cannes - Les Économistes Atterrés
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SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 TOUTE L’ACTUALITÉ DU FESTIVAL CAHIER CENTRAL WEEK-END WWW.LIBERATION.FR CANNES WHY NOT PRODUCTIONS • 2,70 EUROS. DEUXIÈME ÉDITION NO10571 COMMENT ON A AIMÉ DESPLECHIN (ET PAS WOODY ALLEN) UNE AUTRE ÉCONOMIE EST POSSIBLE B.B. KING, LA NOTE BLUES PAGES 26-29 CHARLIE GILLETT . REDFERNS . GETTY Les chercheurs hétérodoxes, favorables à plus d’ouverture de leur discipline aux sciences sociales, dénoncent leur sous-représentation à l’université et la mainmise libérale. PAGES 2-7 IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 3,40 €, Andorre 3,40 €, Autriche 3,90 €, Belgique 2,80 €, Canada 6,20 $, Danemark 36 Kr, DOM 3,50 €, Espagne 3,40 €, Etats-Unis 6,00 $, Finlande 3,80 €, Grande-Bretagne 2,80 £, Grèce 3,80 €, Irlande 3,50 €, Israël 27 ILS, Italie 3,40 €, Luxembourg 2,80 €, Maroc 30 Dh, Norvège 36 Kr, Pays-Bas 3,40 €, Portugal (cont.) 3,60 €, Slovénie 3,80 €, Suède 34 Kr, Suisse 4,40 FS, TOM 560 CFP, Tunisie 4,90 DT, Zone CFA 2 900 CFA. 2 • EVENEMENT LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 Sous-représentés à l’université, les économistes hétérodoxes défendent une ouverture de la discipline aux sciences sociales et se rebiffent dans un manifeste. Economistes: la révolte «hétéro» Par VITTORIO DE FILIPPIS Photos PASCAL COLRAT C’ est un espoir déçu. Celui d’une partie des professeurs d’université et maîtres de conférences en économie. C’est aussi l’histoire d’une réforme universitaire empêchée notamment par le Nobel d’économie Jean Tirole. Réforme pourtant portée par des centaines d’enseignants-chercheurs en économie. C’est enfin un manifeste (1) signé par ces mêmes universitaires, intitulé A quoi servent les économistes s’ils disent tous la même chose ? Un livre qui montre comment les économistes «orthodoxes», ceux qui estiment que le marché est efficace et que les forces économiques tendent spontanément vers un équilibre, ont fini par monopoliser le discours économique en étouffant la diversité des conceptions académiques. Et ce au détriment de leurs confrères dits «hétérodoxes»: pour résumer à gros traits, ceux qui fondent leur travail sur l’analyse des rapports de forces économiques et sociaux, sans forcément être néomarxistes. Cette lutte des places se déroule au cœur même du système universitaire. Tout commence par un cons- DIXIT L’ESSENTIEL LE CONTEXTE Les économistes hétérodoxes s’insurgent contre la pensée unique qui règne dans leur discipline. L’ENJEU Ouvrir l’économie aux sciences sociales et au réel. tat accablant : la part des hétérodoxes dans le recrutement des profs d’université ne cesse de baisser. «Sur les 209 professeurs d’économie recrutés dans les universités entre 2000 et 2011, seuls 22 sont des hétérodoxes. Et sur la période 20052011, on n’en compte que 6, tous courants confondus, sur un total de 120», pointe le manifeste. «Pour faire disparaître sans bruit le pluralisme, suffit-il simplement de remplacer la majorité des professeurs hétérodoxes qui partent à la retraite par de jeunes collègues orthodoxes ?» questionnent les auteurs. Il ne s’agit pas d’une simple bisbille opposant les libéraux conquérants, fans de Milton Friedman, à des néokeynésiens atterrés. L’affaire est sé- rieuse puisqu’elle touche une discipline omniprésente, dont personne ne peut se soustraire tant elle imprègne la vie de tout un chacun. Une science économique censée servir le bien commun, aider à comprendre et soigner les maux de la société, les inégalités sociales, la progression de la pauvreté dans les pays prétendument riches, la dégradation de l’environnement, la gratuité… DROIT DE CITÉ. A l’université, cette question de la domination d’un courant sur un autre est d’autant plus importante que les profs ne sont pas là seulement pour transmettre un savoir aux étudiants. «Ils sont également nécessaires au renouvellement des générations d’enseignants-chercheurs. Ce sont eux qui dirigent les masters et les équipes de recherche, encadrent les thèses, président les comités scientifiques des revues et des colloques et, enfin, recrutent leurs collègues. Sans professeur, pas de master de recherche, pas de doctorant, ni a fortiori de futur enseignant-chercheur», estime le manifeste. Alors, forcément, si les professeurs d’économie qui remettent en question l’efficacité des marchés financiers, qui refusent de s’aligner sur l’utilitarisme supposé de «Il y a une lutte des classes, évidemment, mais c’est ma classe, la classe des riches qui mène la lutte. Et nous sommes en train de gagner.» L’investisseur Warren Buffett l’un des hommes les plus riches du monde avec une fortune estimée à 72 milliards de dollars en 2015. Il plaide régulièrement pour que les riches payent plus d’impôts, moins par mauvaise conscience que pour préserver l’économie de marché L’orthodoxe. LA TOUTE-PUISSANCE DES REVUES «Pour juger de l’excellence d’un économiste, il suffit d’observer dans quelle revue un économiste universitaire a publié ses travaux de recherche», dénoncent les signataires du manifeste. Et d’ajouter: «S’il a publié dans des revues prétendument excellentes, il est excellent. Dans des moyennes, il est moyen.» Alors, quand ces économistes publient dans des revues en bas du système de classement pris en compte par le Conseil national des universités pour devenir professeur des universités, ils sont médiocres. Pour le moins simpliste. «Et c’est la raison pour laquelle le classement des revues est devenu l’instrument central dans toutes les instances de recrutement», dénonce le manifeste. Pas étonnant qu’on se bouscule aux portillons des American Economic Review, Quarterly Journal of Economics, Review of Monetary Economics ou du Journal Economic of Poverty… Ces quatre-là exigent de la plupart des auteurs qu’ils citent des articles déjà parus dans leur revue. Dans quel but? Faire tourner le RePec, un logiciel qui répertorie le nombre de fois où une revue est citée en bibliographie. Plus ce compteur tourne et plus ces revues déjà dominantes restent au top du classement mondial. Cherchez l’erreur. V.D.F. «Les pensées de la classe dominante sont aussi, à toutes les époques, les pensées dominantes.» «Le capitalisme est cette croyance stupéfiante que les pires des hommes feront les pires choses pour le plus grand bien de tout le monde.» Karl Marx John Maynard Keynes • LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 L’hétérodoxe. l’Homo œconomicus et qui rejettent l’économiste quantificateur n’ont plus droit de cité, c’est tout une partie de la recherche qui se meurt. Avec, en prime, une pensée unique qui règne sur le plan académique et s’impose aux politiques économiques. «UNE RAZZIA». Comment en est-on arrivé là? Pour s’y retrouver, il faut regarder le système de recrutement des professeurs des universités. En France, deux voies principales permettent de devenir professeur des universités. La première, sur le point de disparaître, fut longtemps dominée par l’agrégation du supérieur. «Cette voie porte une grande responsabilité dans la marginalisation des hétérodoxes. Car les jurys de concours de l’agrégation en économie étaient majoritairement tenus par des économistes orthodoxes, souligne Pierre Salama professeur émérite d’économie. Ces économistes ont fait une razzia. Leur composition sociale s’est reproduite rapidement. Plus ils étaient majoritaires dans les jurys, moins ils jugeaient aptes les hétérodoxes à devenir professeurs.» La seconde, qui devrait devenir la norme, passe par le Conseil national des universités (CNU). Certes, grâce à cette voie, les universités peuvent choisir les candidats (c’est la norme à l’étranger). Mais, conformément à la tradition jacobine, ils doivent «L’histoire est sans appel: il n’y a à ce jour aucun moyen, pour améliorer la situation de l’homme de la rue, qui arrive à la cheville des activités productives libérées par un système de libre entreprise.» L’Américain Milton Friedman Nobel en 1976, considéré comme l’un des économistes les plus influents du XXe siècle, il s’est opposé de front à Keynes et a inauguré la pensée économique libérale moderne d’abord recevoir une «qualification» du CNU. Et, là encore, siège une large majorité d’économistes orthodoxes. Ce conseil national est divisé en 77 sections selon les disciplines enseignées dans les universités. Contrairement à la physique, à la biologie ou au droit, les sciences économiques n’occupent pour l’instant qu’une section : la section 05 qui confère (ou non) le sésame de la qualification. C’est dans ce climat que les économistes hétérodoxes ont demandé, à titre expérimental, la création d’une nouvelle section intitulée «Economie et société». Son ambition? Favoriser une hybridation de l’économie avec les autres sciences sociales (anthropologie, droit, histoire, sociologie, sciences politiques…). Montrer qu’on ne peut pas penser l’économie avec des équations et des modèles mathématiques indépendamment des autres sciences humaines. Arrêter de faire croire que la science des chiffres et graphiques est le seul moule explicatif dans lequel doit se dissoudre toute complexité sociale. PLAISANTINS. Ces hétérodoxes reprennent volontiers à leur compte la question du partage de la richesse. L’interrogation «Qui regarde le gâteau et qui tient le couteau ?» est au centre de leur économie politique. Les orthodoxes affirment, eux, que l’économie est une science dure et regardent souvent les hétérodoxes comme d’aimables plaisantins. Les hétérodoxes répondent dans leur manifeste : «L’économie est une science sociale, une science morale […]. En outrepassant son domaine initial, en s’imposant comme la science universelle des choix humains rationnels, l’économie dominante s’est emparée de nouveaux terrains, jusqu’à étendre son modèle d’Homo œconomicus aux domaines des autres sciences sociales (mariage, criminalité…)». Ce discours, cette absence de pluralisme, Geneviève Fioraso l’a entendu en son temps, lorsqu’elle était encore secrétaire d’Etat chargée de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. A tel point qu’en décembre, le ministère annonce la création d’une nouvelle section nommée «Institutions, économie, territoire et société». Rendez-vous est pris pour la mi-janvier. Cette fois les hétérodoxes imaginent que la bataille est gagnée. Ils vont déchanter… Le 13 janvier, Geneviève Fioraso fait marche arrière. La raison? Un tir de barrage d’une force incroyable. Plusieurs présidents d’université, notamment ceux de Paris-Dauphine, d’Aix-Marseille ou encore de Toulouse-Capitole, se fendent d’une lettre auprès de la secrétaire d’Etat qui lui demande de «surseoir à la création d’une nouvelle section du CNU». S’ajoute à ça une missive allant dans le même sens envoyée à Fioraso par Jean Tirole, tout juste auréolé de son Nobel. Contacté par Libération, ce dernier «ne souhaite pas commenter ce sujet». Silence radio aussi du côté de la ministre de l’Education nationale, qui vient de récupérer l’Enseignement supérieur. Il faut dire que Najat Vallaud-Belkacem a déjà fort à faire pour défendre sa réforme du collège. • (1) «A quoi servent les économistes s’ils disent tous la même chose? Manifeste pour une économie pluraliste», éd. Les Liens qui libèrent, 112pp., 10€. «Ce qui pèse le plus lourdement sur les conditions d’existence de la population, les politiques économiques, nous ne pouvons plus le discuter: les réponses sont déjà toutes écrites et enfermées dans d’inaccessibles traités.» Frédéric Lordon économiste atterré 3 ÉDITORIAL Par LAURENT JOFFRIN Partis pris «Always wrong, never in doubt.» Ils ont toujours tort mais ils ne doutent jamais… Il y a beaucoup de vrai dans cette devise burlesque attribuée aux économistes par quelques mauvais esprits anglo-saxons. Un seul exemple : les économistes orthodoxes, avec une assurance d’acier, ont préconisé pour l’Europe une cure d’austérité budgétaire sévère doublée d’une politique monétaire étroitement restrictive. Quelques commentateurs de bon sens leur ont fait remarquer que cette conjonction rigoriste risquait d’aggraver le mal en prolongeant outre mesure la récession provoquée par la crise de 2008. Ils ont été traités d’idéologues ou de démagogues. Sept ans plus tard, l’Europe a connu l’une des périodes de stagnation les plus longues de son histoire. Et si son économie se relève lentement, c’est parce que la Banque centrale et les gouvernements ont jeté par-dessus les moulins les prescriptions de leurs économistes. «Always wrong…» La sophistication croissante des modèles macroéconomiques a donné aux économistes du courant dominant un sentiment d’impunité arrogante. Alors que dans cette science, par définition inexacte – comment mettre la réalité des sociétés en équations certaines ? –, les chiffres cachent le plus souvent des partis pris idéologiques. Il n’y a d’économie que politique. A droite comme à gauche, l’erreur se mêle sans cesse à la vérité. Certes, il y a des lois économiques : le marché n’est pas infaillible, mais on se trompe si l’on croit pouvoir s’en affranchir ; l’orthodoxie financière est paralysante mais la politique du déficit permanent ne mène à rien, sinon à une austérité plus grande. Elles s’appliquent aux hommes et non aux choses. Elles sont donc fragiles et avant tout politiques. 4 • LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 EVENEMENT L’ENSEIGNEMENT DOIT ÊTRE REPENSÉ André Orléan, chercheur au CNRS, dénonce l’hégémonie des théories néoclassiques: D dront à leur compte le «il n’y a pas d’alternative» de Margaret Thatcher, la démocratie ne sera plus alors que de façade. Cela dit, il n’en est pas moins vrai que, la gauche, par le passé, se distinguait de la droite par sa volonté de faire advenir de nouveaux rapports économiques en rupture avec le salariat et le marché. Or, il est bien clair que de telles ruptures appellent des pensées économiques alternatives, aptes à imaginer d’autres mécanismes sociaux que les seuls marchés. Pour cette raison, l’Afep [Association française d’économie politique, ndlr] pensait trouver en la personne de Geneviève Fioraso, secrétaire d’Etat chargée de l’Enseignement supérieur d’un gouvernement de gauche, une personnalité ouverte à ses propositions. Il n’en a rien été et cela pose question. Que dites-vous aux présidents des universités Paris-Dauphine, Toulouse-Capitole et Aix-Marseille, qui pensent qu’il n’y a pas d’un côté des orthodoxes et de l’autre des hétérodoxes? Qu’ils posent très mal le problème! Ce qui est aujourd’hui en cause est le fait incontestable qu’un certain nombre d’approches théoriques se trouvent de facto exclues de l’université et du CNRS. Il en est ainsi parce que les méthodes d’évaluation imposées par l’orthodoxie reposent sur un classement des revues qui met en haut du hit-parade les seules revues néoclassiques. Quelle impartialité ! Que certains travaux d’économistes hétérodoxes puissent être publiés dans ces revues ne contredit en rien le fait que l’extrême majorité des travaux hors du courant dominant y sont refusés. Par exemple, deux économistes aussi incontestables que Michel Aglietta et Robert Boyer, les pères fondateurs de la théorie de la régulation, n’ont jamais publié – ou presque – dans ce qu’on nomme le «top five», c’est-à-dire les soi-disant cinq meilleures revues, toutes de langue anglaise. Aujourd’hui, ils ne pourraient pas devenir professeurs. Doit-on considérer que c’est là une méthode objective d’évaluation? Surtout si on songe aux 60 publications de Jean Tirole dans ces cinq revues. Ces présidents d’université pensent-ils pouvoir nous convaincre que ces différences n’ont rien à voir avec les orientations théoriques ? Soyons sérieux ! Diriez-vous, comme le Nobel d’économie Ronald Coase, que «la science économique usurpe le terme de science»? Absolument. L’économie n’est pas une science. Contrairement aux particules élémentaires de la physique, les individus suivent des comportements variables, qui dépendent étroitement des contextes institutionnels et des croyances collectives. Cela ne signifie pas qu’on peut y dire n’importe quoi, mais que les enseignements du passé doivent être utilisés avec circonspection. Leur transposition à la situation contemporaine ne peut se faire qu’avec une extrême prudence, en tenant compte de l’évolution des structures sociales et cognitives. Pourquoi les pouvoirs publics devraient-ils intervenir dans les querelles entre chapelles universitaires? Les pouvoirs publics n’ont pas à intervenir dans les controverses scientifiques. Cependant, ils sont les garants du bon fonctionnement de l’université et ce sont eux qui ont voulu la création d’un organisme centralisé, le Conseil national des universités, qui juge ceux qui sont dignes d’y entrer et d’y faire carrière. Du fait de cette organisation institutionnelle, notre projet d’un nouvel espace d’enseignement et de recherche, nommé «Economie et société», ne peut voir le jour sans que l’Etat donne son aval. Dans d’autres pays, ce sont les universités elles-mêmes qui déterminent quels enseignants elles souhaitent recruter. Rappelons pour conclure que notre proposition ne met nullement en cause la légitimité des approches néoclassiques, qui continueront de faire valoir leur excellence. Nous demandons simplement que soit reconnue la légitimité d’autres visions. Il ne s’agit pas de contraindre qui que ce soit, mais bien au contraire d’étendre les libertés académiques. «L’économie est la cendre dont notre temps couvre son triste visage.» «La science économique est d’une extrême utilité parce qu’elle fournit des emplois aux économistes.» «Un grand économiste, c’est quelqu’un qui saura bien vous expliquer demain pourquoi ce qu’il a prévu hier ne s’est pas produit aujourd’hui.» Bernard Maris assassiné le 7 janvier lors de la tuerie de Charlie Hebdo, dans son dernier essai, Houellebecq économiste (Flammarion, 2014) CNRS irecteur de recherche au CNRS et d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), André Orléan est corédacteur du manifeste pour une économie plurielle A quoi servent les économistes s’ils disent tous la même chose? Vous êtes un économiste hétérodoxe. Qu’est-ce qui vous différencie d’un orthodoxe qui, selon vous, serait en position de monopole, tant dans les universités que dans la conduite des politiques économiques? L’idée d’orthodoxie trouve son origine dans l’œuvre de Keynes. Il nomme orthodoxes ceux qui croient à l’autorégulation concurrentielle des économies de marché. Il les oppose aux hérétiques, parmi lesquels lui-même se classe. Alors que les orthodoxes attribuent la cause du chômage de masse à des salaires trop élevés, Keynes y voit principalement la conséquence d’une demande défaillante. Aujourd’hui, cet affrontement entre orthodoxes et hétérodoxes se retrouve pour l’essentiel autour des mêmes oppositions conceptuelles, si ce n’est que les théories en présence ont gagné en sophistication et que la dominante, dite «néoclassique», est devenue de plus en plus dominante. En s’arrogeant le monopole de la vraie science, elle s’autorise à rejeter toutes les approches concurrentes, qualifiées de «non scientifiques». On le voit clairement en France, pays qui traditionnellement accueillait une grande diversité de points de vue et de démarches, comme par exemple le marxisme, la théorie de la régulation, l’économie des conventions, l’approche dite post-keynésienne et l’histoire de la pensée économique. Comment expliquez-vous qu’un gouvernement de gauche fasse la sourde oreille et qu’il finisse même par céder aux pressions d’économistes libéraux? Notre débat n’est pas un affrontement gauche contre droite. La défense du pluralisme en économie est un impératif démocratique qui devrait transcender les clivages partisans. Il s’agit essentiellement de faire en sorte que le peuple souverain puisse choisir d’une manière informée, en disposant d’analyses plurielles. Le jour où les économistes seront unanimes et repren- Le keynésien de gauche John Kenneth Galbraith qui a publié juste avant sa mort, en 2006, Economie hétérodoxe (Seuil) Recueilli par V.D.F. Jacques Attali avec un sens certain de l’autodérision PASCAL COLRAT «Le pluralisme en économie est un impératif démocratique» «Un économiste est quelqu’un qui voit fonctionner les choses en pratique et se demande si elles pourraient fonctionner en théorie.» L’économiste américain Stephen M. Goldfeld professeur à Princeton et ancien conseiller de l’administration Carter LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 EVENEMENT • 5 UNE RÉFORME N’EST PAS NÉCESSAIRE Pour Antoine d’Autume, professeur à Paris-I, l’économie est indivisible: «Ces deux étiquettes n’ont plus de sens» A «Si d’ordinaire on ne distingue pas capitalisme et économie de marché, c’est que l’un et l’autre ont progressé du même pas, du Moyen Age à nos jours, et que l’on a souvent représenté le capitalisme comme le moteur de l’épanouissement du progrès économique.» L’historien Fernand Braudel auteur de la Dynamique du capitalisme très bien le qualifier d’hétérodoxe! Toutes ces étiquettes n’ont plus de sens dans une discipline devenue beaucoup moins monolithique. Les hétérodoxes soutiennent qu’une majorité des nominations de professeurs concernent des économistes du courant dominant et que ceux issus des courants minoritaires n’ont que les miettes… Je ne crois pas à cette classification. Beaucoup d’économistes étiquetés comme orthodoxes par l’Association française d’économie politique [Afep, ndlr] mènent en réalité des travaux très variés, dont certains sont très éloignés de la théorie néoclassique traditionnelle. Les comptages effectués par l’Afep sont très contestables. A quoi reconnaît-on un hétérodoxe ? Je note que le dernier comptage de l’Afep n’emploie pas le terme et oppose économistes mainstream et économistes pluralistes, en suggérant de manière scandaleuse que ceux de la première catégorie ne sont pas hétérodoxes. N’y a-t-il pas un primat accordé au marché et à la théorie néoclassique, dont se plaignent de plus en plus les étudiants? Il est vrai que l’enseignement de l’économie reste centré sur l’étude du marché, mais il est difficile de faire autrement si nous voulons parler du monde dans lequel nous vivons. Il est aussi vrai que les livres de microéconomie racontent qu’un système de marché a beaucoup de vertus et constitue un mode de production efficace. Mais ces manuels expliquent aussi qu’il ne résout pas tous les problèmes et l’étude des échecs du marché constitue le second versant de l’analyse microéconomique. Le marché peut conduire à des situations de monopole dommageables pour l’économie. Il ne permet pas une production suffisante de biens et de services publics. Il se préoccupe d’efficacité mais pas de justice et doit donc être complété par des politiques publiques redistributives. Tous les économistes ne sont pas des libéraux, loin de là. Ils sont plutôt des sociaux-libéraux croyant qu’on ne peut pas se passer du marché, mais qu’il doit être complété et amendé. Vous dites également que les critères de validation de la recherche ont changé. Dans quel sens? L’exigence de publication dans des revues scientifiques, où les articles soumis sont évalués par des pairs, est incontestable et joue un rôle dans les recrutements et promotions. Certaines revues sont plus cotées, et on ne peut être recruté comme enseignant chercheur en économie sans un ensemble de publications reconnues sur le plan international. La variété des revues est grande et il n’est pas possible de soutenir, comme le fait l’Afep, que des recherches hétérodoxes n’y trouvent pas de place. Même les tenants des théories keynésiennes les plus simplistes –à mon avis!– le peuvent. Mais cette nécessité de publier ne signifie pas que les instances de recrutement doivent être des esclaves de la bibliométrie. Pourquoi refuser la création d’une nouvelle section «Economie et société» plus ouverte à l’influence des sciences sociales ? Les vertus de la concurrence ne sont-elles pas au fondement de votre discipline? Acter cette division de notre discipline en deux écoles de pensée hermétiquement séparées ne ferait qu’affaiblir la recherche et l’enseignement de l’économie. Ce serait d’autant plus inutile que la pluralité des approches existe déjà. La procédure de recrutement lancée à titre expérimental et qui permet de se passer de l’agrégation pour devenir professeur a permis d’élargir les profils, ce qui est bien la preuve que l’on n’a pas besoin de créer une nouvelle section. Le débat s’était déjà posé il y a trente ans, je m’y étais opposé à l’époque avec les mêmes arguments qu’aujourd’hui. L’économie est un tout complexe et varié, mais elle reste une seule et même discipline. «Le rôle de la science économique est de rendre les pauvres plus riches, pas de rendre les riches plus riches.» «Si je devais revivre, je ferais de la psycho.» «Le libéralisme, c’est l’extension du domaine de la lutte» Confession d’Alfred Marshall l’un des pères fondateurs de l’école néoclassique, courant de pensée dominant actuellement Michel Houellebecq dans Extension du domaine de la lutte, le livre qui l’a fait connaître en 1994 Gary Becker Nobel d’économie 100% libéral, à Libé, le 22 mars 2005 DR ntoine d’Autume est professeur à l’université Paris-I et à l’Ecole d’économie de Paris (PSE). Il se définit comme un généraliste de l’économie, «par goût et pratique», et juge «très exagérées» les critiques des hétérodoxes. Comment vous situez-vous dans le débat actuel? L’accusation de manque de pluralisme me semble injustifiée et les chiffres avancés pour la soutenir sont très exagérés. La manière de faire de la recherche en économie a énormément changé ces dernières décennies. Il y a trente ans, un premier virage avait été pris vers plus de théorie et de modélisation, ce qui était nécessaire pour professionnaliser notre discipline. Mais elle a continué à évoluer. Depuis une dizaine d’années, la recherche est devenue beaucoup plus empirique et a élargi son champ bien au-delà de l’étude des marchés ou des grands agrégats macroéconomiques, comme le PIB ou le taux de chômage. Les études de terrain sont beaucoup plus nombreuses et la discipline s’est éloignée du modèle unique de l’Homo œconomicus traditionnel, forcément rationnel et vierge de toute influence extérieure dans sa manière de prendre ses décisions. Vous avez des exemples de cette ouverture? Le développement le plus frappant est celui de l’économie comportementale et même expérimentale. Il a montré que, dans bien des cas, les agents économiques n’agissent pas de manière égoïste et non coopérative, et que leurs comportements sont largement influencés par leurs systèmes de valeurs, leur environnement et leurs trajectoires personnelles. Certains chercheurs à l’Ecole d’économie de Paris (PSE) ou à celle de Toulouse (TSE), qui sont les deux principaux centres de la recherche économique en France, travaillent sur des sujets se situant à la limite de l’économie et c’est très bien comme ça. Le Prix Nobel d’économie Jean Tirole, grand spécialiste des incitations financières, explore aussi des approches bien plus larges des comportements et on pourrait Recueilli par CHRISTOPHE ALIX 6 • LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 EVENEMENT A la fac, une révolte en sourdine Les étudiants en économie sont unanimes pour dénoncer le manque de pluralisme dans l’enseignement de la matière, jugé «passéiste». Mais bien souvent, leurs carrières priment sur leurs revendications. «Le retard des sciences économiques et sociales sur les sciences de la matière est l’une des causes des malheurs actuels de l’humanité. La technique emporte l’homme vers des horizons imprévus.» Jean Joseph Hubert Fourastié (1907-1990) PASCAL COLRAT C hez les économistes en herbe, encore vu d’étudiants lever la main pour il y a d’un côté les cours de dire “On adore notre enseignement de «micro», de l’autre ceux de l’économie”, alors on continue notre «macro». Des modélisations matheu- combat», explique le thésard. ses à plusieurs inconnues, de la statis- Une lutte d’autant plus importante que tique, et une théorie néoclassique (en ces dernières années, les professeurs gros, le marché se régule par lui- hétérodoxes, enseignant leur matière même) dominante. Pas ou très peu de à partir de courants différant des théosciences sociales, d’histoire de la pen- ries néoclassiques, sont en voie de sée économique, d’ouverture sur les disparition. Entre 2005 et 2011, sur courants minoritaires. Une vision or- 120 nominations de professeurs d’écothodoxe de l’économie qui a poussé nomie, seuls six appartenaient à des Robin, en troisième année de licence, courants minoritaires. Sur les bancs à regretter ce que beauuniversitaires, ce vercoup d’étudiants considèREPORTAGE rouillage dérange. «Les rent pourtant comme deux discours des professeurs tiannées de calvaire: la prépa. «L’écono- tulaires sont souvent homogènes et cormie y était enseignée d’une manière bien respondent à des articles lus dans telle ou plus intéressante qu’elle ne l’est à la fac. telle revue de référence, affirme Le côté plus littéraire nous permettait de Guillaume, en fin de master 2 Econodévelopper une vraie réflexion, assure mie monétaire et financière, à Daul’étudiant, assis dans un coin de l’am- phine. Or la manière dont on va penser phithéâtre 5C de l’université Paris-Di- l’économie à la sortie de l’école dépend derot. A la fac, on ne nous enseigne qua- largement du cursus qu’on a suivi, de ce siment que les théories classiques, qui y a été raconté.» parfois sous la forme d’hypothèses un Carrière. L’hétérodoxie gagne en repeu étonnantes.» vanche du terrain chez les étudiants. Ce ras-le-bol semble partagé par un «J’ai fait de nombreuses salles de cours grand nombre d’étudiants, quelle que pour défendre le pluralisme et je n’ai jasoit la faculté. Même derrière les portes mais rencontré d’élèves s’y opposant», de Dauphine, présentée – souvent de assure Arthur Jatteau. «L’enseignement manière caricaturale– comme le tem- actuel de l’économie est passéiste. Il faut ple du libéralisme estudiantin parisien. s’ouvrir aux nouveaux courants de pen«Je suis parti de cette fac, j’ai tout sim- sée, même si on n’est pas d’accord avec plement arrêté l’économie parce qu’il y a eux», ajoute Marc, étudiant en masune sorte de mensonge dans l’enseigne- ter 1 à l’Institut d’études européennes ment de cette matière, soutient Isaac, de l’université Paris-VIII. ancien «dauphinois» en licence scien- Ces revendications n’empêchent pas ces de la société, désormais sur les les étudiants de s’inquiéter des consébancs de Sciences-Po. On nous répète quences que pourraient avoir leurs par exemple que le prix est égal au coût convictions sur leur carrière. «Pour marginal. C’est une des équations de base moi, c’est trop tard, je suis déjà grillé», en économie, mais elle n’est pas tout le sourit Arthur Jatteau. Face à lui, Lautemps exacte, même les économistes le rène, en master 1 d’économie à Parissavent! Les modèles théoriques, mathé- XIII, n’est pas aussi sereine. «Je me suis matiques, sont utiles, mais il faudrait googlisée, et heureusement, mon adhéaussi étudier les forces politiques et socia- sion à Peps-Economie n’apparaît que sur les qui font que le modèle ne s’applique la quatrième page de recherche.» La pas toujours bien à la réalité.» jeune fille craint pour sa future thèse. Pluralisme. Le social, la politique, Quand on ne pense pas comme la mal’histoire sont les parents pauvres des jorité des titulaires orthodoxes, trouver cursus d’économie. Dans les amphis un directeur de thèse et conquérir le français, ce qu’on appelle les «ensei- jury peut s’avérer plus compliqué. «Le gnements réflexifs» ne représentent simple fait que l’on puisse le penser, ça que 2,2% des formations économi- révèle toute l’ampleur du problème, ques, selon une étude menée en 2013 poursuit l’étudiante. Le triptyque mipar le collectif Peps-Economie. C’est cro-macro-maths nous déprécie intellecce manque de pluralisme et d’interdis- tuellement. Nous voulons changer les ciplinarité qui a poussé Arthur Jatteau choses.» Pour que l’enseignement de à fonder ce groupe étudiant en 2010. l’économie ressemble davantage à un Aujourd’hui, le combat n’a pas avancé. kaléidoscope… qu’à une démonstra«On aurait bien aimé ne plus avoir les tion en trois parties blindée de chiffres mêmes revendications qu’il y a qua- et de graphiques. tre ans, mais rien n’a changé. On n’a pas MORGANE LE CAM «Un économiste peut commettre deux erreurs, la première consiste à ne pas calculer et la seconde à croire en ce qu’il a calculé.» «L’économie pure se révèle être une para science aussi éloignée de la science sociale que la parapsychologie l’est de la psychologie. Comme les autres para sciences, elle peut prouver tout et son contraire: dis-moi ce que tu veux, et je te fabriquerai le modèle qui le justifie.» Michal Kalecki (1899-1970) économiste polonais de formation keynésienne Samir Amin, économiste franco-égyptien fondateur du Forum du Tiers-monde LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 REUTERS auréat 2014 du prix Nobel d’économie, Jean Tirole, 61 ans, a pu incarner jusqu’à la caricature une excellence académique recluse dans sa tour d’ivoire. Réputé pour sa discrétion, très apprécié de ses étudiants thésards dont il suit avec une «méticulosité rare», dixit l’un d’eux, l’avancée des travaux, ce polytechnicien a changé de statut en accédant au graal de sa discipline. Alors que sa carrière, résumée dans un CV de 24 pages, s’est longtemps déroulée à l’écart des médias, ce «polar» est désormais l’objet de nombreuses sollicitations qui l’amènent à intervenir dans le débat public, comme récemment sur la réforme du marché du travail. Estampillé orthodoxe par le camp d’en face, ce féru de mathématiques peu tourné vers l’analyse empirique a étonné en écrivant qu’une séparation de l’économie en deux écoles favoriserait le «relativisme des connaissances, antichambre de l’obscurantisme». S’il reconnaît être «un théoricien pur et dur», il n’en revendique pas moins une certaine ouverture vers les sciences sociales au sein de l’Ecole d’économie de Toulouse qu’il dirige. C.Al. • 7 Frédéric Lordon poète contre les équations E LAURENT HAZGUI. DIVERGENCE Jean Tirole top modèle des théoriciens L EVENEMENT mpêcheur de ronronner à gauche, économiste «atterré», Frédéric Lordon est chargé de recherche au CNRS. Il a suivi les cours de Robert Boyer, chef de file de l’école française de la régulation, inspirée du marxisme. Bourdieusien, il combat ces économistes qui voudraient faire de leur discipline une science autonome, une sorte de physique du monde économique. Si l’économiste mainstream croit à la parfaite rationalité des agents économiques, Lordon pense au contraire que leur comportement est toujours façonné par le cadre des structures et des institutions dans lesquels ils évoluent. Dans ses livres et sur son blog, il ne cesse de réinterroger le fonctionnement du capitalisme et son avatar, le néolibéralisme. Jusqu’à en esquisser une critique spinoziste. Il a recours au théâtre, utilise l’alexandrin pour décortiquer l’avidité des banquiers ou l’aveuglement des politiques qui ont rendu possible la crise des subprimes… Ce qu’il déteste plus que tout? Les pseudo-vérités assénées par ceux qu’il appelle «les économistes à gage», ne pas prendre le temps d’expliquer la complexité. V.D.F. Les deux économistes déplorent l’un et l’autre le conservatisme à l’œuvre dans leur discipline. Patrick Artus regrette une «dérive technique», Thomas Piketty invoque l’interdisciplinarité I ls se sont largement tenus à l’écart d’une querelle de «frontières» qu’ils considèrent en partie «artificielle» et «stérile» et lié à «des enjeux de recrutements universitaires» qui les dépassent et ne les concernent pas. Mais malgré leurs profils très opposés, le