Olivier Roellinger et ses trois étoiles... de mer

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Olivier Roellinger et ses trois étoiles... de mer
rencontre
Olivier Roellinger et ses trois étoiles... de mer
Le guide Michelin vient d’attribuer une troisième étoile à Olivier Roellinger. Ce chef cuisinier de Cancale travaille beaucoup avec les pêcheurs,
les ostréiculteurs, les mareyeurs car dans son restaurant haut de gamme, 96 % des ventes concernent des produits de la mer.
Trois étoiles au guide Michelin : Olivier Roellinger a décroché
la distinction suprême. « Cela va
faire briller un peu plus la cuisine de la mer », commente-t-il.
Olivier Roellinger aime les belles
phrases. Ceux qui ont goûté ses
plats vont assureront que c’est
aussi un génie de la cuisine et
quelques minutes avec lui suffisent pour se rendre compte que
c’est avant tout un amoureux de
la grande bleue.
Parce qu’il est « né devant la
mer », Olivier Roellinger cherche à la sublimer à sa façon. Fa-
çon bar en cuisson douce en
plat de terre, aux huiles florales.
Façon homard en deux services
au vin de xérès, piment et cacao
dans l’esprit du XIXe siècle. Façon saint-pierre « retour des Indes ».
« Pendant longtemps on a
pensé qu’il n’y avait de grande
cuisine que celle des viandards », rapporte Olivier Roellinger. Dans son Relais gourmand
de Cancale, les produits de la
mer représentent « 96 % des
ventes ».
Selon lui, dans la mer, « tout
est bon » et dans ses fourneaux,
tout y passe. Avec les carapaces
de bouquet, il fait « une huile
très profonde, très puissante ».
Il affectionne la rogue des soles
« d’une très grande finesse ».
PRENDRE L’ORMEAU
AVEC DOUCEUR
Il fait sécher les œufs d’araignée et les utilise comme épice
ou transforme les barbillons de
sole en pralin. Il va même jusqu’à tromper ses clients et dé-
jouer les idées reçues : « Parfois j’utilise des algues et je ne
le dis pas car certains ont une
aversion ».
Tous ces produits ne sont
pourtant pas si faciles à cuisiner.
L’ormeau, par exemple, lui a résisté pendant des années. « Je
trouvais honteux de le piquer
ou de le marteler », explique-t-il.
Le grand chef a fini par trouver la
méthode juste. « Il fallait le prendre avec douceur, et le masser », révèle-t-il. Les ormeaux
ont depuis trouvé une place sur
sa carte du Relais gourmand -
actuellement on les déguste en
persillade à la cancalaise, pommes de terre écrasées.
« Un poisson, c’est cent fois
plus délicat à travailler qu’une
viande », poursuit le cuisinier.
Alors il se donne du mal. Comme
tout grand chef, Olivier Rollinger
commence par rechercher la
meilleure qualité. « Les produits
de la mer sont très fragiles. Il
ne faut jamais jeter un poisson,
mais le poser. Il ne faut surtout
pas que la colonne vertébrale
se brise, qu’il y ait un hématome, que la chair soit meurtrie. Il ne faut jamais laisser un
poisson dans son jus… » Ses
fournisseurs confirment qu’il est
très exigeant, « même un peu
chiant », reconnaît l’intéressé.
« SENTIR LE RÉSEAU
QU’IL Y A DERRIÈRE »
Marion Francoual
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Olivier Roellinger travaille tous les produits de la mer. Les poissons, les crustacés, les mollusques. Mais aussi les carapaces
et les œufs des crustacés, la laitance et les barbillons des poissons, les algues. Dans la mer, « tout est bon », affirme-t-il.
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Bon cuisinier, piètre pêcheur.
Quand il n’est pas dans sa cuisine,
Olivier Roellinger est sur l’eau, sur
son Cornish Crabber de 24 pieds
avec sa femme, « qui trouve toujours que je vais trop vite pour le
maquereau ou le bar ». Le chef
lui-même n’est pas un grand pêcheur. « J’aime bien aller au bouquet à Chausey », annonce-t-il.
