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DOSSIER LA CONFIRMATION LA TENDANCE LE POINT FORT LA CONTRAINTE L’OBJECTIF La chute des subventions publiques qui ne représentent plus que 24 % du financement des associations contre 34 % en 2005. Le basculement d’une relation contractuelle entre associations et pouvoirs publics vers une relation de prestataire de services. La capacité du secteur associatif à construire des réponses nouvelles aux besoins non satisfaits ou émergents des territoires. L’Europe, qui oblige à redéfinir la place des associations dans l’économie. Affirmer l’ancrage territorial du secteur associatif et reconnaître son rôle majeur dans le développement économique. L DÉVELOPPEMENT DES TERRITOIRES LE RAYONNEMENT ASSOCIATIF La CPCA et France Active ont organisé, le 22 janvier dernier, un colloque intitulé « Les associations, actrices du développement économique et social des territoires ». L’occasion d’affirmer la biodiversité du secteur qui irrigue les territoires de ses divers projets. e centre d’économie de la Sorbonne2 a lancé, en 2012, son quatrième programme de recherche auprès des associations. Conduit dans un contexte de fortes mutations et de crise économique, ce programme vise deux objectifs majeurs : mesurer et analyser l’activité du monde associatif en produisant les indications chiffrées essentielles qui font défaut relatives au poids économique des associations et aux principales composantes du secteur ; repérer les grandes évolutions du monde associatif intervenues au cours de ces dernières années, par comparaison avec la dernière enquête conduite en 20063. L’enquête a été organisée, comme les précédentes, à partir des mairies afin de contourner les difficultés qui tiennent à l’absence d’un répertoire national des associations vivantes et de nombreuses questions ont été posées dans les mêmes termes ou dans des termes très similaires de façon à pouvoir comparer dans de bonnes conditions les résultats des deux enquêtes. LE PAYSAGE ASSOCIATIF FRANÇAIS EN 2012 Six ans après la dernière image du paysage associatif français, la nouvelle enquête est achevée. Présentation de quelques premiers résultats1. des modalités des financements publics, de l’emploi salarié, du travail bénévole et du profil des dirigeants. L’exploitation de l’enquête est en cours et s’appuie sur un échantillon final soumis à analyse de 8 000 questionnaires. Les résultats ont été redressés en fonction d’hypothèses qui ont pu être formulées sur le nombre d’associations et la structure du secteur selon l’emploi salarié et le domaine d’activité. Le nombre des associations en activité a été estimé à 1,3 million ; près de du secteur permet de dégager quelques grandes tendances de résultats sur la période 2005-2011. AUGMENTATION SOUTENUE DU NOMBRE D’ASSOCIATIONS Le nombre des associations a continué de croître à un rythme soutenu – près de 3 % par année en moyenne – malgré les quelques fléchissements observés en matière de création d’associations (voir tableau 2 page Le nombre des associations a continué de croître à un rythme “ soutenu au cours de la période 2005-2011 malgré les quelques fléchissements observés en matière de création d’associations. Les associations créées sont plus souvent des petites associations de membres, actives dans les domaines culturel et de vie sociale locale. ” Le questionnaire adressé aux associations compte 180 questions organisées autour du profil de l’association (date de création, aire d’intervention, nombre d’adhérents, structuration en réseau, type de population cible), des ressources budgétaires, de l’origine et 183 000 d’entre elles ont recours à l’emploi salarié, les autres associations s’appuyant sur le bénévolat pour mettre en place leur projet (voir tableau 1 page suivante). Le traitement actuel des données relatives au poids économique et au financement 1. Cette recherche a pu être réalisée grâce au soutien du ministère de la Culture (direction des études et de la prospective), de la Fondation Crédit coopératif, de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), de l’Institut CDC pour la recherche, de la Fédération nationale du Crédit mutuel et de CHORUM. Les résultats complets seront disponibles en septembre 2013. 2. Laboratoire mixte CNRS et université de Paris 1 – Panthéon-Sorbonne. 3. V. Tchernonog, Le Paysage associatif français, Mesures et évolutions, Éditions Juris / Dalloz, 2007. suivante). Les associations créées au cours de la période 2005-2011 – qui représentent près du quart du tissu associatif – sont plus souvent des petites associations de membres, actives dans les domaines culturel et de vie sociale locale. SOMMAIRE P. 19 — Le paysage associatif français en 2012 P. 22 — Photographie économique : enquête Journal officiel P. 24 — Interview croisée : « Les associations doivent réinventer des modèles économiques moins dépendants de la puissance publique » 18 jurisassociations 477 - 15 avril 2013 P. 25 — Associations, actrices du développement des territoires P. 28 — Interview : « Il faut un système métropolitain avec une prodution de biens et de services à haute valeur ajoutée » P. 29 — Quels modèles économiques associatifs au service des territoires ? P. 32 — Interview : « L’engagement citoyen est facteur de respiration démocratique » P. 33 — Europe et territoires : quel cadre pour soutenir les activités d’intérêt général ? P. 37 — Interview : « Nous travaillons à une remise à plat de la fiscalité des associations » Article extrait de jurisassociations n° 477 du 15 avril 2013. Reproduction interdite sans l’autorisation de Juris Éditions © Éditions Dalloz – www.juriseditions.fr 15 avril 2013 - jurisassociations 477 19 DOSSIER SECTEUR DE POIDS TABLEAU 1 RÉPARTITION DES ASSOCIATIONS SELON LE SECTEUR D’ACTIVITÉ ET L’EXISTENCE D’EMPLOI SALARIÉ DANS L’ASSOCIATION Associations sans salarié Associations employeurs Ensemble Action humanitaire 3,8 % 4,5 % 3,9 % Action sociale / Santé 8,6 % 20,9 % 10,3 % Défense des droits et causes 14,7 % 3,6 % 13,1 % Éducation, formation, insertion 2,8 % 8,5 % 3,6 % Sport 23,7 % 28,4 % 24,4 % Culture 20,7 % 19,2 % 20,5 % Loisirs 22,8 % 8,5 % 20,8 % Économie et développement local 2,9 % 6,4 % 3,4 % Total 100 % 100 % 100 % TABLEAU 2 DATE DE CRÉATION DES ASSOCIATIONS SELON L’EXISTENCE D’EMPLOI SALARIÉ DANS L’ASSOCIATION* Associations sans salarié Associations employeurs Total Avant 1950 9% 9% 9% 1951 à 1970 9% 9% 9% 1971 à 1990 29 % 35 % 30 % 1991 à 2000 18 % 23 % 19 % 2001 à 2004 10 % 9% 10 % 2005 et plus 25 % 14 % 23 % 100 % 100 % 100 % Total Le poids du secteur associatif, mesuré selon le budget annuel cumulé de l’ensemble du secteur, a continué de se développer à un rythme assez soutenu de 2005 à 2010 malgré la crise économique et les contractions intervenues dans les budgets publics. Depuis 2011, on observe au contraire une stagnation du secteur en termes d’emploi et de budget. Au final, le taux de croissance moyen en volume observé de 2006 à 2011 est de l’ordre de 2,5 %. L’enquête montre que le quart des associations qui ont recours à l’emploi de professionnels salariés ont parfois cédé des actifs, pour celles qui en disposaient, afin de traverser la crise et de maintenir l’emploi. DÉVELOPPEMENT DU FINANCEMENT PRIVÉ La croissance en volume du secteur a surtout été portée, comme pour la période précédente, par les financements privés, qui ont augmenté globalement bien plus vite que les financements publics tous confondus. C’est essentiellement la participation des usagers au service rendu par l’association, de l’ordre de 4 % par an, qui explique l’important développement du financement privé : les financements privés liés à la générosité (dons et mécénat) ont crû, mais au même rythme que l’ensemble du budget associatif et leur part dans le budget cumulé des associations est restée globalement la même. CONTRACTION DES FINANCEMENTS PUBLICS Les financements publics ont continué de croître en volume au cours de la période 2006-2011. Cette croissance réelle – mais limitée – est due à l’augmentation des financements en provenance des conseils généraux qui a compensé les contractions des financements publics en provenance des autres acteurs publics. La part relative des financements des communes a baissé : c’est une première. Le poids de l’État dans le financement du secteur a continué de diminuer. Si la baisse du poids de l’État est tendancielle sur le long terme, les baisses récentes intervenues dans les financements de l’État sont principalement dues à la crise économique qui a des répercussions immédiates et importantes sur les finances de l’État (rentrées en TVA, cotisations sociales). Les conseils généraux s’affirment désormais comme le premier partenaire du monde associatif en termes de volume de financements en assurant 12 % de son financement. L’évolution des modalités des financements publics au secteur associatif est d’abord marquée par une contraction importante de la fréquence des relations financières : les financements dits « de saupoudrage », mais qui avaient une forte valeur symbolique de reconnaissance entre les acteurs publics et les associations, sont désormais nettement moins nombreux, y compris dans les municipalités. Avec la contraction des financements publics, les acteurs publics ont tendance à se recentrer autour de leur compétence : l’action sociale pour les conseils généraux, l’éducation et la formation pour les régions. TABLEAU 3 PART DES SUBVENTIONS DANS LES BUDGETS 2011 Rappel 2005 Cotisations 11 % 12 % Dons et mécénat 4% 5% Recettes d’activité publiques et privées 60 % 49 % Subventions publiques 24 % 34 % Total 100 % 100 % baisse annuelle moyenne de 3 %. Leur part dans le budget total a donc considérablement diminué : les subventions publiques représentent moins du quart du budget associatif aujourd’hui ; elles en représentaient plus du tiers en 2005. EN ASSURANT CHUTE DES SUBVENTIONS L’accélération de la baisse des subventions est importante. Ainsi, la part des subventions dans les budgets a baissé de façon très importante : 17 % en volume en six ans, soit une de son financement, les conseils généraux s’affirment désormais comme le premier partenaire du monde associatif en termes de volume de financements. AUTEUR TITRE Viviane Tchernonog Chercheur au CNRS, centre d’économie de la Sorbonne, université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne * Date d’observation : 2011. 