spécialiste mondial des inégalités sociales Thomas Piketty, classé à gauche, et l’économiste de banque proche des milieux d’affaires Patrick Artus, chef économiste de la banque Natixis et par ailleurs enseignant à l’université Panthéon-Sorbonne Paris-I, se retrouvent pour dénoncer, chacun à leur manière, un conservatisme académique en économie qui leur paraît totalement dépassé. Absconce. Le premier, qui se définit avant tout comme un chercheur en sciences sociales sans «identité» économique –et dont les travaux sont appuyés sur de colossales séries empiriques de données qu’il a lui-même constitué –, juge qu’il faudrait créer une grande section des sciences sociales dans laquelle l’économie serait incluse. «Cela réglerait le problème une fois pour toutes, dit-il, mais à dépasser le débat sur la prétention des «orthodoxes» à se dire plus «scientifiques» que des économistes issus d’autres courants moins tournés vers la modélisation mathématique. Cet économiste, qui multiplie les références littéraires dans son best-seller le Capital au XXIe siècle en citant Balzac ou Jane Austen, juge par ailleurs «ab«99% des articles publiés prennent surde» le fait de «spécialiser les étu25 pages pour prouver à coups diants en économie dès la première and’équations des hypothèses qui se née à l’université». vérifient de manière intuitive.» «Fulgurantes». Patrick Artus, pour sa part, juge qu’il serait «dommage sur Patrick Artus le fond» de couper l’économie en deux mathématique et abstraite –pour ne pas dire tendances, l’une «mainstream et formelle jusabsconse – de cette discipline, Thomas Pi- qu’à l’extrême», et l’autre «alternative». Mais ketty qui a enseigné plusieurs années au MIT ce polytechnicien déplore surtout «la dérive de Boston se félicite de la collaboration qu’il technique» de sa discipline. «99% des articles va entamer avec la prestigieuse London publiés dans les grandes revues internationales School of Economics (LSE). «Nous avons une prennent 25 pages pour prouver à coups d’équachance unique de créer à la LSE un dynamique tions mathématiques des hypothèses qui se véricentre interdisciplinaire qui nous permettra de fient de manière intuitive, quelle perte de temps mieux comprendre les causes et les conséquen- et d’énergie ! Lorsque vous avez lu l’introducces de l’inégalité», explique-t-il, en appelant tion, vous savez à coup sûr quelle sera la conclu- sion.» Au-delà de l’exigence d’interdisciplinarité qu’il partage, Artus, qui a publié de nombreux ouvrages de vulgarisation dont le dernier consacré au retour d’une Croissance zéro, s’inquiète que nombre d’économistes qui connaissent des carrières académiques «fulgurantes» peuvent y parvenir sans avoir contribué au moindre débat de politique économique. «Les élites universitaires n’ont généralement aucune idée sur comment mener une politique publique, alors qu’ils devraient être en mesure de peser sur le débat public.» Une forme de démission des clercs qui l’inquiète pour l’avenir. «Qui va vouloir enseigner l’économie dans dix ans si l’on maintient ce cadre académique formel dominé par les AngloSaxons?» Et de citer le «testament» d’Olivier Blanchard, chef économiste du FMI qui vient d’annoncer son départ de l’institution, lequel s’inquiétait récemment «qu’aucun de nos instruments actuels ne permettent de prédire ce que l’on voit». L’économie ou l’ivresse aveugle de la théorie ? «Les économistes sont présentement au volant de notre société, alors qu’ils devraient être sur la banquette arrière.» «Il serait un mauvais économiste celui qui ne serait qu’économiste.» «Admettre comme des vérités absolues les propositions des économistes, c’est passer de l’économie […] à l’économisme, intégrisme aussi ravageur que les intégrismes religieux.» John Maynard Keynes la meilleure réponse à ce débat parfois vain, c’est de montrer par la pratique que faire des sciences sociales en ayant recours à l’histoire ou à la sociologie peut être une excellente manière de faire de l’économie.» Alors que les Anglos-Saxons sont parfois décriés pour leur approche très Friedrich Hayek (1899-1992) économiste et philosophe autrichien, il a reçu le prix Nobel d’économie en 1974 «Les économistes sont des chirurgiens qui ont un excellent scalpel et un bistouri ébréché, opérant à merveille sur le mort et martyrisant le vif.» Sébastien-Roch Nicolas dit «Chamfort» (1741-1794) CHRISTOPHE ALIX Albert Jacquard (1925-2013) 8 • MONDE LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 AsieduSud-Est: lesdamnés delamer Refoulés pas tous, des bateaux de réfugiés, pour beaucoup des Rohingyas de Birmanie, dérivent sans nourriture ni assistance. Par ARNAUD VAULERIN Correspondant à Tokyo naires des quartiers rohingyas de Maungdaw et Buthidaung, dans le nord de l’Etat Rakhine, en Birmanie. «Ils sont en mer depuis uelquefois, un téléphone portable plus de deux mois. L’équipage les a nourris peut sauver des vies. Grâce à un avant de casser le moteur du navire et de mobile thaïlandais, ils ont s’échapper avec un petit bateau il y a pu se faire connaître et raRÉCIT cinq jours. Depuis, ils n’ont plus de conter leur calvaire. Perdus nourriture, plus d’eau et certains sont sur un rafiot au milieu de la mer d’Andaman, malades. On a le plus grand mal à les localiser.» environ 350 migrants en grande partie issus de la minorité persécutée des Rohingyas, en LARGE. Ces damnés de la mer ne représenBirmanie, luttent depuis plusieurs jours pour tent qu’une petite partie des réfugiés en perne pas mourir de faim, de soif et de maladie. dition dans une vaste région maritime entre Chris Lewa, qui dirige l’ONG Arakan Project, la Birmanie, la Thaïlande, l’Indonésie et la a eu l’occasion de leur parler à plusieurs re- Malaisie. Fuyant trafics, misère et persécuprises ces derniers jours pour tenter de les tions ethniques, plus de 2000 ont déjà débarlocaliser. «Au téléphone, j’entends les pleurs qué à Aceh (Indonésie) et sur l’île de Langdes enfants et les cris des adultes qui alertent les kawi (Malaisie). 700 migrants repoussés par bateaux de patrouille et de pêche qui passent la Malaisie ont bien été secourus vendredi par sans s’arrêter», témoigne cette humanitaire des pêcheurs après le naufrage de leur baindignée par une situation «ridicule et dingue. teau, au large de la province d’Aceh, dans le On doit au moins les sauver». nord-ouest de l’Indonésie, mais tous n’ont D’après elle, 84 enfants et 50 femmes figu- pas cette chance. Certains ont même rejoint rent parmi ces migrants pour la plupart origi- les côtes à la nage pour éviter les agressions et échapper à la faim à bord. Selon Chris Lewa, qui suit les traces de ces BANGLADESH migrants depuis des années, «8 000 autres pourraient se trouver en mer». Le Bureau des BIRMANIE Si!we migrations internationales (IOM) juge l’estiLAOS ETAT!!!! mation «crédible et tout à fait possible». Le RAKHINE chef de l’IOM à Bangkok, Jeffrey Labovitz, précise que «plus de cinq bateaux voguent actuellement sur ces mers, dont un avec 500 perTHAÏLANDE sonnes au large de Penang [Malaisie, ndlr], un Bangkok autre plus important, heureusement avec un peu CAMBODGE de provisions à bord, et le navire avec ses Mer d’Andaman 400 réfugiés refoulé mardi par les autorités inVIETNAM Golfe de donésiennes. Il y en a probablement d’autres». Thaïlande Ile de Jeudi, c’est la marine malaise qui a chassé Langkawi (MALAISIE) vers le large deux bateaux avec environ MALAISIE 600 personnes à bord. Penang ACEH Chaque jour qui passe aggrave la situation de Kuala ces migrants dont certains souffrent de bériLumpur béri (grande carence en vitamine) et «ne sont SINGAPOUR plus que des squelettes mourants, incapables de marcher. Si les bateaux n’accostent pas vite, INDONÉSIE nous pourrions faire face à une crise humanitaire inquiétante», ajoute Labovitz. Les organisations humanitaires et les Nations unies Jakarta ont demandé aux pays de la région de laisser leurs frontières ouvertes pour sauver ces mi200 km grants. Sans états d’âme, Jakarta et Kuala Q Un hélicoptère thaïlandais largue des victuailles dans la mer d’Andaman, jeudi. Des Rohingyas, premières victimes de ces trafics d’êtres humains, en mer jeudi. Lumpur avaient indiqué mardi qu’ils refouleraient à la mer tout nouveau navire pénétrant leurs eaux territoriales, après leur avoir procuré des vivres et s’être assuré que le bateau ne menace pas de sombrer. Sous pression de l’Union européenne et des Etats-Unis, la Thaïlande a annoncé la tenue d’un sommet régional le 29 mai à Bangkok. Mais la Birmanie, qui refuse la citoyenneté à la minorité rohingya, a menacé de boycotter l’événement. «Il est peu probable que nous participions. Nous n’acceptons pas si [les Thaïlandais] nous invitent uniquement pour alléger la pression à laquelle ils sont confrontés», a dit la présidence birmane. Contrairement à l’UE, qui vient d’adopter un plan pour faire face à un afflux de migrants et de réfugiés en Méditerranée, les nations de l’Asie du Sud-Est peinent à trouver une réponse commune à cette crise sans précédent. TRAFIC. Depuis début mai, les Etats de la région sont dépassés par les événements. La découverte d’un charnier avec une trentaine de corps de clandestins birmans et bangladais dans la jungle de la province de Songkhla (sud de la Thaïlande) a sonné le branlebas dans la police thaïlandaise et a complètement désorganisé la filière de la traite d’humains dans la région. Jusqu’à présent, des LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 MONDE • 9 Selon le Bureau des migrations, au moins cinq bateaux de migrants, en majorité des Rohingyas, erreraient en mer. PHOTOS CHRISTOPHE ARCHAMBAULT. AFP REPÈRES «Je suis consterné [par le fait que] la Thaïlande, l’Indonésie et la Malaisie [refoulent] en mer des bateaux remplis de migrants, ce qui provoquera inévitablement des morts.» Zeid Ra’ad Al Hussein Haut Commissaire aux droits de l’homme, vendredi A Aceh, en Indonésie, vendredi. RONI BINTANG. REUTERS milliers de candidats à l’exil transitaient chaque année par des dizaines de camps, sinon des prisons, établis par des trafiquants dans le sud de la Thaïlande. De là, ils gagnaient la Malaisie et toute l’Asie du Sud. En janvier déjà, la junte thaïlandaise avait annoncé des poursuites contre une dizaine de fonctionnaires, dont des officiers de police et de la marine, pour trafic d’êtres humains. Les passeurs ont donc changé leurs itinéraires et gagné les mers. Quand ils ne trouvent pas d’issue, ils abandonnent leurs cargaisons humaines à leur sort. Si on compte des Bangladais quittant leur pays pour un meilleur travail, ce sont surtout La Birmanie refuse la citoyenneté aux Rohingyas, la minorité musulmane. les Rohingyas qui sont les premières victimes de cette traite. Ces musulmans apatrides fuient l’Etat Rakhine, dans le sud-ouest de la Birmanie, où la majorité bouddhiste lui dénie toute citoyenneté. Ostracisée, souvent privée des libertés fondamentales depuis des décennies, cette population a vu sa situation se dégrader depuis trois ans. Au moins 280 personnes ont trouvé la mort dans des opérations qui s’apparentent à du nettoyage ethnique et 140000 autres ont été déplacées dans des camps autour de Sittwe, la capitale du Rakhine. «L’annonce, effective en mai, de la suppression de la carte blanche, une carte d’identité temporaire pour les minorités, a pro- bablement inquiété les Rohingyas qui se sentent encore plus menacés avant les élections de l’automne et la surenchère xénophobe, juge une chercheuse établie en Birmanie. Il y a unanimité dans la société birmane pour les considérer comme des illégaux.» Ce climat préélectoral tendu a vraisemblablement été un argument supplémentaire pour tenter l’exil. Dans un rapport accablant sur l’ampleur de ces migrations régionales, le Haut Commissariat aux réfugiés indiquait que 25000 personnes avaient pris la mer dans le golfe du Bengale lors des trois premiers mois de cette année. Un chiffre qui a doublé en un an et appelle une réponse des Etats de l’Asean. • 3100 dollars, soit 2730 euros, c’est le prix exorbitant que doivent payer les migrants qui fuient le sud-est de la Birmanie. Pour cette somme, ils obtiennent leur libération d’un camp et une place sur un bateau vers la Malaisie. 735000 C’est approximativement le nombre de Rohingyas présents en Birmanie. De confession musulmane, victimes de persécutions, ils ne représentent que 1,4% de la population. 10 • LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 MONDE Rien n’est encore joué au Burundi Deux jours après la tentative de coup d’Etat des putschistes qui contestaient sa prétention à un troisième mandat, le président Nkurunziza est rentré au pays. Mais la situation reste incertaine. nait que les chefs des mutins arrêtés auraient été conduits à «la Documentation», le très redouté siège des services secrets. Le conditionnel s’impose : les forces fidèles à Nkurunziza ayant en priorité ciblé les médias indépendants dès lors réduits au silence, seuls les médias officiels, et les rumeurs, fonctionnent désormais à Bujumbura. Ce qui dans l’immédiat, dessert le camp des vaincus. «Une victoire qui serait celle d’un seul camp ne tiendra qu’à court terme», prévient Sylvestre Ntibantunganya, joint lui aussi au téléphone «dans un pays voisin» du Burundi. Cet homme politique, candidat déjà déclaré aux prochaines élections, fut le premier président à succéder à Melchior Ndadaye, assassiné lors du coup d’Etat de 1993 qui allait déclencher une longue guerre civile au Burundi. Avec trois autres anciens présidents burundais, il a signé le 11 mai une lettre adressée aux chefs d’Etat présents à la réunion de Dar es-Salaam, déclarant «anticonstitutionnelle» la volonté de Nkurunziza de se représenter pour un troisième mandat. Des partisans du président Pierre Nkurunziza à Bujumbura vendredi. PHOTO GORAN TOMASEVIC. REUTERS Par MARIA MALAGARDIS aussi «ceux qui cherchent à s’emparer du pouvoir par des moyens illée vendredi à Bujumbura, gaux». Reste à savoir si ces prises l’ambassade des Etats- de position ont entériné la défaite Unis et la représentation des putschistes ou si elles l’ont acdes Nations unies auraient célérée. Ce qui est clair en tout cas, demandé à leur personnel «non es- c’est que les Etats de la région et les sentiel», selon la formule observateurs occidentaux consacrée, de quitter le BuRÉCIT présents à Dar es-Salaam, en rundi. Preuve s’il en est que Tanzanie, pour une réunion l’échec du coup d’Etat de mercredi régionale sur le Burundi au moment et le retour au pays du président où le pouvoir a semblé basculer à Pierre Nkurunziza ne sont pas Bujumbura, n’ont pas su ou voulu exactement perçus comme le signe mettre hors jeu Nkurunziza alors d’un «retour à la normale» par la que ce dernier était, par la force des communauté internationale. La- choses, coincé sur place avec eux. quelle risque pourtant d’être sollicitée et observée ces prochains REPRÉSAILLES. A aucun moment jours alors que la situation au Bu- de ces trois jours de crise le présirundi reste incertaine. dent en exercice n’a semblé lâcher Vendredi matin, la reddition des prise, qualifiant la tentative de militaires putschistes n’aura été que coup d’Etat d’«imposture» et orgale dernier soubresaut d’une semaine riche en rebondissements, qui a vu le président en exercice, REPÈRES Pierre Nkurunziza, «destitué» alors qu’il était en dehors du pays, puis RWANDA «sauvé» par ceux qui lui étaient restés fidèles. Jeudi soir, la première annonce de la reddition des putsBURUNDI chistes, vers 23 heures, aura été Lac Tanganyika Bujumbura 50 km TANZANIE précédée de peu par celle des EtatsUnis qui, pour la première fois depuis le coup d’Etat, apportaient officiellement leur soutien à Nkurunziza. Juste avant que le Conseil de sécurité de l’ONU ne condamne lui RDC C nisant à distance la reprise en main de la capitale. «Mais il faudra bien à présent que la communauté internationale dépasse la phraséologie diplomatique. Car si elle n’arrive pas à peser sur Nkurunziza pour qu’il abandonne l’idée d’un troisième mandat, alors il ne faut pas se faire d’illusions : les manifestations vont tes de représailles de la part du camp Nkurunziza restaient très fortes. «Les putschistes bénéficiaient de sympathies réelles au sein de la population car ces officiers n’incarnaient pas une faction mais l’ensemble des sensibilités burundaises. Leur échec ne signifie pas la fin du mouvement, loin de là. Les gens n’ont plus rien à perdre, ils défieront Nkurunziza jus«Les gens n’ont plus rien qu’au bout», poursuià perdre, ils défieront Pierre vait-il. Nkurunziza jusqu’au bout.» Dans la matinée, alors François Nyamoya avocat et opposant burundais que Nkurunziza venait de rentrer au Burundi, reprendre avec un degré de violences des manifestants opposés à sa canaccru», constate François Nya- didature étaient déjà redescendus moya, avocat et opposant bien dans la rue à Musaga, un quartier connu à Bujumbura. Joint vendredi du sud de Bujumbura. Avant d’être au téléphone, il affichait une séré- dispersés par les tirs de sommation nité apparente, alors que les crain- de la police. Peu après, on appre- LES ACCORDS D’ARUSHA Conclus en 2000 à l’issue d’une longue guerre civile, ces accords prévoient qu’un président ne peut être élu que deux fois, au suffrage universel. Elu la première fois par le seul Parlement, Nkurunziza joue de cet artifice pour briguer ce mandat «de trop» auquel s’opposent les putschistes. 40 militaires putschistes auraient été arrêtés dès vendredi juste aprés l’annonce de l’échec du coup d’Etat fomenté par des militaires opposés au troisième mandat du Président. DÉFI. «Même au sein du parti présidentiel, des personnalités sont opposées à ce troisième mandat», rappelle Ntibantunganya, qui assure qu’à Dar es-Salaam les participants avaient adressé «un message clair» à Nkurunziza, l’incitant à «respecter la Constitution». Et donc à ne pas se représenter ? «La communauté internationale a toujours aidé le Burundi dans les multiples crises qu’il a traversées. Pour les accords de paix d’Arusha en 2000, deux illustres chefs d’Etat africains aujourd’hui décédés, le Tanzanien Julius Nyerere et le Sud-Africain Nelson Mandela, s’étaient personnellement impliqués pour leur réussite. Personne n’a intérêt à gaspiller l’héritage de ces accords qui ont ramené la paix au Burundi», soulignait vendredi l’ancien président, qui avait vécu douloureusement les événements de 1993 : «Tous mes amis politiques sont morts lors de cette crise. Et ma femme a été tuée parce que les tueurs ne m’ont pas trouvé chez moi.» Aujourd’hui, le Burundi est à nouveau dans la tourmente et la communauté internationale attendue au tournant. Avec un premier défi: s’assurer que les mutins arrêtés ne soient pas assassinés. «J’espère qu’ils ne vont pas nous tuer», avait glissé leur chef à l’AFP. Vendredi soir, Godefroid Niyombare était encore en fuite. Mais trois de ses plus proches collaborateurs, dont Venant Ntabaneze interviewé la veille par Libération, étaient déjà aux mains des partisans de Nkurunziza. • LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 H MONDEXPRESSO La peine de mort, c’est la condamnation qu’a infligée vendredi la cour de Boston (Massachusetts) à Djokhar Tsarnaev, 21 ans, l’un des auteurs des attentats qui avaient frappé la ville américaine lors de l’organisation d’un marathon le 15 avril 2013. Trois spectateurs, dont un enfant de 8 ans, avaient été tués par l’explosion de deux bombes artisanales près de la li- 350 gne d’arrivée. L’attaque avait aussi blessé 264 personnes, dont 17 ont dû être amputées. Les douze jurés devaient décider entre peine de mort et perpétuité. Ils ont délibéré quatorze heures avant de parvenir à leur verdict. La loi américaine exige l’unanimité pour imposer la peine de mort. «C’est une punition adéquate», a réagi le ministre de la Justice américain. A l’audience, les procureurs ont décrit Tsarnaev, musulman d’origine tchétchène, comme un terroriste sans remords, qui faisait jeu égal avec son frère aîné, Tamerlan, 26 ans, coauteur des attentats, tué par la police quatre jours après l’attaque. La défense à l’inverse l’a décrit comme un «enfant perdu», sous la coupe de Tamerlan qui s’était autoradicalisé via Internet. enfants soldats, dont certains âgés de moins de 12 ans, ont été libérés, jeudi, par des groupes armés en Centrafrique. La libération survient une semaine après l’accord conclu avec l’Unicef. LES GENS Ayelet Shaked, la nouvelle ministre de la Justice, à la Knesset à Jérusalem, jeudi. PHOTO AP LE TRAVAILLISTE CHUKA UMUNNA JETTE L’ÉPONGE Chuka Umunna, élu de Streatham (quartier du sud de Londres) et figure montante du Labour britannique (lire Libération de jeudi), le Parti travailliste, a annoncé vendredi qu’il abandonnait officiellement la course pour la tête du parti. Sa décision intervient seulement trois jours après l’annonce de sa candidature. Ses raisons? Il invoque la pression médiatique accrue après la lourde défaite des travaillistes le 7 mai: «Chacun peut imaginer à quoi cela peut ressembler d’être candidat à la tête du parti, comprendre les exigences et l’attention qui vont avec, mais ce n’est rien comparé à être véritablement candidat et à l’impact que cela peut avoir sur sa vie.» Cette pression aurait affecté sa famille proche, dont une grandmère de 102 ans. Chuka Umunna forfait, cinq autres candidats restent en lice pour l’élection du leader du Labour le 12 septembre. PHOTO REUTERS Lafineéquipede BenyaminNétanyahou ISRAËL Le nouveau gouvernement est composé d’ultraorthodoxes aux pratiques douteuses. L e nouveau gouvernement du Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, compte de gracieux personnages. Un ancien condamné pour corruption, des religieux jusqu’au-boutistes et une ministre de la Justice qui s’est fait remarquer par ses propos incendiaires sur les Palestiniens. Par exemple, le ministre de l’Economie, Arié Deri, chef de file du parti ultraorthodoxe Shass, a passé vingt-trois mois en prison après avoir été reconnu coupable, en 2000, d’avoir reçu 155 000 dollars de pots-devin alors qu’il était ministre de l’Intérieur. Boucliers. Dans son genre, la ministre de la Justice, Ayelet Shaked, numéro 3 du parti nationaliste religieux Foyer juif, se débrouille remarquablement. Elle a suscité des levées de boucliers depuis qu’elle est entrée à la Knesset en 2013 en mettant en exergue sur sa page Facebook l’été dernier un article écrit en 2002 par le leader des colons de l’époque, Uri Elitzur, qui qualifiait les activistes palestiniens de «serpents» et affirmait que quiconque soutenait le terrorisme devait être tué. Le ministre de l’Education et chef du Foyer juif, Naftali Bennett, a, lui, un langage fleuri: le conflit avec les Palestiniens est insoluble et il faut s’en accommoder comme «d’un éclat d’obus dans les fesses». Le meilleur restant l’ancien général Yoav Galant. Un véritable bâtisseur que cet homme-là: pressenti en 2010 comme chef d’état-major, il avait été disqualifié en raison d’accusations d’appropriation illégale de terres autour de sa villa de luxe. Malgré le scandale provoqué alors par la publication des photos de sa maison, le numéro 2 du parti de centre droit Koulanou a été nommé ministre du Logement. Le cas de la formation ultraorthodoxe Judaïsme unifié de la Torah a tout d’un casse-tête constitutionnel. Ce parti, qui n’a pas reçu de portefeuille ministériel bien qu’il ait été le premier à signer un accord de coalition avec Nétanyahou, répugne par conviction religieuse à prêter serment à un Etat séculier. Paluches. Pour simplifier le protocole, Nétanyahou a nommé ministre adjointe des Affaires étrangères Tzipi Hotovely (Likoud), une juive orthodoxe. Va-t-elle appliquer strictement les règles de sa religion et refuser de serrer la main aux officiels? Elle a dit par communiqué qu’elle n’offenserait pas les dirigeants étrangers et serrerait les paluches, même masculines, qui lui seraient tendues. S. Étr 11 QUESTIONS À TIÉBILÉ DRAMÉ EX-MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DU MALI «L’accord d’Alger ouvre un boulevard à la partition du Mali» Le Malien Tiébilé Dramé, 58 ans, ancien ministre des Affaires étrangères et président du Parti pour la renaissance nationale, pointe les risques et les conséquences de l’accord d’Alger conclu jeudi, après huit mois de négociation, entre le pouvoir central et les groupes armés. Ces derniers étaient cependant absents de la signature officielle à Bamako le lendemain. w Le diable se cachant dans les détails: où se cache-t-il dans cet accord d’Alger? D’abord, l’absence de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), qui a paraphé jeudi mais pas signé vendredi, en fragilise déjà la valeur. Surtout, cet accord nous fait entrer, à notre insu, dans un nouveau régime institutionnel, celui des régions-Etats [trois actuellement, Gao, Kidal, Tombouctou, ndlr] disposant de pouvoirs étendus et dirigées par un hyper-Président. Ce dernier sera élu au suffrage universel direct. Il sera à la fois président de l’assemblée régionale, président de l’exécutif régional et chef de l’administration de la région-Etat. Il cumulera l’exécutif et le législatif. C’est un pouvoir considérable. w Quels en seraient les dangers? Dans un pays en crise profonde, dans un Nord-Mali caractérisé par une polarisation ethnique et communautaire, un mode de scrutin sans proportionnelle n’encourage pas le partage et la négociation. Ce mode réunit une concentration excessive des pouvoirs. Il contient les germes de nouvelles frustrations et de nouveaux conflits qu’un accord de paix aurait du, hélas, prévoir. w Vous parliez la semaine dernière de «ferments» de la partition du pays. En voyez-vous un? Dans le contexte d’un Etat central affaibli et dont le crédit s’est érodé aux yeux des populations, le mode d’élection du président de région et la concentration de pouvoirs renforceront les tendances centrifuges. C’est une autonomie de fait qui ouvre un boulevard vers la partition. w Quelles sont les causes profondes de la «déconstruction» du pays qui n’ont pas été évoquées dans l’accord? L’économie criminelle basée sur divers trafics, dont le narcotrafic, la gangrène de la corruption et le manque de vitalité des institutions et des contre-pouvoirs. Il aurait fallu tirer les leçons de l’effondrement de l’Etat et dessiner les contours d’un nouveau Mali sur la base d’une vision refondatrice de sa gouvernance et de ses institutions pour réduire les risques de rechute. w Pourquoi les groupes armés ont-ils attendu si longtemps pour signer alors que l’accord prévoit une large autonomie? A mon avis, ils voulaient (veulent) tirer tous les dividendes, tous les avantages de l’affaiblissement du Mali et de la défaite douloureuse de mai 2014 [déroute de l’armée malienne à Kidal face aux groupes armés touaregs]. En ignorant, ou faisant semblant d’ignorer, qu’ils restent engagés par leurs signatures apposées en juin 2013 sur l’accord de Ouagadougou et par lequel ils reconnaissent l’intégrité du territoire, l’unité nationale, la forme laïque et républicaine de l’Etat. REUTERS A Djokhar Tsarnaev écope de la peine capitale RETOUR SUR LE PROCÈS DES ATTENTATS DE BOSTON • Recueilli par JEAN-LOUIS LE TOUZET «Ces problèmes de grandes migrations ressemblent beaucoup à ceux de l’exode rural. Les gens quittent les campagnes pour les villes, poussés par la pauvreté […] tout simplement parce que leur situation est intenable.» Mahamadou Issoufou le président nigérien, vendredi, réagissant au plan de la Commission européenne prévoyant l’ouverture d’ici à la fin de l’année à Agadez d’une structure d’accueil pilote où les migrants se feraient une «image réaliste» de leurs chances de succès et où «des options pour l’aide au retour» leur seraient offertes 12 • FRANCE LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 Bruno Le Maire, député UMP, plaide pour la suppression de la deuxième langue pour tous et la constitution d’un seul corps de professeurs du CP à la troisième: «Ilfautremplacerlecollège uniqueparuncollège diversifié» Recueilli parALAIN AUFFRAY REPÈRES A la pointe du combat contre la réforme deuxième langue à tous dès la classe de 5e. Il aurait du collège, le député UMP Bruno mieux valu amener un plus grand nombre vers Le Maire a grillé la politesse à tous ses ces classes, qui marchent. Je crois surtout à la diaînés, Sarkozy, Juppé et Fillon. Probable versification des parcours et à la reconnaissance candidat à la primaire qui désignera le candidat de de la diversité des talents. On peut avoir des intella droite à l’élection présidentielle, il dévoile pour ligences dans le domaine manuel comme en Libération les principes d’une politique éducative français ou en mathématiques. Cela doit être dont la droite doit faire, selon lui, sa priorité: rem- reconnu. placement du collège unique par un «collège di- En réalité, ces classes bilangues que vous défendez versifié» où des options professionalisantes se- servent souvent à échapper à la mixité sociale dans raient proposées dès la sixième ; fusion des des classes jugées trop hétérogènes… instituteurs et des enseignants de collège dans un Je ne le conteste pas. Je dis que sur la base de ce corps unique de professeurs polyvalents constat, il y a deux orientations possiencadrant toute la scolarité obligatoire, INTERVIEW bles. Soit on se bat pour diversifier le du CP jusqu’à la troisième. Des mesures recrutement de ces classes en les radicales, selon lui plus «justes» que le «nivelle- ouvrant aux élèves de milieux plus modestes: c’est ment» prôné par la gauche. mon choix, celui de l’excellence pour chacun. Soit Des élèves qui régressent en français, en maths et on impose une deuxième langue pour tous en en histoire; 140000 décrocheurs chaque année. classe de 5e : c’est le choix du gouvernement. Or N’est-ce pas aussi le bilan de la droite? soyons réalistes: est-ce que les élèves de 5e qui ont Le plus grand scandale de la République, c’est des difficultés en français pourront apprendre l’échec de notre école qui est incapable de valori- correctement une deuxième langue ? La réponse ser les talents de nos enfants, de leur donner des est non. Mieux vaudrait faire le maximum pour perspectives d’épanouissement et de réussite so- aider ces enfants à rattraper leur retard. Je préfère ciale. Cet échec national nous concerne tous. une égalité réelle à une égalité théorique. La France est l’un des pays les plus injustes, celui Parce que ce projet ne garantit pas la maîtrise des où l’origine sociale a le plus d’influence sur le destin connaissances fondamentales, il aggravera les des élèves. Najat Vallaud-Belkacem explique qu’elle inégalités. veut changer ça. Comment lui donner tort? Vous voulez donc supprimer la deuxième langue Sa réforme lui donne tort: elle uniformise, au lieu vivante obligatoire au collège? de diversifier, elle nivelle, au lieu de tirer vers le Deux langues, ce n’est pas une priorité. Nous haut. Ce n’est pas comme cela qu’on offrira avons des jeunes en classe de 3e qui sont incapales mêmes chances à chacun. Elle supprime par bles d’aligner deux phrases correctes en français. exemple les classes bilangues pour donner une Ces enfants sont condamnés à l’échec, parce que BRUNO LE MAIRE 2002 - 2005 Conseiller de Dominique de Villepin au Quai d’Orsay puis à Matignon. 2006 Directeur de cabinet du Premier ministre. 2007 Député de l’Eure, réélu en 2012. 2008 -2012 Ministre du gouvernement Fillon (Affaires européennes, Agriculture) «L’égalitarisme ne peut pas faire un projet pour notre nation.» Lettre ouverte de Bruno le Maire au chef de l’Etat demandant le retrait de la réforme du collège. Signée par 248 parlementaires 29% c’est le score de Bruno Le Maire concurrent de Nicolas Sarkozy à l’élection à la présidence de l’UMP, le 29 novembre 2014 «Une primaire vaut bien une messe, elle sera chez vous en latin.» Lettre ouverte du numéro 1 du PS Jean Christophe Cambadelis, ironisant sur le combat de Bruno Le Maire contre la réforme du collège nous ne leur avons pas donné la maîtrise des savoirs fondamentaux, qui garantit la liberté dans la société. Ce qui inspire cette réforme, c’est l’idée que la mixité sociale serait la condition d’une école plus juste et plus performante. Vous contestez cela? La gauche veut amener tout le monde au baccalauréat. Je conteste cette obsession. Je regrette que la droite ait suivi ce chemin. Notre objectif ne doit pas être 80% d’une classe d’âge au baccalauréat, mais 100% avec un emploi. Sortons de Bourdieu! La reproduction sociale commence par le chômage. La liberté se trouve dans la capacité à prendre sa place dans la société. Je réitère ma proposition de débat au Premier ministre. Il faut donc, selon vous, renoncer au collège unique? Je propose de remplacer le collège unique par un collège diversifié. Il serait fondé sur un socle de connaissances comprenant le français, les maths, l’histoire et une langue étrangère. Ces quatre matières fondamentales devraient être maîtrisées parfaitement, grâce à un accompagnement personnalisé réservé aux collégiens en difficulté. Comment s’organiserait, concrètement ce collège diversifié? Ce tronc commun représenterait une vingtaine d’heures par semaine. On y ajouterait six à huit heures dédiées aux options. Que ceux qui sont doués pour les nouvelles technologies ou la mécanique par exemple puissent en faire vraiment sérieusement, comme pour le sport ou les langues. Imposer à chacun un moule unique, c’est une souffrance pour les élèves, leurs parents et leurs professeurs. Dans votre collège, certains collégiens seraient, de facto, orientés dès la 6e vers la voie professionnelle? Non! C’est un mauvais procès. Je dis juste: garantissons l’acquisition des connaissances fondamentales et reconnaissons la diversité des parcours. De sorte qu’en fin de 3e, l’orientation n’apparaisse pas comme une sanction. Que se passe-t-il aujourd’hui ? On évalue exclusivement sur des compétences académiques. En gonflant les notes, on fait croire aux collégiens qu’ils ont le niveau pour passer en classe supérieure. Et en 3e, on finit par leur dire «désolé, la voie générale ce n’est pas pour vous». Je préfère des jeunes en filière professionnelle épanouis plutôt que ces millions de chômeurs que nous avons fabriqués depuis trente ans, droite et gauche confondues, en envoyant des générations vers des filières universitaires qui ont des taux d’employabilité très faibles. C’est donc bien, au minimum, une préprofession- LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 FRANCE A Paris le 4 novembre. PHOTO ALBERT FACELLY • 13 nalisation que vous préconisez! Ce n’est pas ce que je propose ! Prenons un élève qui a choisi de découvrir la mécanique : il pourra très bien rattraper son retard en français grâce à l’accompagnement personnalisé. Rien ne lui interdit, en 5e, de prendre une autre option et de découvrir un autre parcours. Le plus important est que chaque élève trouve sa voie. Depuis les années 80, la droite réclame l’autonomie des établissements scolaires. Mais curieusement, elle n’en fait rien quand elle est au pouvoir… Si la droite avait réussi, nous aurions été réélus. Oui, il faut donner plus de responsabilité aux enseignants. Mais pourquoi vouloir encadrer cette autonomie dans l’usine à gaz des «enseignements pratiques interdisciplinaires» ? La droite a trop longtemps considéré que l’éducation était la chasse gardée de la gauche. Nous devons en faire notre priorité pour les dix prochaines années. Najat Vallaud-Belkacem n’est pas la plus mal placée pour parler d’élitisme républicain. Elle en est ellemême l’incarnation… Je ne fais aucune attaque personnelle, contrairement au Parti socialiste et aux membres du gouvernement. 