Lettre au Roi ALBERT II

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Lettre au Roi ALBERT II
Lettre du Juge d'Instruction J.M. CONNEROTTE au Roi ALBERT II
(in André Rogge, les Egoûts du Royaume, Albin Michel, 1996)
Tribunal de première instance Neufchâteau
Cabinet du juge d'instruction
Neufchâteau, le 16.01.96.
Sa Majesté Albert II,
Roi des Belges,
Palais Royal 1000-Bruxelles
Sire,
J'ai l'honneur de m'adresser à Votre Majesté pour vous faire part de faits qui semblent devoir être
portés à votre connaissance en raison de leur gravité et de l'intérêt que vous ne manquerez pas de
leur porter.
Depuis quelques années, à l'instar de certains enquêteurs, je suis l'objet et la victime d'une véritable
campagne de dénigrement et de désinformation par le canal de certains médias, et ce, du simple fait
d'avoir traité deux dossiers, "Titres" et "Cools", d'y avoir inquiété certaines personnes et certaines
activités criminelles bénéficiant apparemment de sérieuses protections. La réitération de ces
agissements et leurs conséquences préjudiciables dans ma vie professionnelle m'ont conduit à
déposer une plainte contre X, du chef de violation du secret de l'instruction, de calomnie, de
diffamation et d'outrage à magistrat.
Ma plainte a été transmise à Monsieur le Procureur du Roi de Neufchâteau en date du 23.11.95. La
réponse de Monsieur le Procureur du Roi du 13.12.95 à un rappel de ma plainte m'a conduit à
l'adresser, avec les pièces justificatives annexes, à Monsieur le Ministre de la justice, Monsieur le
Procureur général J. Velu et Monsieur le Conseiller de la cour d'appel de Bruxelles P.Maffei, en date
du 14.12.95.
Monsieur le Procureur général J. Velu, Monsieur le Conseiller P. Maffei et Monsieur le Procureur
général A. Van Oudenhove de la cour d'appel de Bruxelles ont accusé réception de ma
correspondance en me signalant qu'ils n'étaient pas compétents pour traiter de ma plainte. Je n'ai
jamais eu de réponse de la part de l'autorité habilitée quant à ce.
Différentes correspondances et dépositions auprès de Monsieur le Procureur du Roi de
Neufchâteau, Monsieur le Procureur général J. Velu, Monsieur le Premier Avocat général J. Schmitz
et Monsieur le Conseiller P. Maffei, m'ont permis de relater ces méfaits d'ordre médiatique liés à une
véritable entreprise de déstabilisation dans le collimateur de laquelle se trouvait mon instruction:
menaces, pressions, actes de malveillance ou de sabotage, fuites, et bien d'autres manoeuvres, ce
au profit d'un même mobile criminel protecteur de type mafieux dès lors que l'enquête abordait
certains faits et inquiétait certaines personnes.
Dans ma plainte, je fais état d'une lettre adressée le 24.04.94 à Monsieur le Procureur du Roi de
Neufchâteau. J'y proposais mon dessaisissement des deux dossiers "Titres" et "Cools", en raison
notamment des manoeuvres de Monsieur le Commissaire R. Brose de la police judiciaire de Liège...
le responsable de la cellule Cools!
La constitution régulière de partie civile de la famille Cools, en mon cabinet, à la mi-avril 1994,
exposait particulièrement mon instruction, les enquêteurs et moi-même, et nous plaçait dans une
position plus périlleuse et plus précaire encore face à cette entreprise de dénigrement et de
désinformation orchestrée par deux agents: certains médias et des éléments policiers estimés et/ou
influents, agissant de concert au service d'un même mobile criminel protecteur, apparemment
incontournable dans les circonstances de la cause.
J'ai, en mon âme et conscience, comme je l'explique dans ma plainte, opté pour la "solution"
intermédiaire de solliciter mon dessaisissement en dénonçant ces agissements graves et bien réels,
ce en mesurant parfaitement les conséquences dommageables prévisibles d'un tel choix pour ma
fonction de magistrat instructeur et pour ma personne.
