Rapport de mission n°1

Transcription

Rapport de mission n°1
François
Enseignant et bibliothécaire
au Petit Séminaire Saint Aloys
Ruganda – Cyangugu – Rwanda
91 boulevard Auguste Blanqui
75013 Paris - France
Tél.: +33 (0)1 58 10 74 80
Courriel : [email protected]
www.fidesco.fr
Date : Novembre 2014
Rapport de mission n°1
Tambours de la fête du Petit Séminaire Saint Aloys
Chers amis, parrains de ma mission, et vous tous qui lisez ce rapport,
Grâce à vous, grâce à mes formateurs au Séminaire de Paris, grâce à
l’équipe Fidesco, grâce aux conseils, aux encouragements, au soutien et à la
générosité des uns et des autres me voici désormais à vivre en terre rwandaise.
Parti le 1er septembre en compagnie de mon binôme de mission, JeanBaptiste, nous avons atterri à Kigali, la capitale, où nous avons été accueillis
par les volontaires Fidesco de la ville, Timothée et Jérémie. Là nous avons
effectué les démarches administratives préalables et profité de ces premiers
jours pour nous familiariser avec l’environnement de la capitale, son quartier
d’affaires en expansion, ses rues bondées et leurs marchands ambulants, son
agitation de jour comme de nuit et son assemblage de quartiers humbles ou
fastes. Nous avons également visité le Centre Rugamba, centre d’accueil des
enfants des rues où travaillent Timothée et Jérémie.
Après ces quelques jours d’acclimatation nous rejoignions enfin notre
véritable lieu de mission : le Petit Séminaire Saint Aloys, situé au Sud-Ouest
du pays, dans le district de Rusizi (anciennement Cyangugu), en surplomb du
Lac Kivu, au niveau de Kamembe. Le Lac Kivu borde le côté occidental du
Rwanda et constitue l’empreinte visible du Rift africain. Il s’agit donc d’une
région accidentée par une multitude d’élévations qui ont valu au Rwanda son
surnom de pays des mille collines. Cette particularité géologique (une secousse
sismique, la première ressentie depuis mon arrivée, fait frémir mon bureau au
moment même où j’écris ces mots), cette particularité géologique, donc, donne
au pays tout son charme, tout en rendant la circulation à travers le pays bien
malaisée. Pour franchir les 280 km qui séparent Kamembe de Kigali, il faut
emprunter le réseau des routes nationales, bien entretenues mais sinueuses et
indirectes, ce qui porte la durée du voyage à 6 heures de bus. Arrivé à
Kamembe, on rejoint le petit séminaire en montant une route jusqu’au sommet
d’une colline. Là, près du village de Ruganda, le petit séminaire domine le lac et
la vue se porte jusqu’à la ville congolaise de Bukavu, installée sur les gradins du
cirque de montagnes et contemplant le lac qui s’étale vers le Nord, entre Congo
et Rwanda.
Le Petit Séminaire Saint Aloys (c’est-à-dire Saint Louis de Gonzague)
accueille environ 250 élèves qui y suivent leur scolarité secondaire en tant que
pensionnaires dans une vie de prière et de liens fraternels. Le lieu se présente
comme une vaste propriété forestière et agricole au cœur de laquelle se distribue
un ensemble de bâtiments édifiés les uns après les autres depuis la fondation
en 1997, le plus récent d’entre eux n’étant pas achevé. On y trouve d’abord une
chapelle, des salles de classe, un réfectoire, des dortoirs, une salle des fêtes, des
bureaux, des logements et une ferme. Un véritable village, qui vit
essentiellement de sa production en légumes, en fruits et en bois.
