LA LIBERTÉ D`EXPRESSION DU FONCTIONNAIRE EUROPÉEN

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LA LIBERTÉ D`EXPRESSION DU FONCTIONNAIRE EUROPÉEN
LA LIBERTÉ D’EXPRESSION
DU FONCTIONNAIRE EUROPÉEN
(En marge des deux arrêts Connolly c.
la Commission des Communautés européennes
du 6 mars 2001) (*)
L’affaire Connolly contre la Commission pourrait n’être qu’anecdotique, une péripétie assez banale opposant un fonctionnaire communautaire à son employeur, la Commission européenne. Or, ce qui
peut sembler initialement ne relever que du droit de la fonction
publique communautaire ( 1) dépasse assurément ce cadre purement
technique : tant la personnalité du requérant, que les faits à l’origine du litige en font un cas jurisprudentiel remarquable. Cette analyse se trouve corroborée par la démarche de la Cour qui aboutit à
faire de cet arrêt une référence majeure en matière de définition et
de délimitation de la liberté d’expression.
Les faits de l’affaire sont assez simples, même si la structure
même du contentieux peut apparaître relativement complexe :
M. Bernard Connolly, haut fonctionnaire de la Commission européenne ( 2), publie lors d’un congé de convenance personnelle de trois
mois, un pamphlet relatif à la conduite de la politique monétaire
européenne ( 3). Suite à cette publication au contenu virulent, l’autorité investie du pouvoir de nomination décide le 27 septembre 1995
de suspendre l’intéressé de ses fonctions à compter du 3 octobre
1995 et de retenir la moitié de son traitement de base. Cette décision est suivie par la saisine du conseil de discipline. Le 7 décembre
(*) Affaires C-273/99 et C-274/99.
(1) Une partie de la procédure concernait effectivement un contentieux relevant
purement de l’application du droit de la fonction publique communautaire, tels que
le caractère illégal de la procédure disciplinaire, la violation du principe d’égalité de
traitement entre fonctionnaires.
(2) Chef de l’unité 3 « S.M.E., politiques monétaires nationales et communautaire » au sein de la direction D « affaires monétaires » de la direction générale des
Affaires économiques et financières. Ses fonctions l’ont conduit, en particulier, à préparer et à participer aux travaux du comité monétaire, du sous-comité de politique
monétaire et du comité des gouverneurs, à suivre les politiques monétaires dans les
Etats membres et à analyser les implications monétaires de la mise en œuvre de
l’Union économique et monétaire.
(3) The rotten heart of Europe. The dirty war for Europe’s money, Faber and Faber,
1996, 437 pp.; pour la version française : La sale guerre de la monnaie européenne,
Albin Michel, 1996, 457 pp.
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1995, ce conseil émet son avis, recommandant de prononcer contre
le requérant une mesure de révocation sans suppression ni réduction
des droits à la pension d’ancienneté. Cette proposition est effectivement suivie par l’autorité investie du pouvoir de nomination. Le
13 mars 1996, M. Connolly introduit devant le Tribunal de première
instance un recours visant à l’annulation de la décision de révocation sans perte de ses droits à une pension d’ancienneté, d’une part,
et portant demande de dommages-intérêts, d’autre part ( 4). M. Connolly forme ensuite un autre recours contre la décision de révocation 19 mai 1999, par laquelle l’autorité investie du pouvoir de
nomination a décidé de le suspendre de ses fonctions à compter du
3 octobre 1995 et de retenir la moitié de son traitement de base ( 5).
Cette affaire présente le mérite de rappeler quelles sont les spécificités de l’exercice de la liberté d’expression pour le fonctionnaire
communautaire (I). Mais elle révèle également une utilisation tout
à fait remarquable de la Convention européenne comme source des
droits fondamentaux au plan communautaire, technique qui se
trouve néanmoins indéniablement à un tournant dans l’Histoire des
Communautés européennes (II).
I. — Le fonctionnaire européen face à l’étendue
de sa liberté d’expression
La situation du fonctionnaire européen vis à vis de la liberté d’expression pose des questions tout à fait spécifiques. Si ce droit fondamental est évidemment reconnu aux fonctionnaires comme aux
autres individus, il n’en reste pas moins qu’il s’agit là d’une liberté
encadrée et limitée (A). Cet encadrement s’explique largement par
une caractéristique propre à la fonction publique : l’obligation de
loyauté due par le fonctionnaire à son institution (B).
A. — Une liberté d’expression encadrée et limitéee
Les faits de l’affaire montrent que M. Connolly a profité d’un
congé de convenance personnelle pour rédiger un ouvrage particuliè(4) T.P.I., 19 mai 1999, Connolly c. Commission, affaire T-34/96 et T-163/96, Rec.
F.P., pp. I-A-87 et II-463; arrêt attaqué devant la C.J.C.E., arrêt du 6 mars 2001,
aff. C 274-99.
(5) T.P.I., 19 mai 1999, Connolly c. Commission, aff. T-203/95 ; arrêt attaqué
devant la C.J.C.E., arrêt du 6 mars 2001, affaire C 273-99.
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rement négatif sur la politique monétaire communautaire ( 6), alors
même que ses fonctions l’amenaient à assumer des reponsabilités
dans ce domaine ( 7). Or, en vertu de l’article 12 du statut : « Si le
fonctionnaire se propose d’exercer une activité extérieure, rémunérée ou non, ou de remplir un mandat en dehors des Communautés,
il doit en demander l’autorisation à l’autorité investie du pouvoir de
nomination. Cette autorisation est refusée si l’activité ou le mandat
sont de nature à nuire à l’indépendance du fonctionnaire ou à porter
préjudice à l’activité des Communautés ». En outre, l’article 17,
second alinéa, de ce même statut énonce que « le fonctionnaire ne
doit ni publier ni faire publier, seul ou en collaboration, un texte
quelconque dont l’objet se rattache à l’activité des Communautés
sans l’autorisation de l’autorité investie du pouvoir de nomination.
Cette autorisation ne peut être refusée que si la publication envisagée est de nature à mettre en jeu les intérêts des Communautés ».
Au vu du ton extrêmement polémique de l’ouvrage, il n’est guère
étonnant que M. Connolly n’ait pas souhaité solliciter l’autorisation
de l’autorité investie du pouvoir de nomination avant la publication
de son livre... On ne peut en effet nier que cette publication constitue un contrepoint assez cinglant à la politique monétaire suivie par
les Communautés européennes. Le requérant mentionne notamment
que « [sa] thèse centrale est que le MTC (le mécanisme des taux de
change) et l’UEM (l’Union économique et monétaire) ne sont pas
seulement inefficaces, mais aussi antidémocratiques : un danger,
non seulement pour (la) richesse (de l’Union), mais aussi pour les
quatre libertés et, finalement, pour la paix » ( 8). Le livre ressemble
d’ailleurs assez fortement à un règlement de comptes entre M. Connolly et ses supérieurs, qui, au courant de ses opinions, n’avaient
pas voulu le suivre dans ses orientations. Et de manière assez peu
surprenante eu égard au contenu de l’ouvrage, et à la personnalité
(6) Ce dont il ne s’était d’ailleurs pas totalement caché puisque parmi les raisons
ayant motivé la demande de congé de convenance personnelle adressée à la Commission européenne en avril 1995 figuraient des motifs familiaux mais également la
volonté « de consacrer du temps à la réflexion sur des sujets de théorie économique et de
politique et de ‘ rétablir sa relation avec la littérature ’ ».
