la conception de l`homme et du monde dans la

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la conception de l`homme et du monde dans la
LA CONCEPTION DE L’HOMME ET DU MONDE
DANS LA PENSEE DE MAITRE XUN
Thibault Isabel
Xun Kuang, qu’on appela souvent de son vivant • Ministre Xun ‚ (• Xun Qing ‚), ou
encore un peu plus tard • Maƒtre Xun ‚ (• Xun Zi ‚), naquit probablement en 310 av. J.C.,
dans le royaume de Zhao, en Chine, et serait mort „ l’or…e de ses cent ans, en 210. Les seules
indications qui nous restent sur sa vie, en dehors de la courte biographie qui lui fut consacr…e
par Sima Qian dans son Shi Ji, € l’‚poque des Han ant‚rieurs, sont tir‚es de son œuvre ellem„me, qui porte son nom : le Xunzi. Cet ouvrage est en fait une collection d’essais
philosophiques, politiques et strat‚giques, destin‚s € la formation des futurs administrateurs
des sept Royaumes et remplis d’indications sur la bonne mani…re de se conduire, de mener
une arm‚e, de diriger une c‚r‚monie ou de rendre la justice. Ils constituent certainement la
premi…re ‚laboration en langue chinoise d’un syst…me de pens‚e coh‚rent pr‚sent‚ sur un
mode rigoureusement discursif, et non plus sur celui de l’aphorisme ; de ce point de vue, ces
textes s’apparentent ind‚niablement, quant € leur forme, aux grandes œuvres intellectuelles de
la pens‚e occidentale – € ceci pr…s qu’ils abondent en m‚taphores fleuries et en passages
versifi‚s, tout € fait ‚trangers aux styles plus rugueux et aust…res de Platon ou d’Aristote.
Les essais du Xunzi furent rassembl‚s sous forme de recueil apr…s la mort du ma‡tre
par un ‚rudit, Liu Xiang, aux alentours de 26 av. J.C.. Ce dernier, dit-on, ‚cuma pendant vingt
ans les biblioth…ques imp‚riales et put retrouver 322 manuscrits attribu‚s € Xun, trac‚s sur des
rouleaux de bambou ou des parchemins de soi. Nombre de ces ‚preuves n’‚taient en fait que
des copies des m„mes textes et, apr…s avoir ‚limin‚ les doubles, il resta les 32 pian qui servent
encore de base € toutes les ‚ditions modernes de l’œuvre.
Il ne fait gu…re de doute, cependant, que, d…s cette ‚poque, des ‚crits plus ou moins
majeurs de l’auteur eussent ‚t‚ perdus ; le livre qui nous a ‚t‚ transmis, € ce titre, est donc tr…s
certainement incomplet. On ne saurait oublier en outre que l’enseignement, en Chine ancienne,
‚tait essentiellement oral, et que les ma‡tres, dans le meilleur des cas, ne prenaient la peine de
r‚diger qu’une part infime de leur pens‚e. Certaines parties de l’ouvrage, d’ailleurs, ont sans
conteste ‚t‚ r‚dig‚es par des disciples plutˆt que par Xun lui-m„me : il ‚tait courant alors,
pour l’‚l…ve d’un philosophe fameux, d’‚crire en empruntant le nom de son professeur…
Enfin, aucun texte ne traverse deux mille trois cents ans d’histoire sans subir quelques
alt‚rations, sous l’effet des dommages mat‚riels inflig‚s aux manuscrits ou des erreurs
survenues lors de leur duplication. Toutes ces raisons font que l’‚tude du Xunzi se ram…ne sur
certains points € un travail de divination plus qu’€ un travail classique d’interpr‚tation
philosophique, et que, pour esp‚rer comprendre dans son entier la pens‚e de Ma‡tre Xun, il
nous est parfois n‚cessaire aujourd’hui de lire entre les lignes (1)…
Qui ‚tait Xun ? Il semble avoir quitt‚ sa famille tr…s tˆt, vers l’Šge de 15 ans, pour se
rendre dans le royaume de Qi, € l’acad‚mie Jixia, qui ‚tait alors le centre intellectuel du pays
(2). Il y fut ‚tudiant, puis voyagea € nouveau, dans le royaume m‚ridional de Chu, vers 283,
avant de revenir en 275 € l’acad‚mie o‹ il avait fait ses classes – mais comme professeur,
cette fois. Il y cˆtoya d’autres prestigieux ‚rudits, tels que Huan Yuan, Yin Wen et Chen
Zhong, voire Zou Yan et Zou Shi, qui venaient probablement d’arriver dans la cit‚. Xun
gagna une renomm‚e immense grŠce € son enseignement, d’inspiration confuc‚enne, exerŒa
des fonctions particuli…rement honorifiques au sein de l’acad‚mie – au point d’avoir ‚t‚
nomm‚ par trois fois responsable de la grande c‚r‚monie des libations –, mais finit par quitter
l’‚tablissement, peut-„tre apr…s une brouille, en 265. Il voyagea alors successivement dans les
royaumes de Qin et de Zhao, dans l’espoir d’y obtenir un poste d’administrateur, mais ne
reŒut aucune charge. En 255, Huang Xie, le seigneur de Chunshen, lui offrit pourtant enfin
l’opportunit‚ qu’il esp‚rait, et le nomma gouverneur de la ville de Lanling, dans le Chu. Pour
la premi…re fois, Xun eu la possibilit‚ de mettre en pratique ses id‚es. Pourtant, il ne renonŒa
pas € l’enseignement et sa r‚putation lui valut la visite de nombreux disciples, dont certains
deviendraient quelques uns des personnages les plus importants des d‚cennies ult‚rieures, et
m„me de l’histoire de Chine. Il forma notamment Li Si, destin‚ € s’imposer comme le
principal ministre du Premier Auguste et Divin Empereur (• Qin Shi Huangdi Ž), et qui fut le
v‚ritable artisan de l’unification du • Territoire du Milieu Ž (• Zhongguo Ž), ainsi que Ma‡tre
Fei de Han (• Han Fei Zi Ž), qu’on consid…re € juste titre comme le repr‚sentant le plus
illustre de la tradition l‚giste et le plus grand philosophe de son temps, € ‚galit‚ avec son
ma‡tre.
Mais entre 246 et 240, on dit que le seigneur de Chunshen d‚cida de destituer Xun,
dont la r‚putation allait en s’accroissant, et qui risquait de lui faire de l’ombre. Le seigneur
revint en fait assez rapidement sur sa d‚cision et demanda € Xun de reprendre sa charge, mais
celui-ci, outrag‚ et visiblement d‚go•t‚ de la politique, refusa ; on le menaŒa de repr‚sailles
s’il persistait € d‚cliner cette offre, et le ma‡tre dut par cons‚quent redevenir gouverneur,
contre son gr‚. En 238, toutefois, Chunshen fut assassin‚, et son remplaŒant destitua une
seconde fois notre philosophe, qui continua sa vie € Lanling comme simple citoyen et se retira
d‚finitivement des affaires du monde. C’est encore un peu plus tard que son ancien disciple,
Li Si, alors au fa‡te de sa gloire, lui aurait propos‚ d’exercer une charge importante au sein du
nouvel Empire ; mais il l’aurait ‚galement refus‚e…
Il faut dire que la position de Xun dans l’histoire philosophique chinoise est assez
particuli…re. H‚ritier apparemment rigoriste et intransigeant de la tradition confuc‚enne, il fut
pourtant le ma‡tre des deux principales figures du l‚gisme de l’‚poque, en la personne de Li Si
et de Fei de Han. De nombreux commentateurs, € travers les si…cles, et encore de nos jours,
n’ont pas h‚sit‚ € faire de lui un sympathisant masqu‚ de la • doctrine des lois Ž, alors qu’une
lecture d‚taill‚e de son œuvre montre au contraire sans r‚elle ambigu•t‚ qu’il cherchait pardessus tout € la combattre – et c’est pr‚cis‚ment € cause de ce qu’elle comportait € ses yeux
de s‚duisant et de valable qu’il lui paraissait aussi indispensable d’en condamner les
errements, tandis qu’elle s’appr„tait sans qu’il le sache € refaŒonner la face de toute la Chine,
€ travers la personne de ses propres ‚tudiants…
La biographie de Xun nous aide aussi € mettre en perspective sa pens‚e et € mieux en
comprendre les enjeux. Le ma‡tre aspira toute sa vie € occuper des charges officielles,
estimant en honn„te confuc‚en que son rˆle de sage ‚tait de s’impliquer dans le cours de sa
cit‚ et de conseiller les princes. Cette fonction devait lui para‡tre d’autant plus essentielle qu’il
v‚cut entre la fin des Royaume Combattants et l’av…nement du Premier Empire, € une p‚riode
particuli…rement troubl‚e de l’histoire du pays, o‹ les guerres ‚taient incessantes et les villes €
feu et € sang. Or, en d‚finitive, sa carri…re politique fut un complet fiasco, de son d‚but
jusqu’€ son terme. Il fut longtemps repouss‚ par les puissants, qui jugeaient probablement ses
id‚es trop contraires € leurs int‚r„ts, et, lorsqu’on lui fit enfin confiance, il se trouva
finalement ‚cart‚ de son poste, ne f•t-ce que pour un temps, parce qu’il avait trop bien
r‚ussi… Sans doute s’estimait-il ‚galement heureux de ne pas avoir perdu la vie au passage…
Ce contexte et ce parcours expliquent certainement en partie le profond pessimisme qui
impr€gne son œuvre, et qui lui valurent d’ailleurs de connaƒtre une tr€s longue „clipse apr€s le
r€gne de l’empereur Jing, de la dynastie des Han, o… il fut pour ainsi dire oubli„ jusqu’†
l’„poque des Ming : on lui pr„f„ra † vrai dire l’optimisme de Maƒtre Meng (‡ Meng Zi ˆ, de
son nom latinis„ ‡ Mencius ˆ), et il n’apparut plus dans les livres du Moyen Age chinois
qu’en des termes tr€s n„gatifs, comme le confuc„en dissident et „gar„ qui avait „crit : ‡ La
nature humaine est mauvaise ˆ.
Depuis le XXe si€cle, Xun s’est pourtant impos„ comme une des plumes les plus
exceptionnelles de l’Orient ancien. Les rares sp„cialistes de son œuvre lui reconnaissent une
rigueur conceptuelle in„dite dans son pays (3) et soulignent † quel point les probl„matiques
qu’il a pos„es sont encore actuelles, et font „cho † bien des pr„occupations politiques,
„pist„mologiques, m„taphysiques et linguistiques de notre temps. Mais en d„pit de ces „loges
r„p„t„s, son nom est toujours inconnu du grand public, au contraire du Grand Maƒtre Kong
(‡ Kong Fu Zi ˆ, de son nom latinis„ ‡ Confucius ˆ), du Vieux Maƒtre (‡ Lao Zi ˆ), voire de
Maƒtre Zhuang (‡ Zhuang Zi ˆ) et de Maƒtre Sun (‡ Sun Zi ˆ). La premi€re traduction
compl€te de son œuvre en langue occidentale est due † l’allemand Hermann K‰ster, en 1967 ;
en France, Ivan P. Kamenarovic (4) a lui aussi accompli un travail de pionnier en nous
rendant accessible la totalit„ du Xunzi d…s 1987 ; et les Etats-Unis ont d• attendre la traduction
de John Knoblock, ‚tal‚e entre la fin des ann‚es 1980 et le d‚but des ann‚es 1990, pour enfin
en b‚n‚ficier.
Xun, plus que tout, fut un penseur de la civilisation. Sa premi…re pr‚occupation ‚tait
de d‚terminer comment l’homme peut entreprendre de devenir proprement humain et de
s’arracher € sa condition bestiale originelle ; en d’autres termes, il avait € cœur de d‚finir la
nature du processus par lequel l’homme se civilise et de comprendre ce qu’un tel processus
signifie authentiquement. A travers cette entreprise, le ma‡tre entendait bien s•r indirectement
condamner l’‚tat de barbarie dans lequel s’ab‡mait le Zhongguo € son ‚poque, au cours des
batailles sanguinaires des Royaumes Combattants ; mais, plus encore, peut-„tre, il voulait
distinguer la civilisation telle qu’il la concevait, dont le mod…le avait ‚t‚ incarn‚ autrefois par
les Sages-Rois des temps mythologiques, de la civilisation telle qu’on la promouvait de plus
en plus autour de lui, sous le nom de • l‚gisme Ž, en la plaŒant sous le patronage d’une
modernit‚ cens‚e mettre un terme € l’• obscurantisme Ž de la tradition.
Le d€bat sur la nature humaine
Pendant la tr†s longue occultation intellectuelle dont il fut l’objet, Xun ne fut cit… dans
les commentaires philosophiques que comme le contradicteur de celui qu’on consid…rait alors
comme le disciple antique le plus dou… du Grand Maƒtre Kong : Maƒtre Meng.
Ce denier v…cut entre 380 et 289 av. J.C., soit un si†cle environ avant Xun. Il
d…veloppa une pens…e souvent qualifi…e d’optimiste, articul…e autour d’une formule rest…e
c…l†bre : • La nature humaine est bonne. ‚ Xun, quant „ lui, ne manquait jamais une occasion
d’…corner son pr…d…cesseur et de rejeter son interpr…tation de la doctrine confuc…enne comme
h…t…rodoxe. Il assuma pour cette raison un slogan inverse, de connotation plus pessimiste,
qu’il martela dans un de ses essais les plus fameux : • La nature humaine est mauvaise. ‚
Ce d…bat suscita une v…ritable crispation chez les commentateurs classiques chinois,
qui ne pardonn†rent jamais „ Xun de tenir des propos apparemment aussi cyniques et
d…senchant…s. On lui reprocha de manquer de bienveillance „ l’…gard de l’humanit…, et donc
de manquer lui-m‡me d’humanisme (de • ren ‚) – vertu confuc…enne s’il en est ! Il fut accus…
„ ce titre d’‡tre bel et bien un fondateur du l…gisme, dont Fei de Han et Li Si n’auraient eu
qu’„ reprendre et prolonger l’h…ritage. Son œuvre aurait directement pr…par… le
d…veloppement de la doctrine des lois, parce qu’en posant le principe de la m…chancet…
universelle des hommes, il aurait indirectement justifi… l’autoritarisme politique et
l’…tablissement d’un r…gime …tatiste centralis… et r…pressif (Hobbes aurait dit : un L…viathan),
destin… „ mettre un frein aux mauvais penchants irr…pressibles des individus.
Pourtant, le d…bat entre Maƒtre Meng et Maƒtre Xun n’a sans doute jamais …t…
correctement compris, et cette incompr…hension a d…termin… pendant longtemps une
m…sinterpr…tation extr‡mement probl…matique du Xunzi. La tradition chinoise a voulu
consid‚rer que Xun, en ‚crivant : • La nature humaine est mauvaise Ž, pr‚sentait l’homme
comme uniform‚ment et irr‚versiblement ‚go•ste. Or, non seulement Xun affirme-t-il la
perfectibilit‚ humaine, mais, plus encore, il ne soutient € aucun moment que l’homme, m„me
€ l’‚tat naturel, soit exclusivement vautr‚ dans l’‚go•sme.
Avant d’en arriver € ce point d‚cisif, commenŒons cependant par exposer pr‚cis‚ment
les arguments en pr‚sence, et d’abord ceux de Ma‡tre Meng. La discussion autour de la nature
humaine appara‡t dans le Mengzi € travers une controverse avec un autre sage, Ma‡tre Gao,
qui aurait d‚clar‚ un jour : • La nature est semblable au bois de saule, le sens moral
comparable aux coupes et ‚cuelles. On obtient bont‚ et justice de la nature humaine comme
l’on tire coupes et ‚cuelles du bois de saule. Ž Et Ma‡tre Meng, alors, lui aurait r‚torqu‚ :
• Peut-on tirer coupes ou ‚cuelles en se conformant € la nature du bois de saule ? On ne peut
les faŒonner qu’en contrariant et maltraitant l’arbre. Est-ce de la m„me faŒon brutale qu’il faut
tirer de l’homme le sens de l’humanit‚ et de l’‚quit‚ ? Tes paroles ne peuvent que conduire
les gens € ruiner bont‚ et justice sous le ciel ! Ž (5)
Alors que, pour Gao, • la nature humaine n’est ni bonne, ni mauvaise Ž, cette nature
est au contraire r‚solument • bonne Ž, pour Meng (6). C’est pourquoi, aux yeux de Gao,
l’‚ducation implique de forger la bont‚ dans le cœur de l’enfant, exactement comme on forge
coupes et ‚cuelles € partir du bois de saule brut. La civilisation n‚cessite un travail ; elle n’est
pas spontan‚e. Aux yeux de Meng, en revanche, la bienveillance est d‚j€ pr‚sente dans notre
personnalit‚, d…s notre naissance, au moins de faŒon latente.
Cela signifie-t-il cependant que, dans la perspective mencienne, aucun travail de
civilisation ne soit n‚cessaire ? Pas du tout, ‚videmment, comme l’indique la suite du texte :
• Quant aux sentiments, ils peuvent devenir bons, dit Meng, et c’est en cela que la nature
humaine est bonne. S’ils deviennent mauvais, ce n’est pas la faute des facult‚s de l’homme.
Le sentiment de commis‚ration, tout homme le poss…de en son cœur, comme celui de la honte,
celui du respect, et celui du bien et du mal. Du sentiment de commis‚ration vient la bont‚, de
celui de la honte, le sens de l’‚quit‚, de celui du respect, la courtoisie, de la connaissance du
bien et du mal, la conscience. Bont‚, ‚quit‚, courtoisie, conscience ne viennent pas du dehors
pour nous fondre dans leur moule, nous les avons assur‚ment d‚j€ en nous ; c’est simplement
que nous n’y pensons pas. Ž (7)
Meng lui aussi consid…re donc que la gentillesse n‚cessite d’„tre d‚velopp‚e en
l’homme. En tant que confuc‚en, il lui serait d’ailleurs difficile de pr‚tendre le contraire :
sinon, pourquoi faudrait-il en effet des sages et des enseignants pour former les populations et
les ouvrir € la vertu, ainsi que le demandait Kong ? Mais Meng soutient en revanche que les
racines de cette gentillesse, ses quatre principes ou germes – € savoir : le sentiment de
commis‚ration, la honte, le sens de l’‚quit‚ et la connaissance du bien et du mal –, tout
homme les contiendrait en lui. L’individu, en ce sens, tendrait de lui-m„me vers la gentillesse ;
ce sont seulement les circonstances ext‚rieures qui l’emp„cheraient d’atteindre un tel ‚tat.
• Dans les bonnes ann‚es, la plupart des jeunes gens sont nonchalants, alors que, dans les
mauvaises, beaucoup deviennent violents. Ce n’est pas que le ciel leur ait donn‚ des
temp‚raments diff‚rents ; ce qui les rend ainsi, ce sont les circonstances dans lesquelles leurs
cœurs et leurs esprits sont pris au pi…ge. Ž (8)
L’homme serait naturellement bon, par cons‚quent, et la m‚chancet‚ r‚currente d’un
tel nombre d’entre nous – que Meng ne nie absolument pas – serait seulement due € la
perversion de nos sentiments, sous l’effet de l’affairement, de la difficult‚ et de la peine – ou
encore sous l’effet de traitements trop s‚v…res, comme ceux que Gao pr‚voit semble-t-il
d’infliger aux enfants, afin de les rendre pr‚tendument • meilleurs Ž par • l’‚ducation Ž.
• Comment ce qui reste au fond du cœur de l’homme pourrait-il „tre d‚pourvu de toute bont‚
et justice ? Ce qui lui fait abandonner sa conscience du bien, c’est l’‚quivalent de la hache ou
de la cogn‚e qui s’attaque aux arbres tous les matins : comment pourraient-ils rester beaux ?
La respiration du souffle et de la nuit, le souffle du matin lui rendent quelque peu les
inclinations et aversions qui le rapprochent des autres hommes, mais ce qu’il fait dans la
journ‚e les ‚touffe et les fait dispara‡tre. Si elles sont constamment ‚touff‚es, l’air de la nuit
ne suffit plus € les faire revivre et lorsqu’elles disparaissent, l’homme n’est plus tr…s loin de
l’animal. A le voir si bestial, on pense qu’il n’a jamais ‚t‚ dou‚ de facult‚s : comment
pourrait-il avoir eu des sentiments humains ? Ž (9) On comprend € lire ces lignes que, pour
Meng, l’homme ne peut „tre bestial, en pratique, que si le monde l’a rendu tel, l’a avili, en
manifestant trop de cruaut‚ € son ‚gard. Nos conditions de vie sont p‚nibles, et, de ce fait,
nous tendons € nous ‚loigner de notre humanit‚ fondamentale, € „tre cruels nous aussi. Nous
ne souffrons pas seulement de l’‚tat social, comme le • bon sauvage Ž de Rousseau, mais
aussi € vrai dire de l’‚tat naturel : le tragique fatal de nos existences nous ronge, nous corrode,
et les pathologies r‚currentes de la soci‚t‚ ne font ensuite qu’aggraver ce processus. Mais
c’est en tout cas pourquoi l’‚ducation doit „tre chaleureuse et bienveillante, puisque c’est
pr‚cis‚ment l’exc…s d’adversit‚ et de duret‚ qui corrompt les Šmes, et la douceur qui la rend €
sa bonne nature. • Les ‚tudes n’ont d’autre but que de permettre de retrouver le cœur ‚gar‚. Ž
(10)
Xun, en affirmant que • la nature humaine est mauvaise Ž, semble donc au premier
abord soutenir une position assez proche de celle d‚fendue par Ma‡tre Gao. Il lui emprunte
d’ailleurs dans le Xunzi la m‚taphore du bois qu’il faut forcer pour lui donner une forme
ad‚quate. • Un morceau de bois tors doit „tre travaill‚ € la vapeur et € l’‚tau pour devenir
droit. Une lame ‚mouss‚e doit „tre aiguis‚e € la pierre pour devenir tranchante. Prenons
maintenant la nature humaine : elle est mauvaise et doit „tre amend‚e par les ma‡tres et les
lois pour „tre corrig‚e, elle doit passer par les rites et l’‚quit‚ rituelle pour „tre ordonn‚e. Ž
(11)
Pour Xun, comme pour tous les participants au d‚bat, l’homme est donc mall‚able, il
peut ‚voluer (quand un de ces ma‡tres dit que la nature humaine est • bonne Ž, • mauvaise Ž,
ou • ni bonne ni mauvaise Ž, il faut juste entendre en d‚finitive que la nature humaine est
originellement telle, avant toute intervention ext‚rieure). Mais, pr‚cis‚ment, pour Xun et pour
Gao, il faut une intervention ext‚rieure pour arracher l’homme € sa condition primordiale,
tandis que, pour Meng, le sage ou l’enseignant n’est l€ que pour d‚faire le mal que le monde
ext‚rieur a fait, pour permettre € l’individu de red‚couvrir ce qu’il y a de gentil en lui et de le
mobiliser durablement.
