De Marion Aubert à Régis Hébette, le théâtre aime tirer la langue

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De Marion Aubert à Régis Hébette, le théâtre aime tirer la langue
Paru le 26/01/2008 sur www.rue89.com (site des anciens de Libé)
Par Jean-Pierre Thibaudat (Journaliste)
De Marion Aubert à Régis Hébette,
le théâtre aime tirer la langue
Rien de commun entre ces deux nouveaux spectacles et pièces que sont
"Les aventures de Nathalie Nicole Nicole" de Marion Aubert
et "Ex Onomachina" de Régis Hébette, si ce n’est l’essentiel:
un combat à mains nues avec la langue française, ici volubile, là bégayante.
A Montpellier, Marion Aubert et ses copines ont fondé la compagnie Tire pas la nappe en 1997. Elles
sont toujours ensemble, vivent là bas. Marion Aubert écrit et joue, Marion Guerrero met en scène,
Capucine Ducastelle et Frédérique Dufour sont actrices.
Et les voici au Théâtre du Rond-Point (avec quelques renforts de qualité). C’est d’abord cela que
cela raconte "Les Aventures de Nathalie Nicole Nicole" (la pièce est publiée chez Actes sud Papiers,
comme toutes créations de de Marion Aubert): un spectacle de copines prêtes à faire ensemble,
toutes ensemble, les quatre cents coups.
Il y a deux ans, on avait beaucoup parler de des "Histrions", mise en scène par Richard Mitou. C’était
comme le bouquet final d’une génération d’acteurs formés au conservatoire de Montpellier (dirigé par
l’ange Ariel Garcia Valdès), une pièce qui embrassait la genèse du monde et du théâtre pour que les
nombreux encore jeunes acteurs disent, avec beaucoup d’entrain et de facéties, ciao à leur prime
jeunesse.
Bien sûr, à la fin de ce spectacle, le groupe s’est dispersé. Mitou est, présentement, redevenu acteur,
on peut le voir (rôle principal) aux Gémeaux de Sceaux dans "Le Temps est une songe", une pièce
d’Henri-René Lenormand que vient de créer Jean-Louis Benoit, sans retrouver l’acuité qui avait été la
sienne lorsqu’il avait monté "Les Ratés" du même auteur (une figure de l’avant-guerre un peu oubliée,
les deux pièces sont publiées ensemble dans l’Avant-scène théâtre).
Débordement de la langue et goût de la provocation
Mais Mitou est à son affaire: acteur ou metteur en scène. Il a tout bon. Marion, elle, a retrouvé ses
copines et s’est attelée à la pièce que lui avait commandé Jean Michel Ribes pour le Rond-Point. Elle
écrit plus vite que son ombre.
Dans "Les Aventures de Nathalie Nicole Nicole", Marion Aubert s’attarde dans le cocon qui a vu naître
et grandir son écriture. Débordement de la langue et goût de la provocation, alliés aux épines de la
cruauté, font oeuvre commune dès la première réplique, qui donne le ton: "Il était une fois une petite
fille, elle n’aimait pas les autres." Elle avait une mère qui ne l’aimait pas non plus, une copine moche
dont elle se servait comme d’un paillasson, etc.
On est là quelque part entre "Victor ou les Enfants au pouvoir" de Vitrac, le credo "bête et méchant"
de feu "Hara kiri", et une version gore de la Comtesse de Ségur.
Si, enfant, vous avez arraché avec délectation les ailes d’une mouche avant de la brûler avec une
allumette; si vous avez volé dans le porte-monnaie de votre mère et, acculé, songé à accuser le petit
voisin con et chiant; si vous avez pincé jusqu’au sang le bras de votre voisine parce qu’elle était
vraiment trop moche; si vous avez imaginé verser de l’huile bouillante sur la queue du chat, bref si
vous avez été cruel comme le sont tous les enfants ou seulement rêvé de l’être, cette pièce vous la
verrez avec des yeux bordés de reconnaissance.
On rit. On rit , mais on se lasse. Car la pièce patine, l’écriture vire à la manière, au procédé et à force
de jouer les enfants épouvantables les acteurs s’abîment ici et là dans des enfantillages. Marion écritelle trop, et trop vite?
