Les défis de la démocratie représentative

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Les défis de la démocratie représentative
Fondation prospective et innovation
Les défis de la démocratie représentative. Quels futurs ?
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Jeudi 21 mars 2013
Hôtel de Talleyrand-Périgord
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Institutions et démocratie représentative
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Intervention de Jean-Marc Sauvé 1 ,
vice-président du Conseil d’Etat
(version écrite)
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi tout d’abord de vous remercier, Monsieur le Premier ministre, de
m’avoir convié à participer à ce débat passionnant sur la démocratie représentative. Si la
première table ronde a traité du sujet – « Quels défis ? » –, qui est déjà complexe, l’intitulé de
la seconde – « Quels futurs ? » – est susceptible de donner à l’interlocuteur un certain vertige
compte tenu des enjeux et des difficultés qu’il soulève. Car, de fait, poser la question non pas
du, mais des futurs de la démocratie représentative, suppose rien de moins que de réinventer
une forme éminente de démocratie, que de renouveler un concept si profondément inscrit dans
nos gènes démocratiques que l’on peut se demander si une telle réinvention est simplement
possible. De plus, c’est du rapport entre les institutions et la démocratie représentative qu’il
m’a été demandé de vous entretenir, tout en sachant que ces institutions, dans notre Etat, sont
multiples et multiformes et, par conséquent, nécessairement complexes à appréhender.
Toutefois, et dans la mesure où Dominique Bussereau a traité de la démocratie locale, c’est
principalement sur la fonction représentative du Parlement que je me concentrerai. Je ne peux
aborder un tel sujet, au surplus devant le vice-président de l’une des chambres du Parlement,
qu’avec humilité et une claire conscience d’un déficit de légitimité.
Pour être exact, la démocratie représentative a déjà été réinventée de nombreuses fois.
La doctrine de langue anglaise rappelle ainsi qu’au Moyen-âge, l’élection de représentants au
sein d’assemblées était surtout une façon pour les monarques d’imposer des taxes et de lever
des armées avec le soutien de la noblesse et du haut clergé 2 . Sauf erreur de ma part, ce modèle
n’est plus. De même, on sait que chez Sieyès 3 , l’idée de gouvernement représentatif reposait
sur une conception du suffrage érigée en fonction et non en droit, qui pouvait ainsi être
1
Texte écrit en collaboration avec M. Olivier Fuchs, conseiller de tribunal administratif et de cour administrative
d’appel, chargé de mission auprès du vice-président du Conseil d’Etat.
2
R. Dahl, On Democracy, Yale University Press, 2000, p. 93-94.
3
E. Sieyès, Qu’est-ce que le tiers-Etat ?, 3e éd., 1789, disponible sur Gallica.
1
réservée aux personnes jugées les plus aptes à l’exercer. Un moment en faveur, cette
conception est bien entendu devenue tout à fait obsolète 4 . Il y a donc sans doute de
nombreuses autres formes de la démocratie représentative à inventer.
Parmi ces futurs possibles, et sans faire œuvre de science-fiction, ni être exhaustif, je
souhaiterais insister sur trois points. Les futurs de la démocratie représentative passent, je le
crois, par une clarification du sens de la représentation (1), par une revalorisation de la
fonction de représentation (2) et par une juste articulation avec des mécanismes de démocratie
directe (3).
I. Clarifier ce que représenter veut dire.
La démocratie représentative suppose, en premier lieu, des représentants. Ceux-ci
siègent dans différentes institutions et, d’abord, au Parlement. Intellectuellement – et
schématiquement –, deux conceptions s’opposent : celle de la souveraineté populaire,
incarnée par Rousseau et le Contrat social, selon laquelle la souveraineté appartient à chacun
des citoyens formant le peuple et à l’ensemble d’entre eux ; et celle de la souveraineté
nationale, décrite par Sieyès dans Qu’est-ce que le Tiers-Etat ?, selon laquelle la souveraineté
est du ressort de la Nation, cette entité recouvrant un être collectif qui englobe les générations
présentes, passées et futures. Cette seconde conception est à l’origine de la théorie du mandat
représentatif : le représentant ne peut être lié dans ses choix, car il représente la Nation, non
ses électeurs. L’analyse de nos Constitutions successives révèle, en France, « une préférence
assez continue pour la doctrine de Sieyès » 5 . Le Conseil constitutionnel a aussi souligné, dans
plusieurs de ses décisions, que chaque membre du Sénat et de l’Assemblée nationale
« représente au Parlement la Nation toute entière et non pas la population de sa
circonscription d’élection » 6 .