Xun ‚crit : • En l’absence de ma‡tres et de lois, l’homme est pervers et ne se corrige
pas ; sans rites ni ‚quit‚ rituelle, l’homme est anarchique et ennemi de l’ordre. Ž (12) Cette
affirmation pose explicitement que l’homme n’est pas capable de se corriger lui-m„me.
Pourtant, une telle id‚e se trouve sans doute exprim‚e ici d’une faŒon trop rigide et aurait
n‚cessit‚ d’„tre davantage pr‚cis‚e. Le philosophe, en tenant ces propos, avait probablement
pour but de montrer en quoi l’‚ducation n’a pas € craindre d’„tre s‚v…re – puisqu’elle doit
• redresser Ž l’enfant comme on redresse du bois tordu. Mais une telle n‚cessit‚ p‚dagogique
n’implique pas pour autant que seule une intervention ‚ducative ext€rieure puisse sauver
l’homme de sa bestialit‚ (bien qu’un individu livr‚ € lui-m„me soit sans doute grandement
limit‚ dans ses possibilit‚s d’avanc‚e sur le chemin de la maturit‚, faute de rep…res pour le
guider). Sinon, comment les premiers hommes auraient-ils pu devenir moraux ? Les SagesRois des origines nous ont peut-„tre transmis le mod…le de l’‚ducation authentique, par lequel
nous acc‚dons plus ais‚ment et plus rapidement € la gentillesse, mais, eux-m„mes, comment
sont-ils devenus gentils, puisqu’il n’y avait pas eu de Sages-Rois avant eux pour les
‚duquer ?…
Pour Xun, € vrai dire, comme on le lit dans d’autres textes plus pr‚cis, ce n’est pas
seulement de l’ext‚rieur que l’homme se laisse forger par la morale, € la mani…re d’un
morceau de m‚tal travaill‚ par le forgeron ; c’est aussi par une facult‚ interne distincte des
instincts naturels que l’homme peut de lui-m„me d‚couvrir la vertu : l’intelligence. • Ce que
[l’homme] reŠoit „ la naissance est d…sign… du nom de nature. Cette nature constitue ce qui, n…
de l’union des deux principes [c’est-„-dire du Yin et du Yang], permet la r…ponse la plus
imm…diate aux sensations caus…es par l’ext…rieur et qui, n’…tant le fruit d’aucune …laboration,
se pr…sente de soi-m‡me. […] Lorsque le cœur, l’esprit, op†re un choix parmi les sentiments
naturels, on dit qu’il y a pens…e, et lorsque ainsi le cœur pense et qu’il est capable de
transformer sa pens…e en action, il y a „ proprement parler artifice. Ce qui ne vient „ se
r…aliser qu’apr†s un travail de la pens…e et grŒce „ l’exercice des capacit…s que l’on a, c’est
cela que j’appelle artificiel. ‚ (13)
L’intelligence est donc capable de contraindre les d…sirs pour les discipliner et les
…duquer. Faut-il consid…rer d†s lors comme erron…e l’affirmation selon laquelle la nature
humaine est mauvaise, dans la mesure o• cette nature inclut une facult… – l’esprit – qui lui
permet de changer ? L’opposition entre Xun et Meng ne se r…duit-elle pas „ un simple jeu de
d…finitions, notamment en ce qui concerne le • naturel ‚ et l’• artificiel ‚ ? En un sens, la
th…orie de Xun ne rejoint-elle pas en effet celle de Meng, puisque l’un comme l’autre
d…finissent l’homme comme une cr…ature souvent m…chante qui serait plus gentille si elle
utilisait mieux les germes qui, en elle, sont susceptibles de la rendre bonne ? En fait, les
choses sont plus complexes, et Xun a sans aucun doute raison de dire que l’homme est
naturellement mauvais, parce que, dans sa conception du probl†me, m‡me si nous poss…dons
en nous une facult… qui doit nous permettre de changer, il nous faut bien op…rer un
changement radical, pr…cis…ment, pour devenir bons. M‡me si l’incitation „ changer provient
de notre esprit, il faut toujours que nous nous arrachions „ nous-m‡me, que nous fassions
violence „ nos instincts pour parvenir „ nous am…liorer. Ce n’est pas n…cessairement par une
incitation ext…rieure „ nous …duquer que nous …voluons, en somme, puisque le processus
…ducatif peut th…oriquement ‡tre mis en œuvre par notre intelligence elle-m‡me, mais il faut
du moins dans tous les cas que cette …ducation (transmise par nos maƒtres ou r…v…l…e par notre
esprit) nous am†ne „ prendre du recul face „ nos inclinations originelles, „ les redresser
…nergiquement. Pour Meng, „ l’inverse, la d…couverte par l’individu de la gentillesse qu’il
contient instinctuellement en lui se ferait spontan…ment si les conditions ext…rieures …taient
plus favorables, et, m‡me dans des conditions d…favorables, il suffirait malgr… tout de
recentrer notre attention sur les germes de saintet… que nous recelons, en y …tant
…ventuellement encourag…s par un p…dagogue bienveillant, pour red…couvrir ce qu’il y a de
meilleur dans notre condition. D’un cŽt…, nous ne pouvons ‡tre forc…s que dans le sens de la
gentillesse, car c’est la m…chancet… qui est naturelle ; de l’autre, nous ne pouvons ‡tre forc…s
que dans le sens de la m…chancet…, car c’est la gentillesse qui est naturelle.
Si Xun insiste parfois davantage sur la n…cessit… d’une …ducation ext…rieure plutŽt que
sur les m…rites de l’intelligence, c’est qu’il part du principe que cette intelligence n’a pas …t…
r…partie …galitairement par la nature. Comment fait-on en effet pour se perfectionner quand on
est idiot ? Xun reconnaƒt qu’il existe des diff…rences notables de capacit…s intellectuelles entre
les personnes : • Certains en ont beaucoup et d’autres en ont peu ‚, …crit-il (14). La plupart
des gens, qui ont peu d’esprit, sont donc bel et bien contraints de recevoir une aide ext…rieure,
par le biais de l’…ducation, pour se perfectionner et suivre la Voie. Mais, en d…pit des
diff…rences de capacit…s intellectuelles entre les personnes, Xun rappelle que tous sont mis sur
un quasi-pied d’…galit…, du point de vue de la vertu, car peu importe au fond qu’on soit en
mesure par soi-m‡me de d…couvrir le chemin de la morale authentique ; cette Voie nous a …t…
transmise par les sages qui nous ont pr…c…d…s, et, si nous avons la volont… de la suivre, rien ne
nous en emp‡che… • Si l’on se donne la peine d’examiner les capacit…s intellectuelles de
l’homme de peu, on voit bien qu’elles sont largement suffisantes pour qu’il fasse ce que fait
un homme accompli. ‚ (15) Cela ne veut pas dire que l’homme de peu soit tr†s intelligent,
mais plutŽt qu’une grande intelligence ne soit pas indispensable pour avancer sur la Voie.
C’est seulement par l’habitude prise „ faire le bien que l’homme se transforme, et, pour cela,
il n’est besoin que de suivre avec t…nacit… un mod†le appropri… : • Les acquis, c’est ce que
l’on n’a pas au d…part mais que l’on peut faŠonner. Prendre ou laisser, adopter des habitudes,
c’est ainsi qu’on modifie sa nature. C’est en suivant un seul et unique chemin, sans se
disperser, que l’on pourra parfaire ses acquis. Adopter des habitudes transforme la mentalit…
et „ la longue transforme le fondement m‡me de la personnalit…. ‚ (16)
En fait, il est probable que jamais l’intelligence d’un homme, aussi grande soit-elle, ne
puisse suffire „ l’arracher d’elle-m‡me „ la bestialit…. Aussi, • quelles que soient au d…part les
qualit…s d’un homme, quelque p…n…trant et intelligent que puisse ‡tre son cœur, il lui faudra
recourir „ l’enseignement d’un sage et le servir, il lui faudra choisir des amis de qualit… et
savoir cultiver les vertus de l’amiti… ‚ (17). C’est plutŽt le concours de toutes les grandes
intelligences, de l’esprit de tous les sages de l’histoire qui, en cumulant par strates successives
les efforts individuels de pens…e, en les s…dimentant dans la tradition, est peu „ peu parvenu „
…tablir le tr…sor collectif que constitue la civilisation (18) – tr…sor dans lequel nous pouvons
d…sormais puiser, „ travers l’…ducation que nous recevons, pour devenir pleinement des
hommes adultes. Le respect pour la sagesse traditionnelle vient de l€, aux yeux de Xun (19).
Une tradition n’est pas n‚cessairement vraie, puisqu’on voit na‡tre actuellement, selon lui, des
traditions nouvelles qui apportent la confusion et la perdition aux hommes, mais la v‚rit‚ –
comme la civilisation qui l’accompagne – est n‚cessairement le fruit d’une tradition, parce
qu’un homme isol‚ serait incapable, avec ses propres forces, maigres et fragiles, d’‚difier la
construction symbolique extraordinaire que constitue une culture (la langue – c’est-€-dire
• les noms Ž –, mais aussi les rites et les coutumes, les codes de politesse et tout ce qui
contribue € nous structurer), par laquelle seule nous advenons € l’‚tat sup‚rieur d’• hommes
de bien Ž.
Xun honore ‚videmment l’intelligence, € l’‚chelle collective (civilisationelle), car
c’est elle qui permet de constituer une tradition juste ; mais, € l’‚chelle individuelle, il r‚p…te €
de nombreuses reprises que l’intelligence d’un homme compte moins que sa vertu. • Ce qui
oppose l’homme accompli € l’homme de peu, c’est que le premier, s’il est un grand esprit,
respecte l’ordre naturel et en suit la Voie : s’il a l’esprit plus limit‚, il craint du moins de
manquer € l’‚quit‚ rituelle et sait se contenir. S’il est intelligent, il comprend clairement les
choses et les diff‚rencie selon leur genre ; s’il manque d’intelligence, il est du moins honn„te,
sinc…re et il suit le bon exemple. […] Il n’en va pas du tout ainsi pour l’homme de peu : s’il
est un grand esprit, il est paresseux et violent, et s’il a l’esprit ‚troit, il est d‚bauch‚ et perverti.
Intelligent, il est cupide, voleur et tombe dans l’escroquerie ; stupide, c’est un poison, un
brigand qui ne fait que causer du d‚sordre. Ž (20) L’esprit, en fait, est une arme € double
tranchant ; plus les talents sont grands, et plus le tort qu’on pourra causer par une attitude
vicieuse sera grand ‚galement : • Ceux qui n’ont ni ma‡tre ni loi et sont intelligents
deviendront immanquablement malhonn„tes ; s’ils sont courageux, ce seront € coup s•r des
brigands ; dou‚s, ce seront des fauteurs de troubles ; observateurs, ils s’en iront couper les
cheveux en quatre ; raisonneurs, ils deviendront hŠbleurs. Ž (21) Les qualit‚s deviennent tr…s
vite des fl‚aux si l’on n’a pas de morale…
Pourquoi l’homme, initialement m‚chant, accepte-t-il n‚anmoins de devenir bon ? On
peut admettre € la limite que l’‚ducation, impos‚e de l’ext‚rieur par les parents, pousse
l’enfant contre son gr‚ € se transformer (m„me s’il semble l‚gitime de consid‚rer que cette
‚ducation ne puisse fonctionner que si l’enfant y met par ailleurs un peu du sien et qu’il
trouve donc une motivation € le faire) ; en revanche, le probl…me se pose d’une faŒon plus
‚pineuse encore € propos des origines de l’humanit‚. Pourquoi ceux qui, les premiers, ont
‚tabli les principes de la civilisation (les mythiques • Sages-Rois Ž) ont-ils ‚prouv‚ le d‚sir de
quitter l’‚tat de barbarie ? L’homme de peu ne se soucie que de ses d‚sirs les plus imm‚diats,
dit Xun ; mais pourquoi finit-il alors par se soucier des autres, et, au terme de son
apprentissage de la vertu, par ajourner une partie au moins de ses d‚sirs pour devenir un
homme de bien et vivre en bonne entente avec ses semblables ?
Xun a ici une r‚ponse paradoxale, qui sonne d’une faŒon tr…s moderne € nos oreilles
occidentales : le mal engendre le bien. • Si les hommes aspirent au bien, c’est que leur nature
est mauvaise au d‚part : ainsi celui qui est superficiel voudrait „tre profond, le d‚testable se
voudrait admirable, le pingre, g‚n‚reux, le pauvre, riche, et le mis‚rable, honor‚, comme si,
ne trouvant pas en eux-m„mes ce € quoi ils aspirent, ils ‚taient contraints de tout attendre de
l’ext‚rieur. Ž (22). Ses vices priv‚s poussent en quelque sorte l’individu € d‚velopper des
vertus publiques et € s’allier aux autres pour ‚tendre ses forces propres. Autrement dit : Xun
invente le principe de l’int‚r„t bien entendu. • L’homme de peu s’empresse de mentir et il
voudrait que les autres aient confiance en lui ; il s’empresse de tromper et il voudrait que les
autres s’attachent € lui ; il se conduit comme une b„te sauvage et il voudrait que les autres
soient bons envers lui. […] L’homme accompli, quant € lui, est confiant et souhaite que les
autres aient confiance en lui ; il est loyal et souhaite que les autres s’attachent € lui ; il cultive
la rectitude et m…ne les choses avec discernement en souhaitant qu’autrui en use bien envers
lui. Ž (23) Du d‚sir € courte vue, na‡t ainsi la capacit‚ de voir loin, grŠce € l’intelligence et
l’‚ducation. • L’homme, € la naissance, est € coup s•r un homme de peu. Sans ma‡tre, sans loi,
il ne voit et n’entend que son petit int‚r„t propre. C’est bien parce qu’il n’est au d‚part qu’un
homme de peu que, se trouvant de surcro‡t dans une ‚poque de d‚sordre, il prend de
d‚testables habitudes, car ce qui est petit appelle ce qui est petit et par le d‚sordre on obtient
le d‚sordre. Si un homme accompli n’est pas l€ pour le guider avec pertinence, l’homme de
peu n’a aucune raison de voir s’ouvrir son esprit. Comment, en effet, la bouche et le ventre
[…] conna‡traient-ils la retenue et la courtoisie ? […]. Ils ne s’occupent que de mŠcher, de
mastiquer et de s’emplir la panse de bonnes choses. Et l’homme qui n’a ni ma‡tre ni loi a
l’esprit € l’image de son ventre. Ž Le rˆle du sage est donc de faire admettre et int‚grer €
l’homme de peu, par une habituation progressive et une conformation de ses actes aux id‚es
qui lui sont enseign‚es, qu’il gagnerait davantage € discipliner sa conduite, pour s’associer €
autrui et nouer des relations de confiance, qu’€ rester isol‚ et s’attirer la vindicte g‚n‚rale par
une conduite irrespectueuse. N’est-ce pas grŠce € la Voie des anciens Sages-Rois • que les
hommes furent group‚s en soci‚t‚, qu’il fut pourvu € leur subsistance, qu’ils furent ‚duqu‚s et
polic…s, qu’ils v…curent en paix et en s…curit… ? ‚ (24) L’int…r‡t „ long terme passe par le
sacrifice de certains d…sirs, tandis que l’int…r‡t „ court terme, par caprice, refuse toute brimade,
m‡me temporaire, et se rend ainsi incapable d’un comportement collectif : l’illimitation
mutuelle des d…sirs de chaque individu conduit alors „ l’implosion sociale („ la guerre entre
les Etats, „ l’inflation du commerce et du brigandage – bref, aux multiples tares des
Royaumes Combattants).
Tout homme a int…r‡t „ la vertu, parce que le groupe est plus fort que l’individu et que
la vertu est ce qui permet de vivre en groupe d’une faŠon harmonieuse. Il arrive bien s•r
parfois que celui qui se comporte bien ait „ en souffrir ou que celui qui se comporte mal ait „
y gagner ; mais en acceptant des souffrances occasionnelles, et en renonŠant „ une partie des
gains qu’on aurait pu obtenir d’une faŠon malveillante, on profite d’avantages bien plus
grands qui ne peuvent ‡tre acquis que par le respect des lois communes. • L’homme accompli
se r†gle sur le g…n…ral, et l’homme de peu sur l’exception. ‚ (25) Celui qui risque sa vie au
combat, par exemple, gagnerait „ court terme „ fuir le champ de bataille – et, dans certains cas,
s’il vient „ ‡tre gravement bless… ou „ mourir, on pourrait estimer r…trospectivement qu’il a eu
tort de s’exposer ainsi, du point de vue de son propre int…r‡t – ; mais, dans la mesure o• il ne
peut connaƒtre son destin „ l’avance, il gagne statistiquement „ ‡tre courageux, car il incite
alors les autres „ se battre eux aussi, et, „ plus long terme, cette attitude permet „ un peuple de
r…sister „ l’envahisseur et de ne pas ‡tre asservi (26). Dans la majeure partie des cas, le
d…vouement au groupe se trouve de la sorte individuellement r…compens……
Mais il existe toutefois une diff…rence majeure entre la pens…e de Xun et celle des
th…oriciens modernes de l’int…r‡t bien entendu – et c’est cet aspect de sa r…flexion qui, faute
d’avoir …t… suffisamment mis en lumi†re, a d• plonger dans l’erreur tant de commentateurs du
pass…. Pour Xun, l’homme, une fois tourn… vers l’int…r‡t bien entendu, se structure, et devient
r€ellement bon. L’‡tre pleinement r…alis… dans sa vertu aime les autres, et se montre pr‡t non
seulement „ prendre des risques pour eux (ce qui peut toujours se justifier par l’int…r‡t „ long
terme), mais „ se sacrifier sans espoir de r…tribution (27). L’homme, naturellement mauvais,
commence par se tourner vers la Voie pour des raisons int…ress…es, parce qu’il comprend que
c’est son int…r‡t „ long terme ; mais, ensuite, il s’ouvre „ une • seconde nature ‚, qui l’arrache
bel et bien „ son ancienne condition. Il ne se voue plus seulement d…sormais aux autres au
nom d’un • choix rationnel ‚, mais par disposition. • L’homme accompli […] redoute le
malheur mais donnera sa vie pour garder son honneur ‚ (c’est-„-dire pour se conformer „ la
morale et au bien) (28). Il y a par cons‚quent des d‚veloppements dans le degr‚ de g‚n‚rosit‚,
pour Xun, et, bien que l’homme soit € l’‚tat naturel essentiellement tourn‚ vers l’‚go•sme et
qu’il accepte ensuite, grŠce € l’‚ducation, d’„tre solidaire avec les autres dans son propre
int‚r„t bien entendu, le perfectionnement de soi n’est atteint que lorsqu’on aime de mani…re
d‚sint‚ress‚e, ainsi qu’on le lit sans la moindre ambigu•t‚ : • Tirer profit de la mis…re du
peuple, cela ne vaut pas tirer profit de la prosp‚rit‚ du peuple. Ne pas aimer le peuple et s’en
servir, cela ne vaut pas aimer le peuple et r‚ussir en l’utilisant. Tirer profit de la prosp‚rit‚ du
peuple, cela ne vaut pas l’int‚r„t qu’on trouve € ne pas rechercher de profit. Aimer le peuple
et l’utiliser ensuite, cela ne vaut pas r‚ussir en aimant le peuple sans avoir € l’utiliser. Celui
qui assure le profit du peuple sans avantage pour lui-m„me et qui l’aime sans l’utiliser, enfin,
m‚riterait de prendre la t„te de l’Empire. Ž (29) Les individus les plus sages – et les plus
authentiquement humains, ce qui revient € dire les moins barbares et bestiaux – sont donc
ind‚niablement capables de g‚n‚rosit‚ gratuite, selon Xun…
Comment finissons-nous par aimer la justice € ce point, simplement pour elle-m„me,
sans y trouver d’int‚r„t propre, puisque nous sommes naturellement mauvais ? Comment
pouvons-nous d‚velopper une seconde nature ? Si seule l’intelligence nous persuade de suivre
notre int‚r„t bien entendu, nous ne pouvons le faire que par int‚r„t, et non par amour.
Comment est-il possible d’imaginer que le fait de nous structurer € travers ce processus nous
conduise € ‚tablir de v‚ritables relations d’attachement, jusqu’€ „tre pr„ts € nous sacrifier
pour autrui, dans certaines situations extr„mes ?
La premi…re r‚ponse qu’on pourrait envisager doit „tre emprunt‚e € John Stuart Mill,
pour qui l’homme ne d‚sire fondamentalement que le plaisir et l’absence de peine (30). Dans
cette optique, alors, la morale ne peut apparemment qu’„tre un moyen en vue du bien-„tre
personnel, exactement comme la vertu semble „tre chez Xun un moyen de viser l’int‚r„t €
long terme. Mais Mill, au m„me titre que Xun, ne veut pas en rester l€, et souhaite ‚tablir que
le bien finit chez certains hommes par „tre recherch‚ pour lui-m„me. La solution qu’il
propose est donc la suivante : de m„me que l’argent n’est originellement qu’un moyen vers le
plaisir, la vertu est d’abord elle aussi un instrument ; mais, en raison de l’association
psychologique constante de l’argent et du plaisir, ou de la vertu et du plaisir, l’argent et la
vertu deviennent finalement en eux-m„mes des sources de plaisir, au terme de ce qu’il faut
bien appeler un processus spontan‚ de conditionnement. Le grand entrepreneur en arrive ainsi
€ priser l’argent pour lui-m„me, m„me si le surcro‡t d‚mesur‚ et superflu de richesse qu’il
s’arroge n’am…liore plus en rien son confort, et lui co•te au contraire un labeur qu’il aurait pu
s’…pargner ; et le saint en arrive „ priser la vertu pour elle-m‡me, m‡me s’il s’expose de la
sorte „ des dangers ou des sacrifices qu’aucun int…r‡t „ long terme ne pourra jamais
compenser. D†s lors qu’on comprend que, pour satisfaire ses d…sirs „ long terme, il faut
d’abord gagner de l’argent, on s’habitue „ associer l’argent et le plaisir, au point de priser la
richesse pour elle-m‡me, ind…pendamment de ce qu’elle permet d’acheter ; et, d†s lors qu’on
comprend que, pour satisfaire ses d…sirs „ long terme, il faut plus encore commencer par aider
les autres (quitte „ se d…tourner de l’appŒt du gain), on s’habitue „ associer l’altruisme et le
plaisir, au point de priser la g…n…rosit… pour elle-m‡me, ind…pendamment de l’harmonie
sociale dont elle permet de profiter.
