L`halluciné

Transcription

L`halluciné
2,00 € Première édition. No 10917
MARDI 28 JUIN 2016
www.liberation.fr
DU BREXIT
AU BREX...
PSCHITT?
PAGES 2-6
Maurice G. Dantec
L’halluciné
AUX CONFINS DU POLAR ET DE LA SF, LE ROMANCIER
EST MORT À 57 ANS, PAGES 26-28
«UN QUINTAL DE VIANDE EN COLÈRE», UNE NOUVELLE
DE DANTEC ÉCRITE POUR «LIBÉRATION», PAGES 28-29
IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,50 €, Andorre 2,50 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,00 €, Canada 5,00 $, Danemark 29 Kr, DOM 2,60 €, Espagne 2,50 €, Etats-Unis 5,00 $, Finlande 2,90 €, Grande-Bretagne 2,00 £,
Grèce 2,90 €, Irlande 2,60 €, Israël 23 ILS, Italie 2,50 €, Luxembourg 2,00 €, Maroc 20 Dh, Norvège 30 Kr, Pays-Bas 2,50 €, Portugal (cont.) 2,70 €, Slovénie 2,90 €, Suède 27 Kr, Suisse 3,40 FS, TOM 450 CFP, Tunisie 3,00 DT, Zone CFA 2 300 CFA.
FRANCESCO ACERBIS . SIGNATURES
Partir tout en gardant les
avantages? Jouer la montre?
Revoter? Les stratégies de
contournement du référendum britannique se multiplient à Londres. En face,
les dirigeants européens entendent engager rapidement
le processus de sortie.
2 u
Libération Mardi 28 Juin 2016
Londres parti
pour rester?
Même si David Cameron s’est
défendu de vouloir aller contre
le vote populaire, il refuse d’être
celui qui appuiera sur le bouton
de l’article 50. Et quatre jours
après le référendum, les contours
d’un départ du Royaume-Uni
de l’Union européenne restent
extrêmement flous.
Par
JEAN QUATREMER
Correspondant à Bruxelles
L
e «Brexit» va-t-il se terminer en
«Brexpschitt» ? Entre un RoyaumeUni en plein chaos (lire ci-contre) et
des Européens hésitant entre une ligne
dure, celle du «Brexit now» –qui est celle de
l’Allemagne, de la France et de l’Italie après
le mini-sommet de lundi à Berlin–, et une
plus compréhensive (qui laisserait du temps
au temps), la date de sortie effective de Londres semble s’éloigner. Normalement, elle
est fixée à juin 2018 au plus tard. Certains,
tant sur le continent qu’en Grande-Bretagne, en sont à espérer soit une nouvelle consultation, soit, carrément, que le référendum britannique connaisse le même destin
«S’engager dans
un processus de
séparation sans savoir
comment on va ensuite
commercer serait
suicidaire.»
UN DIPLOMATE EUROPÉEN
que la consultation grecque de juillet 2015
que le gouvernement d’Aléxis Tsípras s’était
empressé d’ignorer… Une éventualité que
le Premier ministre démissionnaire, David
Cameron, a voulu écarter, lundi, devant la
Chambre des communes: «Le vote clair des
Britanniques doit être respecté. Le processus
doit être enclenché.» Une déclaration martiale aussitôt tempérée: ce n’est pas lui qui
appuiera sur la gâchette de l’article 50 du
traité européen qui organise la sortie d’un
Etat membre, mais son successeur qui devrait prendre ses fonctions en septembre.
Surtout, il souhaite que le Royaume-Uni
«détermine le genre de relation que nous
voulons désormais avoir avec l’Union européenne», notamment afin de garantir «le
meilleur accès possible au marché unique»,
avant de se lancer dans le processus du divorce. «C’est au Royaume-Uni de mettre en
œuvre l’article 50 et uniquement au Royaume-Uni», a-t-il martelé. Son ministre des Finances, George Osborne, avait été encore
plus clair le matin même: la Grande-Bretagne attendra d’avoir «une vision claire des
nouveaux arrangements recherchés avec nos
voisins européens» avant de demander à
partir. Boris Johnson, le leader conserva-
teur de la campagne du leave et possible futur locataire du 10, Downing Street, affirme
lui aussi qu’il n’y a pas «urgence» à quitter
une Union qu’il a pourtant présentée pendant la campagne comme un «nouveau
Reich». Dans un article publié dans le Daily
Telegraph, il proclame, sûr de lui, que la
Grande-Bretagne continuera à avoir un
plein accès au marché unique, mais sans la
libre circulation des personnes, l’une des
quatre libertés (avec la libre circulation des
biens, des services et des capitaux) sur laquelle l’UE n’a pourtant jamais transigé…
En clair, les conservateurs, qu’ils soient en
faveur du remain ou du leave, veulent rester
maîtres de l’agenda de sortie.
«L’article 50 laisse
trop de choix»
«Londres joue la montre, c’est insupportable»,
dénonce la Luxembourgeoise Viviane Reding, députée européenne conservatrice
(PPE) et ancienne vice-présidente de la Commission. «L’article 50 laisse trop de choix
au gouvernement britannique», se désole
son collègue allemand de la CDU Andreas
Schwab. C’est exactement ce que redoutait
la France : que Londres se
Suite page 4
Libération Mardi 28 Juin 2016
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
u 3
La livre dévisse,
Cameron se désiste
et Corbyn résiste
Les candidats au poste
de Premier ministre
devront se déclarer
jeudi. En attendant,
le Royaume-Uni n’en finit
plus de sombrer dans
la crise de nerfs.
C’
est donc confirmé. Il n’y avait
pas de plan, ni A, ni B, ni C.
Rien. Ni le camp du leave, ni
le gouvernement, ni même l’opposition
travailliste n’avaient semble-t-il envisagé que 51,9% des Britanniques puissent choisir de quitter l’Union européenne. D’où la sidération initiale, d’où
l’absence de réactions pendant plus de
quarante-huit heures après le vote,
d’où désormais un certain sentiment
de panique. Et une forme de déni qui
paraît extraordinaire.
Il est aussi confirmé que les mises en
garde des grandes institutions internationales sur les conséquences d’un
Brexit pour l’économie britannique
n’étaient pas du bluff. La livre sterling
a continué lundi à chuter lourdement,
alors que les marchés étaient tous en
baisse. Et ce en dépit de la réapparition, à l’aube, du ministre des Finances, George Osborne, pour tenter de
rassurer tout le monde. Le Premier ministre, David Cameron, s’est présenté
devant le Parlement pour la première
fois depuis l’annonce de sa démission
prochaine. Devant la Chambre des
communes, il a écarté tout nouveau référendum. Son plus grand rival, le
blond peroxydé Boris Johnson, était
l’un des seuls députés – si ce n’est le
seul– à ne pas s’être déplacé au Parlement. Sans doute trop occupé à élaborer en urgence un plan quelconque.
Dans la matinée de lundi, il avait publié
une étonnante tribune dans le Daily
Telegraph, où il tentait de rassurer
en expliquant qu’en gros rien, absolument rien, n’allait changer après cette
décision historique. Il ajoutait que l’effet négatif sur les marchés avait été surestimé. Pendant ce temps, la livre atteignait son plus bas niveau depuis
trente et un ans…
A Westminster,
vendredi.
PHOTO IMMO KLINK
«MEILLEURS FONCTIONNAIRES»
Le départ de David Cameron du
10, Downing Street pourrait finalement intervenir avant la fin de l’été.
Les conservateurs ont annoncé que les
candidatures à la direction du parti
devraient être déposées avant jeudi et
qu’un nouveau leader – et donc Premier ministre – devrait être élu avant
le 2 septembre. D’ici là, David Cameron expédie les affaires courantes. Il a
plusieurs fois insisté sur le fait que «les
décisions clés devront être prises par le
nouveau Premier ministre», annonçant en attendant la création d’une
«unité UE» composée des «meilleurs
fonctionnaires» pour préparer les
négociations de sortie. Ces fonction-
naires font face à ce qui est «probablement l’une des tâches les plus importantes et complexes qu’ils auront eu à
remplir depuis des dizaines d’années»,
a prévenu David Cameron. Le Premier
ministre a ajouté que cette unité
travaillerait en étroite collaboration
avec les Parlements semi-autonomes
d’Ecosse, du pays de Galles et d’Irlande du Nord, et même avec les autorités de Gibraltar, pour que «tous
soient impliqués» dans les décisions
à venir. Sachant qu’à part le pays de
Galles, les trois autres provinces ont
voté pour rester dans l’UE, la tâche
s’annonce compliquée. En principe,
ces Parlements pourraient s’opposer
au Brexit, mais Westminster reste souverain sur la décision finale. Même si
l’immense majorité des députés de ce
Parlement a également voté en faveur
du remain.
PRESQUE DÉTENDU
L’ancien chef du parti libéral-démocrate Nick Clegg a appelé à l’organisation d’élections anticipées. Cameron a
botté en touche, rappelant qu’une telle
décision serait de la responsabilité du
prochain Premier ministre. Il a conclu
son discours par une déclaration quelque peu surprenante : «Le RoyaumeUni quitte l’Union européenne, mais
nous ne devons pas tourner le dos à l’Europe et au reste du monde.» A se demander ce qu’était vraiment ce référendum. Etonnamment, David Cameron
est apparu presque détendu. Il s’est
même fendu d’une série de piques
en direction du chef de l’opposition
travailliste, Jeremy Corbyn : «Et je
croyais que je passais une sale journée»,
a dit Cameron, provoquant des fous
rires nerveux aux Communes.
Pour ajouter au bazar ambiant, Corbyn se retrouve aux prises avec une rébellion sans précédent. Les membres
de son cabinet fantôme ont passé la
journée à démissionner, envoyant l’un
après l’autre des lettres cinglantes de
démission, rendues publiques. Une
curée. Toutes lui reprochent son manque d’engagement dans la campagne
du remain, son manque de leadership
et lui demandent de quitter la direction du Labour. Quelque 57 députés
travaillistes, tout juste élus en 2015,
ont signé une lettre demandant sa démission, et même l’association des
jeunes du Labour (dont beaucoup
avaient soutenu avec enthousiasme la
candidature de Corbyn en septembre)
lui a retiré sa confiance. Jeremy Corbyn s’accroche, s’appuyant notamment sur le soutien des syndicats.
Mais une motion de défiance devrait
être votée ce mardi, ce qui pourrait ne
pas lui laisser de choix. La crise de
nerfs continue en Grande-Bretagne.
En attendant, la reine n’a toujours pas
montré l’ombre d’un bibi.
SONIA DELESALLE-STOLPER
Correspondante à Londres
4 u
Libération Mardi 28 Juin 2016
serve de l’article 50
comme d’un instrument de chantage afin
d’obtenir le statut le plus favorable possible.
Autrement dit, jusque-là, Londres avait un
pied dans l’Union européenne et un pied en
dehors; la Grande-Bretagne cherche maintenant à obtenir l’inverse.
Suite de la page 2
Le beurre, l’argent
du beurre et…
L’une des hypothèses qui circulent à Bruxelles est que David Cameron pourrait demander, lors du sommet européen qui s’ouvre
mardi soir à Bruxelles, un statut taillé sur
mesure qui serait encore plus dérogatoire
que celui dont jouit déjà son pays, puisqu’il
est hors de la monnaie unique, de l’Union
bancaire, de Schengen, de la politique d’immigration et d’asile, de la sécurité intérieure, de la défense, etc.. Une sorte de «février plus», comme le craint Guy
Verhofstadt, le président du groupe libéral
au Parlement européen, en référence à l’accord que David Cameron avait arraché au
Conseil européen de février et qui lui aurait
permis d’être totalement dégagé de toute intégration politique supplémentaire ou encore de discriminer les ressortissants communautaires en matière de prestations
sociales. Ce nouvel accord en ferait un
membre totalement à part (par exemple en
le dégageant de la politique agricole commune), ce qui permettrait au gouvernement
britannique de convoquer un nouveau référendum afin de rester, à ses conditions,
dans l’Union. En résumé, Londres obtiendrait le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière.
Sans aller jusque-là, la plupart des Européens ayant conscience qu’un tel statut dérogatoire servirait la cause des populistes
anti-européens du continent et pousserait
d’autres pays à demander le même traitement, la Commission cherche le meilleur
moyen de limiter les conséquences économiques d’une rupture brutale. «Il faut bien
voir que nos entreprises, nos agriculteurs, nos
pêcheurs, nos chercheurs, nos étudiants vont
souffrir si on ne trouve pas un arrangement
avec Londres, explique un haut fonctionnaire européen. S’engager dans un processus
de séparation, sans savoir comment on va ensuite commercer avec un pays qui restera un
partenaire important de l’Union, serait suicidaire.» Une partie de l’exécutif européen
comprend donc que Cameron temporise
avant d’activer l’article 50: «Certains pensent
qu’il vaudrait mieux appeler la Grande-Bretagne à le faire jouer aussitôt que possible
plutôt qu’immédiatement», poursuit ce
même haut fonctionnaire. De même, une
partie de la Commission et du Parlement
européen est prête à négocier en même
temps la rupture et le futur statut de la Grande-Bretagne, là aussi pour ne pas nuire à
l’économie du Vieux Continent.
Les Etats membres, pour l’instant, ne sont
pas sur cette ligne : les Vingt-Sept veulent
d’abord négocier la rupture avant de se prononcer sur un nouveau statut pour que Londres paye le prix de son départ : «On ne
pourra faire de nouveaux arrangements que
lorsque le divorce sera finalisé», dit-on dans
l’entourage du président du Conseil européen, Donald Tusk. Les Vingt-Sept ont aussi
convenu de refuser toute négociation bilatérale que voudrait engager Londres avec
ses partenaires afin de mieux les diviser.
Bref, si la confusion est britannique, elle est
aussi largement européenne. «Il n’y a pour
l’instant pas de stratégie claire de l’Union»,
regrette Andreas Schwab, même si Berlin,
Paris et Rome semblent désormais d’accord
sur l’essentiel. Le Conseil européen qui
s’ouvre ce soir se ralliera-t-il à cette ligne
dure ? Réponse mercredi. •
François
Hollande,
Angela Merkel
et Matteo Renzi,
lundi à Berlin.
PHOTO JOHN
MACDOUGALL. AFP
Manuel Valls,
Matteo Renzi
et François
Hollande dans la
cour de l’Elysée,
samedi. PHOTO
MARC CHAUMEIL
Libération Mardi 28 Juin 2016
u 5
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
Après que l’Elysée a multiplié les contacts avec les «pays du Club Med»,
Paris, Berlin et Rome ont affiché lundi soir leur volonté de promouvoir
une «nouvelle impulsion» pour l’UE.
Hollande joue la carte du Sud…
A
entendre les diplomates français lundi, les différences qui
se faisaient jour entre Paris et
Berlin sur le rythme des opérations
post-Brexit n’étaient qu’une simple
question de tonalité, à la rigueur de
vocabulaire, mais surtout pas une divergence de fond. «Les Français
aiment le mot “initiative”, les Allemands aiment celui de “stabilité”.
François Hollande dit “sursaut”, Angela Merkel dit “renforcement”», relativisait une source diplomatique. «En
temporisant, Merkel fait exactement
ce qu’on reproche d’habitude à Hollande mais qu’il ne fait pas cette
fois-ci», analysait un membre du gouvernement, pour qui «il faut être
ferme sur la rapidité [du processus de
sortie du Royaume-Uni]. Si on ne réussit pas ça, on peut avoir quinze années
de blocage à cause des Britanniques».
Le mini-sommet de Berlin, où Merkel
et Hollande ont été rejoints par le président du Conseil italien, Matteo
Renzi, lundi soir, a été l’occasion
d’ajuster un discours commun, après
trois jours de temporisation allemande et à la veille d’un Conseil européen crucial. Merkel «veut de la stabilité quand les Britanniques créent
de l’instabilité, analyse un proche du
chef de l’Etat. Aujourd’hui, il faut remettre un cadre, et l’allié sur lequel elle
peut compter pour ça s’appelle Hollande». D’autant que les quatre plus
grandes formations du Parlement
européen s’étaient prononcées pour
la position française : engager le
Brexit dès mardi.
Vu l’onde de choc provoquée par le
référendum britannique, parvenir à
afficher lundi soir une position commune des trois pays qui pèsent
70 % du PIB européen faisait peu de
doute. Tout dépend désormais de ce
qu’on met concrètement dans les propositions. Il y a sur la table des avancées en matière de sécurité et de défense, une relance de la croissance et
de l’investissement, et de nouvelles
initiatives en direction de la jeunesse.
Soit peu ou prou, avec une «gouvernance de la zone euro», les propositions que la France préconise depuis
quatre ans sans jamais avoir obtenu
l’aval de l’Allemagne. Qui a donc mis
de l’eau dans son vin en acceptant,
lundi soir, une «nouvelle impulsion»
européenne dans les mois à venir.
Pour justifier ce virage sur l’aile allemand, un conseiller présidentiel as-
sure que «le contexte a changé» après
les attentats et le Grexit évité. «On ne
peut plus se permettre d’attendre la
prochaine crise.»
Parallèlement au jeu diplomatique
classique entre Paris et Berlin, Hollande a joué sur deux leviers pour faire
bouger la chancelière. En jouant la
carte de l’Europe du Sud. Avec Matteo
Renzi, mais aussi le Premier ministre
grec, Aléxis Tsípras, qu’il a eu au téléphone samedi, l’Espagne et le gouvernement portugais, François Hollande
parie sur un rééquilibrage de l’Europe
en faveur des «pays du Club Med»,
méprisés par la prospère Europe du
Nord. En travaillant ensuite l’Europe
sociale-démocrate, dont il doit accueillir les leaders à Paris en fin de semaine. Pendant le week-end, il a multiplié les contacts avec le SPD
allemand, allié de Merkel au sein
d’une grande coalition. «On n’est pas
là pour l’embêter, mais pour l’entraîner», assure-t-on dans l’entourage du
Président, où on balaie l’idée que l’Allemagne rechignerait à faire cause
commune avec un dirigeant qu’elle
estime à bout de souffle à un an de
l’élection présidentielle. «On est dans
une période historique, veut croire un
diplomate hexagonal. L’heure n’est
plus à la politique politicienne.»
LAURE BRETTON
LE PS PRUDENT SUR L’EUROPE
Ce coup-ci, ils font attention à ne pas afficher leurs divisions. La direction du PS a présenté lundi soir en bureau national ses propositions sur l’Europe pour 2017. Sans prendre de risques. Pas question
de s’engager sur la voie d’un nouveau traité, mais une profusion de
«pactes»: sur la sécurité, la démocratie et les investissements (écologiques, numériques, jeunesse). Jean-Christophe Cambadélis a ainsi
réclamé «un pas supplémentaire dans la sécurité avant l’automne» et
«un deuxième plan Juncker». «Ce qui est mort avec le Brexit, c’est la
conception anglaise de l’Europe, a-t-il dit. Celle du grand marché refusant de mutualiser les solidarités.» A lire en intégralité sur Libé.fr
… pendant que Merkel joue
la montre en faisant front commun
S
eulement trois jours après le coup de tonnerre
britannique, Angela Merkel a montré qu’elle
n’avait pas l’intention de préparer l’avenir de
l’UE dans la précipitation. C’est ce qu’elle a fait
comprendre à plusieurs reprises lundi à Berlin,
avant un dîner de travail préparatoire au sommet
européen de ce mardi et mercredi avec François
Hollande et Matteo Renzi. Malgré tout, lors d’un
point de presse préalable, les trois dirigeants ont
tenu à souligner que, dans les grandes lignes, ils
étaient déterminés à marcher ensemble et qu’ils
travaillaient à donner «une nouvelle impulsion» à
l’Europe. Mais cette entente affichée cache mal les
désaccords plus profonds sur l’art et la manière.
Emballement. Auparavant, à l’occasion d’une
conférence de presse, Merkel avait expliqué qu’on
«ne peut pas se permettre une longue période d’incertitude […] mais que le Royaume-Uni a besoin
d’un certain temps pour analyser les choses, je le
comprends». Pour la chancelière, «la demande doit
venir du gouvernement britannique». «Je n’ai là ni
de frein ni d’accélérateur», a-t-elle expliqué, faisant
comprendre qu’elle n’était pas prête à faire pression
sur Londres. Une position diamétralement opposée à celle du président du Parlement européen,
Martin Schulz. Le social-démocrate allemand a
expliqué lundi qu’il attendait la demande officielle
des Britanniques dès ce mardi.
Cette volonté d’éviter l’emballement des discussions, la chancelière l’a aussi clairement exprimée
par la voie de son porte-parole, Steffen Seibert. Face
à la presse, celui-ci a ravalé lundi au rang de simple
«apport à la discussion» le papier publié le matin
même sur le site du ministère des Affaires étrangères. Intitulé «Pour une Europe forte dans un monde
incertain», et conjointement signé par les ministres
allemand et français, Frank-Walter Steinmeier et
Jean-Marc Ayrault, le document ne propose rien
de moins qu’un «approfondissement de l’intégration
politique européenne» comme réponse au Brexit.
Concédant qu’il existe des «niveaux d’ambition
d’intégration différents» parmi les pays et donc qu’il
peut y avoir une Europe à plusieurs vitesses, les
deux ministres prônent une intégration plus poussée en matière de sécurité, une politique d’asile
européenne et une convergence économico-budgétaire renforcée dans la zone euro, évoquant même
un budget commun de l’union monétaire.
Lundi matin, le patron du SPD, Sigmar Gabriel, a
aussi abondé en ce sens : «Nous avons près de
20 millions de chômeurs en Europe. On l’oublie parfois en Allemagne à cause de notre bonne situation
économique. Nous avons sept ans de politique d’austérité derrière nous. Je trouverais cela préférable
que nous formions un fonds de financement permet-
Merkel préfère poser toutes
les options sur la table
avant de décider, comme
lors de la crise des réfugiés.
tant de soutenir et récompenser les Etats membres
via des aides à l’investissement dans l’infrastructure
numérique, dans la recherche ou l’éducation», a expliqué celui qui rêve de battre Merkel en 2017.
Options. De tout cela, la chancelière ne veut pas
ou pas encore. Mais pourquoi ? «Elle veut utiliser
le report offert. Comme lors des crises de l’Euro et des
réfugiés, l’Allemagne a pris son temps, et Cameron
lui en donne», estime le quotidien Tagesspiegel.
Merkel a toujours préféré poser toutes les options
sur la table avant de décider. Lors de la crise des réfugiés, «la chancelière a sous-estimé la réaction négative des pays de l’Est qui lui ont fait amèrement
payer cet oubli», estime un député conservateur
allemand. De plus, l’opposition intérieure – les
conservateurs bavarois et les populistes de l’AFD,
contre tout renforcement des contrôles de Bruxelles sur les politiques budgétaire et migratoire du
pays –, reste forte et électoralement dangereuse.
Enfin, il ne faut pas oublier l’économie allemande.
Selon le quotidien Bild, un papier interne du ministère des Finances estime qu’il faudrait à tout prix
que Londres garde un accès au marché intérieur
européen, histoire de ne pas trop affecter les intérêts
allemands, à commencer par ceux de l’industrie
automobile. Au final, la chancelière a annoncé
qu’elle ferait une déclaration de politique générale
devant le Bundestag ce mardi matin, avant son départ pour Bruxelles. On pourra alors juger de la
réelle force de persuasion de Hollande et Renzi.
THOMAS SCHNEE (à Berlin)
6 u
Libération Mardi 28 Juin 2016
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
SUR LIBÉRATION.FR
Retrouvez nos tribunes à propos du Brexit Une «Lettre ouverte
à Cameron» d’Alexis Poulin ; une analyse politique sur «Le pari
perdu de David Cameron» signée Catherine Marshall ; mais
aussi un témoignage de l’intérieur, un jeune assistant parlementaire à Bruxelles racontant «Les nuits troyennes de l’Europe».
Ou encore le décryptage d’une juriste, Florence Chaltiel, pour
qui «il ne reste plus qu’à réinventer l’Europe».
Le Brexit,
cet anti-Grexit
tades («out c’est out», «leave means
leave»). Mais l’Allemagne ne l’entend
pas de cette oreille, et il n’y aura
aucune unanimité, sauf de façade.