250 parlementaires ont signé ma lettre ouverte au chef de l’Etat, et plus de 20 000 citoyens. Je suis comptable auprès de chacun d’eux du sérieux et de la dignité de mes propositions. Faut-il réformer aussi le métier d’enseignant? Je propose de constituer un seul corps de professeurs du CP à la fin du collège, c’est-à-dire pour toute la scolarité obligatoire. Il faut des possibilités de bivalence, ce qui permettrait de répondre au besoin de passerelles entre les disciplines. Le service hebdomadaire des enseignants serait de vingt heures environ au collège. En compensation, nous devons garantir aux professeurs – dont la gestion de carrière doit être retirée aux syndicats– de meilleures conditions de travail, avec une revalorisation salariale significative, des salles de travail plus dignes. Il faut aussi rétablir leur autorité : à l’école, ce ne sont pas les élèves ou les parents qui font la loi, mais les professeurs. Nous devons enfin réfléchir à la deuxième carrière que nous pourrions offrir aux enseignants, qui, au bout de dix ou quinze ans, voudraient passer à autre chose. Vous imaginez l’ampleur des protestations qui accueilleront de telles propositions? Et pourquoi donc ? Il est temps que nous assumions des changements en profondeur. La formation pédagogique doit aussi être revue. Comme agrégé, spécialiste de Marcel Proust, je suis formé à tout sauf à enseigner en collège. Parce que mon savoir est inversement proportionnel à mes compétences pédagogiques. Avec ce nouveau corps d’enseignants, je propose de trouver le bon équilibre entre savoir et maîtrise pédagogique. Le projet de réforme des programmes ferait, selon vous, trop de peu de place au «roman national». Le cours d’histoire doit-il être un cours d’identité nationale? Je condamne cette tendance à aller gratter les plaies de l’histoire de France. On peut regarder en face son histoire, avec ses heures de gloires et ses heures sombres, sans céder à cette obsession maladive. Pourquoi mettre en avant la traite négrière et la colonisation et rendre facultatives les Lumières ? Une nation est son histoire, et les Lumières sont au cœur de notre Histoire. On ne peut pas défiler le 11 janvier en disant «je suis Charlie» et renoncer à dire «je suis Voltaire». Le rôle de l’histoire au collège, c’est de faire comprendre à chaque élève qu’il appartient à une nation dont il peut être fier. Oui, je reprends le mot de roman national. Il ne peut pas y avoir de nation ni de destin commun sans connaissance de ce roman. Il ne peut pas y avoir d’intégration sans partage de mémoire. • 14 • LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 FRANCEXPRESSO VU D’ORLÉANS Par MOURAD GUICHARD CARNET La police fait sa pub par des clips assaisonnés d’hémoglobine C’ est devenu le moyen de communication à la mode. Un peu partout en France, dans les halls d’accueil et salles d’attente des administrations, des écrans plasma fleurissent, diffusant des clips de promotion et d’information. Depuis décembre 2014, le commissariat de Blois (Loiret-Cher) a franchi le pas en proposant des diaporamas présentant le fonctionnement de la Direction centrale de la sécurité publique, le quotidien de «la police nationale, une force de protection et d’action au service de tous» et vantant des actions à l’attention des seniors ou dans le cadre de la lutte contre les cambriolages. Fin avril, au détour d’une séquence, l’œil de Marie-Paule est attiré par un tout autre type d’informations. «On a commencé à voir des articles de la Nouvelle République, le journal local, qui traitaient de faits divers avec des titres plus sordides les uns que les autres, comme “Drame conjugal : un père de famille érythréenne a […] blessé sa compagne et son bébé d’une vingtaine de coups de couteau” ou encore “le pédophile avait sévi plusieurs fois en Vendômois“. Quel message CONFÉRENCES le commissariat veut-il faire passer aux usagers ?» interroge cette enseignante dans une lettre ouverte adressée au préfet, au ministre de l’Intérieur et au président de la République. Contactée par Libération, la préfecture du Loir-et-Cher assure que le but de ce diaporama est «d’améliorer les conditions d’accueil du public et des victimes et la perception que les citoyens ont de la police». Pour Marie-Paule, «si l’objectif de redorer le blason de la police est tout à fait défendable», il doit se faire «sur des messages valorisant réellement le travail des policiers», rappelant la présence régulière de jeunes enfants dans ces lieux d’accueil. Derrière la diffusion de ces clips, l’enseignante voit une initiative maladroite pouvant favoriser les adeptes de thèses extrémistes. «Les usagers qui se présentent au commissariat sont-ils dans un état d’esprit qui les dispose à recevoir ces informations avec discernement ?» s’interroge-telle. «La police nationale de Blois travaille-t-elle à la promotion du maintien de l’ordre ou à l’organisation du désordre ? Au vivre ensemble ou au rejet de l’autre ?» • LES GENS GILLES LE GUEN, DU MALI AU VIOLON Reconnu coupable d’avoir combattu au Mali dans les rangs d’Aqmi, Gilles Le Guen, 60 ans, surnommé le «jihadiste breton», a été condamné vendredi à huit ans de prison. Il est le premier à écoper d’une peine sur le fondement de la loi votée fin 2012, permettant de poursuivre plus facilement des Français participant à des actes terroristes, des combats, ou partant s’entraîner à l’étranger. Arrivé au Mali en 2011, Gilles Le Guen y avait été arrêté par les forces spéciales françaises en avril 2013. PHOTO AFP «J’ignore qui a eu l’idée de te faire faire cette “faute politique”. […] On remet l’égalité sous le tapis, comme si cela n’était plus une priorité. 47,5% des salariés sont des femmes, comment est-ce possible pour un ministre du Travail de les oublier?» Yvette Roudy ex-ministre des Droits de la femme, dans une lettre à François Rebsamen, ministre du Travail, au sujet de la remise en cause des outils relatifs à l’égalité professionnelle dans le code du travail CONFERENCE PUBLIQUE « Condorcet - Brossolette » On compte environ 2000 enfants nés d’une GPA en France. PHOTO MEYER. TENDANCE FLOUE GPA:troisenfantsont le feuvertpourdespapiers DROIT Le TGI de Nantes ordonne d’inscrire dans l’état civil trois Français nés d’une gestation pour autrui. L a France va-t-elle enfin délivrer sans rechigner des papiers aux enfants nés d’une gestation pour autrui à l’étranger ? Un pas vient à l’évidence d’être franchi. En mars, le parquet de Nantes, compétent en matière d’état civil pour toute la France, s’était opposé à la transcription dans l’état civil français des actes de naissance de trois enfants, nés de GPA (en Ukraine, en Inde et aux Etats-Unis). Il a pris mercredi un sacré coup de baguette sur les doigts: le tribunal de grande instance (TGI) de la ville l’a enjoint à procéder à la transcription. Et de surcroît condamné à verser 1 000 euros de frais d’avocat aux familles. Filiation. Un virage à 180° de la justice face à la gestation pour autrui? En rien. La GPA reste (et restera sans doute longtemps) interdite en France. Et cette décision du tribunal de grande instance de Nantes n’est en fait qu’une simple application de deux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui prônent le respect de l’intérêt supérieur des enfants. Etre en possession de papiers d’identité, figurer sur un livret de famille (et avoir ainsi une filiation établie), pouvoir disposer d’un passeport font en l’occurrence partie de cet «intérêt supérieur». Pour mémoire, la CEDH avait condamné en juin 2014 la France dans deux affaires relatives à la situation de trois enfants (dont les célèbres jumelles Mennesson) nés de GPA aux Etats-Unis et que la France privait de papiers. Ces deux arrêts sont devenus applicables en septembre, la France n’ayant pas fait appel de cette décision, malgré d’intenses pressions des anti-GPA. Depuis, au grand désarroi des familles hétérosexuelles (la majorité des cas, et suite à des problèmes d’utérus) et homosexuelles pour lesquelles la GPA est la seule façon de fonder une famille, le parquet de Nantes faisait de la résistance. Pour l’avocate Caroline Mécary, cette décision du TGI de Nantes «est une victoire pour chacun des enfants concernés… C’est enfin la victoire du droit sur les tergiversations politiciennes au plus haut niveau de l’Etat», commente-t-elle, déplorant que la question de la GPA «se règle dans le silence des tribunaux» plutôt que par une décision politique. En octobre, le Premier ministre, Manuel Valls, avait en effet assuré que la reconnaissance des enfants nés par GPA resterait interdite en France, malgré la condamnation par la CEDH. Claude Bartolone, président de l’Assemblée et candidat socialiste aux régionales en Ilede-France, a de son côté souligné la «contradiction» qui règne sur le sujet : luimême se dit contre la «marchandisation des corps», mais favorable à la reconnaissance des enfants nés d’une GPA, car «une fois qu’ils sont là», ils sont bel et bien «de chair et de sang». «C’est le droit de l’enfant qui doit primer», plaide-t-il. Tribune. A peine révélée par Ouest-France, l’injonction du TGI de Nantes de demander l’inscription de ces trois enfants sur les registres français de l’état civil a réveillé l’ire de ceux qui condamnent le recours à cette pratique. «Reconnaître» ces enfants revient à légitimer la gestation pour autrui, bien que la CEDH ne se soit aucunement prononcée pour ou contre la GPA, disent-ils. Ils sont nombreux dans ce cas, tant dans le camp des féministes et de certains altermondialistes, comme l’a encore montré une tribune parue dans Libération, que dans les rangs de la Manif pour tous. «Derrière ces trois lettres, GPA, se cache un scandale que la France, patrie des droits de l’homme, doit combattre et non avaliser par l’intermédiaire des tribunaux», a réagi la présidente de ce mouvement, Ludovine de la Rochère. Dans le camp adverse, on se réjouit de la décision du TGI. Un signe favorable, alors que la Cour de cassation, instance suprême, doit statuer en juin sur les cas de deux enfants nés en Russie et toujours privés de papiers. Une décision très attendue, car propre à régler une fois pour toutes le sort de ceux qu’on appelle les petits «fantômes de la République». CATHERINE MALLAVAL Le jeudi 21 mai à 19 h 30 Avec Alain Graesel, ancien Grand Maître de la Grande Loge de France, Président de la Confédération des Grandes Loges Unies La Grande Loge de France Principes, valeurs, identité. Les perspectives. Entrée Libre Temple Pierre Brossolette à la Grande Loge de France 8, rue Puteaux - 75017 Paris SOUVENIRS Rucha ANAHORY DE VASCONCELLOS 3 ans que t'es partie. Et tout est dépeuplé. Le Carnet Vous Vous organisez organisez un un colloque, colloque, un un séminaire, séminaire, une une conférence… conférence… Contactez-nous Contactez-nous Réservations et insertions la veille de 9h à 11h pour une parution le lendemain Tarifs : 16,30 € TTC la ligne Forfait 10 lignes 153 € TTC pour une parution (15,30 € TTC la ligne supplémentaire) Abonnés et associations : -10% Tél. 01 40 10 52 45 Fax. 01 40 10 52 35 Vous pouvez nous faire parvenir vos textes par e.mail : [email protected] La reproduction de nos petites annonces est interdite Le Carnet Emilie Rigaudias 0140105245 [email protected] LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 FRANCEXPRESSO CONCERT GRAND CORPS MALADE SE DIT «CENSURÉ» Par ALAIN AUFFRAY #NSDirect: Sarkozy tweete de tout et de rien L es communicants ont fait leurs comptes. L’opération «Nicolas Sarkozy répond à vos questions sur Twitter» est à leurs yeux un franc succès. Vendredi soir le haschtag #NSDirect avait généré, selon eux, des «millions de pages vues». En tout cas, plus de 60 000 internautes auraient participé à ce tchat, en posant des questions à l’ancien chef d’Etat. PatrickDevedjian,esclave despolémiquesdouteuses GALÈRES L’ex-ministre UMP tente de relativiser la traite négrière REUTERS en mettant en parallèle les captifs blancs des «Barbaresques». Patrick Devedjian A u micro de France Bleu le 11 mai, Patrick Devedjian réagissait à la commémoration de l’abolition de l’esclavage par François Hollande, qui avait inauguré la INTOX veille un mémorial en Guadeloupe. Après avoir admis que «l’esclavage est une horreur…», Devedjian ne peut s’empêcher une touche de relativisme historique très spéciale : «[…] Mais c’est un crime mondial qui a été partagé par toutes les civilisations. Je rappelle que les plus nombreux esclaves ont été les 15 DROIT DE SUITE Annulé, le concert de Grand Corps Malade, le 21 mai, au Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis). La faute, à la «censure», selon le slameur: le maire UMP, Thierry Meignen aurait voulu éviter la venue d’un invité de l’artiste, Rachid Taxi, ayant l’habitude de le «calomnier sur Internet». Une décision jugée «inacceptable» par la ministre de la Culture, Fleur Pellerin. PHOTO REUTERS «Je rappelle que les Blancs européens, y compris les Français, mais surtout les Italiens et les Espagnols, ont été esclaves de Constantinople pendant des siècles. Ça ne concerne pas seulement l’Afrique, ça concerne tout le monde.» • esclaves des Barbaresques, c’est-à-dire des Turcs. Et que les Blancs européens, y compris les Français mais surtout les Italiens et les Espagnols, ont été esclaves de Constantinople pendant des siècles. Ça ne concerne pas seulement l’Afrique, ça concerne tout le monde.» O pposer l’esclavage des Blancs par les Barbaresques à la traite des Noirs, et affirmer que le premier a été équivalent voire plus important en nombre que le seDÉSINTOX cond, c’est quelque chose qu’on lit… essentiellement dans la galaxie des sites d’extrême droite. Certes, l’histoire de l’esclavage n’a pas commencé au XVIe siècle avec la traite et l’esclavage des Noirs. Depuis l’Antiquité, des prisonniers sont utilisés par des peuples de Méditerranée comme monnaie d’échange ou comme outil de travail. Les «Barbaresques» évoqués par Patrick Devedjian, en fait des corsaires musulmans du Maghreb (Maroc, Algérie) et de l’Empire ottoman, ont effectivement capturé des Européens et pratiqué l’esclavage, en particulier au XVIe siècle. Mais pour l’historienne américaine Gillian Weiss, auteure du livre Captifs et corsaires. L’identité française et l’esclavage en Méditerranée, la comparaison de Devedjian est «absurde». Et d’abord en termes d’échelle. «Plus de douze millions d’Africains noirs ont été transportés de l’autre côté de l’Atlantique entre le XVIe et le XIXe siècles. Un million, au plus, et probablement moins d’Européens blancs ont été capturés en Méditerranée.» Au-delà de sa comparaison numérique improbable, Patrick Devedjian amalgame aussi des formes de servitude très différentes. Comme l’explique Gillian Weiss, au XVIe siècle, les Européens capturés en Méditerranée sont le plus souvent des prisonniers de guerre et deviennent donc esclaves «par malchance» – en se trouvant au mauvais endroit au mauvais moment. Le commerce triangulaire répond, lui, à une logique coloniale et une idéologie «racialiste». «Du XVIe au XIXe siècle, on considère que c’est le destin des Noirs que d’être esclave.» Portugais, Espagnols et Français achètent des Africains et les transportent par bateau jusqu’en Amérique, où ils sont revendus pour servir d’esclaves aux colons blancs. Interrogé sur ses sources, Patrick Devedjian nous a répondu de manière évasive : «L’esclavage est d’abord un phénomène antique. L’Egypte, la Grèce, Rome, les Barbaresques d’Afrique du Nord qui alimentent leurs galères. L’esclavage d’Africains vers l’Amérique commence au XVIIe siècle. Lire Pétré-Grenouilleau.» Olivier Pétré-Grenouilleau, auquel renvoie Devedjian, est un historien qui a fait polémique lors de la sortie d’un ouvrage paru en 2004, les Traites négrières : il avait comparé l’importance numéraire des différentes traites dans l’histoire et déploré qu’on se focalise davantage sur l’esclavage transatlantique que sur les traites négrières intra-africaine ou orientale. Mais sans jamais affirmer, comme Devedjian, que l’esclavage des Européens par les Barbaresques a été le plus important dans l’histoire. La confusion du responsable UMP tient peut-être à une lecture rapide d’une interview donnée au Figaro, en 2006, du même Olivier Pétré-Grenouilleau. Interrogé sur un ouvrage d’un historien américain consacré à l’esclavage des Blancs, il déclarait: «Pour le XVIe siècle, le nombre des esclaves chrétiens razziés par les musulmans est supérieur à celui des Africains déportés aux Amériques», ajoutant immédiatement: «Il est vrai que la traite des Noirs ne prendra vraiment son essor qu’à la fin du XVIIe siècle, avec la révolution sucrière dans les Antilles.» Peut-être Devedjian a-t-il retenu la première phrase. Et oublié la suivante. SARAH BOSQUET RETROUVEZ DÉSINTOX DANS LE «28 MINUTES» D’ÉLISABETH QUIN, SUR ARTE À 20 H 05 En fait de questions, c’est surtout une avalanche de moqueries et d’insultes que cette opération aura provoquée. A l’évidence le tweetos moyen – plutôt jeune et urbain – n’est pas spontanément fan du «républicain» en chef. Qu’importe : «Que ce soit en bien ou en mal, l’essentiel est qu’on parle de lui», expliquent les sarkozystes. Parmi les dizaines de milliers de sympathisants, un bon nombre ont tout de même posé quelques questions sérieuses et bienveillantes. Sélectionnées avec soin au standard du parti, elles ont été présentées au chef qui a ainsi pu rédiger soixantedix réponses sur son compte Twitter. L’une des questions les plus «retweetées», et aussi l’une des plus grotesques, aura été celle de son fils Louis, demandant s’il pouvait avoir «une plus grande télé pour sa chambre». «Une plus grande télé contre la suppression de ton addiction à ton ordi», a répondu son père, dans la grande tradition de l’exhibitionnisme sarkozyste. Dans un tout autre genre, il a dû réagir au message délirant d’un élu UMP suggérant d’interdire le culte musulman en France. Sarkozy «condamne». «Même si la laïcité, c’est aussi fixer des limites», juge-t-il utile de préciser. S’il a répondu sur ses séries préférées – Homeland ? «Incroyable» –, l’ancien président de la République a laissé sans réponses les milliers de tweets souvent cruels et drôles qui lui ont été adressés : «Si en 2017 vous reperdez, est-ce que vous re-quitterez la politique pour re-revenir?» Le mystère reste entier. • «En décidant qu’elle se dénommerait dorénavant “les Républicains”, [l’UMP] a délibérément créé un trouble civil, social et politique majeur en France.» Plusieurs organisations et élus de gauche qui dénoncent la légalité de l’utilisation du nouveau nom proposé par Nicolas Sarkozy pour rebaptiser son parti. Vendredi, la justice a accepté d’examiner leur recours en urgence, le 22 mai, soit six jours avant qu’il soit proposé au vote des militants. L’HISTOIRE ROMS: UN COMITÉ DE L’ONU S’ÉLÈVE CONTRE LES DÉRIVES FRANÇAISES «Discours de haine raciale, y compris par des élus politiques», «exclusion», «renforcement des stéréotypes». La France est loin d’être un modèle en matière de politique envers les Roms. C’est ce que dénonce le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (Cerd, ONU) qui souligne une «stigmatisation croissante» de ces populations. Dans ses observations, le Comité s’alarme des «atteintes incessantes et répétées à leur droit au logement, caractérisées par les évacuations forcées de campements où vivent les Roms sans offrir, dans un grand nombre de cas, de solutions alternatives de relogement» ou encore des «violences répétées par des personnes privées et l’usage excessif de la force par la police lors d’évacuations forcées de campements». Face à ces dérives, les experts de l’ONU invitent la France à «prendre en urgence les mesures nécessaires pour protéger les Roms contre toutes violences» et proposent «de promouvoir la tolérance à [leur] égard» avec des campagnes de sensibilisation. 16 • ECONOMIE LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 Deux réacteurs du royaume vont être arrêtés d’ici à 2020. Au gouvernement, Verts et sociauxdémocrates misent sur le «tout renouvelable». Par ANNE-FRANÇOISE HIVERT Correspondante en Scandinavie L La centrale de Ringhals, en juin 2012, dont deux des réacteurs vont être arrêtés. PHOTO BJORN LARSSON. AFP LaSuèdefaitfidelafission énergétique. Difficile, dans ces conditions, d’assurer la rentabilité des réacteurs vieillissants. A droite, conservateurs et libéraux dénoncent une manœuvre du gouvernement, composé des Verts et des sociaux-démocrates, qui vient d’augmenter de 17% la taxe sur l’énergie nucléaire alors que l’objectif devrait être «d’assurer la sauvegarde de cette énergie, indispensable A droite, on dénonce une pour l’emploi et les enmanœuvre du gouvernement qui treprises», s’insurge vient d’augmenter de 17% la taxe Lars Hjälmered, porsur l’énergie nucléaire. te-parole des conservateurs. Mais si Vaten 1980, 58% des Suédois avaient tenfall a reconnu que l’impôt voté pour le démantèlement pro- représentait 20% de ses coûts gressif du parc nucléaire. Deux des de production, son patron, Magnus douze réacteurs ont été «décom- Hall, a assuré que la réforme n’avait missionnés» en 1999 et 2005. Mais, pas affecté la décision du groupe. en 2010, la coalition de droite au Les réacteurs de Ringhals, et sans pouvoir a créé la surprise en an- doute d’autres avec eux, étaient de nonçant qu’elle était prête à soute- toute façon condamnés, selon nir la construction de nouvelles l’analyste Christian Holtz. centrales pour remplacer celles qui arriveraient en fin de vie. GRAND FROID. Après la catastrophe Depuis, l’effondrement du prix de de Fukushima, au Japon, l’Agence l’électricité a changé la donne. suédoise de la sûreté nucléaire a «C’est en partie le résultat d’une décidé de renforcer la sécurité en baisse de la demande et de la politique imposant la construction d’un sysde subvention en faveur des énergies tème indépendant de refroidisserenouvelables, menée en Suède mais ment d’urgence pour chaque réacaussi chez les voisins danois et alle- teur : «C’est un investissement de mand», constate Magnus Thors- plusieurs milliards de couronnes», tensson, analyste auprès de l’orga- commente l’analyste. Les centrales nisation Svensk Energi, qui ont jusqu’à 2020 pour prendre représente les intérêts du secteur des mesures temporaires et jus- qu’à 2025 pour trouver une solution permanente. Que ceux qui craignent une pénurie d’électricité se rassurent: «Il n’y a aucune raison de paniquer», affirme Magnus Thorstensson. Car la Suède produit plus d’électricité qu’elle n’en consomme. En 2014, le royaume a exporté 15,6 térawattheure (TWh), alors que Ringhals 1 et 2 n’ont produit que 10 TWh. Les deux réacteurs, d’ailleurs, sont à l’arrêt depuis plusieurs mois : l’un pour révision, l’autre en raison de problèmes techniques. La perte de puissance dans le réseau, cependant, pourrait poser des difficultés les jours de grand froid sans vent. Le développement de la filière hydroélectrique, qui couvre déjà près de la moitié des besoins du pays, est limité, tandis que l’éolien, qui représente 8% de la production d’électricité et devrait tripler d’ici à 2030, ne suffira pas: «La situation pourrait devenir tendue si nous ne REPÈRES 100 km NORVÈGE Forsmarck SUÈDE !"#$ Stockholm Hydraulique Agesta !"# Oskarshamn Ringhals !""" &# %&&' Barsebäck 'DANEMARK Réacteurs en service La production d’électricité en Suède %(%)"'TWh $# Mer Baltique Réacteurs arrêtés Eolien Thermique Réacteurs en projet d’arrêt !%# Nucléaire Centrale nucléaire Source : Nuclear Transparency Watch, Agence suédoise de la sûreté nucléaire e nucléaire n’a décidément plus la cote en Suède. Après avoir annoncé en janvier qu’il renonçait à construire un nouveau réacteur, le groupe énergétique Vattenfall, contrôlé à 70% par l’Etat et à 30% par l’allemand E.On, a fait savoir qu’il comptait arrêter deux des quatre réacteurs de sa centrale de Ringhals d’ici à 2020. RÉCIT Situés sur la côte ouest du pays, ils auraient dû rester en activité jusqu’en 2025. Mais leur rentabilité n’est plus assurée, selon l’opérateur. D’autres pourraient subir le même sort. Chez les écolos, on jubile. Pour Svante Axelsson, secrétaire général de l’Association suédoise de protection de la nature (SNF), c’est bien la preuve que «la parenthèse nucléaire est en train de se refermer». La députée verte Lise Nordin confirme : «Plus personne, aujourd’hui en Suède, n’envisage d’investir dans ce secteur qui n’a plus d’avenir.» Lors d’un référendum, compensons pas avec une nouvelle production qu’on puisse planifier», explique Olof Klingvall, porte-parole de Svensk Kraftnät, responsable du réseau électrique suédois. BIOMASSE. Le gouvernement a mis en place une commission énergétique qui doit présenter des solutions d’ici au 1er janvier 2017. L’idée est d’aboutir à une stratégie sur le long terme, au-delà des divisions partisanes. Svante Axelsson, de l’Agence de protection de l’environnement, assure que la transition vers le «tout renouvelable» est à portée de main, à condition de maintenir les subventions publiques qui ont dopé les investissements dans l’éolien, l’énergie solaire et la biomasse. La baisse de la consommation d’électricité, dans un pays qui en utilise 2,5 fois plus que ses voisins européens –pour se chauffer, notamment– devrait aussi faciliter la transition. Quant à l’impact environnemental de la fermeture de Ringhals, il sera limité : la production d’électricité n’est responsable que de 5% des émissions en CO2 du pays. «Nous n’utilisons quasiment plus d’énergie fossile pour produire de l’électricité et il n’y a aucune raison que nous revenions en arrière», assure Lise Nordin. L’effet sur l’environnement n’est donc que positif, selon elle : «Nous réduisons les risques et les déchets à traiter.» • LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 ECONOMIEXPRESSO 200 c’est le nombre de conseillers Pôle Emploi qui seront chargés de vérifier la réalité des recherches d’emploi effectuées par les chômeurs à partir d’août. Le Vladivostok, dans le port de Saint-Nazaire, en novembre. PHOTO LAETITIA NOTARIANNI. AP France-Russie, Mistralperdants BATAILLE Paris a offert de rembourser une partie des navires. Une option pour l’heure rejetée par Moscou. L es chiffres arrivent sur la table des négociations. Entre la France et la Russie, le contentieux autour de la livraison de deux bâtiments de projection et de commandement (BPC) a commencé il y a plus d’un an. Reprochant à Moscou son implication auprès des séparatistes prorusses en Ukraine, la France a longuement hésité avant de suspendre la livraison des Mistral. Restait donc à trouver une «solution de sortie de crise», annoncée par François Hollande mi-avril: la date limite pour dénoncer le contrat arrive à échéance ce samedi. Selon le quotidien russe Kommersant, Paris a fait une proposition pour résilier officiellement l’accord : revendre à un tiers les deux navires en échange du remboursement de 785 millions d’euros. Réaction, plus que fraîche, de Moscou, citée par Kommersant: «La proposition de remboursement formulée par la France ne nous convient catégoriquement pas, ce dont le vice-Premier ministre, Dmitri Rogozine, a informé [la partie française].» «Entretien». A vrai dire, les deux points posent problème. Question remboursement: la commande de Moscou s’élevait à 1,2 milliard d’euros. Auxquels s’ajoutent les frais engagés pour adapter ses équipements portuaires à l’arrivée des deux bâtiments militaires et la formation de ses 400 marins. Côté navires, le Vladivostok est toujours amarré à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) alors qu’il devait être livré à l’automne. Et le Sébastopol, qui sera achevé dans les prochaines semaines, n’a pas été payé en intégralité. Le Kremlin a versé 890 millions d’euros, et chiffre son préjudice à 1,163 milliard. Loin des 785 millions proposés par Paris, à en res, systèmes de dégivrage pour affronter le grand froid, installation électrique aux normes russes… «Quelques dizaines de millions d’euros» seraient nécéssaires pour les défaire, avance une source chez DCNS, maître d’œuvre de la conception des Mistral. Le marché pour ce genre de bâtiments militaires n’est pas immense non plus. Ni l’Otan ni l’UE n’ont le budget pour un tel Mais à qui revendre les achat. Et la Manavires? Les BTC ont été rine nationale construits en fonction des française en possède déjà trois. besoins spécifiques russes. Les navires pourcroire la presse russe. Que raient donc être purement et faire, ensuite, des navires ? simplement démantelés. Une Les garder dans le port de opération coûteuse et peu Saint-Nazaire est ruineux. flatteuse en termes d’image. «Il faut payer la location du Croisière. Seul motif de saquai, le gardiennage à bord et tisfaction pour les chantiers l’entretien», dit Nathalie Du- de Saint-Nazaire : le carnet rand-Prinborgne, déléguée de commande s’est rempli FO des chantiers navals de ces derniers mois avec des STX France à Saint-Nazaire. paquebots de croisière, dissiLes évaluations du coût men- pant les inquiétudes des synsuel varient, mais il dépasse- dicats, très remontés par la rait largement le million suspension des livraisons des d’euros. La France ne vou- Mistral. «Les salariés de STX drait donc pas s’éterniser. n’étaient pas du tout responsaFrançois Hollande a confié bles de la situation: il n’y avait les négociations à Louis Gau- pas malfaçon, pas de retard, tier, secrétaire général de la c’était une décision de politique défense et de la sécurité na- étrangère», rappelle Nathalie tionale, qui s’est déjà rendu Durand-Prinborgne. Une inen Russie. Paris souhaite que terrogation demeure néanMoscou accepte le principe moins, ajoute la syndicaliste: de la revente à un tiers. Mais «Si la non-livraison est intéà qui ? Les deux BTC ont été grée aux résultats de STX par construits en fonction des le commissaire aux comptes, besoins spécifiques des Rus- ce ne sera pas bon pour les gases: adaptation de la hauteur ranties bancaires.» des ponts à leurs hélicoptèPIERRE ALONSO «Je suis choquée et scandalisée qu’une direction qui a bénéficié d’autant de soutien après les attentats de janvier fasse preuve d’aussi peu de soutien envers un de ses salariés.» • 17 L’HISTOIRE LE FRANÇAIS MYFERRYLINK GAGNE SA BATAILLE D’ANGLETERRE Touchée, mais pas coulée. Ce vendredi, la compagnie de transport maritime française MyFerryLink a gagné sa bataille juridique contre l’Autorité de la concurrence et des marchés britannique, et pourra continuer d’accoster au port anglais de Douvres depuis Calais. «Cette décision représente une victoire significative pour nos employés dévoués et nos clients, qui vont continuer à bénéficier d’une concurrence saine sur les traversées maritimes courtes», a réagi MyFerryLink, qui emploie 577 salariés. L’an passé, les autorités britanniques avaient interdit à la compagnie d’opérer entre Douvres et Calais après juillet 2015, estimant que sa proximité avec Eurotunnel –dont elle est une filiale depuis 2012– posait des problèmes de concurrence. Une décision cassée par la cour d’appel britannique qui a estimé ce vendredi qu’il n’y avait pas eu de fusion au sens juridique du terme. -0,71 % / 4 993,82 PTS 4 086 476 576€ +54,63% Zineb El Rhazoui journaliste à Charlie Hebdo, a vivement critiqué la direction du journal qui l’a convoquée, mercredi par courrier, pour un entretien préalable à un licenciement. La direction a minimisé vendredi, indiquant qu’il s’agissait de la «rappeler à ses obligations minimales vis-à-vis de son employeur». Les 3 plus fortes ACCOR ARCELORMITTAL UNIBAIL-RODAMCO Les 3 plus basses TECHNIP TOTAL ORANGE 18 231,25 -0,11 % 5 042,52 -0,16 % 6 960,49 -0,18 % 19 732,92 +0,83 % VOUS!ÊTES!ABONNÉ!? Chaque semaine, participez au tirage au sort pour bénéficier de nombreux privilèges et invitations. FESTIVAL!ART!ROCK!