Une telle explication peut paraƒtre s…duisante, et Mill propose assur…ment une solution
ing…nieuse. Mais Xun n’adopte pas cette r…ponse, semble-t-il, car la soumission „ la vertu
qu’il envisage est beaucoup plus profonde. Dans l’hypoth†se du conditionnement, en effet,
l’amour des autres n’est qu’un vernis qui, en trompant l’esprit, en l’abusant, nous pousse „
prendre du plaisir dans une activit… qui, en elle-m‡me, n’aurait pas d• initialement en susciter.
Cette hypoth†se repose sur le principe que l’homme est naturellement et irr…pressiblement
…go•ste, et que le seul altruisme envisageable repose sur la mise en place de repr…sentations
int…rieures telles que le plaisir se trouve associ… „ des pratiques qui, „ l’origine, ne devaient
pas en g…n…rer. Or, chez Xun, pr…cis…ment, les penchants de l’homme ne sont pas
exclusivement vou…s „ l’…go•sme, autant qu’on puisse en juger „ la lecture de certains de ses
textes, et il n’est donc pas n…cessaire d’envisager une telle hypoth†se.
Certes, notre philosophe …crit que l’…go•sme caract…rise l’homme naturel : • S’attacher
„ ses propres int…r‡ts et souhaiter obtenir le plus possible, voil„ un trait de la nature
humaine. ‚ (31) Mais il dit seulement : • voil„ un trait de la nature humaine Ž. Il ne pr‚tend
pas que l’‚go•sme soit le seul instinct naturel € l’homme. Et, par ailleurs, dans d’autres essais,
il pr‚sente m„me ouvertement l’amour comme un sentiment inn‚, pr‚sent chez toute cr‚ature
dou‚e de conscience : • Parmi tout ce qui vit entre ciel et terre, ceux qui ont sang et souffle
ont la facult‚ d’avoir conscience, et nul qui poss…de cette facult‚ ne manque d’„tre attach‚ €
ceux de son esp…ce. Prenons les grands oiseaux et les animaux sauvages : s’ils viennent €
perdre leurs compagnons, ils reviennent hanter les lieux o‹ ils vivaient, m„me apr…s un mois
ou une saison, et ils ne passent pas devant leur ancienne demeure sans va-et-vient, cris, appels
et d‚tours. Les petites esp…ces, comme les hirondelles ou les moineaux, semblent elles aussi
pousser des cris de tristesse en ces moments-l€ et ne s’‚loignent qu’ensuite. Or, parmi ceux
qui ont sang et souffle, aucun n’a plus de conscience que l’homme. Ž (32) Certes, les „tres
humains sont capables de se comporter d’une faŒon m‚chante, et cette m‚chancet‚ nous
choque d’autant plus qu’elle s’exprime parfois dans des secteurs o‹ les animaux sont plus
syst‚matiquement g‚n‚reux que nous (ainsi en va-t-il de ces individus qui, • le soir m„me, ont
d‚j€ cess‚ de pleurer leurs morts du matin Ž, tandis que bien des b„tes peinent € se remettre de
la mort d’un proche) (33) ; mais nous demeurons n‚anmoins des cr‚atures vivantes, dou‚es de
davantage de conscience que n’importe quel autre animal, et, € ce titre, nous n’en restons pas
moins particuli…rement r‚ceptifs € l’attachement, de faŒon inn‚e, dans la majeure partie des
cas.
Un autre passage se montre plus explicite encore : • Lorsque l’activit‚ naturelle du ciel
s’est d‚ploy‚e et que ses r‚sultats sont arriv‚s € leur accomplissement, la forme humaine
s’incarne et l’esprit humain na‡t ; l’amour et la haine, la joie et la col…re, l’affliction et le
bonheur y trouvent leur place. Voil€ ce qu’on appelle sentiments naturels. Ž (34) D…s sa
naissance, l’„tre humain appara‡t donc avec un bagage de sentiments qui comprend la
g‚n‚rosit‚ aussi bien que le d‚sir et la pr‚dation – et qui englobe les ‚motions habituellement
jug‚es positives aussi bien que les ‚motions habituellement jug‚es n‚gatives (35).
Mais si l’homme ‚prouve naturellement de l’amour pour les autres, autant que de la
haine, pourquoi dire alors qu’il est naturellement m‚chant, et non plutˆt neutre ou ambivalent ?
Le fond du probl…me tient € ce que Xun, sans l’expliciter tout € fait, op…re un glissement par
rapport au d‚bat qui opposait Meng et Gao. Pour ces deux derniers, la question, en demandant
si l’homme est naturellement • bon Ž ou • ni bon ni mauvais Ž, ‚tait de savoir si l’homme est
originellement altruiste ou ‚go•ste. Pour Meng, l’homme est originellement altruiste, avant de
perdre sa bont‚ sous l’action corruptrice d’un milieu trop d‚favorable, et, pour Gao, il n’est ni
vraiment altruiste, ni vraiment ‚go•ste, mais sera l’un ou l’autre en fonction de l’‚ducation
qu’il recevra. Or, pour Xun, la m‚chancet‚ n’est nullement identifi‚e € l’‚go•sme, ni la
gentillesse € l’altruisme (36), encore que certaines formulations, sur lesquelles nous
reviendrons, puissent € premi…re vue le laisser penser. Pour Xun, la gentillesse s’identifie €
l’ordre, € la discipline et € la mise en forme des d‚sirs par l’esprit (c’est-€-dire € la
civilisation), et la m‚chancet‚ s’identifie au chaos, € l’anarchie et € la brutalit‚ des sens (c’est€-dire € la barbarie). • Ma‡tre Meng a dit : "La nature humaine est bonne." Je r‚ponds qu’il
n’en va pas ainsi. Et en effet, ce qu’on a toujours, depuis l’Antiquit‚, appel‚ bon, c’est la
rectitude, le sens des principes, l’…quanimit…, l’ordre, et ce qu’on appelle mauvais, c’est la
partialit…, le danger, la r…bellion, le d…sordre. C’est l„ et nulle part ailleurs que sont les
diff…rences entre le bon et le mauvais. ‚ (37) Puisque la question de la gentillesse et de la
m…chancet… a plus „ voir selon Xun avec la structure du caract†re ou son d…sordre qu’avec le
fait d’aimer ou de ha•r, il est juste de dire que la nature humaine est mauvaise, dans la mesure
o•, naturellement, les hommes ont un caract†re d…sordonn…, infantile (38)...
L’amour, pour Xun, peut donc probablement ‡tre d…velopp… et m•ri au m‡me titre que
l’…go•sme, et, inversement, l’…go•sme ne n…cessite sans doute pas de disparaƒtre au terme de
l’acc†s „ la gentillesse, mais doit seulement prendre des formes elles aussi plus adultes. Xun,
comme on le voit, n’a rien d’un penseur sentimental et mi†vre. Il n’attend pas de l’…ducation
qu’elle nous fasse passer d’un …tat de haine „ un …tat d’attachement universel, mais plutŽt
d’un …tat de mollesse et d’avidit… capricieuse „ un …tat de discipline et de mod…ration.
D’un cŽt…, en somme, l’…go•sme pu…ril „ courte vue doit ‡tre r…orient… dans le sens de
l’int…r‡t „ long terme : • Bien comprendre son int…r‡t et agir en cons…quence, cela s’appelle
travailler. Bien comprendre l’…quit… rituelle et agir en cons…quence, cela s’appelle mettre en
pratique. Ce qui, en l’homme, permet de comprendre est appel… facult… de connaissance. Ce
qui fait le lien entre la facult… de connaƒtre et les objets ext…rieurs est appel… intelligence. ‚
(39) Sous l’effet de l’intelligence, l’homme comprend ainsi qu’il a int…r‡t „ travailler – bien
que cela lui co•te des efforts –, de m‡me qu’il a int…r‡t „ …tablir des rapports de solidarit…
avec les autres et „ respecter les r†gles collectives de vie – bien que cela lui co•te le sacrifice
de certains d…sirs –, parce qu’il en tirera dans les deux cas un plus grand profit „ long terme.
Telle est la sublimation de l’…go•sme, favoris…e par la structuration du caract†re.
Quant „ la sublimation de l’amour, m‡me si aucun des essais qui sont parvenus
jusqu’„ nous n’en propose un expos… didactique et clair, on peut assez ais…ment imaginer
comment la d…finir, voire en d…celer des traces dans des bribes de textes. L„ o• les hommes
les plus pu…rils tendent „ se montrer inconstants et m…fiants „ l’…gard de leur famille, de leurs
amis et de leurs communaut…s (ou les seigneurs „ l’…gard de leurs sujets, et r…ciproquement),
Xun dit par exemple que c’est avec • loyaut… et confiance ‚ qu’il faut aimer (40). L’amour, en
cela, s’incarne donc selon les personnes sur des modes plus ou moins …lev…s, qui t…moignent
d’une maturit… plus ou moins grande. Au niveau le plus bas, il s’exprime d’une faŠon frivole,
chaotique, d…sorganis…e et jalouse ; et, au niveau le plus haut, il se manifeste d’une mani†re
plus ‚quilibr‚e et plus stable, dure davantage et ‚tablit de v‚ritables rapports d’empathie. En
outre, une bienveillance ‚lev‚e ne saurait „tre aveugle et doit laisser une juste place € la duret‚,
qui a elle aussi sa raison d’„tre. Que dirait-on ainsi du p‚dagogue qui, sous pr‚texte
d’appr‚cier ses ‚l…ves, les flagornerait et manquerait d’autorit‚ € leur ‚gard (41), ou du juge
qui, par exc…s de compassion, se montrerait trop indulgent envers les criminels (42) ? Que
dirait-on de l’administrateur qui, au nom de son attachement € certains membres de sa
communaut‚ ou de son clan, serait partial et manquerait € tout esprit d’‚quit‚ publique (43) ?
Que dirait-on encore de celui qui, ne sachant trouver de mesure € • sa tristesse et ses larmes Ž,
prolongerait un deuil au-del€ du n‚cessaire, par amour du d‚funt, et • tomberait dans des
exc…s qui pourraient nuire € la vie m„me Ž (44) ? Et que dirait-on enfin, pour prendre cette
fois des situations typiques de la morale chinoise classique, d’un homme ou d’une femme qui
tomberait sans cesse amoureux, sans mettre de frein € ses d‚sirs, et qui se rendrait ainsi
r‚guli…rement coupable d’adult…re, ou m„me d’un parent qui, contre le vœu du Grand Ma‡tre
Kong, ne respecterait pas la juste pudeur, la saine distance ‚motionnelle avec ses enfants ?
L’amour, comme l’‚go•sme, n‚cessite d’„tre € la fois limit‚ dans ses mauvaises expressions,
et encadr‚ dans ses bonnes, pour se manifester avec rigueur et sagesse.
En d‚pit de ces pr‚cisions, il n’emp„che que, tr…s souvent, Xun semble consid‚rer
qu’un homme de bien aimera largement les autres, tandis qu’un homme de peu sera beaucoup
plus centr‚ sur lui-m„me. C’est ce qu’il sugg…re notamment dans un passage d‚j€ cit‚, o‹ il
oppose le sc‚l‚rat qui tire profit de la mis…re du peuple € • celui qui assure le profit du peuple
sans avantage pour lui-m„me et qui l’aime sans l’utiliser Ž (45). Est-ce € dire que l’entr‚e
dans la maturit‚ doive malgr‚ tout ent‚riner un recul de l’‚go•sme et un essor de la g‚n‚rosit‚ ?
Cette th…se peut € premi…re vue s’opposer € l’id‚e selon laquelle l’homme, naturellement,
‚prouverait € la fois des sentiments d’amour et de haine, et devrait ensuite raffiner l’un et
l’autre pour m•rir ; mais, tout bien consid‚r‚, les deux points de vue ne s’excluent pas
mutuellement. L’homme, € l’‚tat naturel, est plus inclin‚ € l’‚go•sme, car il vit dans un
univers o‹ il ne peut faire confiance € personne, o‹ ses d‚sirs n’ont pas de limites et lui font
donc toujours envisager les autres comme des obstacles € surmonter. L’homme civilis‚, en
revanche, est plus inclin‚ € la g‚n‚rosit‚, car il est capable de limiter ses d‚sirs, au nom
d’int‚r„ts € plus long terme, et la structuration int‚rieure qu’il en tire le rend plus patient, plus
bienveillant € l’‚gard de ses cong‚n…res, qu’il appr‚hende surtout comme des alli‚s, au moins
potentiels : il a donc plus souvent l’occasion de manifester son altruisme. Il est coh‚rent de
penser qu’un homme structur‚ int‚rieurement, partiellement anim‚ de d‚sirs ‚go•stes, mais
habitu‚ € les sublimer dans son int‚r„t bien entendu et € vivre en bonne entente avec les autres,
noue plus g‚n‚ralement avec ses semblables des relations pacifi‚es, propices € l’‚closion de
rapports d’attachements ; de m„me, il est coh‚rent de penser qu’un homme d‚structur‚,
impuissant € mod‚rer le moindre de ses d‚sirs ou € en repousser la r‚alisation, tende € ‚tablir
des relations purement conflictuelles avec la plupart de ses cong‚n…res et trouve rarement
l’occasion de manifester le potentiel d’amour qu’il contient pourtant en lui. Le Xunzi ne
d‚veloppe pas explicitement cette analyse, soit parce que Ma‡tre Xun ne l’a tout simplement
jamais envisag‚e, soit parce qu’il la formul‚e dans son enseignement oral sans jamais prendre
la peine de l’‚crire, ou encore parce qu’elle a ‚t‚ ‚crite mais ne nous est jamais parvenue ;
quoi qu’il en soit, il est raisonnable d’estimer qu’elle s’accorde assez bien avec sa pens‚e et
l’esprit g‚n‚ral de sa r‚flexion (46).
On en revient alors € la question initiale : pourquoi un homme est-il pr„t € se sacrifier
pour les autres, sans espoir de r‚compense, et pourquoi y est-il d’autant plus pr„t lorsqu’il est
adulte, civilis‚ ? La r‚ponse est qu’aucun homme n’est purement ‚go•ste, mais aime aussi
naturellement ses prochains, dans des conditions o‹ il ne se sent pas menac‚ par eux, et que
cet amour trouve des modalit‚s d’expression d’autant plus larges lorsque l’individu a appris,
en se structurant, € composer avec la pr‚sence d’autrui – et € ne plus le ha•r sans cesse,
emport‚ par une impulsion capricieuse, sous pr‚texte que cette pr‚sence lui impose de
mod‚rer certains de ses propres d‚sirs s’il veut assurer l’harmonie du corps social. M„me le
plus mis‚rable et le plus immature des hommes souhaite au fond de lui vivre en paix au milieu
d’un groupe qui puisse assurer sa s‚curit‚, tant par int‚r„t € long terme que par attachement
spontan‚ ; mais seul l’homme accompli parvient € encadrer ses d‚sirs de telle sorte qu’une
v‚ritable entente collective soit possible, sans en ‚prouver lui-m„me trop d’amertume ou
d’affliction. Lorsqu’un homme atteint ce degr‚ de d‚veloppement, toutefois, la pr‚sence des
autres ne l’irrite plus que tr…s peu, et il peut par ailleurs pleinement investir sur eux l’amour
qu’il ne demandait d‚j€ initialement qu’€ ‚prouver ; s’il se trouve alors dans une situation o‹
le sacrifice de ses int‚r„ts ou de sa vie est susceptible de sauver l’existence d’„tres qu’il aime
profond‚ment, il s’y r‚soudra peut-„tre et adoptera ce qu’on appelle • une conduite
h‚ro•que Ž…
La discipline du cœur et de l’esprit
Puisque la gentillesse se d‚finit par l’ordre dans les passions, et la m‚chancet‚ par leur
d‚sordre, on comprend mieux pourquoi Xun accorde une telle importance p‚dagogique €
l’apprentissage de la discipline. • Qui veut emprunter tous les chemins ne parvient pas au
terme de sa route, qui sert deux ma‡tres € la fois n’en retirera rien. Ž (47) L’homme doit
œuvrer avec rigueur, afin de forger son Šme et faire preuve de responsabilit‚. Ainsi, il
deviendra pleinement humain et civilis‚. • La vertu constante rend capable de fermet‚, et la
fermet‚ rend responsable, et qui est ferme et responsable est v‚ritablement un homme. Ž (48)
• Un cœur sinc…re qui pr‚serve la Vertu Supr„me permet d’acc‚der € une perfection formelle
qui est la condition de la r‚alisation spirituelle, laquelle donne acc…s € la v‚ritable
civilisation. Ž (49)
La discipline de caract…re est ce qui permet € l’homme de voir loin et de se distinguer
des b„tes. L’esprit nous permet de comprendre qu’une chose ne se r‚duit pas € son
imm‚diatet‚, qu’un comportement peut avoir des cons‚quences dans l’avenir, et, de la sorte,
l’individu amorce un processus de m‚diation de ses actes, grŠce € l’intelligence. Les d‚sirs ne
sont plus exprim‚s brutalement ; ils sont pass‚s € travers le filtre de la conscience. • Voir
quelque chose de d‚sirable doit faire r‚fl‚chir € ce que cela peut contenir de nuisible. Bien
peser les deux cˆt‚s pour savoir o‹ sont vraiment le d‚sirable et le d‚testable, ce qu’on prend
et ce qu’on laisse, c’est ainsi qu’on parvient € ‚viter les ‚checs. Ce qui fait tort € la plupart des
gens, c’est de m‚sestimer les choses et de s’en trouver l‚s‚s. Devant ce qu’ils d‚sirent, ils ne
r‚fl‚chissent point aux inconv‚nients que cela peut avoir et devant ce qui leur para‡t „tre leur
int‚r„t, ils ne pensent pas € ce que cela peut pr‚senter de nuisible. Alors leurs efforts finissent
immanquablement mal et ce qu’ils entreprennent se termine honteusement. C’est cela,
m‚sestimer les choses et s’en trouver l‚s‚s. Ž (50)
Dans la perspective de Xun, l’importance extr„me de l’‚tude, qui a pr‚cis‚ment pour
tŠche d’insuffler la discipline de caract…re, ne repose pas sur la somme de connaissances
qu’elle permet d’int‚grer. L’‚tude est fondamentale, dans l’essor d’une civilisation, parce que,
tandis qu’elle transmet des connaissances, elle structure en m„me temps l’esprit des individus.
• Les Anciens ‚tudiaient pour [s’am‚liorer] eux-m„mes, on ‚tudie aujourd’hui pour [briller
devant] les autres. L’homme accompli ‚tudie pour se parfaire, l’homme de peu, par int‚r„t. Ž
(51) Xun s’inscrit clairement dans la tradition orientale qui assigne € la pens‚e, plus qu’un
rˆle th‚orique et contemplatif de compr‚hension de la v‚rit‚, un rˆle pratique et actif de
transformation du caract…re, en vue de l’‚panouissement. L’‚tude n’a donc aucunement
vocation „ s’arr‡ter une fois une hypoth…tique • v…rit… ‚ acquise – en admettant m‡me que la
v…rit… puisse jamais connaƒtre un terme –, d†s lors que sa destination est de toujours nous
permettre d’approfondir notre retour sur nous-m‡me. • C’est v…ritablement au prix d’efforts
r…it…r…s qu’on parvient „ quelque chose en ce domaine et l’…tude se doit poursuive jusqu’„ la
mort qui seule y peut mettre fin. La pratique en est continuelle, car elle ne trouve son sens que
si elle n’a de cesse ; qui s’y livre est vraiment un homme, qui l’abandonne n’est qu’une
b‡te. ‚ (52)
Maƒtre Xun, „ vrai dire, …tait v…ritablement obs…d… par la distinction entre l’homme
(civilis…) et l’animal (bestial) ; il souhaitait en fait prouver que la plupart des personnes ne se
comportent tout simplement pas d’une mani†re humaine (et manquent donc du • ren ‚
confuc…en, de l’humanit… authentique). Il exhortait ses cong…n†res „ l’…tude afin qu’ils
pussent pleinement accomplir leur potentiel et fussent enfin le sommet de la chaƒne de la vie,
comme leur constitution devrait le leur permettre. Il exposait „ cet …gard une conception
quasi-leibnizienne de la gradation des ‡tres, des plus inanim…s aux plus anim…s : • L’eau et le
feu poss†dent l’…nergie mais non point la vie, l’herbe et le bois poss†dent la vie mais non
point la conscience, les oiseaux et les animaux ont conscience mais n’ont point de sens du
devoir. Or, l’homme a l’…nergie, il a la vie, il a la conscience, „ quoi s’ajoute le sens du devoir,
c’est pourquoi il est le plus noble de tout ce qui est sous le ciel. ‚ (53) L’homme, en d’autres
termes, ne se distingue pas tant des b‡tes par le fait qu’il pense – comme on a souvent tendu „
l’estimer, en Occident –, dans la mesure o• les animaux disposent eux aussi d’une intelligence
plus ou moins d…velopp…e ; ce que les b‡tes ne peuvent accomplir, en revanche, et qui est „ la
port…e des hommes, c’est de discipliner leur conduite, de r…orienter profond…ment leurs d…sirs
sous l’effet de l’…tude et du retour sur soi. L„ o• la b‡te est soumise „ ses instincts, l’homme
est libre de choisir sa conduite et de la structurer (54). Mais la libert… de faire une chose ne
signifie pas qu’on l’accomplira toujours n…cessairement… • Oui, il y a des gens de cette sorte :
ils ne font que suivre leurs instincts et se satisfaire de leur licence, ils se conduisent en b‡tes
sauvages et ne sauraient ‡tre mis au rang de ceux qui sont en accord avec la culture rituelle et
comprennent ce qu’est l’ordre. ‚ (55)
La force de l’homme est inf…rieure „ celle du buffle, et sa vitesse inf…rieure „ celle du
cheval ; pourtant, le buffle et le cheval sont „ notre service. Pourquoi l’homme, bien
qu’inf…rieur „ d’autres animaux, en tant qu’individu, peut-il dominer „ ce point le reste de la
nature ? • C’est que l’homme est capable de se constituer en soci…t…, ce dont les autres
[animaux] ne sont point capables. Et comment se constitue-t-il en soci‚t‚ ? Par la r‚partition
[sociale des tŠches]. Comment cette r‚partition peut-elle fonctionner ? GrŠce au sens du
devoir. Car c’est ce sens des devoirs rituels, combin‚ € la r‚partition des tŠches, qui permet de
vivre dans la concorde, et la concorde € son tour permet l’unit‚. Cette unit‚ fait se rassembler
les forces qui donneront la puissance n‚cessaire pour dominer les choses. Ž (56)
L’‚quit‚ rituelle et la r‚partition sociale des tŠches constituent vraiment le cœur de la
pens‚e de Xun ; c’est certainement le pan de son enseignement sur lequel il a le plus insist‚,
d’un point de vue politique. Une civilisation, dit-il, ne peut s’‚tablir r‚ellement comme telle et
d‚velopper les hommes dans leur humanit‚ si elle n’‚tablit pas des rites. • D’o‹ viennent les
rites ? La r‚ponse est que les hommes naissent avec des d‚sirs. Ces d‚sirs ‚tant insatisfaits, il
ne peut pas ne pas y avoir d’exigences. Ces exigences ‚tant sans retenue, sans mesure, sans
partage et sans limites, il ne peut pas ne pas y avoir de conflits. Or, les conflits engendrent le
d‚sordre et celui-ci, la mis…re. Les Anciens Rois, par aversion pour un tel d‚sordre, cr‚…rent
les rites et l’‚quit‚ des devoirs rituels afin de proc‚der € des r‚partitions, de satisfaire aux
d‚sirs des humains, de r‚pondre € leurs exigences. Faire en sorte que les d‚sirs n’aillent point
exc‚der les choses et que les choses ne viennent point manquer aux d‚sirs, faire r‚gner entre
les deux un durable ‚quilibre, c’est cela qui a pr‚sid‚ € la naissance des rites. Ž (57)
En se soumettant aux rites, qui plus est, l’homme se structure : • C’est pourquoi je
dirai de ceux qui ne prennent pas les rites pour lois et qui ne s’en satisfont pas qu’ils sont des
gens d‚sorient‚s, tandis que ceux qui prennent mod…le sur les rites et qui y trouvent
satisfaction, je les appellerai avis‚s et bien orient‚s. Pouvoir m‚diter profond‚ment au sein
des rites, c’est savoir vraiment penser ; pouvoir demeurer immuable au sein des rites, c’est
„tre vraiment capable de fermet‚. Ž (58) La d‚sorientation de celui qui ne prend pas appui sur
les rites ne signifie pas seulement, et m„me pas fondamentalement, que cet individu va „tre
dans l’erreur (d’autant que Xun, comme Kong, semble adopter une certaine part de
relativisme culturel : il peut exister diff‚rents syst…mes de rites, d’une r‚gion € l’autre, d’‚gale
qualit‚ [59]) ; cette d‚sorientation signifie que la conduite d’un tel homme ne sera pas
organis‚e, qu’elle manquera de sens, de rigueur – de fermet‚. Sans rite, l’homme est livr‚ €
ses pulsions. La notion confuc‚enne de ritualit‚, € laquelle Xun donne une ampleur et une
dimension consid‚rables, s’‚tend bien au-del€ du seul respect des traditions, des usages et des
codes de politesse. La ritualit‚ englobe la totalit‚ des comportements humains, socialement et
culturellement d…termin…s, qui impliquent un acte d’autocontrŽle, une symbolisation
structur…e du comportement. La ritualit… d…finit l’essence du processus de civilisation.