20 jurisassociations 477 - 15 avril 2013 12 % La répartition des subventions publiques entre les associations montre en outre que celles-ci apparaissent extrêmement concentrées auprès de quelques grandes associations délégataires de missions de service public. 71 % des subventions bénéficient à environ 27 000 associations, qui sont nombreuses à vivre de ces subventions. Cette concentration explique que la plupart des associations fonctionnent sans subventions publiques ou avec des subventions publiques largement symboliques (voir tableau 3). Le volume du travail bénévole a continué de croître, mais on observe une nette décélération de la croissance de ce volume malgré une forte augmentation du nombre d’engagements par bénévole. Article extrait de jurisassociations n° 477 du 15 avril 2013. Reproduction interdite sans l’autorisation de Juris Éditions © Éditions Dalloz – www.juriseditions.fr 15 avril 2013 - jurisassociations 477 21 DOSSIER PHOTOGRAPHIE ÉCONOMIQUE : ENQUÊTE JOURNAL OFFICIEL Indépendamment de la composition des ressources financières, les associations présentent des situations économiques et financières diverses. Le CNAR Financement, porté par France Active, propose de les appréhender au travers de l’analyse des comptes d’associations disponibles au Journal officiel. I l est important de rappeler que les associations qui ont perçu plus de 153 000 euros de dons ou plus de 153 000 euros de subventions au cours du dernier exercice comptable ont l’obligation, depuis 2006, de déposer leurs comptes sur le site du Journal officiel1, même si les modalités de dépôt n’ont été précisées par un arrêté qu’en 20092. À ce jour, selon nos estimations, seules 8 000 à 12 000 associations ont rempli leurs obligations en déposant leurs comptes, alors qu’au moins 16 000 associations, soit 9 % des associations employeurs, auraient dû les déposer. L’analyse porte sur un échantillon de 600 comptes d’associations de 2008 à 2010, soit 5 à 8 % des comptes disponibles sur le site ANALYSE FINANCIÈRE ÉLÉMENTS DE DÉFINITION ➜ Les fonds propres correspondent à ce qui appartient définitivement ou durablement à l’association. Ils comprennent notamment le cumul des résultats de l’exercice et des exercices antérieurs, les apports et les subventions d’investissement. Le montant total des fonds propres se calcule à la lecture du bilan, qui est une photographie du patrimoine de l’association à un instant donné. ➜ La rentabilité d’exploitation représente le résultat d’exploitation (c’est-à-dire lié à l’activité) ramené au budget d’exploitation de l’association (= résultat d’exploitation / budget d’exploitation x 100). Le résultat d’exploitation est le principal indicateur de « rentabilité ». Il se calcule à la lecture du compte de résultat, qui reprend l’ensemble des produits et des charges réalisés au cours d’une année. Il permet d’étudier le modèle économique de l’association et de constater si l’activité de l’association est viable. 22 jurisassociations 477 - 15 avril 2013 du Journal officiel. Toutes les régions et tous les secteurs sont représentés – y compris les organismes de gestion de l’enseignement catholique (OGEC) et les associations cultuelles. Il est à noter cependant une surreprésentation des associations franciliennes, due à une forte représentation des fédérations et des têtes de réseau. Les premiers résultats de cette étude montrent des situations financières très différentes selon notamment les secteurs d’intervention des structures. Parmi les associations étudiées, c’est-à-dire celles qui détiennent les budgets les plus importants, quatre catégories ont pu être distinguées. Cette typologie vise à regrouper les associations présentant des similitudes en termes de situation financière (basée essentiellement sur le niveau de fonds propres) et de modèle économique (basé sur la rentabilité d’exploitation) pour étudier leurs problématiques et leurs enjeux communs. SITUATION FINANCIÈRE RÉPARTITION DES ASSOCIATIONS SELON QUATRE CATÉGORIES Situation financière + + + (niveau de fonds propres) Les rentières 18 % Modèle économique - - - Les robustes 18 % Les équilibristes 40 % Modèle économique + + + (rentabilité d’exploitation) Les souffrantes 24 % Situation financière - - - LES « ROBUSTES » Les associations « robustes », qui constituent près de 20 % de l’échantillon, ont une très bonne assise financière, renforcée chaque année par un résultat net excédentaire. Elles ont pu se développer ces dernières années et recruter tout en gardant un modèle économique stable – même si la rentabilité d’exploitation baisse. On retrouve notamment dans cette catégorie des associations du champ de l’action sociale et de l’enseignement catholique. l’insertion et ont à la fois une assise financière insuffisante – moins d’un trimestre de fonds propres par rapport au budget pour la plupart – et une rentabilité d’exploitation négative, voire très négative. Pour améliorer leur modèle économique, une partie d’entre elles ont dû débaucher sur la période. activité n’est donc pas viable. Cette très bonne assise financière leur permet de dégager des résultats financiers qui améliorent le résultat net de ces associations mais qui cachent les difficultés liées à l’activité. On retrouve dans cette catégorie le secteur de la santé notamment et toutes les associations cultuelles. LES « ÉQUILIBRISTES » On constate également que, pour une petite moitié de l’échantillon, la situation est suffisante aujourd’hui pour faire face au quotidien. Ces « équilibristes » ont néanmoins un modèle fragile qui pourrait facilement être déstabilisé par le contexte actuel incertain. LES « RENTIÈRES » LES « SOUFFRANTES » Les associations « souffrantes » englobent celles agissant majoritairement dans le secteur de la culture, du sport ou encore de Les associations « rentières » sont les associations qui ont les assises financières les plus confortables – 80 % ont plus de 90 jours de fonds propres –, mais qui ne réussissent pas à équilibrer leur modèle économique. Leur 1. Pour en savoir plus, se reporter au site : www.journalofficiel.gouv.fr > « JO Associations & comptes annuels ». 2 . Arr. du 2 juin 2009 portant sur les obligations des associations et des fondations relatives à la publicité de leurs comptes annuels, JO du 4, texte n° 1. Article extrait de jurisassociations n° 477 du 15 avril 2013. Reproduction interdite sans l’autorisation de Juris Éditions © Éditions Dalloz – www.juriseditions.fr AUTEUR TITRE Maud Leblon Chargée de mission, France Active AUTEUR TITRE Fanny Gérôme Chargée de mission, développement territorial, CNAR Financement – France Active 15 avril 2013 - jurisassociations 477 23 DOSSIER SYNTHÈSE DE LA 1re TABLE RONDE INTERVIEW CROISÉE “ Les associations doivent réinventer des modèles socio-économiques moins dépendants de la puissance publique ” NADIA BELLAOUI PRÉSIDENTE DE LA CONFÉRENCE PERMANENTE DES COORDINATIONS ASSOCIATIVES (CPCA) CHRISTIAN SAUTTER PRÉSIDENT DE FRANCE ACTIVE Les associations sont contraintes d’évoluer rapidement sous peine d’une perte d’efficacité et de sens de leur action. L’équation que les associations ont à résoudre est donc la suivante : comment faire plus avec autant, ou comment faire autant avec moins ? Quels sont les besoins du secteur associatif en matière de financement ? Quels sont les défis à relever pour le monde associatif ? N. Bellaoui. Tout en étant l’instrument d’initiatives collectives de citoyens, les associations sont des actrices économiques à part entière. Ancrées territorialement, elles apportent aux populations des services essentiels à la qualité de vie et participent à une économie de proximité. Pour développer ces activités, elles ont besoin de consolider leurs modèles économiques et de s’appuyer sur des outils financiers indispensables à leur croissance. Pour pouvoir gérer les décalages de paiement de leurs financeurs mais aussi investir et innover, elles ont notamment besoin de se constituer des fonds propres. Or, la culture de la subvention est celle du budget à l’équilibre et ne laisse pas la possibilité aux associations de constituer des réserves à partir de leurs financements non consommés. C. Sautter. Nous sommes dans un contexte en mutation et face à un paradoxe : les besoins des services rendus par les associations sont de plus en plus importants, mais les moyens financiers pour répondre à ces besoins croissants sont stables, voire décroissants. N. Bellaoui. Les associations sont confrontées à d’importantes mutations et subissent les conséquences de la détérioration des finances publiques. Elles doivent donc réinventer des modèles socio-économiques moins dépendants de la puissance publique. Nous y travaillons tout en revendiquant la nos organisations devront se transformer pour leur faire plus de place. Le deuxième défi à relever pour l’avenir des associations sera de réussir à mieux travailler entre elles et avec d’autres acteurs, à se situer dans une posture de coopération avec les collectivités territoriales et avec l’ensemble des acteurs sur les territoires tels que les entreprises et universités. C. Sautter. Les associations doivent faire face à un recentrage des financements publics sur certains secteurs, lié aux compétences d’attribution des collectivités au détriment d’autres. Leur accès au financement se fait dans un environnement de plus en plus concurrentiel. Parallèlement, la situa- Tout en étant l’instrument d’initiatives “collectives de citoyens, les associations sont des actrices économiques