Les institutions de la représentation, ce sont donc d’abord, et surtout, les assemblées
parlementaires. Cette conception est toutefois insuffisante à rendre compte de l’idée de
représentation, surtout au regard de la crise de la représentation, idée devenue banale, et aux
nouveaux sens, voire à la polysémie, qui s’attachent au mot « représenter ». Le professeur
Denquin souligne ainsi qu’en matière politique, « représenter peut signifier trois choses » 7 . En
premier lieu, « tenir lieu de » : en matière de théorie du mandat politique, le titulaire d’un
mandat représentatif « se substitue à celui qu’il représente », puisqu’il n’existe pas de mandat
impératif. En second lieu, représenter peut signifier « ressembler » : c’est à ce sens que se
rattache, par exemple, l’idée, non de représentation, mais de représentativité d’une institution.
La question est alors, par exemple, de savoir si le Parlement est représentatif, en termes
notamment de genre et d’origines, de la population française. Enfin, en un troisième sens,
représenter peut signifier « être le porte-parole de », ce dernier sens étant sans doute de plus
en plus prégnant.
4
A.-M. Le Pourhiet, « Représenter la Nation ? », in Association française de droit constitutionnel,
Représentation et représentativité, Paris, Dalloz, 2008, p. 15.
5
A.-M. Le Pourhiet, op. cit., p. 10. Ainsi que le souligne l’auteure, « si la terminologie employée par les
constituants successifs est souvent ambigüe, le rejet du mandat impératif comme l’unité et l’indivisibilité du
corps représenté tendent cependant à révéler une préférence assez continue pour la doctrine de Sieyès, y compris
dans les constitutions retenant le suffrage universel et le référendum » (ibid.).
6
Voir CC, décision n° 99-410 DC du 15 mars 1999, csdt 9 ; CC, décision n° 2004-490 DC du 12 février 2004,
csdt 14 ; CC, n° 2007-457 DC du 15 février 2007, csdt 10. Pour un point détaillé sur la jurisprudence relative à
ce sujet, voir A.-M. Le Pourhiet, op. cit., p. 10 et s.
7
J.-M. Denquin, « Démocratie participative et démocratie semi-directe », Cahiers du Conseil constitutionnel,
2008, n°23.
2
Ces différentes significations de la représentation ont tendance à se confondre de nos
jours et participent de la crise de la démocratie représentative. En particulier, un représentant
du peuple dans les institutions politiques que sont l’Assemblée nationale et le Sénat ne saurait
être le porte-parole d’intérêts particuliers. Mais ces effets de miroir hantent la représentation,
car « le discours politique veut séduire et personnaliser [chaque citoyen] dans sa précieuse
différence » 8 . D’autres institutions peuvent pourvoir à cette fonction, qu’elles soient des
institutions de la République, comme le Conseil économique, social et environnemental, ou
des institutions reconnues par elle, telles que les associations ou les syndicats. La question de
la représentativité est également délicate. Certes, on ne peut que se réjouir de voir émerger des
assemblées plus illustratives de la diversité de la société française et il faut promouvoir cette
hétérogénéité, mais il faut aussi éviter, dans notre modèle représentatif, que cet élément de
spécification ne devienne le point nodal dans la prise de décision publique.
Pour finir sur ce premier point, je voudrais citer le paradoxe suivant, mis en lumière
par Lucien Jaume : « Il est paradoxal de constater qu’après la création d’une institution
destinée à séparer et à différencier l’Etat et la société, la loi et les mœurs, le public et le privé,
l’histoire de la représentation est celle du retour à la proximité, à la ressemblance et à la
relation spéculaire » 9 . En d’autres termes, la crise de nos institutions représentatives, sur
laquelle il est devenu commun d’insister, est peut-être d’abord une crise de l’idée même de
représentation. Apporter des réponses à cette crise suppose de revaloriser la fonction de
représentation au sein de nos institutions (II) et de donner une juste part à des instruments de
démocratie directe (III).