Pour bien vivre dans sa collectivit…, en somme, l’homme doit se structurer et devenir
capable d’accepter des distinctions sociales contraignantes, qui g…n…reront une r…partition
optimale des tŒches, mat…riellement profitable „ chacun. • Qu’entend-on par "distinctions" ?
Voici : du vil au noble, il y a des classes ; du nourrisson „ l’aƒn…, il y a des degr…s. Riche et
pauvre, important et insignifiant ont leurs convenances. ‚ (60) La soci…t… est divis…e en
diff…rents ordres, dans diff…rents domaines (la classe, l’Œge, la fortune, mais aussi le sexe, le
m…tier, etc.). Aucun ordre n’est sup…rieur „ un autre, mais tous ont des pr…rogatives distinctes.
Les nobles ont des tŒches, les roturiers en en ont d’autres ; les vieux ont des devoirs et des
droits que n’ont pas les jeunes ; les statuts impliquent des usages diff…rents ; les sexes ont des
fonctions compl…mentaires et dissemblables ; chaque m…tier a une utilit… qui lui est propre.
Vouloir outrepasser ces ordres, c’est cr…er de la confusion. Les ordres ont …t… distingu…s pour
que toutes les activit…s soient assur…es au mieux, globalement, dans la soci…t… – sans
confrontation ni chaos. Il est dans l’int…r‡t de chacun de s’y soumettre, afin que les b…n…fices
soient aussi grands que possible, grŒce „ la coordination des efforts. • Si tous les sujets font
leur travail, nul n’ira au loin chercher sa subsistance, les ressources naturelles seront g…r…es
avec …conomie de faŠon „ n’en point …puiser les richesses, les tŒches seront ex…cut…es
conform…ment aux instructions reŠues sans que nul ne d…tourne rien „ son profit et l’enti†re
…nergie du peuple sera tendue vers un seul but. Si chacun tient sa place, il sera pourvu aux
besoins de tous. ‚ (61)
L’acquiescement aux hi…rarchies rel†ve …galement de la structuration du caract†re. Les
hi…rarchies sont indispensables, puisqu’elles constituent un …l…ment basique de la r…partition
des tŒches. Sans chefs pour diriger, il n’y aurait pas d’organisation possible. Mais, surtout, il
s’agit l„ encore pour le sujet de reconnaƒtre ses limites (et les vertus des autres), voire tout
simplement de se donner des limites, de limiter d…lib…r…ment son champ d’action, pour
permettre „ chaque monade de trouver une place appropri…e. Les individus, dont la pente
naturelle tend vers l’illimitation, doivent dans l’…tat de civilisation s’astreindre „ un lieu
circonscrit, se cantonner aux fronti†res qui leur reviennent, sans vouloir tout s’arroger. Ils
doivent honn‡tement, „ l’…cart de toute vanit…, voir les choses d’une mani†re probe, afin
d’…tablir des distinctions et des hi…rarchies ad…quates au r…alit…s. • Etre aussi noble que le Fils
du Ciel et avoir l’Empire pour richesse, c’est l„ le d…sir instinctif de chacun. Si l’on suivait ce
d…sir, aucune autorit… ne pourrait plus s’exercer et rien ne serait en suffisance. C’est pourquoi
les Anciens Rois ont institu… les rites et l’…quit… des devoirs rituels, afin de proc…der „ une
r…partition. Ils ont cr…… une hi…rarchie entre la noblesse et la roture, des degr…s entre l’enfance
et l’Œge adulte, ils ont d…partag… savants et ignorants, capables et incapables, faisant en sorte
que chacun ait une tŒche „ accomplir et soit trait… en cons…quence. Ce n’est qu’apr†s cela
qu’ils ont d…fini les …chelons des grades et des r…tributions. ‚ (62) Il fallut ainsi cr…er • une
hi…rarchie assurant une b…n…fique influence r…ciproque. Telles sont les bases qui permettent „
l’Empire de ne manquer de rien. Il est dit dans le Livre des Documents : "Trop d’…galit… nuit „
l’…galit…." Tel est bien le sens de mon propos. ‚ (63)
Xun …tait ind…niablement ultra-conservateur, sur un plan social. Mais ce conservatisme,
…tay… sur des bases philosophiques solides et rigoureuse, faisait de lui en pratique un critique
intransigeant des exc†s du pouvoir, voire un r…formiste radical ! Car, en enjoignant chacun „
respecter son rŽle dans la r…partition des tŒches, en soulignant que cette r…partition n’a de sens
que pour le bien commun qu’elle engendre, il ne sommait pas seulement le peuple de
respecter le souverain, ou les humbles d’accepter la sup…riorit… hi…rarchique des forts ; il
rappelait au souverain et aux forts que la pr……minence de leur fonction n’avait pas pour
l…gitimation de leur valoir un profit personnel, mais collectif. • Ce n’est pas pour les princes
que le Ciel a fait na‡tre les peuples, mais c’est pour les peuples que le Ciel a fait na‡tre les
princes. Ž (64) Si un souverain ne r…gne pas dans l’int‚r„t du peuple, ou qu’un fort ne jouit
pas d’un statut privil‚gi‚ dans l’int‚r„t de toute la communaut‚, la domination du souverain
ou des forts devient ill‚gitime. Xun reprend € son compte, comme tous ses camarades
confuc‚ens, la doctrine du Mandat C‚leste. Les rangs se justifient par la prosp‚rit‚ globale de
la population ; si le r…gne des puissants est inique, qu’il n’est pas men‚ en conformit‚ avec la
Voie, leur Mandat C‚leste leur est enlev‚, et le peuple a non seulement le droit, mais le devoir
moral de se r‚volter !
Xun pestait avec insistance contre la pratique des souverains de son temps, qu’il
accusait de gouverner € leur propre avantage. • De nos jours, […] on alourdit les impˆts pour
s’emparer des biens, on augmente les impˆts fonciers € en affamer le peuple, on alourdit les
taxes de douane et de march‚, rendant ainsi les affaires presque impossible. […] Tout le
monde sait que r…gne la corruption, la violence et le d‚sordre […]. Voil€ pourquoi il y a des
sujets qui assassinent leur prince, des inf‚rieurs qui tuent leur sup‚rieur […]. Ž (65) De m„me,
• il est des raisons pour lesquelles les voleurs agissent. Si ce n’est point par manque du
n…cessaire, c’est parce que certains poss†dent trop. ‚ (66) L’…quit… rituelle prescrit une tŒche „
chacun : celle des nobles est de gouverner. Mais s’il est juste que la noblesse reŠoive un
salaire plus ou moins important pour son labeur et ses responsabilit…s, elle n’a pas „ s’occuper
du lucre, mais doit le laisser aux simples, dont produire des biens et commercer est
pr…cis…ment l’attribution. • Le Fils du Ciel n’a pas „ parler de quantit…s, les grands n’ont pas „
parler de profits ni de pertes, les hauts fonctionnaires n’ont pas „ parler de b…n…fices ni de
manque „ gagner, les officiers n’ont pas „ parler de circulation des richesses. […] Tous,
depuis l’officier jusqu’au haut de la soci…t…, devraient rougir d’‡tre int…ress…s et de disputer au
peuple les travaux qui lui reviennent, ils devraient …prouver de la joie „ se conformer „ la
r…partition rituelle des tŒches et avoir honte d’accumuler et d’engranger. Ainsi le peuple
n’aurait-t-il aucune difficult… „ se procurer des biens et m‡me les plus mis…rables auraient
quelque chose entre les mains. […] Accumuler de grandes richesses sans s’occuper de ceux
qui n’ont rien, accabler le peuple de lourds travaux et frapper ceux qui ne parviennent pas „
les faire, voil„ comment naissent les mauvaises pratiques et comment les chŒtiments se
multiplient. ‚ (67) Xun proposait m‡me des r…formes sociales hardies, cens…es garantir „
chaque sujet la possession d’un terrain „ cultiver, pour lutter contre la concentration des terres
entre les mains des plus riches propri…taires. Il demandait aussi „ ce que des …tablissements
scolaires soient cr……s dans tous les villages, pour assurer un enseignement public universel
(68).
Enfin, la fortune mat…rielle des souverains, disait-il, n’est b…n…fique que si elle est
utilis…e en vue de l’int…r‡t public. Elle ne doit pas assurer le confort des puissants, m‡me si
elle y contribue indirectement, mais faire valoir la majest… du pouvoir pour unifier le peuple,
embellir les c…r…monies et financer une arm…e capable d’assurer l’ordre (69). Dans le cas o•
les seigneurs ne se soumettent pas „ une gestion …quitable du patrimoine commun dont ils
reŠoivent seulement la charge, et qu’ils ne poss†dent pas „ titre purement priv…, la s…dition se
justifie en revanche parfaitement. C’est un acte d’extr‡me courage, en effet, • de ne pas ob…ir
au prince d’une …poque de perdition ‚ (70) On doit • suivre la Voie et non le prince ‚, „ moins
que le prince ne suive lui-m‡me la Voie… L’ob…issance la plus digne n’est jamais aveugle :
• […] Un fils qui ob…it „ son p†re, dans quelle mesure est-il un fils pieux ? Un sujet qui ob…it
„ son prince, dans quelle mesure a-t-il le cœur droit ? R…fl…chir aux raisons qui portent „ ob…ir,
voil„ qui s’appelle pi…t… filiale et droiture. ‚ (71)
Non seulement les hi‚rarchies ne peuvent „tre justifi‚es que par l’int‚r„t global de la
population, mais, en outre, elles doivent „tre l‚gitim‚es ‚galement par des comp‚tences
r‚elles. Puisque la fonction des puissants est de diriger, il faut qu’ils soient aptes € le faire. Si
l’on estime par exemple, € l’‚chelle familiale, que les parents doivent diriger les enfants, c’est
que le privil…ge de l’Šge et de l’exp‚rience leur donne un ascendant intellectuel sur leur
prog‚niture. Par cons‚quent, € l’‚chelle de l’Etat, les administrateurs doivent „tre recrut‚s en
vertu de leurs talents plutˆt que de leur naissance ou de leur appartenance clanique. • Le
souverain ‚clair‚ consacrera tous ses efforts au choix des hommes Ž (72) et fera en sorte que
chacun soit • distingu‚ selon ses m‚rites Ž et reŒoive • le rang qui lui convient Ž (73). Xun, se
faisant, pr„chait pour sa propre paroisse, si l’on peut dire, puisqu’il demandait € ce que les
fonctions administratives soient attribu‚es aux lettr‚s, c’est-€-dire € cette classe d’hommes
que les confuc‚ens, depuis plusieurs g‚n‚rations, s’efforŒaient de former…
Le respect des distinctions et des hi‚rarchies est directement li‚ € un autre aspect
fondamental de la pens‚e de Xun : la rectitude des noms. Des noms ad‚quats aux r‚alit‚s
permettent d’‚tablir des distinctions conformes € la nature, et donc de r‚v‚ler ce que doivent
„tre les hi‚rarchies sociales. Les hi‚rarchies, en tant que telles, ne sont pas naturelles,
intrins…quement (d’ailleurs, seul l’homme est capable d’instaurer des rangs reposant sur des
crit…res ‚labor‚s ; les b„tes, elles, se soumettent simplement € la plus vaillante d’entre elles,
lorsqu’elles vivent en horde) ; en revanche, les distinctions culturelles qui fondent les
hi‚rarchies doivent „tre en accord avec la r‚alit‚, avec la nature, pour que la soci‚t‚
fonctionne bien. Et c’est la justesse des noms (des • distinctions s‚mantiques Ž) qui doit
garantir une telle ad‚quation. • Ainsi donc les Sages-Rois avaient-ils ‚tabli les d‚nominations
et, celles-ci ‚tant fix‚es, la r‚alit‚ ‚tait distincte, la Voie ‚tait suivie […]. Mais aujourd’hui les
Sages-Rois ont disparu et les d‚nominations sont conserv‚es avec n‚gligence, des expressions
invraisemblables fleurissent, la relation entre les mots et les choses est corrompue, les mots et
les choses n’ont pas de figures claires et, bien qu’il y ait des fonctionnaires pour veiller sur les
lois et des lettr‚s pour apprendre les textes, tout est en d‚sordre. S’il survenait un roi v‚ritable,
il saurait aussi bien se conformer aux anciens termes qu’en cr‚er de nouveaux. Il ferait
‚videmment preuve de la plus grande circonspection en examinant les raisons pour lesquelles
il faut des noms, ce qui pr‚side aux ressemblances et aux dissemblances et les principes €
partir desquels on cr‚e des noms. Ž (74)
Pourquoi est-il donc si important d’utiliser des termes ad‚quats, dans une soci‚t‚ ? Il y
va d’abord de la clart‚ des enseignements : lorsque les mots sont utilis‚s € tors et € travers, il
est difficile de faire comprendre des id‚es pointues et de structurer l’esprit. • Quand un mot
suffit pour d‚signer quelque chose ou une phrase pour montrer l€ o‹ on veut aller, il faut
s’arr„ter l€. Sortir de cela, c’est „tre ce que l’on appelle laborieux, c’est ce dont l’homme
accompli ne veut pas et dont le sot s’empare comme d’un tr‚sor. Ž (75)
Les distinctions nominales appuient en outre les distinctions sociales et l’‚quit‚
rituelle, comme on l’a dit pr‚c‚demment. Elles mettent le doigt, en haut, sur • la distinction
entre le noble et le vil Ž, et, en bas, sur • la s‚paration entre le semblable et le dissemblable Ž
(76). Les ordres sont ainsi nettement identifi‚s. Un langage pr‚cis et structur‚ d‚termine une
pens‚e rigoureuse et une conduite disciplin‚e. La confusion dans la langue entra‡ne la
confusion dans l’esprit et dans le comportement. Le degr‚ de d‚veloppement d’une
civilisation doit n‚cessairement se refl‚ter dans la sophistication et la qualit‚ de l’expression.
Xun remarque aussi que l’‚laboration de mots sans fondements g…ne la relation de
l’intelligence au r‚el. Il envisage en cela une doctrine emprunte d’un certain nominalisme, en
rappelant qu’un mot, pour fonder une pens‚e et un discours op‚ratoires, doit renvoyer € des
r‚f‚rents v‚ritables, et non € des chim…res (77). Dans l’esprit du c‚l…bre • rasoir d’Ockham Ž,
il nous met donc en garde contre l’affabulation linguistique, qui entra‡ne la perdition dans des
abstractions creuses. • C’est pourquoi, en coupant les mots en quatre et en fabriquant
arbitrairement des d‚nominations pour perturber les d‚nominations correctes, on a induit le
peuple en doute et bien des gens en de nombreuses et vaines joutes oratoires. Ž (78) Xun
affirme que la pens‚e ne peut s’appliquer rationnellement qu’aux ph‚nom…nes les plus
simples qui nous entourent (79). Cr‚er sans cesse des expressions de toute pi…ce, sans prendre
le temps de s’assurer qu’elles correspondent € des ph‚nom…nes tangibles, c’est risquer de
sp‚culer sur le n‚ant. • La v‚rit‚ alors ne monte pas jusqu’en haut, comme si un r„ve voilait
les sens et faisait obstacle € toute perception de la r‚alit‚ ext‚rieure. Ž (80)
Mais, plus que tout, peut-„tre, une juste langue doit contribuer € nous rendre
responsables en nous contraignant € assumer le monde tel qu’il est, sans nous r‚fugier dans le
fantasme ou l’illusion ; elle doit encadrer l’esprit dans un filet symbolique. Celui qui manipule
les mots recr‚e sinon la r‚alit‚ € son avantage, il s…me • le mensonge et l’hypocrisie Ž. Toutes
les v‚rit‚s deviennent alors possibles, pour lui, et il n’a plus qu’€ choisir celle qui l’arrange.
Ce faisant, pourtant, il se comporte comme un enfant capricieux, qui refuse de souscrire aux
‚vidences (82)…
En plus des distinctions sociales et s‚mantiques, Xun mentionne un autre facteur
essentiel dans l’accompagnement collectif de la tension individuelle vers la discipline et
l’autocontrˆle : les lois. Le syst…me l‚gal permet de contraindre les mis‚rables € suivre le
chemin de la vertu, m„me s’ils ne le d‚sirent pas. • Si l’on a bien clairement devant soi
honneurs, dignit‚s et r‚compenses et derri…re soi honte et chŠtiments, comment n’avanceraiton pas, m„me sans le vouloir, sur le chemin de la civilisation ? Ž (83) Les lois doivent faire en
sorte que l’int‚r„t bien entendu penche toujours en faveur du d‚veloppement psychologique et
moral. On se souvient en effet que, pour Xun, l’homme, qui est naturellement mauvais, n’est
initialement pouss‚ € structurer sa conduite que parce qu’il y trouvera sans doute en d‚finitive
un avantage. Mais que se passerait-il si, dans la majeure partie des cas, ou m„me seulement
tr…s souvent, l’int‚r„t € long terme rejoignait l’int‚r„t € court terme ? D…s lors, nul
n’‚prouverait plus le d‚sir de se structurer ; les hommes resteraient comme ils sont
originellement – pu‚rils, inconstants, agressifs – sans vouloir ‚voluer. Certes, la concorde
sociale est un bienfait immense, qui devrait suffire en g‚n‚ral € convaincre les individus de
discipliner leur conduite, pour b‚n‚ficier de l’appui du groupe ; mais admettons qu’un homme
ait de grandes possibilit‚s de s’enrichir en devenant brigand, ou, dans le cas d’un seigneur ou
d’un administrateur, en exploitant le peuple… Ne se dirait-il pas qu’il n’a nul int‚r„t, m„me €
long terme, € faire passer le bien commun avant son int‚r„t individuel ? Et ressentirait-il la
moindre motivation € l’id‚e de devenir plus adulte, moins avide et jouisseur ? Il s’enfermerait
durablement dans sa barbarie, n’ayant nul aiguillon pour le pousser au-del€… Les lois,
appliqu‚es avec justesse et rigueur, sont cet aiguillon. • Lorsque les sages-Rois ‚taient sur le
trˆne, la r‚partition rituelle des tŠches et l’‚quit‚ rituelle ‚taient pratiqu‚es par leurs sujets.