(7) Comme le montre la motivation de la sanction prise à l’encontre de M. Connolly par l’autorité investie du pouvoir de nomination le 16 janvier 1996, cet ouvrage
a été écrit par l’intéressé « sur la base de son expérience professionnelle dans l’exercice
de ses fonctions au sein de la Commission ». Décision de révocation du 16 janvier 1996.
Voy. l’arrêt C 274-99, § 19.
(8) « My central thesis is that ERM and EMU are not only inefficient but also undemocratic : a danger not only to our wealth but to our four freedoms and, ultimately, our
peace ». p. 12 de l’ouvrage. Voy. l’arrêt C 274-99, § 97 ; pp. 11 et 17 de la version française.
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de l’auteur ( 9), c’est le qualificatif de faute grave qui a été retenu
par l’autorité investie du pouvoir de nomination pour qualifier les
faits reprochés à M. Connolly. Comme l’indique la Cour, « la gravité
de la faute alléguée à l’encontre du requérant n’était pas justifiée
par la seule absence d’une autorisation préalable de publication,
mais par un ensemble de circonstances propres au cas d’espèce,
telles que le contenu de l’ouvrage en cause, la publicité l’ayant
accompagné et la possibilité d’un manquement aux articles 11 et 12
du statut » ( 10). Selon cet article 12 du statut des fonctionnaires
européens, « le fonctionnaire doit s’abstenir de tout acte et, en particulier, de toute expression publique d’opinions qui puisse porter
atteinte à la dignité de sa fonction ». Il est à ce titre indéniable que
la publication de larges extraits de l’ouvrage dans les colonnes du
quotidien britannique The Times a largement joué en défaveur de
l’intéressé.
Devant les juridictions communautaires, M. Connolly a tenté sans
succès de faire reconnaître une double atteinte à sa liberté d’expression, l’une d’ordre général en raison du caractère illicite du statut
et l’autre liée aux circonstances de l’espèce.
Le requérant a d’abord essayé de convaincre les juridictions communautaires que le grief concernant une violation des articles 12 et
17 du statut était illicite, ces dispositions étant intrinsèquement
contraires au principe de la liberté d’expression, consacré par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales. Elles aboutiraient en pratique, selon le requérant, à interdire par principe toute publication.
Or, les droits fondamentaux ne sont jamais illimités dans leur
exercice et souvent soumis à des restrictions. Le texte même de l’article 10 de la Convention européenne prévoit d’ailleurs dans son
deuxième alinéa que les droits protégés par cette disposition peuvent être « soumis à certaines formalités, restrictions, ou sanctions... ».
Et depuis l’arrêt Sunday Times, on sait que la Cour européenne des
droits de l’homme reconnaît la possibilité d’ingérences préventives
dans la liberté d’expression ( 11). On trouve également cette
(9) Qui avait déjà à partir de 1991, présenté, à trois reprises, des projets d’articles
relatifs, respectivement, à l’application de théories monétaires, à l’évolution du système monétaire européen et aux implications monétaires du livre blanc sur l’avenir
de l’Europe, pour lesquels il s’était vu refuser l’autorisation préalable de publication,
prévue par l’article 17, second alinéa, du statut (arrêt C 274-99, § 2).
(10) T.P.I., aff. T-203/95, § 58.
(11) Cour eur. dr. h., Sunday Times, Observer et Guardian c. Royaume-Uni,
26 novembre 1991.
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approche au sein de la Communauté, qui veut que des restrictions
aux droits fondamentaux soient possibles « à condition que celles-ci
répondent à des objectifs d’intérêt général poursuivis par la Communauté et ne constituent pas une intervention démesurée et intolérable portant atteinte à la substance même des droits garantis » ( 12).
A cet égard, il n’existait pas de réel doute quant à l’existence d’une
mesure d’autorisation préalable pour les publications des fonctionnaires communautaires compatible avec la Convention. Ainsi que
l’indique la Cour : « L’autorisation préalable de publication n’est
exigée que lorsque le texte que le fonctionnaire intéressé envisage de
publier, ou de faire publier, ‘ se rattache à l’activité des Communautés ’. D’autre part, il ressort de cette même disposition qu’il
n’est institué aucune prohibition absolue de publication, mesure
qui, en soi, porterait atteinte à la substance même du droit à la
liberté d’expression » ( 13). Il ne s’agit donc pas d’une mesure générale interdisant l’expression du fonctionnaire ( 14), mais d’une
mesure proportionnée, tendant à mettre en balance de manière
équilibrée les intérêts du fonctionnaire et ceux de l’institution à
laquelle il appartient. L’article 17, alinéa 2 du statut pose, en effet,
explicitement le principe de la délivrance de l’autorisation, laquelle
ne peut être refusée qu’à titre exceptionnel : une autorisation de
publication ne peut être refusée que si la publication est de nature
à causer un grave préjudice aux intérêts des Communautés. En
outre, ce refus d’autorisation ne constitue pas une mesure que l’on
pourrait qualifier de « mesure d’ordre intérieur », fermée à toute possibilité de contentieux, puisque les articles 90 et 91 du statut
ouvrent une possibilité de recours contre de tels refus. Cette solution
de compatibilité entre la Convention européenne des droits de
l’homme et la mesure d’autorisation est d’ailleurs peu surprenante,
car la Cour de justice avait déjà eu l’occasion de juger précédemment que « l’article 12 du statut, tel qu’interprété ci-dessus, ne
(12) Voy. Cour just. Ctés eur., 11 juillet 1989, Schräder HS Kraftfutter, 265/87,
Rec. p. 2237, point 15. La Cour et la Commission européennes des droits de l’homme
se sont également rattachées à cette conception, n’acceptant pas que la liberté d’expression des fonctionnaires soit soumise à des « restrictions amples, rigides et disproportionnées ». Cour eur. dr. h., 2 septembre 1998, Ahmed et autres c. Royaume-Uni,
§ 60.
(13) Arrêt 274-99, § 152.
(14) La fonction publique communautaire n’étant en aucun cas une « grande
muette », comme essaie de le faire penser M. Connolly dans son ouvrage : « Sur cette
question (le déclin fatal de la place de Londres) comme tout autre concernant le M.C.E.
(mécanisme de change européen) et l’union monétaire, le rouleau compresseur de la propagande tente d’écraser l’analyse. Car l’analyse peut seulement conduire au désaccord
absolu. Et aucun désaccord ne peut être toléré », p. 428 de l’édition française.
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constitue pas une entrave à la liberté d’expression des fonctionnaires, mais impose des limites raisonnables à l’exercice de ce droit
dans l’intérêt du service » ( 15).