À!SAINT-BRIEUC Du 22 au 24 mai 2015, Saint-Brieuc devient le théâtre de toutes les aventures pour trois jours de découvertes et de curiosités artistiques. Évènement pluridisciplinaire, Art Rock mêle musique, danse, théâtre, arts numériques, art visuel, gastronomie... sur un rythme effréné en plein centre-ville de SaintBrieuc. FESTIVAL 10x2 places par jour pour la Grande Scène à gagner LA!VIE!DE!GALILÉE!AU!MONFORT!THÉÂTRE! La Vie de Galilée raconte la destruction d’un certain ordre du monde et l’édification d’unautre. En Italie, au début du xviie siècle, Galilée braque un télescope vers les astres, déplace la Terre, abolit le ciel. La Terre n’est plus le centre de l’Univers : c’est le vertige absolu pour l’Église qui lui fera abjurer ses théories sans pouvoir l’empêcher de travailler en secret à la « signature » de son œuvre, ses Discorsi. THÉÂTRE 5x2 places à gagner pour le 28 mai HOSPITALITÉS!N"# EXPO Du 30 mai au 5 juillet, des parcours inédits pour découvrir l’art contemporain partout en Île-de-France à la rencontre des artistes et des lieux d’exposition. Les 32 membres du réseau Tram vous invitent à partager ces journées uniques. Plus d’infos : www.tram-idf.fr. 5 x 2 places à gagner pour le 30 mai, 7 juin, 20 juin et 5 juillet. Pour en profiter, rendez-vous sur : www.liberation.fr/club/ 18 • LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 ECONOMIE Au Toulouse Hacker Space, jeudi. PHOTO ULRICH LEBEUF. MYOP jeudi, pour l’ouverture. Les questionnements brassés ici dépassent largement la pratique du do-ityourself ou l’attachement à reprendre le contrôle des «tuyaux» – le Tetalab est aussi à l’origine de Tetaneutral, un fournisseur d’accès à Internet associatif qui compte quelque 700 adhérents et opère notamment en zones blanches. Au THSF, on parle gouvernance collaborative en entreprise, dangers de la géolocalisation, censure en ligne ou loi sur le renseignement. On invite Reporters sans frontières, mais aussi Célia Izoard, spécialiste du mouvement luddite, ces tisserands anglais briseurs de machines du début du XIXe siècle. Pour cette dernière, «mettre un frein à l’innovation» est un préalable à toute «émancipation technique». AToulouse,leshackers surfentsurlecanalduMidi Pour la sixième année consécutive, le Toulouse Hacker Space Factory réunit passionnés et spécialistes pour échanger, créer et surtout débattre. Par AMAELLE GUITTON Envoyée spéciale à Toulouse rure – ou à la sérigraphie, entre deux conférences consacrées à l’ordinateur quantique ou aux droits et est un entrepôt toulou- libertés sur Internet, pendant que sain de plus de 4000 m², les plus jeunes découvrent le retroà quelques encablures du gaming et les jeux d’arcade Atari. canal du Midi. Il héberge Pour la sixième année consécutive, quatre jours durant, au le collectif d’artistes fil des allées, un «synREPORTAGE autogéré Mix’art Myrys, thétiseur collaboratif» à établi là depuis dix ans, base de joysticks, un Photomaton et le Tetalab, le hackerspace que le bricolé avec une caméra et un na- lieu héberge depuis sa création, no-ordinateur, ou encore une poi- en 2009, coorganisent le Toulouse gnée de Minitel qui diffusent une Hacker Space Factory (THSF). délirante adaptation animée «télé- L’événement entend réhabiliter le matique» de Justine ou les malheurs sens originel du mot hacking –celui de la vertu, du marquis de Sade. Jus- d’un usage créatif de la technologie. qu’à dimanche, le flâneur peut s’initier aux joies de l’Arduino, le «IMPACTS». Les congrès du Chaos circuit imprimé italien devenu in- Computer Club allemand, le plus dispensable aux bidouilleurs gros club de hackers au monde, ont d’électronique, à l’art délicat du servi d’inspiration, explique Marc lockpicking – le crochetage de ser- Bruyère, l’un des initiateurs de C’ REPÈRES «[Les hackers] partagent une idée simple: […] le partage, le refus de l’autorité, et la nécessité d’agir par soi-même.» Steven Levy dans l’Ethique des hackers, 2013 (éditions du Globe) l’événement. Mais le THSF a sa patte. On n’y cultive pas seulement l’art de la bidouille ou des chemins de traverse, mais aussi la proposition artistique, à travers performances, installations et concerts : «Dès le départ, ça nous a paru être le déplacement –les premiers avec une performance sonore inspirée du trading boursier baptisée «FlashCrash», les seconds avec leur collection de Minitel et un remake tourné avec des bouts de ficelle rebaptisé «Citoyenquatre», de Citizenfour, le documenAu THSF, on parle gouvernance taire de Laura Poitras consacré aux révélations collaborative en entreprise, d’Edward Snowden sur la censure en ligne ou loi sur surveillance pratiquée par le renseignement. la NSA. Car qu’on ne s’y trompe l’essence de ce qu’on avait à faire», pas : les hackers, ces fous de techexplique Joël Lécussan, le coordi- nologie, sont aussi les premiers à en nateur de Mix’art Myrys. «On es- dénoncer l’emprise. «Ce sont sousaie d’inviter des artistes qui ont vent mes interlocuteurs les plus réconscience des impacts de la techno- ceptifs», juge le philosophe Berlogie», précise Pierre, plasticien et nard Stiegler. Venu parler membre du Tetalab. «nouveau projet d’économie poliLes Parisiens du collectif RYBN et tique» et expérimentation territoles Orléanais de Labomedia ont fait riale, Stiegler a fait salle comble TOULOUSE HACKER SPACE FACTORY L’événement, issu d’une collaboration entre le Tetalab et Mix’Art Myrys, se tient jusqu’a dimanche à Toulouse. Programme disponible sur le site Thsf.tetalab.org LES HACKERSPACES Les hackerspaces sont des lieux physiques, des sortes de laboratoires communautaires, où hackers et autres technophiles peuvent partager ressources et savoirs avec le plus grand nombre. RÉAPPROPRIATION. Sans aller jusque là, la devise choisie pour l’édition 2015 –«less is more»: «moins, c’est plus» – sonne a minima comme une invite à réduire le flux de données personnelles devenues outils de traçabilité permanente des individus autant que combustible de l’économie numérique. Elle est aussi, dit Marc Bruyère, le point d’accroche d’«une réflexion autour du tout-économique». Pour Bernard Stiegler, le discours «technocritique» est «de plus en plus entendu depuis trois ou quatre ans, avant même l’affaire Snowden». Et le propos des hackers, fervents défenseurs de la réappropriation de la technologie et du partage des savoirs, de plus en plus écouté. «L’événement s’affirme d’un point de vue politique, assure Joël Lécussan. Et on sent qu’il y a un intérêt croissant, le public est de plus en plus nombreux.» L’an dernier, le THSF a attiré plus de 2 500 personnes, une audience qui dépasse clairement les franges purement geeks. Le tout pour 30 000 euros de budget et un noyau dur d’organisateurs d’une vingtaine de personnes. «Un événement comme celui-là n’est pérenne que si on fait en sorte que chacun puisse contribuer, sourit Pierre. Mon job, aujourd’hui, c’est de convaincre les gens de participer.» De fait, ils sont 150 bénévoles à s’activer, indique-t-il. L’hiver dernier, entre Noël et le Nouvel An, le «grand frère» allemand a drainé plus de 10000 personnes. Le festival de hacking toulousain n’en est certes pas là, mais les sujets qu’il brasse et croise ne sont pas près de s’épuiser. • 1200 C’est le nombre de hackerspaces actifs dans le monde, dont une quarantaine en France, d’après le site contributif Hackerspaces.org. LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 SPORTS PSG, Monaco, Montpellier: les clés du champ’ LIGUE1 Les Parisiens attendent le titre, tandis que l’ASM file vers la Ligue des champions. Les Héraultais sont en embuscade pour une place en Europa. L a 37e journée de L1 est pour samedi (21 heures) avec les dix matchs en simultané par souci d’équité et un suspense plus ou moins relatif selon les étages. Les multiples déclarations fracassantes (le président de Lyon, Jean-Michel Aulas, l’entraîneur stéphanois, Christophe Galtier) et les mises à l’écart de joueurs (le Marseillais Florian Thauvin ou le milieu d’Evian Daniel Wass) disent cependant la nervosité extrême des acteurs. Qui en Ligue des champions ? En cas de nul à Montpellier ou de non-victoire de Lyon à domicile devant Bordeaux, le PSG sera sacré champion pour la 3e fois de suite. Ce week-end ou le suivant, le sacre de Cavani et consorts ne fait aucun doute. La jeune garde de l’OL – huit joueurs de l’équipe type formés au club– accompagnera le mastodonte parisien en Ligue des champions. Quant aux tours préliminaires de la compétition reine, l’AS Monaco est en pole: la réception de Metz (déjà relégué) samedi et 2 points d’avance sur Marseille et Saint-Etienne, c’est le petit Jésus en culotte de velours. D’autant qu’on parle d’une équipe quart de finaliste de Ligue des champions, sortie par la Juve (en finale le 6 juin contre Barcelone) après deux rencontres à touche-touche (0-1, 0-0) et sur un penalty de farceur. Le PSG à l’entraînement au Camp des Loges, le 4 avril. PHOTO FRANCK FIFE. AFP Qui en Ligue Europa ? Contrairement à une idée reçue, les clubs français la jouent à fond depuis deux ans, étalant cependant leurs limites : solide équipe de L1, Saint-Etienne n’y a inscrit que 3 buts en 8 matchs cette saison contre des équipes turque, ukrainienne, italienne et azerbaïdjanaise. En principe, les équipes classées 4e et 5e sont éligibles pour la Ligue Europa : va pour les deux laissés-pourcompte du duel à trois entre Monaco (65 points), Marseille (63 points) et SaintEtienne (63 points), le calendrier des Verts – déplacement à Evian et réception de Guingamp – semblant des plus favorables. Bordeaux (6e, 59 points) paraît loin. Le classement 36e/38 journées POINTS JOUÉS GAGNÉS NULS PERDUS MARQ. 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 Paris SG Lyon Monaco Marseille Saint-Etienne Bordeaux Montpellier Lille Rennes Bastia Guingamp Nantes Caen Lorient Nice Toulouse Reims Evian-TG Metz Lens 77 71 65 63 63 59 56 53 50 46 46 44 42 42 42 42 41 37 30 26 36 36 36 36 36 36 36 36 36 36 36 36 36 36 36 36 36 36 36 36 22 21 18 19 17 16 16 15 13 12 14 11 11 12 11 12 11 11 7 6 11 8 11 6 12 11 8 8 11 10 4 11 9 6 9 6 8 4 9 8 3 7 7 11 7 9 12 13 12 14 18 14 16 18 16 18 17 21 20 22 78 70 48 69 47 44 44 39 35 36 38 28 50 43 39 40 44 38 30 30 ENC. DIFF. 33 32 26 42 28 42 35 37 40 42 52 38 52 48 50 59 63 57 55 59 45 38 22 27 19 2 9 2 -5 -6 -14 -10 -2 -5 -11 -19 -19 -19 -25 -29 Sauf qu’il y a un truc : la finale de la Coupe de France le 30 mai, qui opposera le Paris-SG à un pensionnaire de Ligue 2, l’AJ Auxerre. Or, si Paris l’emporte, ce n’est pas le vainqueur de la Coupe qui ira en Ligue Europa mais le 6e de L1, c’est-à-dire Bordeaux ou Montpellier (56 points). Le calendrier des Héraultais est maousse : le PSG à la Mosson, avant, le week-end prochain, de se déplacer… dans le nouveau stade de Bordeaux. N’empêche : si les hommes de Rolland Courbis abordent ce tout dernier match avec 3 points ou moins de retard, une victoire leur suffira en Gironde, puisqu’ils ont le goal-average (+9 contre +2) par rapport aux joueurs de Willy Sagnol. Le 3e relégué sera Evian (37 points) si les Savoyards ne battent pas Saint-Etienne samedi à Annecy et si Reims (41 points) ne perd pas chez lui contre Rennes, où il aura grand intérêt à assurer le coup : le dernier déplacement des Champenois, au Parc des princes, est une sorte de mission impossible. Caen, Lorient, Nice et Toulouse sont à 42 points et disposent dès ce week-end d’une balle de match, un nul suffisant aux trois premiers nommés. GRÉGORY SCHNEIDER Samedi, 21 heures MontpellierParis-SG, Lyon-Bordeaux, Evian-TG-Saint-Etienne, BastiaCaen, Lille-Marseille, NantesLorient, Guingamp-Toulouse, Nice-Lens, Monaco-Metz, Reims-Rennes. • LES GENS STEVEN GERRARD, ADIEU ANFIELD, BONJOUR TRISTESSE Une ultime standing ovation, un dernier You’ll Never Walk Alone à la gloire de l’idole du club. Et sans doute des torrents de larmes dans les yeux des 45000 supporteurs de Liverpool et de celui qu’ils vont honorer. Steven Gerrard, le mythique capitaine des Reds, va fouler samedi pour la dernière fois la pelouse d’Anfield. Celle qui l’a vu grandir et devenir l’un des meilleurs milieux de terrain au monde. Le gamin de Whiston, banlieue des bords de la Mersey, n’a jamais porté d’autre maillot que celui des Reds. Mais à 34 ans, en baisse de forme et de niveau, «Stevie-G» quitte Liverpool et le championnat anglais pour une expérience aux Etats-Unis. En 708 matchs, l’élégant numéro 8 a presque tout gagné avec son club, de la finale miraculeuse de la Ligue des Champions en 2005 (3-3, victoire aux tirs au but face au Milan AC), à la coupe d’Angleterre (2001, 2006). Seule case vide à son palmarès, le championnat anglais. «Ça va rester comme une cicatrice», confiait Gerrard, dont l’objectif cet après-midi est «de bien finir à Anfield et d’essayer de rester fort pour éviter les larmes». Son entraîneur, Brendan Rodgers, lui a déjà rendu hommage: «Le seul mot pour décrire Steven, c’est Liverpool. Ce qu’il a donné à cette ville, les politiciens ne l’ont pas donné.» PHOTO REUTERS 19 c’était le nombre de points d’avance des Los Angeles Clippers sur les Houston Rockets à un quart d’heure de la fin du match 6 de la demi-finale de la conférence Ouest de NBA. Autant dire que les Angelinos (qui menaient la série 3-2) avaient un pied et demi en finale de conférence. Las, ils se sont écroulés pour finalement s’incliner (107-119) et devront jouer, dimanche, un match décisif au Texas. L’HISTOIRE AIR VICIÉ À BUENOS AIRES ENTRE BOCA JUNIORS ET RIVER PLATE Le derby de Buenos Aires entre Boca Juniors et River Plate, en 8e de finale retour de Copa Libertadores (la Ligue des champions sud-américaine), sur la pelouse de Boca, avait commencé par une minute de silence en hommage à un joueur de 4e division décédé sur un terrain. Il ne s’est pas terminé. Au retour de la pause, les joueurs de River Plate ont été agressés à coups de gaz irritant par les supporteurs de Boca. La violence endémique des barra bravas argentins a fait 14 morts en 2014. Qui en Ligue 2 ? Metz et Lens sont déjà relégués. Pas sûr cependant que les Nordistes repartent un étage plus bas : le dépôt de bilan menace, ce qui contraindrait le club du président Gervais Martel à reprend re en C FA , le 4e échelon. Martel a annoncé l’arrivée de 15 millions d’euros cette semaine, mais comme il a passé sa saison à dire que le pognon allait venir après-demain d’Azerbaïdjan (sa zone de prospection, à l’entendre), c’est un peu comme si un illuminé annonçait le remboursement des emprunts russes depuis un fil suspendu au-dessus du Grand Canyon. 19 Suivez l’actualité du festival sur liberation.fr Insta Cannes avec • LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 IDÉES GRAND FORMAT IDÉES 20 A travers l’incroyable histoire de la «Fuite en Egypte» de Nicolas Poussin, le sociologue Bernard Lahire raconte comment une croûte devient tableau d’exception. CECI N’EST PAS QU’UN TABLEAU de BERNARD LAHIRE La Découverte, 550 pp., 25 €. Recueilli par PHILIPPE DOUROUX et SONYA FAURE Dessin YANN LEGENDRE L e Pape Innocent X de Vélasquez au Grand Palais, le Moïse de Poussin au Louvre, le Cri de Munch à la Fondation Louis-Vuitton (1)… En ce moment, des milliers de spectateurs se pressent pour admirer les grands maîtres. Mais, c’est quoi, un chef-d’œuvre ? Dans Ceci n’est pas qu’un tableau, Bernard Lahire, professeur à Normale Sup Lyon, retrace l’histoire rocambolesque d’une peinture de Nicolas Poussin, une Fuite en Egypte au voyageur couché, aujourd’hui exposée au musée des Beaux-Arts de Lyon. A travers lui, le sociologue scrute les mécanismes qui transforment un objet –des pigments posés sur une toile– en relique sacrée. Votre livre raconte un conte de fées. En 1982, un chef-d’œuvre de Poussin apparaît sur le marché. Il relègue alors le tableau que les experts considéraient jusqu’ici comme le «vrai» au rang de copie. La famille qui pensait posséder une croûte se retrouve avec de l’or entre les mains… Derrière ce récit, vous dévoilez une affaire de rapports de force et de croyances collectives. C’est magique? On sait que Nicolas Poussin a peint, en 1657, une Fuite en Egypte. En 1665, Le Bernin, grand sculpteur italien admiratif de Poussin, est très critique face à cette toile: «On devrait s’arrêter de peindre, avant de peindre des choses pareilles», dit-il. Le premier avis autorisé est donc négatif. A la mort du commanditaire, l’œuvre a déjà disparu. Le mystère s’installe. Siècle après siècle, des «Fuite» et des «Repos en Egypte» apparaissent sans qu’on sache si l’un d’entre eux est «le» tableau peint de la main de Poussin… Jusqu’à ce qu’en 1982, un Anglais, sir Anthony Blunt, le «pape» des poussinistes et le conservateur de la collection de la reine d’Angleterre, affirme à propos d’une toile réapparue qu’il s’agit du tableau de Poussin. Il appartient à une riche collectionneuse américaine, Mme Piasecka Johnson. Mais, une deuxième toile apparaît en 1986, à l’occasion d’une vente aux enchères à Versailles. Elle est mise en vente à 80000 francs, en étant désignée comme une copie de bonne facture. La famille qui la vend se débarrasse d’un objet encombrant, pensant que la peinture religieuse «ne vaut rien». Pierre Rosenberg, qui deviendra président du Louvre, affirme à l’époque que le tableau n’est pas de Poussin. Il est acheté par des marchands de tableaux français, les frères Pardo, pour la somme de 1,5 million de francs. Le prix «parle» de lui-même. Il dit : «Nous parions que ce tableau est le vrai.» S’ouvre alors une bataille pour savoir quelle toile doit être sacrée comme le chef-d’œuvre de Nicolas Poussin? Une controverse s’installe avec, d’un côté, les Anglo-Saxons, emmenés par Blunt et un autre poussiniste, sir Denis Mahon, qui défendent le tableau Piasecka Johnson et, de l’autre, deux experts français : Jacques Thuillier, professeur au Collège de France, et Pierre Rosenberg, qui, entre-temps, a changé d’avis sur l’authenticité du tableau. La bataille des Fuite en Egypte commence. Des laboratoires scientifiques sont mobilisés – un peu comme lorsque l’Eglise fait appel à la science pour authentifier le saint suaire. Cependant, aucun résultat d’analyse ne permet de trancher en faveur de l’un ou de l’autre. A l’usure, c’est le «camp» français qui gagnera, en partie faute de combattants: Blunt est mort en 1983 et Mahon est très âgé [il meurt en 2011 à 100 ans, ndlr]. En 1994, la version des frères Pardo est «publiée» par Jacques Thuillier et apparaît dans le catalo- «La toile jugée médiocre se mue en chef-d’œuvre» LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 gue d’une exposition du Grand Palais sur Poussin. La justice parachève le travail des conservateurs et historiens d’art. En effet, la famille qui avait vendu le tableau comme une copie à bas prix demande l’annulation de la vente et l’obtient. Cette fois, ce sont des juges qui disent qu’il s’agit bien du tableau de Poussin. A la suite de quoi, l’Etat le classe Trésor national –ce qui lui interdit toute sortie du territoire. La famille revend alors le tableau au musée des Beaux-Arts de Lyon pour 17 millions d’euros. La toile initialement jugée médiocre par Le Bernin s’est métamorphosée en chef-d’œuvre. Et une nouvelle Fuite en Egypte apparaît… Elle est exposée dans un petit lieu, tenu par une association, qui est ouvert une fois par mois à Verrières-le-Buisson, en région parisienne. Le président de l’association constate une ressemblance évidente entre le tableau et celui dont il voit la photo dans les journaux. Il contacte le musée des Beaux-Arts de Lyon qui envoie un jeune historien d’art chargé de rédiger un texte sur les copies du tableau. Avant même tout examen, la toile ne GRAND FORMAT IDÉES peut qu’être une copie. La chose est réglée par avance, car on s’est suffisamment battu. Thuillier et Rosenberg ont désigné le tableau autographe, un musée a acquis à grands frais le chef-d’œuvre désigné, les Anglo-Saxons n’ont plus de combattants, la collectionneuse nord-américaine meurt en 2013 et on en reste là (2). Finalement, tout le jeu a consisté à produire de la certitude avec une dose d’incertitude majeure. La réalité d’un chef-d’œuvre repose sur des croyances collectives. Le culte de l’œuvre d’art a ses grands prêtres et sa liturgie… Il faut se demander qui a le pouvoir de sacraliser un objet profane et qui tient la baguette magique, qui change le crapaud en prince charmant. Les frères Pardo sont des marchands. Ils ont une intuition, engagent beaucoup d’argent, mais ne détiennent pas la baguette. Ils demandent à un historien italien peu reconnu de légitimer leur version de • 21 les galeries. La sacralisation de l’art a commencé au Moyen Age quand on a commencé à comparer les poètes au Créateur. Ça n’a rien d’anodin: en en faisant des démiurges, on rattache les artistes au pôle dominant du monde social, donc du côté du sacré, de ce qu’il faut protéger et respecter. On retire les objets d’art de la circulation ordinaire et, de la Renaissance au XVIIIe siècle, les artistes vont progressivement émerger comme groupe social en se séparant des artisans qui, eux, fabriquent des objets profanes. Le musée, qui apparaît au XIXe siècle, n’est que l’aboutissement de cette longue histoire. A travers l’exemple d’un tableau, vous voulez démontrer que notre monde est loin d’être désenchanté. Nos sociétés occidentales fontelles encore place au sacré? Il ne faut pas confondre la religion et le sacré, ce qui arrive souvent en France où nous pensons qu’avec la Révolution française et les Lumières, la raison l’a emporté sur les croyances. Certes, les reli«Qui a le pouvoir de sacraliser gions se sont affaiblies comme prinun objet profane et qui tient cipe structurant l’ensemble des sola baguette magique, qui change ciétés, mais la pensée magique le crapaud en prince charmant?» existait avant les religions, et continue d’exister sans elles dans toutes la Fuite en Egypte. Celui-ci l’écrit… Mais les situations où il y a du pouvoir. La division tout le monde s’en fiche. Ils sollicitent alors entre sacré et profane apparaît dès lors Thuillier et Rosenberg qui, eux, connais- qu’on distingue ce qui est important de ce sent la formule magique. Encore faut-il qui est insignifiant, ce qui doit être manipulé qu’elle soit écrite et publiée. Il se passe six avec précaution de ce qui peut être utilisé ans entre le moment où Thuillier laisse en- sans attention particulière. On le voit bien tendre oralement qu’il pense que c’est avec l’œuvre de Poussin: le même objet qui le bon et celui où il l’écrit en 1994. A ce avait été entreposé dans un bâtiment de moment-là seulement, la magie opère. ferme se retrouve manipulé avec des gants S’il existe de telles batailles, c’est que blancs quand il arrive au musée des Beauxtout le monde –Etat, marchands, his- Arts de Lyon. toriens d’art, conservateurs, commis- Et vous, avec cet intimidant livre de près saires-priseurs– croit en l’art, participe de 600 pages construit comme un raisonneau culte de l’authenticité et du génie, ment philosophique à la manière de Spinoza, admet l’existence de hiérarchies entre avez-vous voulu faire votre chef-d’œuvre? peintres et souhaite s’approprier une Pff… (embarrassé). C’est un travail où de œuvre d’un grand nom de la peinture. Si nombreux éléments s’emboîtent comme le jugement ne peut être pur, c’est que dans une mécanique de haute précision, un tous les acteurs ont intérêt à ce que «leur» travail qui m’a demandé un temps fou et version soit la bonne. Chacun veut profiter pour lequel je n’ai eu que très peu d’argent. de ce morceau de sacré. Cet ouvrage a une conception grothendiecPourquoi dites-vous que l’œuvre d’art kienne (3) : le cas particulier de l’histoire de a remplacé les reliques et que le la Fuite en Egypte ne prend son sens que visiteur de musée est l’objet comme un cas parmi d’autres d’un problème d’un envoûtement? beaucoup plus général dont je parle au début L’histoire des reli- du livre. Je porte cette problématique de ques, qui a commencé l’opposition du sacré et du profane, et de son au IVe siècle, a largement préfiguré articulation à des rapports de domination, l’histoire de l’art: de simples osse- depuis ma thèse de doctorat… J’ai mis ça sous ments deviennent des reliques vé- le boisseau pendant vingt-cinq ans, et là j’ai nérées, qui attirent des milliers de trouvé l’occasion d’y revenir et me suis enfin visiteurs dans les églises; des luttes autorisé à le faire. La taille du livre est impos’engagent entre ceux qui préten- sante et sa forme a un côté abrupt, c’est vrai, dent posséder les bonnes reli- mais il faut écrire les livres qu’on ressent la ques, etc. Aujourd’hui, nous nécessité d’écrire et ne pas se demander si ça croyons, quand nous allons au va être lu ou si ça va plaire. Le lecteur peut musée, avoir un rapport direct d’ailleurs parfaitement commencer par l’hisavec les œuvres, mais nous toire du Poussin, ou ne lire que les “Proposiéprouvons une émotion unique- tions” [en gras dans le livre]… En fait, je crois ment parce que tout a été fait, que j’écris pour la postérité (il rit). • collectivement, pour qu’elle puisse s’exprimer. Le musée et tous les experts qui certifient (1) «Velásquez», au Grand Palais jusqu’au 13 juillet. «Poussin et Dieu», au Louvre, jusqu’au 29 juin. l’authenticité des œuvres trans- «Les Clés d’une passion», à la Fondation forment l’ordinaire en exception- Louis Vuitton, jusqu’au 6 juillet. nel, le profane en sacré. Quand (2) Aux dernières nouvelles, Pierre Rosenberg l’artiste Banksy installe ses œuvres sur n’est pas passé à Verrières-le-Buisson. (3) Alexandre Grothendieck, l’un des plus grands un trottoir à New York, il ne les vend qu’à mathématiciens du XXe siècle, recherchait quelques dizaines de dollars alors qu’elles en toujours la plus grande généralisation possible «valent» plusieurs dizaines de milliers dans pour résoudre des cas particuliers. • 22 LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 IDÉES CHRONIQUES EXPERTISES EN TOUS GENRES REGARDER VOIR Par MATHIEU LINDON Par CLÉMENTINE MERCIER François Hollande, VRP máximo La Havane que vaille P etite pause clope. A Cuba, sur le Malecón, la route côtière qui sépare La Havane de la mer, le couple est venu assister à un concert. Malgré la fête, leurs yeux expriment la lassitude, surtout ceux du monsieur, qui tire sur sa roulée, la tête baissée et la paupière lourde. La femme soutient son compagnon. Avec sa posture de danseuse et son débardeur rouge moulant, très chaleur chaleur, elle fixe de l’autre côté. Les regards s’entrecroisent mais ne se rencontrent pas. Pas plus qu’ils ne soutiennent celui du photographe, qui les observe pourtant de très près. Ont-ils remarqué celui qui les regarde? Pensent-ils à la fin du blocus? Vers qui se tourner? L’ex-ennemi américain ? La convoitise française? La voie chinoise ? Ils sont un peu déboussolés. Cette photographie, parue le 11 mai dans l’événement de Libération consacré à la situation à Cuba, illustre parfaitement les propos recueillis à La Havane par l’envoyé spécial du quotidien, Christian Losson: «La révolution sans fin a épuisé les Cubains. Ils sont las, mais une lueur existe encore dans leur regard.» On cherche quand même un peu la lueur dans les yeux de ce couple. La photo a été prise fin décembre 2014 lors d’un concert de reggaeton. Si ce magnifique portrait paraît à la fois si réaliste et si intrigant, c’est qu’il y a un truc. Le secret ? Michael Christopher Brown, nominé à l’agence Magnum Photos depuis 2013, shoote avec son téléphone portable. Il s’est fait connaî- 4 • LIBÉRATION LUNDI 11 MAI 2015 EVENEMENT une clope achetée à l’unité. «Mais elle a entraîné aussi un développement des inégalités entre ceux qui peuvent le faire et les autres, entre les propriétaires et ceux qui ne le sont pas», note Ariel Camejo, jeune écrivain et prof de littérature. Pour obtenir une licence de casa particular, il faut sortir entre 150 à 300 CUC (peso convertible, équivalent à l’euro) chaque mois, plus une «taxe gastronomique» mensuelle et un impôt annuel sur les bénéfices. «Les inégalités sont déjà là, ajoute Camejo. Entre ceux qui ont de la famille à l’étranger et qui reçoivent de l’aide [la remesa, soit environ 60 % de la population, ndlr] et les autres. Entre les “Palestinos”, ces déplacés venus de l’est de l’île, et les Havanais.» Dans son bureau de la faculté de lettres, où s’ébrouent des étudiants à la recherche de profs souvent absents, Camejo avance : «L’Etat devra peut-être à l’avenir se recentrer sur les plus faibles.» Pourtant, il y aurait, assure Jorge Perugorría, l’acteur le plus célèbre de Cuba, une sorte de ruissellement des bénéfices de l’ouverture, qui toucherait de plus en plus de Cubains. «Prenez la vieille Havane. Il y a quelques années, on ne voyait que la reconstruction officielle», portée par un Etat tentaculaire. «Désormais, on voit la dynamique privée, l’essor d’initiatives individuelles, notamment avec la multiplication de paladares», ces restaurants chics aux mains de particuliers, infréquentables pour les Cubains: un repas à 10 CUC représente une semaine de salaire. L’acteur le sait bien, mais veut croire que «l’Etat va récupérer davantage d’impôts et pourra à terme augmenter les salaires les plus bas et jouer son rôle de filet social. Les derniers seront les premiers : on se développera sans faire les mêmes erreurs que les pays riches». Suite de la page 3 PIANO STEINWAY. «L’artiste, à Cuba, est peut-être celui qui est le plus en contact avec le peuple, il a quasiment le même niveau de vie, il lutte au quotidien», analyse le musicien XAlfonso, qui a créé la Fábrica de arte cubano, lieu avant-gardiste et symbole du bouillonnement culturel dans la capitale (Libération du 29 avril). Enfin, ici comme ailleurs, tous les artistes ne sont pas égaux. Jorge Perugorría ne le cache pas quand il reçoit chez lui à Santa Fe, une banlieue chic. La majestueuse maison des années 50, avec une Lada devant le porche et un Steinway dans le salon, donne sur la mer. Elle est truffée de ses propres peintures. Le beau gosse aux yeux bleus de Fraise et Chocolat et, plus récemment, de Retour à Ithaque, n’a jamais cédé aux sirènes de l’exil hollywoodien («Jamais je n’aurais abandonné ma famille, ma ville.») Il n’a aucune raison de le faire aujourd’hui. «Je suis optimiste sur ce rapprochement sans condition ni préalable avec les Etats-Unis, sourit-il. Les gens ont le sentiment qu’ils vont pouvoir faire ce qu’ils ne pouvaient pas faire avant. Ce processus de libéralisation est à mon avis irréversible.» Comme beaucoup, il semble hésiter sur le tempo à venir du dégel du pays du socialisme réel. «On aimerait que les changements soient plus rapides, mais si on va trop vite, cela peut virer au chaos», dit Perugorría. L’acteur a plus de 50 films à son actif et s’apprête à incarner Mario Conde, le détective fétiche d’un autre Cubain célèbre, le romancier Leonardo Padura. Va-t-on vers une thérapie de choc, comme dans les anciens pays du bloc de l’Est ? La voie d’un capitalisme d’Etat, comme en Chine et au Vietnam, sera-t-elle suivie? Ou un entre-deux, «une sorte de développement à la française, ou à la suédoise, avec encore un Etat-providence», esquisse un dessinateur qui rêve de voir la première visite d’un chef d’Etat français, ce lundi, déboucher sur quelque chose dont il peine à définir les contours. MICHAEL CHRISTOPHER BROWN. MAGNUM P rofesseur(e)s Toc et Zoc, vous êtes les spécialistes mondiaux de toute situation. Que nous décryptez-vous cette semaine ? Pr Zoc : La devise française actuelle en matière de droits de l’homme ? La vérité si je vends. Pr Toc : On ne peut dénier à François Hollande un talent pour prendre possession de l’espace : c’était Dominique Strauss-Kahn le favori de la primaire socialiste. L’homme a eu un empêchement et hop, Hollande est président. Les Américains agacent Egyptiens et Qataris et hop, les contrats tombent en Rafale. Alors, les Cubains ne sont-ils pas plus demandeurs de camemberts que d’un régime plus coulant ? Comptons sur le président french kiss pour tartiner une synthèse. Pr Zoc : Il ne manquerait plus que François Hollande vende l’Europe aux Anglais. Il nous a bien vendu sa lutte contre la finance internationale, le chômage et le désemploi des jeunes (et des seniors). Pr Toc : Ce n’est pas pour rien que la France est la première destination touristique : on arrive à tout faire avaler aux étrangers, nos chauffeurs de taxi, nos garçons de café et nos pizzas. Pr Zoc : Il est souvent question de la fuite des cerveaux, mais il serait plus adéquat de parler d’exportation de cerveaux, qu’il faudrait prendre en compte dans la balance du commerce extérieur. Pr Toc : Et les paradis fiscaux, les sommes qui y arrivent de France sont-elles portées au crédit de nos exportations ? Parce que vous évoquiez la finance internationale, il faut aussi lui rendre justice : n’est-ce pas parce que le dollar est si haut que notre continent redevient compétitif ? On peut seulement regretter que ce pouvoir n’appartienne pas aux électeurs européens, ni d’ailleurs à leurs élus. Pr Zoc: Il semble que les polémiques politiciennes nous aient également rendus injustes envers la compétitivité française puisque, par exemple, les capitaux qataris paraissent trouver le terrain propice aux bonnes affaires, et alors même qu’on n’a pas encore adopté le droit du travail en vigueur là-bas. Ils ont confiance, eux. Les Français devraient en prendre de la graine. Pr Toc : Louons aussi le génie français qui, en cette période de compétitivité sans merci et de haute technologie, a pu tirer son épingle du jeu pour devenir le leader incontesté du sac à main, et sans rien brader. Pr Zoc : Et les cosmétiques, on oublie souvent les cosmétiques. Pr Toc : C’est pour ça qu’il y a tant de chômeurs en France. Le pays excelle plutôt dans le luxe. Le bon goût français ne se mange pas en salade. Pr Zoc : Mais nos armes redoutables, que nous diffusons dans le monde entier, ne nous empêchent pas d’être, pour le bien et pour le meilleur, un peu sous les ordres de notre voisin allemand, pourtant plus ou moins désarmé. Pr Toc : Ça doit être rude pour Nicolas Sarkozy, le messie du ni-ni, de voir l’actuel président semer les Rafale sur tous les grands théâtres du monde, avant d’entrer sous les ovations dans la salle des fêtes de Saint-Bonnet-surBébête pour son meeting sur l’islam. • tre pour ses images de la révolution libyenne, prises avec le petit appareil, et dont il a fait un style en dynamitant la Michael Christopher Brown a refait le coup du téléphone et s’est approché, incognito, des Cubains. Comme un touriste. Il confie: «ComparativeLes doigts de la belle, ment au Congo, glissés dans la poche avant où j’ai passé du pantalon, cherchent-ils beaucoup de un briquet ou la ferveur temps et où dès que tu sors un amoureuse de son homme? appareil photo, photographie de guerre. On les protestations et les pourimagine les discussions en parlers commencent, faire des interne chez Magnum pour le photos à Cuba, c’est un peu recrutement de ce photogra- comme être en vacances !» phe phonophile! Envoyé par Avec cette technique et cette le New York Times à Cuba, approche, il pénètre l’intimité et brosse un tableau vivant. Ses deux protagonistes ont une attitude «post coïtum animal triste». Pourtant, quelques détails trahissent l’érotisme. Les vêtements retiennent l’attention dans un sacré mélange des genres. Les lettres gothiques sur le tee-shirt du monsieur, ainsi que sa coupe de footballeur grisonnant, contrastent fort avec sa ceinture bling-bling incrustée de strass Dolce & Gabbana. On remarque aussi la ceinture de la dame, LIBÉRATION LUNDI 11 MAI 2015 EVENEMENT • 5 A gauche: dans une rue de la vieille Havane. A droite: lors d’un concert sur le Malecón, en bord de mer. PHOTOS MICHAEL CHRISTOPHER BROWN. MAGNUM Il est seulement sûr d’une chose : Cuba ne doit pas «foncer tête baissée et se faire avaler» par l’oncle Sam. «Le rapprochement avec la France? C’est certainement le pays dont nous sommes culturellement les plus proches. Même si la France, il faut dans le monstre et j’en connais les entrailles.» L’écrivain Wendy Guerra, qui a suivi les ateliers d’écriture de Gabriel García Márquez et dont la plupart des romans sont interdits à Cuba, le dit à sa manière: «Je veux que Cuba ne soit plus le Cuba que l’on connaît depuis la révolution, souffle-t-elle. Mais je ne veux pas que Cuba de«Notre île va devoir se voir telle qu’elle vienne la succursale des Etatsest: une femme qui rêve de s’habiller en Unis.» L’auteure de Tout le Chanel mais qui n’a pas de quoi manger. monde s’en va (Stock, 2008) ou Negra (Stock, 2014) dit «avoir Et nous, les Cubains, comme notre pays, peur du passé, mais pas du funous allons devoir nous reconstruire.» tur», et vit le présent à cent à Wendy Guerra écrivain l’heure, parce qu’elle ne sait pas où elle va, comme son aller la chercher, note Eduardo Torres, direc- pays. Elle montre du doigt les caméras qu’elle teur de la bibliothèque nationale et député. a installées dans son duplex. «Je ne suis pas Avec les Etats-Unis, en revanche, l’embargo fut parano, mais je veux voir qui vient me visiter antinaturel car les relations entre les deux pays quand je ne suis pas là, surveiller ceux qui me ont toujours existé.» surveillent…» A La Havane, beaucoup d’artistes et d’intellectuels rappellent ce mot de José Martí DAVID SANS GOLIATH. Si l’accélération des (1853-1895), le héros de l’indépendance un réformes économiques et sociales suscite temps exilé sur le sol américain : «J’ai vécu parfois la méfiance – «c’est donner le senti- ment que cela change pour une minorité, quand rien ne change pour la majorité des Cubains», dit un opposant–, l’écrivain, elle, assure que le changement en cours brouille les cartes depuis si longtemps distribuées. Elle insiste: «L’obsession américaine a vécu, notre ennemi n’est plus.» Ce ne sera bientôt plus à cause de lui qu’il sera si compliqué «d’avoir un logement, au lieu de s’entasser à plusieurs générations dans un taudis». Ni à cause de lui qu’il sera «si compliqué de voyager, de parler librement». Ou qu’on dira à un enfant: «La coupure d’eau ? C’est la faute de l’embargo.» Comment vivra David sans Goliath? Wendy Guerra parle de la tétanie, de la peur qui dure et durera encore bien après les menaces, quand les interdits se seront évanouis. Pas uniquement ceux qui entourent les libertés publiques, le droit de créer une association, un parti, un journal. A Cuba, il est interdit de tuer une vache, au terme du décret 225 de 1997 qui réprime «les violations personnelles de la réglementation pour le contrôle et l’enregistrement des bovins et des races pures». Interdit de vendre des crevettes ou des lan- Libération du lundi 11 mai. goustes (on en trouve dans les restaurants pour touristes, jamais sur les tables des habitants). Interdit de monter sur des voiliers touristiques. «Mais pas interdit de corrompre ou d’arnaquer, car cela tient du mode de vie ou de la survie», note la romancière. Elle en rit, car le rire, à Cuba, renforce les défenses immunitaires : «Notre île va devoir se voir telle qu’elle est: une femme qui rêve de s’habiller en Chanel mais qui n’a pas de quoi manger. Et nous, les Cubains, comme notre capitale, notre pays, nous allons devoir nous reconstruire.» Se reconstruire. Ou se construire, déjà. Car, comme commente un poète, la liberté artistique, la liberté tout court, il faut aller la chercher. «Elle est déjà là, rétorque Eduardo Torres Cuevas, apparatchik critique. Parlez aux gens, vous verrez : ce sont les plus grands critiques de la société actuelle. Ils ont une conscience aiguë de ce qu’ils ont et ne veulent pas perdre.» Une conscience aiguë aussi de ce qu’ils ne veulent pas garder, comme cet Etat policier en déréliction, qu’un opposant désigne comme un «totalitarisme soft». Quand on évoque le sujet avec Raúl Paz, «ON N’ENVOIE PLUS EN PRISON, ON HARCÈLE» En janvier, le premier geste de «bonne volonté» de Cuba vis-à-vis de son nouvel ami américain a été la libération de 53 prisonniers politiques mi-janvier. «C’est un point positif», note Robin Guittard, chargé de campagne d’Amnesty International pour la région caraïbe. Mais, selon lui, il s’agit «davantage d’un changement de tactique» que d’une avancée démocratique: «On n’envoie plus les opposants en prison pour dix ou quinze ans, mais on les harcèle en les arrêtant plusieurs fois par mois.» L’ONG rappelle que «les droits de réunion, d’association et d’expression» ne sont pas possibles en dehors de structures contrôlées par le régime. Ni Amnesty ni les commissions de l’ONU n’ont l’autorisation de se rendre sur place pour constater la situation réelle des droits humains. F.