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Réf. document AT.JA.31.5 Approche historique Si le mot lui-même, adulescens, existait déjà dans la Rome de 45 avant J.-C., l’analogie s’arrête là. Etymologiquement, adulescens signifie celui qui est en train de croître et ne se réfère à aucune catégorie d’âge en particulier. Seul le jeune homme de 17 à 30 ans avait alors droit à cette appellation, et il ne s’agissait en aucun cas de pré-adulte. La citoyenneté leur était acquise à 17 ans et le droit de mariage dès la puberté. Les femmes quant à elles devenaient directement uxor, c’est à dire épouse. Par la suite, le Moyen Age divise la population en enfants et adultes à partir de l’âge naturel de la puberté. L’homme était considéré comme une créature de Dieu, l’enfant n’était qu’un adulte en miniature : « L’enfant passait directement et sans intermédiaires des jupes des femmes, de sa mère ou de sa mie, ou de sa mèregrand, au monde des adultes. D’enfant, il devenait tout de suite un petit homme, habillé comme les hommes ou comme les femmes, mêlé à eux sans autre distinction que la taille »1. Pendant toute cette période, le mot adolescent ne persiste que sporadiquement dans les écrits latins des clercs du Moyen Age, pour qualifier de façon très imprécise des tranches d’âge comprises entre 15 et 60 ans. Il réapparaît au XVIIe siècle uniquement sous la forme masculine, par le biais du « bas langage » pour désigner dans un style satirique et burlesque un « vieux beau ». Le terme acquiert au cours du XVIIIe siècle une autre acceptation railleuse, pour se moquer d’un « novice un peu niais », d’un « morveux ». Toutefois, de nouvelles intentions pédagogiques apparaissent, le rapport au jeune change. De maillon d’une chaîne familiale, il est progressivement considéré comme un être à former. Selon J.J. Rousseau, l’enfant est fondamentalement bon, et la société doit se garder de le corrompre. Dans l’Emile, Rousseau propose que l’enfant soit éduqué comme un homme en vue de ses besoins, et non pour la commodité de ceux qui l’élèvent. Avec la mise en place de l’école obligatoire par Jules Ferry en 1882, la jeunesse, on ne parle pas encore d’adolescence, devient une période plus délimitée. La fréquentation de l’école communale constitue la fin de la scolarité primaire comme rupture symbolique, qui marque la fin de l’enfance et annonce l’entrée dans la jeunesse. Le même processus s’effectue avec la conscription qui marque l’entrée dans le monde adulte. 1 Ariès P. « L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime », Paris, Seuil, Points Histoire, 1975 1 Mais ce n’est véritablement qu’à la fin du XIXe siècle, au début du XXe que le mot adolescent apparaît dans le vocabulaire de nos sociétés occidentales, pour désigner des jeunes collégiens poursuivant leurs études et financièrement dépendants. C’est l’époque de la révolution industrielle et de l’apparition des lycées. Les enfants de la bourgeoisie sont strictement encadrés dans les lycées, alors que ceux des classes populaires sont destinés à fournir la main d’œuvre dans une société en pleine industrialisation. L’éducation n’est réservée qu’à ceux qui ont un rang à faire valoir : « Essentiellement scolaire, l’adolescence était donc essentiellement bourgeoise»2. Désormais, l’adolescence devient synonyme de danger, elle est dénoncée comme un véritable symptôme pathologique dont la puberté serait le facteur déclenchant. On se méfie de cette mutation qui rend l’individu dangereux pour lui-même et pour les autres. On enferme les jeunes bourgeois dans les internats afin de mieux les contrôler, les éduquer, car on a peur d’une « explosion de la sexualité », peur des « amitiés particulières » et des « pratiques masturbatoires ». Réunis par âge, ces garçons (qui seront rejoints par les filles que beaucoup plus tard) se créent des solidarités. Cet isolement facilitera leur identification comme groupe homogène et favorisera le développement d’une culture particulière qui en retour, renforcera l’idée d’un groupe à part. Des tribunaux pour enfants et adolescents sont créés en 1906 pour faire face à ce que les juges appellent une « criminalité adolescente effrayante ». On parle même de l’adolescence comme d’un âge