Entre lui... émoi - la Galerie de Poche

Transcription

Entre lui... émoi - la Galerie de Poche
l’artiste du mois
Par Alexandra Vallat
Photos courtoisie Stéphan Herrgott
Stéphan Herrgott
Entre lui... émoi
L
a vie est faite de choix que Stéphan
Herrgott ne veut pas faire. Choisir c’est
renoncer, c’est ne plus être entre deux
mondes, entre deux chemins, entre deux
vies. C’est décider d’une direction, d’un sens,
d’une existence. Choisir c’est assumer les
conséquences parfois irréversibles de ce choix,
sans remords, sans regrets, sans rancœur.
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La peinture permet cela. Repousser
à l’infini le moment du choix, pour ne
jamais avoir à choisir, pour s’installer
dans cet « entre » rassurant. Dans cet
antre rassurant !
Lâcheté ou liberté ? Quelle
importance ! Stéphan Herrgott défie
le temps et les choix qu’il impose.
Ses toiles reprennent vie, se déguisent,
se transforment pour raconter tour
à tour une histoire et des sentiments
différents.
Un pinceau et du blanc sur le passé
pour libérer le présent. Un pinceau et
du blanc sur le présent pour dessiner
l’avenir. Un pinceau, du blanc et le
choix s’efface.
La vérité du moment se trouve entre
deux marques de pinceaux.
Le choix, insupportable, se dissout
dans la palette de couleurs de Stéphan
Herrgott. Dans son atelier ne reste
que lui. Émoi.
Dans la peau
Originaire de Riedisheim, Stéphan
Herrgott veut peindre depuis tout
petit. « J’ai toujours voulu peindre.
En maternelle, ma maîtresse a dit
à mes parents qu’il fallait qu’ils
m’encouragent vers la peinture. Presque
40 ans plus tard, elle est venue voir mon
expo à la maison jaune à Riedisheim.
C’était extrêmement émouvant. »
Après avoir obtenu son Bac, c’est envers
et contre tout que Stéphan Hergott fait
les Beaux-Arts
à Besançon. « J’ai fait ma quatrième
année à Montréal, j’y ai appris des
choses fantastiques, les techniques
nouvelles... Je pense qu’il est impératif,
en art plus encore que dans d’autres
matières, de ne pas avoir un seul
professeur ou un type d’enseignement
unique. »
Pendant dix ans, il anime un atelier
d’artiste au lycée de Wittelsheim,
au sein duquel les élèves peuvent
s’exprimer artistiquement, échanger,
partager. « Je peignais et j’exerçais
cette activité en parallèle. Je l’ai même
fait bénévolement pendant quelques
temps, ça me plaisait de voir tous ces
jeunes s’intéresser à l’art, s’exprimer de
façon différente, chercher le contact,
se confier... certains élèves ont surmonté
leurs difficultés scolaires grâce à cette
petite bouffée d’oxygène. »
En 2004, il décide de se consacrer
exclusivement à la peinture.
Peintre. Tout simplement !
Artiste ? « Je ne me sens pas artiste
mais peintre, exclusivement peintre!
Honnêtement je ne sais même plus ce
que ça veut dire d’être artiste. Tout le
monde se dit artiste, artiste plasticien
ou que sais-je encore. Je me sens
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peintre, même si je passe pour un réactionnaire
dans les milieux de l’art contemporain où seuls
comptent la performance, le conceptuel, l’art
vidéo, numérique, les installations... A mes
yeux, avec le temps, l’art contemporain devient
rapidement de l’art moderne, tout simplement.
Je suis heureux dans la simplicité et l’authenticité.
J’adore les pinceaux, la matière, la couleur, les
pigments, la peinture ! Je suis si heureux des
moments que je passe avec la peinture ! C’est l’une
des raisons pour lesquelles j’expose sur les salons
internationaux d’art contemporain art3f. L’art
contemporain est vu comme de l’art moderne,
ouvert à toutes les disciplines. »
Une matière vivante
Amoureux de nature, de randonnées, de grands
espaces, Stéphan Herrgott aime laisser parler les
choses sans entrave et écouter leur écho.
« Lorsque j’étais encore aux Beaux-Arts, je faisais
des aquarelles et je les vendais aux fêtes de
villages. J’aimais le travail de l’aquarelle et je l’aime
encore, ce rapport avec le liquide, laisser faire
l’eau... mais aux Beaux Arts l’aquarelle était tabou,
ce n’était pas assez à la mode ! »
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Il avoue éprouver une certaine déception
lorsqu’une peinture sèche. Encore mouillée, la
peinture est brillante et cette brillance lui donne
un air d’éternité. « C’est ce que j’aime dans le
travail de la résine, sa brillance donne un côté
neuf à mes toiles, comme si la peinture n’était pas
encore sèche. »
Stéphan Herrgott a une relation presque charnelle
avec la peinture. Parce qu’il a confiance en elle,
qu’il la laisse vivre, avancer à son rythme, prendre
les formes qu’elle désire. « Comme je travaille
la peinture avec beaucoup d’eau, je lui permets
de vivre comme elle le souhaite et mes paysages
deviennent ce que la matière décide d’en faire.
