LES BANDES FLEURIES, UN AMENAGEMENT VEGETAL POUR

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LES BANDES FLEURIES, UN AMENAGEMENT VEGETAL POUR
LES BANDES FLEURIES, UN AMENAGEMENT VEGETAL
POUR LA BIODIVERSITE
Caroline Le Roux – Audrey Pagès
Chambre d’Agriculture du Rhône – Comité de Développement du Beaujolais
210, boulevard Vermorel – BP 319 – 69661 Villefranche Sur Saône Cedex
Tél : 04.74.02.22.30. – [email protected] - [email protected]
RESUME
Dans le Beaujolais et dans le cadre de recherches pour le développement de la lutte biologique par
conservation en viticulture, des bandes fleuries semées ont été mises en place dans des inter-rangs
arrachés. L'implantation de dicotylédones (plantes à fleurs, sauvages ou cultivées) dans un dispositif
cultural peut permettre d'accroître sa biodiversité animale notamment en ce qui concerne les
auxiliaires prédateurs polyphages pouvant jouer un rôle fondamental dans la régulation des ravageurs.
Les essais et démonstrations mis en place depuis 2004 ont permis d'obtenir un mélange adapté à la
viticulture beaujolaise répondant à l'ensemble des critères définis. L'implantation de bandes fleuries
dans le dispositif cultural est un axe de travail étudié dans le cadre du programme Agrifaune. Son
objectif est d'étendre cette technique et de la mettre en relation avec les autres dispositifs pour
favoriser la biodiversité à l'échelle d'un territoire avec l'ensemble de ses acteurs.
INTRODUCTION
La volonté de certains viticulteurs du vignoble du Beaujolais d'optimiser voire de supprimer
l'application d'insecticides pour lutter contre les tordeuses de la grappe est à l'origine du travail réalisé
depuis 2004. La mise en place de ces différents essais concernant les bandes fleuries est rendue
possible par la modification des décrets d'appellation du vignoble du Beaujolais qui autorise depuis
2004 une réduction de la densité du nombre de pieds à l'hectare. Cela se traduit notamment par une
séquence d'arrachage de rangs de vignes dans des parcelles en production. Cet espace disponible
permet d'envisager l'implantation de multiples couverts végétaux spontanés ou semés comme les
bandes fleuries.
Les bandes fleuries attirent pour se nourrir, par leurs différents organes végétaux (fleurs, feuilles, sève
etc.), un certain nombre d'animaux notamment différents arthropodes. Parmi ces arthropodes sont
recensés des prédateurs polyphages pouvant jouer un rôle dans le contrôle des ravageurs de la vigne
comme les tordeuses de la grappe, la cicadelle verte et les cochenilles.
Au delà de l'intérêt pour l'agriculture, les bandes fleuries peuvent représenter un intérêt pour
l'ensemble des personnes peuplant les territoires : la préservation et l'accroissement des espèces
présentes, la recolonisation d'espèces disparues du milieu viticole, l'amélioration et la sauvegarde des
paysages et du cadre de vie de chacun.
1. IMPACT DE LA CULTURE DE LA VIGNE SUR LA BIODIVERSITE ET
CONTEXTE VITICOLE DU BEAUJOLAIS
De façon générale, la culture de la vigne implique un dispositif cultivé de la même façon pour une
longue période (de l'ordre de plusieurs dizaines d'années), des pratiques culturales assez peu variées
(notamment sur le type d'entretien du sol), la réduction des haies et des zones écologiques réservoir
(ZER), une pullulation des mêmes types de ravageurs car leurs populations peuvent réaliser tout leur
cycle de développement et des pratiques phytosanitaires de même "catégorie".
Malgré tous ces aspects, la vigne offre des avantages que l'on ne rencontre pas avec les cultures
annuelles comme la faible dimension des unités culturales, la présence fréquente d'éléments fixes du
paysage (haies, arbres isolés, talus etc.). Elle offre aussi la possibilité d'implanter des couverts
herbacés dans (engazonnement inter-rang) et autour des parcelles (tournières enherbées). Les
auxiliaires des cultures sont présents toute l'année au même titre que les ravageurs : ils réalisent le
cycle dans et autour de la culture en se nourrissant des arthropodes présents.