à part entière légitimité et la nécessité de la contribution publique à l’action d’intérêt général des associations. Deux exemples : si la législation leur est (encore ?) favorable, tout reste à faire pour développer une culture du don et du mécénat en France. De même, nous aurons certainement de plus en plus souvent recours au bénévolat et si nous pouvons compter sur l’engagement des Français, ” tion critique de l’emploi, marquée par une première baisse de l’emploi associatif constatée fin 2010, amène à s’interroger sur les conditions permettant aux associations d’apporter leur contribution à la création et à la consolidation d’emplois de qualité. Enfin, la contrainte de plus en plus forte des cadres européens oblige à redéfinir la place des associations dans l’économie. L e poids du secteur associatif dans l’économie française est toujours apprécié au regard du nombre d’emplois qu’il génère (1,8 million de salariés), de son intervention dans des secteurs d’activité variés, parfois également de ses 86 milliards d’euros de budget total, auxquels il conviendrait par ailleurs d’ajouter toutes les ressources non monétaires, comme le bénévolat, malheureusement aujourd’hui encore très mal valorisées1. Ces données, même si elles permettent de mieux appréhender le secteur associatif, sont encore très insuffisantes pour se représenter son intervention dans notre économie nationale, et plus encore dans notre économie locale. Il est donc légitime de s’interroger sur la place et le rôle des associations dans le développement des territoires, et avant tout sur la notion même de développement local. LA NOTION DE « DÉVELOPPEMENT LOCAL » Le développement territorial est souvent associé à la question de la croissance, au calcul du PIB, à la compétitivité productive des territoires. Une association « abusive », selon Laurent Davezies, enseignant en économie et développement territorial au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), « car la part la plus importante des revenus qui irriguent le développement d’un territoire ne vient pas de la production locale mais de l’extérieur : salaires publics, retraites, prestations sociales, dépenses de touristes, etc. ». Le développement local ne peut donc pas s’expliquer par la seule création de richesse (PIB), mais par un modèle hybride combinant les revenus liés à la production (vente ASSOCIATIONS, ACTRICES DU DÉVELOPPEMENT DES TERRITOIRES Quel est le rôle des associations dans le développement territorial ? Offres, pratiques, initiatives associatives : retour sur les débats qui ont animé la première table ronde des rencontres organisées par la CPCA et France Active. à l’extérieur de biens et de services produits à l’intérieur du territoire) et les transferts de revenus qui génèrent de la consommation locale : par exemple, les retraités dans les espaces ruraux, le tourisme notamment dans les zones de montagne et du littoral, les navetteurs actifs autour des grandes agglomérations, les transferts sociaux, c’est-à-dire allocations chômage, minima sociaux, aides au logement ou remboursements de soins de santé. Il conviendrait également de retenir d’autres indicateurs comme ceux de l’empreinte écologique, du développement humain (santé, éducation, niveau de vie, etc.), ou encore de santé sociale. En prenant en compte ces moteurs du développement local, les collectivités territoriales sont amenées à intervenir dans plusieurs domaines dans le cadre de leur politique d’action économique. Cela passe notamment par le soutien à l’enseignement, le développement de filières d’avenir, l’appui à la création et au développement d’entreprises et l’investissement dans l’innovation. Ces différents axes d’intervention permettent aux collectivités de renforcer le tissu économique local et donc de consolider et de créer des emplois dans leurs territoires. Ces actions ne peuvent être déconnectées des démarches plus larges des collectivités visant à renforcer l’attractivité de leurs territoires. En effet, les critères de choix d’implantation géographique des entreprises reposent largement sur des facteurs tels que le cadre de vie, les écoles, l’offre culturelle et sportive ou la qualité des infrastructures. Quels que soient leurs domaines de compétences, les collectivités interviennent donc souvent directement sur les questions de développement économique des territoires à travers leurs politiques culturelle, de transport, ou encore de logement. Le secteur associatif, par sa diversité et ses actions transversales aux enjeux économiques locaux, relève de bon nombre 1. Pour un dossier d’ensemble sur la valorisation du bénévolat, voir JA n° 433/2011, p. 17. 24 jurisassociations 477 - 15 avril 2013 Article extrait de jurisassociations n° 477 du 15 avril 2013. Reproduction interdite sans l’autorisation de Juris Éditions © Éditions Dalloz – www.juriseditions.fr 15 avril 2013 - jurisassociations 477 25 DOSSIER de ces politiques publiques. Il est donc nécessaire que l’ensemble des élus – et pas seulement ceux en charge de l’ESS ou de la vie associative – puissent être mobilisés et qu’ils coconstruisent l’action publique en direction des associations. LES ASSOCIATIONS, ACTRICES DU DÉVELOPPEMENT LOCAL ? L’une des forces du secteur associatif est sa capacité « à imaginer le monde autrement, à être un lieu de formulation d’utopies », indique Cyril Kretzschmar, conseiller délégué à la nouvelle économie, aux nouveaux emplois, à l’artisanat et à l’économie sociale et solidaire à la région Rhône-Alpes. Il s’agit en d’autres termes de construire des réponses nouvelles aux besoins non satisfaits ou émergents des territoires. Aude Torchy, déléguée générale de l’AFIP2, rappelle cependant que les associations ne doivent pas oublier de réinterroger régulièrement leur projet associatif au risque de ne plus être en phase avec les besoins des habitants et de ne pas être en capacité de répondre aux évolutions de leurs attentes. Pour Laurent Fraisse, socio-économiste au LISE3, il en découle une fonction d’innovation sociale qui se matérialise par de nouvelles formes de solidarité, de nouveaux modes de coopération... et qui doit trouver un juste équilibre avec le maintien des services existants. Il précise que « l’innovation sociale ne doit pas être un prétexte à des politiques d’austérité », permettant de MÉTROPOLE NOUVELLE ÉCONOMIE GÉOGRAPHIQUE, FUTUR ENJEU DU SECTEUR ASSOCIATIF ? La nouvelle économie géographique à l’œuvre aujourd’hui s’intéresse avant tout à la concentration spatiale et à la mobilité. Appliquée notamment par la réforme des collectivités et sans doute bientôt par l’acte III de la décentralisation, c’est l’avènement des métropoles, c’est-à-dire des grandes aires urbaines qui concentrent tous les facteurs de production (meilleure circulation de l’information, lien entre offre et demande sur les différents marchés, économies d’échelle, etc.) et les moyens financiers favorisés par les transferts de compétences de l’État vers ces agglomérations. Pour l’État, l’enjeu de ces métropoles est essentiellement économique. L’objectif dans la réforme est de permettre aux grandes agglomérations qui le souhaitent d’assurer leur rayonnement à l’échelle européenne, voire mondiale. L’impact de cette nouvelle économie géographique est que les territoires périphériques (villes petites et moyennes, monde rural, régions industrielles en déclin) vont être en difficulté car, contrairement aux métropoles, il leur sera plus difficile de concentrer et d’optimiser les facteurs de production. Va-t-il y avoir de nouveaux enjeux pour le secteur associatif permettant d’éviter une fracture territoriale (associations de prévention, associations socioculturelles pour la politique de la ville, offre de loisirs en milieu rural, nouveaux services, etc.) et de garantir les équilibres sociaux (intervention auprès des personnes âgées, aide à domicile pour les personnes dépendantes, etc.) ? 26 jurisassociations 477 - 15 avril 2013 répondre à la nécessité de faire toujours plus avec moins de financements publics. Il est à noter également que ces activités innovantes pourront ensuite être dupliquées dans les territoires grâce notamment au rôle de capitalisation et d’essaimage que doivent assurer les têtes de réseau et les coordinations. Laurent Fraisse évoque aussi le rôle important « d’amortisseur et de réparation » du secteur associatif, même si limiter les associations à ce rôle serait réducteur. Un tissu associatif riche et dense permet de répondre aux aspirations des citoyens en contribuant à l’attractivité des territoires, avec par exemple des crèches associatives ou des centres culturels, et en proposant aux habitants de s’investir dans la vie locale. Il ajoute que les associations ont des liens avec le secteur privé, certaines pouvant même être amenées à organiser une partie de la vie économique des territoires. C’est le cas des associations d’insertion, qui favorisent le développement de compétences professionnelles de personnes éloignées de l’emploi, des structures d’appui à la création d’entreprise, des pôles territoriaux de coopération économique (PTCE)4 et de leur capacité à organiser des coopérations entre tous types d’acteurs économiques locaux. Au-delà du rôle direct qu’elles peuvent jouer dans le développement économique, les associations permettent aux citoyens de participer et de s’approprier les enjeux de cet essor ; elles sont d’une certaine façon des intermédiaires. Gilles Vermot-Desroches, délégué général de la fondation Schneider Electric et directeur du développement durable, insiste sur cette fonction de participation des associations au débat public, à la prise en compte des aspirations et des préoccupations de la société. « Le secteur asso- ciatif dit quelque chose de l’acceptabilité, de l’ambition collective. Il représente une vision de la société », précise-t-il. Il est représentatif d’une parole citoyenne, qui permet d’ouvrir le débat trop longtemps tenu par quelques experts. Enfin, dans le cadre du mécénat, entreprises et associations peuvent s’investir ensemble sur des projets communs. « Le mécénat ne relève pas du don », souligne Gilles VermotDesroches. « L’entreprise ne remplacera pas un État nécessiteux. » Les associations doivent entrer dans une logique de partenariat et de dialogue avec les entreprises5. Elles doivent s’intéresser à leurs projets et leurs attentes. À titre d’exemple, la fondation Schneider Electric soutient une association rhônalpine, Sport dans la ville6, car il s’agit d’un projet d’insertion professionnelle plutôt innovant qui répond aux enjeux fixés par la fondation et qui permet à l’entreprise de mobiliser ses collaborateurs. 