Les officiers et les hauts fonctionnaires agissaient sans licence ni d‚bordements, toutes les
cat‚gories de fonctionnaires effectuaient leurs tŠches sans paresse ni n‚gligence, les gens du
commun et le petit peuple avaient des mœurs sans vices et sans malignit‚, il n’y avait ni vol ni
brigandage, nul n’aurait oser se rebeller contre les ordres venus d’en haut. Tout le monde
savait, et cela ‚tait ‚vident aux yeux de tout l’Empire, que les voleurs ne pouvaient s’enrichir,
tous savaient que les bandits ne pouvaient vivre longtemps, tous savaient que ceux qui
bravaient les ordres d’en haut ne pouvaient demeurer en paix. Suivre la Voie des Sages-Rois,
c’‚tait obtenir ce que l’on aimait, et ne pas la suivre, c’‚tait se condamner € ce dont on ne
voulait pas. […] Chacun recevait le juste prix de son comportement. Ž (84) Le rˆle principal
des lois, avant m„me d’emp„cher ceux qui sont tout € fait herm‚tiques € la morale de semer le
d‚sordre dans la soci‚t‚, consiste donc € s’assurer que, dans chaque situation, il soit pr‚f‚rable
d’agir dans un sens qui nous impose un effort de discipline, d’autocontrˆle, de droiture, si
bien que nous soyons amen‚s € nous transformer, par l’habitude de nous comporter ainsi,
jusqu’€ en faire une seconde nature et y prendre go•t. GrŠce aux tribunaux et € la crainte
r‚v‚rencieuse qu’ils inspirent, • les gens violents, autoritaires, insolents et agressifs
s’amendent et deviennent respectueux, les gens partiaux, mesquins et ‚go•stes s’amendent et
deviennent conscients de l’int‚r„t public, les gens pr‚cipit‚s et n‚gligents s’amendent et
trouvent un juste ‚quilibre. Voil€ ce que j’appelle la grande transformation civilisatrice qui
conduit € l’unit‚. Ž (85)
Au contraire de bien des confuc‚ens, Xun accordait donc une importance certaine € la
loi et ne craignait pas d’envisager des sanctions s‚v…res. Il s’offusquait de ce qu’on demandŠt
de plus en plus € son ‚poque l’adoption de chŠtiments symboliques en lieu et place de
chŠtiments r‚els, pour r‚pondre au crime : marquage € l’encre au lieu du tatouage p‚nal, port
d’un bonnet infamant au lieu de l’ablation du nez, arrachage des genouill…res € la place de la
castration, port de chaussures de chanvres au lieu de l’ablation des pieds, port de v„tements
rouges sans bordure € la place de la d‚collation… • Consid‚rons en effet qu’un gouvernement
soit bon, les hommes alors ne commettent point de d‚lits et non seulement on n’aura pas
recours aux chŠtiments corporels mais les chŠtiments symboliques eux-m„mes seront sans
utilit‚. Si, en revanche, on consid…re qu’un homme a commis un crime et que l’on all…ge sa
peine, il n’en co•tera plus la vie pour avoir tu‚ et l’on ne sera plus chŠti‚ pour avoir bless‚
autrui. Si plus la faute est lourde et plus l‚g…re est la peine, l’homme ordinaire ne saura plus
o‹ est le mal et il ne saurait y avoir pire d‚sordre. Les chŠtiments existent € l’origine pour
emp„cher la violence et inspirer de l’aversion envers les actions mauvaises afin de les
pr‚venir pour le futur. Laisser la vie € un assassin et ne pas chŠtier celui qui a bless‚ autrui,
c’est encourager la violence et favoriser les coupables, ce n’est certes pas inspirer de
l’aversion envers les actions mauvaises. Ž (86) De m„me que la rectification des noms doit
nous enraciner dans une structure symbolique responsabilisante, qui nous oblige € admettre
qu’une r‚alit‚, au-dehors de nous, nous d‚passe et nous impose son cadre, l’‚quit‚ des
r‚compenses et des chŠtiments, leur ad‚quation r‚active € la r‚alit‚ de nos actions, doit nous
montrer clairement que tout ce que nous faisons a des cons‚quences et que nous ne pouvons
nous y soustraire. • Si la vertu ne correspond pas au rang, si la comp‚tence ne r‚pond pas au
poste occup‚, si la r‚compense ne correspond pas au m‚rite et si le chŠtiment ne correspond
pas € la faute, c’est la pire des calamit‚s. Ž (87)
Il faut tout de m„me pr‚ciser que, par ailleurs, Xun n’avait de cesse non plus de
s’indigner de la tendance des gouvernants € appliquer des peines de plus en plus cruelles,
inadapt‚es aux fautes – non cette fois par exc…s de mollesse, comme les partisans des peines
symboliques, mais par exc…s de duret‚. Le royaume de Qin – qui mettait rigoureusement en
œuvre la doctrine l‚giste, et pour lequel travaill…rent Li Si et Ma‡tre Fei de Han –
embl‚matisait particuli…rement ce mauvais penchant des nouvelles techniques de
gouvernement ‚tablies € l’‚poque. Les strat…ges de l’arm‚e, par exemple, faisaient na‡tre la
peur dans le cœur des soldats, pour les inciter € se battre, et dans le cœur des ennemis, pour
les inciter € se rendre. • Qin est certes invaincu depuis quatre g‚n‚rations, mais il vit dans la
crainte que le monde ne s’unisse pour abattre sa puissance, il a ce que j’appelle une arm‚e de
temps de d‚cadence qui ne porte pas en elle les ferments des bons principes. Ž (88) Les
empires autocratiques et brutaux se dotent d’une puissance politique € courte vue, ils ne vont
pas chercher la vertu • € la racine, mais au bout des branches Ž, et leur grandeur, pour cette
raison, ne peut „tre d‚pourvue d’ambivalence, ni durer.
Xun, au final, ne veut pas oublier que la loi sert d’abord des vis‚es ‚thiques. Aussi ne
demande-t-il malgr‚ tout de recourir aux r‚compenses et aux chŠtiments qu’avec retenue,
pour accompagner le d‚veloppement de la vertu, mais sans aller jusqu’€ s’y substituer. Sinon,
les hommes n’agiront plus que par amour des r‚compenses et crainte des chŠtiments ; ils ne
souscriront plus aux rites parce qu’ils se seront structur‚s int‚rieurement, mais d’une faŒon
tout € fait ext‚rieure et imm‚diatement int‚ress‚e. • En fait, ceux qui r‚gissent les pays et qui
m…nent les peuples, s’ils veulent aller vite en besogne et courir au succ…s, la douceur et
l’harmonie valent mieux pour eux que la force et la contrainte ; la loyaut‚, la confiance, la
justice, valent mieux que distribuer des r‚compenses. Commencer par ‚duquer et rectifier son
propre caract…re pour s’attacher ensuite € amender les autres, cela en impose davantage que
d’user de chŠtiments. Ž (89) Cette sentence fait ‚cho € une remarque similaire du Grand
Ma‡tre Kong : • Quand le gouvernement repose sur des r…glements et que l’ordre est assur‚ €
force de chŠtiments, le peuple se tient € carreau mais demeure sans vergogne. Quand le
gouvernement repose sur la vertu et que l’ordre est assur‚ par les rites, le peuple acquiert le
sens de l’honneur et se soumet volontiers. Ž (90)
La r‚flexion de Xun sur la justice nous am…ne € relever un point important. Quand le
ma‡tre affirme que la nature humaine est mauvaise, comme on l’a vu, il ne dit pas que
l’homme est ontologiquement mauvais, mais plutˆt qu’il est spontan‚ment indisciplin‚ et
immature. Il n’y a pas de m‚chancet‚ ontologique, chez Xun (€ l’inverse de chez Saint
Augustin, par exemple, pour qui l’homme fait parfois le mal pour le mal, par simple go•t du
p‚ch‚). On peut toujours trouver des explications au comportement cruel d’une personne : un
m‚chant homme, d’ailleurs, n’est jamais rien d’autre qu’un homme ‚go•ste et mal ‚lev‚. Mais
ce n’est pas pour autant que le p‚dagogue ou la justice doivent „tre tendres. Il faut faire
preuve de bienveillance, bien s•r, lorsqu’on ‚duque ou qu’on juge, pour que le processus de
symbolisation soit bien int‚gr‚ et fonctionne € plein ; mais il faut aussi „tre ferme. Un
chŠtiment ne sanctionne pas en effet un criminel parce qu’il le m‚rite ontologiquement, au
nom d’un Bien et d’un Mal absolus, mais parce que c’est utile socialement et
psychologiquement, pour harmoniser le monde et harmoniser les individus. On peut chŠtier
sans ha•r. De ce point de vue, la col…re se distingue de la haine, pourrait-on dire, car elle
n’absolutise pas les reproches ; elle leur conserve une port‚e relative. • […] Si l’on condamne
sans instruire, le chŠtiment est absurde et la barbarie n’est pas vaincue ; si l’on instruit sans
jamais condamner, les mauvaises gens ne seront pas corrig‚s […]. Ž (91)
Il faut encore souligner un dernier ‚l‚ment d’analyse € propos de cette question. La loi
a une utilit‚ pratique, pour Xun, car elle emp„che les m‚chants de nuire et les incite
symboliquement € se structurer, € devenir gentils. Mais elle ne dispose pour autant d’aucune
l‚gitimit‚ intrins…que, absolue. La seule l‚gitimit‚ authentique ‚mane de la Voie – ou, plus
pr‚cis‚ment, de la conformit‚ de l’action avec la r‚alit‚ naturelle – et se manifeste € travers la
morale. Le reste n’est que pure l‚galit‚. C’est pourquoi le sage, qui vit dans la morale plutˆt
que pour ses simples d‚sirs, bafouera la loi si elle n’est pas conforme € la Voie, de mani…re €
ne pas se laisser pervertir par elle. Xun refuse l’id‚e d’une transcendance des lois par rapport
aux hommes, au contraire des l‚gistes, car, pour lui, la loi n’a pas € „tre absolument respect‚e,
mais seulement relativement € la Voie, qu’elle doit normalement ‚pouser. Aussi est-il
l‚gitime € ses yeux de ne pas ob‚ir € un gouvernement inique.
Enfin, Xun nous en voudrait sans doute de ne pas mentionner un dernier facteur
principal, dans l’accompagnement des personnes vers la maturit‚ : la musique (ainsi que l’art,
de mani…re plus g‚n‚rale). Comme nombre de penseurs de l’Antiquit‚, il consid…re en effet la
musique comme un mode de structuration de l’Šme. Non seulement l’art est-il le reflet du
degr… de civilisation d’un peuple, mais il en est aussi l’agent et le ferment. • Les sons et la
musique p…n†trent profond…ment l’homme et l’influencent rapidement, c’est pourquoi les
Anciens Rois ont particuli†rement veill… „ ce qu’ils fassent partie de la culture. ‚ (92) Puisque
la maturit… se d…finit par l’ordre, une bonne musique sera elle-m‡me ordonn…e : • Lorsque la
musique est mod…r…e et …quilibr…e, le peuple go•te l’harmonie et ne tombe pas dans la licence ;
lorsqu’elle est grave et incite au respect, le peuple est d’humeur …gale et ne penche pas vers le
d…sordre. ‚ (93) Et, puisque l’immaturit… se d…finit par le d…sordre, au contraire, une mauvaise
musique sera quant „ elle licencieuse, lascive, d…sordonn…e ; elle encouragera la paresse et le
refuge dans l’imm…diatet… des sens plutŽt que l’effort sur soi, la discipline int…rieure et la
patience. • […] Une musique frivole et mani…r…e est funeste, incitant le peuple „ la licence, au
laisser-aller, „ la satisfaction de vils penchants. ‚ (94) Il y a ainsi identit…, pour Xun, du beau
et du bon ; la beaut… authentique est bonne, tandis que les beaut…s d…voy…es sont mauvaises.
L’harmonie classique des formes correspond analogiquement et psychologiquement „
l’harmonie du caract†re (au sens de la civilit… et de la soumission „ des r†gles), et la licence
po…tique ou musicale correspond analogiquement et psychologiquement „ la licence des
mœurs (au sens de la libert… spontan…e de la conduite, de la bestialit…).
Le probl†me, …videmment, tient „ ce que les gens mauvais sont plus naturellement
attir…s par les musiques mauvaises, qui correspondent „ leurs penchants et les flattent ; ils y
trouveront l’expression de leur propre absence de mod…ration, de leur d…sir de jouissance
d…brid…, de leur violence, de leur impulsivit…, etc. Une bonne musique, en revanche, raffermit
l’Œme et la d…veloppe, la fait tendre vers l’…tat le plus noble des passions ; aussi n’attire-t-elle
que les sages... • Lorsque […] le peuple n’est ni en paix ni „ sa place, il n’est pas heureux au
sein de sa r…gion ni satisfait de ses sup…rieurs. Alors les rites et la musique se d…gradent, des
sonorit…s mals…antes apparaissent et c’est la porte ouverte au danger, „ la r…gression, „ la
d…cadence et „ la honte. Voil„ pourquoi les Anciens Rois tenaient la musique en haute estime
et m…prisaient les sonorit…s mals…antes. ‚ (95)
La spiritualit€
Il y a encore une question essentielle € laquelle nous n’avons pas r‚pondu, au sujet de
la pens‚e de Xun. Nous savons pourquoi l’homme, initialement mauvais (d‚structur‚), est
incit‚ € se d‚velopper vers la gentillesse (la rigueur) : il vise son int‚r„t bien entendu, que lui
r‚v…le € la fois son intelligence et l’‚ducation qu’il reŒoit, et qui se trouve socialement
confort… par l’application juste et ferme des lois. Nous savons aussi pourquoi l’homme, en
d…pit de son caract†re originellement immature, est capable d’aimer sinc†rement les autres et
de se sacrifier pour sa communaut… : c’est parce qu’il …prouve naturellement de l’attachement
pour ses semblables et qu’en se d…veloppant il donne „ son amour des possibilit…s
d’expression plus larges. Mais ce que nous ne savons pas, en revanche, c’est pourquoi, une
fois transform…, l’homme prend go•t „ sa seconde nature au point de ne pas vouloir revenir en
arri†re. Qu’est-ce qui rend cette seconde nature plus d…sirable que la premi†re, lorsqu’on l’a
atteinte ? Certes, elle permet une plus grande harmonie sociale, et va dans le sens de notre
int…r‡t. Mais Xun souligne „ plusieurs reprises que l’homme de bien reste …pris de l’…quit…
rituelle m‡me lorsque celle-ci s’oppose „ son int…r‡t, voire en l’absence de toute relation
d’attachement personnel qui pourrait justifier une conduite g…n…reuse. L’homme de bien, „
vrai dire, aime l’…quit… rituelle pour elle-m‡me, parce qu’il se sent €panoui en y souscrivant.
Le fait d’„tre structur‚ g‚n…re de la joie.
Xun croit au bonheur par la culture et critique pour cette raison le mat‚rialisme d’une
mani…re intransigeante. • L’homme vil […] ne s’attache qu’au cˆt‚ mat‚riel et ne s’int‚resse
pas € la culture, ce qui ne peut que le faire choir dans une lamentable m‚diocrit‚. Ž (96) Notre
auteur d‚veloppe € cet ‚gard une philosophie eud‚moniste, o‹ le bonheur est le plus grand
bien et justifie la relativisation de la jouissance imm‚diate, c’est-€-dire de ce que nous
appellerions les aspirations h‚donistes et sensuelles. Nous devons nous soumettre € l’‚quit‚
rituelle et au travail non seulement parce qu’ils confortent notre int‚r„t € long terme, mais
aussi parce que le fait de nous confronter € l’effort ou au labeur nous structure en profondeur,
et parce que cette structuration m„me, en nous exposant € la Voie, nous rend heureux : • […]
A celui qui est capable d’une v‚ritable m‚ditation int‚rieure, peu importe ce qui est €
l’ext‚rieur. […] Si un travail est dur, mais place l’esprit dans un ‚tat de paix, faites-le. Si le
rapport en est faible, mais que l’‚quit‚ rituelle y trouve largement son compte, faites-le aussi.
Servir un mauvais prince et faire ainsi carri…re, cela ne vaut pas servir un prince obscur en
demeurant conforme [€ la Voie]. Un bon paysan ne refusera pas de travailler la terre sous
pr‚texte qu’il fait trop sec, un bon marchand ne refusera pas de vendre parce qu’il perd de
l’argent, de m„me un homme avis‚ et un homme accompli ne d‚laisseront pas la Voie sous
pr‚texte qu’ils sont d‚laiss‚s. Ž (97)
Le bien est supr„mement bon (il est • souverain Ž, auraient dit les Grecs), par la
satisfaction qualitativement sup‚rieure qu’il nous apporte, par rapport € la satisfaction brute
du d‚sir. M•rir est intrins…quement une source d’‚panouissement, non d’abord en raison de
l’int‚r„t mat‚riel qu’on y trouvera certainement au final, mais en raison du b‚n‚fice
existentiel et spirituel qu’implique une telle ‚volution. Il est ‚vident qu’un tel bonheur est
beaucoup trop abstrait, aux yeux de l’individu immature qui ne l’a jamais ‚prouv‚, pour
constituer une motivation suffisamment forte et l’inciter € changer ; il y faut donc initialement
des adjuvants, comme l’int‚r„t bien entendu. Mais, pour le sage qui a d‚couvert cet ‚tat, la
pl‚nitude qu’il ressent devient un mobile en soi et il ne lui viendrait pas € l’esprit de revenir
en arri…re.
Nous dirions que la joie vaut davantage que le plaisir, dans la doctrine de Xun, parce
que celui qui suit la Voie et vit dans la culture s’‚pargne une grande part de souci. Il affine
son rapport au monde et puise un grand bonheur dans les moindres situations, dont il profite €
fond. Son regard est suffisamment structur‚ pour admirer les plus humbles paysages, pour
s’‚merveiller des plus humbles pr‚sents. Peu lui suffit pour ‚prouver une vive satisfaction,
parce qu’il voit le tr‚sor de chaque instant ; il ne se sentira donc jamais vide. Il admet que tout,
dans l’existence, est fragile et pr‚caire, et bien que le malheur le d‚sole, son affliction devant
la peine est mod‚r‚e par sa fermet‚. Il s’attend € la difficult‚, et a appris € s’y r‚signer : elle le
chagrine, mais ne le plonge pas dans le d‚sarroi. L’affairement mat‚rialiste, € l’inverse, ne
go•te que la surface des choses et, insatiable, veut tout s’approprier, comme pris d’une
obsession boulimique. L’angoisse na‡t alors, et emp„che de jouir vraiment de ce qu’on
poss…de. Aussitˆt a-t-on obtenu une babiole qu’on craint de la perdre ; dans le m„me temps,
pourtant, on s’en est tr…s vite lass‚, elle ne nous captive m„me plus, et, bien qu’on se
morfonde € l’id‚e d’en „tre priv‚, on en veut d‚j€ une autre, comme un enfant. • […] Tous
ceux qui accordent une grande importance aux choses mat‚rielles ont l’esprit en souci et tous
ceux qui s’‚cartent du sens profond des vrais principes sont mis en danger par l’ext‚rieur.
Tous ceux que l’ext‚rieur met ainsi en danger sont rong‚s par une crainte int‚rieure. Et si l’on
a le cœur empli de crainte et de souci, on ne reconna‡t m„me pas le go•t des viandes exquises
qu’on mange, ni le son des cloches et des tambours qu’on entend, pas davantage l’aspect des
broderies et des brocards qu’on a sous les yeux ou le confort d’un v„tement doux et l‚ger et
d’une natte souple. Alors on a devant soi les merveilles des dix mille „tres [de toutes les
choses de l’univers] et l’on est incapable d’en jouir et, m„me si l’on go•te parfois un instant
de r‚pit, on n’est jamais d‚livr‚. Ž (98)
Xun explique le mat‚rialisme par l’avidit‚ pu‚rile et la superficialit‚, qu’il relie €
l’angoisse ; et il justifie la frugalit‚ du sage par sa subtilit‚ de go•t et sa clairvoyance, qu’il
associe € la s‚r‚nit‚. • La joie de l’homme accompli est d’atteindre la Voie, la joie de
l’homme de peu est d’assouvir ses d‚sirs, mais si l’on contrˆle ses d‚sirs par l’entremise de la
Voie, la joie ne sera source d’aucun d‚sordre, tandis que si les d‚sirs font oublier la Voie, on
erre aveugl‚ment et il n’y a plus de joie. Ž (99) La joie du sage et la joie de l’homme de peu
ne sont donc pas d’‚gale valeur, car la joie du sage est r‚elle, tandis que celle de l’homme de
peu est perp‚tuellement gŠch‚e par sa d‚tresse psychologique. L’homme d‚structur‚ est ‚gar‚,
d‚sorient‚, sans but ; derri…re sa fr‚n‚sie se terre le plus d‚sempar‚ des nihilismes, qui ne peut
rien appr‚cier vraiment, rien valoriser en profondeur…
Pour autant, Xun ne renie pas la l‚gitimit‚ des d‚sirs. Il ne pr„che pas l’abstinence,
mais la mod‚ration et la discipline. Vouloir l’impossible est d‚mesur‚ ; il faut ramener ses
esp‚rances € la mesure r‚elle du monde, pour t‚moigner d’un caract…re fort et lucide. Les sots
veulent • ‚puiser l’in‚puisable Ž et • poursuivre l’inaccessible Ž, tandis que les hommes de
bien • se fixent une limite Ž (ils tiennent compte des limites impos‚es par le monde, comme
ils tiennent compte des limites impos‚es par l’ordre social et l’‚quit‚ rituelle, etc.) (100).
Mod‚rer et discipliner les d‚sirs, d’ailleurs, ne veut m„me pas dire les restreindre en
eux-m„mes. Il n’est pas possible de restreindre un d‚sir, qui nous est l‚gu‚ par la nature. • La
nature est ce qui nous est donn‚, nos instincts en constituent la part la plus intime et nos d‚sirs
sont la r‚ponse apport‚e € nos instincts. Quand nous estimons que ce que nous d‚sirons peut
„tre obtenu, nous cherchons de ce fait € l’obtenir, cela nous est instinctivement in‚vitable. Ž
(101) Ce que l’intelligence peut faire, en revanche, c’est orienter l’action au mieux pour que
les d‚sirs soient aussi bien que possible satisfaits et d‚terminer ce qu’on peut € bon droit
esp‚rer ou non. Xun prend position contre ceux qui demandent na•vement € l’homme de ne
plus rien d‚sirer, ou de d‚sirer peu. • Ceux qui, exprimant des id‚es sur l’art de gouverner les
hommes, pr‚tendent qu’il faut neutraliser les d‚sirs n’ont cependant aucun moyen de ma‡triser
ces d‚sirs et ils en ‚prouvent bien des difficult‚s. Ceux qui, dans ce m„me domaine,
pr‚tendent qu’il faut rar‚fier les d‚sirs n’ont cependant aucun moyen de les restreindre et
rencontrent bien des difficult‚s du fait de leur multiplicit‚. Avoir des d‚sirs ou n’en avoir pas,
c’est appartenir € des genres diff‚rents et cela d‚pend du caract…re instinctif et non de l’art de
gouverner les hommes. Ž (102)
On ne peut par exemple emp„cher tout individu de vouloir vivre ‚ternellement. Le
d‚sir est en nous, et il n’est pas raisonnable de vouloir l’en extraire. En revanche,
l’intelligence peut nous montrer qu’il est absurde d’avaler pilules sur pilules, comme le
pr„chent les tao•stes, car, pour prix de sa cr‚dulit‚, on ne gagnera pas l’immortalit‚, mais on
se d‚truira le tube digestif tout en se ruinant financi…rement au profit de charlatans ; de plus,
l’homme qui accepte l’in‚luctabilit‚ de la mort, bien qu’il ne cesse ‚videmment jamais de
s’en d‚soler, sait € quoi s’en tenir et n’oublie pas de vivre, € l’inverse de celui qui demeure
obs‚d‚ par la possibilit‚ chim‚rique d’‚chapper € son sort (103). • Lorsqu’un d‚sir est
excessif et que l’action ne le suit plus, c’est que l’esprit a mis un frein. Si l’esprit sait se
montrer mod‚r‚, les d‚sirs n’engendreront point de d‚sordre, quelque nombreux qu’ils soient.
