40 mètres de long et 13 millimètres de large Exposition de Yann

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40 mètres de long et 13 millimètres de large Exposition de Yann
40 mètres de long et 13 millimètres de large
Exposition de Yann Vanderme à l’institut français de Lituanie à Vilnius
Yann Vanderme est un artiste qui représente « l’art (néo)conceptuel » – « une
tactique » populaire entre jeunes artistes ces temps-ci. Paradoxalement, on pourrait
remarquer que les tactiques esthétiques de Vanderme appartiennent plus à la tradition d’art
conceptuel et performatif des années soixante-dix de l’Europe de l’Est qu’à la tradition
d’art conceptuel de l’Europe de l’Ouest à cause d’une « facilité » ou « simplicité »
esthétique. L’art conceptuel de l’Europe de l’Ouest, et particulièrement des États-Unis,
était très (voire trop) sérieux à cette époque.
Certaines œuvres (qu`on pourrait aussi appeler « des projets ») de Vanderme ont
l’air d’interpréter des œuvres (ou « des projets ») d`un conceptualiste Tchèque des années
soixante-dix, p.ex. Jiři Kovanda. À titre d`exemple, Vanderme a fait comme s’il téléphonait
à quelqu'un dans une cabine téléphonique, ou a fait comme s’il avait donné rendez-vous à
quelqu’un à 16h à la terrasse d’un café. Après une demi-heure d’attente, il est parti. Pour
tout dire, Vanderme a fait beaucoup de choses comme Kovanda ou comme d’autres
conceptualistes de l’Europe de l’Est le faisaient avant.
À vrai dire, non seulement Vanderme remixe ou interprète la tradition d’art
conceptuel, mais encore il aime l’idée de répétition de ses œuvres (« des projets ») avec
quelques petites variations. Il répète la même idée en la modifiant peu à peu à chaque fois.
Par exemple, il a décidé faire les choses à 33%. Le 12 mars 2006, il est monté jusqu’un peu
en dessous du deuxième étage de la tour Eiffel. Ce qui correspond à peu près à 33% de sa
hauteur. Le 4 avril 2006, il a été à la manifestation contre le CPE. A Paris, le cortège devait
aller de la place de la République à la place d’Italie. Il l’a quitté à Bastille, soit à peu près
33% de la longueur du parcours. Aussi, du 22 mars au 11 avril, il a été voir plusieurs films
en quittant la salle au bout de 33% de la durée totale de chacun d’entre eux.
Le dimanche 16 avril 2006, il s’est baladé le long du remblai de la Baule. Il a été de
la rue de Saumur jusqu’au Casino de la Baule, ce qui correspond encore une fois à environ
33% de la longueur de la plage. Le lundi 29 mai 2006, il est monté au 18ème étage de la
tour Montparnasse, soit environ 33% de ses 56 étages. Aussi lors du week-end du 2 et 3
septembre 2006, il a visité 33% de la largeur du musée du Louvre (il a choisi la partie dans
laquelle se trouvent les œuvres les plus connues, comme la Vénus de Milo ou la Joconde).
Le jeudi 26 juin 2006, en sortant de la boulangerie de la rue Joinville (Paris,
19ème), il a donné 33% de la monnaie qu’il avait sur lui à une vieille dame qui faisait la
manche, il avait précisément 1.51 €.
Par ailleurs, dans la nuit du 15 au 16 novembre 2006, il a essayé d’avoir 0.99 g/l
d’alcool dans le sang. Cette valeur correspond à 33% du niveau d’alcool à partir duquel le
risque de coma éthylique est évident (le seuil étant généralement fixé à 3 g/l) et le 25
octobre 2007, il s’est habillé avec 3 vêtements soit 33% du nombre de vêtements qu’il avait
mis la veille, à savoir 10 (il a du coup passé la journée chez lui), etc. Pendant un mois et
demi, il s’est coupé un cheveu par jour en prenant à chaque fois une photo du « résultat » ...
On peut aussi ajouter que Vanderme est intéressé par la modification de l'espace
(psycho)social en remodelant les situations quotidiennes. Ça peut être aussi l’espace (ou un
secteur) institutionnel comme dans le projet « la clayette » ‒ Vanderme a déplacé la
clayette d’une salle à l’autre dans la galerie YGREC à Paris, en faisant un trou dans le mur.