Mon dessaisissement, ce dans la logique du processus incriminé, ne m'a pas libéré de cette position
précaire de cible imputable au traitement des deux dossiers. Au contraire, il a permis de mieux
entretenir et d'alimenter l'entreprise incriminée par la manipulation ou le parasitage d'une instruction
judiciaire très médiatisée au bénéfice de ce même mobile criminel protecteur probablement lié à celui
de l'assassinat que cette instruction a évidemment la charge d'élucider. Je suspecte M. Raymond
Brose de jouer un rôle déterminant quant à ce en s'appuyant sur l'ascendant ou la confiance dont
apparemment il bénéficie et profite auprès de certains magistrats et de certains enquêteurs de la
cellule Cools, personnes tout à fait intègres mais, semble-t-il, abusées. J'ai rédigé à cet égard une
note relevant une douzaine d'éléments précis et concordants, permettant de déceler dans sa
conduite les indices d'une véritable mission de protection ou d'étouffement.
L'exemple parmi les plus significatifs de cette entreprise de déstabilisation est probablement le
sabotage systématique dont a été l'objet une commission rogatoire internationale exécutée
personnellement à Catane (Sicile), fin février, début mars 94, avec trois enquêteurs de la BSR. Cette
mission était susceptible de nous fournir des éléments matériels essentiels à la manifestation de la
vérité dans le dossier "Titres" et suivant certaines données, probablement dans le dossier "Cools".
Un élément matériel, s'il "parle", ne se rétractera pas. Son intérêt est ainsi capital pour un dossier en
proie à toutes les pressions et les manoeuvres contraires.
- Deux personnes détenues à Catane, ayant "fréquenté" certains inculpés ou suspects, nous
contactent par écrit pour nous affirmer être en mesure de faire des révélations concernant la
disparition de la Citroën BX du cabinet de M. Alain Vanderbiest et l'assassinat de M. André Cools; cette information est immédiatement communiquée à la cellule "Cools"; - sur mes réquisitions, trois
enquêteurs de la BSR partiront à Catane pour entendre les deux témoins sur la BX qui a joué un rôle
important dans le dossier "Titres"; - les deux témoins, après avoir fait certaines révélations,
demandent pour le surplus la présence des deux magistrats instructeurs belges, traitant les dossiers
"Titres" et "Cools"; - je contacte la cellule "Cools", ma collègue Mme Ancia accepte de se rendre à
Catane; - lors du premier interrogatoire, un des deux témoins demande des garanties pour leur
sécurité, le problème est réel, considérant l'objet de la mission et la population carcérale particulière
de son lieu de détention (nous sommes en Sicile); - les témoins étaient particulièrement sensibles
aux problèmes des médias, ils exigeaient, nous le comprenons parfaitement, une discrétion absolue
vis-à-vis de la presse; - les autorités italiennes (police judiciaire de Catane), conscientes de
l'importance de notre mission et du danger auquel s'exposaient les deux témoins, avaient veillé à les
préserver sur ce plan; - lors de ce premier interrogatoire, un représentant éminent de la cellule
"Cools" répondra à ces exigences, pourtant légitimes, par des propos incroyables et pour le moins
désobligeants; le témoin ne parlera pratiquement plus le jour de cet incident; - les membres de la
cellule "Cools" retournent en Belgique le lendemain de l'interrogatoire; je reste en Sicile avec les trois
enquêteurs de la BSR pour une audition complémentaire prévue quelques jours plus tard; - le
lendemain du retour des membres de la cellule "Cools" en Belgique, la presse écrite, parlée et
télévisée, divulguera l'identité des deux témoins et certains éléments relatifs à cette commission
rogatoire internationale; ces fuites assassines constituaient évidemment une véritable catastrophe; par la suite, les deux témoins se rétracteront après avoir subi de fortes pressions ou des menaces de
mort qui, dans le contexte criminel local, ont évidemment été prises "pour argent comptant"; - de
retour en Belgique, nous recevons en mai 1994 de nouveaux éléments concernant la Citroën BX
confortant ceux recueillis en Sicile, les enquêteurs partent à Dijon, en mission préparatoire dans la