Ensuite, selon M. Connolly, le contenu même de l’ouvrage considéré ne revêt aucun caractère particulièrement répréhensible eu
égard aux exigences de son statut. Pour lui, il ne constitue qu’« un
travail d’analyse économique, non contraire aux intérêts de la Communauté », et « les prétendues attaques personnelles contenues dans
le livre ne constituent que des ‘ légèretés de plume ’ dans un
contexte d’analyse économique » ( 16). Mais l’analyse des juridictions
communautaires s’avère bien différente. Ainsi, pour le Tribunal de
première instance, « il ressort du dossier et des extraits du livre cités
par la Commission que l’ouvrage litigieux contient de nombreuses
affirmations agressives, dénigrantes, et souvent injurieuses, portant
atteinte à l’honneur des personnes et des institutions auxquelles
elles se réfèrent, et qui ont connu une publicité importante, notamment par voie de presse » ( 17). La lecture de l’ouvrage (« réquisitoire
dérangeant et salutaire », selon les mots employés par l’éditeur français en quatrième page de couverture) confirme d’ailleurs cette analyse. Cette présentation fouillée de l’histoire de la monnaie unique
constitue, en effet, un témoignage très orienté, rédigé par un opposant au processus d’unification politique. En intitulant certains de
ses chapitres « la pourriture au cœur de l’Europe » (p. 404), ou en évoquant la « propagande » de la Commission afin de tromper les gens
sur les conséquences de l’union économique et monétaire (p. 428), il
est clair que l’auteur dépasse allègrement les frontières de la stricte
analyse économique.
Sans doute aucun, il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes que la liberté d’expression
constitue un droit fondamental dont jouissent également les fonctionnaires communautaires. La liberté d’expression constitue, en
effet, un « droit fondamental dont la Cour doit assurer le respect
dans le domaine du droit communautaire » ( 18). Comme l’indique
l’avocat général Damaso Ruiz-Jarabo Colomer « bien évidemment,
les fonctionnaires des Communautés européennes jouissent du droit
à la liberté d’expression tel qu’il est garanti par la Convention euro(15) Cour just. Ctés eur., 17 février 1998, aff., arrêt E c. CES, aff. T-183/96, Rec
F.P., p. II-159, point 41.
(16) Arrêt C 274-99, § 16.
(17) Arrêt du 19 mai 1999, affaires jointes T-34/96 et T-163/96, § 125.
(18) Cour just. Ctés eur., 13 décembre 1989, Oyowe et Traore c. Commission, C100/88, Rec. p. 4285, point 16.
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péenne des droits de l’homme et peuvent l’invoquer devant la Cour
de justice en tant que principe général du droit communautaire » ( 19). Pour les juridictions communautaires, « cette liberté
comprend celle d’exprimer, verbalement ou par écrit, des opinions
discordantes ou minoritaires par rapport à celles défendues par
l’institution qui les emploie » ( 20), car « dans une société démocratique fondée sur le respect des droits fondamentaux, l’expression
publique, par un fonctionnaire, de points de vue différents de ceux
de l’institution pour laquelle il travaille ne peut pas, en soi, être
considérée comme étant de nature à mettre en danger les intérêts
des Communautés » ( 21). On retrouve ici, transposée à la position du
fonctionnaire communautaire, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui fait de la liberté d’expression un
droit fondamental qui « vaut non seulement pour les informations
ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives
ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou
inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit
d’ouverture sans lesquels il n’est pas de ‘ société démocratique’ » ( 22). Toutefois, l’expression du fonctionnaire ne doit pas
dépasser certaines limites, au regard en particulier des intérêts de
l’institution qui l’emploie. En attaquant directement l’une des politiques communautaires, par des propos « constitutifs, en soi, d’une
atteinte à la dignité de la fonction », il est peu contestable que
M. Connolly a « rompu de façon irréparable la confiance que la Commission est en droit d’exiger de ses fonctionnaires et, en conséquence, rend impossible le maintien d’une quelconque relation de
travail avec l’institution » ( 23). Des propos qui seraient admissibles
d’une personne extérieure ne le sont en effet pas d’un fonctionnaire,
qui plus est d’un grade élevé. La liberté d’expression du fonctionnaire doit, en effet, s’apprécier au regard d’une autre exigence : la
loyauté vis-à-vis de l’institution qui l’emploie.
(19) Conclusions présentées le 19 octobre 2000, affaire C-274/99, Bernard Connolly
c. Commission des Communautés européennes, § 10. Cette approche rejoint celle de la
Cour européenne des droits de l’homme, selon laquelle les fonctionnaires peuvent
bénéficier « en règle générale » des garanties de la Convention. Voy. Cour eur. dr. h.,
26 septembre 1995, Vogt c. Allemagne, § 43.
(20) Arrêt 274-99, § 43.
(21) T.P.I., Cwik c. Commission, 14 juillet 200, aff. T-82/99, point 57.
(22) Voy. Cour eur. dr. h., Handyside c. Royaume-Uni, 7 décembre 1976, § 49;
Müller et autres c. Suisse, 24 mai 1988, § 33, et Vogt c. Allemagne, précité, § 52.
(23) Décision de révocation du 16 janvier 1996. Voy. l’arrêt C 274-99, § 19 et
§ 125.
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B. — Une liberté d’expression limitée
par la confiance légitime due à l’employeur
La limitation de la liberté d’expression du fonctionnaire s’explique essentiellement par le lien particulier qui unit cette personne à
son employeur et qui se caractérise par un lien de confiance spécifique. Cette notion de confiance entre le fonctionnaire et l’institution
qui l’emploie est une obligation complexe, née du mélange de plusieurs dispositions du statut. Aux termes de l’article 11, « le fonctionnaire doit s’acquitter de ses fonctions et régler sa conduite en
ayant uniquement en vue les intérêts des Communautés, sans solliciter ni accepter d’instructions d’aucun gouvernement, autorité,
organisation ou personne extérieure à son institution » ( 24). En
outre, l’article 12 dispose que « le fonctionnaire doit s’abstenir de
tout acte et, en particulier, de toute expression publique d’opinions
qui puisse porter atteinte à la dignité de sa fonction ». Comme l’indique J.-F. Flauss, ce devoir de loyauté s’analyse en un véritable
« patriotisme communautaire », les fonctionnaires communautaires ne
disposant d’aucun droit à l’objection de conscience politique ( 25). On
retrouve ici une perspective présente également pour certains fonctionnaires nationaux, tels que les fonctionnaires français ( 26).
Or, comme l’indique la sanction prise à l’encontre de l’intéressé le
16 janvier 1996, « M. Connolly ne pouvait pas ignorer que la publication de son ouvrage reflétait une opinion personnelle, discordante
de la ligne de conduite adoptée par la Commission en tant qu’institution de l’Union européenne, responsable de la poursuite d’un
objectif majeur et d’un choix politique fondamental inscrit dans le
traité de l’Union qui est l’Union économique et monétaire » ( 27). Les
faits reprochés à M. Connolly vont bien au-delà de l’absence purement technique de demande d’autorisation de publication. En réalité, il lui est davantage reproché de ne pas avoir agi selon les obli(24) L’article 11 indique, en outre, que « le fonctionnaire ne peut accepter d’un
gouvernement ni d’aucune source extérieure à l’institution à laquelle il appartient,
sans autorisation de l’autorité investie du pouvoir de nomination, une distinction
honorifique, une décoration, une faveur, un don, une rémunération, de quelque
nature qu’ils soient, sauf pour services rendus soit avant sa nomination, soit au cours
d’un congé spécial pour service militaire ou national, et au titre de tels services. »
(25) J.-F. Flauss, Les Petites Affiches, 7 août 2001, n o 156, p. 16.