-X.G. chanteur de soul cubaine de retour depuis six ans après un exil de dix-sept ans en France, il livre cette réponse étonnante: «On parle des libertés publiques, de démocratisation, et c’est évidemment essentiel. Mais il y a aussi ici une liberté de respirer un air pas encore pollué par les industries. Une liberté de voir ses enfants pas encore dévorés par les écrans ou les publicités. Une liberté de se promener dans des rues épargnées par la violence qui gangrène toute l’Amérique, du nord au sud.» Paz se dit heureux de sa vie à La Havane. Il se sait favorisé, mais il a un double regard passionnant sur la vie dans et hors de l’île. «Ce que je sais, c’est que l’énorme majorité des Cubains n’étaient pas nés au moment de la révolution : arrêtons de la fétichiser au point de tout excuser.» «PETITE ÉLITE». Raúl Paz se sent libre. Libre en particulier d’interpeller le ministre de la Culture sur un sujet brûlant: l’accès à Internet. «Il faut le démocratiser. Vous trouvez que c’est révolutionnaire d’avoir un outil auquel n’a droit qu’une petite élite ?» lui a-t-il lancé. Le pays tient encore de «l’île des déconnectés», comme l’appelle la blogueuse dissidente Yoani Sánchez dont le site, 14ymedio, a été censuré dès sa mise en ligne, en mai 2014. Freedom Home, qui étudie l’étendue de la démocratie dans le monde, estime le taux de pénétration d’Internet à 25%. «C’est très surévalué, relève un artiste. Une connexion mensuelle coûte 180 dollars, pour un débit frôlant le ridicule.» Le régime a, enfin, autorisé en 2008 l’achat d’un ordinateur personnel. Mais la connexion à domicile n’est autorisée qu’aux étrangers et à certaines personnes agréées : fonctionnaires, médecins, journalistes… Les autres doivent passer par les ordinateurs mis à disposition dans les hôtels ou dans les boutiques de la compagnie d’Etat Etecsa. Et la connexion coûte au minimum 4,50 CUC. «Il faut rêver à un vrai changement, là-dessus comme sur le reste: le rêve est ce qui peut nous arriver de meilleur», résume Moisés Finalé. Autre expatrié un temps en France, ce plasticien développe un imaginaire baroque et fantastique qui rappelle celui de l’écrivain Alejo Carpentier, autre mythe cubain. Pas un rideau, pas un lustre, dans son Suite page 6 portée taille basse et assortie au tee-shirt. La mode made in Cuba se débrouille avec les moyens du bord, et les marques internationales – sans doute leurs contrefaçons – ont réussi à percer le barrage des frontières. Les magasins vides, on se demande bien comment les Cubains arrivent à se procurer ces vêtements logotypés. Sous les habits, il y a la peau. C’est là le tour de force du photographe, qui n’est pas n’importe quel touriste. Il arrive à capter la lumière et les nuances de la peau brune. Ventre, cuisse, décolleté, dos. Le pelvis de l’homme, négligemment découvert, appelle la caresse. D’ailleurs, sa compagne y risque la main. Les doigts de la belle, glissés dans la poche avant du pantalon, cherchent-ils un briquet ou la ferveur amoureuse de son homme? Dernier détail: la barre métallique juste derrière le couple, sortie de nulle part et pointée vers le ciel. Là, cela saute aux yeux. Il y a un message subliminal. Oui, Cuba, un peu lasse, bande encore. • CANNES• LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 Dolores Fonzi, à Cannes. PHOTO FREDÉRIC STUCIN RESTONS PALME Netflixisation Par CLÉMENT GHYS et JOHANNA LUYSSEN Dolores Fonzi, belle obstinée CRITIQUE DE «PAULINA», PAGE III «Nous assistons à un nouvel âge d’or de la télévision, où le cinéma est bousculé par les séries.» C’est ainsi que Ted Sarandos, patron des acquisitions de Netflix, a entamé sa petite «conversation» cannoise, vendredi matin au Marché du film. Il a de quoi se rengorger. Le géant de la VOD agit comme une ombre, courtisée de toutes parts, avec la même intensité qu’il est craint. The Hollywood Reporter citait le producteur Nigel Sinclair : «Tout le monde veut rencontrer Netflix – tous les artistes, les talents qui veulent sceller un projet innovant.» En somme, tous ceux qui veulent profiter de la manne que le service promet. Et cela sans compter la nouvelle étape de l’entreprise américaine : pénétrer la Chine et son 1,4 milliard de spectateurs potentiels. Mais les chiffres d’audience sont encore assez opaques. Et ils sont nombreux à s’inquiéter des conséquences structurelles d’une netflixisation de l’écosystème du cinéma. Cela pourrait être l’affaiblissement des salles, la baisse des subventions ou un phagocytage de la chaîne de la création, en laissant sur le carreau les intermédiaires. Cela dénote une angoisse dans un milieu en pleine mutation. Ainsi du coup de neurasthénie de Woody Allen qui, à la conférence de presse de son film, a estimé avoir commis «une erreur catastrophique» en signant le contrat d’une série avec le service de VOD d’Amazon (rival de Netflix). Une série dont on ignore les détails mais qu’il juge déjà comme un «embarras cosmique». Au magazine Deadline, le New-Yorkais a avoué «ne pas savoir ce qu’est le streaming», ni même Amazon, et «ne jamais regarder toutes ces séries, même sur le câble». II • LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 CANNES SAGA «Trois Souvenirs de ma jeunesse», superbe nouvel épisode de la vie de Paul Dédalus. Desplechin, déroulez jeunesse Jeunes et pas jaunis. PHOTO JEAN-CLAUDE LOTHER. WHY NOT PROD. QUINZAINE DES RÉALISATEURS TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE d’ARNAUD DESPLECHIN avec Quentin Dolmaire, Lou Roy Lecollinet, Mathieu Amalric… 2 heures. Sortie le 20 mai. F rançois Truffaut avait Antoine Doinel, Arnaud Desplechin a Paul Dédalus. Ce personnage, au patronyme emprunté à James Joyce, on l’a rencontré en 1996 avec Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle) où il était un prof de philo trentenaire, normalien et surpsychanalysé, empêtré dans ses histoires d’amour. Et puis, il est apparu en adolescent confus dans Un conte de Noël en 2008. Desplechin n’est pas Truffaut, et son héros incarne bien son cinéma si- nueux et complexe, parfois volubile. Il n’y a, comme chez Hugo Pratt, aucune trajectoire biographique figée, ni parcours qui défilerait avec logique comme tombent des dominos. Paul Dédalus est le personnage principal de Trois Souvenirs de ma jeunesse. Adulte, il est joué, comme dans Comment je me suis disputé… par Mathieu Amalric. Jeune homme, c’est le velouté Quentin Dolmaire qui endosse le rôle (lire son portrait dans Libération de vendredi) et à qui le cinéaste a demandé de regarder Baisers volés avant le tournage. Prête-nom. A quoi correspond le «ma» du titre ? A qui appartient cette jeunesse, à Paul Dédalus ou à Arnaud Desplechin ? Qui sait ? Au fil de sa filmographie, la biographie du cinéaste nous est devenue familière, quasi intime. On en connaît le décor, l’ancrage roubaisien, les rues de brique orange ou le lycée Baudelaire, les personnages (la mère honnie, la tante adorée, la bande de potes-cousins), les mystères (les garçons qui s’échangent les filles, le judaïsme fantasmé). Paul Dédalus pourrait être une anagramme d’Arnaud Desplechin, c’est son prête-nom. C’est justement une question de nom qui donne au film son souffle premier, le démarrage de cette haletante péripétie dans l’intime. Après des années passées au Tadjikistan –pour y faire quoi ? on ne sait pas vraiment – , le héros revient en France et, arrêté par la police des frontières, se voit informer qu’un autre Paul Dédalus existe quelque part, un Russe réfugié en Israël et mort en Australie. Face au constat d’une identité parallèle, il se met à sonder la sienne, se penche sur ses souvenirs. Trois chapitres, qui graduellement montent en ampleur et en durée, façonnent le personnage, depuis sa petite enfance où il s’oppose à une mère folle et inco- JUSTE UN DÉTAIL LA BIBLIOTHÈQUE DE DÉDALUS Dans les films d’Arnaud Desplechin, on lit beaucoup. Et Paul Dédalus souffre quelque peu de bibliophagie. Dans de nombreux plans, on voit des couvertures de livres, souvent écornées ou jaunies. Apparaissent ainsi, entre autres, les Aventures d’Arthur Gordon Pym, seul roman achevé d’Edgar Allan Poe et délirant récit d’expédition antarctique, le poème Among School Children de William Butler Yeats. Mais également des travaux plus académiques, comme l’Interprétation du rêve de Sigmund Freud (ici en version allemande originale), Mœurs et Sexualité en Océanie de l’anthropologue Margaret Mead, des textes de l’historien Jean Zafiropulo ou de l’ethnologue Claude Lévi-Strauss. LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 hérente qui meurt vite et laisse la fratrie Dédalus avec un père (l’intrigant Olivier Rabourdin) incapable d’exprimer la moindre émotion. Le film suit la trajectoire brouillée du garçon qui devient homme. Avec Trois Souvenirs de ma jeunesse, se profile la volonté d’Arnaud Desplechin de fabriquer, si ce n’est un chef-d’œuvre, une somme, un monument à son héros (donc lui-même) mais aussi à son cinéma. S’entrecroisent des fragments de ses films passés, des décors, bribes de dialogues, atmosphères ou intonations de la Sentinelle, Rois et Reine ou l’Aimée… Mais dans ce vaste corpus, la vie fictionnelle de Dédalus imbriquée à sa filmographie, Desplechin trace une ligne incroyablement claire. Il fait de ce Roubaix grisâtre un Moulinsart d’où partir à l’aventure. Passeport. Le cinéaste n’est jamais aussi juste que dans son traitement de l’adolescence. Plutôt que de la décrire, façon documentariste, il la réinvente, offre à ses héros un romanesque que l’on aurait adoré vivre. A l’occasion d’un voyage scolaire en URSS, Paul cache de l’argent dans ses valises et le livre à des juifs qui rêvent de fuir en Israël. Lors de cette mission de petit agent secret, il donne son passeport à un jeune homme partant pour l’exil. Ce dédoublement initial, qui intrigue les douaniers des décennies plus tard, l’accompagne secrètement dans sa formation, lui offre un «ailleurs» intime. Dans Comment je me suis disputé…, Paul adulte se souvenait d’un roman d’aventures de pirates, entamé dans sa chambre. Même si les amarres sont vissées au port d’attache nordiste (un personnage lance d’ailleurs «Roubaix est ma malédiction»), Desplechin ose faire du Stevenson. Il fait étudier l’ethnologie à son héros, envoie son film à la découverte des derniers mondes inconnus, dans les cafés tapissés de cette Asie centrale, l’un des derniers pôles d’exotisme d’un monde mondialisé. Passion. Les déplacements géographiques que Trois Souvenirs de ma jeunesse met en place ou imagine ne sont rien à côté d’un encore plus grand voyage. Ça peut paraître niais, trop simple, déjà traité dans tous les sens, mais cette envolée-là, c’est celle du premier amour: Esther, une jeune femme belle et légère. Une annonce publiée dans Nord éclair au moment du casting en mai 2014 définissait le rôle ainsi : «Arrogante, voluptueuse. Elle a son franc-parler et une belle assurance.» Lou Roy-Lecollinet (autre merveille révélée par Desplechin) est cette fille-là, obsédant Paul et affolant son entourage. Pendant plusieurs années, le couple s’aime passionnément, se déchire, se rabiboche, se trompe, ne s’oublie jamais. Est filmée la passion adolescente dans ce qu’elle a de plus grandiose et de tragique. A la fois une liberté, qui aide à se construire, à devenir sujet, et un poids dont on ne sait que faire une fois adulte. La jeunesse chez Desplechin consiste moins en la nostalgie de ce qui a été qu’en un regard déchirant sur un passé parallèle, sur des vies non avenues. Esther (illuminée par la chef op Irina Lubtchansky) a les cheveux blonds qui scintillent, son visage charnu avale le cadre. Elle est magnifique, mais sa beauté n’est pas celle d’une vie réelle, c’est celle, imbattable et indépassable, d’un souvenir. CLÉMENT GHYS CANNES • III GROSSE TENDANCE À... 00h04 goodies A la fête inaugurale de la Quinzaine des réalisateurs sur la plage du même nom (où les trois quarts de la rédaction cannoise de Libé n’ont pu rentrer, merci bien), Philippe Garrel est à l’honneur, son Ombre des femmes faisant l’ouverture de la sélection. Comme de coutume, sont distribués des goodies. Oui, des produits dérivés du cinéma de Garrel, soit sans doute le plus bel oxymore croisé depuis ce début de Festival et du jamais-vu depuis les pochons de LSD donnés à la sortie de la projo de la Cicatrice intérieure. En l’occurrence, il s’agit de lunettes de soleil, aux branches noires ou blanches. On va encore en passer des heures sous les sunlights. 01h34 1+1 C’est en errant au hasard de la Croisette la nuit (dans un état très digne, merci de vous inquiéter) que l’on tombe en arrêt devant l’affiche de THE film qui nous excite pour le futur (et au-delà): Un+Une. Et c’est de qui? De notre adoré Claude Lelouch. Et c’est avec qui? Jean Dujardin et Elsa Zylberstein. Qui dit mieux? Il s’agit, selon les propos du maestro sur Allociné, d’un «road-movie à travers l’Inde, une comédie initiatique centrée sur l’histoire d’un mec qui se fout de tout sauf de ce qu’il fait et… d’une femme». Et donc pas un remake signé Lelouch du portrait godardien des Stones, One+One, avec les Enfoirés en lieu et place des papys rockers. Trop dommage. 02h21 Robinwood On croise n’importe qui à Cannes. Sur l’esplanade-terrasse du Grand Hôtel, on noue connaissance avec un individu se présentant sous le nom de Locksley, oui, comme Robin des bois, son aïeul assuret-il, à l’évocation duquel l’énergumène –qui lui-même réside à Nottingham– se met à pleurer des larmes de bière très pure. On se trouvera toutefois obligés de couper court à notre nouvelle accointance avec la noblesse fin de race anglaise lorsque, pour se redorer le moral, celle-ci se pique de nous conter une blague. Horrible. Raciste. Prince des voleurs, mon cul! 16h34 woody De passage avec Un homme irrationnel (lire page VI) sur la Croisette, où il dispense des entretiens paraît-il parfois chèrement tarifés par son distributeur, Woody Allen aurait confessé à nos confrères du Point cette sentence implacable: «L’industrie du cinéma va très mal.» Un peu comme son inspiration? C.Ga., J.G. et C.Gh. DRAME Santiago Mitre filme l’obstination d’une jeune femme à mener sa vie en accord avec ses idéaux, et à ses risques et périls «Paulina», cry for me Argentina SEMAINE DE LA CRITIQUE PAULINA de SANTIAGO MITRE avec Dolores Fonzi, Oscar Martinez, Esteban Lamothe… 1h43. F ort du succès d’El Estudiante, un saisissant premier long métrage autoproduit, remarqué à Locarno en 2011 et couvert de prix lors de son tour d’honneur festivalier, le jeune cinéaste argentin Santiago Mitre, scénariste aguerri de 34 ans, a pu échafauder son projet suivant dans un confort de production tout autre, avec notamment l’appui du réalisateur brésilien Walter Salles. La forme de son cinéma telle qu’esquissée par son premier film ne s’en trouve toutefois nullement altérée, au point que les prémices de Paulina pourraient en paraître une ramification tardive, une manière de continuation projetée quelques années plus tard – bien qu’il s’agisse là d’un remake, semble-t-il très libre, d’un film homonyme de 1960. Détermination. Après les joutes militantes et les jeux de pouvoir au sein du laboratoire idéologique de l’Université de Buenos Aires d’El Estudiante, il dépeint ici un nouvel affrontement rhétorique, politique, au sens le plus noble (que chacune de ses réalisations s’échine joliment à remobiliser), dès l’ouverture du film, qui tient en un alerte plan-séquence de huit minutes. Une fille et son père aux airs de baron de la magistrature à la voix de miel s’y opposent ici encore sur la façon la Paulina (Dolores Fonzi), avocate qui lâche le barreau. PHOTO AD VITAM plus juste d’agir en accord avec ses idéaux progressistes, la manière la plus opérante d’intervenir sur le cours inégalitaire de la société. Déjà engagée dans une prometteuse carrière dans la justice, Paulina affirme sa détermination à abandonner cette vocation et sa vie à Buenos Aires pour partir prodiguer la culture politique aux confins de la frontière paraguayenne. Lui raille ce choix mais ploie vite devant l’obstination de la jeune femme, qui file donc seule dispenser ses évangiles démocratiques à de sales gosses récalcitrants, lesquels l’invectivent en dialecte et fuient la salle de classe à la première occasion – par la fenêtre s’il le faut. Elle, d’un entêtement que l’excellente Dolores Fonzi incarne joliment de son regard tendu, s’accroche pourtant, jusqu’à se retrouver la cible arbitraire d’un gang de jeunes parmi lesquels figurent quelques-unes de ses ouailles, qui la violent et la laissent enceinte. Lorsqu’elle refuse d’avorter et fait mine de ne vouloir ni endosser une posture de victime ni de faire condamner les coupables mais de dialoguer avec eux pour sonder leurs motivations, germe autour d’elle un faisceau d’incompréhensions plus ou moins hostiles, dont elle se défie sèchement, malgré l’ingérence de son père. Caractère. Si les principaux fils de l’intrigue d’El Estudiante trament une nouvelle fois la trajectoire de Paulina (conflit intergénérationnel, émancipation et affirmation dialectique d’un tempérament), Mitre déjoue le didactisme un peu sentencieux qui pouvait pointer çà et là en son précédent film tissé de trahisons et de longues tirades entrechoquées. Sans tellement signifier la plénitude de son ad- hésion à sa conception du problème, il endosse une posture semblable à celle de son héroïne, qui lui fait interroger tour à tour chaque point de vue antagoniste par de brusques flashbacks et décrochages de la narration, où l’on glisse successivement du sillage de Paulina à celui de ses agresseurs, puis de son père. A la clé, nul lièvre levé – figurez-vous qu’ici comme ailleurs chacun a ses raisons –, mais une manière très sûre et sensible de déployer et parcourir les enjeux de son drame sans jamais s’improviser juge des affaires sociales. Alors que l’essentiel de la génération précédente d’auteurs argentins (les Lucrecia Martel ou Pablo Trapero, dont Mitre fut le collaborateur) paraît à bout de souffle, cela suffit à désigner en lui un talent, et plus encore un caractère, à suivre. JULIEN GESTER IV • LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 CANNES Géza Röhrig. PHOTO AD VITAM SHOAH Le premier long métrage du Hongrois László Nemes, annoncé comme le film choc de la compétition, pose problème tant par son style que par ses intentions. Auschwitz, caméra embarquée EN COMPÉTITION LE FILS DE SAUL de LÁSZLÓ NEMES avec Géza Röhrig, Molnar Levente, Urs Rechn… 1h47. Sortie en novembre. U n jeune homme, vivant entre Paris et Budapest, veut faire un premier long métrage. Il se passera dans le camp de concentration d’Auschwitz et le personnage principal sera un juif obligé de travailler dans un Sonderkommando. A l’instar d’un Jonathan Littell, quasi inconnu, sortant de la foule avec son imposant roman les Bienveillantes écrit à 39 ans, László Nemes, 38 ans, est en compétition officielle dès son premier film, apparemment vu et gardé au chaud par les sélectionneurs dès le mois de décembre, présenté à la conférence de presse en avril par Thierry Frémaux comme une œuvre qui allait fortement partager l’audience du Festival. Le Fils de Saul est porté par une ambition et une virtuosité qui ne peuvent manquer de saisir le spectateur d’une sorte de tétanie craintive pendant toute la projection mais dont on est quand même bien obligé d’interroger les principes et la finalité. Que peut aujourd’hui une fiction steadycamée nous dire de la réalité d’Auschwitz et de l’expérience des déportés ? Le parti pris du film est de ne jamais perdre le point de vue d’un personnage principal, Saul Ausländer (Géza Röhrig), qui s’active à pousser les nouveaux arrivants dans les vestiaires, vestibules de l’anéantissement. Une fois que les victimes en nombre sont enfermées dans les chambres à gaz, il trie les vêtements, jette les papiers d’identité, met de côté bijoux et objets de prix. Puis les portes des chambres à gaz s’ouvrent, et il lui faut évacuer les cadavres, puis brosser le sol à l’eau savonneuse. Puis attendre un nouveau convoi. La mécanique de la mise à mort dont il est un des rouages hagards est subitement entravée par une idée fixe qui s’empare de Saul après avoir vu un jeune garçon respirer encore malgré le traitement au Zyklon B et qu’un médecin ausculte avant de l’étouffer. Saul désignera plus tard l’enfant comme étant son fils, même si tous lui affirment qu’il n’en a pas. On dira qu’il lui en faut un pour se sauver du néant physique et moral dans lequel, avec d’autres, il a été précipité par les nazis. Il ne veut pas que ce gamin soit autopsié, puis jeté dans un four crématoire. Il veut une sépulture et, avant cela, un kaddich, une prière. Meurtrière. Pendant toute la durée du film, il cherche à dissimuler le petit cadavre et à trouver, à travers le chaos incessant des chargements humains voués à la mort, un Cette dimension épique du film, qui rappelle le Requiem pour un massacre (1984) du Russe Elem Klimov sur les massacres nazis en Biélorussie, est là pour impressionner, frapper les esprits en plongeant le spectateur dans une expérience violente, traumatique. La bandeson fracassante qui se compose d’une La bande-son fracassante cacophonie remonqui se compose d’une cacophonie des enfers (inremontée des enfers (vociférations, tée cessantes vociféraportes qui claquent…) supplée à tions allemandes, ce que le cinéaste choisit de ne pas bruits de portes en fer qui claquent suimontrer. vis des stridences rabbin pour l’aider dans cette tâche. horrifiées des hommes, femmes, Ces pérégrinations dans la topogra- enfants, vieillards voués à l’asphie labyrinthique du camp nous phyxie, détonations et aboieintroduisent dans les espaces suc- ments…) supplée à ce que le cicessifs d’un monde répugnant néaste choisit de ne pas montrer. et incompréhensible perçu par Jeu vidéo. Mais la focalisation sur l’étroite meurtrière du regard d’un Saul est aussi de l’ordre du spectacle zombie à conscience à la fois alerte immersif et le cheminement dans le et mutilée. L’essentiel de ce qui se vortex du camp selon une trajecpasse échappe au regard, ou ne sur- toire aussi frondeuse que tremgit que fugacement pour être aussi- blante rappelle étrangement la protôt chassé, ou avalé dans le flou de gression par paliers du jeu vidéo l’arrière-plan, effacé par la fumée, dont le cinéaste use et abuse avec la cendre, les flammes. Il faut tou- les mêmes stratégies à impacts. jours baisser les yeux, bouger d’un C’est une méthode à double tranpoint à un autre, esquiver les coups, chant, car elle permet à László Neles balles perdues, s’activer à n’être mes de ne pas se fixer sur les visages rien pour échapper au sort de tous. et les yeux des victimes, s’affran- chissant ainsi de la sentimentalité, mais elle évacue aussi la dimension de témoignage et de survie d’un monde moral à la jointure fugace de ces échanges entre réprouvés, y compris aux pires confins de l’indéchiffrable usine de mort mise en place par les nazis. Dans ses écrits, le violoniste polonais Simon Laks, devenu le chef d’orchestre des prisonniers d’Auschwitz, raconte: «Les bribes ténues de ma mémoire reconstituent une impression floue, comme si cette rencontre brutale avec la vie du camp m’avait à la fois plongé dans une stupeur léthargique et catapulté sur une autre planète. Je me souviens parfaitement d’une chose: la première question que je me pose est “qu’est-ce que c’est que ce monde ?”» Cette question demeure profondément insoluble et même si László Nemes semble avoir digéré toute la tradition critique du texte de Rivette sur Kapo aux débats sur la Liste de Schindler, il reste, en dépit de son audace ou de son inconscience, désemparé. Il aura peut-être (sûrement ?) un prix, mais parions que le film, privé de l’effet de surprise de sa révélation cannoise, apparaîtra rapidement d’un kitch somme toute bien embarrassant. DIDIER PÉRON LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 CANNES • V “ÉMOUVANT ET SEC, VIOLENT ET AMOUREUX, SOCIAL ET CHARNEL” HORS-SOL DIS, CANNES REVIENDRAS-TU? Par THOMAS CLERC (1) Cannes, j’y suis allé entre 10 et 17 ans tous les étés. Cannes n’est pas le cinéma, pour moi, c’est la jeunesse, et même pire, l’enfance. La mer, la plage, mes seconds parents. Le soleil, mon grand ami. L’appartement est situé dans le sud de la ville, au bout de la pointe, près du Palm Beach (le casino), place de l’Etang. On y va tout le mois d’août tous les mois d’août. Mon amour inaltérable du Sud est constitué de plusieurs couches, le Var, la Corse, Cannes. La sédimentation s’est faite tôt. Entre 1975 et 1982, l’été a déployé sur moi sa grande tyrannie magnifique. Je me méfie des gens qui n’aiment pas le Sud. Je connais leurs arguments par cœur. Le Sud, c’est vulgaire, puant, bondé. Les gens sont pas sympas. Ils sont vulgaires. Ils arnaquent les touristes. Ils sont racistes, ils sont beaufs. Ils puent le fric. Ils votent à droite quand ils se croient de gauche et à l’extrême droite “ÉBLOUISSANT” ” RUE 89 quand ils se disent de droite. Il n’y a pas de culture. Ils n’aiment pas les Parisiens. C’est sinistre en hiver. Je connais, je sais tout ça. L’enfant n’est pas sensible à ces arguments. L’enfant n’est pas argumentatif. L’enfant impose sa présence au monde, qui la lui rend; la mer, le sable, les jeux m’ont imposé leur présence solaire. La période que j’ai préférée dans ma vie, peut-être, fut ces étés cannois des années septante-cinq à octante-deux. Le cinéma, c’est moins bien l’été; l’été, c’est mieux que le cinéma. C’est vrai à 10 ans, ça sera encore vrai quand je serai plus grand, c’est encore plus vrai aujourd’hui. Je n’ai jamais envie de voir de films dans la lumière d’août. Le Festival de Cannes naît et meurt en mai. En juillet, la fête du 7e art ferait un flop comparable à un film d’art. Donc, la place de l’Etang, ce carré bordé d’immeubles plus ou moins moches (le genre riche-moche, résidentiel balnéaire, avec des balcons en plexiglas), est le décor de vacances inoubliées. J’y reviendrai. Sans doute pas physiquement. Mais bientôt. TÉLÉRAMA STUDIO CINÉ LIVE (1) Tous les jours, l’écrivain livre sa vision du Festival de Cannes, où qu’il soit. VOISINAGE Retour à froid sur un crime conjugal par le discret cinéaste roumain Radu Muntean. Témoin gêné à «l’étage du dessous» Teodor Corban, quidam mutique. PHOTO DR UN CERTAIN REGARD L’ÉTAGE DU DESSOUS de RADU MUNTEAN avec Teodor Corban, Iulian Postelnicu, Oxana Moravec… 1h33. Sortie en novembre. E n Roumanie, on achève bien les voisins et les épouses sans que personne n’y trouve, semble-t-il, rien à redire. Voici en filigrane les prémices de l’Etage du dessous, inspiré d’un fait divers. En allant promener son chien, un certain Patrascu, quinqua débonnaire, est témoin malgré lui d’une dispute conjugale qui dégénère –suppute-t-on – en meurtre : celui de sa jeune voisine par son amant, Vali, un troisième voisin (vous suivez ?). Une fois le train-train quotidien de la copropriété remis de la mort violente et non élucidée de la jeune femme, le patriarche ventripotent Patrascu continue comme si de rien n’était à faire tourner les affaires de sa société d’immatriculation de voitures – gag totalement opaque sur les affres de la bureaucratie roumaine – jusqu’à être gagné par la culpabilité. Radu Muntean évolue depuis une dizaine d’années en sourdine dans le sillage de ce que l’on a baptisé «nouvelle vague roumaine», également représentée cette année par son compatriote Corneliu Porumboiu (Comoara). Le cinéaste de Bucarest concourrait déjà en 2010 à Cannes avec Mardi, après noël, tour de force tranquille actant en quelques plansséquences la dégradation d’un couple. Déployé selon le même principe à combustion lente, ce polar placide tourné cette fois en plans fixes renvoie le crime au hors-champ et suit sans effusions la ronde de ce quidam mutique interprété par Teodor Corban, s’acheminant tranquillement vers son paroxysme. Conçu dans l’évitement des arcs narratifs les plus logiques (Patrascu doit-il, va-t-il dénoncer le principal suspect, Vali, le jeune voisin?), le scénario opte pour un louable refus de toute psychologie ostentatoire, propice à l’enlisement dans un pénible dilemme moral ou règlement de comptes à l’emporte-pièce. A renvoyer systématiquement personnages et mise en scène à leur quant-à-soi, le film se mure peu à peu dans une réserve ingrate que renforce sa conclusion énoncée du bout des lèvres. CLÉMENTINE GALLOT ACTUELLEMENT AU CINÉMA VI • LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 CANNES PANCAKES «L’homme irrationnel» ou le portrait absurde d’un prof aux instincts criminels. Woody Allen, retour de flemme HORS COMPÉTITION L’HOMME IRRATIONNEL de WOODY ALLEN avec Joaquin Phoenix, Emma Stone… 1h36. Sortie le 14 octobre. Chien ou homard, une question d’affinités pour Colin Farrell et Rachel Weisz. PHOTO HAUT ET COURT HOMARD Le Grec Yórgos Lánthimos signe avec «The Lobster» une fable étrange où les célibataires sont changés en animaux. Satire dans tous les sens EN COMPÉTITION THE LOBSTER de YÓRGOS LÁNTHIMOS avec Colin Farrell, John C. Reilly, Léa Seydoux… 1h58. Sortie le 30 octobre. T hierry Frémaux avait raison lors de l’annonce de la présence en compétition de The Lobster, de Yórgos Lánthimos, de le désigner comme l’«un de ces films dont on ne comprend pas tout». A commencer par la cote dont jouit, d’une nomination aux oscars pour Canine à une fanbase hystérique, ce jeune cinéaste grec, cette fois exilé en Irlande et entouré d’une clinquante distribution internationale (Colin Farrell génial de douce folie atone, en plein retour de bedaine moustachue dix ans après Miami Vice, Léa Seydoux, Rachel Weisz, John C. Reilly, Ben Whishaw…). Alors que l’affaire, si elle cultive ses accents consciencieusement obscurcis d’imbitable étrangeté, n’a rien non plus d’un dédale impénétrable. Il s’agit d’un monde qui a presque tous les traits du nôtre, où les individus sont sommés de se trouver une moitié sous peine d’être reconfigurés sous une forme animale choisie –la plupart se choisissent un devenir chien, quand le héros se verrait bien virer homard (d’où le titre) pour des questions d’affinité marine, de longévité et de perpétuelle propension à la reproduction. Les célibataires en instance de transformation sont massés dans une sorte de palace balnéaire perpétuellement hors-saison, où une ultime opportunité d’accouplement leur est offerte selon les modalités d’une sociabilité étrange. Cela, entre deux chasses aux «Solitaires» qui peuplent la forêt non loin et résistent à cette sommation de s’unir, fédérés par une idéologie tout aussi clano- autoritaire, qui dicte notamment à chacun de creuser sa propre tombe, au moins à titre préventif. Dystopie. Avec une indéniable force plastique (l’image est somptueuse, chacune de ses compositions grinçantes transpire une minutie extrême) et une inventivité très sûre, Lánthimos ordonnance sa dystopie, mi-conte horrifique des mœurs amoureuses, mi-satire monstrueuse de l’injonction à la normativité sociale, comme une succession de vignettes éteintes, qui peut certes évoquer dans ses accès les plus drôles et inspirés la farce poétique à la Dupieux, mais souvent trop asphyxiée et surconsciente de ses effets de manche pour jamais s’incarner pardelà la brillance de l’acteur. Il n’est toutefois pas interdit de croire que tant de férocité à l’absurdité ripolinée suscite l’admiration des frères Coen –à eux, il aura fallu un peu plus de vingt ans de carrière pour atteindre un tel degré de triste dessèchement. JULIEN GESTER L’écrivain israélien revu par la native de Jérusalem Natalie Portman, dans un pensum littéraire académique. DÉRACINEMENT Un mauvais sort fait à Amos Oz SÉANCE SPÉCIALE UNE HISTOIRE D’AMOUR ET DE TÉNÈBRES de et avec NATALIE PORTMAN et aussi Giald Kahana, Amir Tessler… 1h45. N’ en déplaise aux scrupuleux programmateurs du Festival, la sélection hors compétition (séance spéciale) de ce premier essai réalisé par la comédienne Natalie Portman relève sans doute davantage du flair stratégique que d’un engouement sincère, quand bien même celui-ci lui tiendrait visiblement très à cœur. Tiré du recueil autobiographique d’Amos Oz, Une histoire d’amour et de ténèbres relate son enfance à Jérusalem au sortir de la guerre, concomitante à la naissance de l’Etat d’Israël, entre un émigré lituanien lettré, pour le père, et une mère mélancolique issue de la bourgeoisie polonaise. Cette dernière, Fania, interprétée par l’actrice ellemême, souffrit d’un déracinement dont elle ne se remit jamais, la conduisant à la dépression puis au suicide. Elle serait à l’origine de la vocation de l’écrivain au travers de contes et paraboles narrés au coucher, à la chandelle. Bilingue, la comédienne américaine née à Jérusalem et passée par l’Université hébraïque a le mérite de faire résonner le très beau texte de ces mémoires de l’écrivain israélien star publiés il y a une dizaine d’années, dont elle a coordonné l’adaptation littéraire. Cette reconstitution costumée dans un sépia délavé de carte postale jaunie (effet d’époque garanti) verse rapidement dans un académisme embarrassant, lesté de ralentis, voix off et violons intempestifs. Jusqu’à se défausser en mettant ces propos géopolitiques dans la bouche de l’enfant: «Il y a assez de place ici pour nos deux peuples, il faut apprendre à vivre en paix.» Certes… CLÉMENTINE GALLOT O res familiales qui s’apprête à retirer la garde des enfants à une mère de famille. Du moins, le prof aux instincts de justicier criminel se fonde-t-il sur la seule captation dans un dinner d’une conversation entre membres d’une famille qu’il ne connaît pas, et que l’on ne reverra d’ailleurs jamais par la suite. Le plan d’action se déroule comme prévu, le juge meurt et Lucas pète la forme, mangeant des quantités anormales de pancakes et retrouvant une ardeur sexuelle perdue depuis un an. Le film n’est qu’une succession de conversations (à ta- n ne sait pas trop où en est Woody Allen du temps d’écriture de ses scripts et dialogues, mais on peut dire qu’il ne s’est pas trop fatigué pour essayer de rendre crédible le statut de professeur de philo audacieux et brillant qu’est censé incarner Abe Lucas (Joaquin Phoenix) quand il débarque sur le campus de Newport. Débi- Devant ses étudiants, Abe tant devant ses Lucas débite des banalités étudiants des banalités sur Em- sur Kant, Heidegger et finit manuel Kant, même par dégainer «l’enfer, Martin Heidegger c’est les autres» sartrien. ou l’existentialisme, il finit même par dé- ble, au café, dans un jargainer «l’enfer, c’est les din…) où, franchement, il est autres» sartrien, alors que difficile de s’accrocher à quoi tout le monde le félicite pour que ce soit tant ces gens ont la nouveauté de sa pensée. l’air d’avoir des préoccupaOn serait dans le registre de tions qui ne tiennent pas la comédie, ce genre d’ins- debout. Dans le Rêve de Castallation schématique de sandre, Woody Allen avait l’univers professionnel du imaginé un polar angoissé personnage ne serait pas gê- sur deux frères acceptant nant mais, ici, le ton ironique contre rétribution de suppridu début laisse place à un ré- mer un homme qu’ils ne cit plus grave qui se veut une connaissaient pas. Cette fois, nouvelle méditation sur le il reconduit cette veine qu’on destin, le hasard, la culpabi- pourrait qualifier de «souslité et le libre arbitre. dostoïevskienne» mais tout Lucas, totalement alcoolique est planté à la