Décision du Tribunal Administratif de Lyon du 17 juin 2016

Transcription

Décision du Tribunal Administratif de Lyon du 17 juin 2016
TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE LYON
N°1604409
___________
REPUBLIQUE FRANÇAISE
M. Younes QACH
___________
Mme Burnichon
Magistrat délégué
___________
Jugement du 17 juin 2016
___________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Tribunal administratif de Lyon,
Le magistrat délégué
335-03
C-KE
Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 16 juin 2016, M. Younes QACH, alors retenu au centre de
rétention administrative, demande au tribunal :
1°) d’annuler les décisions du 14 juin 2016 par lesquelles le préfet du Rhône lui a fait
obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de
destination duquel il sera reconduit et a ordonné son placement en centre de rétention
administrative ;
2°) d’enjoindre au préfet du Rhône de réexaminer sa situation dans un délai d’un mois à
compter de la notification du jugement à intervenir et dans l’attente, de lui délivrer une
autorisation provisoire de séjour dans un délai de deux jours suivant la notification du jugement
à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 2000 euros en
application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
En ce qui concerne la décision d’obligation de quitter le territoire français sans délai :
- cette décision est entachée d’incompétence ;
- elle méconnaît le droit d’être entendu issu du principe général des droits de la défense ;
- elle est entachée d’un défaut d’examen réel et sérieux de sa situation ;
- elle méconnaît les stipulations de l’article 8 de la convention européenne de
sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d’erreur manifeste
d'appréciation ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
- elle est illégale par voie de conséquence de l’obligation de quitter le territoire français ;
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- elle est entachée d’une erreur manifeste d'appréciation ;
En ce qui concerne la décision de placement en centre de rétention administrative :
- elle est entachée d’incompétence ;
- elle est entachée d’une erreur de fait et d’une absence d’examen de sa situation
personnelle ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d’une erreur manifeste d'appréciation quat à ses garanties de
représentation ;
Le préfet du Rhône a produit des pièces qui ont été enregistrées le 16 juin 2016.
Vu les actes attaqués ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales ;
- le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
- le code des relations entre le public et l’administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Vu la décision par laquelle le président du tribunal a délégué les pouvoirs qui lui sont
attribués par l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, à
Mme Burnichon, conseiller ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir au cours de l'audience publique du 17 juin 2016, présenté son rapport et
entendu :
- les observations orales de Me Gillioen, représentant M. Qach qui reprend les moyens
développés dans la requête ;
- les observations orales de Mme Akli, représentant le préfet du Rhône qui conclut au
rejet de la requête au motif que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
- les observations de M. Qach.
1. Considérant que M. Younes Qach, ressortissant marocain né en 1988, a été confié à
son grand-père par acte de Kafala du 27 décembre 2001 et est entré sur le territoire français en
septembre 2002 ; qu’il a ensuite obtenu à sa majorité, à compter de 2009, différents titres de
séjour délivrés par le préfet de la Gironde dont le dernier expirait en octobre 2013 ; que
l’intéressé n’a toutefois pas présenté de demande de renouvellement ; que dans le cadre de la
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présentation d’une demande d’emploi et alors que l’intéressé avait présenté ce titre de séjour
périmé en modifiant la date de fin de validité, il a fait l’objet d’une interpellation au domicile de
sa sœur et, après audition des services de police, le préfet du Rhône, par les décisions attaquées
du 16 juin 2016, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ
volontaire, a fixé le pays de destination et a ordonné son placement en centre de rétention
administrative ;
Sur les conclusions aux fins d’annulation et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres
moyens de la requête :
2. Considérant qu’aux termes de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « 1° Toute personne a droit au respect de
sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir
ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette
ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société
démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être
économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la
protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » ;
3. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que M. Qach, est présent sur le
territoire français depuis l’âge de 14 ans soit septembre 2002 suite au jugement du tribunal de
première instance de Meknes en date du 27 décembre 2001 le confiant, ainsi que sa sœur, à son
grand-père maternel par acte de Kafala ; que l’intéressé, suite à son entrée sur le territoire