perspective d'une nouvelle commission rogatoire internationale, la BX était censée se trouver dans la
région de Dijon; - le 1er juin 1994, la juridiction de Neufchâteau est dessaisie des dossiers "Titres" et
"Cools" par la cour de cassation; - pour les enquêteurs belges ayant repris ces dossiers, la recherche
de la BX apparemment ne présentait plus d'intérêt; il semblait en effet plus important d'acter les
accusations de certains inculpés concernant de soi-disant pressions, de soi-disant offres ou soidisant paiements d'argent faits par le juge d'instruction de Neufchâteau et ses enquêteurs pour
pouvoir récupérer la BX ou obtenir certaines déclarations; des médias, bénéficiant de fuites, se
chargeront de divulguer ces accusations extrêmement graves; - pendant ce temps, les services de
police français (police judiciaire de Dijon), conscients de l'importance de la BX pour la suite de
l'enquête, procéderont d'initiative à des investigations sur base des informations recueillies auprès
des enquêteurs belges en mai 1994, elles permettront de retrouver le gênant véhicule en octobre 94;
- il s'ensuit en Belgique une certaine campagne de presse visant à dénigrer l'intérêt de cette
découverte pour les deux dossiers; des fax seront notamment envoyés dans ce sens à l'agence
belge par des autorités judiciaires liégeoises non identifiées; - il était, en effet, nécessaire, pour le
bien de l'enquête, de rapatrier la BX en Belgique dans les meilleurs délais pour pouvoir procéder à
son examen dans un laboratoire hautement spécialisé et outillé; - des pressions auraient été faites
pour empêcher ce rapatriement qui aurait été effectué pour examen quelques mois après la
découverte du véhicule...
Nous assitons probablement à l'avènement d'un concept, qui n'est pas nouveau, faisant autorité,
sans relever de la Constitution et des Lois, celui de "criminalité protégée ou légitime", à l'endroit et au
bénéfice de certains faits infractionnels graves dont "le dysfonctionnement judiciaire" dans le
domaine pénal en constitue le principal garant.
Le dysfonctionnement judiciaire s'érige ainsi en véritable "institution" de fait dont le bon
fonctionnement permet d'assurer la légitimité de certaines activités criminelles et l'impunité de ses
agents. Cette institution semble gagner son autorité et sa suprématie sur celles de l'Etat de droit en
s'appuyant sur un modus operandi élaboré et occulte, celui du parasitage de certains circuits clés de
nos institutions créées et régies par la Loi. Il s'agit essentiellement des circuits politiques, financiers,
policiers, associatifs et médiatiques. Ce phénomène criminel de type mafieux n'est évidemment pas
propre à la Belgique mais il y tient des manifestations particulières bien adaptées à ce petit pays.
Nous pouvons imaginer les obstacles que rencontrera une instruction judiciaire devant indaguer sur
de tels faits: de nombreux tabous, des problèmes de mentalité, et un manque de référence culturelle
en la matière pour pouvoir prendre conscience ou aborder de tels phénomènes criminels, profitant en
Belgique d'un discours officiel plutôt réticent quant à leur reconnaissance, ce qui favorise ou
entretient leur occultation.
La fonction d'un tel système criminel est évidemment de servir sa raison sociale, à savoir traiter des
activités lucratives illicites particulièrement rentables, comme par exemple le blanchiment d'argent
provenant de trafics divers, et de préserver la "légitimité" de ses activités et l'impunité de ses agents.
Cette dernière fonction indispensable répond au mobile criminel protecteur qui veillera à la pérennité
du système incriminé par le canal du parasitage de certains circuits de nos institutions, et en
particulier celui du circuit policier, véritable "noeud" contre lequel s'est heurtée toute mon instruction.
Pour exemple, je m'en réfère à un procès-verbal établi à ma demande 'in tempore non suspecto' en
date du 16.12.1993. Ce document relève des propos outrageants et des menaces proférés par un
commissaire de la police judiciaire de Liège à l'encontre de l'instruction suite à l'inculpation de
Monsieur l'Inspecteur de la P.J. Gilbert Preud'homme, en vantant pour le surplus les articles de M.
