Matthieu Ricard : « La résilience n`est pas la résignation »

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Matthieu Ricard : « La résilience n`est pas la résignation »
Date : 16/11/2015
Heure : 13:14:58
Journaliste : Jérôme Cordelier
www.lepoint.fr
Pays : France
Dynamisme : 408
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Matthieu Ricard : « La résilience n'est pas la résignation »
Selon lui, cette situation est le sous-produit d'inégalités qui ne cessent de croître entre les continents, les
États et au sein de chaque société.
Matthieu Ricard, moine bouddhiste et fondateur de l'association humanitaire Karuna- Shechen. Dernier
ouvrage paru : Visages de paix, terres de sérénité ( livre de photographies, Éditions de La Martinière). ©
"The Guardian"/Sipa
Le Point. Vous voici de retour dans une France en guerre. Comment l'homme de paix que vous
êtes réagit-il ?
Matthieu Ricard : La réaction immédiate est d'être totalement choqué et d'avoir une peine immense,
comme tout le monde. Mais on ne peut s'empêcher de s'interroger sur les causes qui ont conduit à cette
situation. Un enfant ne naît pas avec la volonté de décapiter son prochain. Il faut prendre en compte
comment une éducation à rebours, l'endoctrinement, le sentiment d'être laissé pour compte ont fait de lui un
meurtrier barbare. On a créé dans le monde des pépinières dans lesquelles ont été attirées ces personnes
en déshérence par l'illusion d'y trouver un sens à leur vie. Quand les Américains ont quitté l' Afghanistan
, par la voix de l'artisan de leur politique étrangère auprès du président Carter, Zbigniew Brzezinski, ils
avaient promis de reconstruire les hôpitaux, les mosquées, les écoles ; rien n'a été fait. Des exemples
comme celui-là, il y en a plein. On aurait dû favoriser l'accès à l'éducation, à la santé, au respect des autres,
aux droits des femmes. Au contraire, on a produit une aliénation si forte qui a favorisé le basculement dans
l'extrémisme. Et maintenant que la forêt prend feu, on se sent démuni. Mais c'est en amont qu'il aurait fallu
agir. La compassion, c'est celle qui s'exprime sans limites pour les victimes et leurs proches, mais c'est
aussi celle qui aurait dû nous permettre d'extirper des esprits de leurs futurs bourreaux la haine et la cruauté.
Dans une société en état de choc comme l'est actuellement la France, comment résister à la haine ?
M.R. Évidemment, la tentation de la violence est forte. Mais, comme le disait Gandhi, si on applique la
loi du talion, oeil pour oeil, dent pour dent, le monde sera bientôt aveugle et édenté. La meilleure réponse
à donner à de tels actes, c'est la solidarité. Ça suffit ! Cette situation est le sous-produit d'inégalités qui
ne cessent de croître entre les continents, les États et au sein de chaque société. Comme me l'ont dit
récemment des conseillers à la Maison-Blanche, les inégalités dans le monde sont les principales causes
de son insécurité.
Dans quel humanisme peut puiser notre société meurtrie pour dépasser cette épreuve ?
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MARTINIERE 263014984
Date : 16/11/2015
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M.R. Il faut faire front. Les Français doivent se rassembler et non se replier dans leur effroi. Au lieu de se
calfeutrer, nous devons envisager ensemble des solutions constructives pour promouvoir la bienveillance
de nos valeurs, en particulier auprès des jeunes des cités.
Comment défendre dans un tel contexte la bienveillance, l'altruisme, la compassion ?
M.R. Dans toutes les grandes catastrophes naturelles, c'est le calme et la solidarité qui règnent et
permettent de surmonter l'épreuve. C'est ainsi qu'on se reconstruit plutôt qu'en nourrissant le ressentiment,
la vengeance, la violence.
Devrons-nous ensemble faire preuve de résilience ?
M.R. La résilience est une bonne chose parce qu'elle évite de sombrer. Nous avons à faire face à des
déviations de la nature humaine, nous pouvons donc y remédier. La résilience n'est pas la résignation. Au
contraire, c'est une force d'âme qui permet de faire face aux hauts et aux bas de l'existence, avec sagesse
et compassion. Au Népal, après le tremblement de terre, j'ai rencontré des personnes incroyablement
résilientes qui avaient tout perdu et parvenaient à reconstruire leur maison et leur terre. Il est normal que,
momentanément, face à une épreuve violente, le réflexe soit de se recroqueviller sur soi-même. Mais, sur
le long terme, chacun peut puiser dans son for intérieur les ressources pour poursuivre sa vie et contribuer
au bien de la société.
Comment continuer à tenir un discours optimiste ?
M.R. En prenant du champ historique, d'abord. Sur les cinq derniers siècles, la violence dans le monde n'a
cessé de reculer. En 1350, à Oxford, on dénombrait 100 homicides pour 100 000 habitants. Aujourd'hui,
le ratio est de 1 pour 100 000 habitants dans toute l'Europe. Soit de 50 à 100 fois moins. Depuis 1950,
le nombre moyen de victimes par conflit dans le monde est passé de 30 000 à 1 500. Autre exemple, la
violence contre les enfants a diminué de moitié en vingt ans aux États-Unis. Nous subissons des sursauts
d'horreur, comme celui que vient de vivre Paris, mais globalement, grâce au progrès de la démocratie, au
statut accordé aux femmes, au développement des échanges entre les pays, la violence est en net recul
dans le monde.
Mais comment affronter la peur ?
M.R. Par la solidarité et l'altruisme, qui sont des valeurs pragmatiques dans une société en crise. La
coopération entre les individus s'impose d'autant plus quand on fait face à l'adversité. Ce n'est pas en
promouvant une société de la peur qu'on réglera les problèmes, on le voit bien aux Etats-Unis ! Construire
une société plus altruiste n'est pas une affaire de Bisounours : les individus sont plus forts ensemble
qu'isolés, apeurés, méfiants. Il faut promouvoir la confiance en développant l'inclusion. On n'y arrivera
jamais si des pans entiers de la société sont rejetés.
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