Être humain, jardinière et animatrice à Terre et Humanisme, 43 ans
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Être humain, jardinière et animatrice à Terre et Humanisme, 43 ans
JULIE Être humain, jardinière et animatrice à Terre et Humanisme, 43 ans, Lablachère, Ardèche, septembre 2011. Il y a deux ans j’ai rencontré Julie lors de mon passage au mas de Beaulieu. Ayant lu un livre de Pierre Rabhi, fondateur de l’association, je voulais en savoir plus sur l’agroécologie. J’appelais pour venir en tant que bénévole jardinière et tombais de haut en apprenant qu’il fallait s’inscrire des mois à l’avance… La planification ne correspondant pas à mon caractère de l’époque, je raccrochais dépitée, coupée dans mon élan. Quelques jours plus tard, par chance, je reçus un mail pour m’annoncer le désistement d’un bénévole. En arrivant, je trouvais un lieu humble, débordant d’humanité dans lequel on peut apprendre « le potager biologique » mais aussi bien d’autres choses. Comment es-tu Cévennes ? arrivée dans les Je suis arrivée ici avec mes parents en 1974, ils sont descendus de Paris, pour s'installer à Beaumont en Ardèche au-dessus de Joyeuse. C'étaient les Hippies de l'époque, le retour à la terre. J'avais cinq ans et j'estime que j'ai eu de la chance : plutôt que de me retrouver en banlieue parisienne, j'ai pu venir vivre dans une ferme, dans la montagne. Je me sens complètement cévenole. Après, pendant des années, je suis partie pour apprendre ailleurs puis j'ai décidé de revenir. Cela a été un choix de revenir près de la nature car elle me nourrissait au niveau du bien-être. Il y a quelques années, je me suis installée aux Vans. J'étais déjà en lien avec l'association Terre et Humanisme et je venais en bénévole locale une journée par semaine. Cela m'a permis de les rencontrer au fil du temps. Étant animatrice, ils m'avaient vu travailler sur un autre jardin. Lorsqu'ils ont eu besoin de quelqu'un pour mettre en place les jardins du Mas de Beaulieu et faire l'animation avec les bénévoles, ils m'ont appelé. J'ai commencé mon travail en 2008. Étais-tu jardinière ou animatrice ? J'étais animatrice de métier mais j'avais orienté ma formation sur les jardins pédagogiques et chez moi, je faisais du jardin depuis dix ans. J'avais fait une petite formation de biodynamie et effectué des stages chez des gens qui m'intéressaient. Mes parents faisaient déjà de l'agriculture biologique. 1 Je n'ai jamais souhaité être maraîchère car physiquement c'est très difficile, il faut être entourée, investir, avoir des outils, je n'avais rien. Par contre, c'était naturel de faire de l'animation en bio ou sur l'environnement. J'avais toujours eu cet exemple-là, au travers du jardin magnifique que faisait ma mère avec juste le fumier composté de ses chèvres. Ça poussait bien, je n'ai pas eu besoin de chercher ailleurs. copains, je trouvais cela très vivant, toute une société qui m'intéressait donc je suis revenue. As-tu un imaginaire par rapport aux Cévennes, quel est ton rapport au territoire ? L'association Terre et Humanisme existe depuis dix ans, elle a été créée sur l'impulsion de Pierre Rabhi. Avant, il y avait une autre association qui s'appelait les Amis de Pierre Rabhi. Il ne souhaitait plus que ce ne soit relié qu'à lui. Il a préféré que ce soit une association qui fasse connaître l'agroécologie par la pratique et non uniquement par son biais et ses conférences. Il fallait un lieu pour l'expérimentation, un bâti et un terrain. Quand ils ont trouvé ici, ils se sont dits que c'était un bon challenge parce que la terre est très difficile. C'est une terre à vigne et cela peut démontrer que les techniques que nous mettons en œuvre permettent vraiment de revivifier le sol, de redonner de la vie dans des sols très abîmés ou très pauvres. La mission de Terre et Humanisme c'est de mettre en place les techniques d'agroécologie dans la pratique concrète et permettre aux gens de l'expérimenter au travers de diverses formations et du bénévolat. C'est aussi un lieu de rencontre dans lequel on croise des idées, des personnes. L'imaginaire est très présent, jusqu'à dix ans je vivais dans un petit village reculé, j'allais dans une école où nous étions sept ou huit. Je n'avais pas de voisins donc je jouais toute seule à côté du mas dans lequel vivaient mes parents. J'étais vraiment en lien avec la forêt, la nature, les ruisseaux, les plantes. J'étais dehors à m'inventer des histoires par rapport aux lieux sauvages. Après, de 14 à 24 ans j'ai eu besoin d'aller en ville et de faire complètement autre chose. Pendant un moment, la nature s'était éloignée de moi, ce n'était plus du tout dans mes préoccupations, je n'avais pas particulièrement une conscience écologique que je cultivais. Mais vers 24 ans je n'ai plus supporté la ville. Je vivais très mal. Lorsque je revenais en Ardèche je voyais toute une faune de néo-ruraux, d'anciens Quelles sont tes activités actuelles et peux-tu présenter rapidement l'association ? 