Le plus vraisemblable, au terme d’une
période de tensions, dont l’issue ne
sera pas tant déterminée par les
opinions publiques que par les
fluctuations des marchés financiers,
c’est qu’on aboutira à la fabrication
d’une nouvelle géométrie du
«système» des Etats européens, dans
lequel l’appartenance formelle à
l’Union européenne sera toujours
compensée par d’autres structures :
oin de moi l’idée de minimiser le
l’eurozone, mais aussi l’Otan, le
caractère dramatique des consésystème de sécurité aux frontières qui
quences que va entraîner le vote
succédera à Schengen, et une «zone de
du Royaume-Uni: pour les Britannilibre-échange» à définir en fonction
ques et pour l’Europe. Mais je suis
des rapports de force économiques. De
frappé de la façon dont les titres de la
ce point de vue aussi la comparaison
presse française et étrangère nous préentre le Grexit et le Brexit peut s’avérer
sentent les choses: «Après le Brexit…»
instructive : la faiblesse de la Grèce,
A de rares exceptions près, tous semabandonnée par tous ceux qui,
blent tenir pour aclogiquement, auraient
quis que le divorce a
dû soutenir ses
ÉTIENNE
eu lieu. En réalité,
revendications, a
nous entrons certaimené à un régime
BALIBAR
nement dans une
d’exclusion intérieure ;
PHILOSOPHE
phase de turbulences,
la force relative du
auteur de
mais dont l’issue n’a
Royaume-Uni (qui
«Europe, crise
rien de clair. C’est
peut compter sur de
cette incertitude que
solides appuis dans
et fin?» (éd. du
je voudrais essayer de
l’UE) conduira sans
Bord de l’eau)
commenter et d’interdoute à une forme
préter. On le sait bien,
accentuée d’inclusion
comparaison n’est pas
extérieure. Est-ce
raison, et cependant
à dire qu’aucun
comment ne pas raptournant ne vient
peler que, dans l’hisd’être pris ?
toire récente de la poEvidemment non.
litique européenne,
Examinons
les référendums nabrièvement le «côté
tionaux ou transnaanglais» et le
tionaux ne sont
«côté européen»,
jamais mis en appliavant de dire pourquoi
cation? Ce fut le cas
ils ne sont pas
en 2005 et en 2008 à propos de la
séparables, mais représentent les
«Constitution européenne» et du traité
deux côtés d’une même médaille.
de Lisbonne, plus encore évidemment
Il est évident que l’histoire particulière
en 2015 à propos du mémorandum
de la Grande-Bretagne, son passé
imposé à la Grèce. Il en sera très probaimpérial, son histoire sociale faite de
blement de même cette fois-ci. La
renversements brutaux, doivent être
classe dirigeante britannique, par-delà
pris en compte pour expliquer
les conflits de personnes qui l’ont divil’émergence d’un sentiment «antisée tactiquement, est à la manœuvre
européen» hégémonique. Les analyses
pour retarder l’échéance et négocier au
qui nous sont proposées montrent que
mieux les termes de la «sortie». Cercelui-ci recouvre une extraordinaire
tains gouvernements (le français en
diversité de mobiles, répartis selon
tête), ainsi que les porte-parole de la
des facteurs de classe, de génération,
Commission, multiplient les rodomon- de nationalité et d’ethnicité.
Faible, Athènes a été ostracisé
à l’intérieur des frontières de
l’Union. Il y a fort à parier que
le processus sera inverse pour
les Britanniques: la géométrie
du système européen
s’adaptera pour les réintégrer
par la bande.
DR
L
Potentiellement, ils sont
contradictoires entre eux, et c’est cette
contradiction que recouvre le discours
«souverainiste» qui a été manipulé par
les partisans du Brexit. On doit donc se
poser la question de savoir pendant
combien de temps il sera en mesure de
masquer le fait que, tout
particulièrement, les ravages
économiques et sociaux dont sont
aujourd’hui victimes une proportion
croissante des «nouveaux pauvres» du
royaume sont dus aux effets cumulés
des politiques néolibérales que l’UE n’a
pas imposées seule à la GrandeBretagne, puisque celle-ci en a été au
contraire, dès l’époque Thatcher, puis
celle du New Labour, un des plus actifs
soutiens pour l’Europe entière. Par luimême, le Brexit –quelles qu’en soient
les modalités– n’apportera aucun
correctif à cette situation. Sauf si,
évidemment, une politique alternative
devenait majoritaire. Mais il faudrait
pour cela, et ce n’est pas le moindre
paradoxe de la situation, qu’elle ait sa
contrepartie sur le continent, car la loi
de la concurrence entre les «territoires»
va s’imposer plus que jamais.
Ce qui nous mène au côté «européen».
Toutes spécificités dûment prises en
compte, aucun des problèmes qui
frappent le Royaume-Uni n’est absent
des nations européennes. C’est ce qu’il
y a de vrai dans la propagande
«populiste» («ni droite ni gauche») qui
se déchaîne maintenant dans toute
l’UE, réclamant des référendums sur le
modèle anglais. Déjà en 2005, le
chancelier Schmidt avait observé que,
sauf exception, des consultations sur
le modèle français et néerlandais
auraient donné partout des résultats
négatifs. La crise de légitimité, le
retour du nationalisme, la tendance à
projeter le malaise social et culturel
sur un «ennemi de l’intérieur» ciblé
par des partis xénophobes et
islamophobes, se sont développés
partout. La crise grecque a été utilisée
par des gouvernements acquis
à l’austérité sociale pour faire de la
dette publique le fantasme des
contribuables. La crise des réfugiés a
été amalgamée avec les questions de
sécurité. En clair, ce qui se manifeste
outre-Manche comme «séparatisme»
se traduit partout en Europe comme
tendance à l’éclatement des sociétés,
aggravation de leurs fractures internes
et externes.
Disons mieux : nous avons franchi un
seuil dans le processus de
désagrégation de la construction
européenne, non pas à cause du vote
britannique, mais en raison de ce qu’il
révèle de tendances à la polarisation de
l’ensemble européen et de crise
politique, qui est aussi morale.
Non seulement, comme je l’ai écrit,
nous sommes dans un «interrègne»,
mais nous assistons à un processus
destituant qui, pour l’instant, n’a pas
de contrepartie constituante.
Impuissants? C’est toute la question.
A court terme, je suis très pessimiste,
parce que les discours de «refondation»
de l’Europe sont entre les mains d’une
classe politique et technocratique
qui n’envisage aucune transformation
des orientations qui lui assurent la
bienveillance du pouvoir occulte (celui
des marchés financiers), et ne veut pas
réformer en profondeur le système
de pouvoir dont elle tire son monopole
de représentation. Et par voie de
conséquence, la fonction de
contestation est assumée par des partis
et des idéologues qui tendent à détruire
les liens entre les peuples (ou plus
généralement les résidents) européens.
Il faudra une très longue marche pour
que se conjuguent et se précisent aux
yeux d’une majorité de citoyens,
à travers les frontières, l’étroite
interdépendance entre souveraineté
partagée, démocratie transnationale,
altermondialisation, codéveloppement
des régions et des nations, traduction
entre les cultures. Nous n’en sommes
pas là, et le temps court… Raison de
plus –si nous croyons à l’Europe–
pour en poursuivre l’explication sans
relâche. •
Comment ne pas rappeler que,
dans l’histoire récente de la politique
européenne, les référendums nationaux
ou transnationaux ne sont jamais mis
en application. Ce fut le cas en 2005 et
en 2008 à propos de la «Constitution
européenne» et du traité de Lisbonne, plus
encore évidemment en 2015 à propos du
mémorandum imposé à la Grèce. Il en sera
très probablement de même cette fois-ci.
Libération Mardi 28 Juin 2016
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
u 7
SUR LIBÉRATION.FR
EXPRESSO/
Témoignages La Marche des fiertés aura
cette année pour thème les droits des personnes transgenres et transsexuelles, dont le rejet
revêt mille visages, des moqueries aux violences en passant par l’exclusion. Si vous êtes trans
et que vous y avez été confrontés, raconteznous votre expérience via [email protected]
ou sur Twitter, via le hashtag #transphobie.
Le minishort, chiffon rouge
qui en dit long sur le sexisme moral
Le témoignage
d’une jeune femme
disant avoir été
agressée car jugée
trop court vêtue
souligne la
stigmatisation
à l’œuvre dans
l’espace public.
Mais le vêtement n’est pas le
seul gardien de la vertu des
filles: la mobilité géographique a aussi son importance.
A Toulon, «ce n’est pas pour
rien que ça s’est passé dans un
bus, note Isabelle Clair. Les
transports sont particulièrement stigmatisés parce que ce
sont des lieux de perdition des
filles. Sur mes terrains de recherche, j’entends souvent
qu’“une fille qui bouge, c’est
une fille qui cherche”.» En
somme, quelle autre raison
une fille aurait-elle de s’approprier l’espace public que
de vouloir séduire, ce que son
statut de femme ne devrait
pas lui permettre? Et la critique d’un tel comportement
est exacerbée lorsque des
rapports de classe sont à
l’œuvre. «En pointant du
doigt une fille ou une femme
qui n’est pas du même statut
social et qui peut être dominante, on retourne le stigmate. L’insulte stigmatise la
femme qui les opprime, pas la
femme en tant que femme», a
pu constater Isabelle Clair. Et
en le faisant en groupe, les
filles montrent d’autant plus
qu’elles, au moins, font ce
qu’il faut comme il faut. «Elles se hissent» socialement,
affirme la sociologue.
Par
ELSA MAUDET
S
amedi, à Toulon, ils
étaient une centaine à
marcher, en short. Des
hommes et des femmes, pancartes à la main, qui ont réagi
à l’agression verbale dont
Maude Vallet dit avoir été
victime, il y a deux semaines.
Cette Toulonnaise de 18 ans
affirme sur sa page Facebook
avoir été la cible d’insultes de
la part d’un groupe de cinq
filles, sous prétexte qu’elle
portait un minishort, ses
agresseuses lui ayant notamment lancé: «T’es une femme,
faut se respecter sale conne.»
Si les circonstances exactes
de l’altercation ne sont pas
connues (nous avons tenté de
joindre Maude Vallet, sans
succès), elle illustre les rapports sexistes à l’œuvre dans
la société. Quand bien même
l’agression venait d’un groupe de filles. «La domination
masculine fonctionne là-dessus : si des femmes n’y cédaient pas, elle ne fonctionnerait plus depuis longtemps,
résume l’historienne Christine Bard, auteure de Ce que
soulève la jupe (Autrement,
2010). Les femmes peuvent
être gardiennes de la morale.»
Cheveux. Car le vêtement
féminin est censé refléter
une supposée moralité
sexuelle : une fille bien se
couvre, une traînée se dévoile. «Parler du vêtement est
une façon de parler du corps
à distance. Comme on ne peut
pas connaître la sexualité des
gens, on cherche des signes extérieurs», analyse Isabelle
Clair, sociologue du genre au
CNRS. «Au cours du temps,
Récupération. Face à cette
Lors de la «marche des shorts», à Toulon, samedi. PHOTO BERTRAND LANGLOIS. AFP
les agressions ont toujours
existé alors même qu’il y a eu
des modes très pudiques»,
rappelle Christine Bard. Jusqu’au milieu du XXe siècle, ne
pas se couvrir les cheveux
suffisait pour être taxée de
femme de mauvaise vie.
«Il faut couvrir l’objet possédé
du regard des autres. Protéger aussi un corps perçu
comme fragile», poursuit
l’historienne. Amandine Lebugle, docteure en démographie à l’Institut national
d’études démographiques
(Ined), a analysé les insultes
les plus utilisées dans l’es-
L’OBJET
DU JOUR
pace public. Verdict: 7% des
injures adressées aux femmes portent sur leur apparence physique (contre 1 %
pour les hommes). Mais les
remarques viennent plutôt
dénigrer un accoutrement
jugé pas assez séduisant. «La
femme doit avoir une sexualité vertueuse, mais il y a
aussi une injonction à être désirable. Il faut avoir une désirabilité modérée», résume
Amandine Lebugle.
C’est à l’adolescence qu’on
entend le plus souvent des
insultes de type «t’es habillée
comme une pute». Pour les
filles, cette période de transition physique «survient dans
un moment biographique où
elles sont encore des enfants et
ne peuvent pas accéder au
statut de femme, détaille Isabelle Clair. Elles ne peuvent
pas se parer de la vertu du
statut de femme ou de mère.»
L’impensé collectif veut
qu’une femme soit respectable si elle dépend d’un
homme: son père lorsqu’elle
est enfant, son mari à l’âge
adulte. Dans cet entre-deux
de l’adolescence, il faut prouver que l’on respecte toujours
cette morale attendue.
histoire, qui a fait grand bruit
sur les réseaux sociaux, la
fachosphère s’est frotté les
mains, dénonçant par exemple une agression par «cinq
musulmanes», alors qu’on ne
dispose pas de la moindre information sur l’identité des
auteures. Ce que Maude Vallet n’a pas manqué de dénoncer dans un autre message
Facebook : «Elles étaient
françaises, et je m’en fiche
royalement de savoir de
quelle ethnie ou de quelle religion elles provenaient. Parce
que là n’est pas le débat. Le
problème est bien plus profond qu’une simple question
de religion, ce sont des mécanismes du patriarcat qui ont
été vraisemblablement très
bien ingérés et revomis sur la
première femme à découvrir
son corps qui passait.» •
8 u
Libération Mardi 28 Juin 2016
SUR LIBÉRATION.FR
EXPRESSO/
Blog Il y a des histoires vraies qu’on
lit comme des scénarios de film.
Dans l’Amour le vrai, une psychanalyste raconte huit récits de cœurs
brisés, huit ratages palpitants dont
elle démonte les ressorts. Le premier
d’entre eux, édifiant, est à lire sur le
blog d’Agnès Giard, «Les 400 culs».
Nouvelle-Aquitaine
C’est le nouveau nom de la grande région issue
de la fusion des régions Aquitaine, Limousin et
Poitou-Charentes, approuvé majoritairement lundi
à Bordeaux par l’assemblée plénière du conseil régional présidé par le socialiste Alain Rousset. Point de
région «Aliénor», donc, ni de «Grande Aquitaine»,
autres propositions en lice. Pourquoi «nouvelle» ?
«C’est une façon de regarder vers l’avenir», veut croire
Alain Rousset. Et «le duché d’Aquitaine occupait la
région telle qu’elle est aujourd’hui», a rappelé AnneMarie Cocula, qui a présidé le groupe de travail. L’appellation, qui ne deviendra toutefois officielle
qu’après sa validation par le Conseil d’Etat, au plus
tard le 1er octobre, sera suivie des noms des trois anciennes «régions-sœurs», Aquitaine, Limousin,Poitou-Charentes, en vertu d’un amendement EE-LV.
La fresque, visible près de la gare de Grenoble, devait de toute façon être détruite début juillet. PHOTO GOIN
L’éducation nationale va s’impliquer
pour mieux diagnostiquer
«Les règles, c’est naturel, pas la douleur!»
C’est le message que veut faire passer l’association Info endométriose à propos de
cette maladie gynécologique caractérisée
par le développement de muqueuse utérine hors de l’utérus.
Mais alors qu’une Française sur dix est atteinte de cette pathologie, qui se manifeste notamment par d’intenses douleurs
au moment des règles, il faut en moyenne sept ans pour que
celle-ci soit diagnostiquée. Pour sensibiliser et améliorer la
prise en charge, Info endométriose a signé lundi un partenariat
avec le ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement
supérieur et de la recherche. A la rentrée, des affiches et des
brochures seront mises à disposition des établissements, et
les infirmières et médecins scolaires bénéficieront de modules
de formation. Pour les associations, il est urgent de faire connaître ce mal, première cause médicale d’infertilité.
2017
Cécile Duflot à la pêche aux signatures
La chasse aux parrainages est ouverte.
Lundi matin, en plus d’un retour radio sur
la matinale de France Inter, l’ex-ministre
EE-LV du Logement a lancé une campagne
en ligne pour une «candidature écologiste» en 2017, ce qui nécessite 500 parrainages d’élus. Un site créé spécialement (jesignepourlecologie.fr) et une interpellation – «Vous êtes pour
l’écologie? Alors dites-le»: la députée de Paris invite les citoyens
à soutenir une représentation verte à la présidentielle. Hypothèse plombée par la scission des écologistes français, les mauvais sondages et le bon départ en campagne de Jean-Luc Mélenchon, qui avait déjà, en 2012, siphonné une partie du vote
EE-LV. Elle incite aussi les signataires à signaler «un-e élu-e
qui soutient l’écologie» afin de récolter son parrainage. Duflot
n’a jamais caché son ambition de se présenter en 2017, sauf
si Nicolas Hulot décidait de sauter dans le grand bain.
A Grenoble, une fresque fâche
la police et l’opposition
L’Etat matraquant la liberté,
fresque du street artiste
lyonnais Goin réalisée vendredi près de la gare de Grenoble (Isère), enflamme les
esprits. Elle représente deux
policiers munis d’un bouclier siglé «49.3» (l’article
contesté de la Constitution
qui a permis au gouvernement de faire passer sa loi
travail sans vote à l’Assemblée) et s’en prenant à coups
de matraques à une femme
portant un drapeau tricolore
effiloché, référence à Marianne ou à la liberté.
Cette fresque au pochoir
de 3,5 mètres de haut
sur 8 de long est l’une des
40 œuvres, dont 20 monumentales, réalisées dans
toute la ville à l’occasion du
Grenoble Street Art Fest, qui
s’est terminée dimanche,
avec la participation d’artistes de renommée internationale comme Augustine Kofie, Anthony Lister, Isaac
Cordal ou Monkey Bird.
Les policiers locaux ont
réagi les premiers : «C’est
honteux, la République, nous
la défendons, nous ne lui tapons pas dessus. Cette fresque fait mal», s’est indigné
LA POLÉMIQUE
sur France3 Alpes un représentant du syndicat SGPPolice FO à Grenoble, qui
envisage de porter plainte.
«Plein soutien aux policiers
qui protègent chaque jour les
Grenoblois, et qui attendent
d’Eric Piolle [le maire de la
ville, ndlr] qu’il leur dise ses
regrets», a tweeté Bernard
Cazeneuve, ministre de l’Intérieur.
La droite locale s’en prend,
elle aussi, à Eric Piolle, à la
tête d’une alliance Europe
Ecologie les Verts-Parti de
gauche-mouvements citoyens. La municipalité soutient en effet avec enthousiasme – et à hauteur de
25000 euros– ce jeune festival, l’un des rares événements culturels nés après
son élection. «Je suis scandalisé que l’argent public
participe au financement de
telles réalisations», estime
Matthieu Chamussy, chef de berté d’expression fait partie
l’opposition de droite au des bases fondamentales de
conseil municipal. Le prési- la République. C’est ce que
dent du conseil départe- nous défendons tous et ce que
mental de l’Isère, Jean- la police a défendu après les
Pierre Barbier (LR), parle attentats.»
d’une «honte». L’opposition Jérôme Catz, patron du cende gauche (PS, PCF et alliés) tre d’art Spacejunk, organiau conseil municipal fustige sateur du festival, se dit
elle aussi la fresque et la «étonné par la polémique et
mairie, tandis que la dépu- par les appels à détruire cette
tée socialiste de l’Isère, Ge- œuvre qui n’est pas scandaneviève Fioraso, ex-minis- leuse. Pour nous, il est évitre, s’emporte: «Par respect dent que c’est l’Etat qui est
pour ceux qui nous protè- représenté, pas les policiers!
gent, il faut effacer immédia- L’art qui prend possession
tement cette fresque inaccep- des murs est engagé, par estable dans le contexte.»
sence: il parle de la société…
La ville n’a pas l’intention C’était déjà le cas d’Ernest
d’intervenir :
Pignon-Ernest, dont
«Il faut que
nous avons rénové
le ministre
pour ce festival
AIN
de l’Intéune fresque
rieur fasse
de 1979 !»
SAVOIE
la liste des
La fresque
LOIRE
ISÈRE
œuvres
contestée
autorisées
va dispaou non»,
raître d’elGrenoble
ironise Eric
l
e-même,
STE S
DRÔME
Piolle, regretc’était prévu
AU PE
H AL
tant que les
de longue date:
20 km
élus réclament un
le mur sur lequel
«droit de censure, dixelle a été peinte doit
huit mois après Charlie» : être détruit début juillet.
«On comprend bien sûr
FRANÇOIS CARREL
l’émoi de la police mais la liCorrespondant à Grenoble
ARDÈCHE
ENDOMÉTRIOSE
Libération Mardi 28 Juin 2016
u 9
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
SUR LIBÉRATION.FR
Chez Disney, le poids des clichés
Le «Zapping» trinque, «les Guignols» passent
À SUIVRE
2
mois ferme, c’est la
peine à laquelle la cour
d’appel de Paris a condamné Alexandre Gabriac, ex-chef des Jeunesses nationalistes. Il
était reproché au militant
d’extrême droite d’avoir
organisé une manifestation interdite en septembre 2012 à Paris. Exmembre du FN, dont il a
été exclu en 2011, Gabriac
avait par la suite pris la
tête du mouvement néofasciste Jeunesses nationalistes, à l’origine de la
manifestation interdite.
Le rassemblement avait
débouché sur 57 interpellations. Les Jeunesses
nationalistes ont été dissoutes en juillet 2013
après la mort du jeune
militant antifasciste Clément Méric dans une altercation avec des militants d’extrême droite.
«Moi, je maintiendrai le passe Navigo à 70 euros car je ne
jouerai pas avec le pouvoir d’achat des Franciliens.» En décembre, Valérie Pécresse (LR), en campagne pour la présidence de la région Ile-de-France, s’y était engagée, pas touche au Navigo. Six mois plus tard, c’est raté. A compter du
1er août, l’abonnement de transport francilien augmentera
de 3 euros. Soit 73 euros par mois, puisque la présidence
socialiste de région avait fixé un prix unique de 70 euros
pour tous les usagers, quelle que soit leur zone de transport. Certes, 3 euros c’est moins que les
15 euros agités par Valérie Pécresse ces
dernières semaines pour réclamer
une rallonge à Matignon, au motif
qu’il faut bien combler le trou
«laissé par la gauche» de 300 millions d’euros par an dans les caisses du Syndicat des transports
d’Ile-de-France. Egalement mis à
contribution dans l’accord passé avec
l’Etat, les employeurs, via une augmentation du «versement transport».
Ça n’a pas manqué de faire bondir le Medef,
qui a parlé lundi de «matraquage».
Loi travail: une manif rallongée
Retour à une vraie manif.
Alors que les opposants à la
loi travail avaient été cantonnés, jeudi à Paris, à un
petit tour du bassin de
l’Arsenal, près de Bastille,
l’intersyndicale contre le
projet El Khomri a obtenu
l’autorisation de défiler, ce
mardi, sur un parcours plus
classique: près de 3 kilomètres entre la place de la
Bastille et la place d’Italie,
pour cette onzième journée
nationale d’action contre
la loi travail, qui coïncide
avec le vote du projet de loi
– largement remanié – par
le Sénat.
Ce mardi, la CGT remettra
également à l’Elysée les résultats de sa «votation citoyenne», un scrutin organisé dans les lieux publics
sur la loi travail. «Le préfet a
entendu notre mécontentement concernant le parcours
de jeudi, explique Pascal
Joly, secrétaire général de
l’Union régionale Ile-deFrance CGT. On ne voulait
pas réitérer et on a trouvé ce
compromis qui nous donne
satisfaction.» Mais les règles
de sécurité devraient rester
très strictes et le défilé
très encadré. Selon la préfecture de police de Paris,
2500 policiers seront mobilisés mardi dans la capitale,
IIIe
IVe
DÉPART
Place
de la Bastille
XIe
rsen
al
ce-président de la
MGP, a beau affirmer que «nous
sommes tous confrontés aux mêmes
problèmes», on ne
peut que constater que ce
n’est pas dans les mêmes
proportions. Bruxelles ou
Montréal mettent en avant
des plans climat proches de
ceux de Paris. Mais Pékin en
est encore à lutter contre la
pollution du charbon, tandis qu’Athènes affiche des
taux effrayants d’émissions
de toutes les particules. Les
adhésions des villes à l’Observatoire se dérouleront
jusqu’à la fin de l’été et un
comité de pilotage sera mis
en place. Ce genre d’organisme doit servir à améliorer les connaissances et
l’échange des bonnes pratiques, mais pas seulement.
Hidalgo n’a pas manqué de
rappeler l’action civile introduite par la Ville de Paris,
et soutenue par une action
de classe, contre la Commission européenne et sa «décision d’émettre des permis à
polluer» en abaissant les
normes du diesel. Et de soupirer: «Même le président de
Volkswagen a dit qu’il fallait
sortir du diesel…» S.V.