diable et on et dépressif, tombe les fem- s’ennuie de devoir passer du mes, fascine ses élèves mais temps en si mauvaise comil ne retrouve goût à la vie pagnie, terriblement bavarde qu’après avoir décidé de et désinvestie. supprimer un juge des affaiDIDIER PÉRON Abe Lucas (Joaquin Phoenix), alcoolo-meurtrier. MARS FILMS LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 CANNES KIKADI? Je suis ici pour voir des films avec mon cœur, ma responsabilité, c’est de déclarer humainement ce qui me touche.» A.Xavier Dolan (cinéaste, acteur et juré) B. Sophie Marceau (actrice et jurée) C. Gilles Jacob (écrivain et retraité) Réponse: A, lors de la traditionnelle conférence de presse du jury, mercredi dernier. Mais ç’aurait pu être n’importe qui. PITIÉ! C’est arrivé comme ça, sans qu’on s’y attende (ou presque) : pendant la montée des marches de jeudi soir, Sophie Marceau, au bras du réalisateur mexicain Guillermo del Toro, a eu un accident vestimentaire. Sa robe portefeuille en satin de soie blanche s’est ouverte et a dévoilé une culotte couleur chair. On ne rappellera que très brièvement le pedigree cannois de la nudité de l’actrice: «Oh flûte, on voit mon sein» en 2005, «Oh flûte, on voit tout», l’année suivante. Alors que le débat terrassait les festivaliers autour de la question «l’a-t-elle fait exprès?» la marque Alexandre Vauthier envoyait un mail, l’air de rien, précisant qu’elle avait habillé l’actrice. Tout cela en publiant une photo non compromettante. Petit Bateau n’a pas précisé si la culotte sortait de son tiroir. Sophie Marceau, à dessein ou non, coup de com pour affoler Instagram ou pas, ramène un peu de joie de vivre dans ce Festival qui frise parfois, non pas le puritanisme, mais les ensembles corsetés et les allures robotiques. Après tout, quand on est belle comme Marceau, pourquoi ne pas se dénuder, pourquoi rester engoncé(e) dans des tenues d’apparat? La magie de la programmation pléthorique (et non érotique) cannoise, et de son lot d’acteursactrices du monde entier, fait que chacun a sa Marceau wish list de personnes qu’il nous plairait de voir en culotte, voire sans. Sophie Marceau précisément, mais aussi Emma Stone, Tom Hardy ou Ben Whishaw (entre autres). PORTRAIT NAOMI KAWASE RÉALISATRICE D’«AN» C FRITZ-LANG VON PÜT UN FIL INFO Tous les jours, et à tout moment, suivez le direct Libération de Cannes 2015: bandesannonces, interviews, choses vues, sorties de séances, critiques, portraits, photos, anecdotes, chiffres. De la montée des marches aux polémiques cannoises, en passant par le bilan des projections du jour, le fil du Festival est à remonter sur le direct de Liberation.fr. e vendredi matin, il souffle sur Cannes un vent à décorner un bœuf. Sur la terrasse du Palace, les coussins volent et les parasols menacent de se transformer en javelots. Voilà qui doit plaire à Naomi, se dit-on, tant son film An frémit, tra- • @FREDSTUCIN LIBERATION.FR CANNES 2015 Ame nature LA QUESTION Tous les jours, les figures du Festival répondent à la question de nos reporters: «Quelle est, pour vous, la scène de cinéma la plus marquante?» INSTACANNES Coulisses, à-côtés, portraits… Pendant toute la quinzaine, le photographe Frédéric Stucin poste sur Instagram (@fredstucin) et sur Liberation.fr. SUR TWITTER Suivez les comptes de l’équipe de Libération présente à Cannes: @didierperon, @juliengester, @sabbchamp, @GhysClement, @ClementineNYC et @johannaluyssen. versé par les saisons et la floraison des fameux cerisiers japonais. Sa filmographie fait une large place à la nature et aux éléments tels l’eau, la végétation, le soleil dans Still the Water. Naomi Kawase sourit, dit que le vent, elle ne «déteste pas» et qu’elle lui a accordé beaucoup d’atten- tion sur le tournage d’An, au plan visuel mais aussi sonore. Une approche animiste, on suggère. «Je ne sais pas exactement de quoi est fait l’animisme… Disons que je me considère comme faisant partie de la nature.» Naomi Kawase, 45 ans, est frêle mais dégage beaucoup de force, dans le • VII registre posé, décidé (japonais?). Et elle se révèle moins lunaire qu’attendu, moins perchée que ses films empreints de mélancolie et d’esprits le suggèrent. Kawase est même marrante. Par exemple, quand elle dit, après nous avoir montré des photos sur son smartphone du potager qu’elle cultive et dont elle se nourrit: «Appelez-moi Biomi Kawase!» Elle vit à Hana, où elle est née : «A Tokyo, tout va trop vite, et les cellules de mon corps savent que d’y demeurer me rendrait malade.» An est, à partir des dorayaki (crêpes), un hymne à la cuisine et à la nourriture, qui en deviennent spirituelles. La réalisatrice filiforme dit leur porter «énormément» d’intérêt. «D’ailleurs, sur mes films, je fais très attention à la cantine, à la qualité des produits utilisés… On mange si bien que certains ont guéri de syndromes atopiques.» Son plat de prédilection ? «Pas un plat, plutôt une tendance: tout ce qui est fermenté.» Vue par la cinéaste, qui fut abandonnée par ses parents et élevée par une grand-tante et un grandoncle, la cuisine An brise les solitudes, apaise et transcende les générations comme les conditions. A commencer par celle des lépreux, que le Japon a maintenus en quarantaine jusqu’en 1993. Kawase : «Je redoutais d’en rencontrer, j’appréhendais d’être confrontée à des corps et des visages déformés, à tout ce malheur et, en fait, j’ai vu des gens heureux, qui nous ont donné du courage.» Si l’actrice principale est une star à domicile, les acteurs lépreux sont des non-professionnels. «Ils sont présents ici à Cannes», précise Kawase. Elle a l’aura d’une chamane mais fait bye bye de la main comme une enfant. SABRINA CHAMPENOIS Photo FRÉDÉRIC STUCIN ESEC-ÉCOLE SUPÉRIEURE D’ÉTUDES CINÉMATOGRAPHIQUES PARIS Enseignement supérieur libre Réalisation/Scénario/Production/Montage SFX Formations professionnelles (niveau II / Licence-Maîtrise) www.esec.edu VIII • LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 CANNES PORTRAIT JOHN C. REILLY ACTEUR DANS «LE CONTE DES CONTES», «THE LOBSTER» ET «LES COWBOYS» E Le freak, c’est chic légant comme un personnage de Jean Renoir, John C. Reilly se tient à l’aide d’une canne ornée d’une cane, au cœur de Cannes. Dans le décor ambiant (cinquième étage de l’hôtel Marriott, au milieu des strass et des stars), la chose paraît incongrue. Une canne, une cane, à Cannes… A bien y réfléchir, la musicalité de cette phrase, qui sonne comme une comptine pour enfants, va très bien à l’acteur américain, qui fête ses 50 ans la semaine prochaine. Pour sa septième venue au Festival, il est venu présenter le film de Matteo Garrone, le Conte des contes, odyssée étrange mêlant un prince albinos, un ogre tout en grognements et une reine (Salma Hayek) dévorant un cœur de monstre marin afin d’engendrer l’enfant d’un roi sacrifié. Le roi, c’est lui. Enfin, pas seulement, car il figure aussi dans un autre film de la sélection, The Lobster, de Yórgos Lánthimos (lire page VI), où il campe un type qui zézaie, et aussi dans les Cowboys, de Thomas Bidegain, où il interprète un chasseur de tête ricain face à François Damiens… Comique. Ainsi va John C. Reilly. On l’a forcément déjà vu quelque part : il a joué dans plus de 70 films. Il est le mari de Tilda Swinton dans We Need to Talk About Kevin; le frère de Will Ferrell dans la comédie culte Frangins malgré eux ; une star de porno dans Boogie Nights ; le policier moustachu de Magnolia ; ou encore un père névrosé dans le Carnage de Roman Polanski. Il a, comme on dit, une trogne, une allure, une présence, un charisme. Paradoxe : le monde connaît à la fois très bien et très mal son visage, si marquant – et si marqué. Qu’est-ce que ça fait d’être cet homme qu’on-a-vu-dans-un-filmmais-lequel-déjà? Il s’amuse de cette singulière notoriété. «C’est un jeu que j’adore faire à l’aéroport. Les gens viennent me voir et me disent : “Vous êtes un acteur, non ? Je vous ai vu dans un film, mais où ?” Mon truc, c’est de deviner, à partir de ce que je perçois des gens, dans quel film ils m’ont vu.» Et ça marche ? «Parfois, je dois m’y prendre à plusieurs fois, mais oui, j’y arrive. Vous, par exemple, vous êtes peut-être fan de Frangins malgré eux.» Gagné. John C. Reilly a débuté en 1989. Alors qu’il était étudiant en art dramatique à Chicago, il se présente à un casting pour figurer dans un film de Brian De Palma, Outrages. Il ne s’agit alors que d’une journée de tournage, de la figuration en somme. Mais il finit par décrocher bien plus : un rôle conséquent dans le film, point de départ d’une longue carrière. Il raconte tout cela avec une gentille assurance, semble trouver cela à la fois normal et exceptionnel. «J’imagine que cela a à voir avec de la chance, mais aussi avec une forme de préparation.» Certes, on l’a vu par- tout, et il excelle dans le drame, mais il existe une constante dans son œuvre : un amour absolu pour le comique. L’humour absurde lui est nécessaire, presque existentiel. Après avoir tourné deux comédies cultes avec Will Ferrell (Frangins malgré eux, donc, et Ricky Bobby, roi du circuit), il incarne, pour une série diffusée sur la chaîne américaine Adult Swim, Steve Brule, un vendeur de supermarché maladroit, burlesque, outrageusement chevelu, jerry-lewisien en somme. Le show, intitulé Check It Out! with Dr Steve Brule, fait rire jaune. «J’aime les contradictions. Il n’y a rien de meilleur que la comédie quand elle n’est pas de la pure comédie. Ce moment où la drôlerie se transforme en tristesse ; le charme en danger.» Emeutes. On l’interroge longuement sur sa tenue, un costume blanc en lin, qui tranche avec les codes vestimentaires cannois en vigueur. Pas de marques ostentatoires, mais un chic assumé; le chapeau vient de la meilleure fabrique de Chicago, le complet de chez Brooks Brothers (c’est la marque que portait Lincoln au moment de son assassinat). Le sujet l’intéresse plus qu’on ne l’imaginait : «Je préfère être trop bien habillé que pas assez. Et je trouve que c’est un problème quand, de nos jours, les gens arrivent à bord d’un avion en pyjama. Je ne suis pas obsédé par les marques, mais j’estime qu’une robe bien coupée et de belles chaussures ajoutent quelque chose à la beauté du monde.» Parle-t-il encore de mode lorsqu’il dit «si mes vêtements sont conservateurs, l’homme à l’intérieur est un freak. J’ai l’impression d’être hors du temps»? A ses heures perdues, il chante dans un groupe de folk-country, John Reilly & Friends, lui qui se targue d’être né le même jour que Bob Dylan (le 24 mai, donc). Cette culture folk l’irrigue, lui qui a grandi en écoutant des chansons traditionnelles irlandaises – ses ancêtres, les Reilly, ont débarqué voici cinq générations dans l’Illinois. Pour évoquer les récentes émeutes qui secouent les Etats-Unis depuis plusieurs mois, c’est donc un air de Dylan qu’il entonne, dans le bar de l’hôtel Marriott: The Lonesome Death of Hattie Carroll, l’histoire d’une femme noire, brutalement assassinée dans les années 50 par un homme, blanc et riche. Il relève que cette histoire s’est déroulée à Baltimore. «Voilà ce que j’aime dans la comédie. Elle est subversive. Elle est politique. Elle peut toucher des choses plus sombres, plus dures.» La démonstration est réussie : on est passé en un clin d’œil de la potacherie la plus pure aux émeutes de Baltimore. D’ailleurs, on ne sait même plus par quel chemin on est arrivé à cette sortie, qui lui va bien, elle aussi : «La belle sérendipité. Cela pourrait être le titre de mon autobiographie.» JOHANNA LUYSSEN Photos FRÉDÉRIC STUCIN LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 «L CHRONIQUES IDÉES • 23 ÉCRITURES LA CITÉ DES LIVRES Par MARIE DARRIEUSSECQ Par LAURENT JOFFRIN Un génocide de proximité Jean Zay, de l’école au Panthéon e 8 avril 1994, c’est le jour de ma mort»; «Ils m’ont tuée et j’ai été morte cinq jours dans le marais» ; «J’étais morte, et quand on a soulevé mon corps, mes yeux ont bougé.» J’entends encore les voix des rescapés, de mon voyage d’avril au Rwanda. Dans les Naufragés et les Rescapés, Primo Levi dit que les naufragés, les morts, leur parole est perdue. Mais au Rwanda, certains rescapés sont aussi des naufragés. Ils ont traversé la mort, avec des séquelles terribles. Il leur manque un bras ou un œil. Ils n’ont plus aucune famille. Les femmes, systématiquement violées, ont souvent le sida. Ces morts encore vivants ont été assassinés parce qu’ils étaient tutsis ou qu’ils aidaient les Tutsis, et ils ont tous la même histoire: ils ont été laissés pour morts. Quand ils ont la force de témoigner, c’est pour demander justice, et pour prévenir de ce qu’est un génocide. Révérien Rurangwa écrit, dans son livre Génocidé, que témoigner est tout ce qui lui reste. J’ai pris conscience sur place de ce fait simple: au Rwanda, dans ce petit pays, les survivants sont beaucoup, beaucoup moins nombreux que leurs assassins. Et ils Au Rwanda, les survivants sont beaucoup, beaucoup moins nombreux que leurs assassins. vivent en voisins. C’était un «génocide de proximité». Témoigner leur est difficile, ne serait-ce que parce que leur parole est confrontée à la clameur de bandes qui ont de nombreux «témoins», de prétendus «alibis», etc. Et qui menacent, encore aujourd’hui: si tu parles, on te tue. Alors, malgré le processus de réconciliation, on entend : «C’est leur faute s’ils sont morts ; d’ailleurs, ils ne sont pas morts ; et il n’y a jamais eu de Tutsis dans ce village.» Et les rescapés, déjà si éprouvés, doivent encore lutter contre la mise en doute de leur assassinat… Un génocide ne va pas sans négation. Le négationnisme est illogique, mais le contrer est d’autant plus difficile qu’il a les apparences du raisonnement. Freud donne, pour illustrer ce qu’est la dénégation, l’exemple du chaudron: «Je ne t’ai jamais emprunté de chaudron ; il avait déjà un trou au départ ; je te l’ai rendu en parfait état.» Négation et génocide sont les deux faces d’une même destruction: rationnelle (organisée, programmée) et irrationnelle (injustifiable en raison). «Tuez les tous» signifie : aucun ne doit témoigner. Personne ne doit pouvoir dire: «j’ai été», «les miens ont été», «on nous a tués». La visée du génocide est l’éradi- cation complète, et il ne s’envisage que comme réussi et total. L’effacement des traces en fait partie: au Rwanda, c’est jusqu’aux photos des victimes qui ont été systématiquement détruites. Enormément de noms sont perdus, car il n’est plus resté personne pour témoigner. Dans certaines zones, les Tutsis ont disparu jusqu’au dernier. Le silence. «Il faut résumer l’affaire», c’était l’expression des tueurs. «Un génocide vous tue pour longtemps, dit Assumpta Mugiraneza, et le temps qui passe n’arrange pas les choses, c’est le signe du grand trauma.» Cette chercheure, basée à Kigali, veut traduire Primo Levi en kinyarwanda. Les auteurs de massacres de guerre ne nient pas, eux, ou peu de temps. Parce que leur crime, malgré son ampleur, reste isolé. Ils montrent à la longue des remords, et se dénoncent et s’entre-dénoncent. Car ils restent sujets de leur acte. Les auteurs de génocide se dissolvent dans une masse qui nie. Un génocidaire n’est jamais seul: c’est une communauté entière qui tue, en s’appuyant sur un Etat. Sans Etat, il y a les massacres du chaos. Avec un Etat, il y a une entreprise de mort. Le mot de génocide ne doit pas être galvaudé, on l’entend. Si l’on suit les définitions de l’ONU, il y a eu génocide contre les Arméniens, contre les Juifs, contre les Roms, contre les Tutsis ; génocide aussi contre les Hereros de Namibie, presque complètement oubliés de l’histoire ; génocide contre les Bosniaques à Srebrenica, même si le mot reste discuté. On parle d’un génocide de classe au Cambodge; d’un génocide contre les Noirs par l’esclavage ; on évoque le mot pour les Kurdes, les yézidis, et des communautés du Darfour. La liste n’est pas close. Depuis mes dix jours trimballée dans tout le Rwanda, en compagnie d’associations européennes et locales (Egam et AERG), je n’ai cessé de penser à ce mot. «Génocide». Et je me demande forcément quels sont les génocides en cours. Je me demande ce qui se passe en ce moment en Méditerranée. Non, d’accord, ce n’est pas un génocide. Mais la masse toujours grandissante des corps disparus dans la mer, la difficulté de récolter les noms, le nombre de femmes et d’enfants, la prévisibilité du carnage, et le fait que ça arrange pas mal de monde, non, tous ces immigrants en moins ? Quel est le nom de ça ? En hommage aux squelettes anonymes, au Rwanda, en réponse à ces points d’interrogations faits d’os, on dit : «Ce que je sais de toi, c’est que tu es mort.» • Cette chronique est assurée en alternance par Olivier Adam, Christine Angot, Thomas Clerc et Marie Darrieussecq. C ontre le projet de réforme du gouvernement socialiste, la droite se déchaîne : «Il faut défendre les humanités gréco-latines contre l’école unique totalitaire.» Une sortie de l’UMP ? Une saillie du Front national ? Une attaque d’Alain Finkielkraut contre Najat Vallaud-Belkacem ? Non. Nous sommes en 1937, et la droite sonne le tocsin contre la réforme scolaire… de Jean Zay. Ce même Jean Zay que la République, unanime ou presque, s’apprête à panthéoniser avec trois autres grandes figures de la Résistance, Pierre Brossolette, Geneviève De Gaulle-Anthonioz et Germaine Tillion. Historiens chevronnés, l’un spécialiste de l’école, l’autre de l’Occupation, Antoine Prost et Pascal Ory ont retracé, de manière vivante et claire, la vie de celui qu’il faut bien appeler un martyr de la République. Il l’ont fait dans un livre complet, mi-texte mi-documents, qui retrace, par les mots et l’image, l’itinéraire météorique de ce surdoué de la politique, tête de turc de l’extrême droite, et père d’une réforme décisive pour l’école française. Jean Zay est le fils d’un père juif, directeur d’un journal radical, et d’une mère institutrice et protestante. Il suit le parcours idéal d’un enfant de la République. Elève brillant de l’école publique, il obtient deux prix au concours général tout en se passionnant pour la politique dès l’adolescence. Il crée un journal au lycée, une revue littéraire, puis devient brièvement journaliste dans sa ville natale d’Orléans. Cultivé, amical et facile avec tous, il ouvre un cabinet d’avocat et gagne plusieurs procès difficiles qui le font connaître. C’est la politique qui le fascine: suivant les traces de son père, il s’inscrit au Parti radical. En 1932, le parti le présente dans une circonscription ingagnable. Son éloquence et son énergie font mentir les pronostics: il est député à 27 ans. En 1936, Léon Blum, qui vient de gagner les élections, cherche un jeune radical pour équilibrer son ministère. A 31 ans, Jean Zay est ministre de l’Education nationale. Il est tout sauf spécialiste de l’école. Mais sa culture républicaine le guide, et les liens qu’il tisse rapidement avec les réformateurs et les pédagogues du milieu lui permettent de lancer une politique de réforme. Il se fonde sur deux idées qui sont encore aujourd’hui la base des controverses sur l’école: démocratiser le système éducatif en l’unifiant ; moderniser la pédagogie pour aller au-delà de la simple transmission du savoir, et faire de l’élève un citoyen capable de réfléchir par luimême. Rien de neuf sous le soleil: comme aujourd’hui, mais sous une forme autre- ment virulente, ces deux ambitions provoquent une réaction hystérique à droite, doublée d’un déferlement de haine personnelle (nous sommes dans les années 30). Jean Zay cumule toutes les qualités qui mettent en rage l’extrême droite : il est juif, franc-maçon, radical, membre de la Ligue des droits de l’homme et ministre du Front populaire. Il a de plus écrit en 1924, au cours d’un jeu d’étudiants, un texte qu’il ne destinait pas à publication, dans la veine des militants pacifistes de l’aprèsguerre, où le drapeau français des militaristes est rendu responsable du massacre et qualifié de «torche-cul». Léon Daudet stigmatise l’action du «juif Torche Zay». Céline écrit que «sous le négrite juif Jean Zay, la Sorbonne n’est plus qu’un ghetto» avant de poursuivre par «je vous zay». Jouhandeau résume le tout: «Un Juif a entre les mains l’avenir vivant de ce pays : il peut en pétrir à sa guise, à sa mode, la matière et l’esprit. Tout dépend de sa volonté et, en effet, il vient de réformer l’enseignement.» Jusque-là, ce sont des mots. Mais la guerre montre ce qu’ils peuvent produire. En 1939, Jean Zay démissionne de son poste de ministre pour rejoindre l’armée. En juin 1940, il est parmi les parlementaires qui veulent continuer le combat. Il s’embarque sur le Massilia pour rallier le Maroc. En dépit de ses états de service, il est arrêté et est accusé de désertion sur ordre de Vichy. Au terme d’un procès truqué, il est condamné à la prison à vie. Il reste détenu pendant toute la guerre à Riom (Puy-de-Dôme), préparant les réformes qu’il compte mettre en œuvre à la Libération. Mais le 20 juin 1944, sur ordre de Darnand, trois miliciens l’extraient de la prison et le tuent dans un bois. En 1945, Jean Zay est réhabilité, et son œuvre reconnue. Pourtant, aujourd’hui encore, son entrée au Panthéon fait grincer des dents à l’extrême droite et chez certains officiers, alors même que Jean Zay fut un modèle de patriote quand ses adversaires collaboraient avec l’ennemi. Pérennité de la haine… • JEAN ZAY, LE MINISTRE ASSASSINÉ, 1904-1944 ANTOINE PROST, PASCAL ORY Editions Tallandier, 24,90 €. 24 • LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 IDÉES CHRONIQUES À CONTRESENS Par MARCELA IACUB Caron «le con», l’insulte faite aux femmes O n dit que notre société est victime du puritanisme et du politiquement correct. Qu’on ne peut plus prononcer des phrases considérées autrefois aussi banales que naturelles. Ceux qui s’en plaignent ont parfois raison. Certaines expressions sont bannies de façon si maladroite que les censeurs frisent le ridicule. A-t-on oublié la volonté de supprimer l’appellation «mademoiselle» des documents administratifs pour le remplacer par un émancipateur «madame» ? Mais le mot «con» – lorsqu’il est employé pour désigner les faibles compétences intellectuelles d’un mâle – est passé d’une manière inexplicable sous les radars de cette censure. Pourtant, n’est-il pas plus sexiste que «mademoiselle» ? On rétorquera que cette insulte a perdu toute relation avec son référent anatomique. Mais cet argument est loin d’être convaincant. Parmi les nombreux auteurs, Michelet s’en était plaint en ces termes: «C’est une impiété inepte d’avoir fait du mot “con” un terme bas, une injure.» En réalité, pour ne pas laisser le sexisme contaminer notre langue, on devrait dire d’une femme qu’elle est «conne» et d’un homme qu’il est «couillon». Cela signifierait qu’ils sont aussi peu intelligents qu’un vagin ou une paire de testicules sans que l’égalité des sexes se trouve atteinte. Tandis que traiter un homme de «con», c’est rendre cet organe responsable de sa bêtise. Comme si le fait de posséder un vagin provoquait une imbécillité spécifique et inéluctable. Ou bien qu’être bête et être femme était synonyme. Bref, il est évident, voire flagrant, que traiter un homme de «con» constitue une insulte à toutes les femmes. Voilà ce qui a révélé la bruyante polémique entre Caroline Fourest et Aymeric Caron dans l’émission On n’est pas couché. La demoiselle, s’adressant à Caron, a fini par un élégant : «Ça me fait chier de discuter avec quelqu’un d’aussi con que vous !» Certes, la polémique n’a pas porté sur l’emploi du mot «con», mais sur le mensonge de cette demoiselle à propos d’un procès en cours – elle a prétendu qu’elle l’avait gagné en appel alors qu’aucune décision n’avait été rendue. Dans les nombreuses explications qu’elle a données ici et là pour expliquer pourquoi elle avait été aussi approximative avec la vérité devant des millions de personnes, elle n’a pas dit un mot à propos de son emploi sexiste du mot «con». Pour quelqu’un qui se présente au monde comme une militante des plus acharnées de la cause des femmes, il aurait été bien plus convenable de lancer un «couillon» à Caron. J’ai attendu en vain que ce Robespierre du studio Gabriel sorte sa guillotine afin de couper la tête contre-révolutionnaire de son interlocutrice. Qu’il dénonce cette déviation lexicale avec le talent oratoire qu’on lui connaît. Que ce soit lui qui, en prenant fait et cause pour la dignité des femmes, lance à la L'AIR DU RIEN Par AUDE PICAULT demoiselle : «Couillon, d’accord, mais pas con». Au lieu de cela il a joué les offusqués, faisant preuve d’une vanité digne d’un petitbourgeois conservateur. Comme si c’était lui, le principal insulté, et non l’ensemble des femmes. Pire, sa réaction pourrait faire penser que s’il a été si choqué, c’est parce que Caroline Fourest l’avait traité de femme. De fait, moi, je me suis sentie personnellement insultée quand elle a dit: «Ça me chier de discuter avec quelqu’un d’aussi con que vous!» Et j’ai pensé immédiatement que c’est pour cette raison seule que Caroline Fourest aurait dû être bannie à vie d’On n’est pas couché. Les mensonges pour lesquels elle a été sanctionnée sont beaucoup moins graves. D’une part, ils ont été découverts très vite ; de l’autre, ils témoignent davantage d’une confusion que d’un esprit réactionnaire. Et personne ne peut l’accuser, et encore moins la condamner pour de tels propos. Alors que rien ne justifie d’insulter le genre féminin dans son ensemble pour se payer la tête d’un couillon. D’un Caron. • LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 S’ CHRONIQUES IDÉES • PHILOSOPHIQUES SOCIÉTÉS Par FRÉDÉRIC WORMS Par NATHALIE HEINICH La dispute du 11 janvier L’égalité contre l’équité il y a une erreur et même une imposture, elle consiste à unifier dans une même «identité» (pour la revendiquer ou la critiquer) tous ceux qui ont défilé le 11 janvier 2015. Ce que cette «manifestation» a de nouveau rendu possible, n’est-ce pas plutôt une division, une discussion, un débat, justement sur cette question de l’identité ? Il nous semble que tel est bien le cas. Il fallait cette manifestation pour introduire à nouveau une identité divisée, en marquant les deux extrêmes que sont d’abord la haine et le meurtre liés à cette clôture des identités, et aussi le refus de principe de la haine et du meurtre, refus qui ne peut donc figer personne dans une identité, pas même (et surtout pas d’ailleurs) ceux qui ont commis ces meurtres et ces actes (puisque ce sont les actes qui font les êtres et non pas les essences !). Sur tous les écrans et dans toutes les conversations du monde, c’est donc le débat sur la limite des revendications identitaires, qui a ainsi commencé. Mais alors, qu’y a-t-il de nouveau dans le débat qui a suivi cette fois le 11 janvier, qui porte même sur le sens critique de ce 11 janvier, et qui trouve partout une nouvelle forme d’intensité ? C’est d’abord, bien sûr qu’il y a réellement un risque de récupération identitaire et non critique du 11 janvier, en France même (sans parler des suprématistes américains). Mais si ce ris- risques (et ses chances), rejoint alors un autre débat mondial, disons pour résumer entre deux «gauches», qu’une discussion récente avec un ami à Boston, tout comme la polémique entre écrivains américains à l’occasion du prix décerné à Charlie par le Pen Club (et auquel certains ont refusé de s’associer), nous permettent de toucher du doigt. Il y a de bonnes raisons de critiquer certains usages de la laïcité et de dénoncer certaines critiques des religions, lorsqu’elles visent des communautés sujettes, historiquement et socialement, à domination et à discrimination. Mais justement: l’essentiel, selon nous, est là ! Une certaine gauche américaine risque de tendre, au nom de ce qui relève en fait de la justice sociale et historique à une essentialisation identitaire et culturelle. Ce à quoi elle nous rappelle (ici, mais aussi là-bas!), c’est à ne pas en rester à une laïcité formelle comme telle, mais à la compléter par une politique réelle de justice (sociale, politique et historique), et de non-discrimination effective. Si tel est le cœur du débat entre les deux positions, alors, elles sont non seulement compatibles mais inséparables ! De même que l’on peut à la fois revendiquer la publication de Charlie, et la construction de lieux de cultes dignes et libres, et surtout la non-réduction de qui que ce soit à une identité supposée. On comprend alors que ce deuxième débat, lui aussi, soit mondial, avec et grâce à un «11 janvier» dont le «concept» (comme Derrida On peut et on doit critiquer la parlait de celui du 11 septemrécupération extrême du 11 janvier, bre) doit constamment être recomme celle, non moins identitaire, pris et discuté. Cela rejoint tous de la laïcité par la droite la plus dure. les autres débats du moment, avec un seul mot d’ordre selon que existe, il importe donc de ne pas tom- nous: justice globale. Citons en seulement ber dans une autre version de cette assi- deux, mais essentiels. Les «migrants». gnation identitaire ! On peut et on doit Qui ne voit que cette injustice globale, critiquer la récupération extrême du hantée par tant d’autres, reconduira tous 11 janvier, comme celle, non moins identi- les risques, bien loin qu’en leur nom on taire, de la laïcité, par exemple par une ex- puisse la perpétuer? L’éducation, ensuite. trême droite parfois suivie par une certaine Qui ne voit ici que l’histoire nationale et droite. Comment la laïcité pourrait-elle globale, bien loin d’être incompatibles, être une identité? Ne voit-on pas la contra- sont inséparables? Elles se recoupent nodiction dans les termes mêmes? Il est déjà tamment sur les questions de justice et la plus compliqué de critiquer le discours vocation «mondiale» de la France (si soumené au nom de la République, qui est vent revendiquée) ne saurait être unilatéd’autant plus essentiel qu’il est menacé, lui rale, elle se renforcera même de se savoir aussi, d’une récupération identitaire et menacée ou concernée par des injustices même partisane («les républicains»). passées ou présentes et, plus encore, de Mais, il peut devenir réellement grave et promouvoir ce que l’on pourrait appeler dangereux, cette fois, au nom d’une socio- un esprit critique international. • logie, certes, plus nécessaire que jamais, de Frédéric Worms est professeur de philosophie caricaturer les manifestants en les rédui- à l’Ecole normale supérieure. sant à une identité supposée (comme s’y Cette chronique est assurée en alternance risque parfois Emmanuel Todd). par Sandra Laugier, Michaël Fœssel, Paul B. Mais, ce débat franco-français, avec ses Preciado et Frédéric Worms. L 25 e 21 avril, on a appris qu’à de classe ou de clan. Paris les places de conDommage que les révolutionservatoire seront désornaires n’aient pas plutôt choisi mais tirées au sort: face à comme devise républicaine l’afflux des demandes, la mairie «Liberté, équité, fraternité» (à renonce au principe «premier leur décharge, la sociologie arrivé, premier servi», qui mén’existait pas encore) : cela contentait tout le monde et avait aurait évité bien des confusions. amené les parents qui en ont les Car, on assiste à une fâcheuse moyens à payer quelqu’un pour extension du domaine de l’égafaire la queue à leur place dès la lité au détriment de l’équité. veille des inscriptions. Certes, Ainsi, en octobre, la modulation s’en remettre au hasard pour attribuer un des allocations familiales selon le revenu a bien rare n’est pas une solution idéale suscité des protestations de tous côtés, y («c’est la moins mauvaise», justifie le pre- compris à gauche (le directeur de l’Obsermier adjoint) mais, comme la démocratie, vatoire des inégalités protesta contre la c’est la pire à l’exclusion de toutes les mesure au motif que «la solidarité doit être autres. D’ailleurs, la mesure a déjà été adoptée par des Dommage que les révolutionnaires conservatoires de province, n’aient pas plutôt choisi comme devise et ne semble pas avoir suscité républicaine «Liberté, équité, de protestations. Il faut dire fraternité»: cela aurait évité bien des que le retour en catimini du critère de richesse des paconfusions. rents constituait une sérieuse entorse à la règle démocratique d’égalité protégée»): la gauche qui, pourtant, aurait des chances éducatives offertes par la Ré- dû comprendre depuis longtemps qu’en publique. démocratie, l’égalité ne s’impose que pour Voilà qui confirme l’existence d’un sens de les droits civiques ; et qu’en matière de la justice que nous partageons tous: même prestations sociales, c’est l’attribution au sans avoir lu les sociologues, nous savons besoin qui doit être le seul critère, l’égalité que l’équité – cette valeur fondamentale dans la distribution ayant forcément pour en démocratie– se présente sous des mo- effet de reconduire les inégalités de départ dalités diverses, dont l’égalité n’est que la que l’on cherche justement à corriger. plus simple. Plus précisément, ces formes Trois mois auparavant, en juillet, le goude construction de l’équité sont au nom- vernement a voulu supprimer la bourse au bre de cinq : outre l’égalité (à chacun la mérite instaurée sous Jospin pour aider des même part de gâteau), nos sociétés prati- bacheliers boursiers ayant eu mention très quent l’attribution selon le hasard (c’est bien au bac à poursuivre des études supéle tirage au sort), selon l’ordre (c’est le rieures, au motif qu’elle ne serait pas effiprincipe de la file d’attente, en fonction de cace: l’enveloppe a été basculée pour alil’ordre d’arrivée, ou du droit d’aînesse), menter l’aide sociale à l’ensemble des selon le besoin (c’est le critère pour les étudiants. La mesure a été suspendue par droits sociaux) et, enfin, selon le mérite le Conseil d’Etat pour des raisons adminis(qui détermine les notes scolaires ainsi que tratives, mais le problème de fond est deles augmentations de salaire – du moins meuré entier : l’égalitarisme triomphait tant que les partisans du retour à l’ordre encore, au mépris des valeurs progresde l’ancienneté n’ont pas réussi à dézin- sistes (besoin et mérite) comme du simple guer l’avancement au mérite). bon sens. Et, on se demande encore pourCe critère du mérite a mauvaise presse, car quoi la gauche perd des voix ! il implique forcément une distribution «Allons au bout de l’égalité !» affichait le inégalitaire. Mais ses détracteurs, qui pré- centre LGBT en 2013, au moment de la loi fèrent soit l’égalité, soit l’ancienneté, ne sur le mariage homosexuel. Quant aux voient pas que c’est justement cette inéga- Femen, jamais en retard d’une bêtise, elles lité qui permet d’obtenir l’équité, par la protestaient contre le délit d’exhibition au proportionnalité entre ce qui est donné par motif qu’il «ne place pas hommes et femmes le sujet –du travail, du temps, de la com- sur un pied d’égalité» (en effet: il les place pétence, du talent– et ce qui lui est offert juste sur un torse différent). Dommage, en retour – reconnaissance ou argent. Ils dommage que les causes les plus légitimes ne voient pas non plus que le mérite n’est se fassent massacrer par les plus démagopas seulement un critère de distribution, giques et les plus bornés de leurs défenmais une valeur, qui prend sa source poli- seurs ! Egalité, que de stupidités on aura tique dans l’idéal révolutionnaire, avec sa commis en ton nom… • délégitimation du critère d’ordre basé sur Nathalie Heinich est sociologue au CNRS. la famille et l’ancienneté (principe aristo- Cette chronique est assurée en alternance cratique) au profit d’une reconnaissance par Cyril Lemieux, Frédérique Aït-Touati, du mérite individuel, contre les privilèges et Nathalie Heinich. • GRAND FORMAT CULTURE 26 LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 Bye Bye LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 GRAND FORMAT • 27 King DISPARITION Le «Blues Boy» à la main puissante et à la