Là réside toute ma démarche ! »
S’il retrouve quelque peu ces sensations avec la
résine, elle est largement moins sauvage que
l’aquarelle et prend, sous ses doigts, les formes
qu’il souhaite lui donner. C’est aussi la rencontre
de deux éléments... qui se combattent ou qui
s’allient ? Le mouvement vient-il de l’extérieur
vers l’intérieur ? De l’intérieur vers l’extérieur ?
Séparation ou rencontre ? Ces questionnements
font appel à notre intimité et à celle du peintre,
à la fois créateur et spectateur.
Se jouer du temps
« Je travaille vraiment sur le temps. La
série « conversation » par exemple est très
ancienne. J’étais encore aux Beaux-Arts quand
j’ai commencé cette série, mais j’y reviens
régulièrement de façon différente. Actuellement
j’y ajoute de la résine, forcément ça se travaille
différemment et avec le temps je change, tout
change, je dis les choses autrement. Mise
à part la nouvelle série « entre air et sur terre »,
je pars de toiles assez anciennes. « Entre Elle
et Blanche » est aussi une série qui date et
que je travaille complètement différemment
aujourd’hui.»
La question est alors de savoir où se trouve
l’œuvre d’art. En-dessous ? Au-dessus ?
A moins que l’œuvre soit l’action de la recouvrir
de blanc ? « Est-ce que j’entre à ce moment-la
dans les critères de l’art contemporain ? Dans le
concept ? » s’interroge Stéphan Herrgott, un brin
narquois ! « C’est ma façon de dire qu’avec la
peinture il est possible aussi d’avoir une démarche
artistique. Maintenant ça va mieux, mais il y a
dix ans le monde de l’art contemporain nous
considérait comme des ringards.»
Dans la série suivante, le blanc révèle les corps.
« Aujourd’hui je suis plus à l’aise avec le blanc
qui révèle qu’avec celui qui dissimule » confie
Stéphan Herrgott.
Entre les couleurs,
le blanc
Son atelier, sa demeure
« La dominance du blanc dans mes tableaux est
assez récente, cela a commencé avec la série
« Entre Blanche et blanche ». Je fais une peinture,
je la prends en photo lorsqu’elle est terminée et
je la recouvre en partie de blanc.
La peinture initiale se voit alors en transparence.»
C’est à Husseren-Wesserling que vit Stéphan
Herrgott, juste à côté de son atelier. «J’ai besoin
de vivre à côté de mon atelier, de pouvoir
y inviter parfois de bons amis autour d’une
table ! C’est fantastique de pouvoir partager
un petit repas ici, au milieu des toiles, dans une
ambiance différente. Ce sont des moments qui
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ne ressemblent à aucun autre. Et vous savez,
on ne travaille pas seulement quand on a un
pinceau en main, il se passe aussi plein de choses
lorsqu’on regarde un travail inachevé. Je dirais
même que c’est dans ces moments que le vrai se
révèle à moi, inconsciemment. Je sais alors dans
quelle direction je dois aller avec une peinture,
quelles sont les zones de silence trop grandes,
trop petites, les points à travailler... Ce n’est qu’en
vivant dans le lieu qu’on peut se rendre compte
de tout cela.»
Entre deux peintures, Stéphan Herrgott se soucie
peu du qu’en-dira-t-on. Entre deux peintures,
il vit une vie, plusieurs vies, des rencontres, des
séparations entre deux choses, deux matières,
deux corps, deux êtres. Entre deux peintures,
Stéphan Herrgott se soucie peu des contours.
Ce qui compte alors ? L’amour de son travail, de
ses amis, de la vie. Ce qui compte alors dépasse
largement toute espèce de vanité. Ce qui compte
c’est l’honnêteté, la droiture et le respect des
choses. Ce qui compte, c’est cet infime espace
entre deux couleurs, entre deux mondes, entre
deux vies. Ce moment où tout bascule. Ce qui
compte ? Ce moment, cette rencontre, cet atelier
qui n’était pas le même hier et qui ne sera pas
le même demain. Ce qui compte? Repousser
le moment du choix encore un instant. Pour
toujours.
Ateliers :
Stéphan Herrgott
4 rue de la Gare
68470 Husseren Wesserlin
Tél. 03 89 82 15 42
Tél. 06 99 55 01 19
Herrgott - Sobemo
Chaussée de Dinant, 13
B-5537 Anhée
Tél. 00 32 (0) 82 64 78 68
Le béton :
une rencontre
[email protected]
www.stephan-herrgott.fr
Si Stéphan Herrgott est peintre, dans son
cœur, dans son corps, profondément,
viscéralement, il sait aussi travailler le
béton, qui se transforme alors en œuvre
d’art. Grâce à une rencontre impromptue.
Une rencontre sur le fil. Le fil de la vie,
solide et fragile à la fois.
«Patrick Jacquet, administrateur de la
société Sobemo, spécialisée dans le béton
en Belgique et que je ne connaissais
absolument pas à l’époque, est «rentré»
dans mon travail. Il m’a proposé quelques
mois plus tard d’ouvrir un atelier au sein
de son entreprise, afin de réaliser des
œuvres exclusivement constituées de
béton. J’ai accepté ce nouveau défi et je
ne le regrette pas! C’est une merveilleuse
aventure et surtout une belle rencontre
d’amitié!»
Les différents bétons hautes performances,
colorés avec des pigments naturels, sont
directement travaillés dans la masse
encore liquide. Des œuvres uniques,
réalisées avec passion.
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