criminogène. Partout, la discipline est de rigueur, sans aucune contrepartie sociale pour les adolescents auxquels on ne reconnaît aucun droit. Or, il n’en a pas toujours été ainsi. Ainsi, dans la société de l’Ancien Régime, c’est aux jeunes que revient la tâche de préparer les grands rendez-vous annuels : fête de la Saint Jean, fête de Mai où l’on plante un arbre devant la maison des filles vertueuses, les promettant ainsi au mariage dans l’année. Mission suprême, l’exécution du « charivari », qui est à la fois un défoulement de la jeunesse, et un refoulement par cette même jeunesse des déviations sociales, principalement sexuelles. Ce rôle des jeunes, dont il ne faut pas exagérer l’importance (le véritable pouvoir social reste entre les mains des adultes) méritait d’être signalé, de même que la plus grande tolérance des anciennes sociétés envers la violence juvénile. 2 Avanzini G. « L’échec scolaire », Paris, Editions Universitaires, 1967 2 Au motif qu’ « il faut bien que jeunesse se passe », on autorisait l’expression de certaines violences. Les actes prenaient valeurs de rites initiatiques, de moyens pour « éponger une énergie juvénile que l’on savait naturelle ». Sans légitimer certaines violences, dont certaines pouvaient être proprement criminelles (viol collectif), on peut penser que les sociétés traditionnelles avaient compris la nécessité d’accorder aux jeunes des espaces temps, afin qu’ils puissent libérer une violence intérieure dont il fallait absolument se débarrasser pour le bienêtre de la communauté toute entière. A la fin du XIXe siècle, l’adolescence devient donc une réalité sociale du fait de plusieurs facteurs : - Le développement de la scolarisation. De plus en plus d’enfants vont à l’école de plus en plus longtemps. La période qui précède la vie active s’allonge donc. - Les progrès de la médecine. Avec l’allongement de l’espérance de vie, l’âge de la maturité recule, laissant alors plus de temps à la jeunesse. - La fin progressive du travail des enfants, en parallèle du développement de la scolarité. a. Vers une théorie de l’adolescence La société cherche alors dans la théorisation de nouveaux remèdes aux problèmes posés par les jeunes, et notamment par la délinquance qui émerge avec la croissance des grandes métropoles. Cette demande de théorisation faite aux spécialistes signe le début de la médicalisation et de la « psychologisation » de l’adolescence. Elle conduira à assimiler l’adolescence à une période de développement spécifique, une étape de maturation psychophysiologique avant le passage à l’âge adulte. Les premiers travaux psychologiques portant sur l’adolescence sont dus aux américains W.H. Burnham (« The study of adolescence », 1891) et S. Hall (« Adolescence », 1904). En Europe, deux types d’ouvrages se développent à partir du début du siècle. Les premiers sont de types éducatif et pédagogique très moralistes (Baeteman « La formation de la jeune fille », 1922), les seconds sont de type scientifique et psychologique et prennent leur essor avec la publication en 1909 de l'ouvrage de P. Mendousse "« L’Ame de l’adolescent ». 3 A partir de 1935, les travaux de M. Debesse dominent les recherches françaises. C’est l’avènement d’une véritable pédagogie différentielle de l’adolescence avec l’individualisation de la « crise d’originalité juvénile »3. La psychanalyse est aussi sollicitée. Freud, pour sa part s’intéresse aux mutations psychologiques qui accompagnent la puberté (« Trois essais sur la théorie de la sexualité », 1905), mais n’évoque jamais la notion d’adolescence. Il faut attendre 1922, avec la publication par le psychanalyste anglo-saxon E. Jones et son article « Quelques problèmes de l’adolescence » pour que le terme adolescence supplante celui de puberté. En 1936, ultime étape avant la guerre, Anna Freud, dans « Le moi et le ça à la puberté et anxiété instinctuelle pendant la puberté » fait la jonction entre la puberté freudienne et l’adolescence. « Le XXe siècle introduit une révolution considérable dans les représentations de la jeunesse : pour la première fois, on pense celle-ci comme un processus et non plus comme une catégorie »4, mais en même temps, elle devient une « catégorie mobilisable investie de la charge de