II. Revaloriser la fonction de représentation du Parlement au sein de nos
institutions.
La revalorisation de la fonction de représentation jouée par le Parlement au sein de nos
institutions tient tant au plein exercice qu’au juste exercice de ses fonctions.
Le plein exercice de ses fonctions, tout d’abord, n’est possible que si le Parlement, au
sein de nos institutions, dispose des moyens d’accomplir les tâches qui lui sont confiées,
principalement l’exercice du pouvoir législatif et la fonction de contrôle du Gouvernement. A
cet égard, la Ve République a constitué une rupture : la volonté de lutter contre les excès de la
souveraineté parlementaire des IIIe et IVe Républiques a en effet conduit à la mise en place de
mécanismes draconiens de rationalisation du parlementarisme. Ce « lacis de contraintes »,
pour reprendre une expression d’Edgar Faure 10 , a été renforcé en raison des circonstances
politiques particulières ayant marqué les premiers temps de la Ve République, mais aussi de la
présidentialisation accrue issue de l’élection du Président de la République au suffrage
universel direct. La Constitution de 1958 a eu un mérite, qui procède aussi de la loi électorale,
c'est-à-dire du scrutin majoritaire : l’instauration de la stabilité gouvernementale et, par suite,
la clarté des choix politiques lors des élections nationales et la possibilité d’une action
publique efficace. Les citoyens identifient désormais sans peine qui porte les responsabilités
politiques. Mais notre organisation politique est, depuis plusieurs décennies, en quête d’une
meilleure balance entre les pouvoirs : Edgar Faure, dans son allocution de fin de session en
tant que président de l’Assemblée nationale en 1977, évoquait déjà la nécessité de ce
rééquilibrage. L’évolution des rapports entre le Gouvernement et sa majorité et
8
L. Jaume, « Représentation », in Dictionnaire de la culture juridique, PUF, 2003. Spéculaire : qui réfléchit
comme un miroir (Petit Robert).
9
L. Jaume, op. cit. Spéculaire : qui réfléchit comme un miroir
10
E. Faure, Allocution de fin de session, 2ème séance du 21 décembre 1977, JOAN, p. 9139.
3
l’émancipation progressive de celle-ci, la reconnaissance lente mais sûre de droits de
l’opposition, l’instauration de la session unique en 1995 11 , le contrôle des finances sociales
avec, depuis 1996, les lois de financement de la sécurité sociale 12 , le renforcement du rôle
budgétaire du Parlement avec les lois organiques sur les lois de finances de 2001 et 2005, 13
tous ces jalons ont constitué des étapes importantes de la recherche d’un meilleur équilibre.
La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 14 a constitué à cet égard une avancée
significative dans la pondération des prérogatives, au sein de la procédure législative
notamment, du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif. Elle a également permis, entre autres,
d’accroître les pouvoirs de contrôle du Parlement et de substantiellement renforcer les
pouvoirs du juge constitutionnel. Ces mesures sont connues : il n’est pas nécessaire d’y
revenir 15 . Sans juger du caractère suffisant ou non de ce rééquilibrage, force est de constater
le mouvement de revalorisation de la fonction représentative et ce, surtout depuis 2008.
Mais le débat sur l’équilibre entre les institutions n’est pas le seul qu’il faille mener. Il
me semble que la revalorisation de la fonction de représentation au sein de nos institutions
tienne également, et pour beaucoup, à deux autres facteurs : l’efficacité des politiques
conduites en moyenne et longue période et l’exemplarité du comportement des représentants.
Il faut donc veiller à passer du plein exercice au juste exercice de la représentation. Les
institutions ne peuvent en effet qu’être dévalorisées si l’action publique n’est pas assumée par
les dirigeants, comme c’est parfois le cas en matière européenne, si elle n’est pas comprise par
les citoyens, si elle n’est pas efficace et ne donne pas les résultats escomptés et/ou si la
conduite des dirigeants apparaît comme indigne ou simplement critiquable aux citoyens. Pour
que les institutions représentatives soient respectées, il faut qu’elles soient aptes à promouvoir
effectivement le bien commun et qu’elles soient en outre respectables. Cela implique de la
part de chaque représentant de faire preuve de lucidité dans le diagnostic et de courage dans la
prise de décision publique et de prendre au sérieux les exigences, notamment de
désintéressement, qui s’attachent à son mandat. Cela implique notamment de prévenir les
conflits d’intérêts potentiels et de porter les valeurs d’intégrité, d’impartialité et de probité au
sommet des principes déontologiques. Le populisme, que l’on voit périodiquement ressurgir,
chez nous comme dans d’autres pays de l’Union européenne, se nourrit certes de la crise
économique ; mais il prospère également sur des choix stratégiques erronés et des échecs dans
la conduite des politiques publiques, comme sur certaines dérives de la démocratie
représentative et les déceptions qu’elle engendre.