Mais pour remplir sa besace, le
chef a une drôle de technique.
« J’essaye d’attirer la sympathie des autres pêcheurs…, admet-il. J’aime bien aussi aller à
la marée. J’y vais parfois avec
Tony Daniel, mon ostréiculteur,
et quand il passe derrière moi,
il trouve encore des praires, des
coques, des palourdes. Il pourrait même en trouver dans un désert. » Olivier Roellinger, lui, est
meilleur en cuisine. Nettement.
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Avec la peau et les arêtes. Le plat favori d’Olivier Roellinger, ce
qu’il « préfère au monde », c’est une « solette aller-retour au beurre
avec des petites pommes de terre. C’est un de mes premiers
émois gustatifs, précise-t-il. Et j’espère que ce sera mon dernier. »
Olivier Roellinger se régale d’une peau de cabillaud ou de sole et ne
comprend pas bien les clients qui rechignent à dépiauter eux-mêmes
le poisson. « Le poisson, c’est dans sa peau et sur son arête », affirme le grand chef. Même dans un restaurant trois étoiles.
Si tous les cuisiniers des ports du monde… Partant du prin➟
cipe que les cuisiniers spécialistes des produits de la mer ont « le
même garde-manger », Olivier Roellinger a décidé de monter une
association pour les réunir. Intitulée « Si tous les cuisiniers des ports
du monde », elle est inspirée d’une association économico-culturelle
(« Si tous les ports du monde… »), née en pays malouin en 1997.
Cette dernière veut promouvoir la culture comme un échange et un
moteur pour l’économie et le tourisme locaux. Olivier Roellinger, à travers son association culinaire, a déjà accueilli un Génois et un chef
de Porto dans ses cuisines. Il doit bientôt recevoir un Mauricien et un
cuisinier de Salvador de Bahia. Loin de vouloir garder jalousement
ses secrets, le chef cancalais cherche à mettre en commun les savoirs culinaires, à partager les émotions gustatives.
Le cuisinier sait aussi que
« derrière chaque produit, il y
a un labeur ». Il a, au total, une
dizaine de fournisseurs attitrés
en produits de la mer. Certains,
comme le pêcheur de homards
Philippe Couapel, sont là depuis
des années et se sont transmis le
flambeau de père en fils. Olivier
Roellinger est fidèle. D’autres ont
grossi les rangs depuis peu. Olivier Roellinger sait aussi donner
sa chance aux jeunes.
Avec chacun, le chef a su tisser un climat de grande confiance. « Ils me donnent ce qu’il
y a de mieux car ils savent que
je vais tout faire pour en tirer
le meilleur, explique-t-il. J’ai besoin de cela pour cuisiner, de
sentir le réseau qu’il y a derrière. »
Olivier Roellinger se décrit
donc comme « le dernier maillon
de la chaîne ». Une chaîne où il
n’y a pas de maillon faible. « Car,
commente-t-il, le plus grand des
cuisiniers ne sera jamais un magicien. »
Marion FRANCOUAL
Un écolo proche des pêcheurs. « En ce qui concerne l’éle➟
vage, il y en a toujours qui vont bien faire mais je suis assez méfiant quant aux aspirations mercantiles de l’humanité », indique
Olivier Roellinger. Il est donc heureux de cuisiner des produits de
la mer, des produits sauvages. Vu ses méthodes de travail, vu son
attachement à la mer, Olivier Roellinger assure qu’il « ne peut être
qu’écolo, au sens apolitique du terme ». Il se dit donc « très inquiet » face à l’appauvrissement des ressources marines et il est en
colère contre les « salopards qui abîment la mer, qui la pillent ».
Olivier Roellinger constate aussi avec amertume qu’« autrefois, il y
avait à Cancale beaucoup plus de bateaux qu’aujourd’hui ». Olivier Roellinger est écolo et très proche des pêcheurs.
