Fusion Avoués et avocats Junillon

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Fusion Avoués et avocats Junillon
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LA SEMAINE DU DROIT APERÇUS RAPIDES
AVOUÉS
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Fusion avoués/avocats
Pour le meilleur et pour le pire
POINTS-CLÉS ➜ La loi n° 2011-94 emporte fusion des professions d’avocat et d’avoué près
les cours d’appel à la date du 1er janvier 2012 ➜ La représentation reste obligatoire et est
désormais assurée par l’avocat ➜ La territorialité est maintenue et la représentation devant la
cour sera assurée par un avocat exerçant dans le ressort de la cour ➜ Une période transitoire
de 3 mois est instaurée pendant laquelle, l’avoué peut exercer simultanément les deux professions ➜ Le tarif des avoués est supprimé ➜ Des mesures d’indemnisation sont mises en place
aussi bien pour les avoués que pour leur personnel ➜ Des facilités d’intégration dans la fonction publique sont envisagées
Jacques Junillon,
avocat honoraire, avoué à la cour
honoraire
O
bjet du texte. - La loi du 25 janvier
2011 (L. n° 2011-94 : JO 26 janv.
2011, p. 1544) qui procède par modification de la loi n° 71-1130 du 31 décembre
1971 portant réforme de certaines professions
judiciaires et juridiques, emporte fusion des
professions d’avocat et d’avoué à la cour d’appel. Derrière cette appellation, il s’agit en fait
de la suppression de la profession d’avoué à la
cour. La commission Attali appelait les choses
par leur nom lorsqu’elle proposait « de supprimer la profession d’avoué » (Commission
Attali, rapp. 23 janv. 2008, prop. n° 213 : La
Documentation française, 2008)
Motifs de la réforme. - Le rapport Attali,
dans sa proposition 213, a fait ressurgir un
problème discuté depuis des décennies, même
si la proposition ne visait qu’à la suppression
d’une profession aux termes de quelques
lignes lapidaires. Il reste que l’on pouvait s’interroger légitimement sur la pertinence du
maintien d’une dualité de professionnels au
niveau de la cour d’appel, d’autant que la dualité de professions est inconnue dans de nombreux pays de la Communauté européenne.
Le souci de rationnaliser un système judiciaire
et d’abaisser le coût des procédures, même
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si l’on revient sur le principe de gratuité du
service public en instaurant une taxe, peut
légitimer une décision. Mais il n’apparaît pas
nécessaire de se référer à une contrainte issue de textes européens (Dir. 2006/123 CE,
12 déc. 2006 relative aux services dans le marché intérieur : JOUE n° L 376, 27 déc. 2006),
qui n’est pas démontrée ainsi que l’a relevé le
professeur Nourissat (C. Nourissat, Intervention du 27 juin 2008, XXVIIe Journées d’étude
de la chambre nationale des avoués, Palais des
congrès, Paris). Au surplus, il y aurait de ce
point de vue, une certaine incohérence à se
référer à une exigence née de la directive européenne du 12 décembre 2006, alors même que
la réforme précise que les avoués pourront accéder aux professions d’avocat aux conseils et
d’huissier, qui bénéficient d’un monopole et
qu’elle ne modifie pas la situation des avocats
à la cour d’Alsace Moselle… En réalité, le motif est à rechercher dans une simple approche
de politique interne, ce qui dans son principe,
ne lui enlève pas sa légitimité.
Les conséquences prévisibles. - Les avoués,
qui n’ont que très peu de clientèle personnelle, verront leur activité réduite à néant. Si
une partie non négligeable d’entre eux prendra sa retraite, si une petite fraction usera des
possibilités d’intégrer le service public, si certains deviendront collaborateurs de cabinets
d’avocats, la majorité devra recréer ex nihilo
un cabinet d’avocat avec une clientèle convenable, ce qui nécessitera de longues années.