Sans parler des comportements pénalement répréhensibles, comme la corruption ou la
prise illégale d’intérêts, une déontologie particulière doit guider l’action des représentants du
peuple. Celle-ci s’exprime, par exemple, à l’Assemblée nationale, dans un code de
déontologie comprenant six articles, rédigés de manière très générale, relatifs à l’intérêt
général, l’indépendance, l’objectivité, la responsabilité, la probité et l’exemplarité 16 , ce code
11
Loi constitutionnelle n° 95-880 du 4 août 1995 portant extension du champ d’application du référendum,
instituant une session parlementaire ordinaire unique, modifiant le régime de l’inviolabilité parlementaire et
abrogeant les dispositions relatives à la Communauté et les dispositions transitoires.
12
Loi constitutionnelle n° 96-138 du 22 février 1996 instituant les lois de financement de la sécurité sociale.
13
Loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances et loi organique n° 2005-779 du
12 juillet 2005 modifiant la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances. Voir
R. Hertzog « La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) dans l'histoire des grands textes budgétaires : continuité et
innovation », Revue française d'administration publique 1/2006 (no 117), p. 15-30.
14
Loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République.
Pour une publication récente sur le sujet, voir J. Gicquel, A. Levade, B. Mathieu, D. Rousseau (dir.), Un
Parlement renforcé ? Bilan et perspectives de la réforme de 2008, Paris, Dalloz, 2012.
16
Code de déontologie disponible sur http://www.assemblee-nationale.fr/qui/code_deontologie.pdf.
15
4
étant complété par une décision du bureau de l’Assemblée, qui a institué un déontologue
chargé de veiller au respect de ces principes 17 . Mais le caractère largement non public du
traitement des questions déontologiques au sein du Parlement 18 ne permet sans doute pas aux
citoyens d’avoir une vue assez claire des effets des procédures mises en place.
Il convient d’ajouter que certaines évolutions récentes ont pu poser question : je pense
par exemple au décret du 3 avril 2012 19 , qui permet aux « personnes justifiant de huit ans au
moins d'exercice de responsabilités publiques les faisant directement participer à l'élaboration
de la loi » d’être dispensées du certificat d’aptitude à la profession d’avocat et de toute
formation théorique et pratique préalable. A cet égard, s’il ne semble pas nécessaire, ni
légitime que les personnes exerçant des activités de conseil soient empêchées de poursuivre
cet exercice du fait de leur élection, sous réserve de certaines incompatibilités, il ne paraît pas
souhaitable, pour d’évidentes raisons déontologiques, d’autoriser l’accès à la profession
d’avocat en cours de mandat 20 .
D’autres questions d’actualité peuvent aussi être évoquées à cet égard. Par exemple, la
proposition de limitation du cumul des mandats, qui est une revendication fréquemment
relayée au sein de l’opinion publique depuis de nombreuses années, participe de l’idée que les
représentants doivent se consacrer pleinement à l’exercice de la fonction représentative : ce
qui est en cause en matière de cumul de mandats est moins un potentiel conflit d’intérêts
qu’un conflit d’agendas, un mandat parlementaire national comme la plupart des mandats
exécutifs locaux exigeant chacun une grande disponibilité et apparaissant de plus en plus
exclusifs l’un de l’autre. De surcroît, dans la pureté de la théorie française de la souveraineté
nationale, le parlementaire représente la Nation en son ensemble, le Peuple tout entier. Ce
mandat s’accorde donc mal avec des ancrages locaux trop marqués.
