SNCF 1940-1944. Contre-enquête sur un mythe
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SNCF 1940-1944. Contre-enquête sur un mythe
DOCUMENT ET SI L'ENTREPRISE SYMBOLE DE LA RÉSISTANCE AVAIT EU D'AUTRES VISAGES SOUS L'OCCUPATION ? UN RAPPORT COMMANDÉ PAR LA SNCF FAIT LA LUMIÈRE SUR CES ANNÉES. « L'EXPANSION » EN RÉVÈLE LES CONCLUSIONS PARFOIS DÉRANGEANTES. PAR PHILIPPE GALLARD O uand s'achève la dernière guerre, une jeune entreprise nationale est unanimement élevée sur le pavois de la résistance à l'occupant : la SNCF. Communistes, qui dirigent la fédération des cheminots, socialistes, qui tiennent le ministère et bientôt la présidence, gaullistes, tous vibrent à l'unisson au récit des exploits héroïques des saboteurs du rail ou des agents de liaison, de renseignement ou d'évasion en bleu de chauffe. La SNCF est aux entreprises ce que la 2e DB est à l'armée française : l'une et l'autre n'ont-elles pas participé directement à la libération de Paris ? Elle sauve l'honneur des acteurs économiques, dont beaucoup ont dû, et ont voulu, collaborer. Neuf mois après la capitulation allemande sort dans les salles de cinéma La Bataille du rail. Sa réalisation a été décidée par le mouvement Résistance fer, et puissamment aidée par la direction générale de la SNCF, qui est intervenue dans le scénario comme sur le tournage. Selon la formule du critique Georges Sadoul, proche du PCF, « c'est une œuvre dictée par la masse de la Résistance ». Des préprojections devant la direction et devant des cheminots ont précédé la sortie en salles. Partout c'est un triomphe. Le premier festival de Cannes de l'aprèsguerre lui décerne en octobre 1946 sa palme d'or, et à René Clément le prix de la mise en scène. Cinquante-quatre ans plus tard, les dirigeants de la SNCF tentent de revisiter l'image d'Epinal. Depuis le cinquantième anniversaire de la rafle du VéF d'Hiv, en 1992, l'alerte est donnée. Des voix se sont élevées pour évoquer l'attitude de la SNCF face aux trains de la mort nazis. Entre La Bataille du rail et Nuit et brouillard, le contraste risquait d'être par trop brutal. Il fallait donc apporter un regard extérieur. Car « les cheminots se sont constitués en historiens collectifs. Ils se sont forgé une mémoire commune » où « les événements se tamponnent de l'appel du 18 juin aux combats de la Libération ». Voyez le générique de La Bataille du rail : il rappelle la coupure de la France en deux (1940-1942) alors que l'action du film se situe autour de juin 1944 ! Qui est l'auteur de ces remarques décapantes ? Christian Bachelier, un chercheur de l'Institut d'histoire du temps présent (CNRS), à qui un ex-président de la SNCF, Jacques Fournier, a ouvert les archives de l'entreprise nationale et commandé un « rapport documentaire » de près de 1 000 pages, sans les annexes. Ce rapport, « La SNCF sous l'occupation allemande », est l'une des bases essentielles du colloque organisé ces 21 et 22 juin dans une salle de l'Assemblée nationale. Présidé par l'académicien René Rémond, ouvert par Louis Gallois, actuel président de la SNCF, et clos par le ministre communiste, et ancien cheminot, Jean-Claude Gayssot, il a pour thème « la SNCF de 1939 à 1945 ». Il se veut une étape importante dans l'« aggiornamento » de la mémoire cheminote, avec en particulier, en clôture de la première journée, l'intervention très attendue de Serge Klarsfeld, président de l'association Les fils et filles des déportés juifs de France. De nombreux indices suggèrent à quel point cet aggiornamento est jugé à la SNCF comme une œuvre délicate. Car que nous apprend le rapport de Christian Bachelier ? En un mot, que la SNCF ne s'est pas vraiment distinguée des autres Suite page 120... i-- jf* Contre-enquête sum 118 L'Expansion >n°624< du 22 juin au 5 juillet 2000 uo|SUEdx3,T > ttfgOu < 000? tfllN S ne umf n np ••Mf V1^ ^ T / « t aisii BI ap sjamjap sai 'sjaSessed ap SUJBJI xnajquiou ap Jainojp juojaj SIOUJUISLIO sap 'spuBiuanv sap nsu;,| V 'aiai ua ajjanS ap ajpjo jed SIOAUOD sai assep IIBAB AMOIA z luepuad - sajjodap ta sauuB 'sjaSBSSBd -SUBJI sap ainiqesuod -saj EI }3 3Sjei|o BI na B dONS BI 'SJZBU sap a|oj;uoo ai snos 'asiBâ -UBJ^ 3JBÉ aun SUBP pUBUiailB 3JIB1IMIA1 l DOCUMENT SNCF 1940-1944 (Suite de /a page 118) L'ENTRÉE EN GUERRE 31 août 1937 Signature d'une convention entre l'Etat et neuf sociétés de chemins de fer constituant l'entreprise nationale SNCF. 3 septembre 1939 La Grande-Bretagne et la France déclarent la guerre au Reich. 