2 Des fois les gens arrivent avec un besoin de voir émerger une nouvelle société, ou du moins ils sont en recherche de quelque chose de nouveau dans leur vie. C'est très souvent que les gens en repartant disent - Ah cela me donne du courage ! Parce que je vois qu'il y a des possibilités, que ce soit juste faire son jardin ou se mettre en relation avec un réseau beaucoup plus grand. Simplement, voir qu'il y a des gens qui s'activent dans tous les sens pour faire changer et évoluer la société petit à petit. Les gens disent - Je me sens nourri, je suis arrivé avec mille questions et je repars avec de nouvelles pistes, ça m'a ouvert des fenêtres. C'est différent d'un livre, cette expérience concrète... Voilà, la vie quoi !... Et puis la vie collective aussi, c'est important. L'association développe aussi des projets à l'international mais je ne connais pas bien ce domaine. Est-ce que tu peux décrire le lieu ? C'est un lieu qui comporte un hectare de terrain et qui est en terrasses. Il y a plusieurs petits jardins qui sont différents et ont chacun leur identité. Cela nous permet de produire les légumes pour la consommation de l'équipe, une dizaine de personnes et des bénévoles, à peu prés 6 à 8 personnes de mi-février à minovembre. Ça permet d'être autonomes et le surplus est utilisé pendant les stages. Sur le lieu nous avons mis en place les toilettes sèches pour économiser l'eau et permettre aux gens de voir comment ça marche. Depuis deux ans il y a la phytoépuration qui donne de très bons résultats. Nous avons fait analyser l'eau à la sortie et elle est de très bonne qualité, elle est trouble mais pourrait être bue. Nous nous servons de cette eau pour le jardin de la permaculture en bas (forme d'agriculture visant à être productive en l'absence d'engrais ou de pesticides et nécessitant peu d'entretien). Nous fabriquons tous les composts. Il y a un compost de déchets végétaux qui viennent des jardins auquel on ajoute du fumier et de la paille, ça c'est le compost classique. On fait des composts à partir des déchets de la cuisine, ça c'est le compost ménager. On fait du compost avec la masse qui sort des toilettes sèches que l'on utilise seulement pour les arbustes et massifs de fleurs parce qu'on ne peut pas contrôler ce que mangent les visiteurs. Sur ce lieu les bénévoles viennent et restent entre une semaine et quinze jours parfois plus. Ils s'occupent de tout, c'est leur maison, plus que celle des salariés de l'association. Ils s'occupent de faire les repas, de mettre en place les jardins, les composts, l'intendance en partie. On reçoit environ deux cents bénévoles par an et deux cents autres personnes qui viennent en formations. Il y a aussi des visiteurs. Ce que j'aime dans ce boulot c'est que c'est varié. Tous les jours des activités différentes, que ce soit la préparation des sols, en 3 passant par le semis, les plantations, produire des plants vendus au printemps. Cela peut être la récolte des légumes, des fruits mais aussi des plantes médicinales pour les tisanes, les plantes aromatiques pour la cuisine. La transformation, confiture, coulis, chutney, séchage des tomates... On produit pas mal de semences pour commencer à aller vers l'autonomie. On offre beaucoup de semences aussi. Tu peux en prendre si tu veux. Les bénévoles participent à la construction aussi, comme la salle principale ou la serre, les cabanes qui protègent le compost... A propos, pourquoi vous mettez de la laine de mouton sur les composts ? Pour protéger autant de la chaleur, de la pluie, que du froid pendant l'hiver, c'est un bon isolant naturel. Tu peux me l'agroécologie ? définir ce qu'est C'est plus vaste que l'agriculture biologique. La première idée est de restaurer la fertilité du sol. Donc amener tout ce qu'on peut pour rééquilibrer, redonner de la vie et maintenir cette vie par la suite. Si on fait des grosses cultures on peut très bien dégrader un sol même sans mettre de pesticides ou d'engrais. C'est aussi être en lien avec le milieu