L`aristocratie du poulet règne à Loué
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L`aristocratie du poulet règne à Loué
L'aristocratie du poulet règne à Loué LE MONDE | 16.08.2002 à 10h00 Abonnez vous à partir de 1 € Réagir Ajouter Partager Tweeter Loué (Sarthe) de notre envoyé spécial A Loué, le poulet a la gloire discrète. Seule l'église aux formes rebondies donne l'impression de couver le bourg, et la piscine qui vient d'être inaugurée a la forme d'un gallinacé. Le volatile n'a guère besoin de s'afficher, il règne depuis des lustres dans cette petite ville de la Sarthe grâce à des générations d'éleveurs qui lui sont entièrement dévoués. Même si, en fin de compte, l'histoire se termine dans l'assiette : Loué est une immense basse-cour, mais le mot, ici, n'a rien de désobligeant puisque c'est l'aristocratie de la volaille qui y prospère. La littérature française regorge de ces chapons grésillant sous la broche, comme de grosses friandises, venus de cette "terre à volailles" qu'est le bocage du Maine, pour égayer les tables des puissants. Loué en était le marché principal. Avant de convoler avec Mme de Maintenon, le poète Scarron, qui était un peu polisson, s'est, dit-on, enduit le corps de plumes dans les rues du Mans, avant d'aller piquer une tête dans l'Huisne. De ce temps de ripailles, subsiste l'auberge Ricordeau, célèbre dans l'art d'accommoder le phénomène local. Le 30 août 1958 fut à Loué une bien singulière journée. Un syndicat de défense des éleveurs y était créé en urgence face à la menace de la volaille industrielle bretonne. Trois courageux, Auguste Lambert, Armand Boudvin, et Raymond Cheval, eurent l'intuition qu'il fallait protéger la qualité de leurs produits. "Nos éleveurs se sentaient agressés. Pourtant le "modèle" breton était enseigné dans les écoles agricoles de l'époque", raconte Yves de La Fouchardière, directeur des Fermiers de Loué. On coucha sur le papier trois principes : établir un cahier des charges, faire contrôler ce dernier par un tiers et ne produire que ce que l'on était capable de vendre. Trois règles qui guident encore aujourd'hui les Fermiers. En 1966, le tout nouveau label rouge était obtenu. Aujourd'hui, c'est tout un territoire – celui du bocage du Maine, et non pas la seule commune de Loué – avec son millier d'éleveurs qui se trouve englobé dans une indication géographique protégée (IGP), et pas une AOC. Le débat a longtemps agité les Fermiers. "Nous répondons à la définition de l'AOC, mais ce n'est pas une garantie de qualité. On trouve des bouteilles de bordeaux à guère plus de 1 euro...", ironise un responsable de la filière de Loué. Voilà pour l'histoire sainte de Loué, celle qui est délivrée aux visiteurs – environ 7 000 par an – qui débarquent dans la capitale du poulet. Loué ne figure pas encore sur les circuits touristiques, mais les consommateurs aiment à vérifier par euxmêmes. Ils sont dirigés sur des élevages où ils peuvent constater l'entière liberté laissée aux volatiles. Très tôt – le premier spot télévisé date de 1979 –, les Fermiers ont mené une communication originale payée et réalisée par leurs soins, avec leurs voix fleurant juste ce qu'il fallait de terroir, jusqu'à l'"aveu" final sur un ton d'humilité : "C'est pour cela que nous ne serons jamais les moins chers." Du grand art. Et cela a marché. Le poulet de Loué, malgré son prix, est entré dans les grandes surfaces. Cette communication suscite toujours l'incrédulité. "80 % de nos consommateurs ne croient pas à notre pub des poulets qui courent. Pourtant, ce n'est pas de la rigolade !", se désole M. La Fouchardière. Le poulet naît, vit et meurt à Loué. Le visiteur peut pousser les portes des élevages, mais aussi du couvoir, où règne un calme de maternité ; de l'abattoir – les bêtes sont anesthésiées, puis égorgées de nuit – et de l'usine de fabrication d'aliments, flambant neuve, construite par les Fermiers pour sécuriser leur production. Ce qui permet à la commune et à sa communauté d'engranger emplois et taxes. "Mais Loué ne met pas tous ses œufs dans le même panier", fait remarquer Pierre Rolland, le maire (PS). "SANS SUBVENTIONS" Au total, avec 750 emplois tous secteurs d'activité confondus – dont 450 tout de même pour la filière du poulet – pour 2 045 habitants, la commune est loin de s'étioler. Le maire trouve un certain charme à un mandat qui fait de lui "l'ambassadeur d'un produit renommé". En contrepartie de cette prospérité, les gens de Loué, premier magistrat en tête, se sentent liés par une ardente obligation : 250 000 volailles seraient consommées chaque année par les éleveurs et leurs familles. Autrefois, la volaille constituait "l'argent de poche de la fermière". Grâce à un pari précoce sur la qualité et à la maîtrise de la filière, qui leur a permis de traverser les crises alimentaires sans trop de mal, c'est devenu pour la plupart des éleveurs le revenu principal. L'aventure a aussi évité la disparition du bocage. Marie-Claude et Loïc Patoureau exploitent, en plus de 40 bovins, quatre poulaillers, dont les occupants font la sieste sous les arbres. 60 % de leur revenu est assuré par ces derniers. "Je n'aurais pas eu la volaille, j'aurais arrêté", reconnaît Loïc. "Les poulets, autrefois, ce n'était pas un boulot d'homme, c'était plus noble d'avoir des bovins. Ceux qui vous disaient cela se sont mis discrètement à la volaille aujourd'hui !", observe-t-il. Le poulet de Loué n'est pas subventionné par la PAC. "Une agriculture qui fonctionne sans primes, c'est rare et rassurant", insiste Yves de La Fouchardière. L'histoire de Loué ne serait pas complète si maître renard, alléché par tant de bienfaits, n'animait de formidables parties de gendarmes et de voleurs. L'hécatombe, même, serait terrible : 135 000 volailles tomberaient chaque année sous les crocs de l'insaisissable ennemi. Les portées de renardes seraient prolifiques (six héritiers, contre deux dans des contrées moins volaillères). "Les gens ont tous des histoires de renard, faites d'amour et de relation contrariée, parce qu'ils savent très bien qu'ils doivent cohabiter avec la bête", soupire M. La Fouchardière. On ne vit bien qu'avec Satan. Régis Guyotat FIN M. Fillon vante le "modèle louésien" Après le remembrement des années 1970, le bocage louésien menaçait de disparaître, guetté par la céréalisation intensive. Il a finalement pu être reconstitué. Plus de 600 000 arbres ont été plantés, 1 100 km de haies tracés. La volaille, sur son parcours, recherche d'instinct un abri naturel. "J'ai planté autant de haies que mon père en avait arraché", s'exclame Alain Allinant, président des Fermiers. "Autrefois on se moquait des petits poulets de Loué. Maintenant M. Fillon [l'actuel ministre des affaires sociales a été maire de Sablé-sur-Sarthe jusqu'en 2001 et président du conseil régional des Pays de la Loire] parle de "modèle louésien"", ajoute-t-il. L'intégrité naturelle du bocage a néanmoins été sérieusement perturbée par la construction des autoroutes A 11 et A 81.