Lire la suite sur Libération.fr
Pécresse augmente le Navigo
in d
e l’A
C’était une première. Une
grosse vingtaine
de villes, dont
Tokyo et Pékin,
réunies à Paris
dans une conférence consacrée à la qualité de l’air et
à la lutte contre les pollutions. C’était aussi l’occasion pour Anne Hidalgo,
maire de Paris, d’annoncer
la création prochaine d’un
Observatoire mondial des
villes sur la qualité de l’air.
Les grandes métropoles
sont invitées à y adhérer et
Anne Hidalgo compte déjà
sur les 83 membres du réseau C40, sur ceux qui font
partie du réseau des «villes
résilientes» ou d’autres regroupements de ce type.
L’Observatoire, dont l’acronyme anglais est Guapo
(«beau» en espagnol), s’appuiera sur les données de
l’Organisation mondiale de
la santé et sur des expériences diverses.
Prévue de longue date par
Paris et placée récemment
sous la houlette de la Métropole du Grand Paris, la conférence a permis à des maires de villes très variées de
témoigner de leur expérience. Daniel Guiraud, vi-
série Baron noir a été annoncée) et le divertissement.
Cette identité aura trois nouvelles incarnations principales. A la tête du Grand Journal, le journaliste Victor
Robert, plutôt marqué actu,
devra construire, en année
électorale, une émission plus
culturelle. Allez comprendre.
C’est surtout au comédien
Cyrille Eldin que reviendra la
charge, dans le Petit Journal,
de traiter la politique. Par
ailleurs, l’animateur Mouloud Achour présentera un
nouveau programme quotidien, le Gros Journal. Sur la
chaîne de plus en plus cryptée, on verra aussi Jamel, Cyril Hanouna, Augustin Trapenard et Antoine de Caunes.
J.Le.
Bass
Un observatoire mondial
pour scruter l’air des villes
annoncée de 50 postes à durée déterminée…
Soyons justes. Des programmes plus ou moins irrévérencieux ont sauvé leur peau :
Groland, Catherine et Liliane
(avec un nouveau format
hebdomadaire) et les Guignols sont confirmés. A quelle
heure? En clair ou en crypté?
Pour quelle durée? Ces questions n’ont pas été tranchées.
La grille de septembre reste
très floue, y compris pour les
dirigeants.
Une phrase de Maxime
Saada, le directeur général
du groupe, est à retenir : le
«nouveau Canal» va revenir
à «un positionnement pop
culturel» autour de quelques
axes forts : le cinéma, le
sport, les créations originales
(une deuxième saison de la
Ve
ARRIVÉE
Place
d’Italie
XIIe
Gare
de Lyon
Jardin
des Plantes
Gare
d’Austerlitz
de
l’H
ôp
ital
Même motif invoqué pour
l’autre perdant du jour : «L’investigation, il y en a sur toutes
les chaînes», a lancé le bon
soldat Viret.
En septembre, exit aussi les
journaux d’actualité. «C’est
un choix, a assumé Viret.
L’info dans le groupe Canal+,
c’est désormais CNews.»
CNews ? Le futur nom d’iTélé, qui donnera «la priorité
au décryptage plutôt qu’au
sensationnalisme». La chaîne
d’info de la boîte, où débarque Jean-Marc Morandini,
nouvelle rampe de lancement du journalisme à Canal+? C’est mal parti. Au moment même où la direction
présentait son projet, la rédaction d’i-Télé, mise à la
diète par Bolloré, votait la
grève contre la suppression
Hôpital
de la PitiéSalpêtrière
Bo
ule
var
d
Le «nouveau Canal», présenté
lundi par Vincent Bolloré et
son orchestre, devrait se fâcher avec beaucoup moins de
monde l’an prochain. Comme
pressenti, l’impertinent Zapping, devenu ces derniers
mois le plus grand opposant
interne au patron, et Spécial
investigation, l’émission qui
aurait pu avoir la mauvaise
idée de continuer à enquêter
sur les partenaires en affaires
du big boss (souvenez-vous
de la déprogrammation d’un
documentaire sur le Crédit
mutuel), ne reviendront pas
à l’antenne. Raison officielle?
«Il y a des Zappings sur toutes
les chaînes», a expliqué, dans
un effort inouï de mauvaise
foi, Gérald-Brice Viret, le directeur des antennes du
groupe Canal+.
ET BIM
LUIS GRAÑENA
LE DÉTAIL
QUI TUE
Dans le nouveau dessin animé de Disney
Vaiana, qui sort en salles cet hiver, certes
la princesse n’est pas blanche, blonde et
nunuche, mais le demi-dieu Maui est représenté sous les traits d’un Polynésien
obèse. Les Polynésiens ont moyennement
apprécié. IMAGE DISNEY
PARIS
XIIIe
300 m
et «l’ensemble de l’itinéraire
fera l’objet de contrôles systématiques à partir de la place
de la Bastille». Un dispositif
similaire à celui imposé
au cortège de jeudi dernier.
«Des consignes très fermes
ont été données» aux forces
de l’ordre, ajoute la préfecture, pour interpeller «toute
personne en possession d’une
arme» ou d’objets pouvant
servir de projectiles, commettant des exactions ou
faisant l’objet d’une interdiction de manifester. Car
cette fois-ci encore, «une
centaine de mesures d’interdiction de paraître ont été
prises». L.P.
10 u
Libération Mardi 28 Juin 2016
SUR LIBÉRATION.FR
Hommage Le journaliste et activiste
syrien Khaled al-Essa, 27 ans, est décédé
vendredi, une semaine après avoir été
blessé dans un attentat à Alep. Comme
de nombreux jeunes activistes de cette
révolution syrienne, il avait choisi de combattre avec des images et des mots plutôt
qu’avec des armes. PHOTO DR
EXPRESSO/
12
Echange taupe cubaine
contre panthère noire évadée
Sur la liste des dix «terroristes» les plus recherchés par le
FBI, la tête de Joanne Deborah Chesimard est mise à
prix un million de dollars. Le
site de la police fédérale américaine donne quelques pistes pour la reconnaître: «Elle
a des cicatrices sur la poitrine, l’abdomen, l’épaule
gauche et le genou gauche.
[…] Elle peut adopter des styles de coiffure très variés et
porter des vêtements tribaux
africains.»
Joanne Chesimard, alias Assata Shakur, militante de la
cause noire au sein du Black
Panther Party et de la Black
Liberation Army, a été reconnue coupable en 1977 de la
mort par balle d’un policier
lors d’un contrôle dans le
New Jersey. Malgré la faiblesse des charges contre elle
(il n’a pas été prouvé qu’elle
portait une arme ce jour-là),
elle a été condamnée à la prison à perpétuité. Elle s’est
évadée deux ans plus tard et,
en 1984, elle est repérée à
Cuba, où le régime communiste lui a accordé l’asile
politique.
Medicare. Depuis que, le
17 décembre 2014, Washington et La Havane ont annoncé leur décision de reprendre leurs relations
diplomatiques interrompues
en 1961, des réunions mensuelles ont lieu entre les deux
pays. Elles portent sur des
thèmes politiques et économiques, mais aussi sur la collaboration judiciaire. Les
Etats-Unis réclament plusieurs dizaines de transfuges,
citoyens américains installés
sur l’île pour fuir des condamnations. Dans la plupart
des cas, il s’agit de fraudes
fiscales ou d’arnaques au
Medicare, l’assurance santé
pour les plus de 65 ans. Mais
il y a aussi des prisonniers politiques en fuite, membres
des Black Panthers ou indépendantistes portoricains.
Assata Shakur est la plus célèbre d’entre eux. Elle est la
sœur d’un autre militant, Mulutu Shakur, emprisonné depuis 1986 et qui devrait recou-
LUIS GRAÑENA
points, c’est le plus gros écart observé dans les
sondages entre Hillary Clinton et Donald
Trump depuis l’été dernier. Dans une enquête
du Washington Post et d’ABC, publiée dimanche,
le candidat républicain, à 39% d’intentions de vote,
accuse un net retard sur Clinton (51%). Un sondage
NBC-Wall Street Journal donne, lui, un écart plus
réduit (46% contre 41%). Trump semble dévisser,
alors qu’il y a un mois, il faisait jeu égal avec sa rivale. Mais entre-temps, le milliardaire a vivement
mis en cause l’impartialité d’un juge en raison de
ses origines mexicaines, puis s’est vanté, quelques
heures seulement après le drame d’Orlando, d’avoir prévu de telles attaques. Cela l’a manifestement desservi. Pour autant, il aurait levé la
semaine dernière plus de 11 millions de dollars (10 millions
d’euros), de quoi renflouer des
caisses de campagne quasiment
à sec. Le camp Trump espère que
la victoire du Brexit va doper sa
candidature, qui se cristallise
autour de thèmes identiques: nationalisme, rejet des immigrés et
des élites. F.A. (à New York)
Joanne Chesimard le 25 avril 1977, lors de son procès à New Brunswick. PHOTO AP
vrer la liberté le 15 décembre,
à l’issue de trente ans de réclusion. Mulutu étant le beaupère du défunt rappeur Tupac Shakur, sa sœur a fait
l’objet d’hommages de la part
de nombreux artistes hiphop, comme A Song for Assata, du groupe Common.
A La Havane, la transfuge a
vécu sans se cacher, puisque
son nom et son numéro de téléphone ont longtemps figuré
dans l’annuaire. Elle a travaillé dans les programmes
en anglais de Radio Habana,
LE BRAS
DE FER
s’est exprimée dans la presse,
a publié son autobiographie
en 1987. Un documentaire lui
a en outre été consacré.
Conviction. De leur côté,
les Cubains ont aussi des espions dans les geôles américaines. Lors de la reprise des
relations, Barack Obama a
fait libérer les trois membres
encore sous les verrous d’un
groupe de cinq infiltrés.
L’agent cubain le plus médiatisé est Ana Belén Montes,
arrêtée en 2001 par le FBI et
condamnée en 2002 à 25 ans
de prison. Cette fille d’un
médecin de l’US Army, d’origine portoricaine, avait
grimpé dans la hiérarchie du
Pentagone jusqu’à devenir
une des inspiratrices de la
politique envers Cuba. Pendant une dizaine d’années,
elle a transmis des informations sensibles, notamment
l’identité d’espions américains opérant dans l’île. L’enquête sur ses activités n’a révélé aucun enrichissement
personnel: Ana Montes a agi
par conviction, et non par appât du gain. La perspective
de sa libération, quelle qu’en
soit la contrepartie, a suscité
la colère des élus anticastristes de Floride, en premier
lieu le sénateur Marco Rubio,
candidat recalé à la primaire
républicaine.
Côté cubain, l’extradition
d’Assata Shakur et d’autres
militants poursuivis pour raisons politiques semble peu
probable : deux Black Panthers réfugiés à Cuba, Charles
Hill et Nehanda Abiodun, ont
annoncé il y a quelques jours
avoir reçu l’assurance que
leur statut ne serait pas remis
en cause.
FRANÇOIS-XAVIER
GOMEZ
DU NORD
AU SUD
Israël versera 20 millions
de dollars (18 millions
d’euros) aux familles des
dix Turcs tués en 2010
lors de l’assaut contre le
navire Mavi Marmara.
Cette décision a été prise
dans le cadre d’un accord de
réconciliation qui sera signé
ce mardi, a annoncé le Premier ministre turc, Binali
Yildirim. Les deux Etats
échangeront des ambassadeurs «dans les plus brefs délais». Le secrétaire général
de l’ONU, Ban Ki-moon, a
évoqué un «signal d’espoir».
Le président sud-africain,
Jacob Zuma, devra rembourser 500000 dollars
(455 000 euros) à l’Etat.
Cette somme a été annoncée lundi par le ministère
des Finances, chargé par la
justice de déterminer le
montant dû pour rembourser les frais faramineux
payés par l’Etat pour rénover la propriété de Zuma et
qui n’ont rien à voir avec
la sécurité: une piscine, un
centre pour visiteurs, un
enclos pour bétail, un poulailler et un amphithéâtre.
Libération Mardi 28 Juin 2016
u 11
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
LA LISTE
Trois sportifs qui
n’iront pas à Rio
LeBron James
Il avait dit la semaine dernière, après avoir remporté le
titre de champion NBA avec
Cleveland face à Golden State,
qu’il avait «besoin de repos». La
superstar du basket américain,
31 ans, ne fait donc pas partie
de l’équipe dévoilée lundi.
Teddy Tamgho
Le Français, champion
du monde 2013 du triple saut,
27 ans, ira aux JO mais comme
accompagnateur : il a été opéré
lundi d’une fracture «du condyle médial du fémur» après
s’être blessé samedi lors des
championnats de France.
1
2
Branden Grace
Le golfeur sud-africain,
28 ans, 11e mondial, a jeté
l’éponge vendredi à cause de
Zika. Il est le troisième joueur
sud-africain, et le mieux classé,
à annoncer son absence à Rio,
justifiée par son intention de
fonder une famille.
3
Où en est le virus Zika
sur le sol français?
Selon les dernières
données de l’Institut de veille sanitaire (INVS), plus
de 460 cas d’infection à Zika ont été
enregistrés en
France métropolitaine depuis le
1er janvier. «Une
épidémie à grande échelle
reste cependant peu probable,
alors que le virus touche des
millions de personnes à travers le monde», note l’INVS.
La totalité des cas sont importés; les malades ayant été
infectées à l’étranger ou dans
les territoires d’outre-mer.
Pour ces derniers, la situation
est sous contrôle.
Dans près de 9 cas sur 10,
l’infection passe inaperçue,
mais peut être dangereuse
chez les femmes enceintes,
pouvant provoquer une microcéphalie chez l’enfant. Si
le virus peut aussi entraîner
des atteintes neurologiques
graves, comme le syndrome
dit de Guillain-Barré (SGB),
ce risque est faible. Reste la
prévention. Dans les zones
à risque, les autorités sanitaires recommandent toujours l’usage systématique
de moustiquaires. Dans le
Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH),
le professeur Eric
Caumes rappelle
que «les autorités
françaises recommandent aux femmes enceintes le report de tout voyage
en zone d’épidémie et, aux
femmes vivant en zone d’épidémie et aux voyageuses en
âge de procréer qui s’y rendent, de différer tout projet
de grossesse tant que l’épidémie est active».
De même, il préconise toujours d’éviter tout rapport
sexuel non protégé par un
préservatif avec un homme
ayant pu être infecté. Enfin,
des chercheurs européens
ont découvert de puissants
anticorps capables de neutraliser le virus Zika. «Dans
des travaux menés en laboratoire, les anticorps ont permis de neutraliser à la fois
Zika et le virus voisin de la
dengue, lit-on dans la revue
scientifique Nature. Ce qui
pourrait aboutir au développement d’un vaccin universel
protégeant contre les deux
maladies.» E.F.
DROIT
DE SUITE
A lire en intégralité sur Libération.fr
Face à l’Espagne, la Squadra assura
Premier point: avec les huitièmes de finale, les églises
ont été remises au centre du
village. Terminées, les fanfaronnades des petites nations
lors de la phase de poules.
Avec Italie-Espagne, au
Stade de France, lundi soir à
Paris, c’était deux cathédrales qui s’affrontaient : cinq
Coupes du monde et quatre
Euros réunis. Deuxième
point : restait à savoir qui
avait le plus haut clocher. La
logique comptable donnait
une Roja favorite face à une
Squadra Azzura sans star,
avec toutefois un catenaccio
retrouvé. Mais rien ne plaît
plus aux Italiens que de
transformer une rencontre
en «lutte des classes», comme
disait le philosophe Toni Negri. Les joueurs d’Antonio
Conte attaquent sans complexe: un premier tir un peu
mou, puis une tête de Pellè
arrêtée par le gardien De
Gea, avant un amour de retourné du romantique Giaccherini qui vient mourir sur
le poteau. En face, le champion en titre n’y est pas. Il
n’arrive pas à poser son jeu,
multiplie les approximations. Au milieu de terrain,
Iniesta paraît tout seul,
abandonné par Busquets et
Fabregas partis cueillir des
pissenlits. La défense est fébrile. Ramos manque de la
mettre contre son camp.
Trois minutes plus tard, il
fait faute à l’entrée de la surface. Eder tire, De Gea la repousse sur Giaccherini qui la
dévie avant que ce roublard
de Chiellini ne la mette au
fond, du tibia. Le but est laid,
opportuniste et opiniâtre :
un chef-d’œuvre… Juste
avant la pause, De Gea sauve
encore son équipe avec une
magnifique parade.
En deuxième période, tout
se passe comme prévu. Les
Espagnols attaquent, la
Squadra Azzura défend.
C’est parfois peu académique dans les interventions,
Bonucci, Barzagli et compagnie ont l’élégance de Pinocchio apprenant à marcher
mais ils ont la même farouche volonté de vivre. Ils se
procurent même les meilleures occasions en contre avant
que les Espagnols ne prennent le contrôle du match à
la 70e. Trop tard. On ne perce
pas le mur transalpin en s’y
mettant à 20 minutes de la
fin. A la 91e, Pellè règle la
question sur une passe de
Darmian, 2-0: mérité. Q.G.
PHOTO REUTERS
POUR LUI AUSSI, C’EST FINI
«La sélection, c’est
fini pour moi.»
Aux Etats-Unis, la Cour suprême
à la rescousse de l’avortement
C’est une décision majeure pour le droit des Américaines, sur
une question extrêmement chargée politiquement, en pleine
année électorale. Lundi, la Cour suprême a jugé illégale une
loi texane de 2013, qui impose aux cliniques pratiquant des
avortements de posséder un plateau chirurgical digne d’un
milieu hospitalier, entre autres contraintes. De fait, ces règles
ont forcé la fermeture en deux ans de dizaines de centres
d’IVG dans l’Etat. D’une manière générale, se faire avorter aux
Etats-Unis est de plus en plus compliqué pour des millions
de femmes. PHOTO AFP
AFP
LIONEL MESSI
footballeur
argentin,
star du Barça
Lionel Messi, 29 ans tout juste, c’est quatre Ligues des champions et huit championnats d’Espagne avec Barcelone, cinq
ballons d’or à titre individuel et… une troisième défaite
en trois ans avec la sélection argentine. Une de trop pour l’attaquant, qui a même raté un tir au but en finale de la Copa America, dimanche, face au Chili: «C’est la quatrième finale que
je perds, la troisième de suite, a-t-il rappelé en référence aux
défaites du Mondial 2014 puis des Copa America 2015 et 2016.
J’aurais tellement voulu ramener un titre de champion en Argentine, je m’en vais sans y être parvenu.» Son seul titre avec
l’Argentine restera une médaille d’or olympique, en 2008.
Laurent Blanc quitte le banc du PSG
C’est officiel depuis lundi: le Paris-SG s’est séparé de son entraîneur, Laurent Blanc, préalable à
l’arrivée probable sur le banc parisien du coach du FC Séville, Unai Emery, qui a remporté les trois dernières Europa League. Le club évoque
dans son communiqué «un climat serein» pour cette
séparation, avec la «signature d’un protocole d’accord
qui préserve les intérêts» de chacun. Rien sur la contrepartie financière d’une résiliation du contrat qui liait
Blanc au PSG jusqu’en juin 2018, évaluée la semaine
passée par l’Equipe à une indemnité de 22 millions
d’euros. A l’actif de Laurent Blanc: une pluie de records
nationaux durant ses trois saisons parisiennes. Onze
trophées glanés sur douze possibles, 102 buts inscrits
et une différence de buts inégalée dans l’histoire du
championnat (+83) sur 2015-2016 avec 96 points remportés en un exercice et une avance sur Lyon, le second,
jamais vue (+31)… Mais, la faute peut-être à une certaine
rigidité tactique et à une gestion de groupe pas toujours
comprise, le coach cévenol n’aura jamais réussi à faire
franchir au PSG les quarts de finale de la Ligue des
champions, objectif affiché des actionnaires qataris.
12 u
MONDE
Ben
Salmane
à Paris,
l’effet
du prince
Arabie Saoudite
Le dernier fils du roi,
qui est en visite ces lundi et
mardi en France, est chargé
de moderniser l’économie et
l’image de son pays. Hollande
espère bien en tirer parti.
cice en Arabie Saoudite. A 30 ans, le
petit dernier et fils chéri du roi Salmane poursuit son ascension, calée
nnoncée puis reportée deux sur un plan com visant à révoluou trois fois au printemps, tionner le royaume wahhabite par
la visite du puissant vice- le haut et à coups de nouveaux milprince héritier d’Arabie Saoudite, liards de dollars. Muni de sa «Vision
Mohammed ben Salmane, à Paris saoudienne à l’horizon 2030», un
lundi et mardi se déroule en
plan de réformes colossal
pleine tempête post-Brexit. PROFIL rendu public en avril, MoCe rendez-vous est l’occahammed ben Salmane
sion pour la France de miser à son – «MBS» pour les intimes – multitour sur le jeune prince, qui fait de plie les annonces et les initiatives
plus en plus figure de roi en exer- à un rythme effréné pour lll
Par
HALA KODMANI
A
Libération Mardi 28 Juin 2016
Libération Mardi 28 Juin 2016
montrer que le vent du changement souffle de façon décisive
sur le royaume.
Depuis le début du ramadan, habituellement une période de léthargie
totale en Arabie Saoudite, le viceprince a réuni le gouvernement pour
faire valider son plan prévoyant la
mise en place d’un fonds d’investissement souverain de 2000 milliards
de dollars (environ 1800 milliards
d’euros) avant de s’envoler le 13 juin
pour les Etats-Unis. Au cours de son
séjour d’une dizaine de jours, les
médias saoudiens et américains
l’ont montré tantôt en tenue bédouine traditionnelle à la Maison
Blanche, où il a été reçu le 17 juin par
Barack Obama, tantôt en jean et chemise à la Silicon Valley pour rencontrer notamment Mark Zuckerberg,
le créateur de Facebook. Déclarant
sa volonté de «transformer l’Arabie
Saoudite en royaume numérique», il
a signé des accords avec les géants
américains de la technologie, incluant des programmes de formation pour les jeunes Saoudiens. Le
prince souhaite en effet rallier à son
projet les moins de 30 ans, qui représentent 70% de la population du
royaume. Un ministère du Divertissement a ainsi été créé au sein du
gouvernement réformiste constitué
en mai.
lll
«PATATE CHAUDE»
François Hollande
a reçu, à l’Elysée
lundi, Mohammed
ben Salmane, ministre
de la Défense et viceprince héritier saoudien.
PHOTO STÉPHANE
DE SAKUTIN. AFP
u 13
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
La visite officielle de Mohammed
ben Salmane en France ne dure que
deux jours. Lundi, il a rencontré
François Hollande à l’Elysée. Le
Président l’avait déjà reçu une première fois l’année dernière, alors
que le Saoudien venait d’être
nommé ministre de la Défense. Ce
mardi, le vice-prince héritier d’Arabie Saoudite doit se rendre au Quai
d’Orsay pour coprésider avec JeanMarc Ayrault le troisième comité
conjoint franco-saoudien, où devront être discutées les questions de
coopération dans les domaines de
la défense, l’énergie, la santé, l’agriculture, ou encore le tourisme.
En 2015, le commerce bilatéral
franco-saoudien a atteint 7 milliards
d’euros en 2015, a rappelé l’ambassade de France à Riyad en annonçant la visite du nouvel homme fort
saoudien. Ce dernier est le premier
fournisseur de pétrole de l’Hexagone, lequel figure en troisième position des investisseurs étrangers
dans le royaume.
Les rendez-vous les plus attendus
du prince et de sa délégation avec
les hommes d’affaires français sont
aussi les plus incertains. Difficile
d’anticiper la concrétisation des
gros contrats –en discussion depuis
un moment– compte tenu des humeurs saoudiennes imprévisibles
qui ont récemment provoqué des
déceptions. Lors d’un déplacement
à Riyad en octobre, Manuel Valls
avait annoncé une série d’accords
pour des contrats de 10 milliards
d’euros, mais était revenu les mains
vides. La signature prévue pour la
vente de plusieurs appareils Airbus A380 avait été annulée à la dernière minute du fait d’un rendezvous manqué. Plusieurs dossiers
«Si aucune
opposition ne se
manifeste encore,
les conservateurs et
les rivaux de MBS
au sein de la famille
royale l’attendent
au tournant.»
STÉPHANE LACROIX
professeur à Sciences-Po
d’armement restent également en
suspens, dont celui portant sur la
vente de 39 patrouilleurs fabriqués
par Constructions mécaniques
de Normandie pour une valeur
de 500 millions d’euros.
De son côté, Thales poursuit ses discussions sur la vente du système de
défense antiaérien Mark 3. Le viceprince héritier et ministre de la Défense a récemment annoncé vouloir
lier désormais ses contrats d’armement au développement d’une industrie militaire locale qui puisse
couvrir 30 % à 50 % des besoins de
l’Arabie Saoudite. Mohammed ben
Salmane a en effet déploré que son
royaume ne dispose pas d’une «industrie militaire» alors qu’il est
classé troisième acheteur d’armes
dans le monde en 2015, bien «avant
le Royaume-Uni et la France».