(26) Ainsi pour le commissaire du gouvernement Laurent dans l’arrêt Guille (C.E.
fr., 1 er octobre 1954, Rec., p. 496) : « dans l’exécution du service, l’Etat peut exiger
du fonctionnaire qu’il s’abstienne de tout acte propre à faire douter, non seulement
de sa neutralité, mais de son loyalisme envers les institutions (...) ». Voy. également
E. Aubin, Droit de la fonction publique, Gualino, 2001, pp. 145 et s.
(27) Voy. l’arrêt C 274-99, § 19.
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gations qui incombent traditionnellement à un fonctionnaire de son
rang. La Cour indique d’ailleurs tout à fait clairement « que M. Connolly n’a pas été révoqué seulement parce qu’il n’avait pas sollicité
l’autorisation préalable de publication (...) ou parce qu’il avait
exprimé une opinion discordante, mais parce qu’il avait (...) mis en
cause les orientations fondamentales de la politique de la Communauté inscrites par les Etats membres dans le traité et à la mise en
œuvre desquelles il était précisément chargé par la Commission de
contribuer loyalement » ( 28). Son comportement « de par sa gravité,
a rompu de façon irréparable la confiance que la Commission est en
droit d’exiger de ses fonctionnaires et, en conséquence, rend impossible le maintien d’une quelconque relation de travail avec l’institution » ( 29). De même pour le Tribunal, « dans son livre, M. Connolly
se livre à certaines attaques désobligeantes et non étayées envers
des commissaires et d’autres membres du personnel de la Commission de manière à porter atteinte à la dignité de sa fonction et à discréditer la Commission, en violation des obligations qui lui incombent en vertu de l’article 12 » ( 30).
Le fonctionnaire doit donc servir l’ institution qui l’emploie avec
un lien de confiance réciproque. Comme l’indique la Cour, « les prescriptions de l’article 11 du statut, dont il résulte que le fonctionnaire doit régler sa conduite en ayant uniquement en vue les intérêts des Communautés, répondent au souci légitime de garantir non
seulement l’indépendance, mais aussi la loyauté du fonctionnaire à
l’égard de son institution » ( 31). Le Tribunal de première instance a
eu l’occasion de rappeler, à plusieurs reprises, l’existence de ce lien
particulier qui unit le fonctionnaire à son employeur. Il faut que ces
fonctionnaires « dans leur comportement, présentent une image de
dignité conforme à la conduite particulièrement correcte et respectable que l’on est en droit d’attendre des membres d’une fonction
publique internationale » ( 32). Comme l’avait déjà mentionné l’arrêt
N. c. Commission, cette obligation, au cœur d’un système complexe,
« peut être rapprochée de l’article 11, premier alinéa du statut, en
vertu duquel le fonctionnaire doit régler sa conduite en ayant uniquement en vue les intérêts des Communautés et de l’article 21, premier alinéa du statut, aux termes duquel le fonctionnaire est tenu
(28) Idem, § 62.
(29) Décision de sanction du 16 janvier 1996, voy. l’arrêt C 274-99, § 19.
(30) T.P.I., 19 mai 1999, aff. jointes T-34/96 et T-163/96, § 44.
(31) Arrêt C 274-99, § 111.
(32) T.P.I., 15 mai 1997, N c. Commission, T-273/94, Rec. F.P., p. II-289,
points 128 et 129.
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d’assister et de conseiller ses supérieurs » ( 33). Cette exigence n’est
d’ailleurs pas laissée à la libre appréciation du fonctionnaire, car « la
dignité de la fonction (...) ne saurait dépendre de la conception subjective que le fonctionnaire communautaire concerné se fait des
tâches qui lui sont confiées au sein d’une institution communautaire » ( 34).
On peut résumer cette exigence en un seul terme, qui est celui de
la loyauté due par le fonctionnaire à l’égard de son employeur, « afin
que les liens de confiance existant entre cette institution et luimême soient toujours préservés » ( 35). Cette obligation a systématiquement été entendue de manière extensive par le juge communautaire ( 36), puisque l’atteinte à cette dignité est constituée « non seulement par l’image négative qu’un fonctionnaire donnerait à l’extérieur de l’institution dont il relève, mais aussi par un comportement
contraire à la dignité de la fonction qui se cantonnerait à l’intérieur
de l’institution, où il doit faire particulièrement preuve d’un comportement digne et respectueux vis-à-vis de cette dernière et de
toutes les personnes qui y sont affectées » ( 37). Cela signifie donc que
la position occupée par le fonctionnaire au moment où sont appréciés les faits litigieux importe peu ( 38). On sait en outre depuis l’arrêt Williams que le fonctionnaire « peut certes affirmer son indépendance de pensée ou d’opinion, mais qu’il ne peut aucunement se
livrer à des écarts de langage qui débouchent sur l’injure et portent
atteinte à l’honneur de certaines personnes » ( 39). Ce qui interdit
bien évidemment au fonctionnaire de développer « des conduites
(33) Idem, § 128.
(34) Arrêt du Tribunal du 7 mars 1996, Williams c. Cour des comptes, aff. T-146/
94, p. II-329, point 65.
(35) Arrêt N. c. Commission, précité, § 129.
(36) Mais également par la Cour européenne des droits de l’homme, puisque dans
ses arrêts Glasenapp et Kosiek (28 août 1986), elle ne juge pas que l’obligation de
« loyauté » réclamée pour accéder à la fonction publique allemande est une atteinte
à la liberté d’opinion. Qui plus est le licenciement ou le refus de titularisation de
deux enseignants du fait de leurs opinions politiques n’a pas été considéré comme
une ingérence dans la liberté d’expression et d’opinion, ce qui dispensait d’en apprécier la justification.
(37) T.P.I., Williams c. Cour des Comptes, précité, § 80.
(38) Arrêt C 274-99, § 130. Ceci signifie en particulier que, contrairement à ce que
M. Connolly avait essayé de faire valoir devant le juge communautaire, le fait d’être
placé en congé de convenance personnelle ne l’éxonérait en aucun cas de son obligation de loyauté à l’égard de son employeur. Voy. l’arrêt C 274-99, §§ 66 et s.
(39) T.P.I., Williams c. Cour des Comptes, précité, § 93.
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attentatoires à la dignité et au respect dus à l’institution et à ses
autorités » ( 40).