Effervescence au petit séminaire le jour du départ en vacances
Hyacinthe et Longin au jour de leur départ
Dans ce village, on rencontre chaque jour de nombreux habitants. À
commencer par les séminaristes (les élèves). Ils ont entre 12 et 20 ans et sont
répartis en huit classes de la 1ère année (équivalent de notre 5ème) à la 6ème
année (équivalent de notre Terminale), avec par conséquent deux classes par
niveau pour les 1ère et 2ème années. Niveau après niveau, le nombre d’élèves
diminue dans les classes. Il faut dire que le niveau scolaire est exigent et que les
petits séminaires ont une grande réputation dans le pays, en particulier le Petit
Séminaire Saint Aloys. Depuis mon arrivée, les élèves ont participé à deux
concours et ont chaque fois échu sur le podium. Une telle exigence scolaire
permet à ceux qui entreront au grand séminaire pour devenir prêtres de suivre
plus aisément les études correspondantes (philosophie, latin, grec, hébreu,
histoire, etc.) et à ceux qui opteront pour une autre vocation d’exceller dans
leur domaine. À côté des études qui constituent une grande partie de l’activité
quotidienne, les séminaristes rythment leurs journées de temps de prière, de
repas, de sport et de détente (notamment le film du samedi soir). Le lever est à
5h30 (attention : équivalent de nos 6h30 de l’heure d’hiver) et l’extinction des
feux à 22h (équivalent de nos 23h). De grosses journées, mais que les
séminaristes semblent accomplir sans difficulté, et même parfois en sautant le
déjeuner (c’est-à-dire le petit déjeuner). Les jours ressemblent d’ailleurs
beaucoup les uns aux autres car, vivant à l’équateur, le soleil n’a de cesse de
dérouler sa course aux mêmes heures jour après jour. Vous imaginez bien que
dans ces conditions il est difficile de se représenter l’avancée de l’année : pas de
solstices, pas d’hiver ni d’été. Cependant, pour notre consolation, des saisons
d’un autre type que celles de nos contrées viennent combler cette lacune :
saisons sèches et saisons pluvieuses se partagent le cours de l’année et
mouillent actuellement nos petits pieds dans une atmosphère rafraîchie pour
nous simuler l’automne européen (quand ne tombent pas des trombes d’eau et
de grêle qui nous dépaysent pour de bon).
Dans notre petit village, il y a donc les séminaristes, mais aussi les prêtres
qui les accompagnent. Au nombre de quatre, ils se nomment Padiri Jean
Damascène (recteur), Padiri Emmanuel (économe : gestion matérielle), Padiri
Benjamin (père spirituel : accompagnement spirituel) et Padiri Ernest
(directeur des études). « Padiri » est la transcription de « Père », c’est le titre
donné aux prêtres au Rwanda. À ces quatre prêtres sont associés des
séminaristes (issus du grand séminaire) en stage pastoral. Jusqu’à fin
septembre, ils étaient au nombre de deux : Hyacinthe et Longin, que j’ai eu
grande joie à connaître. Hyacinthe était chargé de la supervision des travaux
agricoles. Il a été relayé dans cette fonction par mon binôme Jean-Baptiste.
Quant à Longin, il était à la fois préfet de discipline et professeur, tâche pour
laquelle je prends sa suite. Depuis le départ de Hyacinthe et Longin, Ubald est
venu les remplacer. Et il s’avère un vrai camarade pour moi. Il a pris la suite de
Longin comme préfet de discipline. Du fait de ce rôle il accompagne les
séminaristes au long de leur journée pour veiller sur eux.
Veillée festive : saynètes et chants
Dans le petit village, il y a aussi les professeurs. Au nombre de neuf, ils
assurent avec les prêtres l’ensemble des enseignements au programme du
secondaire. Ils passent leur journée sur place et rentrent chez eux le soir. Avec
eux il y a aussi tout le personnel qui assure la cuisine (Basile et Josiane), la
lessive (Jeanne), le ménage (Jeannette), ainsi que les éleveurs, les agricultrices
et, last but not least, le gardien Canisius. Ce dernier, comme la plupart des
employés, ne parle que le kinyarwanda, langue nationale et traditionnelle. Il
m’est donc indispensable d’enrichir chaque jour mon vocabulaire pour pouvoir
tenir une conversation à peu près intéressante avec eux. Sinon, à défaut
d’inspiration, on utilise les locutions basiques : waramutse (salut matinal),
wiriwe (salut de l’après-midi) et urakoze (merci). Je vous laisse les apprendre
d’ici notre prochaine leçon (mon second rapport, en mars).
