en quête de l’excellence scolaire. Elles aspirent seulement à ce que leurs enfants soient scolarisés dans de bonnes conditions et qu’ils puissent s’épanouir dans l’établissement qu’ils fréquentent. Au niveau de l’enseignement supérieur, la France se met « à l’école de l’excellence » : l’Université française doit retrouver sa place parmi les meilleures au monde, (Déclaration de V. Pécresse, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, in Le Monde du 21 mai 2008). 5. L’orientation en continue : une « utopie concrète » ? L’orientation à tout âge de la vie est une idée révolutionnaire. Pour en mesurer la portée, il faut savoir de quoi l’on parle précisément et connaître d’où l’on vient. L’emploi transitif du verbe orienter au sens de « remettre sur le bon chemin, indiquer le chemin à prendre n’est repéré qu’en 1862. Vers la fin du XIXe siècle, le mot reçoit la valeur métaphorique de « suggérer (à quelqu’un) une direction d’activité, imprimer un certain cours » (1893), spécialement en sciences de l’éducation (1903), d’où s’orienter « diriger son activité » (1922). L’homme qui s’oriente, recherche une harmonie, L’homme de Vitruve, L. de Vinci, 1492, et une méthode pour gouverner sa raison et ses passions, R. Descartes, 1637. Orientation professionnelle (1922) ; Orientation scolaire (1936) ; Orienteur (1938) : personne qui a pour rôle d’orienter la vie scolaire et professionnelle. Le participe passé, orienté(e), adjectivé, présente quelquefois au sens figuré la valeur péjorative qui a une certaine tendance, doctrine (1959). A. Rey, 1995, Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert. Orienter, au sens de diriger, influencer, n’est jamais anodin : « Le gendarme orienta le promeneur égaré dans la bonne direction », Dictionnaire de synonymes, Larousse, 1996. La 100e édition Le Petit Larousse illustré (2005) retient l’idée de l’orientation scolaire et professionnelle des années 2000 : « détermination de la meilleure voie, dans l’enseignement secondaire, professionnel et supérieur, en fonction des aptitudes et des motivations du sujet, ainsi que du marché de l’emploi » en y ajoutant la direction prise par une action, une activité (orienter un débat), 50 voire une conformité à une tendance idéologique ou politique, par exemple « l’orientation laïque de la politique scolaire ». Au plan international, le Conseil de l’éducation et de la formation, 2001, amendant une définition de l’UNESCO 1992, propose la définition suivante de l’orientation : « L’orientation consiste à permettre à l’individu de se mettre en capacité de prendre conscience de ses caractéristiques personnelles et de les développer en vue du choix de ses études, de ses formations et de ses activités professionnelles, dans toutes les conjonctures de son existence, avec le souci conjoint du devenir collectif solidaire et de l’épanouissement de sa personnalité et de sa responsabilité. ». L’avis du CEF précise que « l’orientation représente un processus étroitement associé à la scolarité et à la formation. Elle devient efficace si les démarches incluent une information large sur les études et les métiers. Ce n’est pas à dix-huit ans, à la fin- théoriquement du moins- du secondaire, que les choses se jouent. A ce momentlà, ce devrait être l’heure du fignolage, du choix des études supérieures ou de son insertion professionnelle sur la base d’une connaissance de soi, de ses compétences, de la place qu’on veut occuper au sein de l’espace professionnel existant et de ses exigences, qu’il ait pu se forger des centres d’intérêt, définir progressivement un secteur d’activité ou un type d’engagement professionnel qui lui paraisse désirable ». On le voit, l’orientation est un terme ambigu et polysémique qui évolue comme une nébuleuse sur la Toile (136 000 000 occurrences sur Google en français, au 1° octobre 2008). D’un côté, il désigne les modalités de production et de reproduction de la division sociale et technique du travail. De l’autre, il fait référence à l’action de donner une direction déterminée à sa vie. L’orientation concerne les jeunes et leur famille et aussi de plus en plus fréquemment de nombreux adultes, qui à divers moments de leur vie professionnelle souhaitent ou doivent se reconvertir, se « réorienter », bifurquer. S’orienter, au sens de trouver ou retrouver son chemin (qui n’est plus tout tracé) versus diriger quelqu’un vers un service ou une personne. Le monde bouge et la vie nous transforme. S’orienter implique des convictions, de la volonté et un certain courage : « le courage des commencements » (V. Jankélévitch). S’orienter à chaque âge de la vie peut être considéré comme l’un des « arts formateurs de l’existence », G. Pineau, 1996. S’orienter est une aventure, celle d’explorer le monde et de se mettre en mouvement. J. Aubret, 2004, rappelle que la notion d’orientation contient un présupposé trop souvent impensé : « l’affirmation conjointe de l’indétermination du devenir humain et de l’emprise possible de l’homme sur la gestion de ce devenir ». Sortie des « arts divinatoires », l’orientation a d’abord été « vocationnelle », puis professionnelle (OP), scolaire et professionnelle (OSP), étendue plus récemment au monde universitaire (« l’orientation progressive » au sein du LMD). Désormais, l’orientation étendue à tous les âges de la vie, est devenue existentielle. Le paradigme existentiel conjugue l’orientation à chaque âge de la vie et s’applique à toutes les circonstances de l’existence. L’orientation contemporaine devient un processus développemental et continu au cours duquel la personne, tout au long de sa vie, prépare, élabore et réalise des projets de formation, sociaux et professionnels. On ne s’oriente plus et on ne se forme plus pour la vie ; l’orientation et la formation concernent chacun (e) d’entre nous tout au long de son