22 juin 1940 Armistice franco-allemand signé à Rethondes: la France est partagée en 6 septembre 1940 Jean Berthelot, ancien président de la SNCF, est nommé secrétaire d'Etat aux Communications de Vichy, chargé des transports. Jean Berthelot ••• entreprises françaises jusqu'à l'année qui a précédé la Libération. Elle était pilotée directement par un Etat français qui prônait la collaboration, et mise à la disposition de l'occupant nazi par la convention d'armistice. « La technique d'abord » est le mot d'ordre de ceux qui ont dirigé la SNCF sous l'Occupation. Le premier, Jean Berthelot, major de l'X et de l'Ecole des mines, est un cheminot passé par les cabinets ministériels. Comme beaucoup de dirigeants cheminots de l'époque, dont le fameux Raoul Dautry, il assimile la politique à Pamoralité. Pour eux la technique fonde la morale et l'autorité du chef. L'économie dirigée doit être imposée face au libéralisme, générateur de crises. La concurrence est nuisible, l'intervention de « l'Etat technicien » bénéfique. Secrétaire d'Etat aux Transports et aux Communications dans le deuxième cabinet du maréchal Pétain, Jean Berthelot va s'atteler à faire revivre un trafic ferroviaire sévèrement entravé par la Wehrmacht. L'occupant, qui a habilement choisi de laisser à la SNCF « la charge et la responsabilité des transports », sous la surveillance de l'administration 120 L'Expansion > n° 624 < du 22 juin au 5 juillet 2000 lion et demi d'employés. La technologie et l'organisation de la Reichsbahn, en pointe dans la traction électrique, le diesel « à grande vitesse », fascinent de nombreux ingénieurs français. Berthelot souhaite adapter le réseau français au système des La vie économique et la vie tout court transports allemands. Et il pousse des Français dépendent aussi de ces un projet grandiose qui intéresse efforts, le train étant alors le mode beaucoup le gouvernement et les inde transport presque exclusif. Mais dustriels allemands : la voie transdans l'organisation du trafic, les huit saharienne. Le jour de décembre catégories de priorités définies en 1941 où le maréchal Keitel publie ordre décroissant par Berthelot et la les décrets Nuit et brouillard (déSNCF doivent se conformer aux portation pour tout auteur d'un acte priorités allemandes. Et celles-ci pla- hostile au Reich), Berthelot est en Alcent évidemment les transports de gérie, il inaugure en fanfare à Tiz-Zaguerre en n°l absolu. Ce système guine un tronçon du transsaharien. sera totalement respecté, et il incite L'esprit de corps des cheminots plutôt au zèle : les cheminots feront vaudra tout de même quelques adoucirculer des trains supplémentaires, cissements à la SCNCF par rapport souvent à l'insu du contrôle alle- au régime commun. La croisade cormand, pour assurer malgré tout des poratiste et l'épuration antisyndicale transports nécessaires aux Français, s'arrêteront aux portes des gares, car Berthelot veut préserver la cohésion mais placés en queue de liste... Jean Berthelot veut aller encore de la « vraie » corporation, celle des plus loin. Il situe résolument son ac- cheminots. Et bien que leur fédération dans le cadre de la collabora- tion compte de nombreux commution avec l'Allemagne nazie voulue nistes, il protège les syndicalistes. par Pétain, et en particulier avec la « Le syndicalisme étant par essence Reichsbahn, tant vantée par Hitler même revendicateur, il n'y a pas plus et dont les effectifs atteindront 1 mil- lieu de le poursuivre que le patronat allemande, y a tout intérêt, d'autant qu'il prépare l'invasion de la GrandeBretagne. Les cheminots faits prisonniers sont libérés en zone occupée, le ravitaillement en charbon de la SNCF est favorisé. UN OUTIL DE COLLABORATION 9 février 1942 Albert Speer devient ministre de l'Armement et de la Production industrielle du Reich. Il réorganise le système de transport en fonction des besoins de guerre allemands. Embarquement de déportés juifs à larseille en 1943. La SNCF avait la harge du transport des déportés isqu'aux frontières. Les cheminots avaient aussi sceller les portes. Au fil des années d'occupation, la ociété a été de plus en plus intégrée u dispositif militaire allemand, qui a ris des wagons français pour ses