Le lapin Jean-Marc Pognon sonnait au portail. Depuis la fenêtre, il
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Le lapin Jean-Marc Pognon sonnait au portail. Depuis la fenêtre, il
Le lapin Avec Sylvie on a passé l’après-midi à chercher une solution pour la chienne. L’attacher ? Hors de question ; la confier à ma mère ? Impossible, elle passerait son temps à terroriser les poules. Jean-Marc Pognon sonnait au portail. Depuis la fenêtre, il avait l’air tellement furax qu’on croyait voir de la fumée lui sortir des nasaux. Après diner, on a continué à cogiter en sirotant un dernier verre de vin. Myrtille était couchée dans son panier, elle nous regardait sans bruit avec ses petits yeux humides. On s’est regardé avec Sylvie, elle m’a dit « ah non, cette fois c’est ton tour.» « La nuit porte conseil » a soufflé Sylvie en montant se coucher. J’ai claqué la porte et dés qu’il m’a eu dans son champ de vision, Pognon s’est mis à agiter la pantoufle qu’il tenait dans sa main. Le lendemain matin, une odeur de clope et de café flottait dans l’air. Quand je suis entré dans la cuisine le toaster a expulsé 2 tranches de pain carbonisées. « Vous savez ce que c’est ça ? — C’est une mule monsieur Pognon. —Ne me prenez pas pour un con Moulinet… Cette fois je l’ai retrouvée devant votre portail. Alors que ce soit bien clair. Si je vois encore votre chien fourrager sur ma terrasse ce sera le feu nucléaire, vous m’entendez Moulinet, le feu nucléaire. » Pognon et moi, on est voisin mais pas seulement, on bosse tous les deux chez Agromiam, un mastodonte de l’agroalimentaire. Chez Agromiam, Pognon a le bras long et au moindre accroc t’est bon pour passer le reste de ta vie à étiqueter des barquettes de chipolatas en trois-huit. On a beurré nos tartines en silence pendant que la radio jactait sa litanie d’infos. Dans le Jura, un père de famille employé de la Poste avait zigouillé son supérieur et trois de ses collègues à coups de revolver avant de mettre fin à ses jours. Y’a bien des gens qu’on a envie de dessouder, mais de là à franchir le pas, c’est une autre histoire. Pognon par exemple, dans ma tête je me fais mon petit cinéma, je me verrais bien l’emballer dans un colis Agromiam, le mettre sur palette et l’expédier à l’autre bout du monde. Mais tout de même, ça reste un fantasme, encore que. Vers 10 heures, la chienne a filé prendre sa place sur la banquette arrière de la Twingo. « Rentrez pas trop tard » a dit Sylvie en 1 tapotant sur le cadran de sa montre. On a roulé en direction du port de plaisance pour prendre un bol d’air en regardant les bateaux. Là-bas, un type faisait la sieste sur le pont d’une péniche. C’était peut-être ça le paradis, une maison sur l’eau. En cas de pépin on pourrait toujours filer vers une autre ville, un autre port. Il suffirait juste de lever les amarres en abandonnant la routine sur le quai comme une vieille valise. En reprenant le chemin du parking, la chienne m’a dépassé puis je l’ai perdue de vue. Un pêcheur, hilare, a pointé son doigt vers les platanes du parking « par là m’sieur ». Myrtille avait filé mais elle connaissait le chemin de la maison. Sur la route, j’ai croisé le monospace rouge des Pognon qui quittait le quartier. Lui, sa bourgeoise et ses deux mouflets en train de grimacer à travers la vitre de la portière. J’eu à peine le temps de m’étirer sur le bain de soleil, que déjà, j’entendais Myrtille fureter sous les thuyas. Quand elle s’est approchée de moi, j’ai d’abord cru qu’elle trainait dans sa gueule une chaussette, ou la peluche d’un môme. Avec Sylvie, on y a regardé de plus prés et quand on a reconnu le lapin nain des Pognon j’ai compris que c’était le début des emmerdes. D’un coup j’ai vu rouge, et la chienne s’est mise à couiner en évitant une poignée d’Apericubes. « Bruno, c’est qu’une bête ! » a hurlé Sylvie en m’agrippant par le bras. Sonné, j’ai laissé Myrtille disparaître sous la haie et je me suis écroulé sur la pelouse. J’essayais de faire le clair dans mon esprit mais le mot « emmerdes » s’affichait partout autour de moi. Sylvie me regardait, le lapin crevé entre les mains. « Qu’est ce qu’on va faire Bruno ? » À la maison, Sylvie s’était installée dans le petit jardin, elle clopait assise sur un transat. J’ai