L’usage excessif de la liberté d’expression par M. Connolly est,
selon la Cour de justice, contraire à l’article 10 de la Convention
européenne des droits de l’homme et a justifié la sanction prise par
l’autorité investie du pouvoir de nomination « dans le but légitime
de protéger les droits d’autrui au sens de l’article 10, paragraphe 2,
de la Convention européenne des droits de l’homme, en l’occurrence
ceux des institutions chargées de missions d’intérêt général sur le
bon accomplissement desquelles les citoyens doivent pouvoir compter » ( 41). Mais cette justification n’est ni la seule, ni la principale
explication de la sanction prise à l’encontre du requérant. En effet,
ce qui est surtout en cause c’est essentiellement un problème de
confiance perdue entre le fonctionnaire et son institution. La Cour
de Luxembourg évoque tout à fait explicitement les expressions qui
sont de nature à rompre « la relation de confiance qui l’unit à cette
institution et en rendant ultérieurement plus difficile, voire impossible, l’accomplissement, en collaboration avec ce fonctionnaire, des
missions dévolues à ladite institution » ( 42). Le régime de l’autorisation préalable prévu par le statut de la fonction publique communautaire reflète d’ailleurs, selon la Cour, « la relation de confiance
qui doit exister entre un employeur et ses agents, spécialement lorsqu’ils s’acquittent de fonctions élevées de nature publique, et sa
mise en œuvre ne saurait être appréciée qu’à la lumière de l’ensemble des circonstances de l’espèce et de leurs implications sur
l’exercice de la fonction publique » ( 43). En l’occurrence, la publication de M. Connolly cumule de manière évidente les éléments négatifs par rapport à l’exercice de la liberté d’expression : cet ouvrage,
publié par un fonctionnaire de grade élevé, « contient de nombreuses
affirmations agressives, dénigrantes et souvent injurieuses, portant
atteinte à l’honneur des personnes et des institutions auxquelles
elles se réfèrent », il a connu « une publicité importante, notamment
par voie de presse » et surtout il exprime « publiquement (...) une
opposition fondamentale du requérant à la politique de la Commission qu’il avait pour fonction de mettre en œuvre, à savoir la réalisation de l’Union économique et monétaire, objectif, par ailleurs,
(40) T.P.I., Williams c. Cour des Comptes, 26 novembre 1991, aff. T 146/89, Rec.
II-1293, point 72.
(41) Arrêt C 274-99, § 46.
(42) Idem, § 47.
(43) Idem, § 56.
396
Rev. trim. dr. h. (2002)
assigné par le traité » ( 44). On ne s’étonnera donc pas que l’ensemble
des faits allégués conduise la Cour à estimer que « l’Autorité investie
du pouvoir de nomination a pu légitimement considérer que le
requérant avait, de par son comportement, nui à la dignité de sa
fonction et rompu de façon irréparable la confiance que la Commission est en droit d’exiger de ses fonctionnaires » ( 45). Ce ne sont pas
tant les opinions contenues dans le livre qui s’avéraient répréhensibles par rapport au statut, mais bien davantage le discrédit que
pouvait faire peser un haut fonctionnaire de la Commission européenne sur une politique communautaire qu’il était justement censé
mettre en œuvre... Eu égard à la gravité des faits, la sanction prononcée à l’égard du requérant peut donc apparaître « nécessaire dans
une société démocratique » et en conséquence conforme aux standards
habituels de la jurisprudence de la Commission et de la Cour européennes des droits de l’homme ( 46).
Intéressante par le rappel effectué des obligations qui pèsent sur
le fonctionnaire communautaire au regard de la liberté d’expression,
l’affaire Connolly est également remarquable en ce qui concerne la
méthode employée et en particulier par la place accordée à la
Convention européenne des droits de l’homme.
II. — La Convention européenne
des droits de l’homme, source essentielle
de la liberté d’expression au plan européen
Au-delà de la solution au fond, c’est également la technique
employée par la Cour de justice qui est tout à fait remarquable dans
ces arrêts Connolly. D’une manière peut être assez paradoxale, cette
affaire recourt à une technique jurisprudentielle éprouvée, à savoir
l’utilisation de la Convention européenne des droits de l’homme
comme source des droits fondamentaux de l’Union européenne (A).
Mais cette approche prétorienne désormais connue se situe peut-être
en même temps à un tournant, qui risque de marginaliser la
Convention européenne des droits de l’homme (B).
(44) Idem, §§ 59 et 60.
(45) Arrêt C 274-99, § 131.
(46) La Commission européenne des droits de l’homme a eu l’occasion de préciser
que les fonctionnaires civils sont tenus par une obligation de neutralité (req. n o 8010/
77, D.R. 16, p. 104), ce qui autorise, par exemple, la prise de sanctions disciplinaires
à l’encontre d’un magistrat qui distribue un tract critiquant le traitement d’affaires
pénales par le tribunal où il est en poste (req. n o 10279/83, D.R., 38, p. 130).
Rev. trim. dr. h. (2002)
397
A. — La Convention européenne des droits de l’homme,
source de la liberté d’expression
dans l’ordre communautaire
Dans les arrêts Connolly, la Cour opère une présentation extrêmement détaillée de l’article 10 de la Convention européenne des droits
de l’homme et de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg y afférente ( 47). En effet, dans leur examen du contenu de la liberté d’expression des fonctionnaires communautaires, ni le Tribunal de première instance, ni la Cour de justice ne se livrent à un exercice de
droit comparé par rapport aux autres statuts des fonctions publiques nationales ( 48). La source essentielle de la liberté d’expression
est bien l’article 10 de la Convention européenne des droits de
l’homme pour les deux juridictions. Ainsi, la Cour de justice, après
avoir rappelé les exigences de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ( 49), indique de manière tout à fait
explicite que « c’est à la lumière de ces considérations générales qu’il
convient, comme l’a fait le Tribunal aux points 148 à 155 de l’arrêt
attaqué, d’interpréter et d’appliquer l’article 17, second alinéa, du
statut » ( 50).
Comme le rappelle l’avocat général Damaso Ruiz-Jarabo Colomer, la Convention européenne des droits de l’homme possède une
« importance capitale en tant que source d’inspiration pour la
définition des droits fondamentaux de l’ordre juridique communautaire » et « a été reconnue par la Cour de justice bien avant la
réforme de Maastricht » ( 51). On est loin de l’époque où la Cour
opposait une fin de non recevoir à la demande des parties qui
cherchaient à faire vérifier que la libre expression reconnue par
l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme
était bien respectée par une législation nationale ( 52). Dès 1975,
(47) Voy. l’arrêt C 274-99, § 39 et s.
(48) Comme elle a pu le faire, par exemple, dans l’arrêt sur la recevabilité Papon
c. France du 7 juin 2001, pour les droits pénitentiaires européens.
(49) arrêts Vogt c. Allemagne, précité; Ahmed et autres c. Royaume-Uni du 2 septembre 1998, § 56, et Wille c. Liechtenstein, 28 octobre 1999, § 62.
(50) Arrêt C 274-99, § 50.
(51) Conclusions présentées le 19 octobre 2000, affaire C-274/99, § 12.