S’agissant des salariés, qui présentent la
double particularité d’être plus nombreux
que dans les cabinets d’avocats en proportion des dossiers traités et mieux rémunérés,
ils vont faire l’objet de licenciements économiques massifs d’autant que le texte prévoit
que les indemnités de licenciement ne seront
pris en charge que dans la mesure où le licenciement interviendra avant le 31 décembre
2012 (31 décembre 2014 pour le personnel
de la chambre nationale des avoués).
Plus importantes encore pour le futur sont
les conséquences d’une telle réforme sur la
qualité de la justice. Une amélioration de la
situation est incertaine pour de multiples
raisons. Il est prévisible, et cela est d’ailleurs
relevé par l’étude d’impact, que les avocats
constitueront un filtre moins performant
que les avoués autrefois de telle sorte qu’une
augmentation des appels de l’ordre de 15 %
est envisagée.
Par ailleurs, il y a une spécificité de la procédure d’appel, encore renforcée par les décrets
du 9 décembre 2009 (D. n° 2009-1524 : JO 11
déc. 2009, p. 21386 ; JCP G 2009, act. 3, Aperçu
rapide H. Croze) et du 28 décembre 2010 (D.
n° 2010-1647 : JO 29 déc. 2010, p. 22919 ; JCP
G 2010, act. 37, Aperçu rapide N. Fricero).
Pour être spécialiste, il faut traiter régulièrement un certain nombre de dossiers et mener
très fréquemment la procédure. L’avoué qui,
à longueur d’année, menait ces procès, était
un spécialiste ; l’avocat, qui, très épisodique-
LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 5 - 31 JANVIER 2011
LA SEMAINE DU DROIT APERÇUS RAPIDES
ment au cours de l’année, représentera une
partie devant la cour, ne le sera pas.
Pour le surplus, à la suite de la jurisprudence
très rigide portant à la fois sur l’autorité de
la chose jugée (Cass. ch. mixte, 25 oct. 2004,
n° 03-14.219 : JurisData n° 2004-025364 ; D.
2005, p. 757. – Cass. ass. plén., 13 mars 2009,
n° 08-16.033 : JurisData n° 2009-047469 ;
JCP G 2009, II, 10077, note P.-Y. Serinet) et
sur la nécessité de concentrer l’ensemble des
moyens (Cass. 2e civ., 4 mars 2004, n° 0212.141 : JurisData n° 2004-022590 ; D. 2004,
somm. p. 1204, note N. Fricero), voire même
les demandes nées d’une même cause dans
une même instance (Cass. 1re civ., 28 mai
2008, n° 07-13.266 : JurisData n° 2008044114 ; JCP G 2008, II, 10157, note G. Chabot ; JCP G 2008, II, 10170, note G. Bolard.
– Cass. 2e civ., 25 oct. 2007, n° 06-19.524 :
JurisData n° 2007-041119), le double regard
de deux spécialistes devant le tribunal puis
devant la cour, apparaît bien utile. Il y avait
dans cette situation, la nécessité de regarder
les choses dans leur globalité et il eût peutêtre été préférable de spécialiser d’avantage la
procédure d’appel et de la confier à des avocats de cour d’appel (Th. Le Bars, Suppression
de la profession d’avoué : et après ? : JCP G
2009, act. 91, Libres propos. – H. Croze, Les
professionnels du droit doivent-ils être spécialisés ? : Procédures 2009, repère 8).
Mais c’eût été conduire une réflexion d’ensemble, incompatible avec le vœu politique
d’un réformisme d’urgence, conduit par un
ministère, dont le chef a été changé à trois
reprises pendant le temps de la discussion
du texte.
Enfin le pari repose sur la mise en place d’une
communication électronique efficace, qui
n’existe pas partout aujourd’hui, ce dont le
Gouvernement a dû enfin se convaincre, ce
qui l’a conduit à différer l’appel par voie électronique par le décret du 28 décembre 2010
et à le réserver par l’arrêté ministériel du 23
décembre 2010 (JO 29 déc. 2010, p. 22920) à
quelques cours d’appel déjà équipées, créant
ainsi une différence de procédure d’appel selon les cours !