Partager son savoir-faire. 61 euros les asperges et barbue,
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jus clair d’algues et aromates, 58 euros l’oseille, les coques, et goujonnettes de sole, 30 euros les six huîtres creuses : les petits plats
d’Olivier Roellinger ne sont pas à la portée de tous. Mais le grand
chef s’intéresse aussi au plus grand nombre et travaille depuis peu
avec la Sodexho, le n° 2 mondial de la restauration collective. Avec
d’autres chefs de renom, il aide l’entreprise à mieux choisir ses produits et à « repenser les façons de les présenter, de les travailler.
C’est un gros boulot, on en est au b.a.-ba ».
Vendredi 31 mars 2006
rencontre
Coquillages et crustacés
des Viviers de Cancale
Solène Le Roux
Les huîtres de Tony Daniel
Avec Tony Daniel comme pilote, ils sont une douzaine à travailler dans l’exploitation.
Olivier Roellinger se fournissait
déjà en huîtres chez le père de
Tony, Michel Daniel. « Il y a une
quinzaine d’années, on a créé
la confrérie de l’huître à Cancale, raconte ce dernier. Charentais d’origine, je venais d’acheter un établissement à La Houle.
Comme personne ne voulait se
mouiller, j’ai fourni et ouvert les
huîtres pour le premier chapitre
de la confrérie, où Olivier a cuisiné. Je connaissais déjà son talent mais lui ne connaissait pas
mon produit. Quelques jours
après, il me demandait d’être
son fournisseur. »
Tony Daniel, qui a repris l’entreprise familiale en 2001, a récu-
péré ce client de premier choix.
Mais attention, il faut avoir le coquillage que le chef cuisinier attend. « Il veut des huîtres très
charnues, car il les prépare surtout pochées, tièdes, or le poisson réduit un peu à la cuisson. Il
se fournit chez nous seulement
quand on a le produit qui lui convient. »
Exigeant ? « Normal », répond
le jeune ostréiculteur, qui lui sélectionne le plus beau. C’està-dire surtout des huîtres de la
nouvelle zone ostréicole sur Cancale, très productive. Le mérite ne
vient-il pas d’une façon particulière de travailler ? Pour Tony Daniel, non ; il s’estime surtout chan-
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ceux d’exploiter de bons parcs où
« tous les ostréiculteurs peuvent
faire un beau produit ».
D’autres restaurants, « pas forcément hauts de gamme, mais
très bons », apprécient en tout
cas cette qualité. Tony Daniel les
fournit sur toute la France, surtout
en région parisienne, mais il réserve le plus gros de sa production pour la vente directe locale.
Sur laquelle rejaillit la notoriété
du chef. « Ça fait plaisir pour
l’image de marque de Cancale
d’avoir un chef cuisinier comme
ça, qui travaille à 100 % avec
des produits frais. »
« Je livrais déjà Olivier Roellinger pour une autre société,
raconte Olivier Bernier. Il m’avait
dit de revenir le voir le jour où
je me mettrai à mon compte. »
Il y a huit ans, Olivier Bernier et
Stéphane Quemerais, deux copains alors âgés de 27 ans, montent leur propre entreprise, les
Viviers de Cancale. Puis ils rappellent Olivier Roellinger. « C’est
un des plus grands chefs de
France et il nous a donné notre
chance, constate un Olivier Bernier reconnaissant. Au début, il
nous achetait des petites quantités puis, au fur à mesure, la
commande a grossi. » L’entreprise aussi. Aujourd’hui, six personnes travaillent aux Viviers de
Cancale. Ils approvisionnent une
quarantaine de restaurateurs
et leur chiffre d’affaires tourne
autour de 3 millions d’euros.
Olivier Roellinger y achète des
araignées, des homards bretons
- « j’y tiens », annonce Olivier
Bernier - du bouquet, des langoustines vivantes (il y tient tout
autant), des palourdes, des prai-
res, des bigorneaux, des moules « pour leur jus », précise Stéphane Quemerais.
