LES EAUX TROUBLES Il y a en ce monde deux sortes de rivières
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LES EAUX TROUBLES Il y a en ce monde deux sortes de rivières
LESEAUXTROUBLES Ilyaencemondedeuxsortesderivières:celledeseauxclaires,celledeseauxtroubles. Quelque soit la rivière, elle mène à la même mer, au même destin final. Le tout est de savoir dans quelle rivière chaque petit poisson souhaite nager… Régulièrement, le choix est présenté aux poissons, entre les eauxclairesouleseauxtroubles…J’aiconnulesdeux.Pourallerd’unerivièreàl’autreilsuffitauxpoissonsde choisird’emprunterunbras,telunpontquimèneàlarivièred’enface. Ilm’aétédonnéderencontrermesfrèresetsœurspoissons,metrouvantensituationdelesfaireallerd’un pont vers l’autre. Aujourd’hui, je suis un vieux poisson qui observe les «plus ou moins» jeunes et qui transmetparfoislecheminpossible.J’aichoisidefairecelapourmontrerlesdeuxchemins,ayantmoi-même naviguédanschacunedecesrivières.Parfoisilm’arrivaitd’allerversleseauxtroubles,maisderapidement m’arrêtermerappelantseseffets… Un jour, une petite poissonne vint à ma rencontre. Elle était plutôt joyeuse et heureuse de vivre. Elle me racontait qu’elle aimait les eaux claires parce qu’elle y voyait et nageait dans le sens du courant. Elle m’expliquait qu’elle aimait se cacher au milieu des herbes dansantes, se reposer parfois au pied d’un gros cailloupourregarderau-dessusd’elleetvoirlecieldepuislesfondsclairs.Elles’amusaitàvisiterdifférents endroits de la rivière rencontrant d’autres poissons qui avaient eux aussi, fait le choix de naviguer en eaux claires.Ilsseracontaientleurshistoires,cellesdecertainspassageseneauxtroubles,qu’elleavaitelle-même connuetoùparfoisellepouvaitretourner,«maispastroplongtemps»medit-elle,ajoutant:«c’esttropgris ettropd’énergiesàdépenser». Elle vint me voir, m’expliquant que sa vie était heureuse, mais qu’une part en elle était triste. Un petit poissoncheràsoncœurétaitcommeenfermédanslarivièreauxeauxtroubles.Ellelesavaitcardepuisles bras d’eaux qui permettent de passer d’une rivière à l’autre, elle pouvait l’observer. Elle l’y croisait quand parfois,elleseperdaitquelquesheuresdansleseauxtroubles,oùdonc,ellenerestaitjamais. Dansleseauxtroublesmedit-elle,onnageàcontrecourant,c’estfatigant,tellementfatigant.Ilfautlutter sanscessecontrececourantquinousentraine.Jen’yvoyaispasgrandchose,carlecourantesttel,quecela brasselesfonds.C’estvraimenttrouble.Onyrespiremalcarlesbranchiesprennentlesgrainsdesablequi volentavectoutcecourant.Cepetitpoissoncheràmoncœur,lui,secogneauxgroscaillouxtantilyvoitmal, s’abimantlanageoire,lesécailles…Ilsefatiguetellement.Parfois,ilsereposeaupiedd’uncaillou,sansrien voirautourdeluitantleseauxsonttroubles.Ilsereposepourreprendreunpeudeforcemaisiln’estpas bien.Jelevoisbien.Ilestsifatiguéqu’ilneprofiteplusderienetaoubliéqueleseauxclairesexistent.Je croisqu’ilnes’ensouvientmêmeplus.J’aitentédeleluirappelermaisilnem’apascru.Ilnecroitplusen rien. Je lui expliquais alors que, j’avais moi-même connu cela, pour avoir vécu un temps dans ses eaux troubles, croisantd’autrespoissons.Certainsavaientfiniparcroirequel’eauétaitlimpidequandelleétaittrouble.A forcedeseconvaincre,cetteeausale,pleinedesablequiencombraitleursnageoiresetbranchies,cecourant tropfort,poureuxétaitdevenuslanormalité. Jeluidemandaialorspourquoisonpetitpoissonétaitlà-bas.Ellemerépondit:parcequ’ilnesaitplusqu’ilya larivièreauxeauxclairesetaucourantdoux.Ilnesaitpluscequec’estnagerdanslesensducourantetainsi se laisser porter, profiter de l’environnement et de la beauté de la rivière. L’eau est si claire que l’on voit même les arbres. Parfois, j’aperçois les rayons du soleil qui transpercent au milieu des branches, apportant unelumièreparticulièredansl’eau,desrefletsauxmillesfacettes.L’eaudevientmêmepluschaude.C’estsi merveilleux. Jeluiracontaialorsqu’àunepériodedemavie,jevécusdansleseauxtroubles,oubliantmoiaussiqueles eauxclairesexistaient,écoutantlesautrespoissonsmedirequecetteeautroublenel’étaitpas,finissantpar lescroire.Jusque,jeréalisequedenageràcontrecourantdanscetteeauvaseusem’épuisaittrop.Jusqueje réalise que les bras menaient vers les eaux claires pour une nouvelle vie. Je lui expliquai aussi qu’il m’avait falluducouragepourpassercecap,quitterdescroyancesquis’étaientinstalléestelledescertitudes. Toutétaitquestiondechoixetdevéritéàsoi.Toutcequ’ellepeutfaire,c’estdireàcepetitpoissonsicherà soncœur,combienellelevoitfatiguéetprisdanscettegrisaille,luimontrerlepontetluirappelercommeil estbondenaviguereneauxclaires.Peut-êtrequ’ilentendra…Peut-êtrepeuxtuluiracontertoutcequetu faiseneauxclaires,luirappelerlesarbres,luiproposerdetesuivreunpeu.Ceseraàluidechoisiraufinal. ToutestquestiondechoixetdeVéritéàsoi-même.«S’ilveutcontinueràpenserquec’estleseulendroitoù ilpuisseévoluer,tunepourrasrienfaire. Jeluisouhaitaisalorsquesonpetitpoissonunjour,comprennequeleseauxclairesétaientlà,qu’illuisuffirait dedonneruncoupdenageoirepourchangersatrajectoireetainsisaVie. LesEauxtroubles,deMarieFRACKOWIAK–Octobre2015