environnant, c'est-à-dire se servir des matériaux qui sont autour le plus possible et être en lien avec un réseau de personnes. Créer un réseau pour se soutenir, c'est assez vaste. De la même manière que vous créez des réseaux de plantes qui vont bien les unes avec les autres ou se protègent mutuellement. Oui cela se réalise de la dimension du jardin lui-même jusqu'à la dimension humaine. Des échanges de coups de main, acheter des matériaux chez des personnes qui ont envie de nous soutenir. Nous recevons des cadeaux aussi, certains nous donnent leurs surplus de légumes ou de fruits, de fumier, des caisses de pâtés bio, des sirops de plantes... On héberge aussi tous les vendredis une AMAP (Association pour le Maintien d'une Agriculture Paysanne), nous leur prêtons la grande salle. Qu'est-ce que tu penses de l'idée véhiculée selon laquelle il n'y a pas assez de place sur la planète pour nourrir bientôt sept milliards de personnes, notamment en bio ? En fait je crois que le problème c'est surtout cette idée de grandes productions avec des cultures uniques qui engendre le fait qu'il n'y ait pas assez d'espace pour nourrir tout le monde. Nous nous retrouvons avec de grandes cultures qui ne nourrissent pas vraiment les gens. Ce que propose Pierre Rabhi, c'est que les gens se réapproprient leur souveraineté alimentaire 4 et leur autonomie. Au niveau des légumes, des céréales mais surtout de la semence. Dès que les agriculteurs se mettent à travailler pour une multinationale, ils sont payés mais ils perdent leur autonomie et les variétés de plants qui étaient adaptés à leur environnement. Si chaque paysan a le temps et la possibilité d'avoir un terrain à lui pour cultiver son jardin et nourrir ainsi sa famille et un peu plus, même s'il travaille pour une industrie à côté ou dans autre chose, déjà cela changerait la donne. En France, on manque cruellement de personnes qui produisent des légumes bio, il y a une grosse demande mais pas assez de producteurs. Les Amaps ont toujours une longue liste d'attente. Il y a trop d'éleveurs et pas assez de maraîchers. Il faut que les petits producteurs puissent se regrouper pour trouver des terres et diversifier les cultures. Effectivement. D'où l'importance des g.a.e.c par exemple (groupement agricole d'exploitation en commun) ou les associations comme Terre de liens qui aident ce genre d'initiatives. Justement comment cela s'est-il passé ici au niveau financier ? Nous n'avons jamais demandé des subventions de l'État. Le lieu a été acheté par les souscripteurs qui le louent à Terre et Humanisme. Le revenu de l'association pour la plupart vient du Livret Agir du Crédit Coopératif. Les personnes mettent de l'argent sur leur livret et obtiennent un bénéfice. Sur ce bénéfice, il y a un pourcentage qu'ils choisissent d'attribuer à certaines associations. Il y a des dons particuliers aussi, des adhérents, des abonnés aux nouvelles. Une toute petite partie pas très rentable provient des formations. Mais ces formations sont importantes pour nous au niveau de notre mission. Quelle est ta détermination quotidienne ou ta motivation profonde dans ta vie ou dans ton travail ? J'avais une grande détermination pour travailler dans ce milieu. Je n'arrivais pas à trouver suffisamment de travail dans l'animation pour en vivre, je me suis retrouvée à faire des petits boulots et j'en souffrais. A un moment donné, je me suis fixée comme objectif de travailler dans des jardins pédagogiques, j'ai fait une sorte de demande à l'univers : travailler dans un jardin avec des personnes qui aient une éthique dans leur vie et dans leur travail, dans un milieu qui m'intéresse. Avec des personnes évoluées entre guillemets (Rires) et puis... Et puis ils t'ont appelé ! Exactement, un mois et demi après - Allo ? Tu veux venir ? Avant, j'ai souvent travaillé dans des milieux difficiles, avec des enfants, dans des hôpitaux aussi. L'idée ça a été d'ouvrir des 5 petites fenêtres pour que les gens puissent respirer. L'objectif c'est de transmettre le plaisir de faire du jardin. Je vais le dire au plus simple - parce que je n'ai pas envie d'être dans des grandes idées philosophiques. Je m'en tiens à des choses très simples, le plaisir d'être dans le jardin, de voir qu'il n'y a pas besoin d'avoir de connaissances, d'avoir lu dix livres. C'est accessible, il ne faut pas trop mentalisé ça. Essayer, tester et risquer de rater mais ce n'est pas grave. J'apprécie vraiment de faire de la transmission. J'ai des