voix caressante, symbole de réussite artistique et sociale, est mort jeudi après une carrière de soixante-six ans. Par FRANÇOIS-XAVIER GOMEZ et GUILLAUME TION E Riley B. King et Lucille, en 1997. PHOTO ABACA feur de tracteur, il se rend régulièrement à Memphis (Tennessee) et fait la manche sur Beale Street, épicentre de la vie musicale de la ville. Il y gagne son surnom : «Blues Boy», d’où le raccourci B.B. Il est bientôt engagé comme DJ sur WDIA, la première station des Etats-Unis entièrement dédiée aux musiques noires, où il fait sensation en accompagnant à la guitare les succès du moment. ric Clapton voyait en lui «l’artiste le plus important que le blues ait donné» (1). B.B. King, mort à l’âge de 89 ans, jeudi à Las Vegas, était un des derniers musiciens témoins (et acteurs) de l’ascension du blues moderne, du berceau du sud des Etats-Unis jusqu’aux plus grandes scènes de la planète. Ce blues sans lequel il n’y aurait eu ni Beatles, ni Rol- LUCILLE. Sa notoriété radio lui permet ling Stones, ni U2. de sillonner la région avec son groupe. Le 16 septembre 1925, les yeux de Riley Un jour de 1949, lors d’un concert à B. King s’ouvrent sur les immenses Twist (Arkansas), deux buveurs en champs de coton d’Itta Bena, dans le viennent aux mains et renversent le Mississippi. Et sur un avenir qui n’a poêle à kérosène, mettant le feu au rien de riant pour un descendant d’esclaves dans ce Sa musique aussi est au large Sud misérable et soumis à la du blues terrestre. Si B.B. King ségrégation raciale. Ses premières années suivent à la venait du coton et travaillait dans lettre les étapes de la repro- les champs, ses chansons étaient duction sociale telles qu’on tout sauf brutes. les retrouve chez d’autres bluesmen, comme Robert Johnson ou saloon. Dans la panique générale, Muddy Waters : parents séparés, élevé B.B. King s’aperçoit qu’il a oublié sa par sa grand-mère, chanteur de gospel Gibson et retourne la chercher dans les à l’église, abandon précoce de l’école, flammes. La femme à l’origine du pugimarié à 17 ans. Mais, à 12 ans, le pasteur lat s’appelait Lucille: c’est le nom qu’il lui a mis entre les mains une guitare. donnera désormais à toutes ses guitares. Dès qu’il gagne sa vie, comme chauf- Lucille, c’est une demi-caisse noire 28 • CULTURE GRAND FORMAT BYE-BYE KING sans ouïes. C’est aussi le totem qui sépare le musicien, toujours tiré à quatre épingles, de son public, le moyen par lequel il a conduit son ascension sociale. Le premier producteur à le faire entrer en studio n’est pas un novice : Sam Phillips, qui n’a pas encore fondé Sun Records, ni découvert Elvis Presley, lui fait enregistrer son premier 78-tours en 1949, sur le label RPM. Le succès viendra trois ans plus tard avec sa version de Three O’Clock Blues, complainte au parfum de suicide signée Lowell Fulson: «Il est trois heures du mat et j’arrive pas à fermer l’œil, salut les gars, je crois que c’est la fin…» La chanson figure sur son premier 33-tours, en 1957, Singin’ the Blues. C’est le chant, plus que la guitare, qui l’impose au public. «Sa voix était séduisante, très éloignée de celle des bluesmen ruraux, analyse Gilles Pétard, producteur, collectionneur et spécialiste des musiques noires. On peut même le considérer comme un précurseur de la soul.» Sa musique aussi est au large du blues terrestre. Si B.B. King venait du coton et travaillait dans les champs, ses chansons étaient tout sauf brutes. De plus en plus sophistiquées, policées, avec des tapis de cuivres, des batteries syncopées, des intros travaillées et des grilles acceptant volontiers les accords de passage, qui ouvrent à de nouvelles gammes et enrichissent la base harmo- sit pas à se hisser au niveau des ventes du «Genius». Mais s’il échoue à séduire les classes moyennes, il gagne la reconnaissance des fans de rock, biberonnés au son britannique des Rolling Stones, Kinks ou Animals. Ainsi, ses salles sont partagées entre public de Noirs âgés et de jeunes Blancs. L’apothéose survient en 1969, quand il assure la première partie des Stones B.B. King alternait le masculin aux Etats-Unis. et le féminin: la voix médium, Un an avant, choc de titans, onctueuse mais sachant se couvrir B.B. King participe à une de tonnerre quand approchaient célèbre jam avec Hendrix au Generation Club. Une renles chorus finaux. contre à sens unique, puisque nique du blues. Chez B.B. King, la mu- Hendrix oubliera de donner les bandes sique se transforme avec le temps: il n’y à B.B. King, qui ne les écoutera que a pas les relents de poisson frit et la boue trente ans plus tard. sèche chers à Muddy Waters, mais au En 1974, B.B. King est reçu comme une contraire une volonté de croître et de divinité pour sa première visite en Afris’élever au-dessus de cette terre, de la que: il fait partie de l’exubérante aventransformer en symbole du passé. ture montée à Kinshasa, au Zaïre, par le promoteur de boxe Don King, autour DIVINITÉ. Reconnu dans la commu- du championnat du monde poids lourds nauté noire, B.B. King rêve de s’imposer entre Mohamed Ali et George Foreman. sur le marché des auditeurs blancs. Un Tout au long des années 70, il assure un seul chanteur black y est parvenu: Ray rythme de travail effréné : «250 conCharles, sur ABC Paramount, le label qui certs en moyenne par an pendant plus de signe en 1962 B.B. King. Lequel ne réus- quarante ans», évalue Gilles Pétard. LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 A Memphis, en 1948, dans les studios de la radio WDIA. B.B. King sortira son premier 78-tours un an plus tard. PHOTO COLIN ESCOTT.MICHAEL OCHS ARCH. GETTY En compagnie de John Lee Hooker (chapeau noir) et Willie Dixon (chapeau blanc) à Los Angeles en 1991. PHOTO PAUL NATKIN. GETTY En octobre 1971, devant le studio d’enregistrement Olympic, à Londres. PHOTO ESTATE OF KEITH MORRIS.GETTY Grâce au soutien de U2 (le titre When Love Comes to Town en 1988) et d’Eric Clapton (Riding with The King, 2000), B.B. King reste une attraction du cirque rock’n’roll, et tous les grands festivals l’ont compté à leur affiche. «Même dans ses apparitions récentes, il était impressionnant, se souvient Gilles Pétard. Sa voix comme son jeu de guitare étaient ceux d’un jeune homme. Il créait un rapport chaleureux avec le public et adorait présenter les chansons par des anecdotes, révélant un vrai talent de conteur. Même s’il avait quitté très tôt l’école, il avait étudié en autodidacte et avait une vraie culture.» Il possédait surtout une arme secrète : une main gauche massive qui lui permettait d’enquiller les vibratos les plus élastiques de l’histoire du blues-rock. Il n’y a guère eu que le surdoué Jeff Healey, disparu aujourd’hui, aveugle et jouant avec sa guitare posée à plat sur les genoux, pour malmener autant les cordes. B.B. King chantait les yeux fermés et alternait le masculin et le féminin : la voix médium, onctueuse mais sachant se couvrir de tonnerre quand approchaient les chorus finaux. Et la main gauche baguée, placée à mi- LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 GRAND FORMAT CULTURE • 29 Des musiciens français racontent en quoi, selon eux, B.B. King était «le maître absolu» du blues: «Trois mots, trois notes, ça suffisait» L es hommages à destination de B.B. King abondaient vendredi sur les réseaux sociaux, d’Eric Clapton («un ami et une source d’inspiration») à Buddy Guy («B.B. King est l’homme le plus fantastique que j’ai rencontré dans ma vie»). Nous avons demandé à trois générations de guitaristes et bluesmen français ce qu’ils retiennent du personnage. manche, prompte à ponctuer les paroles d’une phrase saturée dans les aigus. La voix de King, puis celle de Lucille. ASCENSION. Le musicien avait en outre connu le succès avec la chaîne de clubsrestaurants B.B. King Blues Club&Grill, qui compte une dizaine d’établissements aux Etats-Unis, dont le premier a été ouvert sur Beale Street. En 2014, B.B. King avait encore 80 concerts à son agenda. Seules les sept dernières dates ont été annulées, après un malaise sur scène, en octobre à Chicago. Son diabète le maintient à l’hôpital, jusqu’à ce jeudi de l’Ascension. Actif jusqu’au bout, toujours élégant et séducteur (il revendiquait 15 enfants de 15 lits), il a été de son vivant une légende afroaméricaine, le symbole d’une réussite sociale et artistique. Très fier, en 2011, de se produire à la Maison Blanche, où il avait accompagné Barack Obama chantant sur Sweet Home Chicago. • (1) Dans son autobiographie publiée en 2008. Festival de musiques et cultures queer Concerts, nuit, ateliers, rencontres et projections du 2 au 5 juillet 2015 à la Gaîté lyrique (Paris), au lieu unique (Nantes) et au Sucre (Lyon) Réservations sur gaite-lyrique.net et digitick.com «Je l’ai croisé deux fois, je n’ai pu que lui serrer la main. Une poigne douce, bizarrement. C’était il y a une dizaine d’années, après un concert. Il était déjà âgé. On voyait que c’était quelqu’un de profondément humble et modeste. Il transpirait la gentillesse.» Fred Chapellier bluesman français «Comme pour beaucoup de musiciens, il représente Norbert Krief pour moi le blues. Une réféguitariste, cofondateur rence. J’ai toujours écouté de Trust B.B. King, depuis que je suis «C’était un monument. petit, grâce à mes frères plus Un bluesman avec une vie âgés. D’autres musiciens extraordinaire. Déjà par son étaient peut-être meilleurs parcours : celui d’un Black que lui, mais B.B. King était des années 20 issu des aussi bon au chant qu’à la champs de coton, une racine guitare, avec un son reconpure et dure du blues, qui a naissable entre mille, feutré, eu une carrière phénoménale incisif et doux à la fois. jalonnée par une quinzaine Mélodieux. de Grammy Awards. «Pour tout le monde, c’est «Je l’écoute depuis mes 7 ou la voix du blues, avec deux 8 ans, jusqu’à aujourd’hui. ou trois autres chanteurs tels Un morceau préféré ? When que John Lee Hooker. Et son it All Comes bagage musical Down (I’ll Be TÉMOIGNAGES était énorme : Around). Sa de belles harvoix m’a toujours trans- monies, une grande intelliporté. Même sur ses derniers gence musicale, une voix albums, je ne suis pas cri- qui dresse les poils tout de tique. Vu son âge, c’était suite. quand même des réussites. «Mon album préféré, c’est Pareil pour les concerts. Il Live at the Regal ou Live at est resté debout sur scène San Quentin, enregistré dans jusqu’au bout, jusqu’au der- une prison. Pour les channier souffle. sons, il y a The Thrill is Gone, «B.B. King était l’âme du forcément, mais aussi Sweet blues, par sa voix et son jeu Little Angel, Rock me Baby… de guitare pur et envoûtant. «Qu’il ait été associé à plein Le maître absolu. Un person- d’artistes montre qu’il était nage irremplaçable, comme une référence quel que soit le Jimi Hendrix, Elvis Presley genre. Tout le monde voulait ou Michael Jackson. le côtoyer et jouer avec lui. «Je l’ai croisé et vu en concert en 2009 au Palais des congrès à Paris. Il était un peu fatigué. En vieillissant, il s’économisait. Mais le frisson était toujours là. Pour moi, trois mots, trois notes, cela suffisait. Il était le roi.» «Il laisse une place qui ne sera jamais occupée. Il reste Buddy Guy, certes. Mais le chapitre est clos, les trois King [Albert, Freddie et B.B.] sont morts.» Nina Attal Blueswoman française «B.B. King a beaucoup représenté pour moi. Quand j’étais ado j’écoutais AC/DC, Led Zep, mais la première fois que je l’ai entendu, j’ai su que le blues allait m’accompagner toute ma vie. «Il avait un jeu de guitare efficace. Dans chaque note, il mettait une émotion. Chez lui, une note raconte une histoire. C’est un guitariste pas très bavard mais précis. Chaque note était bien placée, il y avait ses tripes dans chacune d’elles. De même pour la voix. Il chantait avec son âme. «Dans sa discographie, je choisis Live in Africa, enregistré au Zaïre, au moment du combat de boxe Foreman-Ali en 1974. Et Playing with My Friends, en duo avec Robert Cray, festif et axé sur le partage. «Pour moi, c’est l’artiste qui représente le mieux le blues. Il exprimait tout. Il représentait les racines, l’authenticité. Quelque chose de magique.» Recueilli par G.Ti. Austra, Big Freedia, Clara 3000, Kiddy Smile, Le1f, Léonie Pernet, Perfume Genius, Planningtorock, The Seth Bogart Show, Ssion... 30 • LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 CULTURE Boris Charmatz fait tourner la Tate HAPPENING L’institution anglaise donne carte blanche au chorégraphe français le temps d’un week-end, pour qu’il transforme le lieu en musée de la Danse. Par SONIA DELESALLE-STOLPER Correspondante à Londres Photo CLÉMENTINE SCHNEIDERMANN P ourtant plantée solidement au bord de la Tamise, la Tate Modern ondule. La silhouette de l’ancienne centrale électrique vibre, se tord et se déhanche. Le musée est en mouvement et Boris Charmatz jubile. «En fait, ils ne le savent pas encore, mais c’est comme le cheval de Troie, on va rester, on va dormir sur place, ils ne vont pas s’en rendre compte, mais on ne va jamais RENCONTRE repartir», rigole le chorégraphe français, quelques jours avant son abordage du navire amiral de l’art contemporain à Londres. Le mot est puissant. Dans son annonce, la Tate Modern parle de «take over», traduit par «prise de contrôle». Le créateur du musée de la Danse, qu’il n’appelle jamais le Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne, préfère la notion «d’investir» les lieux, les moindres recoins de la Tate Modern, pendant quarante-huit heures, vendredi et samedi. Avec environ quatrevingt-dix danseurs, mais également des chorégraphes et avec la participation du public, avec leurs mouvements, leur voix, leur sueur. «RÉACTION». Les musées accueillent souvent des performances, des expositions vivantes. Mais l’initiative de la Tate Modern, sous l’impulsion de sa commissaire principale Catherine Wood et de Boris Charmatz, et en association avec le théâtre londonien Sadler’s Wells, va plus loin. Elle cherche à répondre à la question qui porte, de- LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 danse contemporaine, la Belge Anne Teresa De Keersmaeker et la violoniste française Amandine Beyer, spécialiste de musique baroque. DÉSACRALISATION. Manger est un travail particulier, qui se concentre sur les mouvements de la bouche. Les danseurs y chantent et y mangent, littéralement, des feuilles de papier blanc. La version présentée à la Tate Modern sera un peu modifiée, dispersée. «Sur une scène normale, les danseurs sont séparés par 50 centimètres à 2 mètres. Là, dans le Turbine Hall, il y aura 10 mètres entre chaque danseur», explique Boris Charmatz. Qui s’interroge aussi sur le devenir des voix des danseurs «perdues dans cet espace démesuré». Entre les danseurs, on trouvera peutêtre des visiteurs. Parce que le musée n’est pas transformé en salle de spectacle, il demeure un musée, où touristes et visiteurs se pressent à toute heure. Mais, sur leur chemin, ils pourront effleurer un danseur, discuter avec lui lors d’ateliers disséminés dans les galeries d’exposition, voire participer aux chorégraphies ou juste aux échauffements qui rythmeront les journées. L’espace se transformera même en night-club temporaire, avec boule à facettes et invitations pour tous à se trémousser. «On peut y passer une heure, ou dix, et ne pas voir tout ce qui est proposé, ça n’a pas d’importance.» «Le public va voir la sueur, sentir les odeurs, voir ce que ça représente comme travail une chorégraphie», explique Boris Charmatz. Et, non, il ne craint aucunement «Le public va voir la sueur, sentir désacraliser ainsi la les odeurs, voir ce que ça représente de danse. «Moi, je fais une danse comme travail une chorégraphie.» plus concrète que magique, mais même comme ça, la Boris Charmatz danse peut avoir une dimenTurbine Hall, son cœur. «C’est comme sion magique ou sacrée.» une fiction sur deux jours, on s’est posé la Expo Zéro, un projet chorégraphique question “et si on tentait ça ? Ou ça ?”» cher au musée de la Danse, implique dix Et ils ont tout tenté dans un extraordi- danseurs, chorégraphes, théoriciens naire exercice interactif. de la danse qui discutent et mettent Le Turbine Hall, gigantesque espace mo- en mouvement, immédiatement, leurs nographique, sert d’écrin à une «forme idées sur ce que leur inspire un musée de rétrospective du musée de la Danse». de la Danse. Et là encore, les visiteurs En mouvement, constamment, les prin- peuvent participer à la discussion «dès cipales créations chorégraphiques de lors qu’ils lâchent un peu prise». Boris Charmatz se dévoilent. A bras-le- Vingt danseurs pour le XXe siècle retrace, corps (1993), Roman Photo (2009), Levée dans les différentes galeries d’exposides conflits (2010) et son œuvre la plus tion, une histoire de la danse, de toutes récente, Manger, qui sera présentée éga- les danses du XXe siècle, des déhanchés lement la semaine prochaine au Sadler’s de Chaplin aux acrobaties du hip-hop, Wells, où Boris Charmatz poursuivra son des ballets de Marius Petipa à ceux immersion londonienne. Il y présentera de Martha Graham. Et puis, Boris CharAatt enen tionon et Partita 2, une collabo- matz revisite un projet qu’il avait déjà ration avec l’une des papesses de la présenté en 2012 à la Tate Modern, sauf Quatre-vingt-dix danseurs et Boris Charmatz font de la Tate Modern un musée dansant ce week-end. Le public est invité à s’échauffer avec le grand chorégraphe ou à se trémousser dans le Turbine Hall, dance-floor éphémère. PHOTO HUGO GLENDINNING • 31 que, cette fois-ci, il a fait appel à des non-danseurs. Dans Roman Photo, vingt volontaires apprennent en quelques minutes les mouvements illustrés dans le livre du photographe David Vaughan Merce Cunningham: Fifty Years, paru en 1997, qui retrace les chorégraphies du danseur et chorégraphe américain. «L’idée est d’induire l’effet des pages qui se tournent, avec des improvisations d’amateurs qui reproduiront les mouvements des photos.» Et les volontaires sont «a priori, le plus possible, des non-danseurs. Encore que, a priori, tout le monde peut danser, au moins dans sa tête». Boris Charmatz en est convaincu: «La danse au musée, c’est nouveau, c’est un territoire qui va transformer la discipline et, potentiellement, transformer les musées. C’est l’idée que la transmission du savoir est prise à bras-le-corps, littéralement.» • BMW TATE LIVE: IF TATE MODERN WAS MUSÉE DE LA DANSE? Ce week-end, de 12 à 22 heures, à la Tate Modern de Londres, entrée gratuite. THÉÂTRE DE ST-QUENTINEN-YVELINES Scène nationale 19 ET 20 MAI 2015 PLEXUS PIÈCE D’AURÉLIEN BORY POUR KAORI ITO 01 30 96 99 00 www.theatresqy.org PRÉFET DE LA RÉGION © Aglae Bory puis plus de vingt ans, le travail du chorégraphe. «A quoi pourrait bien ressembler notre musée, celui de la danse, quel type de bâtiment, qu’est-ce qui y serait montré ?» «Et si la Tate Modern était un musée de la Danse, qu’est-ce qu’on y proposerait?» La réponse à cette question, Boris Charmatz ne l’a pas. Et heureusement. L’interrogation le porte. «Quand j’ai fondé le musée de la Danse, en 2006, c’était presque en réaction contre ces musées-là», explique-t-il, contre ces lieux, souvent magnifiques, mais où le seul mouvement est celui du public qui admire des œuvres statiques. Tout son travail chorégraphique agit comme un gigantesque «think tank qui réfléchirait constamment au concept du musée du XXIe siècle, un lieu qui ne soit pas seulement d’exposition, mais aussi de performances, de mouvements qui fassent sens, qui posent des questions adéquates», note Boris Charmatz. Le Museum of Modern Art (MoMA) de New York et la Tate Modern à Londres «ont vraiment pris à bras-le-corps cette réflexion». Boris Charmatz a déjà «investi» ces deux musées, en octobre 2012 pour la Tate Modern et un an plus tard, en novembre 2013 pour le MoMa. Mais c’était en général autour d’une seule œuvre, dans un espace relativement limité. Cette fois-ci, Boris Charmatz a eu carte blanche. Et la Tate Modern bouge de partout, dans les galeries d’expositions permanentes, dans les temporaires (le musée propose en ce moment une magnifique exposition sur Sonia Delaunay), dans le CULTURE • LE FILM DU DIMANCHE 32 LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 CULTURE GUIDE «GIRLS ONLY», PASSIVE VITE ALBUMS DE FAMILLE Par GUILLAUME TION Sur l’autoroute des sorties de la semaine qui ne passent pas par Cannes, une comédie sentimentale revendiquée «pour filles» tournée en vidéo à Seattle: Girls Only. Y pataugent une Keira Knightley un peu moins minaudante qu’à l’accoutumée, une Chloë Grace Moretz qui a encore grandi et une tortue se prénommant Lynn, comme la réalisatrice du film. Tout cela est dépressif comme il se doit, voire un peu plus. Megan est une vingtenaire tardive qui ne sait pas quoi faire de son temps mis à part mouler sur un canapé et écouter son copain lui parler de la vie, de la mort et de la symbolique animale dans l’épanouissement personnel. Le jour où elle surprend son père avec la mère d’une de ses amies, elle est bouleversée. C’est le moment que choisit son ami pour la demander en mariage. Megan va donc fuir pour une semaine de réflexion en compagnie d’ados lambda plutôt propres sur eux dans cette ville au passé grunge. Le film, lui aussi inoffensif malgré quelques «fuck» et autres «big fat dick», tente d’atteindre un état «flottant», comme il est défini dans une scène, c’est-à-dire ces moments où on ne sait pas où on va ni ce qu’on veut. Megan, cette grande passive à jamais inadaptée, a une vie sur des rails. Elle devra donc en sortir pour rouler droit, voilà le message de ce voyage initiatique à l’autre bout du quartier. Au milieu de ce flot clicheton de directions contradictoires ou irrésolues –sans compter qu’il ne fait pas très beau–, une figure sert de pivot, celle du père d’une ado, avec lequel Megan aura une liaison qui la sauvera. Fin de l’histoire, peu brillante et ne racontant pas grand-chose. Mais, au détour d’une scène, dans un décor de brunch huppé heureux après un mariage, on discerne en bande-son du Satie joué façon jazz d’ascenseur. Là, le film tient quelque chose qui le sort du produit standardisé. • «Girls Only» de Lynn Shelton, avec Keira Knightley, Chloë Grace Moretz, Sam Rockwell… 1h39. En salles. Hercule Par son premier morceau, What We Been Doin annonce sa filiation artistique: M.O.B., pour Money Over Bullshit ici, certes. Mais c’est surtout un type de rap que l’on ne trouve qu’en Californie du Nord, porté par des basses lourdes. B-Legit a œuvré dans cette ambiance, qu’il n’a jamais vraiment quittée depuis son deuxième album, The Hemp Museum, un classique du genre. Marijuana, dont le piano apporte cette touche aérienne qui colle au flow détaché de l’artiste de Vallejo, le minimaliste Beast ou le doux WYTB s’insèrent dans sa riche discographie, aisément. D.Do B-Legit What We Been Doin (Block Movement) Cow-boy Une voix d’ange déchu à la Jeff Buckley planant sur un desert rock tinté de trompettes mariachis digne d’un Tarantino… L’Américain Brian Lopez confirme ici son incroyable talent de crooner et mélodiste made in Tucson, Arizona. Dans la veine des gloires locales de Calexico, l’exleader du groupe Mostly Bears signe un album solo se jouant des frontières géographiques et soniques. Passé guitares pistoleros et envolées flamenco, le chant de Brian Lopez s’envole très haut sur When I Was a Mountain, prière country déchirante dans le désert. Un jeune géant indie au pays des cow-boys. J-C.F Brian Lopez Static Noise (India Records/Modulor) Afropop Tout amateur de musique africaine s’est un jour fait la remarque: les rééditions de vinyles nous excitent plus que la production actuelle? Le nouveau Bassekou Kouyaté échappe à la règle: il sonne aussi frais que s’il avait été gravé au lendemain de l’indépendance du Mali. Avec ses trois ngonis (lead, basse, medium), il développe une esthétique blues rock qui ne refuse pas les mélodies pop, et que les invités magnifient: le souffle fragile de la trompette de Jon Hassell, les solos triomphants de Chris Brokaw, guitariste des Lemonheads. F.-X.G. Bassekou Kouyaté & Ngoni Ba Ba Power (Glitterhead/Differ’ Ant). En concert le 20 mai au New Morning (Paris Xe). Schubertiade Certes, ce coffret anthologique (5 CD) des sonates pour piano de Schubert est paru l’été dernier. Il a déjà été acheté par les amateurs intéressés qui ont écouté de nombreuses fois ces onze pièces, notamment la triplette d’œuvres tardives et frémissantes, sous les doigts de Daniel Barenboim, dont la prise de son claire restitue aussi l’impact de certains touchés. Mais toutes les occasions sont bonnes pour annoncer la série de récitals que le maestro donnera, cette semaine, à la Philharmonie de Paris, où il délivrera justement ces onze sonates. G.Ti. Daniel Barenboim Schubert: Piano Sonatas (Deutsche Grammophon). En concert à la Philharmonie de Paris du 18 au 24 mai. Bravo Bravo De quelle planète viennent ces quatre Ecossais pour produire pareille bacchanale electro bop? Erudite et dansante, cérébrale et hédoniste, leur musique rétrofuturiste est quelque part le chaînon manquant entre la new wave dingo de Devo, le jardin anglais bien taillé de XTC et le psychédélisme symphonique des Beach Boys. Deux ans après leur Django Django, David Maclean et ses acolytes ont encore amélioré leur joyeuse mixture spatiotemporelle. A l’arrivée, 13 titres mélodiquement parfaits et garantis 100% good karma. J-C.F. Django Django Born Under Saturn (Because) Mojo Indémodable, le vieux mod Paul Weller portant toujours beau la straight attitude made in Britain? Après trente-huit ans de carrière, des séminaux revivalistes de The Jam au stylé Style Council, avant une dizaine d’albums solos survivalistes, on commençait à en douter. Bien que toujours honnêtes, les dernières productions du père spirituel de la britpop nous avaient paru parfois lourdingues, avec des riffs de guitare bûcheronnés. Et voilà cet épatant Saturns Pattern, moins rock’n’roll old school, où Weller retrouve le mojo northern soul et se rappelle à notre bon souvenir en fucking good songwriter. J-C.F. Paul Weller Saturns Pattern (Parlophone) EXPO Le temps d’un week-end, la crème des arts urbains investit l’hôpital Saint-Jean de Lagny, déserté depuis 2013, pour «We Art Urban», dans le cadre du festival Hoptimum en Seine-et-Marne. Le street art ravale les façades d’un hôpital U ne friche, toujours un espace à part dans la ville. Encore plus s’il s’agit d’un hôpital. Une belle idée, alors, d’y organiser un festival de street art. Dans le cadre de Hoptimum, qui quadrille l’ensemble de la Seine-et-Marne, département surtout rural et périurbain, «We Art Urban» déroule son parcours, en extérieur, dans l’ancien hôpital Saint-Jean de Lagny-sur-Marne. Entre graffiti et street art figuratif ou tendant vers l’abstraction, quinze œuvres, certaines monumentales. Dès l’arrivée, Pantonio déploie d’ailleurs son univers bleu et noir sur une trentaine de mètres. Comme d’autres ici, l’Açorien a travaillé avec des nacelles afin de défier les volumes proposés. Le Chilien Inti montre un imposant et violacé Kusillo, personnage du folklore bolivien. Plus loin, sur la façade du bâtiment principal, Near Death Experience, avec lettres, d’inspiration cunéiforme ou latine, et braille, que seuls ceux qui ne savent lire peuvent percevoir. La déambulation dans le lieu est déjà suggestive en soi. Ici, un panneau indiquant la maternité; là, l’accès aux urgences. Au fond, un bâtiment en meulière, typiquement francilien, dont on aperçoit les vitraux de la chapelle à travers la porte. Le thème imposé est d’ailleurs le monde hospitalier. Symboles de ces souvenirs, le collectif 9e concept et son assemblage de collages, de peintures, jusqu’aux coups de crayon. Ou bien les Hard Déco, artistes du coin, et leur sublime association de peinture figurative et graffiti. «Certains graffeurs sont nés dans cet hôpital. Et, pour tous les artistes, ce monde évoquait quelque chose», précise l’artiste Gilbert, l’un des directeurs artistiques avec Nick Torgoff, alias Myre. Pour le visiteur aussi, la promenade est évocatrice. DAMIEN DOLE Ofrenda («offrande»), du Chilien Inti. PHOTO NICOLAS GZELEY WE ART URBAN samedi de 14 à 19 h et dimanche de 12 à 18 h., 31, av. du Général-Leclerc à Lagny-sur-Marne (77). LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 GUIDE CULTURE • 33 DANS LA POCHE «Tu as été amputé de toi-même. D’un lieu qui est toi-même. Tu ignorais que c’est un livre qui effectuerait cette douloureuse opération. Pas tout le lieu, mais une grande partie de lui, à présent te rejette. La littérature sépare, comme le scalpel, c’est là son premier effet.» PORTES OUVERTES Ce samedi, 1300 établissements invitent public et artistes toute la soirée. C’est beau, un musée la nuit M assive, nocturne et gratuite. La Nuit européenne des musées, c’est d’abord ça : des centaines d’expositions et collections en accès libre, toute la soirée (parler de «nuit» est tout de même assez excessif). Mais c’est aussi des musiciens, des danseurs et des plasticiens qui profitent de l’occasion pour s’inviter entre les murs. «Cela participe à la démystification des musées, encore associés au pouvoir, à l’élitisme, alors que l’art contemporain est tout autant accessible que la danse ou le théâtre. Le musée devient un endroit qu’on peut visiter autrement», juge Frank Lamy, chargé de l’événement au MAC/Val de Vitry-sur-Seine (Val-deMarne). De 13 à 23 heures, le lieu mixe visites guidées, concert rock et déambulations urbaines du duo Dector & Dupuy, dans un esprit décalé et festif. Au risque d’entretenir une attitude consommatrice du public vis-à-vis de l’art? Le performeur Laurent Moriceau répond par un pied de nez : pour Found and Lost, il a créé un moulage en chocolat de son propre corps, en posture de gisant. Il sera offert en dégustation aux visiteurs à l’heure de l’apéro. «Au même titre que les Journées du patrimoine, la Nuit des musées présente à la fois le ris- que de tomber dans l’animation et la nécessité de décloisonner les publics», reconnaît Frank Lamy. Ce samedi, quelque deux millions de visiteurs (une donnée toujours approximative claironnée par les organisateurs) sont attendus dans 1300 établissements français participants. Depuis ses débuts il y a onze ans, l’événement essaime en Europe : à Londres, Bucarest ou Porto, l’art se donne aussi à voir autrement. Parfois au sens propre : au Fonds régional d’art contemporain (Frac) Centre, le public s’immergera muni de casques dans l’installation Reverse of vo- sien à une mystérieuse chasse au Snark, cette bête fantastique mi-requin miescargot, imaginée par Lewis Caroll. Au cœur de la fondation, qui abrite tapisseries du XVIIIe siècle, animaux empaillés et installations d’art contemporain, quatre performeurs (Skall, Zhao Duan, Qin Han et Eric Madeleine) partiront à la recherche de ce descendant du dahu ; une quête extravagante et métaphysique, explorant les limites mouvantes entre l’humain et l’animal. «Cette Nuit est donc pour nous l’occasion d’inviter de nouveaux publics à passer la porte… et à avoir envie de revenir», explique Chantal Steegmuller, «Cette Nuit est pour nous chargée des l’occasion d’inviter publics. de nouveaux publics à passer Pour ceux qui la porte… et à avoir envie rêveraient encore du don de revenir.» Chantal Steegmuller chargée des publics d’ubiquité, le MAC de Lyon a lume FC, pour une déambu- trouvé la parade. Aux comlation sonore à travers un mandes d’un robot, on relief montagneux semi- pourra visiter à distance, en translucide, conçu par le Ja- quinze minutes, l’exposition ponais Onishi Yasuaki. Au «Open Sea» : soit, la scène Garage, à Brive-la-Gaillarde artistique contemporaine de (Corrèze), en écho à l’exposi- l’Asie du Sud-Est à portée de tion «Nos amis No !», le manettes. peintre de la figuration libre CHRISTELLE GRANJA Robert Combas quittera son atelier pour créer une toile en LA NUIT EUROPÉENNE public. Plus inattendu, le DES MUSÉES musée de la Chasse et de la Samedi, en France et en Europe. Nature convie le public pari- Rens.: nuitdesmusees.fr Pierre Jourde la Première Pierre (Folio) «Quand je pense à 1966, je vois des motifs de cachemire, du rose, de l’orange, du violet agressif, du noir et blanc qui vibrent jusqu’à donner la migraine.» Joyce Maynard Une adolescence américaine (10/18) Hugo Boris Trois Grands Fauves (Pocket) «Et maintenant qu’elle a atteint la perfection, qu’envisage-telle? Je peux faire mieux, promet-elle, sérieuse, sa poupée de chiffon contre son buste, couvée du regard par son entraîneur, un grand moustachu affable.» Lola Lafon la Petite Communiste qui ne souriait jamais (Babel) 23 / 24 / 25 mai 2015 etonnants-voyageurs.com Visuel : New Icons, Aung-San+ © Bruno Timmermans PENSER UNE FRANCE MULTICULTURELLE POUR UNE LITTÉRATURE-MONDE EN FRANÇAIS POLAR ET ROMAN NOIR… 250 INVITÉS DU MONDE ENTIER, ÉCRIVAINS, CINÉASTES, ARTISTES Avec Arhtur H., Russell Banks, Breyten Breytenbach, Anthony Doerr, Alaa El-Aswany, Frankétienne, Hubert Haddad, Gilles Lapouge, Muriel Barbery, Mona Ozouf, Boris Pahor, Christopher Priest, Atiq Rahimi, Paolo Rumiz, Boualem Sansal, Simone Schwarz Bart, Luis Sepúlveda, Benjamin Stora, Bertrand Tavernier, Lyonel Trouillot… Conception graphique : www.erwanlemoigne.com / Licences : 2-1026272, 3-1026273 Found and Lost, une gâterie en chocolat de Laurent Moriceau, au MAC/Val. PHOTO DR «Il se murmure que cet homme rose et souriant, les cheveux éclaircis par la calvitie, est Winston S. Churchill, premier lord de l’Amirauté britannique pendant la Grande Guerre.» 34 • LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 ECRANS&MEDIAS A LA TELE SAMEDI TF1 FRANCE 2 DIMANCHE FRANCE 3 CANAL + TF1 FRANCE 2 FRANCE 3 CANAL + 20h55. Argo. Thriller américain de Ben Affleck, 120mn, 2012. Avec Bryan Cranston, Ben Affleck. 23h15. Esprits criminels. Série américaine : Hansel et Gretel, Le roi solitaire. Avec Shemar Moore, Thomas Gibson. 1h00. New York Police Judiciaire. 20h55. L’Affaire Rachel Singer. Thriller américain de John Madden, 120mn, 2011. Avec Helen Mirren, Tom Wilkinson. 22h45. Non élucidé. L’énigme de la mort du gendarme Jambert. Documentaire présenté par Arnaud Poivre d'Arvor et Jean-Marc Bloch. 0h20. Météo. 20h50. Inspecteur Barnaby. Série britannique : La mort et les divas Avec Neil Dudgeon, Jason Hughes. 22h20. Inspecteur Barnaby. Une foi sacrée; Série. 0h00. Soir 3. 0h20. Toto le Moko. Film. 1h40. Les Kennedy. Téléfilm. 20h55. Rugby : Clermont / Toulon. 25e journée duTop 14. Sport présenté par Éric Bayle, Bertrand Guillemin et François Trillo. 23h00. L’équipe du dimanche. Magazine présenté par Messaoud Benterki. 23h50. Le journal des jeux vidéo. 0h20. True detective. Série. 20h55. Gad Elmaleh 20 ans de scène ! Spectacle présenté par Christophe Dechavanne. 22h55. Gad Elmaleh Le big show. Documentaire, 90mn. 0h25. Spéciale Bêtisier. Divertissement. 2h00. 50 mn inside. Magazine. 3h10. 50 mn inside. 20h55. Le plus grand cabaret du monde. Divertissement présenté par Patrick Sébastien. 23h10. On n’est pas couché. Avec Jeannette Bougrab, Clémentine Célarié… Magazine présenté par Laurent Ruquier. 2h20. Déconne cheese. 2h25. Météo. 20h50. Souviens-toi. Téléfilm de Philippe Venault. Avec Émilie Dequenne, Patrick Mille. 22h35. Soir 3. 22h55. Enquêtes réservées. Série française : Sombre poison, Cœur de cible. Avec Jérôme Anger, Yvon Back. 0h35. Du côté de chez Dave. 20h55. Football : Multifoot. 37e journée de Ligue 1. Sport. 22h55. Jour de foot. Magazine présenté par Karim Bennani. 23h55. Homefront. Film. 1h35. Last days in Vietnam. Documentaire. 3h10. Surprises. 3h45. Les requins de la colère. ARTE M6 FRANCE 4 FRANCE 5 ARTE M6 FRANCE 4 FRANCE 5 20h50. Les soldats nus de l’empereur Han. Documentaire. 21h40. Les derniers secrets de l’armée de terre cuite. Documentaire. 22h35. Faiseurs de tubes. Une industrie en mutation. Documentaire. 23h25. Tracks. 0h10. The specials en concert au Bataclan. 