L`encyclopédie des lieux d`Alsace - Mémorial de l`Alsace
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L`encyclopédie des lieux d`Alsace - Mémorial de l`Alsace
Café d’histoire du 20 avril 2010. Toponymie – étymologie – histoire : la mémoire des lieux en Alsace. Par M. Michel-Paul Urban, professeur de lettres. On demandait à Marcel Proust de se présenter devant un parterre : Demander à un auteur de se présenter, c’est le mettre dans une drôle de situation : un peu comme si après avoir dégusté un bon foie gras, l’on vous demandait de rencontrer l’oie ! Je ne suis que l’oie, le livre est le foie gras. Dans ce livre un ami, présent ce soir, a trouvé les cartes postales qui vont avec chaque lieu. Cet ouvrage représente 20 à 25 ans de travail, de 1980 à 2003, date de la première édition. Ma méthode : chercher toutes les formes anciennes de la toponymie pour trouver un sens à ces formes, puis décrire l’histoire intermédiaire entre le nom d’origine et l’appellation actuelle. Le corpus : toutes les localités, environ 1000 ; les rivières et sommets, environ 200. J’ai eu trois préoccupations : - la langue d’appartenance des noms de lieux, - le sens qu’on peut trouver, - la forme. 1. La langue. Bien que l’Alsace soit française depuis 1648, la majeure partie des toponymes est d’origine germanique ; une minorité de toponymes est d’origine française dans des régions germanophones. Il y a des lieux francisés et des lieux avec une double appellation d’origine, comme Ferrette et Pfirt. Il y a des noms germanophones en régions romanophones, comme Steige et l’inverse ; la frontière linguistique ne s’est stabilisée qu’au 16ième siècle. Il y a eu différents types de francisation tout au long du temps : hausen et house ; et il y eut des francisations qui étaient en même temps de alsacianisations : weiler, willer… Le celtique était majoritaire au moment de l’arrivée des Romains et le latin cède au germanique au 10ième siècle. La question est de savoir si la forme germanique n’est pas elle-même une germanisation de noms, celtiques ou autres, antérieurs comme dans les autres régions de France. Souvent je propose les deux voies, en essayant de hiérarchiser les hypothèses. Pour cela il faut s’appuyer sur le sens. Ex. en Provence il n’y a pas eu d’occupation celtique, et il y avait sur place une langue non indo-européenne, inconnue, avec l’importance des seules racines ; et ces racines se retrouvent en Alsace, provenant donc d’une antériorité au celtique. Il y a donc des noms de lieux qui remontent à différentes couches historiques, certaines très anciennes. Ces remontées dans l’histoire sont méthodologiquement des hypothèses qu’on peut faire, mais qui sont difficiles à prouver. 2. Le sens. Tout nom de lieu a un sens au départ. Colmar n’a pas de sens en français, ni en allemand, mais on a une source : columbarium, pigeonnier. Tout nom est motivé au départ, mais sur quels critères ? - les caractères physiques du lieu, - les caractéristiques religieuses, - les constructions dans le lieu, - les personnes historiques ou mythiques fondatrices du lieu (je suis sceptique là-dessus)… Puis ces noms se démotivent, par évolution phonétique, par changement de langue ; et en Alsace il y a eu beaucoup de changements de langue ! Il y a eu évolution du sens des mots eux-mêmes. Ex. Munster signifie aujourd’hui cathédrale, et autrefois monastère ; à Munster il n’y a pas de cathédrale mais il y eut un monastère. Il y a aussi des mots qui se remotivent : avec les changements linguistiques, on réinterprète une appellation plus ou moins bien comprise. Ex. Neugartheim, qui peut être nouveau jardin ou jardin des noyers. Pour le mot Alsace lui-même il y a au moins cinq sources possibles ! 3. La forme : les suffixes. L’immense majorité des suffixes c’est –heim. Mais dans le nord de l’Alsace et le long des Vosges on a –willer, -ingen, -dorf . A quelle langue appartiennent ces suffixes et pourquoi cette répartition ? - willer = gallo-romain, - heim = germanique, trace de la colonisation germanique, - ingen = germanique, - dorf = d’anciens heim devenus dorf au 8ième – 9ième siècle. La colonisation germanique a repoussé les occupants antérieurs vers la périphérie ; et les dorf sont des implantations d’hommes d’armes interposés politiquement entre les deux. -wihr est une forme haut-rhinoise de willer, mais strictement identique. Notes R. Kriegel.