(52) Cour just. Ctés eur., 11 juillet 1985, Cinéthèque c. Fédération nationale des
cinémas français, aff. 60/84, Rec., 2965 : à propos des restrictions imposées par la
France à la vente de vidéocassettes de films qui étaient sur le point de sortir ou
récemment sortis dans les salles de cinéma ; ou Cour just. Ctés eur., 30 septembre
1987, Demirel c. Ville de Schwabisch Gmuend, aff. 12/86, Rec., 3719 : à propos du
droit au regroupement familial des travailleurs turcs.
398
Rev. trim. dr. h. (2002)
avec l’arrêt Rutili ( 53), la Cour cite expressément des dispositions de
la Convention européenne des droits de l’homme, afin d’assurer la
promotion continue des droits fondamentaux dans la Communauté.
Et depuis l’arrêt Hoechst ( 54), la Convention européenne revêt une
« signification particulière » dans la jurisprudence de la Cour. Un
observateur particulièrement avisé, P. Pescatore, estime que la
Convention européenne fait depuis maintenant plus de dix ans l’objet d’une application « ordinaire », à savoir que cet instrument est
reçu « spontanément comme un élément juridique dont il faut tenir
compte dans le système du droit communautaire » ( 55). Ce travail
prétorien de la Cour de Luxembourg a été institutionnalisé par le
traité sur l’Union européenne et notamment par l’article 6, § 2 :
« L’Union respecte les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis
par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme
et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et
tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux
Etats membres, en tant que principes généraux du droit communautaire » ( 56). Cette disposition (qui reprend les formulations
employées par la Cour de justice dans ses arrêts) a pu être analysée
en une « constitutionnalisation » des droits fondamentaux tels qu’ils
sont protégés par la Convention européenne des droits de
l’homme ( 57). On ne s’étonnera donc pas de trouver dans l’arrêt
Connolly l’une des formules désormais classiques de la jurisprudence
communautaire : « Il convient de rappeler, à titre liminaire, que,
selon une jurisprudence constante, les droits fondamentaux font
partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour
assure le respect. A cet effet, la Cour s’inspire des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres ainsi que des indications
(53) Cour just. Ctés eur., 28 octobre 1975, Roland Rutili c. Ministre de l’Intérieur,
aff. 36/75, Rec., 1219. (sp. p. 1232).
(54) Cour just. Ctés eur., 21 septembre 1989, Hoechst, aff. 46/87, Rec., 2859. Cette
formule sera ensuite reprise par de nombreux arrêts. Voy., notamment E.R.T.,
Kremzow, Marguerite Johnston c. Chief Constable of the Royal Ulster Constabulary
(15 mai 1986, aff. 222/84, Rec., 1651).
(55) P. Pescatore, « La Cour de justice des Communautés européennes et la
Convention européenne des droits de l’homme », in Protection des droits de l’homme :
la dimension européenne, Mélanges Wiarda, Carl Heymans Verlag, 1988, p. 444.
(56) Voy. sur ce point, J.-M. Larralde, « Convention européenne des droits de
l’homme et jurisprudence communautaire », in L’union européenne et les droits fondamentaux, Actes de la journée d’études de Caen, Bruylant, 1999, pp. 105-135.
(57) D. Simon, « Commentaire de l’article F du traité sur l’Union européenne », in
V. Constantinesco, R. Kovar, D. Simon, dir., Commentaire du Traité sur l’Union
européenne, Economica, 1995, p. 84. On peut toutefois objecter qu’en fait de « constitutionnalisation », ces droits fondamentaux sont consacrés par les traités originaires,
ce qui n’est pas exactement la même chose.
Rev. trim. dr. h. (2002)
399
fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l’homme auxquels les Etats membres ont coopéré
ou adhéré. La Convention européenne des droits de l’homme revêt,
à cet égard, une signification particulière » ( 58).
C’est probablement l’avocat général Darmon, dans ses conclusions sur l’affaire Orkem qui a le mieux synthétisé l’approche de la
Cour de justice face à la Convention : « l’existence dans le droit communautaire de droits fondamentaux tirés de la Convention européenne des droits de l’homme ne s’analyse pas comme l’application
pure et simple des dispositions de ce texte tel qu’interprété par les
organes de Strasbourg » ( 59). Or, de manière assez remarquable dans
l’affaire Connolly, la Cour ne se contente pas exclusivement d’une
application du contenu du droit protégé par l’article 10 de la
Convention et explicité par la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme. C’est la méthode même de la Cour de Strasbourg qui inspire également les juges de Luxembourg. Si l’avocat
général Damaso Ruiz-Jarabo Colomer dans ses conclusions rappelle
de manière très minutieuse la méthode suivie par la Cour européenne des droits de l’homme et la défunte Commission ( 60), il indique bien également que les juridictions communautaires ne sont pas
liées par la procédure suivie par la Cour de Strasbourg. En effet,
pour M. Damaso Ruiz-Jarabo Colomer « la simple utilisation d’une
méthodologie différente ne saurait constituer, en elle-même, une
violation de ce texte (la Convention européenne des droits de
l’homme) » ( 61). En conséquence, contrairement à ce qu’avait essayé
de faire valoir le requérant, la Cour de justice estime que l’adoption
par le Tribunal d’une méthode distincte de celle qu’emploie la Cour
de Strasbourg ne vicie pas l’ensemble de la procédure. Néanmoins,
l’examen par la Cour de Luxembourg du premier moyen invoqué
par le requérant ( 62) amène bien la juridiction communautaire à
vérifier si les articles 12 et 17 du statut général des fonctionnaires
communautaires n’instaure pas un régime de censure préalable
contraire à l’article 10 de la Convention européenne des droits de
l’homme ( 63). Ce faisant, c’est bien une démarche proche de celle
suivie par la Cour européenne des droits de l’homme qui est utilisée
(58) Arrêt C 274-99, § 37.
(59) Cour just. Ctés eur., 18 octobre 1989, Orkem c. Commission, aff. 374/87, Rec.
3283 et s. (sp. p. 3334).
(60) Conclusions sur l’arrêt C 274-99, § 11 et s.
(61) Idem, § 12.
(62) Arrêt C 274-99, §§ 30 et s.
(63) § 30 et s. de l’arrêt C 274-99.
400
Rev. trim. dr. h. (2002)
par les juges communautaires. En effet, face à un justiciable invoquant une violation de sa liberté d’expression, cette juridiction procède toujours de la même manière : l’ingérence dans la liberté de
l’intéressé était-elle prévue par la loi ? visait-elle un but légitime ? et
était-elle nécessaire dans une société démocratique ? La Cour européenne des droits de l’homme s’est également forgée divers concepts
prétoriens, comme la « marge nationale d’appréciation » laissée aux
Etats dans la mise en œuvre des droits protégés. Or, la démarche
suivie dans l’affaire Connolly démontre de larges similitudes avec la
méthode suivie par la Cour de Strasbourg. Ainsi, dans l’arrêt C 27499, la Cour de justice, après avoir rappelé la jouissance de la liberté
d’expression par les fonctionnaires communautaires, indique-t-elle
aussitôt que cette liberté d’expression est limitée par certaines obligations imposées aux fonctionnaires communautaires, qui peuvent
notamment s’analyser en des restrictions liées à « la protection des
droits d’autrui » (en l’occurrence les intérêts des Communautés), légitimes « dans une société démocratique ». Ceci est notamment le cas
pour la délivrance d’une autorisation préalable à toute publication.