La représentation reste obligatoire et territoriale. - Désormais la première phrase du
deuxième alinéa de l’article 5 de la loi du 31
décembre 1971 est ainsi rédigé : « Ils exercent
exclusivement devant le tribunal de grande
instance dans le ressort duquel ils ont établi
leur résidence professionnelle et devant la cour
d’appel dont ce tribunal dépend, les activités
antérieurement dévolues au ministère obligatoire des avoués près les tribunaux de grande
instance et les cours d’appel » (L. n° 2011-94,
art. 3). La représentation reste obligatoire
dans les cas où elle l’était : elle s’inscrit toujours dans une territorialité maintenue en
dépit d’un questionnement persistant dans
certains milieux, voire même renforcé dans
la perspective d’une procédure par voie électronique. Mais il est vrai que doit être pris en
compte l’équilibre financier de nombreux
barreaux. Il n’en reste pas moins que le système actuel est compliqué.
L’avocat de première instance qui ne pouvait
pas représenter son client devant le tribunal
de grande instance dont ne relève pas son
barreau, pourra représenter ce même client
devant la cour d’appel, si celle-ci est la juridiction supérieure du tribunal auquel il appartient.
Au surplus, compte tenu des particularités
nées de la création de la cour de Versailles,
il est prévu une disposition particulière. De
même, à la suite de l’annexion de l’Alsace
Moselle à l’empire allemand et des lois des 20
février 1922 et 29 juillet 1928, existe toujours
le système particulier de représentation devant les cours d’appel de Metz et Colmar, laquelle est assurée par des avocats inscrits sur
un tableau particulier des postulants devant
la cour. Enfin un autre régime particulier de
représentation par les avocats existe pour les
cours d’appel d’outre mer.
Une situation intermédiaire. - L’article
24 de la loi n° 2011-94 prévoit une période
de trois mois, courant du 1er octobre au 31
décembre 2011, pendant laquelle l’avoué,
ensuite de sa demande d’inscription au barreau, pourra exercer simultanément les deux
professions. Cette période demandée par les
avoués a été limitée à trois mois, de crainte
d’une concurrence déloyale envers les avocats, mais le temps de trois mois retenu est
évidemment ridicule et ne permet nullement à l’avoué de prendre des dispositions
de nature à trouver une nouvelle clientèle. En
outre, le second alinéa précise que : « Toutefois, ils ne peuvent simultanément postuler et
plaider dans les affaires introduites devant la
cour d’appel avant cette date pour lesquelles
la partie est déjà assistée d’un avocat à moins
que le dernier ne renonce à cette assistance ».
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La transmission des dossiers aux fins de
représentation. - La difficulté est traitée par
l’article 27 de la loi, qui pose le principe du
maintien des rôles de chacun jusqu’à la fin
de la procédure. « Dans les instances en cours
à la date d’entrée en vigueur du chapitre Ier
de la présente loi [1er janvier 2012], l’avoué
antérieurement constitué qui devient avocat conserve, dans la suite de la procédure et
jusqu’à l’arrêt sur le fond, les attributions qui
lui étaient initialement dévolues. De même
l’avocat choisi par la partie assure seul l’assistance de celle-ci ». Dans la majorité des cas,
les avoués mèneront ainsi à terme les procédures d’appel à eux confiées avant la fusion.
Le législateur a précisé que cette situation
s’appliquait sous réserve de la démission,
du décès ou de la radiation de l’un des auxiliaires. Cela semble évident et constitue
d’ailleurs aux termes de l’article 369 du Code
de procédure civile une interruption légale.