français a été scolarisé au collège G. Brassens de Podensac (33720) à compter de l’année scolaire
2003/2004 en classe de 6ème et a poursuivi sa scolarité dans cet établissement puis dans le lycée
professionnel de Langon (33212) où il a obtenu un certificat d’aptitude professionnelle mention
« serrurier métallier » le 11 juillet 2007 qui lui a permis d’exercer cette profession ; que devenu
majeur, M. Qach a obtenu, sur le fondement des dispositions du 7° de l’article L. 313-11 du
code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile un titre de séjour mention « vie
privée et familiale » en 2009, renouvelé quatre années de suite par le préfet de la Gironde, et dont
le dernier était valable jusqu’au 1er octobre 2013 ; que si l’intéressé, qui n’a pas présenté une
demande de renouvellement de son titre de séjour en 2013 en raison de ses difficultés
professionnelles, a tenté, dans le cadre d’une démarche de recherche d’emploi, de falsifier son
titre de séjour en modifiant l’année de validité, il n’est toutefois pas contesté, ainsi qu’ il ressort
des pièces du dossier, que l’intéressé est présent sur le territoire français de manière continue
depuis presque quatorze années avant l’ intervention de la décision en litige, qu’il dispose d’une
réelle intégration sociale et professionnelle avec une activité dans son domaine de formation
depuis presque dix années alors que résident régulièrement sur le territoire français sa jeune sœur
qui a obtenu la nationalité française, son grand-père, cinq oncles et deux tantes ; qu’enfin, il ne
dispose plus d’attaches privées et familiale dans son pays d’origine qu’il a quitté alors qu’il
n’avait que quatorze ans, hormis son père et avec lequel aucune relation n’est alléguée ; que
compte tenu de l’ensemble de ces éléments particuliers, le préfet du Rhône, en prononçant à
l’encontre de M. Qach une obligation de quitter le territoire français a porté une atteinte
disproportionnée au droit de M. Qach à poursuivre sa vie privée et familiale sur le territoire
français et, par suite, a méconnu les stipulations précitées de l’article 8 de la convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner les
autres moyens de la requête, que M. Qach est fondé à demander l’annulation de la décision du 14
juin 2016 par laquelle le préfet du Rhône lui a fait obligation de quitter le territoire français ;
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5. Considérant que les décisions du préfet du Rhône en date du 14 juin 2016 refusant
d’accorder un délai de départ volontaire et désignant le pays de destination et celle du même jour
ordonnant le placement en rétention de M.Qach, dès lors privées de base légale, doivent être
annulées par voie de conséquence ;
Sur les conclusions aux fins d'injonction sous astreinte :
6. Considérant qu’aux termes de l’article L. 512-4 du code de l’entrée et du séjour des
étrangers et du droit d’asile : « Si l’obligation de quitter le territoire français est annulée, il
est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles HtmlResAnchor
L. 513-4, HtmlResAnchor L. 551-1, HtmlResAnchor L. 552-4, L. 561-1 et L. 561-2 et l’étranger
est muni d’une autorisation provisoire de séjour jusqu’à ce que l’autorité administrative ait à
nouveau statué sur son cas. / (…). » ;
7. Considérant qu’eu égard au motif qui le fonde, le présent jugement implique
nécessairement qu’il soit enjoint au préfet du Rhône de délivrer sans délai à M. Qach une
autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation au regard de son droit au séjour en
France, sans qu’il y ait lieu d’assortir cette injonction d’une astreinte ;
Sur les conclusions relatives aux frais non compris dans les dépens :
8. Considérant qu’aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
« Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie
perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non
compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la
partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire
qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation » ;
9. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de
l’Etat le versement au titre des dispositions précitées d’une somme de 600 euros à M. Qach ;
DECIDE
Article 1er : Les décisions du 14 juin 2016 du préfet du Rhône portant obligation à M. Qach de
quitter le territoire français sans délai de départ volontaire et fixant le pays de destination ainsi
que la décision du 14 juin 2016 par laquelle le préfet du Rhône a prononcé son placement en
rétention administrative sont annulées.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Rhône de délivrer à M. Qach une autorisation provisoire de
séjour dans l’attente du réexamen de sa situation.
Article 3 : L'Etat versera à M. Qach une somme de 600 euros en application des dispositions de
l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
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Lu en audience publique le 17 juin 2016.
Le magistrat délégué,
C. BURNICHON
Le greffier,
K. ETHEVENARD
La République mande et ordonne au préfet du Rhône, et à tous huissiers de justice à ce requis, en
ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de
la présente décision.
Pour expédition conforme,
Un greffier,