Pour le moment, les principaux bénéficiaires français des nouvelles
ambitions de Mohammed ben Salmane sont les grandes agences de
communication, dont Publicis et
Havas. Chargées de rehausser
l’image sulfureuse du royaume
wahhabite, promoteur du salafisme
à travers le monde depuis les années 80, elles organisent des voyages de presse en Arabie Saoudite
ou des visites de diverses délégations saoudiennes en France.
Début mai, six membres du Majlis
al-Choura (organe consultatif élu)
étaient venus à Paris à l’invitation
du groupe d’amitié parlementaire
France-Arabie Saoudite. Casting
parfait de trois hommes et trois
femmes, dont deux parfaitement
francophones. Universitaire, médecin ou encore économiste, tous
avaient rencontré des députés, des
sénateurs, des universitaires et des
journalistes. A cette occasion, l’élégante Hanan al-Ahmadi, membre
de cette délégation, nous avait affirmé : «Quand je vais parler aux
femmes saoudiennes de leurs problèmes, elles me disent que la priorité, c’est de leur trouver des emplois
et non de les autoriser à prendre le
volant.» Docteure en économie, la
quadragénaire avait qualifié le droit
de conduire des femmes de «patate
chaude qu’il ne faut pas évoquer en
ce moment», tant la question cristallise les réticences des conservateurs
au sein du royaume. «MBS» a apporté une réponse innovatrice au
problème: parmi les premiers investissements du nouveau fonds souverain, une prise de participation
de 3,5 milliards de dollars dans la société californienne Uber. Elle est
destinée à développer ses activités
au Moyen-Orient et surtout en Arabie Saoudite, où elle compte 80% de
clientèle féminine. «La volonté de
modernisation du prince Mohammed ben Salmane est réelle et sa démarche énergique marche bien
jusque-là. Il jouit d’une véritable popularité, notamment parmi les
jeunes, et s’est entouré d’une nouvelle
génération de technocrates compétents, considère Stéphane Lacroix,
professeur associé à Sciences-Po et
spécialiste de l’Arabie Saoudite.
Après des décennies de léthargie sous
le règne du roi Abdallah, c’est un
véritable changement de système
auquel on assiste depuis 2015 avec
l’arrivée sur le trône du roi Salmane.» Celui-ci a confié à son fils les
clés du royaume: la défense et le pétrole. MBS préside le Conseil des
affaires économiques et de développement, qui supervise la société nationale Saudi Aramco, pilier économique du pays. La vente de 5% du
capital de la première compagnie
pétrolière au monde doit alimenter
le futur fonds géant destiné à financer le fameux programme Vision 2030. Il s’agit de réduire la forte
dépendance de l’Arabie Saoudite au
pétrole, qui représente 80% des revenus du pays.
Mais passé les effets d’annonce, tout
le monde attend la mise en œuvre
de l’ambitieux programme de réformes du jeune prince. «Si aucune opposition ne se manifeste encore, le
camp des conservateurs saoudiens et
les rivaux de MBS au sein de la famille royale l’attendent au tournant», note Stéphane Lacroix. «L’application de la Vision 2030 sera
progressive et précédée ou accompagnée de consultations», précise Hanan al-Ahmadi, qui cherche toujours à mettre en avant le chemin
parcouru ces dernières années dans
la modernisation du pays.
«CANAL PRIVILÉGIÉ»
Le puissant prince, lui, avance sous
les regards dubitatifs, à l’intérieur
comme à l’extérieur du royaume.
Son entreprise risquée est néanmoins si alléchante que beaucoup
de monde parie sur elle, y compris
en France. En outre, «les Saoudiens
sont en demande d’Europe depuis que leurs relations avec les
Américains se dégradent», analyse Stéphane Lacroix. Le Brexit,
qui touche les investissements des
pays du Golfe au Royaume-Uni,
devrait par ailleurs «jouer en faveur
de la France, devenue le canal privilégié vers l’Europe», selon le spécialiste de l’Arabie Saoudite.
N’ayant pas bénéficié de publicité
préalable à son arrivée, Brexit
oblige, le vice-prince héritier saoudien se fera-t-il remarquer par les retombées de sa visite en France ? Il
aurait eu, il y a peu, l’intention de
faire une annonce spectaculaire réservée à son passage à Paris, selon
les confidences de certains de ses
proches. Un contrat, peut-être? Une
réforme? Côté français, en tout cas,
aucune remise de décoration n’est
prévue au programme pour éviter
que ne se reproduise le tollé suscité
par la Légion d’honneur attribuée
en janvier à Mohammed ben Nayef
–ministre de l’Intérieur responsable
de plusieurs dizaines d’exécutions
depuis janvier et prince héritier
d’Arabie Saoudite–, le rival discret
de MBS. •
MARDI
POLITIQUE
Axel
PONIATOWSKI
%ÃQVUÃ-3EV7BMEn0JTF
7JDF1SÃTJEFOUEFMB$PNNJTTJPO
EFT"GGBJSFTÃUSBOHÂSFTºMn"TTFNCMÃFOBUJPOBMF
En direct à 18h10 sur RFI - Paris 89FM
FUFOWJEÃPTVSSåGSGSBODFDPN
FUMJCFSBUJPOGS
14 u
MONDE
Libération Mardi 28 Juin 2016
Le leader de Podemos,
Pablo Iglesias,
dimanche à Madrid.
PHOTO GÉRARD JULIEN. AFP
Espagne
Pour la
sociologue
Héloïse Nez,
malgré
un score
décevant aux
législatives
dimanche,
le parti antiaustérité,
a réussi à
maintenir sa
stratégie
contre la
corruption et
le capitalisme.
«Podemos
reste fidèle
à ses principes»
conférences à l’université FrançoisRabelais de Tours, auteure de Podemos, de l’indignation aux élections (1), nous livre son analyse.
onvoquées pour sortir de la
En six mois, Podemos a perdu
paralysie institutionnelle isun million de voix. Est-ce la
sue du scrutin de décembre,
sanction d’une stratégie erronée
les législatives de dimanche, en Esde Pablo Iglesias ?
pagne, ont modifié la donne sans la
Je ne crois pas. La stratégie de Podebouleverser. Le Parti populaire de
mos a même été très cohérente, en
Mariano Rajoy, malgré une cascade
refusant tout pacte de gouvernede scandales de corrupment qui inclurait Ciution, gagne 14 sièges et INTERVIEW dadanos, tenant du liconforte sa place de prebéralisme. Dans les
mier parti, mais sans majorité absodiscussions en vue de former une
lue (lire ci-contre). A gauche, le duel
majorité, Podemos a surtout mis le
entre sociaux-démocrates du PSOE
PSOE face à ses contradictions.
et radicaux anti-austérité de PodeMais Podemos, en participant
mos a tourné à l’avantage des preaux marchandages pour former
miers, faisant mentir les sondages.
un gouvernement de coalition,
Le revers de Podemos, qui perd de
n’est-il pas devenu ce qu’il dénombreuses voix même s’il garde le
nonce, un parti politicien ?
même nombre de sièges qu’en déC’est le risque de tout mouvement
cembre, remet-il en cause la proqui décide d’entrer dans l’arène pogression du mouvement? La sociolitique. Parmi les Indignés de 2011,
logue Héloïse Nez, maître de
certains refusaient catégorique-
Par
FRANÇOIS­XAVIER
GOMEZ
C
Libération Mardi 28 Juin 2016
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
u 15
La droite, seule gagnante
après la remise en jeu
Contre toute attente, le Parti
populaire du Premier ministre,
Mariano Rajoy, est l’unique formation
à avoir progressé depuis le précédent
scrutin. Il lui reste à mener à bout des
négociations en vue d’une coalition.
«Y
o soy español, español, español !» («Je suis espagnol, espagnol, espagnol»). Au bas du
siège du Parti populaire (PP), calle Genova
à Madrid, ils étaient des milliers à pousser ce cri nationaliste, ivres de joie. Comme si le résultat de leur formation était historique, triomphal. Il ne l’est pas. Mais, à
l’issue des deuxièmes législatives en six mois, les conservateurs espagnols ont réalisé une excellente performance, supérieure même à ce qu’annonçaient les enquêtes d’opinion les plus optimistes : être la seule
formation à gagner des sièges par rapport au scrutin de
décembre 2015, et en devançant de 52 sièges le rival socialiste ! Au lieu de 123 députés, le Parti populaire de
Mariano Rajoy en obtient 137, et 33 % des suffrages
(contre 28%). Toutes les autres formations perdent des
voix et des sièges (le Parti socialiste, 85 sièges, - 5), les
centristes de Ciudadanos (- 8) ou maintiennent ceux
qu’ils avaient (Podemos, indépendantistes catalans et
basques).
Valeur-refuge. Dimanche soir, les observateurs
avaient du mal à expliquer le si bon score de la formation conservatrice, au pouvoir depuis fin 2011, qui a
promulgué une loi du travail impopulaire, imposé de
sévères mesures d’austérité, et qui en outre a été
éclaboussé par une bonne dizaine de scandales de corruption. Valeur-refuge face à l’essor annoncé (et qui ne
s’est pas concrétisé) des alternatifs de Podemos? Vote
contre l’incertitude après le Brexit ? Réaction patriotique face aux velléités séparatistes en Catalogne (lire
aussi en dernière page), alors même que Podemos soutient la tenue d’un référendum d’autodétermination
et que les socialistes approuvent une réforme de la
Constitution dans un sens plus fédéral? Mobilisation
pleine et entière d’un électorat fidèle, contrastant avec
celle, plus faible, des formations rivales de gauche (ce
que semble confirmer la participation, de 70 %) ?
richissement, la limitation des mandats électifs à huit ans, la réduction
des salaires des élus à trois fois le
Smic espagnol (650 euros)…
Le Brexit a-t-il une part de responsabilité dans le semi-échec
de Podemos ?
C’est probable. Dans leur soutien à
LE NOUVEAU PARLEMENT ESPAGNOL
Source : ministère
de l’Intérieur espagnol
Projection en nombre de sièges
PSOE
Socialistes
Ga
uc
he
85
25 32
Droite
MENT SORTA
NT
RLE
PA
90
71
Dr
PARTI
oi
te POPULAIRE
à
9
16
UNIDOS
PODEMOS
6
Gauche
15
à
radicale
CIUDADANOS
Centre droit
Autres
26
40
IZQUIERDA
2 UNIDA
Gauche
69 radicale
PODEMOS
Gauche
majorité absolue
radicale
350
SIÈGES
à 176 sièges
137
123
un référendum d’autodétermination en Catalogne, Podemos a cité
en exemple le vote pour
ou contre l’indépendance de 2014 en
Ecosse. Les autres forces politiques, les socialistes comme les conservateurs, s’en sont servies pour
brandir le risque d’instabilité. Cette
accusation a marqué la fin de la
campagne.
Le Venezuela a aussi été très présent dans les débats…
L’argument n’est pas nouveau. Les
liens de Podemos avec le Venezuela
et le chavisme sont régulièrement
agités comme un chiffon rouge par
ses opposants. Le parti n’a jamais
caché son intérêt pour les expériences de la nouvelle gauche latinoaméricaine. Mais il faut rappeler
qu’il a pris ses distances avec le
régime de Nicolás Maduro. Et Pablo
Iglesias a souligné que ce qui inté-
Gifle. Annoncé comme le grand gagnant de ce scrutin,
le professeur de sciences politiques Pablo Iglesias –chef
de file de Podemos– n’a gagné aucune circonscription
de plus qu’aux législatives de décembre; et a perdu environ un million de suffrages. Une gifle pour ce mouvement contestataire et anti-establishment qui ne jure
que par la prise du pouvoir «afin de contrarier les plans
insidieux de la caste oligarchique». «Podemos fait peur,
les socialistes ne semblent pas savoir où ils vont, mais
les “populares” sont très identifiables, a analysé la politologue libérale Edurne Uriarte. En ces temps agités, les
électeurs ont besoin de valeurs sûres.»
Reste à aborder la question de la «gouvernabilité». Car
l’Espagne, ce pays de majorités stables qui vit dans
l’instabilité depuis six mois, est devenu un casse-tête
institutionnel. Ces dernières semaines, aucun gouvernement n’a pu se former, en raison des intransigeances
des uns et des autres. La situation est-elle aujourd’hui
plus claire? En partie, oui. Le fameux «front de gauche
à la portugaise» (où la droite, qui a emporté les élections
d’octobre 2015, a été reléguée dans l’opposition), qui
semblait être la seule issue au blocage, est redevenu une
chimère. Par contre, une coalition de centre droit est
désormais imaginable: s’il obtient le soutien des centristes libéraux de Ciudadanos (32 sièges), le conservateur Mariano Rajoy, sorti renforcé de ce scrutin, comptabiliserait 169 sièges –soit seulement 7 de moins que la
majorité absolue– et tablera sur l’abstention des socialistes. Rien n’est joué, bien sûr, et il faut s’attendre à de
longues tractations d’ici à la constitution du nouveau
Parlement, le 19 juillet. Si le jeu des coalitions demeure
infructueux, il faudra organiser de nouvelles élections
d’ici au printemps 2017.
FRANÇOIS MUSSEAU
Correspondant à Madrid
resse les électeurs espagnols, c’est ce qui se
passe dans leur pays, ce
qui touche à leurs
conditions de vie.
Podemos ne souffret-il pas aussi d’une position floue sur la Catalogne ?
Ce n’est plus le cas. Le mouvement
a mis du temps à clarifier sa posture, d’où son résultat médiocre aux
régionales catalanes de 2014. Depuis, Podemos s’est prononcé pour
un référendum qui permette
aux Catalans de décider de leur sort.
Cette vision d’un Etat plurinational
rencontre un écho limité dans
certaines régions, en Andalousie
par exemple, où Podemos a perdu
du terrain dimanche. Mais elle lui
permet de devenir la première force
politique en Catalogne comme au
Pays basque.
L’expérience de Podemos au sein
des «municipalités du changeDR
ment de se transformer en parti
pour ne pas ressembler aux «autres
partis». Et pour participer au jeu politique, il faut définir une stratégie.
Mais Podemos reste fidèle à ses
principes de rénovation de la vie politique, avec l’adoption d’un code
éthique contre la corruption et l’en-
Un peu de tout cela. Néanmoins, si le triomphe de
la droite ne cesse d’être surprenant, l’arrêt brutal de la
progression de Podemos l’est tout autant. Depuis
des semaines, les sondages prédisaient un sorpasso
(mot tiré de l’italien), c’est-à-dire le dépassement du
Parti socialiste par cette gauche radicale lancée il y a
tout juste deux ans et qui, en décembre, est devenue à
la surprise générale la troisième force parlementaire.
Or, même si le Parti socialiste enregistre le pire score
de son histoire, ce sorpasso ne s’est pas produit.
ment» élues en mai 2015 lui servira-t-elle au niveau national ?
Sans aucun doute. Podemos avait
choisi de ne pas s’investir dans les
municipales, jugeant que sa priorité
était les législatives, six mois plus
tard. Le parti a donc soutenu des
listes issues de la société civile, qui
ont conquis Barcelone, Madrid et
d’autres grandes villes. Il est trop tôt
pour tirer un bilan, mais Cadix, dont
le maire est un militant de Podemos, a réussi à réduire de 10 % son
énorme endettement, en faisant la
chasse au gaspillage et en réduisant
les salaires des élus. Et la part du
budget de la ville consacrée aux dépenses sociales a augmenté de 30%.
Ce qui bat en brèche l’accusation
lancée à la gauche radicale : vous
n’avez pas d’expérience de la gestion, vous êtes irréalistes. Les réussites locales peuvent devenir un socle pour l’influence de Podemos. •
(1) Ed. Les Petits Matins, 2015.
16 u
FRANCE
Libération Mardi 28 Juin 2016
Lundi, dans la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, en Loire-Atlantique. Un dôme géodésique en construction servira de salle de réunion aux militants anti-aéroport.
Aéroport: les zadistes fon
Notre-Dame-desLandes En LoireAtlantique, les militants
de la «zone à défendre»
nient toute légitimité
à la consultation locale
de dimanche, qui a vu
le projet de nouveau
site approuvé à 55%.
bas-côtés, noyés sous une végétation
dense, complètent le tableau.
Envoyé spécial
Au lendemain d’une consultation
à Notre­Dame­des­Landes
locale inédite, qui a vu 55% des élecPhotos ADRIEN SELBERT.
teurs de Loire-Atlantique voter «oui»
HANS LUCAS
au projet de transfert de l’aéroport de
Nantes-Atlantique vers Notre-Damene succession de chicanes, de des-Landes, la kyrielle d’opposants n’a
barrages de fortune et de car- pas changé d’avis: pas question, pour
casses de voitures, tous recou- eux, d’accepter le verdict des urnes et
verts de tags à la gloire de la «zone à de laisser la place, d’ici quelques mois,
défendre» (ZAD) et de slogans poético- aux pelleteuses de Vinci, qui sera
utopistes. Sur près de 2 kilomètres, chargé de l’exploitation du (futur?) aéla route départementale 281, devenue roport. Les déclarations musclées du
«route des planchettes»
Premier ministre, Manuel
pour les habitants squat- REPORTAGE Valls, qui a redit sa voteurs de la ZAD de
lonté de procéder à l’évaNotre-Dame-des-Landes (Loire-Atlan- cuation de la ZAD cet automne, n’entatique), offre un petit aperçu du terrain ment pas leur motivation.
sur lequel les forces de l’ordre pour- Qu’ils soient agriculteurs, locataires
raient évoluer si elles devaient procé- expulsables, squatteurs ou militants
der à l’évacuation les lieux. La chaus- pour l’environnement, les anti-aérosée, truffée de nids de poule, et les port continuent de considérer la
Par
SYLVAIN MOUILLARD
U
consultation de dimanche comme
«biaisée» et «illégitime». «Le débat financier et environnemental doit reprendre le dessus, estime Julien Durand, producteur laitier à la retraite et
porte-parole de l’Acipa, une des principales associations d’opposants. Nos
adversaires ont diabolisé la ZAD,
l’ont décrite comme une zone de délinquance et d’insécurité mais, dans les
environs, les gens ont majoritairement
voté contre le projet d’aéroport. Cela
prouve que cet endroit est d’abord une
zone de lutte.»
Autosubsistance
A leurs yeux, le périmètre retenu par
le gouvernement pour la consultation
(le seul département de Loire-Atlantique, alors que l’Etat et deux régions
doivent participer au financement du
projet) a été choisi pour assurer la victoire du oui. «Ceux qui portent le pro-
«Ici, ça n’est pas
une lubie. C’est notre
vie et nos choix
qu’on veut
défendre.»
«CAMILLE 3» à Notre-Dame-desLandes depuis quatre ans
Depuis 2012, les zadistes ont notamment investi des fermes de «NDDL».
Les résultats du scrutin de dimanche, affichés dans la grange de la «Vache rit».
nt fi du «oui»
jet sont les mêmes que ceux qui organisaient le vote. On ne luttait pas à
armes égales», regrette «Camille 1», un
jeune homme d’une vingtaine d’années qui vit depuis quatre ans dans la
ZAD, et qui adopte, face aux médias,
le même prénom mixte que ses camarades. Posé dans le salon de la ferme
de Bellevue, où se trouve notamment
la fromagerie, il n’hésite pas, malgré
la menace d’expulsion, à se projeter
dans l’avenir. Au cours du week-end,
les occupants ont multiplié les chantiers collectifs: «Une manière de signifier en actes qu’on veut rester ici, sans
aéroport.»
Du côté du Gourbi, un des 60 lieux de
vie disséminés sur les 1600 hectares
de la zone, les bases d’un dôme géodésique, une sorte de pyramide de
paille et de terre de 5 mètres de haut,
ont été posées. Objectif : en faire
une salle de réunion et de débats. A
u 17
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
d’autres endroits, c’est un «point d’atterrissage» (comprendre un lieu d’accueil pour les nouveaux arrivants) et
un mur d’escalade qui sont en germe.
Les travaux des champs occupent
aussi une partie de l’emploi du temps
des quelque 200 personnes qui vivent
là à plein temps. L’an passé, la récolte
a été bonne. Suffisante en tout cas
pour assurer l’autosubsistance des
habitants et même pour envoyer les
surplus vers d’autres terrains militants (squat de sans-papiers à Nantes,
cantines populaires, camps de migrants du côté de Calais et du Nord de
la France…).
«La ZAD, c’est un espace d’autonomie
et de repossession, détaille “Camille 2”,
une femme d’une trentaine d’années.
On choisit comment on organise nos
vies, même si on n’entre pas dans le
“cadre” dominant. Par exemple, on
porte une attention particulière aux
questions de sexisme. Quand il s’agit
de réparer un tracteur, on essaie de
transmettre les savoirs en priorité aux
filles.»
Le duo de Camille balaie néanmoins toute tentation autarcique. Les
échanges avec l’extérieur sont permanents. Pour eux, la lutte qui se joue
dans cette zone bocagère n’a de sens
que si elle est mise au service d’une
remise en cause globale du système
marchand. Le rapport de force constant avec les autorités les oblige aussi
à cette ouverture. Car la ZAD, ils l’ont
compris depuis quatre ans, ne tiendra
que grâce aux soutiens extérieurs :
paysans de la région engagés au sein
de la Confédération paysanne ou du
collectif «Copain», militants associatifs ou politiques du coin, visiteurs
occasionnels… Cette «pluralité des
modes d’action» a fait ses preuves à
l’automne 2012, quand des centaines
de gendarmes mobiles ont débarqué
pour l’opération «César», destinée à
déloger ces occupants sans droit ni
titre. Si certains militants n’hésitaient
pas à jeter des projectiles sur les
forces de l’ordre, d’autres préféraient
s’accrocher au sommet des arbres ou
ralentir la progression des engins motorisés, tandis que quelques-unes apportaient un soutien logistique :
douches chaudes, vêtements secs,
soins aux malades et blessés, etc.
«Effets d’annonce»
Installée au Gourbi, en face du dôme,
«Camille 3», petite brune d’une trentaine d’années, envisage avec circonspection les conséquences de la
consultation locale : «Cela fait deux
ans que Valls dit tous les trois mois que
la ZAD doit être évacuée. Il est midi, et
je ne vois toujours rien venir. On a pris
l’habitude de ne pas croire aux effets
d’annonce des politiques.» Installée
dans le coin depuis quatre ans, elle dit
qu’à l’improvisation des débuts a succédé une organisation plus rodée :
«En 2012, au début de l’intervention
policière, on était à peine une soixantaine.» Comme elle, les zadistes
comptent sur la mobilisation de près
de 200 comités de soutien locaux,
prompts, ces derniers mois, à bloquer
les axes routiers de la région. «Ici, ça
n’est pas une lubie. C’est notre vie et nos
choix qu’on veut défendre», poursuit
Camille 3. Les violences, bien sûr, l’inquiètent. «Ce qui intéresse les médias,
c’est le sang. Moi, j’aime bien le chaos,
mais quand on peut en tirer quelque
chose de désirable.»
Elle craint, en cas d’intervention des
forces de l’ordre, que celles-ci ne reviennent bien plus déterminées. «En
quatre ans, malgré un gouvernement
de gauche, le degré de répression a
énormément grandi. J’ai peur que la
mort de Rémi Fraisse à Sivens n’ait pas
servi de leçon.» •
«Deux camps
encore plus
mobilisés»
Le sénateur
écologiste Ronan
Dantec critique
les modalités
d’organisation du
référendum ainsi
que le projet
du gouvernement.
R
onan Dantec est sénateur écologiste de la
Loire-Atlantique, vice-président de la commission développement durable
du Sénat et conseiller municipal de Nantes. Il considère
que le débat n’est pas clos et
qu’il reste deux recours.
Que conclure du résultat
de cette consultation ?
Trois types de territoires se
sont exprimés. D’abord, les
plus concernés par le sujet,
qui ont plutôt voté «non»
au transfert de l’aéroport
à Notre-Damedes-Landes, qu’il
s’agisse des communes d’accueil
de ce projet, mais
aussi, et c’est une
vraie surprise,
des électeurs qui
sont dans la zone
de bruit de l’aéroport actuel,
à Nantes.
Ensuite, le nord du département, rural: contrairement à
ce que je pensais, il ne s’est
pas prononcé contre un
gaspillage des terres agricoles. Les gens y ont voté «oui»,
comme dans tous les territoires de droite, privilégiant
l’argument économique,
pourtant discutable.