2. Association de formation et d’information pour le développement d’initiatives rurales. 3. Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique, CNAM / CNRS. 4. Pour plus d’informations, se reporter au site du Labo de l’ESS : www.lelabo-ess.org. 5. Pour un dossier d’ensemble sur ce sujet, voir JA n° 476/2013, p. 18. 6. Pour en savoir plus, se reporter au site : www.sportdanslaville.com. ENJEUX ET PISTES D’ACTION Lors de la table ronde, plusieurs enjeux pour le secteur associatif ont pu émerger. ➜ Faire valoir une vision plurielle de l’économie et renforcer le rôle d’interpellation sur le développement économique. Pour cela, et plus largement sur toute la question de la participation au débat public, les associations devront mieux intégrer dans leur organisation les nouvelles technologies (Web 2.0), notamment pour favoriser la participation des plus jeunes générations. ➜ Mieux se connaître pour faire face aux mutations à venir. Par exemple, un diagnostic sur l’emploi dans le secteur associatif pourra être réalisé afin d’être en capacité de consolider les emplois et d’améliorer les conditions salariales et de travail. Géraldine Welter, responsable de la convention « Agir pour l’emploi » à la Caisse des dépôts, rappelle à ce sujet que cette dernière soutient des études sur le secteur associatif et travaille avec un grand nombre de ses partenaires (réseaux, dispositifs locaux d’accompagnement, experts). ➜ Savoir mieux coopérer, apprendre à travailler ensemble, éviter les concurrences entre associations sur un même territoire, développer de nouveaux modes de coopération comme les PTCE. Pour cela, il convient de coconstruire des réponses en associant les différents acteurs : associations, pouvoirs publics et partenaires privés. ➜ Diversifier les sources de financement et mieux utiliser les ressources internes. Par exemple, les bénévoles des associations peuvent être une très bonne porte d’entrée pour engager une discussion avec les entreprises mécènes. Les associations n’exploitent pas suffisamment ce lien avec leurs bénévoles issus du monde de l’entreprise. Au terme de cette table ronde, l’ensemble des intervenants ont conclu sur le rôle crucial que joue le secteur associatif dans l’ensemble du développement local. Il trouve une large part de son dynamisme en apportant des réponses aux besoins non satisfaits des habitants et rassemble des projets très divers, qui irriguent et favorisent l’ensemble de l’économie des territoires. Il devra néanmoins faire face, dans les années à venir, à d’importantes mutations avec la nécessité de répondre à des besoins sociaux croissants alors que les dépenses publiques sont en baisse. Article extrait de jurisassociations n° 477 du 15 avril 2013. Reproduction interdite sans l’autorisation de Juris Éditions © Éditions Dalloz – www.juriseditions.fr AUTEUR TITRE Fanny Gérôme Chargée de mission, développement territorial, CNAR Financement – France Active 15 avril 2013 - jurisassociations 477 27 DOSSIER SYNTHÈSE DE LA 2e TABLE RONDE L INTERVIEW “ Il faut un système métropolitain avec une production de biens et de services à haute valeur ajoutée ” LAURENT DAVEZIES PROFESSEUR AU CNAM, TITULAIRE DE LA CHAIRE « ÉCONOMIE ET DÉVELOPPEMENT DES TERRITOIRES » Comment s’est caractérisé le développement local en France au cours des 30 dernières années ? La mondialisation a déstabilisé les systèmes productifs locaux et régionaux, mais dans le même temps, des mécanismes de mutualisation se sont développés. En effet, les dépenses publiques et sociales, c’est-à-dire les revenus de redistribution, n’ont cessé de progresser. Ce sont plusieurs dizaines de milliards d’euros qui sont transférés chaque année entre les territoires par un mécanisme de prélèvements et de dépenses de l’État et de la Sécurité sociale. Grâce à ce système de redistribution des revenus dans les territoires et en dépit de la concentration productive de certaines métropoles, les territoires périphériques et ruraux se sont développés de façon tout à fait satisfaisante durant les 30 dernières années. À quelles évolutions assiste-t-on aujourd’hui en termes de développement local ? On assiste actuellement à un ralentissement de ce phénomène qui devrait marquer, après 30 années de cohésion territoriale, des disparités entre les territoires les plus productifs, les plus riches, les plus denses et les villes moyennes, le monde rural, les territoires industriels en déclin. En effet, la crise de la dette et la question des déficits révèlent la situation très particulière des budgets publics en France. D’une façon ou d’une autre, la France va être amenée dans les années à venir à réduire son déficit et sa dette soit par une réduction des dépenses publiques et sociales, soit par une augmentation des prélèvements. Toute modification de la structure du budget aura des effets très contrastés sur les territoires. Quels sont les risques et les opportunités en matière de développement local en France ? De façon générale, les plus fortes progressions du taux de chômage frappent les territoires les plus industriels mais aussi les moins résidentiels, dans lesquels la consommation et les emplois « domestiques » sont peu présents et peu dynamiques. Cependant, la crise de 2008-2009 n’a pas spécifiquement affecté les secteurs qui étaient déjà en difficulté : ce qui a pesé sur l’emploi durant ces quelques années difficiles a moins été l’accélération des destructions que le coup d’arrêt donné aux créations d’emplois. L’essentiel des destructions d’emplois enregistrées sur 2008-2009 est le fait des secteurs industriels qui continuent leur déclin au même rythme, mais le plus gros du choc sur l’emploi, spécifiquement lié à cette crise, est subi par les secteurs les plus dynamiques du pays. Une différence importante entre les secteurs pérennes et les secteurs industriels en difficulté tient au fait que les premiers réagissent fortement aux turbulences conjoncturelles mais disposent d’une capacité de « résilience » qui leur permet de rebondir avec la reprise de la croissance. Les seconds perdent des emplois qu’ils ne retrouveront jamais : ce qui est perdu est perdu. Quant aux opportunités, c’est à nous de les créer. Il nous faut un système métropolitain qui fonctionne et qui permette de maximiser les avantages des métropoles en matière de production de biens et services à haute valeur ajoutée. Notons également le fort potentiel de la France dans le domaine touristique ou encore le développement d’activités productives dans les territoires résidentiels, comme la Côte d’Azur. ➜ POUR ALLER PLUS LOIN Laurent Davezies a publié La République et ses territoires : la circulation invisible des richesses (Seuil, 2008) et La crise qui vient, la nouvelle fracture territoriale (Seuil, 2012). es associations évoluent dans un monde de plus en plus concurrentiel, y compris dans des secteurs qui leur étaient jusqu’alors réservés. De plus, elles doivent faire face à des contraintes de reporting et de contrôle renforcé liées à leur financement par la puissance publique. Elles sont ainsi conduites à se doter d’outils de gestion toujours plus complexes. Les tensions sur les financements publics et la limitation des marges de manœuvre budgétaires, la contraction de certains marchés renforcent cette nécessité et poussent une partie du secteur à s’interroger sur son modèle économique. Si nul ne doute de la capacité des associations à mettre en place une gestion rigoureuse et à développer des outils pertinents pour le pilotage de leur activité, reste à savoir si un modèle économique propre aux associations peut encore exister dans un tel contexte et si les associations peuvent éviter l’isomorphisme institutionnel ou entrepreneurial. Leur intégration à des dynamiques de développement local comme productrices de biens et de services ou comme actrices de l’attractivité des territoires laisset-elle la place à un modèle spécifique ou les rabat-elle systématiquement vers les modèles de l’entreprise marchande d’un côté, du service public de l’autre ? La deuxième table ronde réunie lors de la journée France Active – CPCA sur ce thème, le 22 janvier dernier, a permis de mettre en lumière le caractère pluridimensionnel de cette question pour les associations en la traitant non pas uniquement sous l’angle de la gestion économique et financière, mais en examinant ce qui fait la spécificité du secteur du fait de sa relation particulière aux pouvoirs publics nationaux et locaux, d’une part, et de la dimension QUELS MODÈLES ÉCONOMIQUES ASSOCIATIFS AU SERVICE DES TERRITOIRES ? Entre le modèle de l’entreprise marchande et celui du secteur public, l’association doit promouvoir son propre schéma. Au-delà de l’angle économique et financier, c’est l’occasion de mettre en avant les particularités du secteur. d’engagement citoyen consubstantielle au fait associatif, d’autre part. A été posée la question de l’accompagnement des mutations auxquelles les associations doivent faire face1 et des espaces de négociation qui peuvent être mis en place localement pour favoriser la construction de modèles à la fois solides sur le plan économique et dynamisants pour l’implication citoyenne. APPRENDRE À GÉRER COMME DES ENTREPRISES ? Les associations sont régulièrement appelées à progresser en matière de gestion. Le contexte économique tendu et la montée des risques ainsi que la raréfaction des financements publics convergent sur ce point. L’État comme les collectivités territoriales accompagnent ce mouvement en attribuant des moyens aux dispositifs locaux d’accompagnement ou en soutenant les démarches des fédérations pour outiller leurs adhérents. Si cette nécessité ne fait pas débat, dans un contexte où, comme le rappelle Isabelle Eynaud-Chevallier, directrice adjointe à la Direction générale de l’emploi et de la formation professionnelle, « il faut accroître la capacité des associations à résister aux chocs », la question est de savoir si l’on dispose des cadres de référence les mieux adaptés aux spécificités des associations. Philippe Eynaud, responsable de la chaire des sciences de gestion à l’IAE de Paris, estime qu’un cadre de gestion propre au secteur doit être construit, qui n’abolit pas le quantitatif mais le complète pour tenir compte des dimensions liées à l’ancrage de l’association dans son environnement et à ses relations au territoire. En effet, les sciences de gestion ont été construites essentiellement pour accompagner le développement de l’économie marchande. Elles ne permettent pas d’appréhender des données caractérisant 1. Pour un dossier d’ensemble sur ce sujet, voir JA n° 465/2012, p. 17. 