Le vignoble du Beaujolais s’étend sur près de 19 500 hectares, au nord de l’agglomération lyonnaise,
il est limité à l'Ouest par les Monts du Beaujolais et à l’Est par la Saône. Composé de 12 appellations,
ce vignoble constitue néanmoins une entité à part entière, avec ses propres caractéristiques. Il s'agit un
vignoble de haute densité notamment dans le Nord Beaujolais où les quelques 8000 à 10 000 pieds par
hectare, très près du sol, sont menés en taille gobelet sans réel palissage. Ces particularités culturales,
associées à des parcelles de petite taille (3000 m² en moyenne) et en pente rendent la mécanisation
difficile (entretien du sol par désherbage intégral, utilisation de pulvérisateurs à dos, vendanges
manuelles etc.).
Malgré la pression des phytosanitaires appliqués sur les vignes, les études menées depuis plus de dix
années montrent déjà une certaine diversité. La vigne est un agro-écosystème car il existe une relation
entre la culture et les animaux se nourrissant de celle-ci mais aussi des plantes et autres animaux
présents dans cette culture. Cet agro-écosystème est riche d'une multitude d'arthropodes : deux études
menées dans le cadre du PEP Vin l'ont montré (Charnay, 2001 à 2004 puis Charnay, 2007 à 2009). En
saison, nous pouvons noter jusqu'à plus de 5 prédateurs polyphages par cep, en moyenne.
Tableau 1 : Recensement des prédateurs polyphages (Charnay, 2001 à 2004)
Araignées
Insectes prédateurs
Acariens prédateurs
Nombre de familles
17
7
4
Nombre de genres
43
24
4
Nombre d'espèces
60
25
5
Tableau 2 : Nombre total d'arthropodes prédateurs prélevés par groupe taxinomique (Charnay, 2001 à 2004)
2001
2002
2003
2004
Acariens prédateurs
16
26
44
27
Insectes prédateurs
98
125
86
388
Araignées
467
1043
740
523
Graphique 1 : Répartition des prédateurs polyphages présents (Charnay, 2007 à 2009)
Insectes
16%
Acariens autres
que les
typhlodromes
2%
Araignées
82%
2. MISE AU POINT DE MELANGES DE PLANTES FAVORABLES A LA
BIODIVERSITE ET A LA CULTURE DE LA VIGNE
Jusqu'en 2004, date à laquelle les décrets d'appellation ont évolué, l'implantation de végétaux
dans ce parcellaire restait très limitée. La "désintensification" rendue possible par cette baisse
du nombre de pieds à l'hectare s'est alors traduite par l'arrachage d'un rang de vigne en
séquence régulière (tous les 4 ou 6 rangs), libérant ainsi de l'espace dans le dispositif pour
l'occuper par un couvert végétal.
Les graminées sont la solution la plus généralement employée. Néanmoins, l'idée d'occuper ce
rang par d'autres types de plantes nous est rapidement venue à l'esprit, notamment les plantes
à fleurs permettant d'attirer et de nourrir d'autres animaux assez peu présents dans les vignes.
Tableau 3 : Influence du mode d'entretien du sol sur les populations de typhlodromes
(Châtillon d'Azergues, 2000)
Feuilles occupées en %
Désherbage
intégral
Fétuque Rouge
Pâturin des prés
Ray Grass A.