moments de fatigue physique mais je n'ai pas encore envie de faire autre chose. Venons-en aux contradictions... Est-ce que tu vois des contradictions dans ta vie ? Non, non, aucune ! (Rires) Ah oui, je vois plein de contradictions ! Par exemple ici on parle de la sobriété heureuse ou de la simplicité volontaire. Je ne suis pas du tout quelqu'un de sobre au niveau de la consommation, je suis gourmande. Des fois je tombe dans le piège de produits qui ne sont pas bio ! Chez toi, il y a dix pots de Nutella quand on ouvre le placard ?! (Rires) Je vois que j'ai encore un décalage, je ne suis pas toujours en phase. Je ne prône rien, je réponds aux questions des gens. Il y a des gens autour de moi qui sont beaucoup plus stricts dans leurs choix, moi des fois je laisse... Je ne suis pas tout le temps dans la réflexion à penser - Alors c'est quoi mes choix ? Mais ça vient petit à petit, il faut que ce soit naturel. De même, j'attends d'intégrer les choses naturellement sinon je ne m'y tiens pas. Est-ce que tu te sens libre ? Au niveau de ma manière de travailler je me sens libre. Nous coordonnons avec les autres jardiniers, mais ensuite je réalise les actions que nous avons décrétées le jour où je le souhaite. J'aime cette liberté d'action. Sauf urgence, il faut quand même respecter les saisons ! Je me sens libre par rapport au travail mais je ne me sens pas forcément libre dans ma vie à côté. C'est contradictoire, le fait d'avoir un travail sûr toute l'année, on perd la liberté de voyager mais ce n'est pas dramatique ! C'est épanouissant, j'ai beaucoup changé et évolué par rapport à avant grâce à ce travail. Le fait d'être en équipe m'a changé au niveau de mes relations. Le fait de faire attention aux autres et que les autres fassent attention à moi, que ce soit dans le sens agréable ou contraignant. Il y a beaucoup d'amour dans les relations avec les bénévoles, avec toute l'équipe. Il y a beaucoup d'attention aussi, je me sens soutenue - ce côté humain est très fort. 6 Es-tu optimiste ou pessimiste concernant le monde contemporain et avenir ? inventer un mot mais je ne sais pas ce que ça va être... Je suis plutôt optimiste tout en ayant bien conscience que je suis dans un milieu qui œuvre déjà pour des alternatives à la destruction de la terre. Mais en même temps, j'ai envie de rester consciente plus largement de toutes les problématiques au niveau pollution, dégradation des sols, perte de la biodiversité. Au niveau humain aussi, je veux rester au fait des difficultés des différentes sociétés à travers le monde. Tout en étant optimiste, j'ai le sentiment que nous allons avoir vingt ou trente prochaines années très difficiles, le temps que cela rebascule vers le positif. La transition risque d'être dure et tout le monde sera touché. Mais les humains attendent de souffrir beaucoup pour se remettre en question, que ce soit au niveau personnel ou au niveau de la société. Des fois il faut que ça aille loin. Cette remise en question fait très peur, car elle induit de changer de fonctionnement. De plus certaines personnes, même si leur vie ne leur plaît pas, n'ont pas toujours la connaissance pour savoir ce qu'elles pourraient faire d'autre, cela leur semble impossible. J'aimerais connaître le pourcentage justement. Je n'ai pas l'impression que l'on soit très nombreux. Il y a des sociétés qui l'appréhendent complètement différemment. Par exemple, en Amérique du Sud il y a un très grand mouvement paysan en grande difficulté et ce mouvement a réagi bien avant l'Europe. Là-bas, ils sont peut-être beaucoup plus nombreux à partager des valeurs et à mettre en place des actions alternatives à l'économie de marché par la force des choses. Alors que nous, plus riches, sommes moins en lutte et moins lucides. Il y a beaucoup moins de personnes qui se sentent concernées pour agir tout de suite. Il y a aussi des pays qui sont dans la survie et l'écologie n'est pas leur préoccupation première, donc leurs habitants ont moins conscience de ces problématiques mais en même temps, parfois, ils ont un mode de vie rural et utilisent des cultures simples et naturelles, pourtant ils ne s'inscrivent pas dans un mouvement. Donc ma réponse serait que cette prise de conscience est variable, selon les continents que ce soit en nombre de personnes et dans la manière de l'être. Penses-tu qu'il y a beaucoup de personnes en France ou sur la planète qui sont en train de passer dans une transition que j'appellerais post-capitaliste ? Il faudrait 7