existence. Depuis les origines, les promoteurs de l’orientation professionnelle entendaient lutter contre le gâchis humain, sous toutes ses formes, et notamment contre les accidents du travail, F. Danvers, 1988. L’orientation tout au long de la vie est une approche transversale de l’orientation professionnelle qui dépasse les frontières géographiques (sur un plan transnational), les frontières générationnelles (junior vs senior), les frontières des qualifications (s’adressant aussi bien aux publics peu qualifiés qu’aux cadres) et les frontières des statuts professionnels (demandeurs d’emploi, salariés, professions libérales, etc.). Orientation continue, orientation continuée, prise au sens large d'orientation comme processus. La fonction d’orientation qui sous-tend une vie, donne sens aux actes qui s’enchaînent dans une « attitude naturelle » au sens phénoménologique du terme. L'orientation concerne tous les publics : jeunes scolaires, apprentis, étudiants, travailleurs, non salariés, chômeurs, personnes du « troisième âge »… Des thématiques comme le retour aux études, la progression dans la carrière, le changement de travail, la mise à pied, etc. se sont banalisées dans la vie dite « active », d’où les demandes d’orientation tout 51 au long de la carrière. En prenant l’exemple des années sabbatiques octroyées aux professeurs des universités américaines, A. Jacquard, 2004, considère que « si nous admettons que la construction de l’intelligence est l’œuvre d’une vie entière, il faut donner à tous les citoyens le moyen de retrouver de l’énergie et surtout la possibilité d’entamer une bifurcation…de réorienter une activité, d’entreprendre de nouvelles études pour un projet à long terme, etc. ». J. Attali, 2006, nous rappelle que « le savoir disponible double tous les sept ans, et doublera tous les 72 jours en 2030 », apprendre et s’orienter constitueront les deux chantiers prioritaires du futur pour rester « employable ». La sollicitation permanente de la subjectivité (l’injonction à être « motivé ») a pour conséquence la mise à l’épreuve de l’individu dans des dispositifs qui se veulent toujours plus efficaces à défaut d’être plus équitables. Les partenaires sociaux ont été parmi les premiers à évoquer l’orientation tout au long de la vie. En effet, l’expression est consacrée pour la première fois dans l’Accord national interprofessionnel du 20 septembre 2003. L’orientation tout au long de l’existence est le fruit d’une résolution adoptée par la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social qui offre notamment la possibilité du droit individuel à la formation (DIF). D’après l’étude réalisée par le CEDEPRO, Centre européen d’étude et de développement des pratiques en orientation, OCDE, 2001, 30 000 à 35 000 personnes travaillent dans le champ de l’orientation, mais il n’existe pas, en France, à l’heure actuelle, de service commun d’orientation tout au long de la vie. L’orientation tout au long de la vie « se réfère à une série d’activités qui permettent aux citoyens de tous âges, à tout moment de leur vie, d’identifier leurs capacités, leurs compétences et leurs intérêts, de prendre des décisions éclairées en matière d’enseignement, de formation et d’emploi, et de gérer leur parcours personnel dans l’étude, le travail et d’autres cadres dans lesquels ces capacités et ces compétences sont acquises et/ou utilisées. L’orientation est dispensée dans des lieux et contextes divers : dans l’enseignement, la formation, l’emploi, la collectivité et à titre privé », (OCDE/Communautés européennes, 2004). On peut donner comme exemples de ces activités l’information et les conseils, l’évaluation des compétences, le tutorat, la défense des intérêts (des clients), la formation à la prise de décision en matière de carrière, et les techniques de gestion de carrière. Des termes divers sont utilisés dans les différents pays pour décrire ces activités. On parle d’orientation scolaire, professionnelle et de carrière, d’orientation et de conseils, de conseil professionnel et d’orientation. Du point de vue de la recherche en sciences humaines et sociales, l’attention se focalise davantage de nos jours, sur les processus en jeu dans l’orientation des personnes et des groupes humains que dans les mécanismes opératoires, le plus souvent bureaucratiques, d’affectation sociale des individus à leur environnement. L’orientation à tout âge peut être considérée, selon nous, comme un domaine scientifique interdisciplinaire inscrit dans un champ autonome. Elle met en œuvre des recherches et des pratiques soutenant des processus et des stratégies d’insertion sociale, professionnelle et culturelle des acteurs sociaux. Dans le contexte de l’âge post-industriel, de la société de la compétence, de l’économie de la connaissance et de l’éducation tout au long de la vie, l’orientation s’intègre dans tous les processus de socialisation de l’individu, précisément dans les environnements tels que : formation, emploi et protection sociale. Elle fonctionne en quelque sorte comme un outil de soutien continué en prise directe avec les mécanismes d’intégration et de réintégration des acteurs sociaux. L’orientation en continu est une technique de sécurisation des parcours scolaires et professionnels. En cela elle participe à une exigence d’efficacité et d’équité en éducation et dans la vie professionnelle. ELEMENTS BIBLIOGRAPHIQUES (sélection) - Barreau J.M., 2007, coord., Dictionnaire des inégalités scolaires, Paris, ESF - Baudelot C. & Leclercq, F., dir. 2005, Les effets de l’éducation, Paris, La documentation française - Danvers, F., éd. 2006, Modèles, concepts et pratiques en orientation des adultes, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion - Dejours, C., 1998, Souffrance en France, Paris, Seuil - Derouet,J.L., 1992,Ecole et justice, Paris, Métailié 52