Serge Dumont publiés dans 'Le Vif l'Express'. Ce procès-verbal nous fournit des indications sur les
sources probables d'informations dont a bénéficié ce journaliste, traitées dans le but évident de
contrarier et d'influencer le cours de la justice, ainsi que sur certaines collusions policières au profit
de cet inculpé. La dizaine d'articles de M. Serge Dumont, parus dans cet hebdomadaire de
décembre 93 à juillet 94, reprend en substance les critiques assassines formulées par ce policier en
fournissant tous les détails utiles à cet effet, en fonction de leur contenu. M. Serge Dumont a
d'ailleurs reconnu lui-même dans une émission de télévision (émission Controverse sur RTL-TVI du
13.12.92) qu'il bénéficiait de fuites auprès de certains milieux policiers ou d'enquêteurs. Certains
articles auraient difficilement pu être écrits sans une complicité policière ou sans celle d'un enquêteur
motivé. Monsieur le Procureur du Roi de Neufchâteau aurait d'ailleurs dénoncé officiellement ces
faits à propos d'un article publié le 10.06.94 relatant le contenud'un procès-verbal. Je m'en réfère
pour le surplus à sa lettre du 28.11.94, très précise et très claire sur les faits litigieux, adressée à
Monsieur le Procureur général L. Giet.
La volonté systématique de ce média d'influencer le cours de la Justice s'est également manifestée
par la présentation d'une image de deux pôles d'enquête, Liège et Neufchâteau, antagonistes voués
à la mésentente, survient des schémas simplistes,jusqu'à la caricature, de présenter les enquêteurs
et les magistrats de Neufchâteau comme des personnages incompétents, grotesques et
malhonnêtes, exploitant une piste farfelue sur base d'un dossier vide... plus c'est gros, mieux ça
marche. Ce schéma sera également reproduit lors de différentes émissions de télévision
(Controverse sur RTL-TVI) animées par M. Vrebos, en présence notamment de M. Serge Dumont.
Lors d'une émission diffusée le 13.12.92, le précité évoquera ouvertement une écoute de sa part
pratiquée à la porte de mon cabinet durant l'interrogatoire d'un suspect dans le dossier "Titre". Je me
permets de citer les extraits utiles de l'émission dont question: 'Sur interpellation de M. Vrebos, M.
Serge Dumont répond:' "... Ce n'est un secret pour personne que j'étais derrière la porte du cabinet
du juge d'instruction quand Mr Vanderbiest était inculpé... j'ai donc entendu des choses, moi ça m'a
semblé... enfin, je ne sais pas... je crois qu'il était vraiment de mon devoir de le dire parce qu'il y a
des choses... je crois qu'à Neufchâteau des choses ne vont pas..." (...) 'Question de M. Vrebos:' "...
et puis vous écoutez aux portes, vous l'avez dit, est-ce que c'est déontologique d'aller écouter aux
portes lorsqu'on est en train d'interroger Alain Vanderbiest ?" 'Réponse de M. Dumont:' "Ecoutez...
comme le dit le proverbe, l'occasion fait le larron. J'étais là vraiment seul. Donc la grande pièce était
vide. J'ai vu donc Vanderbiest qui entrait dans le bureau. Je me suis mis juste à côté... je n'ai... (rires)
je dois quand même préciser que je n'ai pas tout entendu mais j'ai quand même entendu... quand le
ton montait parce que bon... ce n'est pas M. Vanderbiest qui le dit mais c'est moi... M. Vanderbiest
s'est quand même énervé sur le juge..."
Le dessaisissement de Neufchâteau par la cour de cassation ne pouvait être plus bel hommage,
certes involontaire, pour un tel tableau et pour son maŒtre d'oeuvre.