d’abord pensé « nos valises » puis j’ai opté pour « on va trouver une solution ». « Où est la chienne ? La bête tenait presque dans le creux de mes mains, c’était comme une chiffe molle et douce, le pelage n’était pas taché, juste un peu poussiéreux et humide. _ En vadrouille ma chérie, et on s’en fout, les Pognon sont partis pour le week-end. » 2 J’en menais pas large quand j’ai refermé la porte du congélateur. Un lapin mort au milieu des paquets de cordon bleu et des pizzas surgelés c’était pas très ragoutant mais il fallait bien temporiser le temps de trouver une solution. gros cube grillagé d’1 mètre sur 1 mètre abrité par un auvent. À l’intérieur, une caisse de bois était posée sur un lit de paille moisie. Dans le mille, à peine arrivé, j’avais déjà découvert la planque du rongeur. Les Pognon partaient à Honfleur pour le week-end et ils ne seraient pas de retour avant le lendemain. J’avais un plan. Au milieu de la nuit, je me pointerai en douce dans leur jardin à la recherche du clapier et j’y déposerai Jojo lapin. Infarctus, coup de chaud, méningite foudroyante ou je ne sais quoi, quand ils le retrouveraient raide sur sa paillasse ils se feraient bien une raison. La porte n’était pas fermée, pas étonnant que Myrtille lui ai fait sa fête. Je passais mon bras à l’intérieur, il n’y avait rien sous la caisse à part l’odeur un peu âcre qui émanait de la litière. Je plaçais la bestiole dans un de nid de paille, l’illusion était convenable, puis je refermais la porte du clapier avec le sentiment du devoir accompli. À 01h30 du matin, y’avait pas un péquin dans la rue, juste un filet de vent et un couple de chats qui rasait les murs. Je me suis avancé doucement jusque chez les Pognon. Le lapin ne pesait pas lourd dans le sac à dos. De retour à la maison, Sylvie m’attendait dans le lit, les deux mains serrées autour d’une tasse de tisane bonne nuit. Leur portail était fermé mais le muret n’était pas très haut et j’eus vite fait d’enjamber la barrière blanche qui longeait la propriété. J’ai dit oui en hochant la tête. Le clair de lune découvrait une allée en gravier qui contournait la villa. Elle menait à une large terrasse couverte. Chez les Pognon, même de nuit, tout paraissait propre et bien rangé. Sur la pelouse, je découvrais une aire de jeux pour les mômes avec cabane en bois, toboggan et balançoire. Je continuais le tour du propriétaire en baladant le rond de lumière de ma lampe de poche. Derrière la cabane des gosses, je tombai sur une sorte de « C’est fait ? » Avant de filer sous la couette, j’ai passé 20 bonnes minutes sous une douche brulante, j’avais l’impression de trainer de vieux relents de viande faisandée. Quand le réveil a sonné, Sylvie babillait à côté de moi, je l’entendais marmonner « peau de lapin, peau de lapin » puis elle s’est mise à ronfloter doucement. J’ai reniflé mes mains, mais ça sentait juste le gel douche à la papaye. 3 Le lendemain, je suis arrivé chez Agromiam sans rien dans le ventre et comme j’étais en avance, j’ai fumé une clope avec Paulo sur le parking en attendant d’aller pointer. En sortant du vestiaire, j’ai pris le couloir pour rejoindre mon poste prés de la plateforme d’expédition. « Moulinet ! » Quand j’ai écarquillé les yeux, c’est bien Pognon qu’était à l’autre bout du couloir. Il venait me cueillir à la fraîche. Ma supercherie n’avait pas du le tromper bien longtemps. confectionné une belle sépulture avec des petits cailloux blanc, vous auriez vu ça Moulinet… Le lendemain, pour leur changer un peu les idées on est tous partis à Honfleur…À notre retour…Vous ne devinerez jamais Moulinet…Vous ne devinerez jamais où les mômes ont retrouvé leur lapin. » L’air pâle et fatigué sous son bronzage, il s’est approché de moi et m’a fixé sans rien dire. « Vous allez bien Monsieur Pognon ? » Il n’y eu pas de réponse, juste un long silence pendant que mon estomac se nouait comme ces baudruches qu’on transforme en petits chiens pour amuser les enfants. Alors, contre toute attente, Jean-Marc Pognon prit une petite voix, une toute petite voix. « Moulinet…il y a trois jours on a enterré Polichinelle au fond du jardin…C’était le lapin des enfants et la pauvre bête était plus toute jeune. Les garçons on fait une prière, puis ils ont 4