Enfin, j’ajoute une troisième
catégorie, même si elle n’a
pu s’exprimer que dans
les sondages: le Grand Ouest
et la France, qui auraient voté
«non» à environ 60 %.
Nous voilà donc avec
deux «non» et un «oui»,
qui sont tous légitimes.
A partir de là, on fait quoi
avec ça ?
Que faire justement, puisque les partisans du «non»
n’ont aucune intention de
baisser les bras ?
Il y a évidemment une colère,
du fait que Manuel Valls a
choisi le périmètre électoral
le plus favorable au «oui» et
n’a pas répondu aux demandes d’expertises indépendantes sur ce que coûterait un
aménagement de l’aéroport
actuel. Il a une responsabilité
particulière dans le fait de
cliver encore davantage la société. Je lui en veux d’avoir
cassé une vraie possibilité
d’en sortir avec une consultation digne de ce nom. Au lieu
de cela, on se retrouve avec
les deux camps encore plus
mobilisés: les pro-Notre-Dame-des-Landes se sentent
encore plus légitimes et les
opposants ont l’impression
de s’être fait flouer. Il faut désormais absolument trouver
des réponses permettant
d’éviter d’aller au drame. Car
le risque Sivens existe, c’est
évident [référence à la mort
de Rémi Fraisse, tué fin 2014
par une grenade lancée par
un gendarme, ndlr].
Que préconisez-vous ?
Il ne faut en aucun cas revenir sur ce qu’a dit François
Hollande, qui a promis d’attendre que tous les recours
juridiques soient épuisés
avant de lancer le
projet. Or il reste
deux grands recours à trancher,
dont un européen. Si les paysans sont expulsés et les travaux
engagés avant
cela, la situation deviendra
critique. Ensuite, il faut aussi
que l’Etat se pose la question
de savoir quel projet il veut,
que le gouvernement revoie
sa copie pour tenir compte
du fait que c’est très clivé sur
le terrain, notamment à gauche. Et il faut dès aujourd’hui
recréer les conditions du dialogue entre «pros» et «antis»
et voir s’il y a des compromis
possibles. J’y crois. J’essaie
de continuer à faire le pari de
l’intelligence collective pour
éviter un désastre.
Considérez-vous comme
Cécile Duflot que le résultat de cette consultation
est une «bataille perdue
pour l’écologie» ?
A Nantes, les gens qui sont
sous les avions, y compris
dans les quartiers populaires
de gauche, ont voté contre
le transfert. Ils ont voté
«climat» plutôt que «nuisances personnelles». Cela
prouve qu’il y a une gauche
qui a compris les grands enjeux environnementaux et
peut arbitrer contre ses petits
intérêts personnels. C’est
nouveau et très encourageant.
Recueilli par
CORALIE SCHAUB
DR
Libération Mardi 28 Juin 2016
18 u
SPORTS
Libération Mardi 28 Juin 2016
L
a nouvelle affaire du «Docteur
Mabuse», ce naturopathe accusé de prescrire de l’EPO et
autres substances dopantes, met au
jour un large réseau mêlant politiques, journalistes et dirigeants
sportifs. Ces liens d’influences expliquent en partie le secret de Bernard Sainz, 72 ans, alias «Mabuse»,
pour développer sa clientèle, voire
passer à travers les mailles du filet,
depuis quatre décennies, depuis
l’époque de gloire d’un de ses premiers clients, Raymond Poulidor. Il
aura fallu une enquête du Monde et
la diffusion, lundi soir, de Cash Investigation sur France 2, pour que
tombe la pièce ultime dans ce dossier. Selon une preuve rapportée par
l’émission, le naturopathe a été enregistré donnant des conseils sur
l’utilisation d’un produit lourd,
l’EPO. C’est un nouveau coup dur
pour ce «soigneur» très apprécié des
milieux cyclistes et hippiques, qui
a déjà eu affaire à la justice française
il y a quelques mois, entre autres
pour «infraction au règlement sur
le commerce ou l’emploi de substances vénéneuses […], aide à l’utilisation de substances ou procédés
interdits aux sportifs dans le cadre
d’une compétition ou manifestation sportive –dopage–[…], exercice
illégal de la profession de médecin»
dans une affaire remontant à 1999
qui impliquait l’ancien champion
belge Frank Vandenbroucke, décédé en 2009.
LAISSER-PASSER
Cet impressionnant réseau qui
compte des guest-stars (le nom
d’Alain Prost est souvent revenu
même si l’intéressé a dit qu’il n’était
que l’ami d’un ami) n’est pourtant
pas une garantie d’immunité.
D’ailleurs, une partie du milieu est
en train de lâcher Sainz. Tout
comme le 11 juillet 2015, au lendemain d’un article de Libération révélant sa présence en invité sur une
étape du Tour de France. Amaury
Sport Organisation (ASO), organisateur de l’épreuve, avait alors ouvert
une enquête pour savoir qui avait
transmis un laisser-passer au naturopathe. Problème: «Mabuse», qui
n’a de docteur que le surnom et pas
les diplômes, est susceptible d’avoir
reçu son badge d’accès auprès de
plusieurs dizaines d’amis ou admirateurs. Contacté par Libération,
Bernard Sainz insistait alors sur
ses relations de proximité avec
plusieurs cadres d’ASO, dont l’ex-directeur des sports Jean-François
Pescheux.
De même, le Dr Mabuse dispose
d’une invitation officielle chaque
fin d’année à la soirée de gala de la
Ligue nationale du cyclisme. Son
président, Marc Madiot, par ailleurs
manager de l’équipe FDJ, fut l’un de
ses clients, comme il ne s’en est jamais caché. La fête pour célébrer sa
fin de carrière, en 1994, avec Sainz
comme invité, est restée dans toutes les mémoires: deux journées de
noce «en pleine forme et sans dormir», selon un participant.
Trois ans plus tard, Sainz et l’avocat
Bertrand Lavelot «faisaient la pluie
et le beau temps [à la FDJ]», dixit
Madiot lors d’une garde à vue
en 1999. En 2016, l’équipe française
a viré de bord, refusant d’engager
un jeune coureur supposément
suivi par Sainz. Autre institution à
posséder un président «mabusien»,
l’Union nationale des cyclistes professionnels français (UNCP). Le président du syndicat, Pascal Chanteur, raconte comment le
naturopathe a soigné des membres
de sa famille en leur évitant la consommation de cortisone (lire Libé
du 25 juin). Toutefois, dans le cadre
de ses fonctions, il nous précisait
vendredi: «Si le reportage [de Cash
Investigation, ndlr] apporte des éléments troublants, j’attends que la
justice fasse son travail.» Quant à la
Fédération française de cyclisme,
elle la joue ouvertement anti-Mabuse, en se constituant partie civile
dans tous ses procès pour dopage,
dont l’un est actuellement en appel
à Caen. «Si les enquêtes médiatiques
apportent de l’eau au moulin de la
justice, c’est très bien», commente
David Lappartient, président de la
FFC.
Les temps ont bien changé en regard de l’époque où le directeur
technique national Patrick Cluzaud
(de 1993 à 2009) était un ancien
adepte de Sainz, tout comme les entraîneurs nationaux sur piste de
l’époque, Daniel Morelon et Gérard
Quintyn. Sainz le raconte lui-même
dans son autobiographie. La toile
s’est rapidement tissée entre les anciens coureurs, qui occupent désor-
mais des responsabilités, et le docteur. Ce qui ne veut pas dire que
ceux-ci se soient dopés sous son
contrôle (Sainz prescrit également
des plantes et des remèdes naturels
autorisés), ni que ces «mabusiens»
patentés poussent leurs propres
poulains vers le dopage.
LÉGENDE D’UN GÉNIE
Entraîneurs, managers, dirigeants
du sport, beaucoup des anciens élèves continuent d’entretenir la lé-
Libération Mardi 28 Juin 2016
Cyrille Guimard (au centre)
et Bernard Sainz (à droite),
lors de l’étape BelfortAuxerre sur le Tour 1972.
exige ainsi de connaître si un coureur préfère se glisser dans des
draps chauds, frais ou tièdes. Il s’enquiert de la vie privée de chacun. A
terme –et c’est une hypothèse déjà
soulevée par Madiot– Sainz en sait
trop sur le compte des uns et des
autres. Dès lors, comment lui refuser une petite information ou une
invitation VIP ? Cet entregent lui
aurait-il également permis d’échapper à la justice ?
Rumeur tenace, à la hauteur du mythe : Mabuse serait protégé par «le
Parti socialiste». Une théorie contredite par certains faits puisque le
naturopathe a été inquiété par la
justice sous le gouvernement
Jospin et tout récemment encore
sous le mandat de Manuel Valls.
Mais le virtuose des plantes aime
raconter une autre histoire tout
aussi invérifiable : il aurait soigné
François Mitterrand pendant son
cancer, à la fin des années 80, alors
que la maladie n’était pas encore
rendue publique. Une information
jamais démentie.
PHOTO PRESSE SPORTS
«Dr Mabuse»,
les liens
du sang
POTES FIDÈLES
En politique, des amis proches prêtent des liens d’affinités entre
Bernard Sainz et un ancien ministre
de droite. Autre
contact, mais de
gauche cette
fois, dont Mabuse se vanterait lui-même
de
l ’a v o i r
connu : Serge
Mesonès, ancien footballeur, chargé de
mission de MaPASCAL CHANTEUR rie-George Bufprésident de l’Union nationale des fet au ministère
cyclistes professionnels français de la Jeunesse
et des Sports,
de 1997 à sa
mort, en 2001. Son fils Stéphane, excoureur amateur et avocat dans l’Allier, est d’ailleurs le défenseur de
Mabuse dans ses procès actuels et
celui de plusieurs athlètes accusés
de dopage.
Parmi les journalistes, Sainz compte
aussi quelques potes fidèles, notamment dans la presse écrite. Côté
télé, c’est Erwann Menthéour qui
veille. D’après nos sources, le chroniqueur dans la défunte émission
Par
de Stéphane Bern sur France 2
PIERRE CARREY
(Comment ça va bien!) aurait tenté
de faire jouer ses relations pour connaître le contenu de Cash Investigation avant sa diffusion, sans succès
–plus largement, un responsable de
l’émission indique que «les pressions sont moins grandes lorsqu’on
travaille sur l’industrie des pesticides que lorsqu’on enquête sur le doSainz place ses clients dans ses ca- page». Ex-coureur à la FDJ, Menses à lui, très rigides, et ses précep- théour est l’un des premiers à avoir
tes alimentaires, à base de jeûne, dénoncé les pratiques du peloton,
sont particulièrement contrai- en 1997, dans son livre Secret dégnants à suivre. Son efficacité et son fonce. Il est aujourd’hui à la tête de
aura reposent sur ces préceptes très Fitnext, un «programme de coadurs, comme le «coup de Kärcher» ching sportif et nutritionnel en liqui doit purifier l’organisme pen- gne» très florissant, qui prône entre
dant trois jours, un régime de fruits autres quelques cures de fruits aciacides et de gouttes homéopathi- des, visiblement très inspirées des
ques. La méthode Mabuse com- méthodes alimentaires du maître.
prend toujours le même fond de Le fantôme de Mabuse est décidésauce et un peu de sur-mesure. Il ment partout. •
Cyclisme De nouvelles enquêtes
journalistiques accablent le
naturopathe français, qui a déjà
eu affaire à la justice pour «aide
au dopage». L’homme avait
jusqu’alors su profiter de son
vaste réseau, tissé dans le milieu
depuis quarante ans.
gende d’un génie, quand certains ne
jouent pas les informateurs. Ainsi,
le 7 juillet 2014, le directeur sportif
d’un club amateur a une étrange
surprise en consultant sa boîte mail.
Six jours plus tôt, il avait adressé un
mail à 47 collègues pour déplorer la
visite du Dr Mabuse sur les championnats de France. Or voilà Sainz
qui déboule dans les échanges de
courriels à 1 heure du matin et menace l’imprudent de poursuite en
diffamation avec, en copie, la mis-
u 19
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
sive adressée à la quarantaine de directeurs sportifs. Lequel a mouchardé? Une nouvelle fois, il existe
plusieurs possibilités. La
manœuvre d’intimidation renforce
en tout cas le mythe d’un Mabuse
omniprésent et omniscient.
«Il ne faut pas se mentir, tout le
monde connaît Bernard Sainz, appuie un manager d’équipe française. Mais il a franchi la ligne rouge
et ce n’est plus le cyclisme que nous
voulons voir. Pour protéger nos cou-
reurs, nous travaillons avec des entraîneurs sains et compétents, qui
sont les seuls habilités à suivre nos
coureurs.» Ami de longue date du
guérisseur parisien, Cyrille Guimard nous a livré son explication
dimanche: «Mabuse s’attaque aux
institutions et ça peut séduire un
certain nombre de coureurs qui
n’aiment pas être mis dans des cases,
qui veulent des conseils individualisés et un avis extérieur, qui sont en
recherche de liberté.» Paradoxe :
«Si le reportage [de
“Cash Investigation”]
apporte des éléments
troublants, j’attends
que la justice fasse
son travail.»
20 u
Libération Mardi 28 Juin 2016
IDÉES/
Brexit: boîte
de Pandore
ou seconde
chance?
Le premier résultat de ce référendum est une
avalanche de contradictions : les «Brexiters»
risquent d’affronter le contraire de ce pour
quoi ils ont voté. Au lieu d’un divorce rapide,
des complications institutionnelles
bruxelloises pires encore qu’avant, et en plus
une possible désunion du Royaume Uni.
Par
DR
FRANÇOIS­
CHARLES
MOUGEL
Professeur émérite d’histoire
contemporaine à Sciences-Po,
Bordeaux.
D
emi-surprise, choc incontestable, le Brexit, voulu
par 51,9% des votants,
avec une participation électorale
de 72%, apparaît surtout comme
une déflagration : en effet, le référendum du 23 juin va déclencher
une cascade de questions et de
contradictions telle qu’elle risque
de rendre la rupture nette attendue par les vainqueurs incertaine, complexe voire paradoxale. D’autant plus que le
séisme qui frappe le RoyaumeUni ébranle aussi l’Europe et le
reste du monde.
La moindre de ces contradictions
concerne le scrutin lui-même.
Une large pétition réclame déjà
un second référendum, considérant que le seuil de majorité acceptable doit être fixé à 60% des
suffrages et le taux minimal de
participation à 75%. Alors, légitime ou non, ce Brexit tout juste
décidé ? Les Britanniques devront-ils revoter et les Européens
attendre de nouveau leur verdict ?
La seconde contradiction touche
au processus de divorce. Quoique
démissionnaire, le Premier ministre vaincu, tout comme les
leaders du camp victorieux, semble vouloir attendre l’automne et
la désignation d’un nouveau chef
de gouvernement avant d’invoquer l’article 50 du Traité de Lisbonne qui, seul, peut ouvrir un
cycle de négociations lui-même
susceptible de s’étendre sur deux
ans. A l’inverse, les dirigeants de
l’Union européenne (UE), inquiets d’une contagion populiste
sur le continent et désireux de relancer la dynamique communautaire, veulent aller vite : alors, de
quel côté de la Manche se situent
les «vrais» Brexiters ?
Autre question : quels acquêts
partager ? L’UE, débarrassée des
concessions faites à David Cameron en février, et surtout des
chantages, menaces et freinages
perpétuellement agités par Londres, peut, si elle le veut, repartir
sur la voie, ouverte depuis 1957,
d’une intégration sans cesse plus
étroite. Le Royaume-Uni, en revanche, va devoir rapatrier plusieurs milliers d’élus, de fonctionnaires et de lobbyistes
installés à Bruxelles et, plus difficile encore, convertir en droit interne l’immense arsenal législatif, réglementaire et normatif
communautaire qui forme déjà
près des trois quarts de sa législation propre. Or cette conversion
dépend du mode de relation futur entre l’UE et un RoyaumeUni redevenu «souverain». Si
Londres se prononce pour une
indépendance complète, il retrouvera sa liberté de décision et
sa maîtrise financière mais devra
renoncer aux avantages du grand
marché européen qui a été son
principal motif de maintien dans
l’UE depuis son adhésion à la
CEE en 1973 et, peut-être, affron-
ter récession et difficultés sociales. Le grand large retrouvé
vaut-il tant de risques et de sacrifices ? Si, au contraire, l’Angleterre veut conserver ses atouts
économiques, financiers, commerciaux et préserver les droits
de ses ressortissants, elle devra
opter pour un statut d’association – limité, sur le modèle turc,
ou intégré selon l’exemple norvégien ou suisse – qui l’obligera à
participer, de près ou de loin, à la
mise en ouvre et au financement
de mécanismes européens sur
lesquels elle n’aura plus de prise.
Pourra-t-on alors encore parler
de souveraineté parlementaire
recouvrée et d’un Etat «rendu à
ses citoyens» ?
Ce dilemme est d’autant plus déchirant que les tenants du Brexit
ne se sont pas contentés de dénoncer le déficit démocratique
de l’UE. Ils ont aussi opposé le
«vrai peuple» aux élites nationales sans véritablement résoudre
Libération Mardi 28 Juin 2016
u 21
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
ECONOMIQUES
Par
IOANA MARINESCU
Professeure d’économie à la Harris School
of Public Policy de l’université de Chicago
Le Premier ministre
britannique semble
vouloir temporiser.
A l’inverse, les dirigeants
de l’UE, veulent aller
vite: alors, de quel côté
de la Manche se situent
les «vrais» Brexiters? ?
Devant
le Bear Hotel,
à Crickhowell,
au Pays de
Galles. PHOTO
SEBASTIAN
BRUNO
la question du pouvoir au Royaume-Uni même. En effet, sauf
élections anticipées – qui ne
pourraient d’ailleurs que polariser les extrêmes –, c’est un parti
conservateur majoritairement
pro-européen qui va devoir gérer
le leave sous la bannière d’un Premier ministre modéré – s’il s’agit
de Theresa May – ou imprévisible
– s’il s’agit de Boris Johnson. Et
que feront les autres élites ? Si
l’establishment traditionnel, et
notamment la City, ont été désavoués, les autres détenteurs du
pouvoir, états-majors travaillistes
et syndicaux, leaders du monde
artistique, intellectuel et sportif,
tous majoritairement partisans
du remain, ont eux aussi perdu la
bataille idéologique et sociologique du 23 juin.
Et pourtant, à moins d’une impensable révolution, ce sont ces
élites qui vont devoir administrer, au plan économique, social
et politique, le repli «national»
d’un pays dont la moitié de la richesse dépend de son ancrage
continental. Alors, le «peuple»
n’aurait-il remporté qu’une victoire à la Pyrrhus ?
Cette question se double d’une
autre contradiction. Le sursaut
populiste du Brexit ne risque-t-il
pas d’ouvrir le pays, désormais
privé des protections européennes et toujours soumis à un parti
tory ultralibéral, à une mondialisation renforcée et brutale alors
même que ses soutiens refusent
les excès d’un capitalisme concurrentiel, inégalitaire, antisocial
voire réactionnaire ? En d’autres
termes les résultats du référendum ne masqueraient-ils pas la
défaite des «faibles» et la victoire
des «forts» ? De même, alors qu’il
affiche son attachement à l’unité
nationale et aux valeurs intrinsèquement britanniques face aux
dangers de l’immigration et du
multiculturalisme, le Brexit, au
vu des résultats régionaux du
scrutin, ne risque-t-il pas de provoquer deux nouvelles consultations, l’une sur la sécession écossaise, l’autre sur la réunification
irlandaise, sans parler d’une improbable demande d’indépendance de Londres ? Si tel était le
cas, le Royaume-Uni volerait en
éclats, ne laissant plus qu’un
royaume croupion, l’AngleterreGalles, cohabiter avec deux nouveaux Etats de l’UE : l’Irlande
élargie et l’Ecosse souveraine.
Mais même si le royaume reste
uni, les questionnements identitaires seront inévitables avec, par
ricochet, des interrogations sur la
nature et la force de la britannité,
sur la survie du Commonwealth
et sur le statut de grande puissance du Royaume-Uni. Alors, serait-ce la fin du Rule Britannia ?
Ces défis et ces enjeux n’étaient
pas inconnus des électeurs avant
le 23 juin mais ils n’étaient sans
doute pas évalués à leur juste mesure. Désormais, ils devront être
affrontés. La boîte de Pandore,
maintenant ouverte, peut libérer
une vague de crises menaçant le
Royaume-Uni et, au delà, l’Europe et le reste de la planète. Mais
si les quatre nations britanniques
et les deux «camps de la haine et
de la peur» savent se rassembler
pour définir ensemble un nouveau consensus collectif et leur
place au sein d’un continent qui
est aussi le leur, l’exemple donné
par cette New Britain pourrait
aider l’UE à ne pas céder à l’affaiblissement qui la fragilise
aujourd’hui et, au contraire, à se
remobiliser autour de ce qui est
son objectif depuis 1957, «l’union
toujours plus étroite de ses peuples». Du même coup, dans un
monde en doute, c’est le devenir
du modèle occidental qui en bénéficierait. Si tel était le cas, ultime paradoxe, le Brexit pourrait
devenir une chance ! •
Auteur de «Une histoire du RoyaumeUni de 1900 à nos jours», Perrin, 2014.
Les immigrés au cœur
de l’innovation
américaine
Ils sont surreprésentés dans le secteur des
sciences et des technologies, apportant de
nombreux brevets au pays. Un effet d’aubaine
qui bénéficie à toute l’économie.
«L’
afflux de travailleurs étrangers
maintient les salaires bas et le chômage élevé», affirme le site de campagne de
Donald Trump, candidat républicain à l’élection présidentielle américaine. Pour aider les
travailleurs américains, Donald
Trump propose de rendre plus
difficile pour les entreprises le
recrutement des travailleurs
étrangers avec les visas H-1B.
Ces visas sont utilisés principalement pour attirer des travailleurs hautement qualifiés
dans le domaine des sciences et
des technologies.
Lorsqu’il était petit, Pierre
Omydiar a émigré avec ses parents vers les Etats-Unis afin
que son père puisse travailler
comme médecin à la prestigieuse université Johns Hopkins. Français d’origine iranienne, Pierre Omydiar a fondé
eBay aux Etats-Unis en 1995.
Ainsi, l’une des plus grandes
entreprises Internet américaines a été créée par un immigré
français !
Et Pierre Omydiar est loin d’être
le seul. Les immigrés aux EtatsUnis sont surreprésentés dans
le domaine des sciences et de la
technologie. Un quart des
membres de l’Académie des
sciences américaine sont des
immigrants (Stephan et Levin,
2001). Ils représentent aussi un
quart des scientifiques ayant
contribué à fonder les start-up
de biotechnologie qui ont été
introduites en Bourse. Un quart
des brevets américains sont déposés par des immigrés (1).
Les Etats américains qui ont
reçu le plus de diplômés étrangers depuis 1940 ont vu une
nette augmentation de leur
nombre de brevets (Hunt et
Gauthier-Loiselle, 2010). Le
visa H-1B, critiqué par Trump,
est lui-même un facteur important de cette innovation. Ainsi,
lorsque leur nombre augmente,
celui de brevets déposés par les
travailleurs étrangers suit (2).
Mais l’afflux de tous ces travailleurs extérieurs aurait-il des
effets négatifs sur les salariés
américains ? Trump aurait-il
raison ? Les études scientifiques menées sur le sujet montrent que l’afflux de travailleurs
étrangers hautement qualifiés
stimule également le dépôt de
brevets par des Américains. Ils
génèrent un corpus scientifique que les Américains peuvent
aussi utiliser, et les collaborations renforcent cet effet positif.
Les études ont également montré que ces visas avaient particulièrement bénéficié à des
villes ayant déjà des communautés d’origine étrangère importantes, les immigrés ayant
tendance à rejoindre d’anciens
compatriotes. Et on observe
que la courbe des salaires et
celle du nombre de visas attribués sont liées, la proportion de
travailleurs étrangers dans les
sciences et technologies augmente considérablement les salaires des Américains diplômés
ou non (3).
Etant donné que l’innovation
joue un rôle majeur dans la
croissance économique, l’afflux
d’immigrants par le visa H-1B
stimule la croissance américaine à long terme.
Encore une fois, Trump se
trompe. Pour être fidèle à son
slogan, «Make America great
again» (rendre sa grandeur à
l’Amérique), il devrait, au contraire, encourager l’immigration via les visas H-1B. •
Cette chronique est assurée en alternance par Anne-Laure Delatte, Ioana
Marinescu, Bruno Amable et PierreYves Geoffard.