Formes mobiles en %
42
ns
68
ns
48
61
52
ns
ns
ns
78
114
79
ns
ns
ns
Le travail avec la Fédération Départementale des Chasseurs du Rhône a alors débuté. Des
essais de mélanges fleuris ont été mis en place pour mettre au point un mélange pouvant
répondre à l'ensemble des critères voulus :
- occupant facilement et rapidement le sol en début de saison pour éviter les problèmes de
ruissellement et d'érosion,
- fleurissant une grande partie de la saison,
- adapté en hauteur à la taille des rangs de vigne,
- adapté à la diversité des sols du Beaujolais,
- peu onéreux, facile à constituer et à implanter,
- implanté pour plusieurs années,
- nourrissant toutes les catégories d'animaux (petite faune de plaine, pollinisateurs,
polliniphages, arthropodes prédateurs etc.),
- valorisant encore plus l'aspect visuel des vignes.
Les expérimentations concernant ces mélanges fleuris ont débuté en 2004. Ces travaux ont
tout d'abord concerné la faisabilité de cette technique à travers la sélection de plantes adaptées
à la vigne et les techniques de mises en place (calendrier, densité de semis, travail du sol).
3. ITINERAIRE TECHNIQUE POUR LA MISE EN PLACE DE BANDES FLEURIES
A partir de 2008, les études se sont recentrées dans le cadre programme Agrifaune sur les
mélanges fleuris, leur composition et leur potentialité dans les différentes situations de sols
présentes dans le vignoble du Beaujolais. Ainsi, de nombreux essais ont été mis en place pour
connaître la potentialité des mélanges et aboutir à un mélange destiné aux différents acteurs
du territoire. Avec le concours de nombreux viticulteurs, différentes espèces ou mélanges ont
été implantés sur plus de 60 sites différents répartis sur 22 communes du vignoble. Plus de 50
espèces ont été évaluées seules ou en association, 39 mélanges ont été semés. Nous avons
abouti à la constitution d'un mélange répondant à la plupart des attentes de chacun, un
mélange extemporané composé d'une base d'un mélange fleuri du commerce
(VitiFleursPluriannuel) accompagné de légumineuses (trèfles violet et blanc nain, luzerne
lupuline, lotier), d'une céréale (avoine), de phacélie, de sarrasin, d'une crucifère et de
chicorée. Ce mélange se sème au printemps sur un sol bien préparé préalablement griffé avant
le début de l'hiver à une densité de 100 grammes pour 100m² avec un roulage post –semis.
Schéma 1 : Itinéraires techniques pour la mise en place de bandes fleuries
N-1
Griffer ou labour
N
- Arrachage du rang
- Griffage de la zone
arrachée
- Semis à la volée
- Rouler
N+1 N+2 N+3 N+4
Fauchage Fauchage Fauchage Griffage
et griffage
Semis
Semis précoce (mars à la dose de 80 à 100 g pour 100 m²)
Semis à la volée avec mélange régulier au moment du semis
En été : fauchage de la bande obligatoire si application d’un
insecticide
Coût de l’implantation : 151 € pour une parcelle de 0,4 ha
avec une implantation tous les 6 rangs
4. A L'ECHELLE D'UN TERRITOIRE…
Au-delà des aspects techniques, les travaux réalisés sur les bandes fleuries ont permis de
mobiliser autour d’un sujet commun de nombreux acteurs du territoire. Les prémices se sont
esquissés dès 2004, avec la collaboration entre la Chambre d’Agriculture du Rhône/CDB et la
Fédération Départementale des Chasseurs du Rhône (FDCR) sur l’élaboration d’un mélange
de fleurs répondant aux attentes du monde viticole tout en étant favorable au maintien de la
biodiversité. Ce partenariat s’est officialisé quelques années plus tard, en 2008, avec la
signature de la convention départementale AGRIFAUNE. Par cette convention, les
signataires (ONCFS, Fédération Départementale des Chasseurs et Chambre d’Agriculture du
Rhône), s’engagent à poursuivre leurs efforts au profit d’une viticulture durable, intégrée dans
le contexte économique local actuel et favorisant les habitats de la faune sauvage. Ainsi,
pendant 2 ans, les actions de sensibilisation (réunions d’information, visites d’essais, articles
de presse etc.) et d’incitation (prise en charge de 2/3 du coût des graines par la FDCR et par
l’association de chasse locale) vont se poursuivre sur tout le vignoble du Beaujolais. Cette
animation s’appuie notamment sur les viticulteurs précurseurs en matière de pratiques
favorables à l'environnement, mais aussi sur le réseau des associations de chasse communales,
véritables relais d’informations.