Pour l’araignée, les Viviers
de Cancale s’approvisionnent
auprès d’un fileyeur de SaintMalo, le Yann, « qui nous ramène
de la super qualité ». Pour le homard, il leur faut trois bateaux en
permanence. « On a besoin d’un
certain volume pour fournir suffisamment de 450-500 g », explique Olivier Bernier. La règle
d’or, dans leurs viviers, c’est de
ne jamais conserver les produits
plus de 48 heures. Les deux gérants font par ailleurs très attention à ne livrer que des crustacés parfaitement présentables,
avec pattes et antennes au complet. « Olivier Roellinger, on le
bichonne, confie Olivier Bernier.
Et je le respecte d’autant plus
depuis que je suis allé manger
là-bas. Je suis fils d’agriculteur
et je ne pensais pas être très à
l’aise. En fait, j’ai passé un super moment. »
M. F.
Solène LE ROUX
Dans le garage de leur maison
cancalaise, le magasin ouvre ses
portes à 8 h 30. André, le chef
de cuisine d’Olivier Roellinger,
est là à 8 h tous les matins. Jocelyne et Dominique Ferrantin
lui fournissent de la sole « ni trop
grosse, ni trop petite », du turbot « de 3-4 kg », du rouget, du
bar de temps en temps, parfois
quelques maquereaux.
Dominique Ferrantin était patron pêcheur. Il a passé la main
il y a six ans pour se concentrer sur la vente des produits et
la gestion du navire. En novembre, il a vendu le Jade II et fait
construire le Jade III. Il troque
Dominique et Jocelyne Ferrantin, qui fournissent Olivier Roellinger
en poissons, ont eu le plaisir d’aller une fois mettre les pieds sous
sa table. « Je n’ai pas une grande connaissance des trois étoiles,
indique Dominique Ferrantin, mais c’était extraordinaire. »
Vendredi 31 mars 2006
un chalutier polyvalent de 16
mètres pour un catamaran de
13 mètres. En attendant la mise
à l’eau du nouveau venu (prévue
pour le début avril), Jocelyne et
Dominique Ferrantin vendent la
pêche de deux bateaux de Cancale, qui, comme eux, « font attention à la qualité ».
Leur politique, c’est de « rentrer tous les matins, explique
l’armateur. Au chalut, on ne fait
que des petits traits. Pour la
sole par exemple, c’est 1 h 30
maxi ». Les marins prennent
par ailleurs grand soin des poissons. « Au début, l’équipage ne
faisait pas toujours attention et
puis on a cherché à s’améliorer,
poursuit Dominique Ferrantin.
On met un film plastique entre
la glace et le poison, on saigne
le turbot dès qu’il sort de l’eau,
on met les rougets dans des
caisses, bien à plat, sinon les
filets se cassent. »
Après quelques remises à niveau en début de parcours, la
qualité des poissons des époux
Ferrantin semble à présent irréprochable. « Même madame
Roellinger vient parfois chez
nous pour sa consommation
personnelle », ajoute malicieusement Dominique.
M. F.
M. F.
Les poissons des époux Ferrantin
Stéphane Quemerais (à gauche) et Olivier Bernier, deux amis
d’enfance de 35 ans, ont monté les Viviers de Cancale il y a 8 ans.
Aujourd’hui, l’entreprise fonctionne avec 6 salariés et tourne
autour de 3 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel.
Les autres fournisseurs d’Olivier Roellinger. Olivier Roellinger
➟
s’appuie sur une dizaine de fournisseurs pour ses produits de la mer.
Pour les crustacés, il travaille avec les Viviers de Cancale mais aussi
avec Philippe Couapel, patron du Petit Pagaille, et Laurent Crublé, armateur du Rochefort. Pour les poissons et les coquilles, il s’approvisionne auprès des époux Ferrantin, de Jean-Luc Tachet, le patron du
Cap Pilar, de Gilles Rouinvy, du Cap en baie, ou encore chez Sylvie
Frelaut, poissonnière au marché des Lices à Rennes et armatrice du
Marginal. Olivier Roellinger travaille aussi avec des mareyeurs locaux,
la société Le Corsaire, Armor Marée, Renault Marée. La ferme du Cotentin le fournit en ormeaux et, pour les huîtres, outre celles de Tony
Daniel, il a choisi celles des Parcs Saint-Kerber, de la famille Pichot.