28 jurisassociations 477 - 15 avril 2013 Article extrait de jurisassociations n° 477 du 15 avril 2013. Reproduction interdite sans l’autorisation de Juris Éditions © Éditions Dalloz – www.juriseditions.fr 15 avril 2013 - jurisassociations 477 29 DOSSIER une entité économique, “ Avant d’être une association est un ensemble certains échanges non monétaires ou la dimension de l’engagement citoyen. « On a besoin de produire du chiffre pour éclairer le débat. Les sciences de gestion permettent également de définir un ensemble d’indicateurs pertinents facilitant le dialogue avec la puissance publique autour de l’allocation de moyens liés à la mise en œuvre d’une politique publique. Mais le risque serait de n’avoir qu’une vision financière. Pour avancer dans le domaine associatif, il faut s’inscrire dans le concept d’une économie plurielle, permettant de marier les différentes logiques, celle de l’échange marchand, celle de la réciprocité et celle de redistribution en dépassant le sophisme économiste décrit par l’économiste hongrois Karl Polanyi, qui réduit l’économie à sa dimension d’échange marchand. » Michel Dinet, président du conseil général de Meurthe-et-Moselle, appelle le secteur associatif à ne pas systématiquement s’inscrire dans des modèles issus de l’économie marchande en devenant des « associations lucratives sans but », au risque d’oublier l’histoire dont elles sont issues et ce qui fonde leur projet. Il faut pour cela que leurs partenaires publics ne les entraînent pas dans une logique uniquement de prix de journée ou de simple courroie de transmission pour la mise en œuvre de leurs politiques. des réponses en vue de s’adapter à un cahier des charges. Dès lors, on peut imaginer le développement progressif de normes et d’indicateurs de gestion de plus en plus convergents. L’idée d’avoir un seul modèle par secteur d’activité, permettant de définir des ratios universels, peut paraître séduisante pour des intervenants financiers qui cherchent à gagner du temps dans l’appréciation du dossier, mais la pratique montre qu’elle est erronée. Suivant que l’association agit dans un territoire dans lequel les partenaires publics sont dans une logique de mise en concurrence ou agissent dans un cadre très contractualisé, l’analyse du risque sera totalement différente. Comme le souligne Denis Dementhon, directeur du développement territorial du réseau France Active, cela implique, pour un opérateur financier susceptible d’apporter des moyens financiers sous forme de prêts ou de fonds propres, que l’analyse d’un dossier ne pourra se faire qu’au cas par cas et sur des critères qualitatifs : l’environnement de l’association et son rapport au territoire fondent sa solidité au moins autant que le niveau de ses fonds propres ou l’équilibre de ses comptes. COURSE À LA TAILLE OU COOPÉRATIONS ? VERS UN MODÈLE UNIQUE ? L’une des tendances observées par les études sur le monde associatif2 est le basculement accéléré au cours des dernières années d’une relation contractuelle négociée entre les associations et les pouvoirs publics vers une relation de prestataire de services. Le développement des appels d’offres et de la mise en concurrence pousse à un formatage Pour le secteur médico-social, Bruno Coste, directeur de l’Uriopss Ile-de-France, pointe néanmoins une tendance lourde, liée au renforcement des mécanismes descendant d’allocation de moyens par la puissance publique. Sans imposer systématiquement des fusions d’associations, les agences régionales de santé (ARS) demandent aux acteurs de coopérer et de travailler en réseau. Face à cette demande formulée dans un souci d’efficacité et de rationalisation, deux attitudes sont observées : soit les associations choisissent la fusion ou la croissance externe, soit des structures plus petites cherchent à construire des coopérations en préservant la « biodiversité associative ». L’Uriopss est amenée à accompagner certains adhérents dans ces différentes voies, mais son directeur estime qu’il n’y a pas de voie unique et que, dans certains cas, « il vaut mieux avoir un banc de poissons réactifs qu’une baleine un peu lourdaude. Certaines structures grandissent beaucoup trop vite et ne consolident pas suffisamment, et l’on risque d’avoir peut-être quelques mauvaises surprises ». Philippe Eynaud rappelle qu’il ne peut y avoir de modèle unique d’évolution : des restructurations ou évolutions peuvent prendre des formes variées, allant de simples regroupements jusqu’à des fusions, en passant par la mise en place de moyens en commun. Si des facteurs économiques globaux plaident pour de tels regroupements, il ne faut pas en sous-estimer les coûts cachés : la création d’une nouvelle entité ou le rattachement à une plus grande structure peut faire perdre la relation privilégiée qu’entretenait une association avec ses partenaires du fait d’une histoire commune, elle peut émousser l’engagement citoyen bénévole qui conditionnait la qualité et la dimension humaine du service rendu... Plusieurs exemples de coopérations peuvent être mis en avant : l’Uriopss Ile-de-France a créé une centrale de référencement commune à ses adhérents, qui permet de peser sur les coûts de certains achats. Plusieurs acteurs du secteur culturel de Saint-Étienne – certains associatifs, d’autres à but lucratif – ont créé un pôle de parties prenantes qui se réunissent pour résoudre un problème sur un territoire territorial de coopération économique (PTCE) et participent à la mise en œuvre de la politique culturelle de l’agglomération. Isabelle Eynaud-Chevallier rappelle que ce type de coopération n’est pas l’apanage du secteur associatif. On observe les mêmes mécanismes entre les entreprises de certains territoires fortement marqués par un secteur d’activité : les chocs de la concurrence extérieure obligent celles-ci à sortir de leurs logiques de concurrence et à inventer des coopérations pour conquérir de nouveaux marchés par des actions collectives. RAPPORT AU TERRITOIRE Mais le territoire, espace possible de coopération, peut devenir un lieu de compétition avec la tendance à multiplier les appels d’offres et l’érosion du mode de la subvention qui prévalait largement jusqu’à ces dernières années. Pour Michel Dinet, avant d’être une entité économique, une association est un ensemble de parties prenantes qui se réunissent pour résoudre un problème sur un territoire. Si l’on stérilise la capacité d’initiative avec l’inversion de la logique des appels à projets, le secteur associatif perd sa capacité à produire des réponses nouvelles et adaptées. Sur un secteur comme l’éducation populaire, le conseil général de Meurthe-etMoselle propose que son intervention financière repose sur un « socle de sérénité, qui permet de reconnaître le fait associatif en tant que tel. Sur cette base, on peut construire des projets en commun en refusant par choix l’appel à projets ou l’appel d’offres, en se basant sur l’histoire de l’association ». Sur ce champ comme sur l’ensemble des secteurs d’intervention du conseil général, le soutien aux projets est déterminé dans le cadre de conférences territoriales auxquelles sont associés les élus locaux et le secteur associatif. jurisassociations 477 - 15 avril 2013 ➜ Renforcer et professionnaliser l’accompagnement. L’État et les collectivités terri- QUELLES PISTES POUR CONSOLIDER LES MODÈLES ÉCONOMIQUES ? toriales soutiennent l’accompagnement des associations par le biais des dispositifs locaux d’accompagnement ou en apportant des moyens aux fédérations associatives. Ces moyens doivent être maintenus et portés au bon niveau pour accompagner des tendances lourdes du secteur. Leur accompagnement doit lui-même être ajusté aux réalités associatives et à leurs évolutions, ce qui suppose d’avancer dans la connaissance des modèles économiques associatifs et dans les sciences de gestion. Les participants à la table ronde ont évoqué plusieurs pistes, au-delà des propositions formulées par la CPCA et France Active. ➜ Faciliter l’accès à des moyens d’investissement. Les fonds propres des associa- ➜ Articuler les politiques de l’emploi avec les besoins du monde associatif. La politique de l’emploi constitue l’un des modes d’action de l’État en direction des associations. Certains secteurs d’activité investis par le secteur associatif ont encore des potentiels de création d’emplois liés à l’augmentation des besoins sociaux ou vont avoir à faire face à des besoins de renouvellement de générations. Les différents dispositifs tels que le contrat de génération pourront apporter des réponses aux associations, sous réserve qu’ils soient articulés avec une réflexion globale de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Celle-ci doit être conduite par secteur d’activité et au niveau de chaque région. Les acteurs associatifs pourront s’appuyer sur les services de l’État qui disposent de moyens pour accompagner ces démarches. 