Mais cette digression me fait omettre un contingent indispensable de notre
cher petit village : les sœurs. Oui car nous avons la chance d’avoir à deux pas
une petite communauté de trois religieuses qui ont pour nom Marie Godeline,
Marie Constance et Marie Théopiste. Nous les côtoyons chaque jour car elles
exercent leur charisme au service du petit séminaire. En plus des sœurs, il y a
depuis peu deux habitants de plus à compter dans le village : ce sont deux
blancs venus servir comme volontaires Fidesco. Vous les avez reconnus…
L’accueil au petit séminaire a été excellent. Nous sommes rapidement
devenus comme des membres de la famille auprès des prêtres dont nous
partageons chaque jour la table et du personnel avec qui nous échangeons
souvent quelques paroles. Dès notre arrivée, nous avons été intégrés grâce à la
fête du petit séminaire, au cours de laquelle nous avons pu voir les talents des
élèves (chant, saynètes, quizz) et l’art de la festivité rwandaise. Je dis art et c’est
mérité car la fête obéit au Rwanda à un véritable doigté. Un maître de
cérémonie, désigné à l’avance, présente chaque personne et donne la parole à
l’un puis à l’autre. S’enchaînent alors une série de discours se répondant les
uns les autres et dans lesquels se manifeste un certain génie rhétorique. C’est
juste après la grande fête du petit séminaire que j’ai écopé de ma pire maladie
depuis mon arrivée. Il faut veiller à ce que l’on mange quand on quitte sa terre
natale ! Ce fut une soirée abominable, et pourtant… Perdant mes forces d’heure
en heure, je me demandais s’il resterait de moi quelque chose une fois passée la
nuit. Et incapable de faire quelque activité que ce soit, je tâchai de prier, seule
consolation. Une nuit inquiète s’en suivit. Mais au matin… le mal était parti. Et
tout s’en était allé comme un mauvais rêve. Il ne restait plus qu’un sourire sur
mes lèvres au souvenir de mes vains atermoiements.
Avant que ne s’en aillent Hyacinthe et Longin, j’ai eu l’occasion de
m’entretenir avec ce dernier. Ici il me faut préciser qu’avant de quitter la France
j’avais appris le contenu exact de ma mission. Non seulement j’étais invité à
donner des cours de français, mais il m’était également demandé d’enseigner
le latin et la philosophie, ainsi que d’assurer la gestion de la bibliothèque.
Grâce à Longin j’ai donc pris connaissance des programmes de français et de
latin. Ce sont ses heures d’enseignement que je reprends. Quant à la
philosophie, elle n’est enseignée ici que depuis l’année passée. Je me baserai
donc pour cette matière sur le programme établi par mon prédécesseur ainsi
que sur les pistes données par un de mes professeurs au Séminaire de Paris.
Pour le moment, les cours ne sont pas commencés car la rentrée des écoles
a lieu en janvier. Je suis donc en phase de préparation des cours et d’entretien
de la bibliothèque. J’ai eu l’opportunité de voir vivre les séminaristes jusqu’à
leur départ en grandes vacances. Les derniers, les élèves de 3ème et 6ème années
sont partis il y a peu pour passer leur examen de fin de cycle (équivalent du
Brevet et du Baccalauréat).
Mais peut-être souhaiteriez-vous en savoir plus sur les disciplines que je
serai amené à enseigner. Le français d’abord. Il faut savoir qu’il s’agit de l’une
des trois langues officielles du pays. Derrière le kinyarwanda, le français est
au coude à coude avec l’anglais. Enseigné depuis longtemps dans les écoles, le
français est très présent dans le vocabulaire importé en kinyarwanda ainsi que
dans la vie de l’Église. Cependant le français a été délaissé il y a environ dix ans
au profit de l’anglais. Toute une génération ignore donc le français. Mais au
petit séminaire on apprend les deux langues, français et anglais, ce qui donne
l’occasion aux élèves de découvrir tout un pan de culture qui sans cela ne leur
serait pas accessible. À partir du français, ce sont les portes de la littérature, de
la documentation et des textes chrétiens qui leur sont ouvertes. De fait les
ouvrages en kinyarwanda sont encore peu nombreux. Par ailleurs, le français
est une langue pratiquée par les pays voisins tels le Burundi et le Congo. Pour
le latin, il s’agit d’une langue d’Église. Langue riche et labile, le latin est utile
pour la structuration de la pensée et donne accès à un riche trésor littéraire.