esoins à l'est du Rhin (photo extraite u film La Bataille du rail). Jean Bichelonne et Albert Speer. es ministres de l'industrie de Pétain t de Hitler étaient les vrais patrons e la SNCF et de la Reichsbahn. par essence, lui, conservateur », écritil dans une note de service. Quand la croisade anticommuniste débutera, Berthelot redoutera qu'elle ne serve aux dirigeants de la SNCF à masquer une répression antisyndicale. Et curieusement, quand Berthelot sera traduit devant la Haute Cour de justice, en 1946, dans le cadre de l'ultime épuration, la CGT ne répondra pas aux demandes d'information du magistrat instructeur... Berthelot sera libéré le jour même du verdict, sa condamnation à deux ans de prison n'excédant pas la durée de sa détention préventive. L'aryanisation de la SNCF sera moins douce. Fidèle à sa conception « technicienne », Berthelot tentera de garder les « Juifs intéressants » (sic), quitte à les déplacer. La solidarité de corps jouera surtout envers quelques cadres supérieurs, car en bas de l'échelle 82 agents Israélites seront 7 mars 1942 licenciés. Il y avait peu de cheminots juifs, et, à partir du 11 août 1941, les candidats à un emploi doivent remplir un formulaire certifiant qu'ils ne le sont pas. L'effet des mesures antimaçonniques est moins bien connu. Mais le chercheur relève « l'absence, ou au mieux la rareté, de manifestations de solidarité envers les collègues persécutés par le gouvernement de Vichy ». « Mes locomotives, mes wagons, mes redevances ! » Telles étaient plutôt les préoccupations majeures des dirigeants de la SNCF pendant les trois premières années d'occupation. La Reichsbahn, débordée de travail, ne cesse de vouloir puiser dans les ressources de la SNCF. L'Allemagne réquisitionne 3 000 locomotives et 85 000 wagons dès la première année, et en réclame d'autres. Elle ne restitue pas toujours les trains français qui ont franchi le Rhin. Berthelot et la direction de la SNCF se battent pied à pied pour limiter les ponctions - ne parvenant en fait qu'à les retarder - et pour en obtenir dédommagement. S'engage alors un débat surréaliste entre autorités françaises pour déterminer ce qu'il faut « réclamer » à l'occupant. Plutôt qu'une indemnité pour privation de jouissance, Berthelot entend percevoir une redevance pour « location » de trains, car dans ce cas la propriété Berthelot tentera de garder les « Juifs intéressants » de la SNCF est clairement reconnue. Mais, lui objecte-t-on, la location de l'occupé à l'occupant n'est pas prévue dans la convention d'armistice... De toute façon, ces réclamations impressionnent peu les autorités allemandes. Seule la nécessité finira par faire déboucher ce simulacre de négociations. A l'automne 1943, Albert Speer devient ministre de l'Armement et de la Production industrielle. L'architecte personnel d'Adolf Hitler met en place une organisation européenne de l'industrie de guerre, qu'il veut éclatée et interconnectée par le rail. Speer veut par exemple que les usines françaises déchargent les usines allemandes de toute fabrication civile, afin que celles-ci ne se consacrent qu'à l'armement. Il a donc besoin de ménager une SNCF qui commence à être affaiblie par les sabotages et les bombardements. La part du transport allemand, qui représentait déjà deux tiers de son activité fin 1941, passe à 85 % deux ans plus tard. Aussi Albert Speer freine-t-il les prélèvements de matériel et autorise-t-il les premiers versements de Reichsmarks, tant pour rémunérer le transport allemand que pour compenser les fameux « emprunts ». Sur trois ans (mi-1940 à mi-1943) le Trésor français percevra d'Allemagne, sous forme de forfaits successifs, un peu plus de 13 milliards de francs de l'époque, soit 50 % de ce que la SNCF réclamait. Et elle va se voir accorder le statut « S » d'entreprise protégée des ponctions du Service du travail obligatoire. Cela permettra de limiter à Suite page U2_. Pierre Semard, membre du PCF, ancien secrétaire général de la fédération des cheminots CGT, en prison depuis 1939, est fusillé par les 27 mars 1942 Départ du premier convoi de Juifs de France vers Auschwitz. 4 septembre 1942 Loi organisant la réquisition des travailleurs. 