2. V. Tchernonog, « Le Paysage associatif français », enquête CPCA – CNAR Financement, 2012 ; voir en p. 19 de ce dossier. 30 ” tions sont trop souvent insuffisants pour leur assurer une résistance aux risques et leurs capacités d’investissement ne permettent pas toujours de porter les enjeux de développement auxquels elles ont à faire face. On peut construire des solutions propres à l’économie sociale en travaillant sur des outils de financement avec les banques ou les financeurs de l’économie solidaire. Il faut également trouver les moyens de mobiliser les outils de financement du développement élaborés pour le secteur marchand : la Banque publique d’investissement (BPI) ou le Fonds européen de développement régional (FEDER) devront pour cela intégrer des critères d’intervention permettant aux associations de les mobiliser. L’accès à ces moyens dépendra in fine de la capacité qui sera laissée aux associations de dégager des excédents de gestion dans le cadre de leur activité pour consolider leur assise financière. AUTEUR TITRE Article extrait de jurisassociations n° 477 du 15 avril 2013. Reproduction interdite sans l’autorisation de Juris Éditions © Éditions Dalloz – www.juriseditions.fr Denis Dementhon Directeur du développement territorial, France Active 15 avril 2013 - jurisassociations 477 31 DOSSIER SYNTHÈSE DE LA 3e TABLE RONDE E INTERVIEW “ L’engagement citoyen est facteur de respiration démocratique ” MICHEL DINET PRÉSIDENT DU CONSEIL GÉNÉRAL DE MEURTHE-ET-MOSELLE En quoi les associations contribuent-elles au développement des territoires ? Les associations sont évidemment moteur de la dynamique qui est créée sur un territoire en termes de développement mais sont également créatrices d’activité dans le domaine économique, dans le domaine de la culture, du sport et de la science. Par conséquent, elles sont un moteur en même temps qu’elles sont initiatrices et créatrices de richesses humaines et de richesses marchandes. Comment les départements peuvent-ils encourager le développement des activités associatives ? Depuis longtemps, nous avons considéré, au conseil général, que les associations n’avaient pas à répondre à des appels d’offres ou appels à projets divers, mais qu’elles devaient être considérées comme des partenaires à part entière du département. Nous avons donc mis en place un financement dit « de sérénité », complété ensuite par des financements sur projets. Cela permet de faire face à la houle avec une certaine solidité. Quelles sont les complémentarités entre les actions de l’État, des collectivités et des associations ? La solidité d’une république décentralisée repose sur trois piliers essentiels. Le premier pilier est celui d’un État fort, avec des compétences régaliennes bien identifiées. Le deuxième pilier est celui des collectivités locales, qui doivent être plus respectées qu’elles ne l’ont été car elles peuvent apporter une partie des réponses aux problèmes de nos concitoyens mais également aux questions de développement local. Les collectivités régionales, départementales, communales et intercommunales sont ce deuxième pilier. Et il y a un troisième pilier qu’on oublie trop souvent, c’est celui de l’engagement citoyen. Cet engagement est fondamental car il est facteur de respiration démocratique et il est moteur d’innovation et d’invention sur les territoires. Dans le cadre des travaux relatifs au projet de loi sur la décentralisation, quand je participe au groupe qui va retravailler sur la place et la relation des associations avec l’État et les collectivités, ou quand j’entends François Lamy, ministre délégué à la Ville, parler d’un réinvestissement de la politique de la ville dans le cadre d’une politique nouvelle basée sur le territoire, je me dis que tout cela va dans le bon sens. Mais pour l’instant, je ne vois rien apparaître de solide dans les textes préparatoires à la troisième étape de la décentralisation quant à la parole et à l’engagement citoyens. Or, cette question me paraît fondamentale. Pour des raisons démocratiques et pour des raisons d’efficacité. Les associations sont évidemment moteur de la dynamique “ qui est créée sur un territoire en termes de développement mais sont également créatrices d’activité dans le domaine économique, dans le domaine de la culture, du sport et de la science ” 32 jurisassociations 477 - 15 avril 2013 n France, l’intérêt général est un des pivots de l’action publique, dont il fonde la légitimité. Depuis la fin des années 1970 et la décentralisation, l’État, qui en était l’incarnation directe, n’a plus le monopole de l’intérêt général. Il le partage avec les acteurs de la société civile, parmi lesquels les associations occupent une place déterminante. La puissance publique leur reconnaît une capacité à faire remonter des besoins sociaux, à innover, à mobiliser des citoyens et à agir en proximité tout en dépassant des intérêts particuliers. Comme le souligne Brigitte Giraud, vice-présidente de la CPCA, « le modèle associatif français a cette particularité de s’inscrire comme contributeur à l’intérêt général ». Et c’est au nom de l’utilité sociale des associations que l’État et les collectivités territoriales accordent à ces dernières des aides publiques, délivrées jusqu’à maintenant principalement sous la forme de subventions. Par cet acte unilatéral, ils leur laissent le soin d’initier, de définir et mettre en œuvre leurs projets, auxquels ils choisissent d’apporter un soutien financier. MARCHÉ INTÉRIEUR VS INTÉRÊT GÉNÉRAL « Cette vision n’est pas partagée au plan européen », constate Brigitte Giraud. En effet, au sein de l’Union européenne, la notion d’intérêt général se réduit essentiellement au champ économique. Le secteur des services d’intérêt général y est libéralisé et soumis aux lois du marché unique. À l’origine, les aspects sociaux ne sont pas une préoccupation majeure du traité de Rome. La Communauté économique européenne a été fondée sur le principe de libre circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes (les « quatre libertés »). Les EUROPE ET TERRITOIRES : QUEL CADRE POUR SOUTENIR LES ACTIVITÉS D’INTÉRÊT GÉNÉRAL ? La charte des engagements réciproques, signée en 2001 entre l’État et la CPCA, inscrit les associations comme des acteurs clés de la mise en œuvre de l’intérêt général. Mais quelle est la place réservée à ces initiatives collectives et citoyennes au sein de l’Union européenne ? Leur capacité à favoriser la cohésion sociale et territoriale est-elle reconnue à Bruxelles ? Éléments de réponse. libertés fondamentales d’établissement et de prestation de services sont donc considérées comme des raisons impérieuses d’intérêt général. Pour éviter les distorsions de concurrence, l’Union européenne interdit les aides d’État à des opérateurs privés dès lors qu’elles affectent les échanges entre les États membres. Dans ce contexte, comment faire en sorte que la spécificité associative française dans la mise en œuvre de l’intérêt général soit respectée alors que la réglementation européenne ne tient compte ni de la non-lucrativité, ni du statut des associations ? Pour la Commission européenne, dès lors que les associations échangent des biens et services sur un marché, elles sont considérées comme des opérateurs économiques comme les autres. Ces dernières années, certains ont vu dans cette réglementation sur les aides d’État une impossibilité de continuer à pratiquer le financement des associations sous la forme de subventions, Article extrait de jurisassociations n° 477 du 15 avril 2013. Reproduction interdite sans l’autorisation de Juris Éditions © Éditions Dalloz – www.juriseditions.fr pourtant gage de reconnaissance de la capacité des associations à contribuer à des missions de service public. La première des conséquences a été la recrudescence des appels d’offres, mettant les associations en concurrence, les fragilisant dans leur capacité à répondre aux besoins sociaux et à être porteuses d’initiatives. Pourtant, une autre lecture du cadre européen est possible. MARGES DE MANŒUVRE Contrairement aux interprétations qui ont pu être avancées, la législation européenne offre des marges de manœuvre importantes aux États comme aux collectivités locales. Elle admet que la règle d’interdiction des aides d’État ne doit pas empêcher un opérateur d’accomplir, pour le compte de la collectivité, un service d’intérêt économique général (SIEG). Dans sa jurisprudence, la Cour de justice de l’Union euro- 15 avril 2013 - jurisassociations 477 33 DOSSIER LA PAROLE À... NICOLE ALIX ADMINISTRATRICE DÉLÉGUÉE, CONFRONTATIONS EUROPE péenne1 a précisé qu’une collectivité pouvait verser une aide à un opérateur privé en compensation d’un service public, sans être soumise au contrôle de la Commission, dès lors que certaines règles sont respectées : l’association doit vraiment être en charge d’une obligation de service public clairement définie ; les paramètres de calcul de la compensation doivent être préalablement établis, en toute objectivité et transparence, ce qui suppose un acte de mandatement ; la compensation ne peut dépasser ce que coûte l’exécution de ce service public mais un bénéfice raisonnable est autorisé ; si le choix du « prestataire » n’est pas réalisé dans le cadre d’une procédure de marché public, le calcul de la compensation doit être déterminé sur la base d’une analyse des coûts qu’une « entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée » aurait proposés. ASSOUPLISSEMENTS Parallèlement, les crises successives traversées par l’Union européenne depuis 2007 ont profondément modifié le cadre conceptuel de la politique européenne de libre concurrence. Le dogme de l’efficience des marchés a montré ses limites et des appels se sont fait entendre pour replacer la politique de concurrence dans un cadre élargi, intégrant une dimension sociale. La question du contrôle des aides d’État a été reposée à l’aune de cette préoccupation, les crises ayant remis au centre du débat le rôle moteur des investissements publics dans la croissance. Dans ce contexte, la Commission européenne s’est employée à assouplir et clarifier les implications des règles applicables au sein des États membres afin de garantir que les services d’intérêt 1. CJCE 24 juill. 