Si les d‚sirs ne vont pas trop loin mais que les actes commis soient excessifs, cela est le fait
de l’esprit. Si l’esprit est capable d’immod‚ration, si peu nombreux que soient les d‚sirs,
comment ‚viter le d‚sordre ? Ž (104) La mod‚ration, en somme, ne r‚side jamais dans le d‚sir
en tant que tel, mais dans la mani…re que l’homme a de g‚rer intellectuellement,
psychologiquement et moralement ses pulsions inn‚es. Le d‚sir, m„me exub‚rant, m„me
irr‚alisable, ne peut „tre mauvais ; le mal vient toujours de l’indiscipline de caract…re, qui
pousse l’esprit € croire possibles des choses qui ne le sont pas, et € œuvrer alors d’une
mani…re inconsid‚r‚e, par caprice.
S’il est bestial de c‚der aux d‚sirs sans les encadrer rituellement € travers la culture et
l’intelligence, en tout cas, il n’est pas meilleur pour Xun de pr‚tendre les refouler enti…rement.
Il ne pourrait y avoir de bonheur, et le bonheur ne pourrait „tre lui-m„me la finalit‚ pratique
ultime de l’‚quit‚ rituelle et de la culture, si les d‚sirs devaient „tre r‚prim‚s plutˆt que
raffin‚s et sublim‚s. • Les rites commencent dans la simplicit‚, s’accomplissent dans la
culture et trouvent leur ach…vement dans le bonheur. C’est pourquoi leur expression la plus
compl…te conjugue les deux aspects ‚motionnel et culturel. Cette compl‚tude sera moindre si
l’un de ces deux aspects est privil‚gi‚ et ce n’en est que la forme la moins ‚lev‚e qui
s’efforcera de retrouver l’unit‚ antique par un biais purement ‚motionnel. Ž (105) L’‚tat le
plus vil de l’humanit‚ est donc la barbarie (la vitalit‚ du d‚sir sans symbolisation rituelle), que
d‚passe l‚g…rement en valeur la civilisation vid‚e de son contenu ‚motionnel (la
symbolisation d‚vitalis‚e), mais que sublime seulement tout € fait la civilisation dans ce
qu’elle a de plus authentique et de plus humain (la symbolisation du souffle vital) (106).
• C’est pourquoi je dis que le naturel est racine, commencement, bois brut, alors que ce qui
est ‚labor‚ est culture, sens profond des choses, ‚l‚vation, enrichissement. Si le naturel n’est
pas l„, il n’y a rien „ …laborer, mais, sans ‡tre …labor…, le naturel ne saurait briller de luim‡me. ‚ (107)
L’asc…tisme de certains sages, quoi qu’il en soit, t…moigne de ce point de vue d’une
incompr…hension de la Voie : • Craignant pour son sens moral, Maƒtre Meng se s…para de sa
femme. C’est l„ se contraindre soi-m‡me et non aboutir „ une pens…e. Maƒtre You se br•lait la
main de crainte de c…der au sommeil. C’est l„ se r…primer soi-m‡me et non acc…der „ ce que
l’on aime faire. Bannir les sollicitations des yeux et des oreilles, …carter de soi tout bruit
d’insecte, c’est l„ se m…fier de soi-m‡me et non ‡tre subtil. Etre subtil, c’est en effet r…ussir „
‡tre un homme v…ritable et quel besoin un homme v…ritable …prouverait-il de se contraindre,
de se r…primer ou de se m…fier de soi-m‡me ? ‚ (108) Il est clair en cela que Xun professait
une spiritualit… non …th…r…e, fond…e sur le raffinement des d…sirs et la culture des passions par
l’esprit. Son opposition tranch…e au mat…rialisme h…doniste ne peut ‡tre interpr…t…e dans un
sens asc…tique, mais plutŽt dans la perspective d’une spiritualit… pratique, o• l’esprit n’est pas
conŠu en opposition au corps, mais comme son compl…ment indispensable.
Cette id…e se retrouve dans ses convictions cosmogoniques et religieuses au sens large,
articul…es autour de la compl…mentarit… des diff…rentes sph†res de l’Etre. Xun se d…fiait des
croyances providentialistes : pour lui, l’homme ne doit attendre aucune compassion du divin,
qui n’est pas dot… d’intentions propres, mais agit d’une faŠon purement innocente. • Le ciel ne
met pas fin „ l’hiver parce que l’homme a horreur du froid. ‚ (109) La superstition est
mauvaise, „ ses yeux, parce qu’elle am†ne l’homme „ se d…fausser de ses responsabilit…s.
Lorsque l’individu se tourne vers les dieux et qu’il leur demande de l’aide, notamment, il
oublie de prendre en charge lui-m‡me son destin, avec courage et t…nacit…. • C’est pourquoi
l’homme accompli porte son attention sur ce qui d…pend de lui au lieu de se tourner vers ce
qui d…pend du ciel, et c’est en cela qu’il progresse chaque jour. L’homme de peu, pour sa part,
n…glige ce qui d…pend de lui et attend tout du ciel, ce qui le fait chaque jour r…gresser
davantage. ‚ (110)
Faut-il en conclure que Xun faisait l’apologie de l’esprit technicien, qu’il invitait
l’homme „ se rendre • maƒtre et possesseur de la nature ‚, deux mille ans avant Descartes ?
C’est ce que beaucoup de commentateurs ont estim… (111). Mais rendre sa place „ l’homme
ne signifie pas d…nier celle du monde environnant ; Xun cherchait en fait une position
d’…quilibre entre l’humain et le divin, et invitait les individus, comme dans d’autres domaines,
€ prendre conscience des limites des choses : certaines r‚alit‚s nous concernent, et il serait
irresponsable de ne pas nous soucier d’elles, mais d’autres nous d‚passent, et celles-l€
resteront toujours hors de notre port‚e. La sagesse consiste € ne faire ni trop, ni trop peu. De
m„me que chaque personne doit occuper une juste place au sein de la soci‚t‚, l’humanit‚ doit
occuper une juste place au sein de l’univers. • Le ciel a ses raisons, la terre a ses richesses,
l’homme a son organisation. C’est ce qu’on appelle la possibilit‚ de former une triade, mais
laisser de cˆt‚ ce grŠce € quoi l’on fait partie de cette triade pour aller se pencher sur les
autres composantes de la triade, cela est insens‚. Ž Un lien existe par cons‚quent entre
l’Homme, le Ciel et la Terre. L’Homme repr‚sente l’aspect culturel ; le Ciel repr‚sente la
nature envisag‚e dans son aspect intellectuel (le cours de la vie, le cycle des saisons, etc.) ; et
la Terre repr‚sente la nature sous son aspect mat‚riel. Notre esp…ce doit jouer son rˆle au sein
de cette Triade cosmique, pour que l’‚quilibre de la Voie atteigne son point optimal.
L’homme, en d’autres termes, compl…te la nature par sa capacit‚ rituelle de distinction
et de r‚partition. • J’affirme donc que la r‚union du Ciel et de la Terre donne naissance aux
dix mille „tres, que la relation du Yin et du Yang est le moteur de toutes les transformations et
‚volutions et que la combinaison de la nature avec la culture permet € ce qui est sous le ciel
d’„tre en ordre. La c‚leste nature peut donner naissance € toute chose mais non les organiser,
la terre peut porter les humains mais non les gouverner, les dix mille „tres qui sont entre les
deux assurent la vie de l’humanit‚ mais ils attendent que le sage les r‚partisse. Il est ‚crit dans
le Livre des odes : "J’ai gagn… et je me suis attach… tous les esprits tut…laires jusqu’„ ceux des
fleuves et des hautes montagnes." Cela illustre bien le sens de mon propos. ‚ (112)
Un ordre, quel qu’il soit, ne saurait d†s lors ‡tre naturel, pour Xun. C’est ainsi une
aberration de fonder le pouvoir sur une Volont… divine. Le Divin n’a pas de volont… et, plus
encore, il n’a pas d’ordre. Tout ordre est essentiellement humain. En revanche, un ordre est en
conformit… avec la Voie selon qu’il est ou non ad…quat au mode de fonctionnement de la
nature, „ ce dont on h…rite et qu’on ne peut choisir. Le Mandat C…leste accord… aux souverains
ne signifie pas que les princes et les seigneurs r†gnent par la volont… des dieux, mais plutŽt
pour cette raison que leur r†gne n’est l…gitime que s’il s’accorde avec ce que sont les dieux,
avec ce qu’est la nature, pour mettre le monde en ordre intelligemment et harmonieusement
(113).
Il est tr…s important de comprendre que, dans la perspective de Xun, la culture ne vient
pas se substituer € la nature ; elle vient plutˆt s’int•grer € elle. La culture n’est pas oppos‚e €
la nature, comme dans la tradition dualiste occidentale, mais elle en est l’expression et le
compl‚ment (exactement comme le Yin exprime et compl…te le Yang, et inversement). La
grandeur humaine n’est pas de se dresser par-dessus la nature, pour l’arraisonner
m‚caniquement, mais de remplir sa fonction en son sein, organiquement. • Obscurcir le
souverain naturel, perturber les organes naturels, n‚gliger l’instinct naturel de nutrition, aller
contre le mode de fonctionnement naturel, tourner le dos aux sentiments naturels, an‚antissant
ainsi le travail de la nature, du ciel, cela s’appelle le comble du n‚faste. Le sage au contraire
purifie en lui le souverain naturel, il use correctement de ses organes naturels, veille €
l’‚quilibre de la nutrition naturelle, se conforme au mode de fonctionnement naturel et nourrit
des sentiments naturels afin que puisse pleinement s’accomplir le travail de la nature, du ciel.
Ainsi est-il bien conscient de ce qu’il doit faire et de ce qu’il ne doit pas faire […]. Ž (114).
On ne doit surtout pas oublier que, dans la pens‚e chinoise ancienne, et notamment
dans la tradition confuc‚enne, il n’existe aucun rapport de rupture et de transcendance entre
l’Homme, le Ciel et la Terre : tous sont au contraire unis dans un rapport de continuit‚ et
d’immanence. Cette immanence interdit en cela deux attitudes, qui sont pr‚cis‚ment
caract‚ristiques du dualisme occidental : une attitude d’arraisonnement technique, o‹
l’homme est conŒu comme une instance ind‚pendante, ext‚rieure au monde et apte € le
contrˆler, et une attitude de contemplation d‚sint‚ress‚e, o‹ le monde, toujours ext‚rieur, ne
peut qu’„tre observ‚, sans qu’il soit possible ou raisonnable d’agir sur lui. La c‚sure entre
l’homme et le monde l‚gitime ainsi alternativement une posture o‹ l’homme domine le
monde d’une faŒon volontariste et une posture o‹ le monde domine l’homme d’une faŒon
fataliste. Pour Xun, € l’inverse, cette c‚sure n’existe pas : il est de ce fait absurde de pr‚tendre
tirer des fruits du monde sans en respecter le pouls (115), tout comme il est absurde d’‚tudier
le pouls du monde sans en recueillir les fruits (116). On ne r‚oriente pas le cours de la nature ;
on utilise son flux € son meilleur avantage, pour tŠcher d’aller o‹ l’on peut. Mais pourquoi se
laisserait-on seulement porter par le courant, sans essayer au moins d’aller € gauche ou €
droite de la rive, puisqu’on en a les moyens ? On ne peut nager € contre-courant du fleuve,
mais, tout en suivant son cours, plusieurs directions sont permises… Le destin de l’homme et
celui du monde sont enchev„tr‚s. Cela veut dire qu’on n’obtient des r‚sultats qu’en accord
avec le monde, mais aussi que les d‚sirs de l’homme font partie du monde au m„me titre que
n’importe quel autre aspect de la nature. Sous pr‚texte que les positions de Xun ‚chappent €
une interpr‚tation contemplative, on en a parfois d‚duit qu’il faut les interpr‚ter dans un sens
technicien ; mais ni l’une ni l’autre de ces perspectives ne rendent compte des enjeux
v‚ritables de la pens‚e du philosophe, qui s’articule d’une faŒon tout € fait diff‚rente.
David L. Hall et Roger T. Ames ‚crivent : • L’ubiquit‚ du concept de transcendance
dans la tradition occidentale a introduit dans notre arsenal conceptuel une s‚rie de concepts
qui s’opposent mutuellement […], et qui, bien que totalement inappropri‚s au traitement de la
philosophie chinoise classique, ont n‚anmoins s‚rieusement infect‚ la langue que nous
sommes forc‚s d’utiliser pour t‚moigner de cette philosophie. L’immanence mutuelle des
‚l‚ments fondamentaux du cosmos confuc‚en – le Ciel, la Terre et l’Homme – d‚bordent
l’utilisation du langage de la transcendance et rendent par cons‚quent inop‚rante toute sorte
de contraste dualiste. Ž (117) C’est pourquoi la religion chinoise de l’…re confuc‚enne ne doit
pas „tre appr‚hend‚e non plus en terme de transcendance, mais de spiritualit‚ immanente,
comme le note cette fois Thomas Berry : • En derni…re instance, la r‚alit‚ supr„me dans la
vision du monde chinoise et son accomplissement spirituel supr„me r‚side dans la
communion compr‚hensive et aimante du Ciel, de la Terre et de l’Homme. Ž (118) Le
spirituel, d…s lors, n’implique pas la n‚gation du mat‚riel, mais son ‚l‚vation € un niveau
sup‚rieur, o‹ la mati…re se trouve inscrite par l’esprit dans une trame symbolique plus vaste.
Xun d‚fend une pens‚e pratique, et il se montre tr…s sceptique € l’‚gard de ce que nous
appellerions la sp‚culation m‚taphysique. Il ‚voque souvent le grand myst…re c‚leste que les
yeux et l’esprit humains ne peuvent p‚n‚trer. • Ne rien faire et que les choses s’accomplissent,
ne rien demander et que les choses viennent, tel est ce que j’appellerai le mode d’activit‚ du
Ciel. Quelque profonde que soit la pens‚e de l’homme, elle n’a pas lieu de s’exercer l€dessus ; quelques grandes que soient les aptitudes de l’homme, elles n’ont pas lieu de s’y
exercer ; quelle que soit sa perspicacit‚, l’homme n’a pas lieu de l’y exercer, car l’homme n’a
pas € entrer en comp‚tition avec le Ciel. Ž (119) Le Ciel ne fait rien et les choses
s’accomplissent ; il ne demande rien et les choses adviennent. Comment cela est-il possible ?
Pour formuler le probl…me diff‚remment : pourquoi y a-t-il quelque chose et non pas rien ?
D’o‹ les choses peuvent-elles provenir, puisque rien ne les suscite ? Le Ciel de Xun et des
Chinois anciens n’est pas un Dieu volontaire, providentiel et cr‚ateur ; c’est un myst…re
insondable, qui, de l’unit‚ principielle de l’Etre en tant qu’absence, d‚bouche sur la pluralit‚
d‚riv‚e des „tres en tant que pr‚sence. • Tout le monde saisit le processus d’accomplissement
des ph‚nom…nes, mais personne ne comprend ce qui ne se pr‚sente pas sous une forme
d…termin…e, alors on l’appelle "Ciel". Seuls les grands sages sont capables de ne pas chercher
„ comprendre ce que serait ce Ciel. ‚ (120) Nous voyons les causes, mais point les effets.
L’origine est pour nous une …nigme, et le restera.
La connaissance, de ce fait, ne doit pas vouloir porter au-del„ de ses pouvoirs.
Pr…tendre rationaliser l’irrationnel, c’est œuvrer dans un sens contraire „ la r…alit… de la nature,
faute d’avoir respect… les limites. • Au lieu de se poser des questions sur la faŠon dont les
choses viennent au monde, ne vaut-il pas mieux aider celles qui sont „ atteindre leur
accomplissement ? Ainsi donc, n…gliger l’Homme pour ne penser qu’au Ciel, c’est laisser
perdre les propensions naturelles des dix mille ‡tres. ‚ (121) • Ce qu’il y a „ connaƒtre du Ciel,
ce sont les ph…nom†nes qui se produisent avec r…gularit… ; ce qu’il y a „ connaƒtre de la Terre,
ce sont ses possibilit…s d’assurer la subsistance ; ce qu’il y a „ connaƒtre des quatre saisons,
c’est l’importance qu’elles ont pour les entreprises humaines ; ce qu’il y a „ connaƒtre du Yin
et du Yang, c’est leur …quilibre susceptible de faire r…gner l’ordre dans le monde. ‚ (122) Ces
passages s’ins†rent dans un d…veloppement critique au sujet de la superstition. Xun affirme
que la raison doit s’en tenir „ ses fonctions op…ratoires, sous peine, en se tournant ind•ment
vers l’illimit…, le non-d…termin…, de produire des fantasmes intellectuels.
Le myst†re doit rester intact, donc. Mais, paradoxalement, justement parce que la
connaissance ne doit pas tenter de porter sur ce qui ne peut ‡tre connu, la m…ditation non
r…flexive au sujet de l’inconnaissable est d’autant plus l…gitime. Il y a une dimension
c…l…brative et mystique dans l’œuvre de Xun, o• l’humanisme se conjugue avec un respect
aigu de la nature et du sacr…. Nous devons d…tourner notre raison de l’indicible, mais pas
suspendre notre attention et notre recueillement, qui ont m‡me toute leur place dans la
ritualit…. Seulement, notre gratitude „ l’…gard de l’Originel, de la Provenance (123), ne saurait
‡tre disjointe des m…rites pr…sents des ph…nom†nes. Si le myst†re de l’origine des choses, de
leur survenue, est „ ce point fascinant pour l’homme, c’est que ces choses nous sont
pr…cieuses, qu’elles ont de la valeur pour nous. Et si les choses n’avaient pas de valeur, quelle
valeur pourrait donc avoir la m…ditation sur l’origine, quelle v…ritable …motion pourrait-elle
susciter ? L’…merveillement implique une passion, un d…sir, qui fonde la joie. Il n’y a pas de
pl…nitude d…charn…e, bien que la chair, sans ‡tre rehauss…e par l’esprit, ne puisse atteindre
pleinement toute la profondeur de la vie. A l’occasion des c…r…monies, lorsque de la
nourriture est pr…sent…e puis offerte aux esprits, l’hommage est donc double, dit Xun. Il
concerne „ la fois la nourriture en tant que source o• nous nous abreuvons (et l’on sert
notamment pour le rappeler, € certaines occasions, de l’eau pure dans une coupe € vin et du
poisson cru dans une assiette ; la puret‚ de l’eau et la crudit‚ du poisson, dans les plats rituels,
t‚moignent ainsi du fait qu’avant d’„tre ‚labor‚s ou cuits – cultiv‚s – les mets sont d’abords
des produits naturels, qui adviennent myst‚rieusement dans une prodigalit‚ gratuite et
innocente : la culture n’est donc rien sans la nature). Mais l’hommage concerne en m„me
temps d’une faŒon inextricable l’utilit‚ actuelle de cette mati…re brute, que tout „tre gagne €
exploiter, en l’occurrence pour manger et pour vivre. • Rendre hommage aux origines, cela
s’appelle la culture ; faire place € l’usage quotidien, cela s’appelle aller dans le sens des
choses ; l’‚quilibre entre les deux constitue l’accomplissement de la culture rituelle grŠce €
quoi l’on revient € l’antique unit‚. Ž (124)
La signification religieuse v‚ritable du rite n’est pas d’arraisonner magiquement le
monde, ni d’accomplir un devoir que les esprits attendraient de nous, comme s’ils ‚taient
capables d’intention (125) ; la signification religieuse du rite est de m‚diter sur le myst…re de
l’origine, que symbolisent les dieux, et de voir comme ce prodige est bon pour nous, comme il
est beau. • Lorsqu’ils servent les vivants, les rites rendent plus belle la joie et plus belle la
tristesse lorsqu’ils servent les morts. Ž (126) • C’est pourquoi je disais que les c‚r‚monies
sacrificielles sont l’expression de ce que l’on pense, esp…re et se rappelle, qu’elles sont la plus
haute forme de la loyaut‚, de la confiance, de l’affection et du respect et qu’elles constituent
la plus g‚n‚reuse manifestation des rites et de la culture. Nul, € moins d’„tre un sage, n’est
capable d’en prendre conscience. La lumineuse intelligence du sage le sait, les hommes avis‚s
et accomplis le pratiquent, les fonctionnaires en assurent l’observance, le peuple le traduit
dans ses mœurs. L’homme accompli consid…re cela comme la voie de l’homme, le peuple,
comme le service que l’on doit aux esprits. Ž (127) La fonction du rite religieux est ainsi de
manifester l’‚merveillement sous une forme particuli…rement raffin‚e, nuanc‚e et subtile, qui
englobera l’Etre d’une faŒon bien plus vaste et profonde que dans l’existence prosa•que. Et,
m„me si le peuple ignore cela, c’est pourtant bien de cette faŒon que le rite agit en lui, € son
insu. • Les rites ont leur fondement dans le cœur de l’homme. Ainsi ce qui, sans figurer dans
le Livre des rites, est conforme au cœur de l’homme, cela est pleinement rituel. Le grand
principe des rites est de servir les vivants en raffinant l’expression de la joie, d’accompagner
les morts en raffinant l’expression de la douleur, de conduire les arm„es en raffinant
l’expression de la majest„ du pouvoir. ˆ (128) Si les rites ne sont pas men„s avec un cœur
sinc€rement „mu, par cons„quent, ils n’ont aucune port„e. C’est l’int„riorit„ existentielle qui
anime litt„ralement (qui ‡ dote d’une Šme ˆ) l’ext„riorit„ c„r„monielle du rite : ‡ Il y a
l’attitude que l’on adopte et il y a ce que l’on ressent. L’int…rieur et l’ext…rieur sont comme un
v‡tement et sa doublure, ils s’accommodent l’un „ l’autre et ce par le moyen des rites. ‚ (129)
Les c…r…monies, enfin, doivent nous rappeler l’ambivalence et l’intrication des choses,
la continuit… paradoxale qui les unit, par-del„ leurs diff…rences. Cela se v…rifie
particuli†rement dans la multitude de rites qui scandent l’existence des hommes, de leur
naissance „ leur mort. Les c…l…brations collectives nous rappellent quelle valeur conserve la
vie, bien qu’elle puisse se montrer cruelle, et comme le malheur lui-m‡me n’est qu’un aspect
coextensif du bonheur. Nous aimerions que les choses les plus tristes disparaissent ; pourtant,
non seulement elles subsistent, mais elles se manifestent „ vrai dire en raison m‡me de la
pr…sence des choses les plus gaies. Ce qui est gagn… finit un jour par ‡tre perdu ; et ce qui
suscite de la joie, lorsqu’on le gagne, suscitera n…cessairement de la peine, lorsqu’on le perdra.