11 novembre 1942 LaWehrmacht envahit la zone Sud. 12 novembre 1942 La SNCF passe sous le contrôle de Jean Bichelonne, ministre vichyste de la Production industrielle. £*. Pierre Semard du 22 juin au 5 juillet 2000 > n'624< L'Expansion 121 DOCUMENT SNCF 1940-1944 (Suite de la page 121) Moins de 1 % des cheminots inquiétés à la Libération ... 10 000, sur près de 500 000, le nombre de cheminots français enrôlés par la Reichsbahn... et d'embaucher de nombreux résistants pour les mettre à l'abri du STO. Louis Armand, l'un des chefs du mouvement Résistance fer. LA RÉSISTANCE ACTIVE 2 février 1943 Victoire soviétique à Stalingrad. 16 février 1943 '*• Loi instituant le Service du travail obligatoire (STO). 9 février 1944 Début des bombardements intensifs des centres ferroviaires français par les Alliés. Car à partir de fin 1943, malgré les efforts du nouveau maître de la SNCF, très proche d'Albert Speer, le ministre de la Production industrielle, Jean Bichelonne, incroyable tête d'œuf (19,75/20 de moyenne à l'examen de sortie de Polytechnique, record du savant Louis Arago pulvérisé !) mais politiquement infantile, l'esprit de collaboration va sombrer à la SNCF. Longtemps les actes de résistance y avaient été sporadiques, même si quelques réseaux d'évasion et de renseignement fonctionnaient dès 1940. Mi-1941, la violation du pacte germano-soviétique par Hitler et un télégramme du secrétaire général du Komintern, Georgi Dimitrov, lancent le PCF dans la résistance, lui qui avait été dissous et pourchassé pendant la 4 juin 1944 Messages de Radio Londres déclenchant le « plan vert » de sabotages ferroviaires par la Résistance. 6 juin 1944 Débarquement des Alliés en Normandie. 10 août 1944 > Le comité central de grève des cheminots lance le mot d'ordre de grève insurrectionnelle en région parisienne. Onze jours plus tard, 11 appelle aux armes. 25 août 1944 Libération de Paris. 122 L'Expansion > n°624 < du 22 juin au 5 juillet 2000 drôle de guerre pour propagande proallemande. C'est alors qu'avait été arrêté et condamné à trois ans de prison Pierre Semard, ancien secrétaire général de la fédération des cheminots. Ses obsèques solennelles au Père-Lachaise quelques jours après la libération de Paris en feront la figure emblématique des cheminots communistes et syndicalistes. En mars 1942, il avait été arraché de sa geôle et exécuté comme otage par les nazis sans avoir eu l'occasion, et pour cause, de résister. Au début de l'Occupation, le PCF était devenu « semi-illégal », selon les termes mêmes de sa direction, qui a tenté sans succès de négocier avec les Allemands la reparution de L'Humanité. Mais après l'invasion de l'URSS, en 1941, « Louis » et « Raymond », deux cheminots membres d'un réseau communiste, mettent au point la technique du déraillement : le déboulonnement des éclisses (attaches entre deux rails) plus la liaison des deux rails par fil de fer pour ne pas déclencher le signal d'arrêt. Commence alors l'engrenage des sabotages et des exécutions d'otages, qui allait contribuer à la révolte des cheminots. La menace du STO, les défaites nazies, l'approche perceptible du débarquement en France allaient faire le reste. Deux autres polytechniciens, Jean-Guy Bernard et Louis Armand, s'illustrent à la tête de Résistance fer. On recense 276 sabotages en 1942, 2 000 en 1943, 6 000 en 1944. Avec en particulier son « plan vert », qui prépare le débarquement, la Résistance coupe deux fois et demie plus de voies que les 75 000 tonnes de bombes alliées larguées sur le réseau ferré français. Malgré le détachement massif de dizaines de milliers de cheminots allemands en France, la SNCF s'autoparalyse inexorablement. La résistance passive se transforme en grève insurrectionnelle tout autour de Paris en août 1944. A l'heure des bilans, on estimera selon les sources entre 1 600 et 2 000 le nombre de cheminots exécutés, morts en déportation ou disparus. La Bataille du rail n'avait rien inventé. Mais il y a aussi Nuit et brouillard. De mars 1942 à juillet 1944 ont été dé- portés 76 000 Juifs de France, tous par train, dont 70 000 vers Auschwitz. A la Libération, on ne comptera que 2 500 survivants. Au départ composés de matériel allemand, les convois furent rapidement constitués d'une vingtaine de wagons couverts KKW et KKU de la SNCF : 20 tonnes de charge, quatre volets d'aération, 50 personnes par wagon. Sous l'autorité de l'occupant et de l'Etat français, ces transports sont exécutés par la société nationale. Les gares et les postes centraux