Dans les hypothèses où l’avoué ne souhaite
pas devenir avocat et interrompt son activité,
il y aura d’évidence nécessité pour la partie
de mandater un nouveau représentant. Dans
la mesure où plus de 20 % des avoués ont
plus de 60 ans et où d’autres voudront changer d’activité, des radiations et démissions
interviendront. Il faudra distinguer les hypothèses où la représentation était assurée par
une personne physique de celles où elle était
assurée par une SCP, dont l’existence ne sera
pas obligatoirement affectée par le retrait de
l’un des associés.
L’article 27 envisage également une situation différente d’une part en cas d’accord
entre avocat et avoué et en cas de décision
contraire de la partie intéressée. Il en ressort
qu’en cours de procédure d’appel, la partie
peut elle-même décider de retirer le dossier
confié à l’avoué pour le confier à son avocat.
Le texte précise encore « Dans tous les cas,
chacun est rémunéré selon les dispositions applicables avant cette entrée en vigueur ». Il faut
en déduire que pour tous les dossiers engagés
avant la fusion des deux professions, l’avoué à
la cour est rémunéré selon le tarif des avoués,
tandis que l’avocat est rémunéré par un honoraire librement fixé sauf aide juridictionnelle. Les notes risquent d’être difficilement
compréhensibles pour le justiciable.
Une procédure plus onéreuse devant la
cour. - Le tarif des avoués ne survit pas à
la fusion et l’avocat sera rémunéré selon un
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honoraire fixé consensuellement. Il reste que
parallèlement est envisagé d’insérer dans les
frais de justice restant à charge du perdant,
une somme forfaitisée sur le montant de laquelle il est encore discuté mais qui pourrait
être de l’ordre de 800 €. Dès lors, si ce système est mis en place (mais cette idée n’est
plus discutée au moins officiellement de
telle sorte que le flou demeure !), soit l’avocat se contente de cette somme et celle-ci
sera prise en compte dans les dépens, soit il
convient d’une somme supérieure à ce titre
et le recouvrement sur le perdant ne pourra
se faire au-delà de la somme forfaitaire. Au
simple titre de la représentation, il est ainsi
acquis d’une part que dans certains cas le
gagnant supportera une partie de la charge
financière, et d’autre part que pour les procès
de petite importance financière où un droit
minimum trouvait à s’appliquer autrefois
(environ 175 €), les dépens seront désormais
très supérieurs, et ce sans compter la taxe de
150 € due par les parties à l’instance d’appel
(à l’exclusion des bénéficiaires de l’aide juridictionnelle), instituée par la loi de finances
rectificative n° 2009-1674 du 30 décembre
2009 créant un article 1635 bis P du Code
général des impôts. En l’état des textes, non
seulement la procédure d’appel sera plus
onéreuse, mais le plus souvent, le gagnant
du procès conservera à sa charge de lourds
honoraires, à moins que les magistrats ne
haussent le montant de l’article 700 du Code
de procédure civile, habituellement octroyé.
La structure juridique de l’avocat-avoué.
- Sur ce terrain aussi, les choses ne sont pas
claires, mais il faut reconnaître la difficulté
de la tâche. L’article 27 de la loi prévoit que
« l’avoué qui renonce à devenir avocat avise
la partie, au plus tard trois mois avant la date
d’entrée en vigueur du chapitre Ier de la présente loi [1er janvier 2012] , qu’il lui appartient
de choisir l’avocat qui se constituera comme
postulant à compter de cette date ».
La pratique rencontrera des cas où l’information n’est pas donnée à la partie dans le
délai précité soit que l’avoué qui interrompt
son activité néglige cette obligation, soit qu’il
n’ait pas encore arrêté définitivement sa décision dans ce délai. Sur les 433 avoués qui
exercent dans 231 offices, dont 177 SCP et
une SELARL (source administrative, qui
diffère de quelques unités des chiffres de la
chambre nationale : 445 avoués pour 235
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études), vraisemblablement au moins une
centaine cesseront toute activité compte tenu
du pourcentage de sexagénaires dans la profession, ou intégreront la fonction publique.