(1) Hunt et Gauthier-Loiselle, 2010 :
http://ftp.iza.org/dp3921.pdf
(2) Kerr et Lincoln, 2010,
http://www.hbs.edu/faculty/Publication
%20Files/09-005.pdf
(3) Peri, Shih et Sparber, 2014,
http://www.nber.org/papers/w20093
22 u
Libération Mardi 28 Juin 2016
IDÉES/
Toute la rigueur républicaine
contre l’islam radical
Refuser
la stratégie
de la peur et de
l’intimidation,
défendre le droit
de critiquer les
dogmes religieux,
mettre en échec
les guerres
juridiques visant
à bâillonner
la libre parole,
c’est ce que
réaffirme
le comité
de soutien
à l’essayiste
Djemila
Benhabib.
P
ierre angulaire de notre démocratie, la liberté d’expression et son corollaire, la liberté de critiquer, sont
sérieusement remises en cause au
nom d’une vision falsifiée
de la lutte contre le racisme, qui
assimile la critique de l’islam à
une forme de racisme, en la qualifiant d’«islamophobie». Ce positionnement idéologique, qui relève de l’escroquerie sémantique,
concourt à imposer l’idée que la
liberté d’expression serait subordonnée aux diktats des religions
en général et de l’islam en particulier.
A plusieurs reprises ces dernières
années, les démocraties ont rappelé que la liberté d’expression
était un droit inaliénable. Pourtant, aujourd’hui nombre de penseurs, d’intellectuels, d’écrivains,
de journalistes et de militant(e)s
féministes et laïques font l’objet
de graves persécutions, voire de
menaces de mort en raison de leur
Les informés
de France Info
Une émission
de Jean-Mathieu Pernin,
du lundi au vendredi,
de 20h à 21h
Chaque mardi avec
détermination à user de ce droit.
Cette tendance prend une orientation dramatique s’agissant du
monde dit musulman où la séparation des pouvoirs politiques, religieux et judiciaires est un enjeu
fondamental qui oppose, à l’heure
actuelle, des démocrates aux islamistes et aux régimes autoritaires
ou dictatoriaux.
C’est le 14 février 1989, avec la publication du roman de Salman
Rushdie les Versets sataniques,
que l’opposition frontale à la liberté d’expression prend une
tournure des plus terrifiantes en
se transposant sur la scène européenne. L’ayatollah Khomeiny appelle tous les musulmans à tuer le
romancier anglo-indien accusé de
blasphème. Désormais, la stratégie des islamistes consiste à éliminer par tous les moyens leurs opposants. C’est dans ce contexte
qu’il faut situer la condamnation
à mort de Taslima Nasreen (1993),
l’assassinat de Theo van Gogh
(2004), les tentatives visant le caricaturiste danois Kurt Westergaard (2005), ainsi que la tuerie à
Charlie Hebdo le 7 janvier 2015.
La légitimité de la mise à mort des
esprits libres est clairement revendiquée par l’islam politique.
Leur élimination est programmée
et se joue sur plusieurs niveaux.
Le terrain juridique en est un et il
n’est pas des moindres. Des poursuites judiciaires sont désormais
intentées contre des militants laïques et féministes sous de faux
prétextes. Cette nouvelle stratégie
qui s’apparente à une «guerre juridique», s’est visiblement mise en
place, afin de museler quiconque
use de sa liberté de parole pour
critiquer l’islam radical et tester la
résistance des «cibles» et des institutions. En France, le procès des
caricatures de Charlie Hebdo en a
préfiguré le terrifiant engrenage.
Le procès contre la crèche Baby
Loup a suivi, avec ses interminables rebondissements judiciaires
dont la directrice, Natalia Baleato,
est sortie victorieuse, mais au prix
d’un long combat.
Au Québec, Djemila Benhabib,
journaliste et essayiste bien connue pour son combat contre l’islam politique en est déjà à son
deuxième procès. En 2012, elle est
poursuivie par une mère musulmane qui lui reproche d’avoir publié sur son blog les photos de ses
deux enfants prises lors d’un concours de récitation coranique organisé à la mosquée al-Rawdah,
un fief des Frères musulmans. Or,
ces mêmes photos étaient déjà publiées sur le site de ladite mosquée. Djemila Benhabib a gagné
ce procès sans réel objet, mais on
peut imaginer ce que cela représente de pression morale et financière. Le 26 septembre prochain
s’ouvrira à Montréal, un autre procès qui l’oppose, cette fois-ci, à
une école islamique pourtant financée par le ministère de l’Education et qui fait du port du voile
islamique une obligation à partir
de la troisième année (c’est-à-dire
pour des fillettes de 9 ans). Au
Royaume-Uni, la militante féministe Maryam Namazie, qui mène
une lutte acharnée contre les tribunaux de la charia est confrontée à des lobbies organisés
au sein des campus universitaires
qui viennent perturber violemment ses conférences. Cet insup-
portable harcèlement consiste
toujours à faire passer des militants(e)s laïques pour des racistes.
Ne nous trompons pas sur les véritables motivations des auteurs de
ces attaques d’un type nouveau.
D’abord, il s’agit de faire régner la
peur pour empêcher toute expression critique envers l’islam ou
contre la façon dévoyée dont certains veulent l’imposer à d’autres.
Ensuite, il s’agit de mettre une
pression démesurée sur les personnes visées, pour les épuiser
psychologiquement et financièrement, les ostraciser et les éliminer
du débat public. Bref, les décourager de continuer à s’exprimer publiquement. C’est pourquoi nous
réaffirmons avec force que les démocrates du monde entier refusent la stratégie de la peur et de
l’intimidation. Il ne saurait être
question de renoncer à la liberté
d’expression, pas plus qu’à l’universalité des droits humains et à
ceux des femmes en particulier,
qui ne doivent souffrir aucune
contestation ni restriction au nom
de préceptes religieux ou de prétextes culturels. A nous de rassembler nos forces pour nous
donner les moyens d’agir collectivement. C’est le premier objectif
du comité de soutien qui vient de
se constituer. •
http://djemilabenhabib.com/
je-soutiens-djemila
PREMIÈRES ASSOCIATIONS SIGNATAIRES :
Association pour la mixité, l’égalité et la laïcité (Amel), Assemblée des
femmes, Clara Magazine, Conseil national des associations familiales
laïques (Cnafal), Coordination française pour le lobby européen des
femmes (Clef), Comité Laïcité République, Egalité – Laïcité – Europe
(Egale), Femmes pour le dire, Femmes pour agir, Femmes sans voile
d’Aubervilliers, Femmes solidaires, Institut d’éthique contemporaine,
Laïcité – Libertés, Libres MarianneS, Ligue du droit international des
femmes, Marche mondiale des femmes – France, Ni putes ni soumises,
Observatoire de la laïcité de Saint-Denis, Regards de femmes, Réseau
féministe «Ruptures», Union des familles laïques (Ufal).
PREMIERS SIGNATAIRES INDIVIDUELS :
Waleed al-Husseini Blogueur, auteur, Elisabeth Badinter Philosophe,
écrivaine, Gérard Biard Directeur de Charlie Hebdo, Danielle Bousquet
Députée honoraire, Marika Bret DRH de Charlie Hebdo, Sérénade Chafik
Militante féministe, Chahla Chafiq Sociologue, écrivaine, Nadia el-Fani
Cinéaste, Caroline Fourest Journaliste, auteure, Pierre Gauthier Député
au Parlement de Genève, Jean Glavany Ancien ministre, député ,des Hautes-Pyrénées, Shoukria Haidar Présidente de Negar – Soutien aux femmes
d’Afghanistan, Marieme Helie Lucas Sociologue, fondatrice de Secularism is a Women’s Issue, Catherine Kintzler Philosophe, professeure
émérite Lille-III, Françoise Laborde Sénatrice de Haute-Garonne,
Guy Lengagne Ancien ministre, Corinne Lepage Ancienne ministre,
présidente de CAP 21, Joseph Macé-Scaron Président du comité éditorial
de Marianne, Laurence Marchand-Taillade Présidente de l’Observatoire
de la laïcité du Val-d’Oise, Maryam Namazié Porte-parole de One Law
for All, membre du Council of ex-muslims, Magali Orsini Députée
au Parlement de Genève, Céline Pina Essayiste et militante laïque,
Hubert Reeves Astrophysicien, auteur, Yvette Roudy Ancienne ministre,
Boualem Sansal Ecrivain, Fatoumata Fathy Sidibé Eurodéputée,
Mohammed Sifaoui Journaliste, Lisa-Marie Taylor Présidente de
Feminism in London, Viviane Teitelbaum Eurodéputée, échevine,
Fiammetta Venner Politologue, essayiste.
Libération Mardi 28 Juin 2016
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
RÉ/JOUISSANCES
Par
LUC LE VAILLANT
Comme un avion
sans kérosène
Solar
Impulse 2
redonne
confiance en
une humanité
réinventant
le nomadisme
sur une
planète, pas
forcément
vouée à sa
perte verte.
Au plus haut des cieux cérémonieux,
au cœur de ce vide sidéral où ne niche
aucune divinité, plane un avion silencieux qui en dit long sur le génie humain de cette espèce, la nôtre, qu’on
finissait par croire suicidaire.
Solar Impulse 2 est cet aéronef solaire
qui ne consomme rien, va très loin et
perce les gros nuages emplis de découragement quand la notion de progrès semble si souvent battre de l’aile.
Il vole sans carburant et son bilan carbone parfait est surtout un message
adressé aux dévoreurs d’énergie qui
peuvent enfin songer à se convertir à
la sobriété sans pour autant abandonner tout espoir de mobilité.
L’ÉTERNEL RETOUR. Engagé dans
un tour du monde censé faire la démonstration par l’exemple d’une philosophie de l’éternel retour, celle du
renouvelable et du recyclable, Solar
Impulse 2 a gagné un combat symbolique. Il vient de traverser l’Atlantique,
entre l’Amérique et l’Europe, sur le
parcours originel des pionniers de
l’aviation qui est aussi la hotline du
vieux monde développé.
Aux commandes, le psychiatre suisse
Bertrand Piccard a mis 71 heures pour
effectuer la liaison entre les deux continents. En 1927, Charles Lindbergh,
lui, avait mis 33 heures mais avec le
cockpit empli à ras bord de kérosène
de rechange pour son moteur pétroleur. Gamin, Piccard avait assisté aux
côtés du vétéran Lindbergh, au lancement d’une capsule Apollo depuis
Cap Canaveral. Voici leurs solitudes
de pionniers accolés dans des exploits
jumeaux aux significations inversées.
L’ANTI-CONCORDE. Antithèse du
Concorde à double bang des années 70, Solar Impulse 2 se déplace à
bas bruit et à bas coût. Le supersonique avait des allures de héron cabré,
dopé à l’agressivité des Trente Glorieuses. Le flâneur des temps décroissants ne dépasse pas le cent à l’heure.
C’est un chameau autarcique qui
bronze ses batteries de survie en nudiste stellaire.
Il est intéressant de noter que le projet
ensoleillé a débuté le jour du dernier
vol du bel oiseau de fer gaulliste.
Comme il serait intéressant que cette
libellule pataude qui a la même envergure qu’un Airbus mais pèse 250 fois
moins fasse un «touch and go» à Notre-Dame-des-Landes pour raconter
comment les équipements en béton
armé paraîtront datés et pèseront le
poids de leur inutilité à mesure que
les «monte-en-l’air» vont se disperser
en bulles de savon.
L’AUTONOMIE SOUS CLOCHE. Les
crispations identitaires actuelles font
croire que chacun va camper sur son
pré carré, sourcils froncés et fourche
brandie en étendard. Et que bientôt le
Royaume-Uni, peuple vogueur s’il en
fut, ne sera plus qu’un archipel d’îlots
barbelés, qu’un camp retranché de
fortins hérissés. La proposition Piccard annonce plutôt une constellation
d’étoiles filantes qui se déplaceront
lentement au fil du temps, se laissant
porter par les jet-streams au lieu de
s’opposer au flux dominant. Comme
les aérostiers, il faudra jeter du lest
pour changer d’altitude et trouver des
contre-courants. Ou, en surfeur, utiliser l’énergie de la vague pour la chevaucher et se contenter de l’enjoliver
de sa signature d’écume. Il sera inutile
de résister, de se braquer, de se fâcher.
Il faudra composer. On pourra juste
biaiser tout en se laissant porter, à
moins de disparaître à la vue dans le
tube de la déferlante. Solar Impulse 2
annonce sans doute la fin d’Icare, le
brûleur d’ailes, de Prométhée, le cambrioleur de feu et de Vulcain, le forgeron de la dureté. On va vers un monde
La terre est
labourée par les
crampons de l’Euro
et piétinée par
les manifestants
tournant en rond
comme des chevaux
dans l’enclos
préfectoral.
Heureusement
que, tout là haut, ça
respire un autre air
et que ça rêve gazeux
et sans gazoline.
de nomadisme perpétuel et ralenti.
Comme dans le Cinquième Elément,
le film de Luc Besson, on verra se croiser des avions sans carburant, des voitures sans chauffeurs, des navettes
fluviales, mais aussi des nacelles flottantes ou des couffins azotés pour bébés bulles, sans compter les licornes
et les chimères.
LA GUERRE ÉLÉMENTAIRE. La navigation de Solar Impulse 2 remet
L'ŒIL DE WILLEM
u 23
aussi à jour une évolution des rapports de force entre les quatre éléments qui n’aurait pas déplu à Henri
Bergson. En France, ces temps-ci, l’air
se raréfie et semble un peu le parent
pauvre du quatuor. Les kalachs de la
terreur religieuse crachent le feu
comme la fée électricité allume en
permanence, nuits comprises, les cités habitées. Les réfugiés pataugent
dans l’eau salée comme les rivières
montent à cru. La terre est labourée
par les crampons de l’Euro et piétinée
par les manifestants tournant en rond
comme des chevaux dans l’enclos préfectoral.
Heureusement que, tout là-haut, ça
respire un autre air et que ça rêve gazeux et sans gazoline. Il est d’ailleurs
symptomatique qu’au moment où l’on
réussit à voler réservoir vide, on
puisse aussi marcher sur l’eau, sans se
prendre pour un Christ aux pieds percés mais en suivant les routes maritimes imaginées par l’artiste Christo et
peintes en jaune dahlia. •
Document
Jun 2016
- 28
15:13:46
Mardi
Juin 2016
24 u: LIB_16_06_28_PA.pdf;Date : 27.Libération
Formation
[email protected] 01 41 04 97 68
ESEC-ÉCOLE SUPÉRIEURE
D’ÉTUDES
CINÉMATOGRAPHIQUES
PARIS
Enseignement supérieur libre
Quelques places encore disponibles pour un accès
direct cycle 2 en Scenario, Montage SFX,
Production et Documentaire
Formations professionnelles (niveau II / Licence-Maîtrise)
www.esec.edu
eDITIon
Formation
au métier de correcteur
Octobre 2016
Par des professionnels
de la presse et de l’édition :
O J.-P. Colignon, Le Monde,
O A. Valade, Le Robert,
O B. Vandenbroucque, Belfond.
Orthotypographie.
Difficultés de la langue
française. Ponctuation.
Réécriture.
www.centreec.com
01 45 81 12 08
"DÉMÉNAGEMENT
URGENT"
MICHEL TRANSPORT
Devis gratuit.
Prix très intéressant.
Tel. 01.47.99.00.20
micheltransport@
wanadoo.fr
lIVres - reVUes
LIBRAIRE ACHETE:
Livres modernes, anciens
pléiades, bibliothèques,
service de presse, CD.
Me contacter :
06.40.15.33.23.
VOUS
Offre intégrale
Répertoire
[email protected] 01 40 50 51 66
DÉmÉnageUrs
ABONNEZ
anTIQUITÉs
33€
8IZUWQ[(1)[WQ\XT][LMLM
ZuL]K\QWVXIZZIXXWZ\I]XZQ`
LM^MV\MMVSQW[Y]M
Achète
tableaux
anciens
7ЄZMoL]ZuMTQJZM[IV[MVOIOMUMV\
ABONNEZ-VOUS À LIBÉRATION
XIXe et Moderne
avant 1960
Tous sujets, école de Barbizon,
orientaliste, vue de venise,
marine, chasse, peintures de
genre, peintres français &
étrangers (russe, grec,
américains...), ancien atelier
de peintre décédé, bronzes...
Estimation gratuite
EXPERT MEMBRE DE LA CECOA
²LuKW]XMZM\ZMV^WaMZ[W][MV^MTWXXMIЄZIVKPQMo4QJuZI\QWV
[MZ^QKMIJWVVMUMV\Z]MLM+Pp\MI]L]V!8IZQ[7ЄZMZu[MZ^uMI]`XIZ\QK]TQMZ[
Oui
AUTLIB16
, je m’abonne à l’offre intégrale Libération. Mon abonnement
intégral comprend la livraison chaque jour de Libération et chaque samedi de Libération
week-end par portage(1) + l’accès aux services numériques payants de liberation.fr
et au journal complet sur iPhone et iPad.
Nom
Prénom
Rue
N°
[email protected]
NOUVEAU
Votre
journal
06 07 03 23 16
Code postal
Ville
Numéro de téléphone
Entre-nous
entrenous-libe@
teamedia.fr
01 40 10 51 66
messages
personnels
@
E-mail
(obligatoire pour accéder aux services numériques de liberation.fr et à votre espace personnel sur liberation.fr)
Règlement par carte bancaire. Je serai prélevé de 33€ par mois (au lieu de 50,80€, prix au
numéro). Je ne m’engage sur aucune durée, je peux stopper mon service à tout moment.
Carte bancaire N°
Expire le
J’inscris mon cryptogramme
mois
est habilité pour toutes
vos annonces légales
sur les départements
75 - 91 - 92 - 93 - 94
Renseignements commerciaux
de 9h00 à 18h00 au 01 40 10 51 51
ou par email : [email protected]
année
(les 3 derniers chiffres au dos de votre carte bancaire)
Signature obligatoire :
Règlement par chèque. Je paie en une seule fois par chèque de 391€ pour un an
d’abonnement (au lieu de 659,70€, prix au numéro).
Soutenez mes vingt et
une propositions pour
le XXIe siècle
http://www.fourcade2017.com
Vous pouvez aussi vous abonner très simplement sur : www.liberation.fr/abonnement/
(1) Cette offre est valable jusqu’au 31/12/2016 en France métropolitaine. La livraison du quotidien est assurée par porteur avant 7h30 dans plus de
500 villes, les autres communes sont livrées par voie postale. Les informations recueillies sont destinées au service de votre abonnement et, le cas
échéant, à certaines publications partenaires. Si vous ne souhaitez pas recevoir de propositions de ces publications cochez cette case.
Libération Mardi 28 Juin 2016
SCREENSHOTS
a la tele ce soir
TF1
FRANCE 4
NT1
20h55. La chance de ma vie.
Comédie. Avec : FrançoisXavier Demaison, Virginie
Efira. 22h45. Esprits
criminels. Série.
20h55. Télé Gaucho.
Comédie. Avec : Franc
Bruneau, Emmanuelle Béart.
22h45. Les petits princes.
20h55. La Momie. Aventures.
Avec : Brendan Fraser, Rachel
Weisz. 23h15. Le roi
scorpion 3 : Combat pour la
rédemption. Téléfilm.
FRANCE 2
20h50. Les routes de l’impossible. Documentaire. Madagascar - À l’assaut de l’île
rouge. Panama : business dans
la jungle. 22h35. C dans l’air.
20h50. Une chance sur deux.
Comédie. Avec : Jean-Paul
Belmondo, Alain Delon.
22h50. Jacquou le croquant.
PARIS PREMIÈRE
HD1
20h45. La carapate. Comédie.
Avec : Pierre Richard, Victor
Lanoux. 22h35. Amélie au
pays des Bodin’s. Film.
20h50. Section
de recherches. Série. Rescapé.
Mauvaise rencontre.
Le substitut. 23h35. Section
de recherches. Série.
FRANCE 5
20h55. Du vent dans les
branches de Sassafras.
Spectacle. Avec : François
Berléand, Anne Benoît.
22h50. Retour aux sources.
Documentaire.
FRANCE 3
20h55. Brokenwood. Téléfilm.
La pêche du jour. Pour l’amour
du golf. 23h55. Grand Soir 3.
0h25. Les spécialistes. Film.
CANAL +
20h55. La très grosse
émission. Divertissement.
Invité : Christian Clavier.
22h40. Les profs 2. Comédie.
Avec : Kev Adams, Isabelle
Nanty.
TMC
M6
21h00. À l’état sauvage.
Magazine. Michaël Youn dans
les pas de Mike Horn. 23h15.
À l’état sauvage. Magazine.
Retour sur l’aventure avec
Michaël Youn.
20h55. Les experts : Miami.
Série. L’arrache-cœur. L’espion
qui les aimait. L’autre alternative. 23h35. Créance de sang.
CHÉRIE 25
20h55. Jeux d’enfants. Comédie dramatique. Avec : Guillaume Canet, Marion Cotillard.
22h45. Big. Film.
NRJ12
NUMÉRO 23
20h55. Hold up à l’italienne.
Téléfilm. Avec : Astrid Veillon,
Bruno Wolkowitch. 22h45.
Dossiers criminels.
D8
LCP
21h00. La folle histoire de
Camping. Divertissement.
22h50. Le grand bêtisier
de l’été. Divertissement.
20h30. Train-avion, éternels
rivaux. Documentaire. 21h30.
Débat. 22h00. On va plus loin.
Magazine.
On retrouve les résidus de la perturbation
de la veille entre la Gironde et la Lorraine,
avec quelques pluies éparses. Temps sec et
éclaircies en remontant plus au nord.
L’APRÈS-MIDI Au nord, nuages et éclaircies
jouent l'alternance tandis qu'au sud le soleil
s'impose. À noter un risque d'averses des
régions centrales au nord-est, de même
qu'un risque orageux dans les Pyrénées.
MERCREDI 29
Grisaille fréquente sur les trois quarts du
pays, avec quelques gouttes de la Gironde
aux Ardennes, voire quelques pluies déjà
au pied des Pyrénées.
L’APRÈS-MIDI Le temps devient instable des
Pyrénées au Massif central et dans les
Alpes, ce qui favorise le développement
d'orages. Quelques averses sont possibles
de l'Aquitaine à la Lorraine.
0,3 m/15º
Lille
0,3 m/15º
Caen
Paris
Strasbourg
Brest
Paris
Dijon
1 m/16º
1 m/16º
Lyon
Lyon
0,6 m/19º
Nice
Montpellier
Toulouse
Marseille
Nice
Montpellier
Marseille
Cogérants
Laurent Joffrin
Marc Laufer
Directeur général
Richard Karacian
Directeur
de la publication
et de la rédaction
Laurent Joffrin
Directeur en charge
des Editions
Johan Hufnagel
Directeurs adjoints
de la rédaction
Stéphanie Aubert
David Carzon
Alexandra Schwartzbrod
BOKO HARAM ce soir sur Arte à 22 h 55
Rédacteurs en chef
Christophe Boulard
(technique),
Sabrina Champenois,
Guillaume Launay (web).
◗ SUDOKU 3079 MOYEN
Directeur artistique
Nicolas Valoteau
4 7 5
9
Rédacteurs en chef
adjoints
Michel Becquembois
(édition), Grégoire Biseau
(France), Lionel Charrier
(photo), Cécile Daumas
(idées), Matthieu Ecoiffier
(web), Jean-Christophe
Féraud (futurs), Elisabeth
Franck-Dumas (culture),
Didier Péron (culture),
Sibylle Vincendon et
Fabrice Drouzy (spéciaux).
1/5°
6/10°
11/15°
0,6 m/18º
16/20°
21/25°
26/30°
31/35°
36/40°
3
6
Éclaircies
Peu agitée
Nuageux
Calme
Fort
Pluie
Modéré
Couvert
Orage
Pluie/neige
3
6
6
Faible
15
FRANCE
Lille
Caen
Brest
Nantes
Paris
Nice
Strasbourg
MIN
MAX
12
11
11
13
14
22
15
20
20
17
21
23
27
24
FRANCE
Dijon
Lyon
Bordeaux
Ajaccio
Toulouse
Montpellier
Marseille
MIN
MAX
13
12
15
19
13
16
15
25
29
26
28
28
32
29
MONDE
MIN
MAX
Alger
Bruxelles
Jérusalem
Londres
Berlin
Madrid
New York
22
9
22
13
16
22
18
25
18
31
20
22
35
29
3 1
4 9
5
4
1 3
7 1
Membre de OJD-Diffusion
Contrôle. CPPAP: 1120 C
80064. ISSN 0335-1793.
La responsabilité du
journal ne saurait être
engagée en cas de nonrestitution de documents.