Quels que soient les devenirs possibles de la démocratie représentative, ceux-ci feront
très certainement place à une plus grande transparence. On ne saurait méconnaître les
contraintes que cette exigence est susceptible de faire peser sur les élus. Mais il ne me paraît
pas possible ni souhaitable de lutter, – quand la vie privée n’est pas en jeu et qu’aucun intérêt
public ne s’y oppose, – contre des aspirations profondes qui traversent la société, telles que
celle de la transparence. Il apparaît à cet égard inévitable, pour faire écho à un récent débat de
société, qu’à terme, en France comme dans d’autres pays déjà, l’utilisation qui est faite des
indemnités représentatives de frais de mandat soit rendue publique 21 . Cette transparence
devrait aller de pair avec le développement de stratégies de prévention des manquements à la
loi pénale ou aux règles déontologiques : la pénalisation de notre vie publique a atteint dans
notre pays des niveaux très élevés, parfois même excessifs, et en tout cas très supérieurs à ce
qui se pratique dans les démocraties comparables à la nôtre.
17
Décision du bureau du 6 avril 2011 relative au respect du code de déontologie des députés.
Voir en particulier l’article 5 de la décision du bureau précitée. Un comité de déontologie parlementaire a été
créé, par arrêté du 25 novembre 2009, au Sénat. A la demande du Président du Sénat ou du Bureau, ce comité
rend des avis sur des situations particulières ou sur des problématiques plus générales relatives à l'éthique
parlementaire. Les comptes-rendus des réunions de ce comité sont normalement disponibles sur le site internet
du Sénat. Toutefois, l’accessibilité de l’information reste peu aisée et d’importants avis demeurent non publics.
19
Décret n° 2012-441 du 3 avril 2012 relatif aux conditions particulières d'accès à la profession d'avocat.
20
Cette proposition est faite par la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique dans son
rapport intitulé Pour un renouveau démocratique (proposition n°31).
21
Voir à cet égard l’initiative prise, par une soixantaine de députés et sénateurs, de dévoiler cette utilisation dans
les colonnes du journal Libération.
18
5
La revalorisation de la fonction de représentation tient donc aux équilibres entre
institutions, mais également à la capacité des représentants à faire face aux enjeux et défis
d’une société et aux comportements, individuels et collectifs, des représentants. Beaucoup a
été fait dans ce sens depuis plusieurs années, mais, indéniablement, des progrès restent encore
à accomplir. La prochaine loi sur la déontologie de la vie publique devrait permettre de les
consacrer au Parlement, comme au sein du pouvoir exécutif, de la justice et de
l’administration.
III. Articuler démocratie représentative et mécanismes de démocratie directe.
Si l’idée de représentation elle-même est en crise, revaloriser la fonction de
représentation n’apparaît pas comme le seul avenir possible. Car en un temps où, pour
reprendre une distinction conceptualisée par la professeure de philosophie politique Hannah
Pitkin, la représentation comme acting for, représentation-incarnation de la Nation, cède le
pas à une représentation comme standing for, représentation-miroir de ce que pensent les
représentés 22 , sans doute faut-il faire une plus grande place, à côté de la démocratie
représentative, aux mécanismes de démocratie directe. Le postulat sur lequel se fonde cette
idée est qu’en permettant une expression directe des citoyens s’estompera la tentation pour les
représentants de se faire « miroir des représentés » et, en outre, que s’atténuera l’impression
des représentés, de plus en plus communément exprimée, que leur voix ne se retrouve pas, ou
pas suffisamment, dans l’expression de leurs représentants. En d’autres termes, à côté des
institutions de la démocratie représentative, il convient de développer des structures et
procédures permettant l’épanouissement de mécanismes de démocratie directe.
Je ne souhaite pas aller très en avant sur ce point parce que je prendrais le risque
d’empiéter sur l’exposé à venir du professeur Manent 23 . Mais la question du lien entre la
démocratie représentative et la démocratie directe doit évidemment être posée. Aucune
réponse simple ne peut y être apportée et ce choix est l’un des dilemmes les plus profonds
auxquels ont été et restent confrontés les régimes démocratiques. Ce qui frappe aujourd’hui,
c’est toutefois l’émergence d’un « impératif délibératif » 24 , d’un « devoir débattre » 25 . Il y a
dans cette idée un lien évident avec de nombreux travaux, à commencer par ceux de Jürgen
Habermas et du professeur Bernard Manin 26 . Selon ces auteurs, la « raison procédurale » doit
être vue comme une condition essentielle de la légitimité de la décision publique, car le
principe de la légitimité démocratique lui-même « doit être recherché dans le processus de
formation de la décision collective » 27 .