Est-ce aussi le lieu qui veut ça? Le côté usine à spectacles du Rond Point qui joue sur tous les
tableaux, emmêle les pinceaux et "boulevardise" la pièce? Ou la chaleur épouvantable de la salle
Jean Tardieu qui assomme? Ou encore le fait qu’à l’entrée comme à la sortie de cette salle, il nous
faut supporter l’atmosphère gonflante du restaurant de l’établissement, dont les prix ne sont pas du
tout faits pour un public jeune ou étudiant?
Une deuxième salle à L'Echangeur, lieu culturel original à Bagnolet
Tout autre est le climat amical qui règne à L’Echangeur de Bagnolet. Le café coûte
1 euro, le sandwich jambon-fromage 2,20 euros, le Coca est équitable, le barman
(palestinien) fait la conversation. Au mur est affichée la déclaration de "l’institut du
Tout-monde" signée par Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau: "la nécessité de
toute identité s’inscrit dans le contact et l’échange", "c’est l’inaptitude à vivre le
contact et l’échange qui crée la nuit identitaire et dénature l’identité", écrivent les
auteurs qui sont chez eux dans un lieu qui porte le nom d’"Echangeur", mot qui n’est
pas réservé aux bretelles d’autoroute pourtant proches. Le mot échangeur est aussi
une conquête de la langue qui nous conduit droit au spectacle.
C’est en 1994 que la compagnie Public Chéri qui travaillait depuis plusieurs années
sur Bagnolet, s’est installée dans ces anciens ateliers de couture à deux pas du
métro Galliéni (terminus de la ligne 3).
Deux ans plus tard s’ouvrait L’Echangeur, qui allait se faire une place dans le réseau
informel des lieux alternatifs de la région parisienne. Et aujourd’hui, c’est une
seconde salle qui s’ouvre (en face de la première) en sorte que le lieu va pouvoir
mener de front ses différentes activités: les spectacles de la compagnie Public chéri,
les ateliers de création (ouverts aux amateurs) et les compagnies (régulièrement)
invitées, comme celles d’Etienne Pommeret, Marie-José Malis ou Stéphane Olry.
Une pincée de Beckett, un peu de Deleuze, une dose de lettrisme
Chaque dimanche, ces dernières égaient de petites formes les cinq semaines
"d’expansion inaugurale" qui viennent de commencer en lever de rideau de la
création maison "Ex Onomachina".
Ne cherchez pas, c’est du grec onoma (nom) et du latin machina (machine) soit
quelque chose comme "issu de la machine à noms" (je cite le programme). De
fait, le spectacle porté par trois acteurs, met en bouche le balbutiement de la
langue, l’émergence du vocable, de la phrase, l’impuissance à dire le tout
venant.
On se demande si c’est Dulard ou Ducochon qui sont en scène -les deux mon
capitaine, ce qui fait donc trois, deux hommes et une femme. Résumons: une
pincée de sel Beckett, deux tours de moulin du poivre Deleuze (cf.
"Superpositions", livre de recettes écrit avec le chef cuistot Carmelo Bene,
Editions de minuit), trois cuillères à soupe de lettrisme pour noyer le poisson,
là-dessus ajouter deux cents grammes d’autodérision, un demi-litre de
sarcasme et une belle tranche de parodie des vieux habits de l’avant-garde,
touillez, le tour est joué. Et plutôt bien joué.
► Les aventures de Nathalie Nicole Nicole de Marion Aubert - au théâtre du Rond-Point, 2b,
avenue Franklin-Delano-Roosevelt - du mar. au sam. 21h, le dim à 15h30 - 14€/28€ - jusqu’au 24
février - Rés.: 01-44-95-98-21 - plan.
► Ex Onomachina par la compagnie Public Chéri, texte et mise en scène Régis
Hebette - à L’Echangeur, 59, avenue du Général-de-Gaulle, Bagnolet (93) - du jeu.
au sam. à 20h30, le dim . formes brèves à 15h et spectacle 16h30 - jusqu’au 10
février - 7€/13€ - Rés. 01 43 62 71 20 - contact - plan.