Et même lorsque le Tribunal de première instance évoque les relations entre l’obligation de loyauté et l’étendue de la liberté d’expression, il prend soin de relever l’existence de jurisprudences de la Cour
qui confirment « que la révocation d’un fonctionnaire s’étant
exprimé publiquement, de façon incompatible avec sa fonction,
n’est pas contraire à l’article 10 de la Convention européenne » ( 64).
Sur ce dernier point, on peut toutefois se demander si la Cour de
Luxembourg ne se montre pas plus exigeante que la juridiction de
Strasbourg en ce qui concerne les obligations pesant sur le fonctionnaire. En effet, si l’existence même d’une sanction prise par l’employeur communautaire à l’égard de M. Connolly apparaît tout à
fait légitime, on pourrait également estimer que l’intéressé, par sa
publication, a participé à un débat d’intérêt général. En conséquence, l’ingérence dans sa liberté d’expression aurait peut-être dû
emprunter un caractère plus « raisonnable » et « approprié » que les
mesure prises par l’autorité investie du pouvoir de nomination ( 65).
(64) En l’occurrence, les arrêts Kosiek c. Allemagne et Vogt c. Allemagne, précités.
T.P.I., aff. jointes T-34/96 et T-163/96, § 120.
(65) La Cour européenne des droits de l’homme estime, en effet, qu’il lui appartient « en tenant compte des circonstances de chaque affaire, de rechercher si un juste
équilibre a été respecté entre le droit fondamental de l’individu à la liberté d’expression et l’intérêt légitime d’un Etat démocratique à veiller à ce que sa fonction publique œuvre aux fins énoncées à l’article 10 par. 2 ». Arrêt Vogt c. Allemagne, précité,
§ 53.
Rev. trim. dr. h. (2002)
401
Mais il est tout aussi évident que les fonctions de l’intéressé militaient également pour une sanction exemplaire...
La jurisprudence Connolly prend donc place dans une œuvre prétorienne considérable, qui a amené la Cour de Luxembourg à faire
de la Convention européenne des droits de l’homme et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme des sources
primordiales pour les droits fondamentaux dans l’ordre communautaire ( 66). Toutefois, cette affaire se déroule dans une période tout à
fait particulière, qui est celle de l’adoption, au plan communautaire,
d’un texte spécialement destiné à la protection des droits fondamentaux. On peut légitimement se demander si la place conférée à la
Convention européenne n’est pas arrivée à son apogée, la période
suivante risquant d’être celle de son dépérissement dans la jurisprudence communautaire.
B. — La Convention européenne des droits de l’homme,
source concurrencée des droits fondamentaux ?
Lors du Conseil européen de Nice des 7-9 décembre 2000, le Parlement européen, la Commission et le Conseil de l’Union ont proclamé
solennellement la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, document essentiel qui constitue la première liste cohérente
des droits fondamentaux dans l’ordre communautaire. Le but visé
par ses rédacteurs est clairement de rendre plus lisibles et accessibles ces droits et « de conférer à l’Union et aux Communautés une
légitimité politique et morale » ( 67). Comme l’affirme le Préambule de
la Charte, ce texte ne fait que « rendre plus visibles » et « réaffirmer »
« les droits qui résultent notamment des traditions constitutionnelles et des obligations internationales communes aux Etats
membres, du traité sur l’Union européenne et des traités communautaires, de la Convention européenne, des Chartes sociales adoptées par la Communauté et le Conseil de l’Europe, ainsi que par la
jurisprudence de la Cour de justice et de la Cour européenne des
(66) La prise en compte de la Convention européenne irradie l’ensemble de la
jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes et le contentieux
communautaire concerne désormais tous les types de recours et la plupart des dispositions essentielles de la Convention : les articles 6 (droit au procès équitable), 7 (nonrétroactivité des incriminations), 8 (droit à la vie privée et familiale), 9 (droit à la
liberté de conscience et de religion), 10 (liberté d’expression), 11 (droit à la liberté
de réunion pacifique et d’association), 13 (droit au recours effectif) et l’article 1 er du
Protocole n o 1 (droit de propriété).
(67) A. Pecheul, « La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne »,
Revue française de droit administratif, mai-juin 2001, p. 689.
402
Rev. trim. dr. h. (2002)
droits de l’homme ». Ce texte de cinquante-quatre articles répartis
en six catégories constitue un ensemble relativement « classique »,
où l’on retrouve de nombreuses dispositions directement inspirées,
voire calquées sur la Convention européenne des droits de l’homme.
On peut, à ce titre, mentionner notamment l’article 11, premier alinéa de la Charte (liberté d’expression et d’information), selon lequel
« Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend
la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des
informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontières » ( 68). Si la Charte
n’est encore actuellement qu’un document symbolique, sans portée
juridique contraignante, elle a bien été rédigée comme si elle devait
être ultérieurement intégrée dans les traités communautaires avec
une force juridique contraignante. Son contenu « enrichira le corpus
des droits fondamentaux applicables au sein des Communautés » ( 69).
On peut se demander quelles seront les futures relations entre ce
texte et la Convention européenne des droits de l’homme. La
réponse semble aujourd’hui sans aucune ambiguïté : selon F. Benoît-Rohmer « la Charte n’a pas vocation à constituer une alternative à la Convention, ni même à la concurrencer. La Charte ne fait
que rendre les droits fondamentaux existants plus visibles en codifiant l’acquis communautaire, de manière à ce que les institutions
et les citoyens ne soient plus tenus à des recherches dans la jurisprudence de la Cour de justice ou dans des textes épars pour connaître
leurs droits » ( 70). Toutefois, l’analyse qui ne verrait dans la Charte
qu’un texte de référence semble trop réductrice. En effet, comme l’a
notamment indiqué J.-F. Flauss, « bien que non intégrée dans les
(68) L’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme étant rédigé
en ces termes : « 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend
la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des
idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de
frontière. Le présent article (art. 10) n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises
de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui
constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles
ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. ».
(69) A. Pecheul, op. cit., p. 690.
(70) La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Dalloz, doctrine,
2001, p. 1491
Rev. trim. dr. h. (2002)
403
traités et dépourvue de toute valeur contraignante, la Charte aura
une portée allant bien au-delà d’un simple magistère d’influence.