On ne peut vouloir un aspect du monde sans un autre, „ la mani†re d’enfants trop exigeants.
• Les rites sont la stricte observance du bon ordre en ce qui concerne la naissance et la mort.
La naissance est pour l’homme le commencement et la mort est la fin. […] L’homme
accompli a respect pour le commencement et consid…ration pour la fin, il regarde le d…but et la
fin comme proc…dant d’un principe unique. ‚ (130) Les rites nous rappellent que le mauvais
va avec le bon, qu’ils sont l’un et l’autre indissociables (131).
Cette conception s’…tend en fait „ tous les secteurs de la connaissance, et Xun y …tait
particuli†rement attach…. L’Etre est constitu… d’aspects compl…mentaires en interaction
constante, comme le Yin et le Yang. Telle est la signification du juste milieu : concilier les
oppos…s et voir le monde dans la totalit… de ses dimensions. Le tort des diff…rentes …coles de
pens…e n’est pas pour cette raison de prof…rer des mensonges ; leur tort est de ne voir qu’une
v…rit… partielle et de manquer d†s lors la v…rit… globale, qui concilierait toutes leurs doctrines.
Si l’on dit de certains auteurs qu’ils sont extr…mistes, c’est qu’ils se focalisent
dogmatiquement et …troitement sur une r…alit… fragmentaire et rejettent les v…rit…s des autres
(et non parce qu’ils iraient trop loin dans leurs propres id…es, qui sont justes, en elles-m‡mes).
• Or tout cela n’est „ chaque fois qu’un seul aspect de la Voie et celle-ci ne prend corps, de
faŠon r…manente, qu’en passant par toutes ces transformations, et un seul de ses aspects ne
saurait suffire „ en rendre compte. Ceux dont l’entendement est ainsi morcel… ne perŠoivent
qu’un seul aspect de la Voie sans pouvoir l’aborder dans sa totalit…, mais ils s’en satisfont et
brodent „ partir de l„ […]. ‚ (132) Adopter un crit†re unique pour diriger sa conduite n’est pas
„ la mesure des choses, parce qu’on ne peut alors s’adapter „ la pluralit… des ph…nom†nes „
prendre en consid‚ration, € la mutation permanente du r‚el, qui explique le caract…re
prot‚iforme de la Voie ; il faut plutˆt occuper une position m‚diane, c’est-€-dire d‚pourvue de
toute scl‚rose, ouverte aux tensions ‚parses qui constituent la vie. • Le sage conna‡t les
faiblesses du fonctionnement de l’esprit et perŒoit les inconv‚nients de l’aveuglement et de la
fermeture € la v‚rit‚. C’est pourquoi il se d‚fie € la fois de l’exclusivit‚ du d‚sir ou de
l’aversion, de l’exclusivit‚ du commencement ou de la fin, de l’exclusivit‚ du proche ou du
lointain, de l’exclusivit‚ de l’immensit‚ ou du creux, de l’exclusivit‚ de l’ancien ou du
moderne. Il met toutes les choses € leur place et s’efforce de d‚finir exactement de quelle
faŒon chacune d’elle p…se sur la balance en suspension. Ainsi, la multitude des diverses
r‚actions aux choses, chez le sage, ne produit aucune obsession € l’‚gard d’une d’entre elles,
et ne risque pas de recouvrir d’autres ‚l‚ments, jusqu’€ rendre obscures toutes les positions. Ž
(133) Ceux qui d‚fendent les auteurs du pass‚ ont raison, pour d‚velopper l’argument, car
tout ce qu’ils ont dit ‚tait vrai, € des degr‚s divers ; et ceux qui d‚fendent les auteurs du
pr‚sent ont ‚galement raison, car tout ce qu’ils ont dit ‚tait vrai, € des degr‚s divers aussi ;
mais celui qui peut voir en m„me temps pourquoi tous ont dit vrai s’est encore davantage
approch‚ de la v‚rit‚, car il a vu € quoi les autres ‚taient rest‚s aveugles.
Il n’y a pas d’erreur, dira plus tard Spinoza ; il n’existe que des v‚rit‚s incompl…tes.
Tout est vrai d’un certain point de vue ; mais le point de vue est d’autant plus juste qu’il est
large. Lorsque je plonge un bŒton dans l’eau et que je dis qu’il est tordu, je manque le fait
qu’il reste mat…riellement droit, et que seule ma perception a chang… ; mais si j’affirme avant
de tenter l’exp…rience que rien ne changera „ aucun niveau, je manque le fait qu’il se produira
une illusion d’optique. Dans les deux cas, une conception lacunaire m’emp‡che de concevoir
le ph…nom†ne dans toute sa globalit… et sa pertinence. C’est pourquoi l’on ne doit avoir de
cesse, en tant que philosophe, de concilier autant que possible toutes les v…rit…s.
*
Chaque auteur …crit sans doute toujours un peu pour conjurer ses propres angoisses et
ses propres d…mons. Xun, pour sa part, …tait hant… par la m…diocrit… du temps qu’il traversait,
par la m…diocrit… de la plupart des si†cles d…crits dans les annales et par l’injustice de presque
toutes les soci…t…s. Comment expliquer que les peuples se conduisent d’une mani†re aussi
inutilement agressive ? Comment expliquer que les individus se comportent d’une mani†re
aussi inutilement mesquine ? Les hommes ne voient-ils pas comme l’existence serait plus
belle si tous parvenaient € se discipliner et € faire preuve de bienveillance ? Mais le vice n’est
pas ais‚ment sensible € la vertu. On doit esp‚rer d’extraordinaires concours de circonstances
pour qu’une Šme soit sauv‚e de la mis…re, ainsi que la t‚nacit‚ p‚dagogique de sages dont le
nombre est bien trop limit‚.
Xun ne croyait pas que, par l’‚ducation, le monde puisse s’orienter ind‚fectiblement
vers la culture. Il admettait que certains hommes, parfois, parvinssent progressivement € se
civiliser ; quant aux peuples eux-m„mes, ils n’ont jamais que des hauts et des bas. Les progr…s
d’un jour sont r‚duits € n‚ant par les r‚gressions du lendemain. En attendant, les gens de bien
sont contraints de joindre les mains et de patienter. • Il faut passer mille ans, puis de beaux
jours reviendront. Ž (134) C’est la loi des Anciens : midi revient in‚luctablement, au cœur de
chaque journ‚e. Mais le soleil, € son z‚nith, ne brille qu’un instant...
Supportons donc dans l’intervalle le spectacle d’un chaos absurde, d’une haine
destructrice et d’une injustice mortif…re. Regardons les hommes se nuire € eux-m„mes et
fouler aux pieds tout ce qui est noble et digne. La minorit‚ des sages est destin‚e € courber
l’‚chine, r‚duite au silence par la majorit‚ des sots. • Malheur au solitaire qui, comme moi,
s’est tromp‚ d’‚poque en naissant en ces temps troubl‚s ! Il voudrait dire ce dont son cœur est
plein, mais il parle dans le vide et l’on peut craindre qu’il subisse le sort de Zi Xu, lorsque ce
dernier pr‚senta ses remontrances € son souverain, qui ne voulut point l’entendre, et se vit
offrir un sabre pour mettre fin € ses jours. Puis son corps fut jet‚ dans le fleuve. Ž (135) Dans
une lettre versifi‚e sans doute adress‚e au seigneur de Chunshen, Xun ‚crit : • Rappelez-vous
la terre lointaine et les ‚preuves qu’elle traverse. L’homme de bien y est mis‚rable et les
bandits y sont l‚gion. La loyaut‚ y court des risques, la calomnie donne ses ordres. […]
L’aveugle passe pour clairvoyant et le sourd pour entendant. On prend le p‚ril pour la paix et
le funeste pour le faste. H‚las, ˆ ciel ! ‘ ciel, h‚las ! Comment pourrais-je m’accorder avec de
tels gens ! Ž (136)
Notes :
1. Assur…ment, les d…bats font rage entre les commentateurs pour s’accorder sur certains
points …pineux de la pens…e du maƒtre. Cela a pu conduire diff…rents auteurs, comme Donald J.
Munro, „ remettre en cause la coh…rence et l’int…r‡t de son œuvre (• A Villain in the Xunzi ‚,
in Philip J. Ivanhoe (dir.), Chinese Language, Thought, and Culture : Nivison and His Critics,
Chicago, Open Court, 1996). Mais ces critiques nous semblent partiellement injustifi‚es, dans
le sens o‹, comme nous allons tenter de le montrer dans le d‚veloppement, le texte du Xunzi
nous paraƒt assez complet et ordonn…, tel qu’il nous a …t… transmis par l’histoire, pour r…pondre
„ toutes les questions majeures d’interpr…tation pos…es depuis son …criture „ la tradition
ex…g…tique. Il s’agira seulement de porter attention „ des passages trop souvent n…glig…s du
livre, et d’op…rer des rapprochements qui auraient sans doute …t… plus clairement explicit…s par
Xun lui-m‡me s’il avait proc…d… „ une pr…sentation didactique plus exhaustive de sa pens…e.
2. Nous reprendrons pour l’essentiel les datations reconstitu…es par John Knoblock, dans le
premier volume de son …dition (Xunzi, Stanford, Stanford University Press, 1988), € partir de
son impressionnant travail de recherche sur la vie de Xun. Les rep…res qu’il propose sont
n‚anmoins toujours € prendre avec pr‚caution, dans la mesure o‹ ils ont ‚t‚ ‚tablis € partir de
suppositions et de recoupements, dans la plupart des cas…
3. Cf. notamment Liu Wu-chi, A Short History of Confucian Philosophy, New York, Penguin,
1955 ; Robert Eno, The Confucian Creation of Heaven, Albany NY, SUNY Press, 1990 ;
Benjamin Schwartz, The World of Thought in Ancient China, Cambridge, Harvard University
Press, 1985 ; Thomas A. Metzger, Escape From Predicament, Neo-Confucianism and
China’s Evolving Political Culture, New York, Columbia University Press ; en France,
Jacques Gernet consid…re Ma‡tre Xun comme • beaucoup plus profond et original Ž que
Ma‡tre Meng (Le monde chinois, Paris, Armand Colin, 1972, p. 93), et Anne Cheng donne
elle aussi une pr‚sentation tr…s favorable de son œuvre, dans sa remarquable et brillante
Histoire de la pens€e chinoise, Paris, Seuil, 1997.
4. C’est la traduction d’Ivan P. Kamenarovic que nous utiliserons, sauf pour des corrections
de d‚tail : Xun Zi, Paris, Cerf, 1987. Les num‚ros de chapitre que nous indiquerons dans
l’appareil critique correspondent aussi bien € l’‚dition franŒaise ‚tablie par Kamenarovic qu’€
l’‚dition am‚ricaine ‚tablie par Knoblock, utilis‚e depuis sa sortie comme ‚dition occidentale
de r‚f‚rence.
5. Mencius, 6.A.1., trad. d’A. L…vy, Paris, You-Feng, 2003.
6. Ibid., 6.A.6.
7. Ibid.
8. Ibid., 6.A.7.
9. Ibid., 6.A.8.
10. Ibid., 6.A.11.
11. Xunzi, XXIII, • La nature humaine est mauvaise Ž.
12. Ibid.
13. Ibid., XXII, • De la rectification des noms Ž.
14. Ibid., XXVI, • El‚gies Ž.
15. Ibid., IV, • De l’honneur et de la honte Ž.
16. Ibid., VIII, • Le mod…le confuc‚en Ž.
17. Ibid., XXIII, • La nature humaine est mauvaise Ž.
18. • Si la nature humaine est mauvaise, d’o‹ proviennent donc les rites et l’‚quit‚ rituelle ?
Je r‚pondrai ceci : les rites et l’‚quit‚ des devoirs rituels ont ‚t‚ ‚labor‚s par les sages et ne
tirent point leur source de la nature de l’homme. De m„me, lorsqu’un potier faŒonne l’argile
et en fait un objet, cet objet est le fruit de l’‚laboration de l’artisan et ne provient nullement de
la nature humaine ; lorsqu’un menuisier travaille une pi…ce de bois et en fait un objet, celui-ci
a ‚t‚ ‚labor‚ par l’artisan et ne tire pas son origine de la nature humaine. Et les sages ont
longuement pens€, m€dit€ et exerc€ leur habilet€ pour concevoir les rites et l’…quit… rituelle,
pour instituer les lois et les normes, lesquelles sont donc le fruit de l’…laboration des sages et
non point de la nature humaine. ‚ (Ibid., XXIII, • La nature humaine est mauvaise ‚)
19. Xun ‚crit ainsi, dans une veine toute pascalienne (• le nain juch‚ sur les ‚paules d’un
g‚ant Ž) : • Je me suis efforc‚ des journ‚es enti…res de penser par moi-m„me, cela ne vaut pas
un seul instant consacr‚ € l’‚tude. J’ai essay‚ de me mettre sur la pointe des pieds, cela ne
vaut pas l’ascension d’une montagne d’o‹ l’on jouit d’une large vue. Monter l€-haut et faire
signe ne rend pas le bras plus long, mais cela permet d’„tre vu de plus loin. Appeler dans le
sens du vent n’augmente en rien la puissance de la voix, mais cela permet d’„tre perŒu plus
distinctement. Emprunter une voiture € cheval ne fait pas mieux marcher, mais permet de
parcourir des milliers kilom…tres, tandis qu’avoir recours € une barque € rames, € d‚faut de
rendre capable de nager, aide € traverser fleuves et rivi…res. Ainsi l’homme accompli, sans
avoir rien de particulier € la naissance, poss…de-t-il l’art d’emprunter aux choses. Ž (Ibid., I,
• Exhortation € l’‚tude Ž)
20. Ibid., III, • Contre la n‚gligence Ž. Cf. aussi : • Je dirai donc que, si l’homme accompli est
capable, les autres se sentiront honor‚s d’‚tudier aupr…s de lui, et s’il n’a nul talent particulier,
les autres prendront du moins plaisir € parler avec lui. Mais si un homme de peu a des
capacit‚s, il ne fera que rendre l’‚tude ingrate pour les autres, et s’il n’en poss…de point, il les
irritera par ses propos. Ž
21. Ibid., VIII, • Le mod…le confuc‚en Ž.
22. Ibid., XXIII, • La nature humaine est mauvaise Ž.
23. Ibid., IV, • De l’honneur et de la honte Ž.
24. Ibid.
25. Ibid.
26. Ibid., XIX, • Des rites Ž.
27. • Si c’est l’espoir des f‚licitations et des r‚compenses qui meut les hommes, ce qui les
blesse ou leur nuit les arr„te. C’est pourquoi ni les f‚licitations ni les r‚compenses, ni les
peines ni les chŠtiments, ni l’autorit‚ ni la ruse ne suffisent € convaincre les hommes de
consacrer toutes leurs forces € une cause en allant jusqu’au sacrifice de leur vie. Si le
souverain et la classe sup‚rieure ne fondent pas leurs relations avec le peuple sur les rites,
l’‚quit‚ rituelle, la loyaut‚ et la confiance, mais plutˆt sur l’usage des r‚compenses et des
f‚licitations, des peines et des chŠtiments, de l’autorit‚ et de la ruse, de la crainte et de
l’intimidation, ils en obtiendront bien quelque concours, mais rien de plus. Ž (Ibid., XV, • Des
affaires militaires Ž)
28. Ibid., III, • Contre la n‚gligence Ž.
29. Ibid., X, • De la prosp‚rit‚ de l’Etat Ž.
30. La possibilit‚ d’une analogie entre Mill et Xun est propos‚e par David B. Wong, dans
• Xunzi on Moral Motivation Ž, in T. C. Kline III et Philip J. Ivanhoe (dir.), Virtue, Nature,
and Moral Agency in the Xunzi, Indianapolis, Hackett Publishing Company, 2000.
31. Xunzi, XXIII, • La nature humaine est mauvaise Ž.
32. Ibid., XIX, • Des rites Ž.
33. Cf. ibid., avec l’exemple du deuil, mais aussi IV, • De l’honneur et de la honte Ž, qui
pr‚sente d’autres exemples d’amour dans le monde animal : • Le marcassin, sa m…re affronte
le tigre pour le prot‚ger ; le chiot, sa m…re ne le laisse pas s’‚loigner. Ces animaux n’oublient
pas leurs proches. Ž
34. Ibid., XVII, • Du Ciel Ž.
35. David S. Nivison postule plutˆt quant € lui l’existence d’un sens moral naturel chez
l’homme tel que l’envisage Xun (• Hs’n Tzu on "Human Nature" Ž, in Bryan W. Van Norden
[dir.], The Way of Confucianism : Investigations in Chinese Philosophy, Chicago, Open Court,
1996). Mais cette hypoth…se nous para‡t excessive et inutile, et il nous para‡t donc plus
judicieux et plus fid…le au texte de mettre en avant l’affirmation d’une part d’amour naturelle,
au sein de notre esp…ce comme chez toutes les autres – ce que tr…s peu de commentateurs ont
pourtant fait. Parmi ceux qui ont d‚fendu une interpr‚tation assez semblable € la nˆtre, dans
les grandes lignes au moins, citons notamment David B. Wong (op. cit.) et Eric Hutton
(• Does Xunzi Have a Consistent Theory of Human Nature ? Ž, in Virtue, Nature, and Moral
Agency in the Xunzi, op. cit.).
36. Cela signifie ‚galement que, lorsque Xun affirme que • la nature humaine est mauvaise Ž,
il n’assume nullement une position de type augustinienne sur une humanit‚ qui, dans certains
cas au moins, prendrait plaisir € faire le mal pour le mal, par simple go•t du p‚ch‚. Lorsque
Xun affirme que • la nature humaine est mauvaise Ž, il d‚signe seulement les individus
comme initialement chaotiques dans leur comportement, avant toute ‚ducation.
37. Xunzi, XXIII, • La nature humaine est mauvaise Ž.
38. Le reproche adress‚ € Meng, € ce stade, est donc s‚mantique, et cette erreur s‚mantique
d‚bouche sur une confusion logique, qui aboutit elle-m„me selon Xun € une m‚sinterpr‚tation
pratique : en confondant les noms, en pensant que la m‚chancet‚ s’identifie € l’‚go•sme et la
gentillesse € l’altruisme, Meng en d‚duit que l’homme est naturellement gentil, parce que tout
individu comporte au moins une part de g‚n‚rosit‚ et d’amour € la naissance, et que
l’‚ducation ne doit donc jamais • forcer Ž sa nature, mais plutˆt l’encourager € se d‚velopper
dans ce qu’il a de meilleur et qui ne demande de soi-m„me qu’€ grandir. Xun lui-m„me pense
certainement que l’homme comporte une part de g‚n‚rosit‚ et d’amour € la naissance (au
m„me titre encore que Gao, d’ailleurs : sur ce point aussi, tous sont globalement d’accord) ;
mais il condamne le fait de penser que cela suffise € le rendre naturellement bon. L’homme,
au contraire, est naturellement mauvais, € l’‚tat infantile, parce qu’il est partial, dangereux,
contestataire et d‚sordonn‚ – et son temp‚rament n‚cessite d’„tre • forc‚ Ž dans un sens
positif, de mani…re € l’endurcir et le rendre droit, respectueux, juste et ordonn‚…
39. Ibid., XXII, • De la rectification des noms Ž.
40. Ibid., XV, • Des affaires militaires Ž.
41. Ibid., II, • Se parfaire soi-m„me Ž. Xun ‚crit en particulier : • Ainsi, ceux qui me blŠment
€ juste titre sont mes ma‡tres, ceux qui me f‚licitent € juste titre sont mes amis, tandis que
ceux qui me flattent son mes corrupteurs. Ž
42. Ibid., XVIII, • De la rectitude Ž.
43. Ibid., XV, • Des affaires militaires Ž.
44. Ibid., XIX, • Des rites Ž.
45. Ibid., X, • De la prosp‚rit‚ de l’Etat Ž.
46. David B. Wong propose ‚galement une solution assez similaire (op. cit.), et souligne €
juste titre que la pens‚e de Xun s’accorde tr…s bien de ce point de vue avec certains pans de la
psychologie moderne, notamment freudienne (ou plutˆt freudo-hartmannienne et kohutienne) :
en se d‚veloppant, le Moi parvient € ‚tablir une sph…re d’autonomie € l’‚gard des pulsions, ou
du moins € les encadrer, et le sujet devient alors en mesure de renoncer aux d‚bordements
incontrˆl‚s et anarchiques du “a (ou encore € ce que Heinz Kohut appelle la • rage
narcissique Ž).
47. Xunzi, I, • Exhortation € l’‚tude Ž.
48. Ibid.
49. Ibid., III, • Contre la n‚gligence Ž.
50. Ibid. Cf. ‚galement : • Ses penchants naturels poussent l’homme € vouloir de la bonne
ch…re pour nourriture, de somptueuses parures pour v„tements, des chevaux et des voitures
pour se d‚placer […]. Ž Et, pourtant, tout individu raisonnable s’abstiendra de telles d‚penses,
estimant plus raisonnable de se montrer frugal. • Comment cela se fait-il ? Ce n’est certes pas
l’envie qui lui en manque. Ne serait-ce pas qu’il voit loin et que, mesurant les cons‚quences
de ce qu’il entreprend, il craint de ne pouvoir continuer sur le m„me pied ? En fait, il mod…re
ses d‚penses et temp…re ses envies, ce qui lui permet d’‚conomiser et d’amasser pour
l’avenir. Ž (Ibid., IV, • De l’honneur et de la honte Ž)
51. Ibid., I • Exhortation € l’‚tude Ž.
52. Ibid.
53. Ibid., IX, • De l’œuvre royale Ž.
54. Xun donne un exemple d‚taill‚ de structuration d’un sentiment avec le courage. Il liste
ainsi les diff‚rentes formes de la bravoure, des plus bestiales et d‚grad‚es aux plus
rigoureuses et civilis‚es : • Il y a le courage des chiens et des porcs, il y a le courage des
voleurs et celui des marchands, il y a le courage des gens de peu, il y a le courage des
hommes avis‚s et celui des hommes accomplis. Se battre pour sa subsistance, n’‚prouver
nulle honte, ne conna‡tre ni vrai ni faux, risquer la mort sans craindre la force du nombre, se
consacrer avidement € la seule recherche des vivres n‚cessaires, tel est le courage du chien et
du porc. Agir par int‚r„t, se disputer les biens et les denr‚es sans retenue ni courtoisie aucune,
chercher avec audace les fruits de ses entreprises en se montrant f‚roce, cupide et d‚testable,
se consacrer avidement € la seule recherche du profit, tel est le courage du voleur et du
marchand. Etre violent et faire bon march‚ de la vie, tel est le courage des gens de peu.