22
H. Pitkin, The Concept of Representation, Berkeley, University of California Press, 1967 ; voir aussi S. PierréCaps, « Représenter la société civile ? », in Représentation et représentativité, op. cit., p. 30-32.
23
Intitulé « La démocratie représentative, seul modèle ? ».
24
L. Blondiaux, Y. Sintomer, « L’impératif délibératif », Politix, 2002, n° 57, p. 17-35.
25
C. Blatrix, « Devoir débattre. Les effets de l’institutionnalisation de la participation sur les formes de l’action
collective », Politix, 2002, n° 57, p. 79-102.
26
Voir notamment J. Habermas, Droit et démocratie. Entre faits et normes, Paris, Gallimard, 1997 ; B. Manin,
« Volonté générale ou délibération ? Esquisse d’une théorie de la délibération politique », Le Débat, 1985, n° 1,
p. 72-94.
27
B. Manin, « L’idée de démocratie délibérative dans la science politique contemporaine. Introduction,
généalogie et éléments critiques », Politix, 2002, n° 57, p. 38.
6
Une fois le principe d’une part de démocratie directe posé, doit être traitée la question
de sa mise en œuvre. Le référendum est la forme qui vient le plus naturellement à l’esprit28 .
Mais les formes de participation directe, de collaboration des citoyens sont très variées et elles
peuvent venir en appui des mécanismes de démocratie représentative. Les différents forums
dans lesquels les citoyens peuvent exposer leurs points de vue avant qu’une la loi ou un décrêt
ne soit adopté paraissent ainsi particulièrement adaptés à une bonne articulation entre
démocratie représentative et démocratie directe – par exemple les débats publics qui sont
menés sur des choix de société ou de grands projets d’aménagement ou encore les
consultations, notamment par Internet, qui peuvent être menées sur des projets de texte. Il faut
notamment que les potentialités de mobilisation d’Internet et des réseaux sociaux soient
exploitées – mais il ne faut pas s’en dissimuler les difficultés et les dangers, dont celui d’un
traitement superficiel ou excessivement minoritaire des sujets, qu’il convient de prévenir. La
démocratie directe ne doit ainsi venir qu’en appui, comme la « béquille » d’une démocratie
représentative qui doit demeurer le point d’équilibre de notre régime politique.
La démocratie représentative doit aussi se conjuguer avec le dialogue social, pour
éviter l’instabilité ou l’inacceptabilité de la norme en matière sociale et pour favoriser sa
pertinence. Il faut ainsi veiller à insérer dans la procédure d’élaboration de la loi la
concertation avec les partenaires sociaux : la « loi Larcher » du 31 janvier 2007, 29 d’où est
issu l’article L.1 du code du travail, prévoit ainsi une procédure d’information et, le cas
échéant, de négociation entre partenaires sociaux avant le dépôt de tout projet de loi portant
sur les relations du travail. Le Gouvernement actuel propose d’ériger au niveau
constitutionnel cette règle législative, de telle sorte que l’obligation de dialogue social
préalable s’impose juridiquement au Gouvernement et au Parlement.
*
*
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Les futurs de la démocratie représentative sont donc multiples et les institutions qui
l’incarnent seront, nécessairement, amenées à évoluer. On n’imagine pas, au demeurant,
qu’un modèle démocratique, quel qu’il soit, puisse demeurer immobile, alors que la société,
notamment de l’information, évolue si rapidement et si profondément autour de lui. Ces futurs
sont incertains, mais ils passent au moins par une clarification des sens de ce que l’on est en
droit d’attendre de la démocratie représentative, par une revalorisation des institutions de cette
démocratie et par une juste articulation avec certains instruments de démocratie directe.
28
Sur ce point, J.-M. Sauvé, « Référendum et démocratie », colloque Théorie et pratiques du référendum de la
SLC du 4 novembre 2011, disponible sur le site du Conseil d’Etat.
29
Loi n° 2007-130 du 31 janvier 2007 de modernisation du dialogue social.
7