Pour joindre un journaliste
par mail : initiale du
pré[email protected]
1
8 4 9
SUDOKU 3078 DIFFICILE
6
5
7
2
8
4
1
3
5
8
6
9
4
1
2
3
7
7
1
8
3
9
4
5
2
6
7
9
1
3
2
6
4
5
8
2
3
4
1
5
6
8
7
9
2
3
4
8
5
7
9
6
1
4
9
2
8
1
5
6
3
7
4
5
7
2
9
3
8
1
6
6
5
3
9
4
7
1
8
2
9
1
3
4
6
8
5
7
2
8
7
1
2
6
3
9
4
5
6
2
8
7
1
5
3
4
9
5
8
7
4
3
9
2
6
1
8
4
5
1
7
9
6
2
3
3
2
6
5
8
1
7
9
4
1
6
9
5
3
2
7
8
4
1
4
9
6
7
2
3
5
8
3
7
2
6
8
4
1
9
5
Solutions des
grilles d’hier
ON S’EN GRILLE UNE?
1
2
3
4
II
III
IV
V
VI
VIII
IX
X
XI
5
6 3
9
I
2
3
9
Grille n°332
Neige
5
7
2
9
8 9
8 9
8
1 7
8
6 7
5
SUDOKU 3078 MOYEN
IMPRESSION
Midi Print (Gallargues)
POP (La Courneuve)
Nancy Print (Jarville)
CILA (Nantes)
6
5 8
2
1
Directeur administratif
et financier
Grégoire de Vaissière
Directrice Marketing
et Développement
Valérie Bruschini
Service commercial
[email protected]
Imprimé en France
Soleil
◗ SUDOKU 3079 DIFFICILE
2
VII
1 m/18º
-10/0°
Agitée
Après son incroyable film sur les combattants kurdes
dans les montagnes du Sinjar qui lui a valu plusieurs
prix, Xavier Muntz propose un documentaire tout aussi
passionnant – attention aux images parfois très dures –
sur la naissance de Boko Haram. Pour cela, il est
retourné là où tout a commencé, dans la ville de
Maiduguri dans l’Etat du Borno au Nigeria, où
Mohamed Yusuf, fondateur du mouvement, est passé de
prêcheur à succès à martyr de la cause jihadiste. Nous
sommes au début des années 2000 et ce partisan de la
charia rassemble de plus en plus de monde dans sa
mosquée, y compris des jeunes en demande de justice
sociale et de moins de corruption. Le documentaire
montre comment le rapport de force avec le pouvoir en
place a viré à l’affrontement sanglant, jusqu’à ce que
Mohamed Yusuf soit arrêté et abattu «sur ordre du
gouvernement». Depuis, les membres de Boko Haram se
sont fondus dans la nature pour mener à bien leur
politique de terreur. Le film rappelle combien les
interventions de l’armée ont été aussi sanglantes que les
exactions de ceux qu’elle était censée combattre. Et que
même si Boko Haram est en recul, on est très loin de
toute idée de réconciliation. DAVID CARZON
Principal actionnaire
Altice Média Group
France
Petites annonces. Carnet
Team Media
25, avenue Michelet
93405 Saint-Ouen cedex
tél.: 01 40 10 53 04
[email protected]
Bordeaux
Bordeaux
Toulouse
Dijon
Nantes
Edité par la SARL
Libération
SARL au capital
de 15 560 250 €.
23, rue de Châteaudun
75009 Paris
RCS Paris: 382.028.199
PUBLICITÉ
Libération Medias
23, rue de Châteaudun,
75009 Paris tél.: 01 44 78 30 67
Orléans
Nantes
0,6 m/19º
Strasbourg
Brest
Orléans
Aux racines du mal
www.liberation.fr
23, rue de Châteaudun
75009 Paris
tél.: 01 42 76 17 89
ABONNEMENTS
abonnements.liberation.fr
[email protected]
tarif abonnement 1 an
France métropolitaine: 391€
tél.: 01 55 56 71 40
Lille
0,3 m/15º
Caen
IP
20h55. Les sentinelles de l’air.
Science-fiction. Avec : Ben
Kingsley, Bill Paxton. 22h25.
Le saint. Film.
20h55. Pluie d’enfer. Catastrophe. Avec : Morgan Freeman, Christian Slater. 22h45.
Les démineurs. Téléfilm.
MARDI 28
IP 04 91 27 01 16
6 TER
W9
20h55. La Turquie face à la
terreur. Documentaire.
21h50. Génération djihad.
Documentaire.
0,3 m/15º
D17
20h55. La vie est belle.
Comédie dramatique. Avec :
Roberto Benigni, Giustino Durano. 23h10. Allan quatermain
et la pierre des ancêtres (1/2).
ARTE
u 25
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
5
6
7
8
9
Par GAËTAN
GORON
HORIZONTALEMENT
I. Elles sont blanches comme
neige II. Premiers repas ;
Prises en compte III. Corpsà-corps ; Un grand GrandBreton IV. Il est bienvenu
chez le nourrisson, malvenu
chez l’adulte ; Evaluée du
bout des doigts V. Sans
couverture ; Macron y est
né, Verne y est mort VI. Vous
n’avez pas intérêt à ce
qu’elles vous prêtent de
l’argent VII. Poumon
industriel de l’Allemagne ;
Il veille sur l’image des
médias VIII. Possessif ; Il
fut mis en place sous Vichy
IX. Les possesseurs de carte
X. Qui vient d’arriver ; Elle ne
roule plus XI. Du mollet
VERTICALEMENT
1. Expulsion brutale 2. Qui a perdu le nord 3. Pelote de bas en haut ;
Barbes d’arbres 4. Service à recommencer ; Un carré de 10√2 mètres de
diagonale 5. Palais avec deux chambres spacieuses 6. Chez le docteur ;
Les voyelles de la souffrance ; Fit un pari 7. Relatif aux excréments
8. On les appelle aussi maigres ou grogneurs ; Il salue Marie 9. Qui font
blanchir les cheveux
Solutions de la grille d’hier
Horizontalement I. SOMMELIER. II. UNIONISTE. III. PURITAIN.
IV. ESA. DAM. V. RISOTTO. VI. ME. HEURES. VII. ANS. MIELS.
VIII. ABEL. AI. IX. CON. NÉGRO. X. HUANT. IGN. XI. ETATS-UNIS.
Verticalement 1. SUPERMARCHÉ. 2. ONUSIEN. OUT. 3. MIRAS. SANAA.
4. MOI. OH. NT. 5. ENTÊTEMENTS. 6. LIA. TUILE. 7. ISIDORE. GIN.
8. ETNA. ÉLARGI. 9. RÉ. MISSIONS.
26 u
Dantec
Libération Mardi 28 Juin 2016
La dernière
apocalypse
Libération Mardi 28 Juin 2016
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
u 27
SF Auteur à succès de cyberpolars
vénéneux et de romans philosophiques
dérangeants, phénomène littéraire des
années 90 au culte assombri par un flirt
avec l’extrême droite, ce provocateur
halluciné est mort samedi à 57 ans.
d’une utopie politique, il fallait que je me trouve
un endroit où vivre qui me convienne davantage
sur le plan d’une projection vers l’avenir. En Euétait l’année 2000. Le festival de Saint- rope, je ne vois plus d’avenir.»
Malo, Etonnants Voyageurs, célébrait Mais longtemps, Maurice Dantec vécut à Ivryles utopies et avait invité Maurice sur-Seine, une banlieue rouge où s’étaient instalG. Dantec qui traînait une aura et une dégaine lés ses parents, militants communistes, qui fude rock star, look brun vénéneux, lunettes noires, rent exclus du PCF en 1968. Du climat ambiant
clope et voix crépusculaire. En trois titres inclas- d’Ivry, il décrit un «bastion des Jeunesses commusables, dont les fans débattaient pour se disputer nistes, où la liberté d’expression des autres était
les check-points de frontières entre polar et SF, vraiment réduite, surtout celle des autres memil était devenu culte. «Un Ovni», disait-on de lui, bres de l’extrême gauche, les groupuscules trotset pour se raccrocher aux branches, on rajoutait kistes, maoïstes, etc». Au lycée Romain-Rolland,
que le lecteur déboussolé pourrait toujours ten- il rencontre Jean-Bernard Pouy, alors animateur
ter de chercher dans ses romans les images ras- culturel avant de devenir auteur de polars lui
surantes de Dashiell Hammett, William S. Bur- aussi, et qui lui fait découvrir J.G. Ballard, Philip
roughs, Kant ou Chuck Berry. «Il fait feu de tout K. Dick, Norman Spinrad, William Burroughs, les
bois. Il s’y brûlera peut-être les doigts», prophéti- situationnistes. Déjà, Dantec lit beaucoup, énorsait Etonnants Voyageurs en 2000. En attendant, mément. En parallèle, avec des amis du lycée, il
Maurice Dantec n’apparaissait pas. Très en retard cultive une passion pour la musique, se frotte au
au rendez-vous. L’imprévisible auteur avait, sem- punk, aux groupes un peu «durs», «provocs»,
ble-t-il, décidé de bouder le train
style Stooges, MC5… Ils fondent Arpour venir en voiture solo. Une va- DISPARITION tefact en 1977. Mais ça ne décollera
gue histoire d’horaire qui ne convejamais vraiment, après quelques
nait pas, voire une histoire de stress presque mi- concerts et un album. Bien plus tard, il y reviensanthropique. Ce n’était pas très clair. Arrive dra, comme membre du groupe Schizotrope avec
enfin l’olibrius sur zone, tout sourire, la sil- le père de la musique électronique française et
houette mince, la boule à zéro. Chaleureuse- ami du philosophe Gilles Deleuze, Richard
ment, il propose de partager son «tarpé».
Pinhas, et l’auteur de SF Norman Spinrad. Une
En revanche, pas question de parler de Babylon dizaine d’années de tournée, jusqu’en 2007.
Babies, son dernier roman logorrhéique, halluciné et science-fictif indubitablement. Mais plu- Serial-killer paranoïaque. Au début des antôt de ce qui lui tient à cœur en cette mi-an- nées 90, il végète : petits boulots dans la pub,
née 2000 : l’incroyable trésor que représente marketing téléphonique, société de communicaInternet, et pas pour la richesse touristique du tion multimédia. Il fait un séjour dans l’ex-Yousurf, mais pour la société elle-même qui s’y mi- goslavie en guerre, épisode sans éclairage direct,
roite, en particulier les extrémismes que Dantec dont on peut lire la trace dans ses premiers ropistait la nuit. Avec un pointillisme délirant. Pa- mans. «A l’époque, relatait-il à Libération en 1999,
rano ou obsessionnel, le romancier avait laissé la je me suis fait avoiner à la fois par les gauchos et
place au chroniqueur acerbe, échauffé et érudit les petits fafs.» La Sirène rouge, publiée en 1992,
du Théâtre des opérations, se la flambant dans la le lance d’un coup. Rapidement suit un autre très
blanche de Gallimard. Dantec avait 41 ans, la rage gros roman à la Série noire, les Racines du mal qui
au cœur, parvenu sur une crête, et déjà incons- met en scène un serial-killer paranoïaque, Anciemment au bord de la bascule, prêt à déjouer dreas Schlatzmann, persuadé que les nazis et les
tous les pronostics qui avait été mis sur sa tête. aliens de la planète Vega ont envahi le monde. A
Rétrospectivement, il dira : «Cela a commencé la fin du livre, Dantec adjoint la bibliographie qui
avec le premier Théâtre des opérations quand j’ai lui a servi pour concevoir son roman et on y
eu la prétention de sortir de la case cyberpolar. trouve pêle-mêle Mahomet, Nietzsche, BaudeQuelle erreur, je n’avais pas mon diplôme pour laire, les Sex Pistols, Vaneigem, Deleuze… Sa propenser! Surtout que je ne pense pas comme cer- duction vient de ce qu’il avale et synthétise. «C’est
tains s’y attendent. Et ça n’est pas d’aujourd’hui.» un esprit en réseau, disait de son ami l’auteur de
Samedi, l’iconoclaste «incompris» est mort chez polars Yannick Bourg, à Libé en 1999. Il charrie
lui, à Montréal, d’une crise cardiaque à 57 ans.
une connaissance encyclopédique, dynamite les
frontières entre les disciplines et les genres.» De
«Utopie politique». Depuis trente ans, de- fait, c’est le cas avec Babylon Babies qui renoue
puis 1997, Dantec vivait outre-Atlantique. C’est avec son héros de la Sirène rouge, Hugo Cornelius
en 1995 qu’il avait découvert le Québec, en allant Toorop, mercenaire qui doit escorter de la Russie
à un salon du livre avec Patrick Raynal, l’éditeur à New York une mystérieuse jeune fille, dans un
de son premier roman, la Sirène rouge (1992), qui monde par ailleurs ravagé par les guerres civiles
rompait avec la veine sociale du polar français. et le chaos climatique. D’ailleurs adapté au ci«Je m’y suis tout de suite senti chez moi. C’est néma par Mathieu Kassovitz sous le titre Babyl’idée de Castaneda, qui dit qu’un seul endroit sur lon A.D., avec Vin Diesel et Mélanie Thierry.
la planète est fait pour toi et que le plus dur est de Mais on voit déjà que Babylon Babies, stupéfiant,
le trouver», racontait-il. A son départ, il donnait est en même temps quelque part monstrueux.
une explication politique aux Inrocks en 1999 : Beaucoup de lecteurs charmés jusque-là lâche«L’Europe m’ayant complètement et définitive- ront la rampe, parfois après Villa Vortex paru
ment dégoûté d’elle-même, je suis à la recherche en 2003. Dans ces années-là,
Suite page 28
Par
FRÉDÉRIQUE ROUSSEL
C’
En 2005 à Montréal (en haut et à gauche). PHOTOS P. GAILLARDIN. PICTURETANK
CULTURE/
28 u
Libération Mardi 28 Juin 2016
Un quintal
K
l’esprit marqué par
le 11 Septembre, Maurice Dantec devient de plus
en plus tenté par le complotisme. «A l’époque, il
croyait à la théorie du complot et à Roswell, se
rappelle l’universitaire Pierre Lagrange. Il me
traitait de méchant rationaliste. En même temps,
il annonçait une redistribution des cartes : avant,
c’était les crétins qui croyaient aux extraterrestres. Aujourd’hui, il y a des conseillers comme
John Podesta à la Maison Blanche qui croient à
Roswell.» Dantec devient aussi de plus en plus
sulfureux avec des prises de position parfois extrêmes. Début 2004, il envoie des mails au groupuscule d’extrême droite Bloc identitaire, pour
dire son accord au combat «contre la dissociation
de la France et l’islamisation de l’Europe». Il dit
non lors du référendum sur la constitution européenne, défend le rétablissement de la peine de
mort au Canada. Son roman Cosmos Incorporated (2005) voit les vieilles démocraties en déclin
incapables de résister au prosélytisme islamiste.
Suite de la page 27
Chez Ardisson, en 2004, il tente de se dédouaner:
«Je voulais y présenter des excuses aux populations immigrées qui auraient pu se sentir insultées
par certaines présentations mensongères de mes
positions. Car je n’ai rien contre les musulmans
“en général” et je suis fondamentalement contre
tous les racismes. Sans exception. Mais évidemment, ça, ils l’ont coupé au montage.»
Néoréac oui, raciste non, souligne Jérôme
Schmidt son ami et dernier éditeur, qui l’a accueilli après de sombres procès dans le milieu.
«Il était néoréac quand ce n’était pas la mode,
quand il fallait être de gauche, il était de droite,
quand il fallait être de droite, il n’était plus là…
Il avait toujours un temps d’avance ou un temps
de retard.» Son dernier roman, les Résidents (Inculte, 2014), raconte un long road trip de trois
personnages qui veulent se venger de leur destin.
Son prochain portait sur l’histoire de l’Amérique
moderne à partir de l’invention du colt. Son titre:
A l’ouest du crépuscule… •
A Paris, en 2005,
l’année
de publication
de Cosmos
Incorporated sur
le prosélytisme
islamiste. PHOTO
JÉRÔME BRÉZILLON.
TENDANCE FLOUE
oshimuru se tient au centre du ring.
Autour d’elle, la colonne grillagée s’élève
comme un drôle de tube arachnéen à la
rencontre du sommet du dôme Fuji.
Soûlée par les clameurs, elle titube un
peu. Ça crépite de tous les côtés, le
staccato de l’arme préférée des Japonais, l’autofocus
Nikon ou Minolta. Les éclairs blanc-bleu des flashs et
la lumière rousse de la vapeur de sodium qui tombe
des rampes se polarisent dans les nappes de fumée,
lourdes volutes dérivant derrière le grillage tubulaire
qui sépare le ring des spectateurs.
Ça hurle de partout dans la fumée et la lumière.
Un tonnerre d’artillerie humaine. Ça cogne sur les
planchers, les sièges, les cannettes de Coca, tout ce
qui peut être frappé, les mains, les revues de wrestling
roulées en tube, le voisin parfois. Ça pulse sous les
pieds. C’est bon.
Derrière le grillage pointent les museaux noirs et
brillants des caméras de la NHK. Koshimuru sourit à
un des objectifs et son rictus provoque une petite
coulée de sang, là où son incisive a explosé tout à
l’heure… De quoi ravir son manager, le petit docteur
Asaki, qui a fait d’elle la «Cannibale de Chiba».
En face d’elle, à quelques mètres, Toroyama, son adversaire, est plaquée contre le quadrillage d’acier, où
elle tente de reprendre son souffle. Le «sharpshooter»
que vient de lui expédier Koshimuru en plein plexus a
été porté avec tout le poids du corps. Au moment où le
contact a eu lieu, ça a produit un drôle de craquement.
Koshimuru fait un petit geste provocateur à destination de sa rivale. Elle va gagner. Elle va le regagner, ce
foutu titre asiatique. Les dieux shintô qu’elle a priés
pendant des mois, à qui elle a multiplié les offrandes
sur le Fuji-Yama, les petits rouleaux de papier, les
fleurs coupées, les bols de riz parfumé au jasmin,
oui, les dieux des samouraïs et des mercenaires
ninjas, les dieux des shoguns sont de son côté ce soir,
ça ne fait aucun doute.
Toroyama suffoque, ses yeux sont vitreux, son visage
est en sang, ses lèvres bleues, sa pommette droite n’est
plus qu’un morceau de chair violacée, comme un fruit
pourri sur le point de tomber de l’arbre. Elle est déjà
vaincue, prête à l’inéluctable. Koshimuru prend une
profonde inspiration. La seconde d’après, elle heurte
de tout son poids le sternum de son adversaire, qui
s’écrase lourdement contre le grillage. Koshimuru rebondit devant elle et le «jab-manchette» qu’elle assène
est en fait un classique de la boxe thaïe, avec le coude
replié, en pleine mâchoire. Non homologué mais fatal.
Elle enchaîne aussitôt par un bon coup à deux mains
dans les reins. Han! Toroyama s’effondre comme un
gros sac et Koshimuru n’entend plus que la vague qui
hurle son nom dans l’espace bétonné du dôme.
Elle observe la grosse masse boudinée dans sa
combinaison violette qui se tortille sur le plancher.
Koshimuru est déjà en action. Ses 97 kilos se soulèvent
du sol, comme une bombe étonnamment silencieuse
et légère, puis retombent dans un bruit mat sur la
forme allongée. Ça craque encore plus fort que tout à
l’heure. La forme s’est cambrée violemment, comme
sous l’effet d’un électrochoc. Le cri de Toroyama s’est
presque perdu dans le vacarme qui emplit le dôme
Fuji, mais son visage, stupéfait par la fulgurance de la
douleur, est répété une dizaine de fois dans la grappe
d’écrans géants qui ceinture la colonne de grillage à
son sommet.
Koshimuru lève les bras vers la nuée électrique,
elle sent le rayonnement pénétrer en elle. Elle en est
une extension biologique, elle est une image déjà
copiée à des milliers d’exemplaires dans les unités de
flashage de l’Asahi Shimbun. Elle est le point focal de
toutes les caméras de la NHK, elle est la «Cannibale de
Chiba» et personne ne peut l’arrêter.
Mais Koshimuru veut une victoire totale. Toroyama est
celle qui lui a ravi le titre l’année dernière. Koshimuru
en avait été pour plusieurs déplacements de vertèbres,
Libération Mardi 28 Juin 2016
u 29
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
de viande en colère
En février 1995,
dans le cadre
d’une carte
blanche donnée
à des écrivains
sur le thème
du sport,
Maurice G. Dantec
avait écrit ce texte
inédit pour
«Libération»,
entre les cordes
d’un ring japonais.
des côtes enfoncées et surtout une bonne hémorragie
interne, au niveau des ovaires. Elle a mis des mois
pour s’en remettre (mais elle restera stérile à vie),
des mois de difficile rééducation, tout entière tendue
vers cet unique objectif: regagner le titre, la ceinture
de cuir et d’or que lui a prise cette grosse truie de
Toroyama, la «Tigresse mandchoue».
Les LED géantes de l’horloge digitale annoncent que le
dernier round touche à sa fin. Dans moins d’une
minute, le gong électrique résonnera et le dôme
explosera sous le fracas de ces milliers de gosiers qui
hurleront son nom, encore plus fort que maintenant.
Maintenant, Koshimuru est accrochée au grillage,
à trois mètres de hauteur. Elle vient de l’escalader et,
précautionneusement, de se retourner, dos au réseau
de métal. Ses talons sont enfoncés entre deux
entretoises d’acier, ses mains s’agrippent solidement,
au niveau de ses oreilles. Cent kilos de muscles, mais
agile comme un singe.
Juste en dessous d’elle, Toroyama esquisse un vague
mouvement, qui s’éteint aussitôt. Mais où qu’elle aille,
elle ne pourra échapper à Koshimuru, à son quintal de
viande en colère, et bien sûr elle le sait. Et Koshimuru
sait qu’elle le sait. Ses yeux brillent de cette connaissance intime.
Elle goûte le silence électrique qui baigne l’hémisphère
de béton. A ses pieds, les gueules miroitantes des caméras sont toutes dressées dans sa direction, sauf une,
qui suit la reptation pathétique de Toroyama. Le réalisateur doit se régaler et les écrans géants doivent passer de l’une à l’autre image, dans un kaléidoscope brutal, entièrement dédié au mouvement, à la souffrance
et à la mort, comme dans ces mangas qui illustrent
parfois les combats qu’elles se livrent, Eternity-Zillion,
Tsunami, Battle Angel Alita (dans un numéro datant
de son âge d’or, Koshimuru avait une fois affronté
Battle Angel Alita, dans le rôle d’une «super-vilaine»
anthropophage et dotée de pouvoirs diaboliques). Dès
demain, d’ailleurs, la plupart d’entre eux
mettront en scène son exploit, elle redeviendra l’héroïne bishonen de l’année, romantique et meurtrière, la guerrière aux combats
gagnés en un éclair, celle qui dévore ses adversaires, la «Cannibale de Chiba», rendue
presque élégante par sa passion sanguinaire
et son costume rouge fluo.
Mais pour l’heure, Koshimuru est à trois mètres au-dessus de sa victoire. En bas, le visage
de Toroyama exprime une forme aiguë de résignation, celle des petits mammifères coincés par le prédateur. Accrochée au grillage,
Koshimuru savoure l’instant. Les images de
sa longue rééducation défilent rapidement
dans sa mémoire et le souvenir de sa souffrance, lorsque Toroyama l’avait achevée par
cet écrasement vicieux. La Toroyama, elle va
s’en souvenir longtemps à son tour, de la douleur…
Son saut s’effectue dans un silence de vol à voile. Parfaitement exécuté, les deux jambes bien tendues en V,
à l’horizontale. Il semble durer une éternité pour tous
les spectateurs du dôme, et sans doute pour les millions rivés à leur écran. Et pour Koshimuru, qui voit le
disque brillant du ring grossir comme un lac régulier à
la rencontre de l’avion en piqué. Au centre du lac, l’île
violette grossit encore plus vite.
Ça explose, comme si elle était la bombe qui vient de
percuter le sol. Un soleil de sensations irradie de
partout. Le bruit mat du choc, la percussion plus
sourde et profonde du ring qui résonne sous l’impact,
la vague humaine qui prend son essor tout autour
d’elle, le hurlement de souffrance et de désespoir de
Toroyama, celui du commentateur, le carillon électrique du gong, perdu dans le vacarme, puis le hard rock
sauvage de la publicité Fuji qui recouvre tout.