Quant à la philosophie, il s’agit indubitablement d’un tremplin pour
l’épanouissement d’une pensée et d’une personnalité encore adolescentes. C’est
là que l’on découvre l’ampleur de ses facultés intellectuelles et l’inextinguible
soif de vérité inscrite au fond de nous-mêmes.
En parallèle de ces cours à venir, je m’occupe également de la bibliothèque.
Une bibliothèque nouvelle et pourtant déjà bien constituée, avec des romans,
des manuels scolaires, des livres chrétiens, de la documentation, des revues et
autres archives. Tout cela occupant un ensemble de cinq grandes étagères. Mais
n’ayant eu jusque-là qu’un bibliothécaire bien occupé, elle n’est pas encore tout
à fait classée. Il me revient donc de disposer les livres et de les enregistrer sur
un registre informatique. Tout récemment, j’ai aussi dû vider l’une des étagères
de ses livres en vue de la faire redresser. J’ai été aidé pour cette besogne par
une équipe de quelques séminaristes qui ont en même temps tâché de classer
les bouquins qu’ils retiraient.
Même si mes cours n’ont pas débuté pour le moment, j’ai malgré tout eu
l’occasion de m’essayer face aux élèves. C’était un jour que j’étais venu assister
Avant
Après
aux cours afin d’avoir un aperçu du déroulement des séances. Entre deux cours
je fus harponné par quelques élèves dont le professeur était absent et qui me
suppliaient de leur donner une leçon. Ébahi par une telle soif d’apprendre, je
cédai à leur requête. Et me voilà dispensant un cours de latin improvisé devant
une classe toute ouïe et toute curieuse de voir s’exécuter le grand séminariste
blanc. J’eus alors l’idée de leur demander tour à tour leurs prénoms afin d’en
mettre à jour les racines latines. Car au Rwanda les gens portent chacun deux
noms. Le premier est un nom kinyarwanda dont la signification a souvent une
coloration très pieuse. Ce sont Habimana, Cyuzuzo, Muhire, Musenge,
Ntakirutimana, etc. Le second nom est celui d’un saint, donc quasi toujours un
prénom européen, mais d’un certain style : Eugène, Paterne, Maurice,
Dieudonné, Janvier, etc. Ces deux noms sont donnés par les parents, et ce sans
référence aux noms de la famille. Une autre occasion d’enseigner, un peu
différente, m’a été donnée un soir où les séminaristes n’avaient pas de film à
regarder. Je leur présentai alors Spiderman, que je pris soin de commenter de
bout en bout eu égard au décalage culturel.
Depuis le départ des séminaristes, les lieux n’ont jamais été aussi calmes.
J’en ai donc profité pour vous écrire ces quelques mots. Je vous confie à
l’intercession de la Mère du Verbe. C’est là le nom sous lequel la Vierge Marie
s’est fait reconnaître des jeunes filles auxquelles elle est apparue en 1981 ici au
Rwanda, dans la bourgade de Kibeho.
À mon tour je me confie à vos prières, invitant ceux qui ne l’auraient pas encore
fait à contribuer dans la mesure de leurs ressources à soutenir les volontaires
Fidesco qui œuvrent à travers le monde. Ils mettent leurs compétences au
service du développement, que ce soit en dispensant des soins médicaux, en
accueillant les orphelins, les personnes seules ou abandonnées, les personnes
handicapées, en assurant la gestion d’œuvres d’intérêt public, en orientant la
production agricole, en mettant en œuvre des projets d’ingénierie pour
l’adduction d’eau en brousse, etc. Autant de lieux qui sans la générosité de vos
dons ne peuvent bénéficier de l’action des 150 volontaires actuellement en
mission. Car Fidesco vit à 80% de dons. En parrainant ma mission, vous
pourrez donc soutenir Fidesco tout en accompagnant ma mission au fil des
rapports que je vous enverrai chaque trimestre.
Merci d’avoir pris la peine de me lire. Et merci du fond du cœur à tous mes
parrains. À dans trois mois pour la suite des aventures !