Si l’intéressé exerçait à titre individuel, il n’y a
pas de difficulté, chaque dossier donnant lieu
à avis à la partie et à désignation d’un avocat
pour assurer désormais la représentation. Si
l’intéressé exerçait au sein d’une société, le
départ de l’un de ses membres, sauf à respecter les textes en la matière dans les délais
légaux, ne met pas fin à la société qui peut
continuer à assurer la représentation.
Si les avoués de la SCP décident tous de ne
pas rejoindre la nouvelle profession, il y aura
lieu à dissolution de la société, laquelle ne
pourra poursuivre la représentation de telle
sorte que celle-ci sera reprise par un nouvel
avocat.
L’article 25 de la loi dispose ainsi : « Si elles ne
sont pas dissoutes, les sociétés constituées en
vue de l’exercice de la profession d’avoué ont
pour objet social, dès la date d’entrée en vigueur du chapitre Ier de la présente loi [1er janvier 2012], l’exercice de la profession d’avocat.
Leurs membres disposent d’un délai de six
mois à compter de cette date pour en adapter
les statuts et, notamment, le montant du capital social ». Il est curieux qu’un texte puisse
imposer d’autorité une modification de l’objet social, qui est un élément fondamental
d’un consentement donné par une personne
pour une activité particulière. Deux personnes ont pu vouloir exercer la profession
d’avoué dans une SCP sans pour autant
que demain ces mêmes personnes veuillent
travailler comme associés dans une activité
d’avocat, exigeant des qualités différentes.
Des retraits ou des scissions vont avoir lieu,
qui vont entraîner des difficultés d’autant
plus importantes que le plus souvent, c’est la
SCP qui était titulaire de l’office.
L’accès à la nouvelle profession d’avocat
ou à d’autres professions. - En application
de l’article 21 de la loi, les avoués qui ne souhaiteraient pas devenir avocat pourront, sur
leur demande présentée dans les cinq ans à
compter de la publication de la loi accéder
aux professions d’avocat au Conseil d’État et
à la Cour de cassation, de notaire, de commissaire-priseur judiciaire, de greffier de
tribunal de commerce, d’huissier de justice,
d’administrateur judiciaire et de mandataire
judiciaire. En application de l’article 22 de la
loi, les collaborateurs d’avoué, titulaires de
l’examen d’aptitude à la profession d’avoué,
sont dispensés de la formation théorique et
pratique et du certificat d’aptitude à la profession d’avocat. En outre, les collaborateurs
d’avoué bénéficiant d’un nombre d’années
de pratique professionnelle, qui sera fixé par
décret en fonction des diplômes, pourront
bénéficier des mêmes dispenses. En application de l’article 23, les personnes inscrites
depuis au moins un an sur le registre du
stage pour devenir avoué, pourront accéder
à la formation théorique et pratique pour
l’exercice de la profession d’avocat sans
avoir à subir l’examen d’accès au centre
régional de formation professionnelle des
avocats. Ultérieurement un décret fixera les
conditions dans lesquelles les collaborateurs
d’avoué, non titulaire du diplôme d’avoué,
pourront accéder aux professions d’avocat
au Conseil d’État et à la Cour de cassation, de
notaire, de commissaire-priseur judiciaire,
de greffier de tribunal de commerce, d’huissier de justice, d’administrateur judiciaire et
de mandataire judiciaire.
Enfin, lors des discussions, et sans qu’aucun
engagement ne soit pris à cet égard, a été mis
en avant le fait que les avoués, voire d’ailleurs
certains de leurs collaborateurs ayant les diplômes utiles, pourraient intégrer le service
public, et plus particulièrement celui de la
justice.