porter l’idéal de la société ». Le contrôle des adolescents se poursuit durant l’entre deux guerres. Les patronages et les mouvements de jeunesse, rattachés à des congrégations religieuses ou à des courants politiques, développeront des efforts d’encadrement et de formation, en postulant que la scolarité ne suffit pas et que la jeunesse a besoin de complément d’éducation religieuse ou politique. Dans ces projets solidaristes domine une volonté politique : il s’agit pour la République encore fragile de se garantir la loyauté et le civisme des jeunes. Après la seconde guerre mondiale, l’adolescent est toujours perçu comme un être ambigu, travaillé par l’affirmation de son identité sexuelle. Si à cette époque, l’adolescence reste synonyme de crise, les anthropologues remettent en question l’universalité de l’adolescence. Il faudra attendre les années soixante et le développement de la scolarité obligatoire (16 ans à partir de 1959) pour que cette adolescence qui n’était réservée qu’à quelques uns (les jeunes garçons de la bourgeoisie) devienne une adolescence pour tous (garçons et filles de tout milieu socioprofessionnel). A cette époque, la jeunesse devient une véritable idéologie, elle est alors érigée en valeur esthétique et sociale. 3 4 Debesse M. « La crise d’originalité juvénile », PUF, 1937 Galland O. « Sociologie de la jeunesse », Armand Colin, 1991 4 Traditionnellement, la jeunesse est plus ou moins bien acceptée selon les époques. La société voit en elle, tantôt une source d’énergie en période de guerre ou de révolution, tantôt une menace potentielle en temps de paix. Cet âge de la vie s’étend ensuite progressivement à l’ensemble de la société pour devenir le phénomène de masse qu’il est depuis la fin de la seconde guerre mondiale. On peut ainsi observer un mouvement de balancier au cours du XXe siècle : la jeunesse fait peur pendant la Belle Epoque (c’est par crainte de ses déviances que les députés ne voteront pas l’abolition de la peine de mort en 1908), l’entre-deux guerres et la période actuelle. Au contraire, la société fait l’éloge de la jeunesse en des temps plus troublés. b. Approche anthropologique L’adolescence est-elle universelle ? Pour les anthropologues, l’adolescence est une construction sociale et historique propre à l'Occident. L’anthropologie se fonde sur la remise en question de l’universalité et de l’homogénéité des mécanismes de l’adolescence : « Il est incontestable que selon les pays et les cultures, la durée de l’adolescence, les méthodes adoptées pour la socialisation de l’individu, les relations entre les adolescents et les adultes sont différentes »5. Si l’adolescence n’est pas une donnée universelle dans le temps (avant le XIXe siècle, l’histoire nous montre que l’enfant passait directement de l’enfance au monde adulte et qu’il participait aux travaux de la ferme dès qu’on estimait qu’il avait la force nécessaire pour réaliser ce travail), elle ne l’est pas non plus dans l’espace. Margaret Mead (1963), montre que dans certaines cultures, il n’y a pas d’adolescence. Elle en donne l’illustration en débarquant aux îles Samoa en Polynésie, afin d’entreprendre des recherches sur cette fameuse « crise de l’adolescence ». Elle livre ses conclusions en 1928, en publiant « Coming of age in Samoa (Adolescence à Samoa) ». Elle démontre que la jeune Samoane est fort différente de sa sœur Occidentale. Son adolescence n’est en aucune façon une période de crise et de tension, mais la meilleure période de sa vie. Elle note par exemple cette différence dans le domaine de la sexualité. Les jeunes des îles Samoa ont de multiples occasions de se familiariser avec la sexualité, depuis l’enfance, jusqu’à l’âge adulte : « Les rencontres sous les palmiers entre adolescents de deux sexes sont monnaie courante ». A l’inverse, en Occident, l’enfant est écarté de toute information sexuelle (du moins à cette époque). 