2003, aff. C-280/00, dit « arrêt Altmark ». 2. Pour un dossier d’ensemble sur ce sujet, voir JA n° 458/2012, p. 17. 34 jurisassociations 477 - 15 avril 2013 général pourront remplir leurs missions et contribuer à offrir une meilleure qualité de vie aux citoyens européens. Sous la pression des acteurs publics et des associations, la Commission européenne a produit un ensemble de textes législatifs et réglementaires venus préciser sa législation et dont le dernier en date est le « paquet Almunia », adopté fin 20112. « Nous avons plaidé pour que ces règles sur les aides d’État ne s’appliquent que lorsqu’il y a un impact sur le commerce entre États membres », indique Anne-Laure de Coincy, secrétaire général adjointe du Secrétariat général des affaires européennes (SGAE). Cette revendication a été entendue à Bruxelles et prise en compte dans les nouvelles règles du « paquet Almunia » : le seuil de minimis en dessous duquel la législation européenne ne s’applique pas a été relevé à 500 000 euros sur trois ans pour les SIEG, contre 200 000 euros auparavant. « C’est une première reconnaissance importante et qui peut apporter une simplification dans les pratiques », ajoute la représentante du SGAE. En dessous de 500 000 euros, seul le droit français s’applique pour les SIEG. Les aides sont en effet réputées ne pas affecter les échanges. Au-dessus de 15 millions d’euros, les aides doivent être notifiées à la Commission européenne. « Mais de nouveaux secteurs ont été officiellement exemptés de notification par la législation Almunia, quel que soit le montant des financements », se réjouit Anne-Laure de Coincy, qui fait ici référence aux aides versées à des services sociaux d’intérêt général (SSIG) « répondant à des besoins sociaux dans le domaine de la santé et des soins, de l’aide à l’enfance, de l’accès au marché du travail, du logement, de la réinsertion, de l’aide aux personnes vulnérables et favorisant leur inclusion sociale ». C onfrontations Europe vise à impliquer les acteurs économiques et sociaux les plus divers dans la construction d’une Europe compétitive et solidaire. Car l’Union européenne ne peut pas être qu’une Union monétaire. Nous avons besoin d’une stratégie européenne de compétitivité et de solidarité, avec des coopérations industrielles européennes, une volonté de s’unir pour l’emploi et l’inclusion sociale, ainsi que de promouvoir les indispensables biens publics et services d’intérêt général. C’est seulement ainsi qu’on peut contrebalancer une vision trop « juridique » de la politique de concurrence, compétence exclusive de la Commission européenne. Concernant les services d’intérêt général, il a fallu attendre près de 15 ans et une prise de conscience via la directive Bolkestein (dir. 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 déc. 2006 relative aux services dans le marché intérieur) pour que les acteurs du social s’approprient les enjeux. Sous la pression notamment du Collectif SSIG, des assouplissements ont été obtenus fin 2011 avec le « paquet Almunia » : il témoigne d’une compréhension progressive par la Commission de la nécessité d’assouplir les règles, notamment pour les services sociaux et les petits services. Mais les SSIG restent cloisonnés dans un champ d’exception, traités comme des défaillances de marché – qui demeure l’idéal type même lorsqu’il n’y a pas d’opérateurs commerciaux sur le secteur – ou comme des défaillances des États : les associations sont très peu regardées comme des initiatives de citoyens groupés qui essaient de construire collectivement des réponses à leurs besoins sociaux. Comme nous avons, en France, une longue tradition de travail partenarial entre les acteurs associatifs et les pouvoirs publics, nous vivons les règles européennes comme un appauvrissement de la richesse de ces relations. Pour d’autres pays, cela peut être perçu “Montrons à l’Europe que les biens publics et les solidarités sont utiles et non contraires à l’économie de marché ! ” comme une nouveauté. C’est toute la difficulté de l’Union européenne. Les institutions européennes ont tendance à essayer de faire des « moules », comme en témoignent des expressions comme « one size fits all » (« modèle unique ») et « common framework » (« cadre commun »). Le danger de simplifier les règles serait de tendre à une uniformisation. Or, il faut s’ancrer dans les richesses culturelles : la réponse européenne ne peut pas être un modèle moyen pour un citoyen moyen avec des besoins moyens. Il faut à la fois construire encore plus ce cadre collectif, mais ne pas en faire un dispositif qui lamine les forces existantes. Entre norme et créativité, les associations ont un vrai rôle à jouer et des modèles spécifiques à promouvoir. D’où l’importance qu’elles fassent entendre leur voix au niveau européen. Pour cela, elles doivent acquérir une vision prospective des enjeux européens et promouvoir les alliances, les confrontations avec les autres acteurs politiques, en ayant conscience des autres modèles, anglo-saxon, nordique ou latin. Cela suppose qu’elles soient très au clair sur leur identité, sans camper non plus dans une logique corporatiste. Pour éviter la barrière de la langue – plutôt que d’associations, on parle dans certains pays d’ONG, de société civile, de nonprofit organizations –, le plus efficace serait de chercher « la preuve par l’exemple ». Et travailler parallèlement à un « droit positif » des services d’intérêt général dans lequel les associations auraient toute leur place. Les Italiens, par exemple, ont introduit dans leur Constitution un principe de subsidiarité horizontale qui consacre les initiatives groupées, dans une vision positive de la subsidiarité. Pour réenchanter l’Europe, il faut montrer que les biens publics et les solidarités non marchandes sont utiles et non contraires à l’économie de marché ! Une condition pour éviter que le territoire ne se transforme en espace de compétition. Ces aides doivent respecter l’ensemble des règles rappelées plus haut, qui « sont des règles classiques de bonne gestion de la dépense publique », mais elles n’ont pas besoin de recevoir une autorisation préalable de la Commission avant d’être mises en œuvre. MANQUE D’APPROPRIATION « Cette nouvelle législation comporte des avancées significatives pour le monde associatif », reconnaît la vice-présidente de la CPCA. Elle admet qu’une compensation financière versée par une collectivité publique à un opérateur économique en contrepartie d’un service d’intérêt général n’est pas contraire à la libre concurrence. En théorie, cette clarification aurait dû permettre aux pouvoirs publics de continuer à soutenir les actions d’intérêt général mises en œuvre par les associations par le biais de subventions. Pourtant, les confrontations quotidiennes des associations avec la pratique de marchés publics montrent qu’il n’en est rien. L’examen des motifs invoqués pour justifier ces recours aux marchés publics amène au constat suivant : ces règles européennes continuent de souffrir d’un manque d’appropriation. « Les collectivités territoriales rencontrent des difficultés à appréhender le droit de l’Union européenne », s’alarme Brigitte Giraud. Ces règles sont prises pour prétexte pour lancer des appels d’offres, bridant les répondants de toute capacité d’innovation et les confinant dans un rôle de prestataire. Une situation encouragée par le climat de recherche d’économies budgétaires, le marché public étant perçu comme un moyen d’optimiser les coûts et de rationaliser les dépenses. MANQUE D’AMBITION De plus, en dehors de la complexité des textes, de l’imprécision de certaines notions et du manque d’opérationnalité, cette législation a manqué d’ambition. Adoptée suite à une large consultation des parties prenantes, elle a maintenu l’exigence de mandatement sans pourtant mieux en préciser le contenu. Comme aucun cadre législatif national homogène de mandatement des services sociaux ne permet aux collectivités de bénéficier des dispositions protectrices des traités, il revient à ces dernières la responsabilité de procéder à ce mandatement. Or, il s’agit d’un outil juridique qu’elles ne se sont que peu approprié. Faute d’en maîtriser les tenants et aboutissants, elles continuent de privilégier le marché public pour sécuriser juridiquement leurs relations partenariales. Autre effet limitant : le seuil fixé à 500 000 euros d’aide sur trois ans (166 000 euros par an) reste largement insuffisant pour l’essentiel du secteur associatif subventionné. Par exemple, le budget moyen des associations de l’action sociale et de la formation est de 560 000 euros par an, dont la moitié au moins provient de financements publics. Le seuil de 500 000 euros d’aide sur trois ans est donc très vite atteint pour les associations de ces secteurs. D’autant que la tendance actuelle au regroupement d’associations restreint davantage le nombre de structures se situant sous ce seuil. Un seuil de 800 000 euros par an aurait été plus adapté3 puisqu’il aurait permis « de couvrir l’ensemble 3. Comme l’a souligné le Comité des régions dans un avis rendu en janvier 2012 (avis 2012/C 9/09 sur les règles de l’UE en matière d’aides d’État applicables aux services d’intérêt économique général). Article extrait de jurisassociations n° 477 du 15 avril 2013. Reproduction interdite sans l’autorisation de Juris