L’indemnisation des avoués. - Le principe : après des propositions que n’aurait
pas reniées le roi Ubu, telle celle limitant à
66 % de la valeur de l’étude l’indemnisation
de l’avoué, les choses ont été largement modifiées grâce à la résistance des parlementaires et le principe de l’indemnisation avait
été ainsi arrêté dans l’article 13 de la loi : «
Les avoués près les cours d’appel en exercice
à la date de publication de la présente loi ont
droit à une indemnité au titre du préjudice
correspondant à la perte du droit de présentation, [du préjudice de carrière, du préjudice économique et des préjudices accessoires
toutes causes confondues], fixées par le juge
de l’expropriation dans les conditions définies par les articles L. 13-1 à L 13-25 du code
de l’expropriation pour cause d’utilité publique ». Mais par sa décision du 20 janvier
2011 (Cons. const., déc. n° 2010-624 DC), le
Conseil constitutionnel, qui a par ailleurs
validé le texte, a déclaré non conforme à la
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constitution le principe de l’indemnisation
du préjudice de carrière, du préjudice économique et des préjudices accessoires. Ainsi
désormais seule l’indemnisation du préjudice lié à la perte du droit de présentation
interviendra, ce qui explique d’ailleurs que
le Conseil constitutionnel déclare également contraire à la Constitution, toute référence à l’âge de l’intéressé.
Il faut relever que l’indemnisation donnera
lieu au paiement par l’avoué des droits sociaux (CRDS et autres) et fiscaux (notamment de plus-value) comme s’il s’agissait
d’une cession volontaire, le Gouvernement
n’ayant pas voulu accepter l’amendement du
Sénat proposant l’exonération et le recours
ayant été rejeté sur ce point par le Conseil
constitutionnel.
Cette nouvelle approche minimaliste de
l’indemnisation peut légitimement laisser
un goût amer, particulièrement aux jeunes
avoués qui vont se retrouver sans activité et
sans ressources, même s’ils auront pu rembourser le prix d’acquisition de leur charge
avec l’indemnisation allouée. Cette position
étonnamment intransigeante du Conseil
constitutionnel risque de conduire les victimes de cette réduction d’indemnisation à
poursuivre devant les instances européennes.
Notons que le texte traite des « avoués en
exercice » au jour de la publication du texte.
Nous rencontrerons nécessairement la situation dans laquelle l’avoué est décédé ou
est incapable d’exercer à la date de promulgation. Cette situation se produira d’autant
plus certainement que les offices ne peuvent
être cédés depuis de longs mois. Que se passera-t-il dans cette situation ? Il paraît invraisemblable que le droit patrimonial détenu
par l’avoué ou transmis à sa succession, ne
donne pas lieu également à indemnisation.
L’article 18 de la loi est apaisant sur ce point
en ce qu’elle traite de demande d’indemnisation pouvant être présentée par l’ayant droit.
La procédure. - Elle est compliquée et se
déroule en plusieurs phases devant plusieurs
juridictions ou commission.
En application de l’article 13 de la loi, la
commission d’indemnisation prévue à l’article 16, présidée par un magistrat et composée de représentants des ministères de la
Justice et du Budget ainsi que de deux représentants des avoués, doit, dans les trois mois
suivant la cessation de l’activité de l’avoué
ou au plus tard le 31 mars 2012, notifier à
l’avoué, une offre d’indemnisation. En cas
d’acceptation, l’indemnisation est versée
dans le mois de celle-ci. En cas de désaccord,
l’avoué, et lorsqu’il y a une SCP, la SCP, doit
saisir le juge de l’expropriation du tribunal
de grande instance de Paris aux fins de fixation de l’indemnité. L’indemnité est versée
dans le mois de la décision du juge. Dès la
publication de la loi ou dans les douze mois
de celle-ci, l’avoué peut demander d’une part
un acompte égal à 50 % du montant de la
recette nette réalisée telle qu’elle résulte de
la dernière déclaration fiscale et d’autre part
le remboursement au prêteur du capital restant dû au titre des prêts d’acquisition de
l’office ou des parts de la société d’exercice.