Après le déplacement, Vanderme l’a rebouché. Aussi la chaise « a été dissoute » par
Vanderme dans la galerie 1646 à Hagues. L’artiste a moulu la chaise, après il a mélangé
cette poudre de bois avec des peintures blanches et a enfin peint la majorité des murs de la
galerie. Les murs sont devenus plus foncés qu'avant.
Les exemples suivants illustrent bien que Vanderme « se fond » dans la routine et
dématérialise l’objet d’art. Cela inscrit les œuvres de Vanderme aussi dans « la tradition »
d’art contemporain des années quatre-vingt-dix ‒ (...) les formes simples de l’art minimal,
conceptuel, se trouvent contaminées par les signes complexes du quotidien pour être
réinscrites dans l’actualité, démocratiquement restituées à une histoire collective.i
Cependant, Vanderme tend à réinscrire dans l’histoire collective par reformulation
et réexposition sa (pseudo)histoire personnelle. Aussi son objectif n’est pas seulement de
dématérialiser l`objet d`art, mais aussi de le dédramatiser totalement et de compléter d’une
pincée d’humour cette « esthétique de la disparition ». Vanderme « se fond » dans la
routine, ainsi, il ne restitue et ne réexpose qu’une certaine partie de la trivialité du
quotidien, transformée en l’idée du sarcasme pur. Ce n’est pas l`action mais l’inutilité de
cette action qui prévaut. Enfin il ridiculise les comportements sociaux, parodie « la
grandeur » de l`art tout en se moquant un peu de lui-même. Il joue avec ses idées et jouit en
les mélangeant.
Le résultat est une certaine sorte du performance éphémère, consciemment
« banale », souvent cachée dans le langage ou, disons, simplement transformée en récit ;
soulignons le geste qui transforme souvent l`activité artistique en situations très
élémentaires, mais absurdes.
En outre, Vanderme ne fait pas que tourner la routine en ridicule. En certaines
occasions il préfère construire des structures plus compliquées. Je fais ici référence au
dernier projet de Vanderme qui était installé par l’artiste à l’Institut français de Lituanie à
Vilnius. Vanderme a installé deux vidéos projections et un grand cube blanc dans la cave de
l’Institut français. La première projection représentait le projet, qui avait eu lieu dans un
autre endroit. A l’occasion d’une résidence à Nida Colony, j’ai développé un travail autour
de la perception de notre environnement. Il en résulte des œuvres spécifiquement élaborées
pour le site dans lequel elles sont exposées, et qui questionnent notre jugement et notre
perception de l’espace.
Pour cette exposition à l'Institut Français - qui fait suite à sa résidence à Nida - je
propose un focus sur l'architecture. J’y présente une installation réalisée à 950 km d'ici, en
Finlande, dans une ancienne usine de sucre aujourd’hui complètement délabrée. Il a
rénové une fine bande de 13mm de large, parcourant murs, sols et plafonds. La bande a été
rénovée comme elle était lorsque le bâtiment était en activité il y a 30 ans. Cette mise en
perspective temporelle entre en relation avec une autre installation conçue pour ici et
maintenant, mettant en jeu directement l'architecture de l'Institut Français.ii
Un grand cube blanc a été installé dans le même sens, peut-être mettant en jeu
directement l’architecture de l’Institut Français et l’opposant à cet espace compliqué par
ailleurs un peu prétentieux.
Et la deuxième ‒ projection d’animation 3D sur un cube – était là pour expliquer la
formation du gros volume blanc (un grand cube – remarque de K. Š.) qui était exposé. Et
pour faire comprendre qu'il représente le plus gros volume qui puisse rentrer en un bloc de
la rue à l'espace d'exposition.iii
Ceci étant, Vanderme s'intéresse plus à l’espace psychologique ou sociopsychologique. On peut dire qu`il fait un mélange métaphorique de quelques notions de
l’espace et du temps – de l’espace et du temps social, de l’espace et du temps architectural
et de l’espace et du temps psychologique, en créant une impression de songe, d’hypnose ou
d’état hypnopompique.
i
ii
Éric Troncy. Le docteur Olive dans la cuisine avec le revolver (Monographies et entretiens 1989 2002).
Les Presses du reel, 2002, p. 107.
Yann Vanderme
iii
Yann Vanderme

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