Éditions © Éditions Dalloz – www.juriseditions.fr 15 avril 2013 - jurisassociations 477 35 DOSSIER Si l’on peut se féliciter de constater que “ l’entrepreneuriat social ait le vent en poupe à Bruxelles, il importe de rester vigilant quant aux valeurs et pratiques qu’il renferme des structures de proximité de moins de 20 salariés qui ne disposent pour seules ressources que des compensations octroyées par les autorités publiques ». ” « analyse plus économique de l’impact sur le commerce extra et intracommunautaire qui ne soit pas seulement défini par un seuil ». (FESE), a posé les premiers jalons d’un futur marché européen pour le fonds d’investissement social5. LOBBYING VIGILANCE Il n’en reste pas moins que, pour le monde associatif, ces questions de la réglementation européenne ont eu le mérite de rendre nécessaire une parole politique forte sur les spécificités du monde associatif, notamment au niveau européen. « Cette réglementation est arrivée de manière brutale dans le monde associatif », souligne Brigitte Giraud, pour qui « parvenir à faire du lobbying au niveau européen peut être une ambition de progression ». Un effort de lobbying d’autant plus crucial que, aujourd’hui, les entreprises d’économie sociale courent le risque de n’être considérées par l’Union européenne qu’à travers leur capacité à jouer un rôle dans l’accroissement de la compétitivité et leur efficacité économique. En effet, au sein de l’Union européenne, c’est d’abord la notion d’entrepreneuriat social qui creuse son sillon. L’année 2011 a été marquée par une recrudescence de l’intérêt de la Commission européenne pour l’entrepreneuriat social. Tout d’abord, la refonte de la politique de cohésion sociale et territoriale européenne pour 2014-2020 est caractérisée par une programmation de nouveaux financements européens pour l’entrepreneuriat social. D’autre part, l’entrepreneuriat social a été intégré comme l’un des 12 piliers de l’Acte pour le marché unique (« Single Market Act ») adopté en avril 20114. Plus récemment, une proposition de règlement datant du 7 décembre 2011, concernant les fonds d’entrepreneuriat social européens Si l’on peut se féliciter de constater que l’entrepreneuriat social ait le vent en poupe à Bruxelles, il importe de rester vigilant quant aux valeurs et pratiques qu’il renferme. Entendue au sens anglo-saxon du terme, cette notion pourrait n’être qu’un prolongement philanthropique de l’économie capitaliste : c’est en s’appuyant sur des grandes entreprises expérimentant des pratiques boursières à risque que l’entrepreneuriat social viendrait servir l’intérêt général. Par ailleurs, il faut être attentif à ce qu’il ne soit pas envisagé comme un outil de correction des dégâts sociaux et environnementaux des modes de production capitalistes, sans pour autant s’attaquer à leurs causes. Loin d’être un projet économique et social à part entière, la vigueur de l’entrepreneuriat social entendu ainsi dépendrait de l’accroissement des dégâts sociaux et environnementaux. En s’appuyant sur la générosité des très riches et les classes moyennes en tant que donateurs et sur les pauvres et les très pauvres en tant que bénéficiaires, il comporte le risque de substituer une solidarité privée à la solidarité publique. En ce sens, il n’est pas porteur de la même logique d’émancipation et de transformation sociale qui sous-tend l’action du monde associatif. D’où l’enjeu, conclut Brigitte Giraud, « d’arriver à ce que les spécificités françaises de l’histoire du mouvement associatif puissent être prises en compte, comme le permet la réglementation européenne ». INTERVIEW “ Nous travaillons à une remise à plat de l’ensemble de la fiscalité des associations ” PROPOSITIONS Pour le SGAE, l’appropriation de ces règles et de la procédure de mandatement apparaît comme le défi majeur à relever. « Nous partageons ce souci de faire de la pédagogie auprès des acteurs publics, et notamment des collectivités territoriales », souligne Anne-Laure de Coincy. Un travail interministériel sur la réalisation d’un guide a été mené en 2012, soumis à consultation du Collectif SSIG et élaboré avec les collectivités. Ce guide sera rapidement mis à disposition sur tous les sites Internet possible afin que « les ministères et les collectivités territoriales s’en emparent ». Pour le monde associatif, l’enjeu de sécurisation nécessite que l’on aille plus loin en dotant la subvention d’une valeur normative. Cela implique que l’on inscrive la subvention dans la loi sur l’ESS en préparation. Sur ce point, la position de la CPCA est confortée par l’élue de la région Centre à la tribune, MarieMadeleine Mialot, qui insiste pour que « la loi favorise l’initiative associative ». Au-delà de la légalisation de la subvention, les intervenants de cette table ronde s’accordent à reconnaître la nécessité de créer des cadres facilement utilisables par les acteurs. Pour Brigitte Giraud, cela nécessite une méthode simple pour justifier auprès des financeurs publics que la subvention, au-delà du « bénéfice raisonnable » que permet la réglementation sur les aides d’État, ne génère pas la surcompensation qu’interdit cette même réglementation. Pour le SGAE, un autre enjeu est désormais de travailler à une 4. Commission européenne, communication au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 13 avril 2011, COM(2011) 206 final. 5. Commission européenne, proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux fonds d’entrepreneuriat social européens du 7 déc. 2011, COM(2011) 862 final. 36 jurisassociations 477 - 15 avril 2013 AUTEUR TITRE Marie Lamy Conseillère technique, CPCA BENOÎT HAMON MINISTRE DÉLÉGUÉ À L’ÉCONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE ET À LA CONSOMMATION Dans le contexte économique actuel, l’économie sociale et solidaire (ESS) peutelle être un levier de croissance pour la France ? Nous souhaitons doter la France d’une politique de croissance favorisant la biodiversité économique ; l’économie sociale et solidaire en est un pan essentiel. Le soutien au développement des acteurs associatifs nécessite une clarification de leur cadre fiscal. Or, le crédit d’impôt compétitivitéemploi (CICE)1, mis en place afin de relancer la croissance, s’appuie sur l’impôt sur les sociétés (IS), auquel seules 13 % des associations sont soumises. Nous avons par conséquent pris une mesure spécifique en faveur des associations exonérées de l’IS. Il s’agit d’une hausse de l’abattement sur la taxe sur les salaires, passant de 6 000 à 20 000 euros, pour un effort de 314 millions d’euros au budget de l’État. Nous souhaitons étendre cette mesure en direction des plus grosses associations, qui sont directement en concurrence avec le secteur lucratif. Cela se fera dans le cadre d’un travail partenarial avec les acteurs associatifs, auquel la CPCA sera bien entendu associée. Mon collègue du budget, Bernard Cazeneuve, est lui aussi mobilisé. Les inspections des finances et des affaires sociales travaillent à une remise à plat 1. Voir JA n° 474/2013, p. 6. 2. Circ. NOR PRM/X/10/01610/C du 18 janv. 2010 ; pour un dossier d’ensemble sur le sujet, voir JA n° 432/2011, p. 18. 3. Centre de recherche pour l’étude et l’observation de l’ensemble de la fiscalité des associations. De plus, un groupe de travail interadministrations a été mis en place afin de sécuriser juridiquement leur financement public, en tenant compte des contraintes du droit européen. Enfin, j’ai engagé une simplification de la circulaire du 18 janvier 20102 en y associant le ministère en charge de la Vie associative. Que comptez-vous faire en matière d’emploi pour le secteur associatif ? L’ESS constitue un véritable gisement d’emplois. Le Crédoc, dans son rapport de janvier 2013 sur les besoins de maind’œuvre, évalue à 114 000 le potentiel de recrutements pour cette année sur des postes non qualifiés et durables3. Le programme des emplois d’avenir est en phase de déploiement dans le secteur associatif. En 2013, ce sont 50 000 emplois d’avenir qui seront créés dans l’ESS. En matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et de formation professionnelle, les partenaires sociaux et les organismes paritaires agréés de l’ESS sont mobilisés. Enfin, je souhaite que mon projet de loi sur l’ESS facilite davantage l’accès à la commande publique aux structures de l’ESS, notamment aux entreprises d’insertion par l’activité économique. La Banque publique d’investissement (BPI) ouvrira-t-elle de nouvelles perspectives de financement pour les acteurs associatifs ? Oui, 500 millions d’euros de la BPI seront consacrés à l’ESS. Nous avons aussi fait en sorte que les acteurs de l’ESS soient présents dans les instances de gouvernance de la BPI, à savoir le conseil national et les comités régionaux d’orientation. Nous veillerons également à mobiliser rapidement les crédits du programme d’investissements d’avenir. La BPI prendra la suite et complétera l’action des structures qui financent déjà l’ESS. Menez-vous des initiatives au-delà du seul cadre national ? Je souhaite exporter à l’échelle européenne et internationale les efforts que nous menons. Au niveau européen, nous plaidons pour la reconnaissance des statuts des acteurs de l’ESS. Dans le cadre de l’OCDE, la France a décidé de revenir au sein du programme LEED4 pour porter une voie alternative. Plus largement, je souhaite engager un maximum de partenariats de coopération. L’un des enjeux est de valoriser la singularité de la France, qui dispose d’un tissu associatif dynamique, créateur de richesse citoyenne et économique. des conditions de vie (Crédoc), « Étude des besoins en main-d’œuvre dans le secteur de l’économie sociale et solidaire », janv. 2013. 4. Développement économique et création d’emplois locaux. Article extrait de jurisassociations n° 477 du 15 avril 2013. Reproduction interdite sans l’autorisation de Juris Éditions © Éditions Dalloz – www.juriseditions.fr 15 avril 2013 - jurisassociations 477 37