L’article 16 dispose que les décisions prises
par la commission ou par son président seul,
peuvent faire l’objet d’un recours de pleine
juridiction devant le Conseil d’État.
Le sort des salariés. - Les salariés des
études d’avoué vont être massivement licenciés, dès lors que la structure économique n’existe plus. Au delà des aides au reclassement et des compétences évidentes de
ce personnel, des difficultés au moins temporaires sont à attendre. En application de
l’article 14 de la loi n° 2011-94, tout licenciement survenant en conséquence directe
de la loi, intervenu entre la publication de
celle-ci et le 31 décembre 2012, est réputé
licenciement économique au sens de l’article L. 1233-3 du Code du travail. Il s’agit
à l’évidence d’une présomption réfragable
que chaque partie pourra contester.
Par ailleurs, le même article fixe de nouvelles conditions de calcul de l’indemnité
de licenciement « Dès lors qu’ils comptent
un an d’ancienneté ininterrompue dans la
profession, les salariés licenciés perçoivent du
fonds d’indemnisation prévu à l’article 19 des
indemnités calculées à hauteur d’un mois de
salaire par année d’ancienneté dans la profession, dans la limité de trente mois. Ces indemnités ne peuvent être cumulées avec les indemnités de licenciement prévues aux articles L.
1234-9 et L. 1233-67 du [Code du travail].”
Les demandes d’indemnisation adressées à la
commission, relatives au personnel doivent
être formées avant le 1er janvier 2014 (L. n°
2011-94, art. 16). Le licenciement ne prend
effet qu’au terme d’un délai de trois mois à
compter de la transmission par l’employeur
LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 5 - 31 JANVIER 2011
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de la demande de versement des indemnités
de licenciement adressée à la commission
nationale. En outre, le salarié peut lui-même
interroger l’employeur sur son sort. Si l’employeur s’abstient de répondre dans les deux
mois de la demande ou s’il répond que le
licenciement n’est pas prévu, le droit à indemnisation majorée par la commission est
perdu.
S’agissant de la convention collective applicable aux salariés des avoués, l’article 19 de
la loi prévoit plusieurs situations. Pendant
le temps nécessaire à la conclusion d’une
nouvelle convention collective du personnel des cabinets d’avocats, laquelle devrait
être conclue au plus tard le 31 décembre
2012, les salariés des avoués devenus avocats restent régis par l’ancienne convention
collective des avoués. Pendant la même période, en cas de regroupement entre avocats
et anciens avoués, le personnel respectif de
chaque groupe reste régi par son ancienne
convention. Dans l’hypothèse vraisemblable où une nouvelle convention collective du personnel des avocats n’aurait pas
été conclue avant le 31 décembre 2012, la
convention actuelle des avocats s’appliquera alors à tous mais les anciens salariés des
avoués conserveront les avantages acquis de
leur ancienne convention collective.
Chaque réforme engendre des difficultés
pour ceux qui sont pris dans son tourbillon,
mais celles-ci ne peuvent justifier un immobilisme. Il a été pris le parti d’aller vite sans
réflexion de fond sur la procédure d’appel
et sa spécificité. Il a également été pris pour
acquis que la communication électronique
serait en place pour mettre en interface des
milliers de cabinets avec les greffes. Il reste à
espérer que ces paris seront gagnés : que la
durée des procédures n’en sera pas allongée,
que le coût des procès n’en sera pas alourdi.
À défaut, il faudra reprendre avec courage
et ténacité un ouvrage que les gouvernants
négligent parce qu’il est ardu : faire de l’appel une voie de recours spécifique confiée à
des avocats spécialisés. Mais cela passe par la
nécessité de définir préalablement et non a
posteriori ce que doit être, dans une société
moderne, la voie de l’appel ( V. rapport Darrois, 8 avr. 2009 relevant que la réforme a
permis d’engager une réflexion sur la dématérialisation des procédures, la postulation et
les règles du procès en appel).
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