Observer opportun‚ment les r…gles de l’‚quit‚ rituelle, en pas d‚vier d’une stricte impartialit‚,
ne pas regarder son int‚r„t, se d‚vouer € un pays et ne plus changer de point de vue € son
‚gard, ne pas faire bon march‚ de la vie, s’en tenir € l’‚quit‚ rituelle en ne commettant nulle
injustice, tel est le courage de l’homme accompli. Ž (Ibid., IV, • De l’honneur et de la honte Ž)
On notera que Xun, dans cette gradation, n’op…re pas de distinction entre le marchand et le
voleur, et qu’il les place tous deux € un rang interm‚diaire entre les b„tes et les gens de peu…
55. Ibid., VI, • Contre les douze ma‡tres Ž.
56. Ibid., IX, • De l’œuvre royale Ž.
57. Ibid., XIX, • Des rites Ž.
58. Ibid.
59. Xun prend l’exemple des grands rois Tang et Wu qui surent adapter les rites en vigueur
aux multiples contr‚es couvertes par leur autorit‚ ; on ne gouverne pas de la m„me faŒon
selon les lieux, et le bien ne s’exprime pas partout € travers la m„me forme. […] L’œuvre
accomplie par ces rois a tenu grand compte des diff‚rences d’usages et de formes entre les
r‚gions et ils ‚tablirent des tributs diff‚rents selon la proximit‚ ou l’‚loignement des contr‚es.
Comment tout cela, en effet, pourrait-il „tre identique ? C’est ainsi que l€ o‹ les gens du pays
de Lu utilisent un bol, ceux de Wei prennent une assiette et ceux de Qi une ‚cuelle de cuir. Ž
(Ibid., XVIII, • De la rectitude Ž)
60. Ibid.
61. Ibid., XXV, • En ‚coutant la musique Xiang Ž. • Si, dans un groupe, les tŠches ne sont
pas r‚parties, des conflits naissent, engendrant le d‚sordre, lequel est source de mis…re. C’est
pourquoi l’absence d’une telle r‚partition est le plus grand des fl‚aux, alors que son existence
est de l’int‚r„t fondamental de l’Empire tout entier. Ž (Ibid., X, • De la prosp‚rit‚ de l’Etat Ž)
62. Ibid., IV, • De l’honneur et de la honte Ž.
63. Ibid., IX, • De l’oeuvre royale Ž.
64. Ibid., XXVII, • Grandes r…gles Ž.
65. Ibid., X, • De la prosp‚rit‚ de l’Etat Ž.
66. Ibid., XVIII, • De la rectitude Ž. • Or les sages-Rois faisaient en sorte que leur peuple soit
largement pourvu et connaisse ses besoins sans amasser de fortunes d‚mesur‚es. C’est
pourquoi nul voleur ne songeait € d‚rober, nul bandit ne faisait main basse sur quoi que ce
soit, les chiens et les porcs ‚taient nourris € en vomir de bonnes c‚r‚ales, les paysans et les
marchands avaient tant de denr‚es qu’il leur ‚tait facile d’en c‚der, les mœurs ‚taient douces,
hommes et femmes ne prenaient rien sur les routes et l’on aurait eu honte de d‚rober ce qu’un
autre avait ‚gar‚. Ž
67. Ibid.
68. Ibid.
69. • [Les Anciens Rois] savaient bien qu’un prince sans ‚clat et sans apparat ne suffit pas
pour faire l’unit‚ d’un peuple, que sans richesses et sans arri…res on ne saurait gouverner ses
inf‚rieurs, que sans majest‚ ni force on ne saurait mettre un terme € la violence ni vaincre
l’agressivit‚. Ž (Ibid., X, • De la prosp‚rit‚ de l’Etat Ž)
70. Ibid., XXIII, • La nature humaine est mauvaise Ž. Cf. aussi XI, • Du roi et de l’h‚g‚mon Ž.
71. Ibid., XXIX, • La voie filiale Ž.
72. Ibid., XII, • La voie du prince Ž.
73. Ibid., XXV, • En ‚coutant la musique Xiang Ž.
74. Ibid., XXII, • De la rectification des noms Ž.
75. Ibid.
76. Ibid.
77. Pour le reste, Xun est purement conventionnaliste, et ne t‚moigne donc d’aucune forme de
cratylisme : • Les noms ne sont pas d’eux-m„mes ad‚quats, c’est € la suite d’un accord qu’ils
viennent € „tre appos‚s sur les r‚alit‚s, et ce n’est qu’une fois cet accord d‚fini et l’habitude
admise qu’on parle d’ad‚quation. Des termes diff‚rents de ceux qui r‚sultent d’un tel accord
sont r‚put‚s inad‚quats. Les noms n’ont pas d’eux-m„mes prise sur la r‚alit‚, c’est € la suite
d’un accord qu’on les impose aux objets et ce n’est qu’une fois cet accord d‚fini et l’habitude
admise que l’on parle d’appellation r‚elle. Lorsqu’un nom au d‚part poss…de de bonnes
qualit‚s, que son usage est ais‚ et qu’il se r‚v…le exempt de toute contradiction, on dit qu’il
s’agit d’une bonne d‚nomination. Ž (Ibid.)
78. Ibid.
79. Une phrase aboutit presque € une critique explicite des universaux : • Il faut distinguer
entre des choses qui ont m„me aspect tout en se trouvant dans des endroits diff‚rents et des
choses qui, ayant des aspects diff‚rents, se trouvent au m„me endroit. Si les aspects sont
semblables mais que les objets en questions se trouvent en des lieux diff‚rents, m„me s’il est
possible de les r‚unir, on dira qu’on a affaire € plusieurs r‚alit‚s. Ce dont l’aspect se modifie
mais dont la r‚alit‚ ne saurait „tre class‚e autrement malgr‚ d’apparentes dissemblances est
dit en ‚volution et lorsqu’il y a ‚volution mais non s‚paration, on dit qu’il y a une seule et
unique r‚alit‚. Ž (Ibid.) Des objets semblables mais s‚par‚s (comme deux tables, deux chaises,
etc.) correspondraient donc € des r‚alit‚s distinctes, tandis qu’un morceau de cire solide en
train de se liqu‚fier ne formerait qu’une seule r‚alit‚ en ‚volution…
80. Ibid., XXV, • En ‚coutant la musique Xiang Ž.
81. Ibid.
82. On peut dire sans risque de se tromper que Xun n’‚tait en rien id‚aliste, puisqu’il affirme
que la Voie est inconnaissable dans ses fondements. Mais, pour autant, ‚tait-il r‚aliste ou
pragmatiste ? Il est difficile de trancher avec une absolue certitude, € la lecture des textes,
d’autant que ces questions n’ont gu…re touch‚ la philosophie chinoise classique. Peut-„tre
l’option du pragmatisme est-elle n‚anmoins la plus plausible, dans le sens o‹ Xun
n’ontologise pas le concept de Ciel, ou de Nature, qu’il pr‚sente seulement comme
partiellement rationnel dans ses manifestations. La • r‚alit‚ Ž € laquelle il se r‚f…re serait donc
exclusivement une r‚alit‚ ph‚nom‚nale, puisqu’il nous recommande de ne l’appr‚hender que
d’un point de vue op‚ratoire, dans sa dimension pratique. Nous reviendrons sur le
perspectivisme apparent de Xun € la fin de cet essai.
83. Ibid., XV, • Des affaires militaires Ž.
84. Ibid., XXIV, • Du prince Ž. Il est clair dans tous les passages relatifs € la soci‚t‚ idyllique
dirig‚e par les Sages-Rois que Xun accorde au mythe une fonction d’exemplification du bien.
Il n’est pas certain d’ailleurs qu’il croyait r‚ellement lui-m„me € la r‚alit‚ de ces mythes :
mais leur int‚r„t p‚dagogique est ‚vident…
85. Ibid., XV, • Des affaires militaires Ž.
86. Ibid., XVIII, • De la rectitude Ž.
87. Ibid.
88. Ibid., XV, • Des affaires militaires Ž. Cf. aussi XVI, au sujet de la r‚ussite fragile du Qin,
dont la politique l‚giste accorde trop d’importance aux lois, et pas suffisamment € la morale.
89. Ibid., X, • De la prosp‚rit‚ de l’Etat Ž.
90. Les entretiens de Confucius, trad. de P. Ryckmans, Paris, Gallimard, 1987, II.3.
91. Xunzi, X (• De la prosp‚rit‚ de l’Etat Ž). Xun affirme donc la n‚cessit‚ de la loi pour
garantir que l’int‚r„t € long terme ne rejoindra pas l’int‚r„t € court terme et pousser les
individus, initialement mauvais, € engager un effort d’autocontrˆle, mais l’application des
chŠtiments et des peines, sans „tre compl‚t‚e par un travail d’‚ducation, ne p‚n‚trera pas
suffisamment le cœur et restera purement superficielle. Le retour sur soi moral qu’implique le
d‚veloppement de la discipline n’est possible que dans un cadre p‚dagogique.
92. Ibid., XX, • De la musique Ž.
93. Ibid.
94. Ibid.
95. Ibid. Xun ‚crit un peu plus loin : • Ma‡tre Mo pr‚tend que la musique est ce € quoi les
Anciens Rois ‚taient oppos‚s et que les confuc‚ens ont le tort de prˆner. Ce n’est pas ainsi
qu’un homme accompli consid…re les choses : la musique est la joie du sage, elle est capable
de bonifier le cœur du peuple, elle touche l’homme au plus profond de lui-m„me, elle change
les habitudes et transforme les coutumes. C’est pourquoi les Anciens Rois gouvernaient €
l’aide des rites et de la musique et leurs peuples connaissaient l’harmonie et l’affabilit‚. Ž Sur
la musique, on peut se r‚f‚rer ‚galement au livre XXV, • En ‚coutant la musique Xiang Ž.
96. Ibid., V, • Contre les physiognomonistes Ž.
97. Ibid., II, • Se parfaire soi-m„me Ž.
98. Ibid., XXII, • De la rectification des noms Ž. Il est ‚crit un peu plus loin : • Mais si l’on a
au cœur une douce ‚quanimit‚, on saura satisfaire son œil m„me d’objets dont la beaut‚ est
m‚diocre, on satisfera son oreille m„me de sons dont l’harmonie est m‚diocre, on satisfera sa
bouche de nourritures humbles et de bouillons de plantes, on satisfera son corps de v„tements
simples et de chaussures de chanvre tress… et l’on saura se contenter d’habiter une chaumi†re
garnie d’un rideau de roseaux, d’une paillasse et d’une table basse. Alors on connaƒtra la joie
sans pour cela poss…der toutes les beaut…s des dix mille ‡tres et on assurera sa gloire sans
occuper une position …lev…e. ‚
99. Ibid., XX, • De la musique ‚.
100. Ibid., II, • Se parfaire soi-m‡me ‚.
101. Ibid., XXII, • De la rectification des noms ‚.
102. Ibid. Xun s’opposait en particulier sur ce point „ Maƒtre Song : • Maƒtre Song dit ceci :
"L’homme a, d’instinct, peu de d…sirs, mais les humains s’imaginent tous qu’il est naturel
d’en avoir beaucoup, cela est une erreur." Et de guider ses disciples en expliquant ses th…ories
…clair…es de force exemples dans l’id…e de persuader tout le monde que l’homme, par nature, a
peu de d…sirs. Ma r…ponse „ cela est de demander s’il est ou non naturel pour l’homme
d’…prouver les cinq d…sirs que sont celui de l’œil envers beaucoup de couleurs, celui de
l’oreille envers beaucoup de sons, celui de la bouche envers beaucoup de saveurs, celui du nez
envers beaucoup de senteurs et celui du corps envers beaucoup de confort. ‚ (Ibid., XVIII,
• De la rectitude ‚)
103. L’exemple de l’immortalit… n’est pas de Xun, qui a choisi de se r…f…rer „ une autre image,
sans doute un peu plus abstraite : • Supposons un homme qui d…sire se rendre dans le sud, peu
lui importe la distance. Ajoutons qu’il ne veut surtout pas aller au nord, m‡me s’il n’est pas
loin. Irait-il, sous pr…texte de n’avoir pas atteint l’extr‡me sud, quitter la route du sud et se
mettre en marche vers le nord ? ‚ (Ibid., XXII, • De la rectification des noms ‚)
104. Ibid. Il est „ signaler que le mot chinois signifiant l’• esprit ‚ d…signe en m‡me temps le
• cœur ‚ : cette pr…cision s…mantique est importante, car Xun ne dit nullement ici que c’est
par un simple acte volontaire d’intellection que l’homme pourrait mod…rer ses attentes, „
d…faut de ses d…sirs : c’est plutŽt par un acte d’habituation des mœurs. Il ne suffit pas de se
dire que des d…sirs d…passent le champ du possible pour mod…rer ses actes et ses esp…rances ;
il faut int…grer ce fait au plus profond de soi-m‡me, ce qui est nettement plus difficile et ne
vient qu’avec l’…ducation…
105. Ibid., XIX, • Des rites Ž.
106. Il semble qu’il y ait ici une contradiction dans la pens‚e de Xun, ou un paradoxe non
‚clairci. Xun dit d’un cˆt‚ qu’on ne peut pas an‚antir le d‚sir, qui est naturel, mais il affirme
aussi qu’une culture qui ne s’appuie pas sur la naturalit‚ d‚sirante serait vide, qu’elle
manquerait de force (elle aurait une • moindre compl‚tude Ž, selon son expression). C’est
donc qu’il est tout de m„me possible pour une culture de faire plus ou moins fi des
‚motions… Pour r‚soudre cette difficult‚, il aurait sans doute fallu € Xun ‚laborer une th‚orie
du refoulement : les d‚sirs ne peuvent „tre an‚antis, mais ils peuvent „tre r‚prim‚s, refoul‚s.
Pour autant, leur ‚nergie ne sera pas d‚sint‚gr‚e ; mais elle devra d‚sormais s’exprimer sur
des modes d‚tourn‚s (n‚vrotiques).
107. Ibid.
108. Ibid., XXI, • Venir € bout des obstacles Ž. Ma‡tre You, comme Ma‡tre Meng, ‚tait luim„me un sage confuc‚en.
109. Ibid., XVII, • Du Ciel Ž. • La chute des ‚toiles, le bruissement des arbres sacr‚s inspirent
de l’effroi aux foules. Pourquoi cela ? En fait, je dirai qu’il n’y a pas de raison. Ce sont l€ les
changements du ciel et de la terre, les r‚volutions du Yin et du Yang, ce sont certes des
‚v‚nements rares au sein des dix mille „tres, on peut les trouver ‚tranges mais non point
effrayants. Aucune ‚poque, en effet, n’est exempte d’‚clipses de soleil et de lune, de pluies et
de vents intempestifs, de soudaines apparitions d’‚toiles. Si de tels ph‚nom…nes se produisent
m„me tous ensemble, sous un souverain ‚clair‚ et un gouvernement ‚quitable, ce sera sans
dommage, alors que sous le r…gne d’un souverain obscur qui m…ne une politique p‚rilleuse,
leur absence n’en sera pas pour autant b‚n‚fique. C’est que la chute de certaines ‚toiles et le
bruissement de certains arbres sont bien des ph‚nom…nes inh‚rents € des changements
c‚lestes et terrestres et aux r‚volutions du Yin et du Yang. Ž (Ibid.)
110. Ibid.
111. Wing-tsit Chan ‚crit par exemple : • On ne trouve nulle part ailleurs dans l’histoire de la
pens‚e chinoise l’id‚e de domination de la nature exprim‚e d’une mani…re aussi forte et aussi
pr…cise. Quel dommage qu’elle n’ait pas conduit „ un d…veloppement des sciences
physiques. ‚ (Sourcebook in Chinese Philosophy, Princeton, Princeton University Press, 1963,
p. 122) Li De-yong ‚crit quant € lui : • La "Voie" manifeste ‚galement une sorte d’approche
scientifique. Pour tout ce qui concerne la connaissance des lois objectives, et la mise en
application de celles-ci, sa th‚orie philosophique au sujet du "contrˆle de la nature" est en
parfait accord avec la science. […] Il a pouss‚ le cri de guerre"Contrˆle les voies de la nature
et utilise-les !" […] Il est le seul philosophe pr‚-imp‚rial € avoir l’esprit scientifique et €
militer activement en faveur d’une philosophie mat‚rialiste. Ž (• Xunzidi sixiang Ž, cit‚ in
Edward J. Machle, Nature and Heaven in the Xunzi, Albany, SUNY Press, 1993, p. 7) En
Occident, Homer H. Dubs ‚crit ‚galement en 1927 : • D…s lors qu’il a rejet‚ l’id‚e de tout
dieu personnel, la route ‚tait fray‚e pour rejeter toutes les autres forces spirituelles et
superstitions. […] Ma‡tre Xun a d‚ni‚ cat‚goriquement l’existence des esprits et s’est moqu‚
du culte qui leur ‚tait rendu. Ž (Hs‚ntse, the Moulder of Ancient Confucianism, Londres,
Probsthain, 1927, pp. 64-65) Angus C. Graham mod…re toutefois ce jugement en soulignant
qu’• il y a toutefois dans le Xunzi un certain reste de respect pour le sacr‚ dans la nature Ž,
(Disputers of the Tao, LaSalle, Open Court, 1989, p. 239) Et, plus tˆt encore, dans une
recension du livre de Dubs, J. K. Shryock ‚crivait qu’il • est tout € fait erron‚ de dire que
Ma‡tre Xun a "‚limin‚ le Divin". Ž (Journal of the American Oriental Society, 49, pp. 88-91)
112. Xunzi, XIX, • Des rites Ž.
113. Nous sommes donc en complet d‚saccord avec l’analyse de Thomas A. Metzger, qui
nous para‡t passer totalement € cˆt‚ du texte, m„me s’il remet lui aussi en cause
l’interpr‚tation scientiste et technicienne du Xunzi : • [Pour Xun,] le cosmos n’‚tait pas
simplement une entit‚ ph‚nom‚nale naturelle que les gens n’investissent qu’en termes de
connaissance instrumentale et d’action. Il s’agissait d’un ordre normatif constitu‚ par les
fonctions compl‚mentaires du Ciel, de la Terre et de l’authentique homme de bien. Ce cosmos
servait ‚galement de crit…re normatif, par exemple en montrant le caract…re naturel des
hi‚rarchies sociales. Ž (op. cit., p. 264)
114. Ibid., XVII, • Du Ciel Ž.
115. • Ainsi la nourriture, les v„tements, l’habitat, le mode d’activit‚ sont-ils en harmonie
avec le rythme de la nature s’ils prennent leur source dans les rites. Ž (Ibid., II) Les rites
doivent bien en somme rendre notre action ad‚quate au pouls du monde environnant…
116. • Au lieu d’hypostasier le Ciel et de s’en remettre € lui, ne vaut-il pas mieux pourvoir €
l’existence des dix mille „tres et les diriger ? Au lieu de suivre les volont‚s du Ciel et de
chanter ses louanges, ne vaut-il pas mieux se saisir de sa destin‚e et en tirer parti ? Au lieu de
regarder passer les saisons en attendant qu’elles soient propices, ne vaut-il pas mieux agir en
correspondance avec elles de faŒon € les utiliser € son avantage ? Au lieu de laisser toutes
choses cro‡tre et se multiplier, ne vaut-il pas mieux se servir de ses talents pour les
transformer ? Au lieu de consid‚rer passivement toutes choses en les laissant € elles-m„mes,
ne vaut-il pas mieux comprendre leur sens profond de faŒon € n’en rien laisser perdre ? Ž
(Ibid., XVII)
117. David L. Hall et Roger T. Ames, Thinking through Confucius, Albany, SUNY Press,
1987.p. 17.
118. Thomas Berry, recension d’un livre de Streng (dir.), in Phil. East and West, 24, 1
(janvier 1974), p. 104.
119. Xunzi, XVII, • Du Ciel Ž.
120. Ibid.
121. Ibid.
122. Ibid.
123. Le mot • nature Ž, en Occident, est d‚riv‚ du latin • nasco Ž, qui signifie • na‡tre Ž.
124. Ibid., XIX, • Des rites Ž.
125. • Si l’on r‚cite les pri…res pour la pluie et qu’il pleuve, quelle raison y a-t-il € cela ? Je
dirai qu’il n’y en a aucune, c’est exactement la m„me chose que de ne pas r‚citer les pri…res et
qu’il pleuve. Accomplir les c‚r‚monies lors des ‚clipses de soleil et de lune, r‚citer les pri…res
pour la pluie lorsque le ciel demeure sec, proc‚der € des op‚rations de divination avant de
prendre des d‚cisions importantes, ce n’est pas agir r‚ellement pour obtenir quelque chose
mais pour que vive la culture. L€ o‹ l’homme accompli voit la culture rituelle, le peuple voit
le surnaturel. Or il est faste de respecter la culture ancestrale et n‚faste de voir partout
l’intervention des esprits. Ž (Ibid., XVII, • Du Ciel Ž)
126. Ibid., XIX, • Des rites Ž.
127. Ibid., XVII, • Du Ciel Ž.
128. Ibid., XXVII, • Grandes r…gles Ž.
129. Ibid.
130. Ibid.
131. • Les rites fun‚raires n’ont pas d’autre raison d’„tre que de rendre ‚videntes les valeurs
respectives de la vie et de la mort […]. Ž (Ibid.)
132. Ibid., XXI, • Venir € bout des obstacles Ž.
133. Ibid. Pour ce passage, nous nous appuyons surtout sur la traduction de Knoblock plutˆt
que sur celle de Kamenarovic, qui nous para‡t moins pr‚cise et claire.
134. Ibid., XXVI, • El‚gies Ž.
135. Ibid., XXV, • En ‚coutant la musique Xiang Ž.
136. Ibid., XXVI, • El‚gies Ž.