La requête en suspicion légitime déposée à l'encontre du magistrat instructeur de Neufchâteau par
Monsieur l'inspecteur de la P.J. G. Preud'homme se réfère en grande partie aux articles de M. Serge
Dumont, procédure dont ce dernier se targuera ensuite, à l'instar de M. Roland Planchar, pour
expliquer, de façon fallacieuse et calomnieuse, les raisons du dessaisissement de Neufchâteau par
la cour de cassation le 1er juin 1994; ainsi, l'article de M. Serge Dumont du 24.06.94, intitulé "Les
pressions de Neufchâteau": "... Pendant ce temps, les enquêteurs ont également poursuivi la remise
en ordre du dossier sur l'assassinat de Cools constitué par Jean-Marc Connerotte, juge d'instruction
de Neufchâteau. Tout porte à croire que les méthodes employées par le magistrat chestrolais et les
gendarmes de la BSR de Bastogne, qui le secondaient, vont provoquer d'importants remous dans la
magistrature. Certains envisageraient même de porter l'affaire devant le Comité permanent de
contrôle des services de police qui a, notamment, été créé pour garantir à tous les justiciables que
leurs droits constitutionnels seront respectés." ...
"... Selon nos informations, Di Mauro, mais aussi Patrick Rinder et Cosimo Solazzo, deux autres
inculpés dans le cadre du dossier des "Titres volés" ont, de leur côté, également subi ce genre de
pressions... qui auraient parfois été exercées par le juge Connerotte en personne. En fait, le
magistrat leur promettait une remise en liberté plus rapide, ou la restitution de biens saisis, en
échange de déclarations accréditant la thèse selon laquelle l'affaire des titres volés serait liée à
l'assassinat de Cools. C'est ainsi qu'il amassait des "éléments accablants" qui se sont, évidemment,
effondrés dès leur vérification par la "cellule Cools" (voir également l'article du 10.06.94 "Les pièces
montées"; l'article du 15.07.94 "Les dix questions clefs du dossier Cools", et le rapport de Monsieur
le Procureur du Roi du 28.11.95 [ci-joint en annexe].
Certaines données ou certains éléments liés à ces manoeuvres sont susceptibles de nous fournir
des indications sur une collusion probable, ou du moins des convergences de vue significatives,
entre M. Raymond Brose et M. Serge Dumont, dont l'identité réelle répond au nom de Maurice
Serfatti, dès lors qu'il s'agit d'aborder certains faits concernant certains et mêmes suspects.
D'autres manoeuvres, toujours dans le même but d'influencer le cours de la justice, ont eu lieu,
jusqu'à la tenue de réunions au sein de la police judiciaire de Liège et de se livrer à des "jeux"
d'influence, auprès de magistrats tout à fait intègres, ayant eu notamment pour effet que certains
d'entre eux se sont sentis obligés de se récuser lorsqu'il s'est agi de siéger concernant la détention
préventive de deux inculpés, comme par hasard, policiers. En outre, selon un articlede M. Serge
Dumont intitulé "L'homme au 9 millions" rédigé à l'occasion des arrestations de M. Gilbert
Preud'homme et de M. Richard Taxquet: "... cette affaire provoque en tout cas un malaise à la P.J.
Car, s'il s'avérait que l'inspecteur principal est "blanc", et qu'il a, dès lors, été privé de liberté sur la
base d'allégations douteuses, plusieurs de ses collègues demanderaient publiquement des comptes
aux magistrats concernés. Y compris à leurs supérieurs hiérarchiques du parquet général.
Ambiance..." Dans ces conditions, nous pourrions comprendre les apparentes réticences de
Monsieur le Procureur général L. Giet de donner une suite à ma présente plainte, ainsi que le silence
ayant succcédé à mes démarches successives, depuis ma lettre du 24.04.94 adressée à Monsieur le
Procureur du Roi de Neufchâteau, et celui subséquent à la dizaine de plaintes ou rapports de sa part
quant à ce. Cette situation est infiniment regrettable, considérant que l'élucidation des faits incriminés
liés aux fuites, à ces attaques médiatiques et à cette entreprise de désinformation constitue
probablement un des préalables, ou le préalable, à celle de l'assassinat de M. André Cools.
Enfin, je dois signaler que mon instruction s'est également heurtée à des pressions, du fait d'avoir
procédé à une perquisition au sein d'un important organisme financier dont certains responsables
bénéficiaient d'affinités auprès de certains éléments policiers influents et/ou estimés et,
indirectement, de protections, par le canal de certaines sphères d'influence.
