Télévision connectée : l`heure de la convergence a-t

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Télévision connectée : l`heure de la convergence a-t
Actualité tribune
Télévision connectée :
l’heure de la convergence a-t-elle
vraiment sonné ?
T
raditionnellement, il a toujours été procédé
à une distinction entre le support télévisuel
et internet. Les rapprochements réalisés
entre ces deux supports n’ont jamais conduit,
même jusqu’à récemment, à une réelle convergence de ces deux médias. Le support internet
était ainsi pensé comme une offre accessoire au
support linéaire de la télévision classique, mettant
à la disposition du téléspectateur une plus grande
souplesse dans la réception des programmes,
notamment par l’intermédiaire des services non
linéaires tels que des SMAD (Services de médias
audiovisuels à la demande).
L’apparition des télévisions connectées et l’engouement du public pour cette nouvelle technologie
de diffusion des contenus semblent annoncer
aujourd’hui la possibilité d’une véritable convergence de ces deux médias. Connectées directement
à internet (par Wifi ou par un port ethernet) ou
indirectement à l’aide d’un boîtier (consoles de
jeux…), les télévisions connectées représentent
une nouvelle source de contenus externes sur
le flux vidéo des chaînes de télévision, faisant
ainsi cohabiter sur un même support des services
audiovisuels régulés, mais aussi des services non
régulés accessibles sur internet.
Face aux possibilités illimitées offertes par la télévision connectée (navigation, publicité, interactivité)
et notamment la liberté de faire apparaître sur
l’écran des messages en surimpression comme
sur un écran d’ordinateur, il apparaît nécessaire
de mettre en place des mesures pour limiter les
comportements anticoncurrentiels entre éditeurs
de chaînes TV et les comportements pouvant nuire
de manière générale au téléspectateur et aux droits
des auteurs des contenus. Ceci n’a pas échappé aux
différents acteurs qui sont à l’origine de plusieurs
initiatives récentes.
Corinne Thiérache
Avocat
au Barreau de Paris
et Associé
Carbonnier Lamaze
Rasle & associés*
Carole Bui
Avocat
au Barreau de Paris
Carbonnier Lamaze
Rasle & associés
Un contrôle de l’écran
trop restrictif ne doit
pas mettre à mal les
promesses d’interactivité
faites à l’utilisateur
dans le cadre de la
télévision connectée.
Cela sonnerait la fin de
toute perspective de
développement et de
réelle convergence.
autres matériels vidéo connectés (1). Cette charte
souligne la nécessité d’une concertation entre
les éditeurs et les constructeurs de télévision et
autres matériels vidéo, notamment par le biais de
l’adoption d’une « norme technique harmonisée »
qui permettra de consacrer des principes généraux
de navigation communs à tous les téléviseurs et
autres matériels vidéo. Loin de l’interactivité sans
limite promise au téléspectateur, les éditeurs TV
sont convenus de conserver le contrôle total et
exclusif de l’écran, en particulier sur les contenus et
les services affichés en surimpression ou autour de
leurs programmes diffusés. Les signataires partent
du postulat qu’ils sont des acteurs traditionnels
déjà sensibilisés aux contraintes réglementaires
en vigueur et naturellement susceptibles de garantir la conformité des contenus affichés avec les
conventions et cahiers des charges préexistants
les liant aux ayants droit dont les œuvres sont
diffusées sur les chaînes.
De son côté, le Groupement des éditeurs de services en ligne (GESTE) et le CSA ont respectivement
mené des réflexions, les 8 et 28 avril 2011 sur
l’avenir des télévisions connectées, auxquelles ont
participé des acteurs issus du monde traditionnel
de la télévision mais également de la nouvelle
économie. De nombreuses interrogations ont été
soulevées, avec peu de réponses en définitive,
tant le sujet recèle d’incertitudes, et pas seulement juridiques, ne serait-ce qu’au regard de la
multiplicité des offres et approches des différents
acteurs (2).
Ainsi les principaux éditeurs de chaînes de télévision en France ont
signé une charte le 19 octobre 2010 sur les modalités d’affichage
des contenus et services en ligne sur les télévisions connectées et
Ces réflexions, riches en échanges, faisaient elles-mêmes suite à une récente intervention du
ministre de la Culture, à l’occasion du MIPTV à Cannes, résumant la situation de la manière suivante :
« Ces terminaux opèrent une liaison nouvelle entre
le monde de la télévision et celui de l’internet, encadrés par des
réglementations différentes. Leur impact sur l’économie du secteur audiovisuel et sur les modes de consommation de l’image
est une source d’inquiétudes, même s’ils sont aussi synonymes
d’opportunités. » (3)
* Préside le groupe de travail juridique dans le cadre de la Commission “Audiovisuel et nouveaux médias” du GESTE.
1. http://ecrans.fr/IMG/pdf/charte_version_fra.pdf
2. http://www.geste.fr/
3. http://lexpansion.lexpress.fr/high-tech/frederic-mitterrand-lance-une-mission-sur-la-tv-connectee_251786.html - Dans la droite ligne de ces décla-
LÉGIPRESSE n° 283 - Mai 2011 265
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Ainsi, le contrôle de l’écran est devenu un véritable enjeu,
non seulement pour les acteurs du marché mais également
pour les autorités régulatrices (CSA, ARCEP, ARPP, CNN…) dont les
compétences concurrentes risquent de poser des difficultés
dans un contexte d’application distributive des règles des
différents services proposés dans le cadre de la télévision
connectée. Par ailleurs, on peut anticiper le fait que cette
même application distributive des règles ne sera pas sans
poser problème s’agissant, en particulier, à la fois d’un risque
de distorsion de la concurrence et du contrôle de l’écran. Cette
application se heurte en effet au vide juridique concernant le
contrôle des surimpressions dans certains services (services
de communications électroniques) et au caractère inadapté
des dispositions existantes (régime allégé de responsabilité
de l’hébergeur incompatible avec le principe de contrôle total
et exclusif de l’écran par les éditeurs prévu dans le Charte du
19 octobre 2010).