sont français. « Les archives et les témoignages ne relèvent aucun refus, aucune protestation de la part du transporteur portant sur l'exécution de ces transports, ni aucune consigne de sabotage », relève le rapport documentaire commandé par la SNCF. Les facturations de ces convois sont émises par l'agence de voyages de la Reichsbahn, la MER, mais la SNCF établit ses propres factures, qu'elle adresse à son commanditaire, le ministère français de l'Intérieur, où elles relèvent du chapitre « transports administratifs ». Les Allemands considèrent qu'ils couvrent ces factures avec les forfaits accordés par Albert Speer pour l'ensemble des transports militaires. Car, aux yeux des nazis, Christian Bachelier, auteur du rapport « La SNCF sous l'Occupation », a eu accès aux archives de l'entreprise. ils entrent dans cette catégorie M, « trains militaires », au premier rang des priorités de trafic dictées à la SNCF. Un pointage précis des trains de déportés est établi par la société nationale, qui connaît la nature des chargements : « trains d'israélites ». Ils ne sont pas désignés par des codes secrets. Tous les cheminots étaient bien placés pour surveiller le trafic allemand, y compris les trains de déportés, et furent d'ailleurs des sources irremplaçables pour la Résistance et Londres. C'est encore la SNCF qui ferme les portes et les plombe. Et bien que cela ait toujours été omis dans tous les témoignages, ce sont des cheminots français qui ont conduit les convois de déportés jusqu'à la frontière, puisque la direction de la SNCF a pu s'opposer jusqu'au printemps 1944 à l'emploi de conducteurs allemands. Il est plus que probable que des cheminots résistants aient eu à en conduire. Mais la résistance organisée considère qu'arrêter les trains de déportés n'est pas une priorité par rapport à la libération du territoire. Seule une résistance civile spontanée, faite de mille petits gestes, tentera d'alléger le sort (connu ou inconnu, la question n'est pas tranchée) de ces malheureux : ravitaillement en cachette, transmission, pas toujours anonyme, aux familles des messages laissés sur les voies, outils cachés dans les wagons, convois ralentis pour faciliter les évasions, aide aux évadés, etc. A la Libération, une SNCF aux installations ravagées mais au rôle encore crucial dans la reconstruction du pays connaîtra une épuration modérée : moins de 1 % des employés sanctionnés. Et il y aura bien peu de protestations. Personne n'a vraiment intérêt à gâcher une telle aura d'entreprise résistante. Mais depuis beaucoup de choses ont changé. Des entreprises allemandes très liées au régime hitlérien et aux pratiques du travailleur-esclave n'ont pas hésité à financer des études et même à éditer des livres pour que soit faite la lumière sur leur propre passé. Avec le colloque des 21 et 22 juin, la SNCF a raison d'aller encore plus loin que ce monumental « rapport documentaire ». L'époque est propice aux bilans sans passion. Puisque cette affaire d'image doit beaucoup au cinéma, impossible de ne pas souligner que l'humour juif s'est récemment attaqué à la déportation - sans provoquer la moindre vague d'indignation - dans le film franco-roumain Train de vie, mettant en scène une communauté juive qui organise son propre train de déportation et son escorte de SS. • PHILIPPE GALLARD L'APRÈS-GUERRE Novembre 1944 Premières sanctions d'épuration à la SNCF. 8 mai 1945 Capitulation du Reich. 27 février 1946 Sortie en salles de La Bataille du rail. 3 août 1946 Pierre-Eugène Fournier, président de la SNCF sous l'Occupation, estdiscretementecarte.il est remplacé le 9 septembre par Marcel Flouret, préfet de la Seine à la Libération. Septembre 1946 Le film de René Clément obtient le Grand Prix du meilleur film et celui de la mise en scène au premier festival de Cannes de l'après-guerre. •H Dans les derniers mois précédant le lébarquement, les sabotages sur le éseau ferré français feront plus de légats que les bombardements alliés. Le déboulonnage des rails. Ce sont leux cheminots, « Raymond » et : Louis », qui ont perfectionné les néthodes de sabotage dès 1941. Les obsèques de Pierre Semard à la .ibération. L'utilisation de la figure de :e leader syndical cheminot, fusillé en I942, a contribué à bâtir le mythe l'une SNCF exclusivement résistante. du 22 juin au 5 juillet 2000 > n°624< L'Expansion 123