Les premières années d’animation ont porté leurs fruits puisque 25 associations de chasse
locales ont commandé l’équivalent de 88 hectares de mélange fleuri semé en plein.
Cependant, on note un certain essoufflement de la dynamique de semis et des difficultés
grandissantes à convaincre de nouveaux interlocuteurs. D’autre part, les semis réalisés le sont
souvent de manière éparse sur le vignoble. De ce fait, les impacts réels de ces aménagements
sur la biodiversité, le paysage, la qualité des eaux sont difficiles à évaluer à l’échelle d’un
territoire aussi vaste.
L’ensemble du vignoble Beaujolais constitue un territoire trop grand pour être efficace en
terme d’animation et pour mesurer l’efficacité des aménagements. Aussi, à l’automne 2010
les partenaires Agrifaune ont décidé leurs actions sur le bassin versant de l’Ardières. Situé
dans le Nord du vignoble, ce bassin versant regroupe 13 communes et présente des enjeux
forts en matière d’agronomie (vignes à haute densité, peu d’enherbement inter-rang), de
biodiversité (bon potentiel d’accueil pour de nombreuses espèces faunistiques, "chassables"
ou protégées) et de qualité des eaux. Par ailleurs, il constitue le bassin d’alimentation d’un
important captage d’eau potable. La dynamique locale a également été un élément important
dans le choix de ce bassin versant. Avec 2 caves coopératives et plusieurs associations de
chasse locales, ce territoire possède un réseau de personnes relais intéressant. Afin d’élaborer
un tel projet, la première étape a été de réaliser rapidement un point zéro du territoire :
cartographie de l’occupation du sol, comptages de la petite faune (lièvres et perdrix rouges) et
identification de l’avifaune présente. Toutes ces opérations ont été réalisées en 2010/2011 par
les partenaires du programme Agrifaune et ont permis de constituer un véritable état des
lieux initial du territoire. L’objectif à présent est d’intensifier la sensibilisation des acteurs sur
le bassin versant, en tissant des relations de proximité avec les viticulteurs, les chasseurs et les
élus locaux. Les outils de communication classiques sont mis en œuvre (réunions
d’informations, partage d’expériences, visites de sites etc.) et associés à une présence forte
des partenaires Agrifaune sur le territoire. Les aménagements réalisés seront cartographiés
afin d’avoir une vue d’ensemble du bassin versant et de veiller à la cohérence des évolutions
apportées.
Parallèlement à cela, une nouvelle offre de service a été proposée aux viticulteurs en 2012. Il
s’agit d’une offre « Clé en main » pour le semis de couverts fleuris. Grâce au partenariat entre
la Fédération des Chasseurs du Rhône et un entrepreneur de travaux agricoles, les viticulteurs
pourront bénéficier gratuitement (frais pris en charge par la FDCR) d’une prestation complète
pour l’implantation de bandes fleuries, à condition de respecter le cahier charge relatif à
l’entretien de ces bandes (fauche tardive, respect de la réglementation abeilles, etc..).
CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
La diversité observée au niveau des parcelles de vigne est dans une phase de développement.
Le milieu viticole est loin d'être pauvre. Nous observons déjà des animaux qui étaient rares il
y a une dizaine d'années dans les vignes.
Mais nous devons rester vigilants pour la maintenir en poursuivant la mise en place de
pratiques viticoles encore plus respectueuses s'inscrivant dans une approche globale
d'aménagement. Néanmoins, des questions restent posées sur l'arrivée de nouveaux ravageurs
jusqu'alors inconnus de notre vignoble, sur l'impact d'hivers très froids ou d'étés caniculaires
et la menace de la flavescence dorée qui plane sur le vignoble du Beaujolais.