Bien que quelques règles aient été posées spécifiquement pour
les services de médias audiovisuels à la demande, notamment à
travers le décret n° 2010-1379 du 12 novembre 2010, il semble
nécessaire de faire application par analogie de celles existantes
encadrant la diffusion traditionnelle de contenus télévisuels. Il
conviendra toutefois d’adapter ces règles, afin de prendre en
compte l’effacement des frontières entre les supports, conformément au principe de neutralité technologique.
Malgré de nombreuses incertitudes, il convient d’appréhender
ce contrôle de l’écran sous trois objectifs principaux.
Tout d’abord, ce contrôle de l’écran devra s’assurer, en appliquant aux services non régulés a minima les règles encadrant
d’ores et déjà la diffusion de contenus télévisuels qui ont fait
leur preuve, de la conformité des surimpressions à caractère
publicitaire à la réglementation en vigueur (réglementation
sectorielle). En effet, ces messages publicitaires constitueront la
majeure partie des messages en surimpression sur l’écran. Les
possibilités techniques offertes en matière de publicité sur les
télévisions connectées empruntées à internet et notamment les
différents formats possibles (bannières, pop up, publicité audio
vidéo) laissent une marge de manœuvre importante aux annonceurs s’agissant de l’occupation de l’écran. Les nombreuses
dérives liées aux pratiques publicitaires constatées ces dernières
années sur internet ne doivent pas migrer sur la télévision
connectée. Il semble donc intéressant de faire application des
règles relatives à la publicité sur écran partagé ou technique
du « split screen », ou encore à la publicité interactive abordées
notamment par une communication interprétative du 28 avril
2004 de la Commission européenne, qui envisageait dès cette
époque des éléments de séparation sonores, optiques voire
spatiaux entre partie éditoriale et publicité, annonçant ainsi
la Directive SMA du 11 décembre 2007.
rations, Éric Besson a annoncé le 28 avril 2011, le lancement d’une mission,
menée conjointement avec le ministère de la Culture, ayant pour but d’établir
un bilan des opportunités et des risques liés au développement des télévisions
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Un second objectif sera de veiller à l’absence d’atteinte à l’intégrité
de l’œuvre par ces surimpressions. Se pose ici la question du
droit moral de l’auteur. Cette problématique sera certainement
accrue dans le cadre de la télévision connectée compte tenu
de la multiplication des incrustations en surimpression dans
les écrans (incrustations classiques de logo, widgets, applications dédiées, messages publicitaires, écran partagé). Dans le
secteur traditionnel de l’audiovisuel, la question du respect de
l’intégrité de l’œuvre a été débattue à plusieurs reprises devant
les tribunaux. Les juges ont de manière constante fait primer le
droit moral des auteurs et notamment le droit à l’intégrité de
l’œuvre sur les modalités techniques d’affichage employées par
les éditeurs de chaînes de télévision (4). Il paraît donc essentiel,
afin d’anticiper sur les éventuelles atteintes au respect de l’intégrité de l’œuvre qui sera diffusée via la télévision connectée,
d’encadrer en amont le droit moral de son auteur. Toutefois, ces
précautions d’ordre contractuel ne seront pas suffisantes. Il sera
nécessaire, encore une fois par le biais du contrôle de l’écran, de
s’assurer que les surimpressions ne dénaturent pas l’œuvre ou ne
sont pas contraires à l’esprit de cette dernière. Enfin, la migration
des contenus d’internet sur la télévision rendra nécessaire une
plus grande vigilance des éditeurs de chaînes de télévision
notamment s’agissant de la vérification de la chaîne des droits
et de l’autorisation de diffusion sur le support télévisuel.
Un troisième objectif du contrôle sera d’empêcher tout comportement anticoncurrentiel. Afin de garantir une concurrence
saine entre les éditeurs de chaînes de télévision, il conviendra
de veiller à l’absence d’utilisation de messages en surimpression
par une chaîne concurrente aux fins d’inciter, par exemple, le
téléspectateur à changer de programmes.
Pour le moment, force est de constater que la convergence telle
qu’idéalisée et promise n’est pas encore vraiment au rendezvous. Le contrôle de l’écran reste nécessaire afin d’encourager
le développement de la télévision connectée, notamment pour
conforter la confiance du téléspectateur dans l’utilisation de cette
nouvelle technologie de diffusion des contenus. Les éditeurs
de chaînes de télévision ont été les premiers à franchir le pas
dans l’autorégulation afin de continuer à assurer un contrôle
exclusif et total de l’écran. Les constructeurs de télévision et
de matériels vidéo, par leur influence technique, doivent faire
partie intégrante de ce contrôle. Il serait également possible
d’aller plus loin dans l’autorégulation par un rapprochement
avec d’autres acteurs du marché tels que les annonceurs et
autres acteurs de la publicité, et plus généralement tous les
acteurs de la nouvelle économie.
Cependant, un contrôle de l’écran trop restrictif ne doit pas mettre
à mal les promesses d’interactivité faites à l’utilisateur dans le cadre
de la télévision connectée. Cela sonnerait la fin de toute perspective
de développement et de réelle convergence.
C. T. et C. B.
connectées, et notamment l’enjeu en terme de réglementation des médias.
4. CA Paris, 25 octobre 1989 : Affaire La Cinq c/ Marchand - CA Paris, 14 mars
2003 : Affaire MD Productions c/M. Le Friand.