Pour le surplus de l'exposé, je m'en réfère à mes correspondances et dépositions antérieures et
particulièrement à ma lettre du 8 septembre 94 adressée à Monsieur le Procureur général J. Velu.
Ceci étant, Sire, je puis solennellement certifier qu'en mai 1994, nous disposions d'éléments
tangibles permettant d'envisager l'élucidation de l'assassinat de M. André Cools dans l'année.
Malheureusement, lors de notre dessaisissement du 1er juin 1994, ils n'étaient pas armés pour
pouvoir résister au processus incriminé et contraire à la manifestation de la vérité, auquel ils étaient
exposés et ne pouvaient échapper dans les circonstances de la cause.
Ma démarche, probablement inédite, l'est à l'image de la gravité et de la nature hors du commun des
faits litigieux. Le concept "de criminalité protégée ou légitime" est inadmissible dans un Etat de Droit.
Il conduit à la négation de valeurs essentielles qui touchent au fondement d'une civilisation, d'une
culture et d'une éducation auxquelles nous sommes tous intimement liés. Pour ma part, jamais je ne
pourrai y souscrire dans l'exercice de mes fonctions de magistrat instructeur en dépit des
conséquences incroyablement préjudiciables d'une telle position.
Je pense aux autres suspects, notamment dans le dossier "Titres", qui ne bénéficient pas de ces
protections, ce qui les prive d'investigations susceptibles de trouver d'éventuels éléments à leur
décharge. N'y a-t-il pas risque de violation des droits de la défense et de certains principes
fondamentaux énoncés dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales ? Un tel régime discriminatoire au bénéfice de certains faits infractionnels ou
susceptibles de l'être, et de leurs auteurs, est-il admissible dans un Etat de Droit? Je pense
également aux victimes, ainsi dans l'affaire des "Titres", à ces personnes âgées qui ont été
sauvagement torturées pour leur soustraire des coupons. La famille d'une personne assassinée n'at-elle pas droit également à un minimum d'égards, au respect de sa dignité et à la vérité ?
Si, par impossible, les faits dénoncés dans ma plainte devaient bénéficier de cette même légitimité et
impunité, ma situation risquerait de devenir à ce point précaire ou infamante qu'il me serait difficile
professionnellement et humainement de servir dignement mes fonctions de magistrat instructeur. Ce
magistrat serait-il désormais tenu de travailler contre sa conscience scellée par le devoir de réserve
? Qu'adviendrait-il du serment de ce magistrat, de sa fidélité jurée au Roi, à la Constitution et aux
Lois du peuple belge ?
Les conclusions de l'éditorial, d'une dérangeante, remarquable et courageuse lucidité, de M. Philippe
Toussaint étaient-elles prémonitoires: ".. Courage! Reconnaissons donc une bonne fois que la justice
n'est faite que pour les mal rasés et que l'ordre mafieux est, après tout, un ordre lui aussi" ? (Journal
des Procès, n 268 du 14 octobre 1994): "Qui ose prononcer le mot de morale?"
En restant votre fidèle serviteur, je vous prie d'agréer, Sire, l'assurance de ma plus haute
considération.
Le juge d'instruction.
J.M. CONNEROTTE.
ANNEXES:
1. Envoi du 23.11.95 de ma plainte avec ses annexes.
2. Rappel de ma plainte du 13.12.95.
3. Réponse de Monsieur le Procureur du Roi de Neufchâteau du 13.12.95 avec son annexe, la lettre
du 28.11.95 adressée à Monsieur le Procureur général L. Giet
4. Envois à Messieurs le Ministre de la justice, Monsieur le Procureur général J. Velu et Monsieur le
Conseiller P. Maffei.
5. Réponses de Monsieur le Procureur général J. Velu, de Monsieur le Conseiller P. Maffei, et de
Monsieur le Procureur général de la cour d'appel de Bruxelles.
6. Editorial de M. Ph. Toussaint, journal des Procès, n 268 du 14.10.94.
7. Etude de Monsieur le Procureur de la République de Lyon, M. Th. Crétin: "Qu'est-ce qu'une
Mafia?" Rev. sc. crim (2) avr-juin 1995.