5 Marcelli D., Braconnier A. « L’Adolescence aux mille visages », Odile Jacob, 1998 5 M. Mead a ainsi décrit une société dans laquelle l’adolescence n’apportait pas de changements brusques, mais une augmentation graduelle des responsabilités dont l’enfance avait déjà permis l’exploration et l’exercice. Elle avait observé qu’en étant habitués très jeunes à l’exercice des responsabilités sociales (mêmes modestes), les jeunes pubères, à l’issue de rites d’initiation accèdent tout naturellement aux responsabilités des adultes. L’âge auquel ces sociétés situent le passage de l’enfance à l’âge adulte, en général aux alentours de la puberté physiologique, varie, et les modalités de passage peuvent être plus ou moins complexes. Mais dans tous les cas, la transition est claire et se passe sans crise. Elle fait l’objet de rites plus ou moins élaborés et plus ou moins longs, selon les sociétés qui déterminent, un avant et un après, symbolisant l’acquisition d’un nouveau statut social. Dans ces sociétés traditionnelles, la croissance de l’individu est donc graduelle, elle suit un processus continu, alors que dans les sociétés occidentales, ce processus se caractérise par la discontinuité. Il existe donc un flou, dans nos sociétés modernes qui entoure l’entrée dans l’âge adulte contrairement aux sociétés traditionnelles où ce passage du monde de l’enfance au monde adulte est jalonné par trois rites majeurs. Selon A. Van Gennep, les rites de passage sont formalisés par trois rites constitutifs : les rites préliminaires, les rites liminaires et les rites post liminaires : - Les rites préliminaires sont un temps de sacralisation où se joue la mort symbolique de l’enfant. Selon les cultures, les formes théâtrales varient sensiblement, mais l’objectif reste le même : l’apprentissage de la séparation, à commencer par la plus radicale, se séparer de sa mère. - Les rites liminaires marquent l’initiation. Les novices sont reclus plus ou moins longtemps dans un lieu secret pour une sorte de longue gestation symbolique. Puis, les initiés transmettent aux jeunes une explication de leurs origines et une inscription dans leur culture propre. A l’issue de cette période, les jeunes, désormais initiés vont être marqués rituellement, à la fois pour imprimer l’identité sociale et sexuelle, permettre leur identification, mais aussi pour leur demander confirmation de leur nouveau statut. Les marquages rituels sont variés et nombreux suivant les peuples : circoncision, excision, tatouages, mutilations diverses… - Les rites post liminaires permettent la ré agrégation au groupe, en jouant la (re)naissance de l’adulte. ce temps fort marque la reconnaissance par l’ensemble de la communauté des nouveaux hommes et des nouvelles femmes. 6 « L’initiation met en général en scène quelque chose de l’ordre à la fois de la filiation et de l’alliance. La filiation c’est par exemple l’attribution d’un nouveau nom qui signe l’intégration du garçon ou de la fille au groupe… L’enjeu est toujours d’inscrire l’initié dans une succession et une histoire, qu’elles soient familiales ou mythiques »6. Ainsi, M. Mead démontre qu’il n’y a pas de crise d’adolescence dans les sociétés qui ignorent cet âge de la vie, ni dans celles qui ont inventé des moyens pour parer les possibles difficultés liées au passage de l’enfance à la puberté. Grâce aux rituels et autres cérémonies d’initiation qui les projetaient dans le monde des adultes, les sociétés primitives évitaient-elles aux garçons pubères plaintes et récriminations contre l’ordre social. L’adolescence serait-elle « une création sociale pure, à l’image de chaque société la produisant ? »7. En effet, comme nous l’avons vu précédemment, chaque peuple a ses procédures symboliques pour intégrer toute nouvelle génération dans la société. Ce sont ces règles qui définissent l’espace où l’on est reconnu par tous comme membre de la société. A ce titre, l’adolescence se définirait non pas comme une série de comportements associés à un âge donné, ni même un passage d’un statut à un autre, mais plutôt comme un « état » ou diverses procédures (individuelles ou collectives) peuvent s’inscrire en attendant un signe qui doit venir de l’extérieur. Si dans les sociétés traditionnelles, cette reconnaissance était prétexte à une manifestation rituelle de la communauté, elle demeure bien floue dans nos sociétés modernes. 6 Glowczewski B. « Relativité des modèles culturels et de la transgression » in « Adolescence et risque », Paris, Syros, 1993 7 Thiercé A. « Histoire de l’adolescence 1850-1914 », Belin 1999 7