Non seulement elle est appelée à devenir le pivot de la protection
des droits fondamentaux au sein de l’ordre juridique communautaire mais de surcroît elle est en mesure de devenir une pièce maîtresse de la protection des droits de l’homme à l’échelle du continent européen et peut-être même au-delà de celui-ci » ( 71). Or, alors
même que la Charte n’a pas été intégrée dans les traités, on trouve
déjà sa trace dans plusieurs espèces jurisprudentielles, ce qui fait
dire à certains que progressivement « la Charte sera transformée par
la Cour de justice en source d’inspiration privilégiée pour définir les
principes généraux du droit communautaire relatifs aux droits fondamentaux » ( 72). Effectivement, les juges communautaires la prennent déjà en considération dans leurs arrêts. Certes, le plus souvent,
c’est le caractère non contraignant de la Charte qui est mis en
avant ( 73). Mais certaines espèces vont déjà plus loin et montrent les
potentialités de la Charte. Ainsi, pour l’avocat général J. Mischo
« nous savons bien que cette Charte n’est pas juridiquement contraignante, mais il nous semble cependant intéressant de nous y référer,
étant donné qu’elle constitue l’expression, au plus haut niveau, d’un
consensus politique élaboré démocratiquement sur ce qui doit
aujourd’hui être considéré comme le catalogue des droits fondamentaux, garantis par l’ordre juridique communautaire » ( 74). De
manière encore plus intéressante, la Charte des droits fondamentaux, malgré son statut juridique, sert déjà à la délimitation de certains droits fondamentaux, au-delà des dispositions explicites de la
Convention européenne des droits de l’homme. C’est le cas de l’article 9 de la Charte qui dispose que « le droit de se marier et le droit
de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en
régissent l’exercice ». A l’aide des explications établies sous la res-
(71) Les droits de l’homme dans l’Union européenne : chronique d’actualité 19992000, Les Petites Affiches, 6 août 2001, n o 155, p. 4.
(72) J.-F. Flauss, op. cit., p. 8.
(73) Ainsi pour l’avocat général L.A. Geelhoed, (conclusions sur l’affaire C-313/99,
Mulligan e.a. c. Minister of agriculture and food Ireland et Attorney General, présentées le 12 juillet 2001), concernant le droit de propriété reconnu par l’article 17 de
la Charte, « en l’état actuel du droit communautaire, cette charte n’a cependant pas
d’effet contraignant » (§ 28). La même solution a été apportée pour la protection de
la vie privée et familiale par l’article 7 de la Charte. Voy. les conclusions de l’avocat
général L.A. Geelhoed présentées le 5 juillet 2001, Aff. C-413/99, Baumbast et « R » c.
Secretary for the Home Department, § 59.
(74) Conclusions présentées le 20 septembre 2001, aff. jointes C-20/00 et C-64/00,
Booker Aquaculture Ltd, agissant sous le nom commercial « Marine Harvest McConnell » et Hydro Seafood GSP Ltd c. The Scottish, § 126.
404
Rev. trim. dr. h. (2002)
ponsabilité du Présidium, qui indiquent que l’article 9 « n’interdit ni
n’impose l’octroi du statut du mariage à des unions entre personnes
du même sexe », l’avocat général J. Mischo estime que cela
« confirme la différence de situation entre le mariage, d’une part, et
l’union entre personnes du même sexe, d’autre part » ( 75). Mais c’est
probablement l’avocat général A. Tizzano qui a le mieux présenté
les débats autour de la place actuelle et de la force de la Charte des
droits fondamentaux. Celle-ci « ne s’est pas (...) vue reconnaître une
portée normative authentique, c’est-à-dire est restée dénuée, du
point de vue formel, de valeur contraignante autonome. Toutefois
(...) il n’en reste pas moins qu’elle renferme des énonciations qui
paraissent en grande partie reconnaître des droits déjà prévus ailleurs. ». Cela signifie « que dans un litige qui porte sur la nature et
la portée d’un droit fondamental, il est impossible d’ignorer les
énonciations pertinentes de la Charte ni surtout son évidente vocation à servir, lorsque ses dispositions le permettent, de paramètre de
référence substantiel pour tous les acteurs — Etats membres, institutions, personnes physiques et morales — de la scène communautaire » ( 76).
Il est donc tout à fait envisageable que la Charte des droits fondamentaux de l’Union supplante progressivement la Convention
européenne des droits de l’homme comme source première de référence dans la jurisprudence de la Cour de Luxembourg. Quelle
pourra être l’incidence de cette solution sur l’étendue et la qualité
des droits protégés ? D’une manière générale, on peut estimer qu’il
s’agit là d’une interrogation vaine, car la Charte constitue une sorte
de prolongement de la Convention européenne. Les standards de
protection ne devraient en conséquence guère varier, car l’article 52
(3) de la Charte contient une « clause de non régression », ce qui signifie que son application ne peut entraîner un abaissement du niveau
de protection par rapport à celui résultant de la Convention européenne des droits de l’homme. Mais il ne faut pas oublier que les
débats préparatoires de la Charte européenne prévoyaient un mécanisme relativement différent en ce qui concerne les rapports entre
la Charte et la Convention. On avait envisagé une clause qui stipu(75) Conclusions présentées le 22 février 2001, Aff. jointes C-122/99 P et C-125/99
P, D et Royaume de Suède c. Conseil de l’Union européenne, § 97.
(76) Conclusions présentées le 8 février 2001, Aff. C-173/99, Broadcasting, Entertainment, Cinematographic and Theatre Union (BECTU) c. Secretary of State for
Trade and Industry, §§ 27 et 28. La Charte fournit a ici permis « la confirmation la
plus qualifiée et définitive de la nature de droit fondamental que revêt le droit au
congé annuel payé ».
405
Rev. trim. dr. h. (2002)
lait qu’« aucune disposition de la Charte ne peut être interprétée
comme restreignant la portée des droits garantis par... la Convention européenne des droits de l’homme telle qu’interprétée par la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ». Cette
mention ne figure pas dans le texte définitif, ce qui a pu être justifié
par la volonté de respecter une certaine séparation des pouvoirs ( 77).
Quoi qu’il en soit, cette lacune peut laisser planer quelques doutes
sur l’entière « récupération » de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme par les juridictions communautaires.
Le risque sera alors de voir se développer, à partir d’un texte
somme toute très proche du libellé de la Convention européenne des
droits de l’homme, des jurisprudences moins protectrices pour les
destinataires des droits.
L’ouvrage de M. Connolly ne bouleversera probablement pas la
construction européenne et ne servira probablement pas davantage
à ralentir le phénomène irréversible de l’unification politique. Mais
ce témoignage sévère aura au moins eu le mérite, plus juridique, de
rappeler que le concept de « loyauté » appliqué au fonctionnaire
communautaire n’est pas un mot vide de sens. L’agent (qui plus est
d’un rang hiérarchiquement élevé) chargé de mettre en œuvre une
politique communautaire, ne saurait également être celui qui la
dénigre à ses heures perdues. A cet égard, la protection offerte par
la Convention européenne des droits de l’homme apparaît tout de
même assez limitée, car il semble, à la lecture des différents arrêts
de l’affaire Connolly, que l’exécution loyale du service prime très
largement sur les états d’âme du fonctionnaire... L’entrée en
vigueur de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne risque, sur ce point spécifique, de ne guère changer les
choses.
Jean-Manuel LARRALDE
Maître de conférences à l’Université de Caen,
Centre de recherches sur les droits fondamentaux
✩
(77) Sur ce point, voy. J.-F. Flauss, op. cit., pp. 8-9.