Mais surtout il y a la douleur, qui irradie d’elle, de l’intérieur. Du bas-ventre. Elle est apparue dès l’instant du
choc, mais elle gonfle, s’amplifie, au rythme des infor-
mations brutes que tente de décoder son cerveau.
Pourquoi est-ce qu’elle a si mal, soudainement, au
bas-ventre, là où les docteurs ont dû l’ouvrir pour
interrompre l’hémorragie l’année dernière ?
Pourquoi se met-elle à cracher du sang ? Et pourquoi
tremble-t-elle de tous ses membres alors
qu’il fait une chaleur à crever, ici ?
«Eventration», affiche en continu un ordinateur planqué au fond de sa mémoire. Elle
tourne la tête vers l’emplacement de son manager, le docteur Asaki, et esquisse un geste
dans sa direction. Le docteur discute vivement avec plein de types, mais le nuage noir
et les aiguilles de lumière envahissent tout.
Lorsqu’il disparaît, les aiguilles de lumière
sont toujours là. Il y a un drôle de bruit
périodique derrière elle, comme un bip de
téléphone. Il y a des sortes de tubes un peu
partout, comme des serpentins de verre qui
dépassent du creux de son coude et de son
nez. Il y a le visage du docteur Asaki qui flue
et reflue à ses côtés. Il y a son propre bras qui fait un
mouvement en direction du docteur, sa main qui
attrape le tissu bon marché du costume coréen.
Et il y a sa voix, qui résonne étrangement à ses oreilles.
Il faut qu’elle se répète pour que le docteur saisisse ce
qu’elle ânonne et pour qu’elle le comprenne vraiment,
elle aussi, et avec stupeur. Le docteur Akassi hoche
doucement la tête, émettant un sourire triste.
J’ai gagné ? demande-t-elle inlassablement, j’ai
gagné ? •
Dès demain,
elle redeviendra la
guerrière aux combats
gagnés en un éclair, la
«Cannibale de Chiba»,
rendue presque
élégante par sa passion
sanguinaire et son
costume rouge fluo.
BIENNALE DE CRÉATION
DE MOBILIER URBAIN
DE LA DÉFENSE
Ses 97 kilos se
soulèvent du sol,
comme une bombe
étonnamment
silencieuse et légère,
puis retombent dans
un bruit mat sur la
forme allongée.
Ça craque encore plus
fort que tout à l’heure.
3E ÉDITION
JUIN 2016
— JUIN 2017
design graphique
VILLAGE
GL BAL
duofluo
5 PROJETS À DÉCOUVRIR
ET À TESTER
À PARTIR DU 28 JUIN 2016
Un événement organisé par Defacto
Direction artistique : Valérie Thomas / Jean-Christophe Choblet
Production déléguée : le troisième pôle
Signalétique : Malte Martin
@LADEFENSEFR
WWW.LADEFENSE.FR
30 u
Libération Mardi 28 Juin 2016
SUR LIBÉRATION.FR
Du genre classique L’actualité choisie de
la grande musique traitée en de petites formes :
retour sur un match de foot-concert à la Philharmonie, une livraison massive d’enregistrements
de Brahms décortiquée, mais aussi paroles de
cinéastes évoquant les mises en scène d’opéra,
l’Opéraoké du Champ-de-Mars dans un
documentaire, et un quiz-agenda serviciel.
CULTURE/
MUSIQUES
POP
Metronomy
repasse à
l’art d’été
Avec «Summer 08»,
le groupe se teinte de
nostalgie en revenant
au Londres cool
de ses débuts, dont
l’excitation n’est
plus qu’un lointain
et morne souvenir.
Par
AGNÈS GAYRAUD
«L
a musique pop est faite
pour les adolescents.
Tant qu’il y a des adolescents aux premiers rangs de mes
concerts, je suis content», déclarait
récemment Joseph Mount, photographié pour l’occasion, pour le
magazine Crack, visage figé et vêtements de sport sous couleurs acidulées légèrement poisseuses évoquant les néons de boîtes de nuit
balnéaires où la musique de Metronomy se danse maintenant depuis
huit ans. Huit ans que Nights Out a
lancé la carrière de cet homme qui
joue de tout en studio et s’accompagne sur scène d’un groupe.
Draps soyeux. Summer 08 évoque, de l’aveu de son créateur, cette
année 2008 où tout a changé, où les
lubies confidentielles d’un musicien en chambre sont devenues les
hymnes de hordes de festivaliers
décuplées au fil du temps. Trois albums plus tard, il referme la boucle
sur le souvenir de ce basculement,
et réveille un Joseph Mount antérieur, dans la fraîcheur de sa vingtaine. C’était le Londres de la fin des
années 2000, la quête du cool, la
Retrouvez sur Libé.fr
notre entretien avec Joseph
Mount, tête pensante de
Metronomy, où, outre son
nouvel album, il est beaucoup
question de retour aux sources
et de nostalgie. En plein
dans l’actualité, donc.
conquête du bluff, la petite moisissure germée sur les sentiments de
celui à qui tout réussit trop vite, les
occasions manquées, malgré ou à
cause du succès.
Sur Back Together, deux voix narquoises d’étudiants en Grad School
casent un rendez-vous dans leurs
agendas respectifs, bien remplis (ou
supposés tel), mais quelque chose
sonne faux dans leur jeu de séduction: «On devrait revenir en arrière
toi et moi», chante un chœur impérieux, ouvrant la vanne des sentiments à l’époque inavouables, tandis que le synthé remonte –comme
une machine à remonter le temps–
les demi-tons de la gamme. Sur
Miami Logic, qui emporte telle une
décapotable vers des nuits floridiennes, tout est obstacle, le moindre élan, le moindre geste, devient
«la chose la plus difficile qu’on puisse
imaginer». Il ne reste rien que l’excitation du départ, de cette ligne de
basse irrésistible qui pourtant ne
conduit pas à un véritable refrain.
Le souvenir apporte quelque ivresse
(«my sweet sixteen beat»), celle d’un
avenir projeté tout seul depuis sa
chambre en pensant à un être désiré
(«got loving on the mind»), jusqu’à la
rebondissante Hang Me Out to Dry
dotée de la voix sucrée de la chanteuse Robyn.
Mais comme dans le vidéoclip accompagnant Old Skool, où les protagonistes ne croient plus vraiment à
leur propre orgie, sous le regard perplexe d’un enfant, une lame de froideur s’est glissée entre les draps
soyeux de ces rêves nostalgiques.
Plongée dans cette mélancolie presque morbide, la basse sous-marine
de Mick Slow insinue sa dose de désespoir au cœur du disque. «I know
You» scande une voix solitaire qui
rappelle celle, déchirante, de Black
Francis dans Hey des Pixies. Sur
un son de Moog flûté, tapi sous
une rythmique impeccable,
My House commente l’incommunicabilité éternelle.
La chouette nocturne Night Owl enjoint quand même à célébrer l’instant, mais elle est bien mûre et
autoparodique comme le lettrage
Joseph Mount, 33 ans, et idole des adolescents depuis Nights Out (2008). PHOTO ANDREW WHITTON
psychédélique de la pochette qui,
depuis leur disque précédent,
Love Letters (2014), a viré à l’orange
perlé de gouttelettes érotico-kitsch
sur un fond sombre.
Moelleux désespoir. En fin
de compte, détaché de l’affectation
rétro sixties de Love Letters, Sum-
mer 08 est un disque grave et dansant comme sa basse, dominante.
A l’écouter se clore sur ce lent Summer Jam, il a des airs de bande-son
pour suicide de magnat californien
un soir d’été dans sa piscine. Dans
ce moelleux désespoir assez distancié pour continuer à être dansant,
il n’y a rien d’étonnant à ce que des
adolescents puissent trouver leur
compte. Mais une chose est sûre,
les teenagers qui se presseront aux
premiers rangs des prochains concerts de Metronomy sont déjà des
nostalgiques. •
METRONOMY
SUMMER 08 (Because)
Libération Mardi 28 Juin 2016
u 31
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
Phare West On entend déjà soupirer le bon peuple
mélomane qui n’en peut plus des jérémiades mégalomaniaco-marketing de Kanye West. Et pourtant : le
rappeur frappe de nouveau un grand coup au cœur
de l’Internet mondial en divulguant le clip de Famous via la plateforme sur abonnement Tidal. Une
vidéo directement inspirée d’une toile du plasticien
Vincent Desiderio, qui allonge ensemble dans un lit,
à poil – et sans leur autorisation, il va sans dire –, tous
CLIP
ceux qui furent mêlés de près ou de loin à des polémiques le concernant : sa femme, Kim Kardashian,
l’ex-partenaire de sextape de celle-ci Ray J, Anna
Wintour, Taylor Swift, George W. Bush, Bill Cosby…
et Donald Trump. Avis pourtant aux curieux qui
espéreraient y trouver quelque chose d’une grande
orgie postmoderne et scandaleuse, tout le monde
s’y tient dans une raideur tout à fait cadavérique
pendant les dix minutes que dure l’affaire. PHOTO DR
ÉLECTRONIQUE
Avec Paula Temple, le genre se lève
La Canadienne,
installée à Berlin
et en tournée
cet été en France,
milite pour une
techno politisée
et féministe.
A
u cœur d’une messe
nocturne comme en
donne souvent Paula
Temple, dans une église canadienne plutôt que dans un
club cette nuit-là, une violente alarme s’est mêlée à de
la techno orageuse, à laquelle
le public a répondu par une
joyeuse clameur. Il a fallu
plusieurs minutes à chacun
pour admettre que l’alerte incendie causée par les machines à fumée ne faisait pas
partie du live et songer à évacuer le dancefloor. L’événement, rapporté par le magazine Now Toronto, peut faire
office d’indicateur du volume de décibels que Paula
Temple expédie pendant ses
services.
Le 4 mai, quelques semaines
avant l’incident canadien,
elle était à Nuits sonores à
Lyon, incendiant les tympans
d’une foule juvénile massée
devant son sobre autel entouré de spots aveuglants.
«Ma musique semble résonner
avec notre époque, particulièrement en France où les gens
qui m’écoutent sont de plus en
plus nombreux. Chaque fois
que je joue, qu’importe la
ville, ils sont incroyablement
réceptifs, je n’ai jamais vu cet
extrême ailleurs, ils ont faim
de cette connexion, s’étonnait
alors la productrice britannique, basée à Berlin. C’est intéressant que la techno soit si
populaire maintenant, mais
je ne pense pas que ce soit une
coïncidence, car nous sommes
à une époque dure, spécialement pour les jeunes qui n’ont
pas de perspectives de travail
et vivent un quotidien stressant. Tous ces changements
à grande échelle, le capitalisme et son nouveau visage, le
conservatisme, en tout cas en
Grande-Bretagne, nous entraînent contre notre gré : la
techno semble être un antidote à tout ça.»
«Sombre». Dans la fiole de
l’antipoison se percutent des
trouvailles bruitistes arrangées avec une intensité théâtrale. Organiques quand ils
semblent se faire le scanner
sonique de nos entrailles
ou symphonie de machines
qui nous survivraient et écriraient la bande-son d’un bigbang qui n’a pas encore eu
lieu. «La techno doit vous
frapper physiquement et
mentalement. Je me laisse
profondément aspirer par des
problèmes énormes qui sont
hors de mon contrôle et me
font me sentir faible, c’est
pourquoi ma musique est si
Paula Temple : «La musique que je fais est apocalyptique.» PHOTO KAREN VANDENBERGHE
puissante émotionnellement.
Parfois, la musique que je fais
est apocalyptique, ce que j’ai
joué à Nuits sonores était très
sombre, proche de la fin.
J’imagine qu’on est dans le
dernier endroit sur terre où
l’on peut se réunir et danser et
que ce lieu ne peut pas être
touché, comme une ultime
liberté.»
Son titre Ful, paru sur l’EP
Deathvox en 2014, emprunte
son nom à un collectif d’artistes suédois, féministe et
queer, à l’origine d’un opéra
proclamé antinationaliste et
pro-immigrants. Leur engagement a inspiré à Paula
Temple un morceau dont la
dramaturgie clouerait le bec
aux tontons pour qui rien
n’est musique hors de
l’opéra. Longtemps DJ, Paula
Temple était revenue en
force en 2013 à sa carrière artistique après s’être éloignée
des clubs, entre autres pour
dispenser des formations
Ableton. Un logiciel de production musicale, dont des
chiffres sortis il y a une poignée d’années affirmaient
que seulement 7 % des utilisateurs étaient des femmes.
«Mixte». «La technologie a
été genrée, pourtant beaucoup de femmes codaient
dans les années 90, et ça a eu
un énorme impact sur
l’electro. Etant professeur, je
vois cependant que, même
physiquement, les femmes
sont poussées sur le côté dans
la dynamique d’un groupe
mixte, et c’est valable dans
d’autres domaines. On doit
donc continuer d’encourager
les femmes et les trans et en
étant conscients de ça», explique celle qui a par ailleurs
lancé le label Noise Manifesto, où elle veille à ce que
50% des artistes représentés
soient femmes ou trans.
Elle s’apprête à y sortir le
deuxième numéro du projet
collectif Decon/Recon, où
chaque contribution est ano-
nymisée. Elle n’hésite pas à
redonner du contexte à cette
démarche: «La techno vient
de Detroit, à l’origine elle était
noire, politique, éducative
mais aussi très masculine.
Avec ce type de cadre et de
considérations, on se rend
compte qu’initialement elle
n’était pas pour tout le monde.
Depuis que je suis revenue
dans la scène techno, je constate qu’elle est toujours plutôt
blanche en Europe, mais elle
a changé de façon significative, car ceux qui la font sont
prêts à parler et donner du
contexte au son.»
«C’est là que cette musique redevient plus que seulement
hédoniste et échappatoire,
poursuit-elle. C’est aussi une
chance de se réunir: je suis invitée à beaucoup de fêtes
techno hétéro, d’autres queer
ou féministes. Je me rends
compte que ce sont des communautés qui existent. Les
organisateurs ont le pouvoir,
à l’intérieur des soirées qu’ils
organisent, de créer un
monde différent. Même si ce
n’est que pour une nuit.»
CHARLINE
LECARPENTIER
PAULA TEMPLE
En concert au festival
Astropolis à Brest le
1er juillet et au festival
Electro Alternativ à
Toulouse et Tournefeuille
les 8 et 10 septembre.
JAZZ
Randy Weston, nona génial
Le vétéran et légende de
la musique afro-américaine,
de passage à Jazz à Vienne,
continue de puiser
son inspiration
du Sénégal à l’Egypte.
L
es derniers géants : l’expression
est un grand classique de l’histoire
du jazz. Elle colle parfaitement
à Randy Weston, un petit 2 mètres sous la
toise, 90 ans depuis le 6 avril. De la Harlem
Renaissance où le New-Yorkais grandit
à The African Rhythm Club, le club qu’il
fonda à Tanger en 1967, de ses multiples
tournées en Afrique dès l’orée des sixties
au triple album en hommage à ses illustres
pairs – Ellington et Monk, en tête – trente
ans plus tard, le pianiste n’a cessé de
creuser, de ses longs doigts, le fertile sillon
qui unit l’Afrique à l’autre Amérique.
Blues to Senegal, Roots of the Nile,
Congolese Children Song, Timbuktu, Zulu,
Uhuru Afrika, le répertoire qu’il a
composé porte les traces de l’esprit des
ancêtres, une thématique récurrente chez
celui qui fonda l’African American Society,
association visant à «revendiquer
la culture afro-américaine mais aussi
les concepts d’émancipation en Afrique»,
qui rendit visite en son shrine au Nigérian
Fela. Pas de doute, le «nouveau talent»
pour la revue de référence DownBeat
en 1955 a très vite trouvé dans la mémoire
de l’Afrique matière à s’inventer un futur
outre-Atlantique. Notamment avec les
Gnaouas marocains, confrérie de musiciens guérisseurs avec lesquels il conversera régulièrement, en toute spiritualité.
A l’heure de fêter cet immense instrumentiste, à sa main tout autant quand il s’agit
de caresser le clavier ou de percuter
les 98 touches d’ivoire et de noire, Jazz à
Vienne convie ainsi son African Rhythms
Quintet. On y retrouve quelques fidèles de
longue date, dont le sous-estimé saxophoniste Billy Harper, un jeunot de 73 ans avec
lequel il signa récemment un quintessentiel The Roots of the Blues. «Il a un son puissant qui vient directement d’Afrique, un cri
si déchirant qu’on y entend votre âme»,
résume Randy Weston. Et pour que la fête
soit à la hauteur de ce talent, trois musiciens ont été conviés : le Malien Cheick
Tidiane Seck, pianiste pivot de la scène
afro-parisienne, le Sénégalais Ablaye
Cissoko qui n’aime rien tant que dialoguer
avec les jazzmen, et le oudiste égyptien
Mohamed Abozekry, lui aussi curieux
des blue notes… Somme toute, un casting
raccord pour saluer l’histoire de ce phare
qu’est Randy Weston.
JACQUES DENIS
RANDY WESTON
En concert au festival Jazz à Vienne,
le 4 juillet .
Libération Mardi 28 Juin 2016
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
Monsieur Catalexit
Carles Puigdemont Séparatiste, le président
de la Catalogne espère que le nouveau pouvoir
espagnol permettra l’indépendance.
I
l est arrivé en retard, bien en retard, alors il s’excuse à plates coutures. Carles Puigdemont (prononcez : Karlas
Poutchdémont) est un homme poli et policé, épris de bonnes manières, d’une naturelle courtoisie. Il ne faut pas lui en
vouloir: en cette fin d’après-midi, le président de la Catalogne
se trouve «coincé» dans l’hémicycle du Parlament, le parlement régional. Le combat dont il est le protagoniste n’a rien
de très réjouissant. Les députés de son camp tentent de ficeler
le délicat budget annuel et doivent pour cela négocier le moindre chiffre avec leurs alliés contre-nature de la CUP, une coalition anticapitaliste et antisystème. On lui pardonnera donc,
et de bon cœur. D’autant que cet homme qui ressemble
comme deux gouttes d’eau au sélectionneur allemand, Joaquim Löw, cinquantaine fringante et chevelue (bien plus poivre que sel), énergie contagieuse et un quelque chose de juvénile dans le regard, semble de prime abord s’excuser d’exercer
la fonction suprême de son «pays». Précisons que pour les nationalistes catalans, une bonne moitié des 7 millions d’habitants – a fortiori les séparatistes comme lui –, la notion de
«pays» est aussi émotionnelle qu’indiscutable. Le monologue
est le suivant : «Je suis d’essence catalane et de circonstance
espagnole. Autrement dit, j’appartiens, bien malgré moi, à un
“Etat” que je n’ai pas choisi.» Carles Puigdemont semble s’excuser, oui, il est par nature timide, modeste. Il a beau arborer
d’élégantes lunettes et un impeccable veston noir sur chemise
blanche, c’est comme si l’habit de «président de la Generalitat»
(l’exécutif catalan, à Barcelone) était trop grand pour
lui. «En tout cas, il faut s’y faire et apprendre. C’est
un grand honneur.»
Il ne s’y attendait pas. En janvier, le «normal» Puigdemont, maire de Gérone, est catapulté à la présidence de la
Catalogne. On a pensé à lui pour remplacer le sulfureux Artur
Mas, calife régional depuis 2010 qui ne faisait pas l’unanimité
dans les rangs de la coalition indépendantiste au pouvoir. Casier judiciaire vierge, sympathique, dialoguant: il a tout pour
plaire. Le voici donc intronisé, et le paradoxe n’est que plus
flagrant. Il n’a rien du «Moïse catalan» aux harangues messianiques qu’était Mas. Et pourtant, Puigdemont est entré en
fonction avec un mandat clair: obtenir enfin l’indépendance
de cette région pas comme les autres, où depuis un bon millénaire les velléités n’ont jamais manqué de se tailler un destin
propre. «129 présidents de la Generalitat m’ont précédé au
cours de notre histoire. Mais je suis le premier choisi pour
conduire mon pays vers la liberté». Il prononce une phrase,
pas une sentence. Pas étonnant. Si Mas s’est converti au séparatisme par calcul politique, Puigdemont est tombé lui dans
la marmite depuis tout petit. Antifranquiste dès l’âge de
12 ans, ce fils et petit-fils de pâtissiers rêva vite de divorce avec
l’Espagne. Ado, dans son village d’Amer près de la très catalanophone Gérone, son oncle Josep l’emmène à des meetings
sécessionnistes. «Je ne ressens pas de haine contre l’Etat espagnol, mais un immense amour pour ma patrie. Dans les couples
en conflit, la séparation est souvent la meilleure solution.»
«Puigdi», comme l’appellent ses proches, est un vrai de vrai,
acquis à la cause. Après avoir voulu décoller dans l’espace (il se
voyait astronaute) et dans les sons (longtemps bassiste amateur), il adhère à sa terre. Linguiste militant, il décroche un
diplôme en langue catalane, monte une association culturelle,
prend racine à Gérone.
Cette idéologie sentimentale qui arrive aujourd’hui à défier
Madrid, Carles Puigdemont y a largement contribué. Depuis 2006, lorsqu’il devient député de Convergència, une formation de centre droit qui ne cessera de se radicaliser contre
le «diktat espagnol», il a connu toutes les étapes de cette dynamique centrifuge qui terrifie une majorité d’Espagnols. Luimême psalmodie les étapes de cette Passion. D’abord le refus
du Tribunal constitutionnel,
en 2010, d’accorder une nouvelle autonomie à la Catalon 29 décembre 1962
gne. Ensuite, les marches
Naissance à Amer,
monstrueuses de la Diada,
en Catalogne.
fête régionale annuelle dans
n 1999 Fonde
les rues de Barcelone, del’Agència catalana
puis 2012. Et puis le référende noticies (ACN),
dum illégal de l’automne
sorte d’AFP régional.
2014, reflétant un désir majon 2004 Directeur
ritaire de rupture (même si la
général de Catalonia
participation fut basse). Sans
Today. n 2011 Maire
oublier le défi sécessionniste
de Gérone.
de l’Association des municin 9 janvier 2016
palités catalanes, dont il a été
Président
élu président l’an dernier. Et
de la Catalogne.
encore, en septembre 2015, le
scrutin régional donnant une courte victoire à la coalition séparatiste. «En 2012, nous avions 14 députés pour la rupture.
Aujourd’hui, 72. Il faudrait peut-être nous prendre au sérieux!»
Arithmétiquement, son parti serait idéal pour construire une
coalition au niveau national après les élections législatives
de dimanche. Mais, politiquement, pour les autres, c’est un
casse-tête.
Après le leave britannique, un Catalexit ? «Le Brexit est la
preuve qu’on peut parfaitement prendre en Europe des décisions souveraines», réagit-il. «Les voyages soignent le nationalisme», dit-on souvent à Madrid pour moquer le «virus» sécessionniste. La maxime ne s’applique pas à lui. Puigdemont a
parcouru maints pays pour rédiger un livre sur «les nations
sans Etat». Il a cheminé en curieux viscéral, dans toutes les
aires du journalisme, de simple reporter à rédacteur en chef
du journal catalan El Punt. A bourlingué comme entrepreneur
médiatique, créateur de l’Agència catalana de noticies (une
agence de presse), puis à la tête de Catalonia Today (journal
pour anglophones). Il a voyagé en Roumanie, pays d’origine
de sa compagne, Marcela Topor, journaliste de télé de quinze
ans sa cadette qui s’exprime dans un très bon catalan. Il l’a
rencontrée à Gérone lors d’un festival de théâtre. Ils ont deux
filles, Magali et Maria, 8 et 6 ans. Il accepte, pour faire plaisir
à cette croyante fervente, d’observer les Pâques et le Noël orthodoxes. Fan de nouvelles technologies, twitto incontinent,
Puigdemont dit voir loin. Dans son entourage, on aime le définir comme un «visionnaire efficace». Il le sait, la séparation d’avec l’Espagne est un projet fou. De Juncker à Merkel, les grands d’Europe ferment leurs
portes à ce trublion centrifuge. Lui persiste et signe.
Pragmatique: «Avant d’organiser un référendum, il faut consolider une majorité sociale favorable à la rupture.» Courageux
(peut-être): «S’il le faut, j’y laisserai ma peau. Je ne suis en politique que pour cela.» Inconscient (sûrement): «Si je dois choisir
entre l’obéissance à une décision du Tribunal constitutionnel
espagnol, corrompu et espagnoliste, ou à la volonté du peuple
catalan, je n’hésiterai pas une seconde». Quitte, lui demandet-on, à risquer le cachot? «Oui, monsieur.» En catalan, Puigdemont signifie «cime de la montagne». •
Par FRANÇOIS MUSSEAU
Photo HECTOR MEDIAVILLA