20h55. Hawaii 5-0. Série américaine : Pono Kaulike, Ua Nalohia, Akanahe. Avec Michelle Borth, Scott Caan. 23h30. Hawaii 5-0. Pa’ani, I Helu Pu. Série. 1h10. Sons of anarchy. Le nettoyeur. Série. 2h05. Météo. 20h50. Les chroniques du dragon. Téléfilm de JeanChristophe Comar. Avec John Rhys-Davies, Razvan Vasilescu. 22h15. La légende des crânes de cristal. Téléfilm de Todor Chapkanov. Avec Richard Burgi, Wendy Glenn. 23h40. Doctor Who. La Nécrosphère. Série. 20h35. Échappés belles. Les chasseurs des trésors de la Baltique. Magazine. 22h05. Portugal. Documentaire. 23h00. L’œil et la main. Magazine. 23h25. Les chemins de l’école. D’Erbol, Olivier et Francklyn. Documentaire. 20h45. Fargo. Thriller de Joel Coen, 98mn, 1996. Avec William H. Macy, Steve Buscemi. 22h25. Barton Fink. Comédie dramatique américaine de Joel et Ethan Coen, 116mn, 1990. Avec Michael Lerner, Judy Davis. 0h15. Les contes d’Hoffmann. Spectacle. 20h55. Capital. Argent public : le gaspillage continue ! Magazine présenté par François-Xavier Ménage. 23h00. Enquête exclusive. Tourisme et menace terroriste : le défi tunisien. Magazine. 0h20. Enquête exclusive. Magazine. 20h50. The Ladykillers. Comédie américaine de Joel et Ethan Coen, 104mn, 2003. Avec Tom Hanks, Irma P Hall. 22h30. Take shelter. Drame américain de Jeff Nichols, 116mn, 2011. Avec Michael Shannon, Jessica Chastain. 0h25. FBI : Portés disparus. 20h40. Des mutants dans notre assiette. Documentaire. 21h30. La maladie de Lyme, quand les tiques attaquent ! Documentaire. 22h25. La IVe République, une France oubliée ? Documentaire. 23h40. La grande librairie. 0h40. Les 100 lieux qu’il faut voir. PARIS 1ERE TMC W9 GULLI PARIS 1ERE TMC W9 GULLI 20h40. Agence tous risques. Série américaine : Effacez-les, Boisson gazeuse, Mystère à Beverly Hills, Un quartier anglais, La route de l’espoir. Avec Mr T, George Peppard. 0h50. Ça glisse au pays des merveilles. Documentaire. 1h50. Programmes de nuit. 20h50. New York section criminelle. Série américaine : La belle et la bête, Enfer carcéral. Avec Vincent D'Onofrio, Kathryn Erbe. 22h30. New York section criminelle. Echec et mat, Le bon samaritain. Série. 0h25. Canapé quiz. Jeu. 20h50. Les Simpson. Le mot de Moe, Mon voisin le Bob, Les ailes du délire, Marge business, Mère hindoue, fils indigne. Jeunesse. 22h55. Les Simpson. 8 épisodes. Jeunesse. 2h30. Météo. 2h35. Programmes de nuit. 20h45. Total wipe out made in USA. 2 épisodes. Divertissement. 22h20. Total wipe out made in USA. 2 épisodes. Divertissement. 23h55. Total wipe out made in USA. 2 épisodes. Divertissement. 0h40. Ratz 4 épisodes. Série. 20h40. Kaamelott Série française, 245mn. Avec Alexandre Astier, Anne Girouard. 0h45. Zemmour & Naulleau. Best of. Magazine. 2h10. Programmes de nuit. 20h50. Les experts : Manhattan. Série américaine : Dernière mission, La flèche d’amour, Les cendres du passé. Avec Gary Sinise, Mélina Kanakaredes. 23h25. Les 30 histoires... Spectaculaires. Divertissement. 1h50. Programmes de nuit. 20h50. Body of proof. Série américaine : Mortelles retrouvailles (1 & 2/2) Les possédées. Avec Dana Delany, Jeri Ryan. 23h10. Body of proof. Virus (1 & 2/2), Sur la piste du monstre. Série. 1h35. Météo. 1h40. Programmes de nuit. 20h45. Laurel et Hardy. Joyeux pique-nique, Bonne d’enfants, Les joyeux compères, Qui dit mieux, Les menuisiers, Les ramoneurs. Série. 23h00. Mission Impossible. Le conflit, L’héritage. Série. 0h55. Ratz. NRJ12 D8 NT1 D17 20h50. Tellement Vrai. Couples : Ils veulent un enfant plus que tout II. Magazine présenté par Matthieu Delormeau. 22h55. Tellement Vrai. Un enfant avant tout. Magazine. 0h40. Tellement Vrai. Au revoir au cœur de l’hôpital pédiatrique. Magazine. 2h25. Poker. Jeu. 20h50. Pédale douce. Comédie française de Gabriel Aghion, 100mn, 1995. Avec Richard Berry, Fanny Ardant. 22h50. Au cœur de l’enquête. Magazine présenté par Adrienne De Malleray. 0h40. Programmes de nuit. 20h50. Comme un chef. Comédie française de Daniel Cohen, 85mn, 2011. Avec Michael Youn, Jean Reno. 22h30. Le grand bazar. Comédie française de Claude Zidi, 85mn, 1973. Avec Gérard Rinaldi, Jean Sarrus. 0h10. Confessions intimes. 20h50. Chicago Fire. Série américaine : Le courage d’avancer, Remise en question. Avec Jesse Spencer, Taylor Kinney. 22h35. Aveuglantes. Téléfilm érotique. Avec Catalina Larranaga. 0h30. Programmes de nuit. NRJ12 D8 NT1 D17 20h50. Le super bêtisier. Divertissement présenté par Anne-Gaëlle Riccio et Adrien Rohard. 22h40. Ça va s’en rire. Vacances, j’oublie tout ! Divertissement. 0h20. Ça va s’en rire. La drague deA à Z. Divertissement. 2h25. Poker. Jeu. 20h50. Le grand match de la télé-réalité. Divertissement présenté par Julien Courbet. 23h10. Le grand match de la télévision. Divertissement présenté par Julien Courbet. 1h15. Programmes de nuit. 20h50. Chroniques criminelles. Affaire Greiner : le pompier aux deux visages / Manuela, la veuve noire / Une nuit meurtrière. Magazine. 23h10. Chroniques criminelles. 2 épisodes. Magazine. 3h40. Programmes de nuit. 20h50. Le Zap. Divertissement, 70mn. 22h00. Le Zap. Divertissement, 90mn. 23h30. Enquête très spéciale. Magazine. 0h00. Enquête très spéciale. Magazine. 0h30. Enquête très spéciale. HD1 6 TER CHÉRIE 25 NUMÉRO 23 HD1 6 TER CHÉRIE 25 NUMÉRO 23 20h50. Section de recherches. Série française : Sortie de piste Cœur de pierre Mauvaise rencontre. Avec Xavier Deluc, Virginie Caliari. 23h55. Section de recherches. Dernier acte, Le substitut, Millésime meurtier. Série. 20h50. Storage wars : enchères surprises. Avalanche d’enchères, Le roi des pralines, Extralucide, Crachoir de poche, Souvenirs d’école. Documentaire. 22h55. Storage wars : enchères surprises. 7 épisodes. Documentaire. 1h45. Programmes de nuit. 20h50. Tempête de feu. Téléfilm de Jim Wynorski. Avec John Bradley, Tom Arnold. 22h45. À l’épreuve des flammes. Téléfilm de Jason Bourque. Avec Tracey Gold, Tahmoh Penikett. 0h30. J’ai dit oui à la robe. 20h45. River monsters. Le titanic de l’Amazone, Les meurtriers. Documentaire. 23h25. Phénomène paranormal. Les habitants cachés de l’hôpital, Une romance du passé, Dans la peau d’un tueur, Les habitants cachés de l’hôpital , Cernés par les loups. Série 20h50. Le placard. Comédie française de Francis Veber, 84mn, 2000. Avec Daniel Auteuil, Gérard Depardieu. 22h20. The queen. Drame européen de Stephen Frears, 100mn, 2006. Avec Helen Mirren, James Cromwell. 0h15. Parle avec elle. Film. 20h50. Iron man. Film d’aventures américain de Jon Favreau, 130mn, 2007. Avec Robert Downey Jr, Terrence Howard. 22h55. Ghost rider. Film fantastique américain de Mark Steven Johnson, 110mn, 2006. Avec Nicolas Cage. 0h50. Buck : la légende du Texas. 20h50. Sauveur Giordano. Téléfilm français : Descente aux enfers. Avec Pierre Arditi, Carole Richert. 22h40. Sauveur Giordano. Rendez-moi mon bébé. Téléfilm. 0h30. Sauveur Giordano. Aspirant officier. Téléfilm. 20h45. Imagine me and you. Comédie de Ol Parker, 94mn, 2006. Avec Piper Perabo, Lena Headey. 22h30. Lost girl. Série américaine : Le réveil du Pyrippus, Le cœur de Bo. Avec Anna Silk, KC Collins. 0h10. Rocking chair. Documentaire. LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 ABONNEZ-VOUS [email protected] Contact: Tél: 01 40 10 51 66 Chaque jour MESSAGES PERSONNELS le quotidien, livré chez vous avant 7h30 par porteur spécial* du lundi au vendredi Nous tarirons ensemble nos larmes d' amour. Approchez, joli coeur, je vous sens déjà là. Cela ne changera pas vos occupations professionnelles ni les miennes mais ma vie, oui. Chaque samedi le «quotidien magazine» 56 pages d’information, de réflexion, de découverte et de plaisir. 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Chaque mois Next, le mensuel Cinéma, musique, mode, arts, design & archi… Estimation gratuite EXPERT MEMBRE DE LA CECOA SANS MENT ENGAGE E RÉ U D E D [email protected] 06 07 03 23 16 par mois* au lieu de 51€ A VOTRE SERVICE EDITION LIVRES - REVUES Journaliste Graphiste LIBRAIRE ACHETE : Conception & Réalisation de plaquettes commerciales , logos, affiches, revues Tarif : 8 €/h. 06.61.37.48.31 rcbediting.blog.free.fr 06 80 43 82 70 DÉMÉNAGEURS Livres modernes, anciens pléiades,bibliothèques, service de presse. Me contacter : DIVERS RÉPERTOIRE Disquaire sérieux achète disques vinyles 33t/45t. Pop/rock, jazz, classique,... Grande quantité préférée. Déplacement possible. Tél. : 06 89 68 71 43 IMMOBILIER [email protected] Contact: Tél: 01 40 10 51 66 PORT DEAUVILLE VILLÉGIATURE à l'année : 420 euros Charmant Studio ensoleillé 6è étage balcon, belle vue face plage/casino pour 3 pers. maxi (BZ 2 Pers/ 1 lit 1 pers). Cuisine toute équipée, salle d'eau avec douche, lave linge. 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Je ne m’engage sur aucune durée, je peux stopper mon service à tout moment. Signature obligatoire : Utilisez la vidéo à des fins de création graphique et plastique. Carte bancaire N° Expire le Cryptogramme mois année Date AP1501 les 3 derniers chiffres au dos de votre carte bancaire Règlement par chèque. Je paye en une seule fois par chèque de 300€ pour un an d’abonnement (au lieu de 611,10€, prix au numéro). Vous pouvez aussi vous abonner très simplement sur : Tél. 01.47.99.00.20 micheltransport@ wanadoo.fr FORMATION Abonnez-vous Téléphone " DÉMÉNAGEMENT URGENT " MICHEL TRANSPORT Devis gratuit. Prix très intéressant. [email protected] Contact: Tél: 01 41 04 97 68 À découper et renvoyer sous enveloppe affranchie à Libération, service abonnement, 11 rue Béranger, 75003 Paris Offre réservée aux particuliers, si vous souhaitez vous abonner en tant qu’entreprise merci de nous contacter. 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UVEAU Les samedis NO de juin 30 mai au 20 juin 2015 Monter vos vidéos sur Final Cut Pro 8 au 11 juin 2015 Écrire sans faire de fautes Réussir vos photos de reportage 7, rue des Petites Écuries Paris 10e 7, rue des Petites Écuries Paris 10e grale DAS inté charge AF Prise en 01 53 24 68 68 - www.emi-cfd.com 01 53 24 68 68 - www.emi-cfd.com Formation au métier de correcteur Rentrée octobre 2015 Par des professionnels de la presse et de l’édition : • J.-P. Colignon, Le Monde, • A. Valade, Le Robert, • B. Vandenbroucque, Belfond. Orthotypographie. Difficultés de la langue française. Ponctuation. Réécriture. www.centreec.com 01 45 81 12 08 • NEXT GRAND FORMAT LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 NEXT 36 Six millions de chiffre d’affaires, six cent mille rosiers de jardin produits par an, le mythique pépiniériste fête ses 80 ans. L’occasion de rencontrer le petit-fils du fondateur de la maison et de revenir sur un parcours semé d’épines et d’innovations florales. Une variété de rose en cours d’hybridation chez Delbard. Delbard, LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 Par EMMANUÈLE PEYRET Envoyée spéciale à Malicorne (Allier) PhotosPASCALAIMAR.TENDANCEFLOUE alicorne : le nom tient à lui seul du conte de fées, avec quelque chose d’un peu maléfique. Un tout petit village de 800 âmes, sinistré par la mort du bassin minier, paysage plat près de Montluçon dans l’Allier, où, ce 8 mai pluvieux, a lieu une brocante. Au bout de la grande rue, pas très indiquées, on trouve enfin les pépinières Delbard, des bâtiments modernes et sans grand charme, à l’opposé des serres abritant les créations de l’année : roses à gogo, textures onctueuses, pétales comme dessinés au crayon, couleurs qu’on dirait fausses tant elles sont insensées. C’est Arnaud Delbard, qui fera la visite, le petit-fils de Georges, mythique fondateur de la maison en 1935, infatigable créateur de multiples variétés de roses et de fruits, dont le fils, Henri puis Arnaud se sont ingéniés pendant trois décennies à garder l’esprit d’innovation lié à leur nom, malgré des déboires financiers. Quatre-vingts ans, 600 hectares d’arbres fruitiers, 6 millions de chiffre d’affaires, 600 000 rosiers de jardin et 800 000 arbres fruitiers produits par an, c’est «l’une des mai- Etape de fertilisation d’une rose Delbard. Henri, le fils du fondateur représentera la maison durant ces Journées, mais c’est Arnaud, le petit-fils (chez les Delbard, c’est une histoire d’hommes) qui reçoit dans son bureau, un jour férié. On ne compte pas ses heures, dans la rose. Un peu réservé au début, le quadra, aujourd’hui à la tête de la maison qui ne possède plus les jardineries ni la marque depuis 2012 – il y «On délocalise parce qu’il est bien moins a souvent des sorcières dans les contes de fées – mais a cher de produire des millions de fleurs au Kenya, en Equateur et de les faire venir par conservé la création et les pépinières, narre avec feu et avion que de chauffer des serres toute amusement la geste du papy l’année.» (décédé en 1999) dans Jardinier du monde (1), très amuArnaud Delbard petit-fils de Georges sante chronique de ces quelsons les plus actives à hybrider des roses avec ques décennies en noir et blanc puis en un dynamisme et une inventivité qui ne se dé- couleur. Une success story entre beau linge mentent pas», selon Hélène Fustier, fonda- et horticulture, entre Paris, l’Amérique et trice avec son mari Patrice des Journées de Malicorne, berceau de la famille. Courson qui ont lieu ce week-end, pour leur Gutenberg de la plante 32e édition, à Chantilly, et qui célèbrent, en quatre jardins, un aspect des créations Del- Georges Delbard est fils d’agriculteurs, insbard: celui du goût, en hommage aux arbres tallés dans la vieille maison en face des bufruitiers créés par la maison, des grandes reaux actuels. Le jeune homme monte à Pacréations de roses (impératrice Farah et ma- ris, en 1935, avec son certif, une grande dame Delbard, entre autres), du parfum et passion du jardin héritée de son grand-père, enfin le jardin des peintres, en référence aux pas mal de bagout et de confiance en lui. Il roses aux noms d’impressionnistes, voulues y rencontre Georges Truffaut, le patron des par le fils de Georges pour redonner âme et jardineries homonymes établies à Versailles émotion aux collections dans les années 90. depuis 1824. Il travaille avec lui jusqu’à deve- 25 km NIÈVRE CHER Moulins Malicorne ALLIER PUY-DEDÔME LOIRE CREUSE leçon de roses M GRAND FORMAT NEXT nir son bras droit, et apprend beaucoup : le paysagisme, les floralies, les pépinières, la recherche et l’innovation permanente, la création de variétés… Delbard comprend très vite que l’époque sort de la culture vivrière et utilitaire pour une horticulture plus esthétique et «ludique». Au 16 quai de la Mégisserie, à Paris, il lance sa première jardinerie (plus tard il instaurera la vente en libre-service) et, surtout, les premiers catalogues de plantes par correspondance, des arbres fruitiers essentiellement : «Regardez ça, s’enthousiasme le petit-fils en montrant des brochures de l’époque. Si ce n’est pas magnifique ?» Ça l’est. Georges Delbard n’est pas mobilisé pendant la guerre, «il mesurait 1,60 mètre et était assez chétif», sourit son petit-fils, expliquant qu’il a profité de ces années-là pour développer son business, tisser des relations dans tous les milieux. En 1947, coup de génie, il écrit son premier livre sur les arbres fruitiers (2), expliquant au grand public d’après-guerre, désireux de se reconstruire, comment faire son verger de A à Z. Enorme succès du livre, qui voyage dans le monde entier via les ambassades, les milieux agricoles et économiques. Une sorte de Gutenberg de la plante, papy Delbard? En tout cas, il reçoit des milliers de lettres, souvent des colis avec des variétés ou des espèces, «autant de matériel génétique qu’il va étudier et croiser», reprend Arnaud Delbard. Et asseoir ainsi sa réputation d’insatiable chercheur et innovateur, tourné très tôt vers l’international. A la fin des années 50, c’est le début de la création, de l’hybridation, du croisement, des recherches variées sur la résistance aux maladies, de la productivité et, bien sûr, du travail sur le goût des pommes, poires, cerises. Georges introduit aussi de nouvelles espèces, comme la pomme Royal Gala et la Golden, dans les années 60. Il cultive deux fronts avec une énergie sans fin: les fruits destinés au monde horticole et les roses pour les particuliers, dont il développe les variétés dès la fin des années 50: entre 250 et 300. A titre de comparaison, la reine mère des maisons de roses, Meilland –entreprise familiale elle aussi comme souvent dans ce monde –, en a 1 800. Les années 70-80 correspondent à l’âge d’or de la maison. Delbard exporte, vend des millions d’arbres fruitiers au Maghreb, au Moyen-Orient et au Proche-Orient, qui ont besoin de planter des vergers. Au Brésil et au Kenya, il crée des vergers intensifs, signe en • 37 1974 le «contrat du siècle» – selon l’expression familiale – avec le Shah d’Iran (d’où la rose Farah) pour trois millions d’arbres, ouvre son capital à LVMH en 1980 qui va aider à financer le premier labo in vitro. Objectif: développer des variétés, les produire, et faire face à une concurrence assez redoutable dans un marché qui dépend de la météo, du prix de la main-d’œuvre, du terrain, des coûts de production. George Delbard se débrouille pour faire pousser la rose culte de la maison, Madame Delbard –une splendeur veloutée rouge sang et odorante comme un jardin de grand-mère– en Colombie, pays de l’éternel printemps. Sur le marché de la fleur coupée, elle se vend par millions. Encore aujourd’hui, «on délocalise parce qu’il est bien moins cher de produire des millions de fleurs au Kenya, en Equateur et de les faire venir par avion que de chauffer des serres toute l’année», explique Arnaud Delbard. Même si «Malicorne, c’est le centre du monde, comme disait papy», sourit-t-il. Mais le monde, où le marché annuel de la rose représente 4 milliards de dollars (3,5 milliards d’euros) par an, peut aussi devenir un environnement hostile: mondialisation, concurrence, contrefaçon, nécessité de produire toute l’année des fleurs à la tenue parfaite, frappent chacune à leur façon la maison. LVMH quitte la société en 1995, le fils Henri, avec des capital-risqueurs, reprend la marque avant de la revendre, en 2005, en pleine floraison – 67 millions d’euros, 750 employés et une vingtaine de jardineries – à la famille Torck (la marque Camaïeu). Un groupe «qui va beaucoup investir d’argent, développer les jardineries, mais le tout sans aucune stratégie : tout a explosé», raconte le petit-fils Delbard. En 2012, c’est le dépôt de bilan. Avec son père, Arnaud propose à son tour un projet pour reprendre l’entreprise : les jardineries et la marque sont vendues (à Gamm vert), restent la maison mère et la création variétale dans le labo et les pépinières. Créer, chercher, exporter En suivant l’idée d’Henri de bouturer «l’humanisme de la nature» avec l’image de marque des roses : une sorte de marketing de l’univers de la fleur, liée par exemple aux impressionnistes avec les roses des peintres, pour «faire rêver les gens, créer de bons produits qui sentent, qui donnent du plaisir, qui font appel à la mémoire olfactive», poursuit Arnaud Delbard pour qui le parfum est le premier critère de choix des acheteurs, avec la facilité d’entretien. «On remonte la pente», soufflet-il. Innover, créer, chercher, exporter : un parfum de rose et de ténacité qu’on sent dans les serres Delbard, un petit empire mis à mal, mais qui a su finalement, avec 110 variétés de roses et 80 de fruits, résister aux vilaines sorcières. • (1) et (2) «Les beaux fruits de France» à se procurer sur le site www. delbard.fr. LES JOURNÉES DES PLANTES DE COURSON Jardin anglais de Chantilly, de 10heures à 19heures, jusqu’au 17 mai. Entrée 17€. Rens.: www.domaine-de-courson.fr LE FESTIVAL DES ROSES Congrès mondial des société de rose, parc de la Tête d’or à Lyon, les 30 et 31 mai. Rens.: festivaldesroses.lyon.fr LES JOURNÉES DE LA ROSE Abbaye de Chaâlis (Oise) du 12 au 14 juin. Rens.: www.journees-de-la-rose.com 38 • LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 NEXT FOOD Massimo Bottura la Botte secrète MODÈNE Dans son Osteria Francescana, le chef triple étoilé repense les classiques italiens, élaborant sous l’inspiration d’Ai Weiwei ou de Thelonious Monk des plats aussi goûteux qu’audacieux. Par ELVIRE VON BARDELEBEN NE JAMAIS FAIRE CONFIANCE À UN CHEF ITALIEN TROP MINCE de MASSIMO BOTTURA Phaidon, 352 pp., 49,95 €. O ù les chefs accordent-ils des interviews ? Rarement hors de leur cuisine. Ce jour-là pourtant, lorsqu’on rencontre Massimo Bottura, une des toques les plus réputées du monde (trois étoiles au Michelin et troisième au classement The World’s 50 Best Restaurants), on est loin de son enseigne de Modène : rendezvous à la galerie Perrotin, noyau culturel hype du Marais parisien. Le lieu sied bien à l’Italien, dont la cuisine s’inspire d’art contemporain –démonstration en est faite dans son premier livre, Ne jamais faire confiance à un chef italien trop mince (1). L’ouvrage est l’occasion de rencontrer Bottura, qui, à 52 ans, possède une allure svelte et dynamique. Lunettes à monture épaisse, barbe poivre et sel soignée, pull col V, pantalon près du corps et baskets New Balance : autant de signifiants désignant un homme attentif à son allure et son époque. Ce livre est son premier en vingt ans de carrière. Pourquoi maintenant ? La question arrache un soupir à Bottura, qui enlève ses lunettes, plonge son visage dans ses mains, reste silencieux, avant de répondre : «Depuis 1995, j’avais l’idée en tête. Mais tout semblait trop vieux à mon cerveau qui va trop vite.» Son entourage l’a toujours encouragé à écrire, car l’homme est intarissable sur son métier. C’est finalement René Redzepi, le chef du réputé Noma, qui l’a convaincu d’accepter la proposition des éditions Phaidon. GENÈSE. Le livre se démarque par son titre, gage de fantaisie, mais aussi par ses clichés, sobres, sans trop de mise en scène. «Je ne voulais pas faire un bouquin à la mode avec de belles photos», se défend le chef. Surtout, Massimo Bottura aime théoriser, romancer la genèse des recettes qu’il présente –alors qu’en gé- néral, les chefs s’agacent lorsqu’on intellectualise trop leur cuisine. Comment transformer des spaghettis en lasagne ? Pourquoi donner l’apparence d’un imprimé camouflage à un civet de lièvre? Bottura veut rester dans en flocons, la mozza devient une mousse, les tomates sont caramélisées, la menthe cuite au four…) pour créer «une collision sur le palais, un collage de saveurs, couleurs, textures et températures contrastées qui évoquent des sensations présentes à l’intérieur des frontières du «J’étais buté, éméché, et je me suis mis pays». Le chef a aussi à hurler sur Lou Reed: “On ne peut pas mis au point un «capfaire bouillir la viande!” Lou Reed s’est puccino», servi dans tourné vers son musicien et lui a une tasse et proposé en entrée : il s’agit en dit:'“T’as vu? Ce type comprend mon fait d’une soupe créobsession pour les amplis.”» meuse d’oignon et de Massimo Bottura pommes de terre, coiffée d’une sauce de le cadre de la gastronomie italienne, vinaigre balsamique, accompagnée mais bousculer ses traditions, les réin- d’un faux croissant –une pâtisserie saventer. Si le but semble commun, la lée à la couenne de porc. L’illusion est réalisation ne l’est pas. parfaite et elle a souvent dérouté les Dans son plat «Italie, des Alpes à clients, qui ne savent s’ils doivent renl’Etna», il mêle et transforme des in- voyer le café ou se plier aux exigences grédients (la ricotta est fumée et débitée farfelues du chef. Bottura a repensé les plats les plus classiques, tels que le bollito misto, version italienne du pot-au-feu. «Sommes-nous sûrs que nos traditions culinaires respectent nos ingrédients ? interroge-t-il. Faire bouillir la viande, c’est perdre les vitamines, les protéines, le goût, le travail des agriculteurs qui ont fait paître leurs vaches dans les Alpes.» Des semaines durant, le chef, qui avoue «être obsessionnel», obnubilé par sa cuisine du soir au matin, est resté bloqué avec en tête l’idée de moderniser la recette vieille de cinq cents ans. L’inspiration lui est subitement venue à New York : des dés de viande alignés (cuits séparément, selon la taille) comme des Lego, avec un duvet de persil plat à la place de la salsa verde, une mince ligne de gélatine de poivron rouge fumé, quelques câpres et une goutte de moutarde aux pommes. On dirait un coucher de soleil sur Central Park, avec le goût de l’Italie. LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 FOOD NEXT • 39 SOYONS SPIRITUEUX Par JACKY DURAND PHOTOS CARLO BENVENUTO. PAOLO TERZI SERB! FRANCE A gauche, la tarte au citron de Massimo Bottura, servie éclatée: «J’ai trouvé le dessert plus poétique ainsi.» En haut, son «cappucino»: une soupe d’oignon et de pommes de terre coiffée d’une sauce de vinaigre balsamique et accompagnée d’un faux croissant à la couenne de porc. «ARTISAN». Chez Massimo Bottura, la pomme de terre soulève autant d’enthousiasme que les œuvres d’art, qu’il collectionne. Dans son restaurant, on retrouve la provoc de Maurizio Cattelan (des pigeons déféquant sur un perchoir, très appétissant), Jake et Dinos Chapman (une statue Fuck Face), Gavin Turk (Bin Bag, genre de sac-poubelle en bronze). Lancé sur le sujet, le chef sort un iPhone de sa poche et montre sur son Instagram la photo d’une œuvre de Damien Hirst en train d’être livrée à l’Osteria. «Ce tableau avait inspiré un de mes plats», explique Bottura. Aurait-il les moyens de se payer du Hirst ? Il A ce sujet, Bottura raconte volontiers s’agit d’un «prêt sur le long terme», réune conversation alcoolisée avec Lou pond le chef. Reed, un soir où celui-ci était venu dî- Bottura ne manque pas d’air ni d’entrener dans son restaurant (expérience que gent mais, fort heureusement, ne se le rockeur avait renouvelée trois jours prend pas pour un artiste. «Je suis un arde suite). «J’étais buté, éméché, et je me tisan, et je dois cuisiner quelque chose de suis mis à hurler sur Lou Reed : “On ne bon, de même que Ferrari doit construire peut pas faire bouillir la viande !” Lou des voitures qui fonctionnent. Un artiste Reed s’est tourné vers son musicien et lui est libre de faire ce qu’il veut, en cela, l’art a dit :'“T’as vu ? Ce type comprend mon est une discipline à part et supérieure.» obsession pour les amplis.”» L’homme a une approche rigoureuse de la cuisine, ses recettes sont le fruit SPIDERMAN. Le chanteur du Velvet Un- d’heures de travail («Vous imaginez à derground n’est pas le seul artiste pré- quel point un plat doit être fantastique pour sent dans le livre. Le chef dédie un plat qu’on ait envie d’y piocher vingt cuilleau compositeur de jazz Thelonious rées ?»), mais pas dénuées d’extravaMonk, dont la musique «sans nationa- gance. Sa tarte au citron, par exemple: lité» lui a inspiré un plat apatride (un un jour, son second fait tomber la pâtispoisson à l’encre de seiche). Ai Weiwei serie qu’il vient d’achever. La croûte se et Gertrude Stein reviennent souvent, brise en une mosaïque dorée. «99% des tout comme Joseph Beuys, dont la gens auraient jeté ce plat. Moi, ça m’a rapsculpture Schneefall devient chez Bot- pelé l’envie de jouer avec la nourriture tura une préparation parfaitement qu’on a enfant, j’ai trouvé le dessert plus blanche qui mélange pourtant 17 ingré- poétique ainsi. Depuis, la tarte est toujours dients. «L’énergie créatrice me vient de servie éclatée. Il faut toujours garder en la culture, explique l’Italien. Plus tu en tête un petit espace ouvert à la poésie.» sais, plus tu veux en savoir.» La parfaite maîtrise technique ne bride A la tête de son Osteria Francescana, pas la fantaisie chez Bottura. Ainsi, il Bottura se voit un peu en Spiderman, comble à la fois les exigences du Michepour qui de grands pouvoirs entraînent lin (qui récompense la rigueur et l’exde grandes responsabilités. «Je suis cellence) et le classement 50 Best Resconsidéré comme le meilleur chef italien, taurants, plus occupé à flairer l’air du affirme-t-il, avec sétemps et saluer les pririeux mais sans se renses de risque. Le chef HONG! gorger. J’ai la responsaprécise : pour y parvebilité de représenter la nir, il faut bien ses Modène cuisine italienne dans le 43 employés pour Rome monde, la faire redécou30 couverts. • L’Osteria Francescana, vrir aux Italiens. Car le ITALIE via Stella 22, Modène. sport national, chez Menus à 170 ou 190 €, nous, c’est de se dépréet plats à la carte. cier –et la gestion politiRens.: www.osteria SICILE 300 km francescana.it que du pays ces vingt Le grand Moutai de Chine L e boire et le manger permettent tous les apprentissages, toutes les découvertes. Ils donnent souvent à voir ce que les frontières, les distances, empêchent de visiter. Ainsi l’autre soir, à Paris, on a voyagé au cœur de la Chine grâce à une dégustation singulière, celle des alcools blancs (baijiu) de la marque Moutai, considérés comme les meilleurs flacons dans ce pays qui consomme près de 40% de la production mondiale de spiritueux. On comprend mieux pourquoi Moutai est la deuxième marque dans le monde en valeur, derrière Johnnie Walker. Mais il n’y a pas que les chiffres qui donnent le tournis quand on évoque les alcools chinois. Avant la première gorgée, c’est leur histoire qui enivre, dans le cadre du musée Cernuschi dédié aux arts de l’Asie, où Thierry Daniel et Eric Fossard, de la société Liquid Liquid, ont organisé la dégustation. Il suffit de contempler un vase You en forme de félin de la dynastie des Shang (1550-1050 av. J.-C.) pour mesurer le raffinement entourant la culture des boissons fermentées que contenaient ces vases. Aux alentours de 135 av. J.-C, la ville de Maotai commence à produire un alcool offert à l’empereur. Le Moutai se diffuse ensuite à travers le pays sous la dynastie Ming (1368-1644) DR dernières années n’y est pas pour rien.» Les acrobaties culinaires de Bottura visent à rappeler le goût du vinaigre balsamique artisanal, le croustillant de la couche supérieure des lasagnes, la perfection des plats simples comme des tagliatelle al ragù. Cette approche lui a été soufflée par sa femme, Lara Gilmore. D’après Bottura, l’Américaine a joué un rôle fondamental dans l’évolution de sa cuisine – elle lui aurait appris à prendre de la distance, à faire preuve de pédagogie–, au même titre que les grands chez qui il a fait ses classes: Ducasse à Monaco lui a communiqué l’obsession de la qualité des produits, Ferran Adrià «la liberté d’expression» et le goût des ingrédients simples – «une patate, entre des mains expertes, ça peut être fabuleux, meilleur que la truffe». et sa technique de fabrication s’affine. En 1915, il remporte une médaille d’or à l’Exposition universelle de San Francisco. Durant la guerre civile, l’armée Rouge se requinque au Moutai, qui devient alcool national de la République populaire de Chine. En 1972, le Premier ministre Zhou Enlai en offre un flacon au président américain Richard Nixon. C’est dire le prestige de cet alcool qui peut atteindre des prix considérables: 1800 euros les 50cl pour un Moutai de trente ans d’âge. Fabriqué à partir de sorgho au cours d’un très complexe processus de fermentations et de distillations, le Moutai repose ensuite dans des jarres quelques années avant l’assemblage de plusieurs cuvées. Suivant les conseils du maître de cérémonie, on se parfume les mains avec un peu d’alcool avant la dégustation. On est surpris par l’attaque fauve du Moutai 2014, qui exhale ensuite des flaveurs de cacao et de nèfle. Les suivants, plus anciens, révèlent des notes plus fruitées et des «arômes qui font penser à la minéralité du vin», affirme un connaisseur. Il faut prendre son temps pour apprendre à apprécier le Moutai. Essayez-le avec une lichette de roquefort, c’est un épatant accord franco-chinois. • Rens.: www.chinamoutai.fr COUP DE CŒUR CASSER LA GRAINE EN TOUTE SAISON Connaissez-vous le pain crotté? La coupetade? Le cion? Ce sont toutes des recettes céréalières qui puisent dans le patrimoine culinaire des régions françaises. L’association Passion céréales, qui réunit toutes les professions de la filière (producteurs, coopératives, meuniers, malteurs, semouliers…), a eu la bonne idée de collecter cette mémoire et d’en tirer deux livres. Les 40 recettes de chaque volume, revisitées par le chef Benoît Bordier, permettent ainsi d’apprendre ou de redécouvrir la fabrication du pain perdu, que l’on appelle «pain crotté» dans le Nord. Spécialité lozérienne, la coupetade est à mi-chemin entre le pain perdu et le far aux pruneaux. Quant au cion, c’est un dessert bourguignon sucré de la famille des «flans au fromage». J.D. «40 recettes céréalières, printemps/été» et «automne/hiver», éd. Menu Fretin, 20 € le volume. 40 • LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 NEXT FOOD Le DJ Fat Kid Berry au KC Grad, un centre culturel alternatif de Belgrade. Par HÉLÈNE DESPIC-POPOVIC Envoyée spéciale à Belgrade avenir. «Belgrade sera le Berlin de demain», lance Ivan Lalic dans l’immense salle du Mikser House, elgrade n’en est pas à un un ancien entrepôt transformé en paradoxe près. Littérale- café, ateliers, théâtre, salle de ment, son nom signifie ville danse et lieu de rencontre de multi(grad) blanche (beo), alors ples festivals et activités. Dans les que ses cheminées exhalent chaque rues adjacentes, les graffitis qui exhiver un charbon qui grisonne ses plosent de couleurs ne peuvent que façades plus ou moins rénovées. faire penser à la capitale allemande. Neuve, puisque son bâti historique Et ce sont d’ailleurs des fonds allea pratiquement disparu dans les mands qui se sont massivement indeux grandes vagues de bombarde- vestis dans la rénovation culturelle ments de la Seconde Guerre mon- du quartier. diale (en 1941 par les nazis et Savamala, qui s’étire le long de la en 1944 par les alliés), elle était déjà rivière Save, du sud de Kalamegdan en 1955 aux yeux de Le Corbusier à la gare ferroviaire, fut le cœur du «la ville la plus laide du monde». Et Belgrade commercial du début du pourtant, le Lonely Planet en fait XXe siècle à la fin de la Seconde aujourd’hui une des destinations Guerre mondiale, quand toute l’acphares pour faire la fête en Europe. tivité se déplaça dans la ville haute, Il n’est pas impossible que lors- où siégeait le Parlement. Tombés en qu’une ville a été mille fois rasée et désuétude, ses immeubles rococos reconstruite, un bombardement de s’abîment aujourd’hui sous l’effet plus, comme celui que lança l’Otan de la pollution et des secousses proen 1999, ne fasse qu’accroître l’ap- voquées par les tramways et le paspétence pour la vie de ses habi- sage ininterrompu de poids lourds tants. «Belgrade, c’est une méta- empruntant une voie de contourphore, une manière de vivre, un angle nement sur les quais. Ce n’est qu’à de vue sur les choses», synthétisait la fin des années 90, juste avant la en son temps Momo Kapor (1937- chute de Slobodan Milosevic, le 2010), un des écrivains serbes qui principal responsable des guerres s’est le plus attaché à décrire cette qui ensanglantèrent l’ex-Yougoslacité mouvante. Et cette manière de vie pendant dix ans, que la jeunesse vivre aujourd’hui, c’est cet appétit en rupture de ban s’empara de ces de tout ce qui est festif et nouveau. lieux désaffectés pour manifester Belgrade (1,23 million d’habitants, son désir d’ouverture. C’est ainsi 1,65 million avec la banlieue) se que Savamala accueillit ses preveut branchée, le regard tourné vers miers clubs de musique ou ateliers ce qui bouge. Où que l’on se tourne, de design; c’est ainsi aussi que Novi on ne peut s’empêcher d’entendre Sad, à 60 kilomètres au nord de Belgrade, devint le siège d’Exit, le preEn projet, un quartier futuriste à festival de mul’image des cités de verre et d’acier mier sique créé par des qui se créent au Moyen-Orient. étudiants démocrates, qui amena en le mot «naj» (qui signifie «le Serbie la jeunesse européenne. plus»), comme dans najbolji («le Fort de cette expérience de festivameilleur»), najlepsi («le plus liers, Mikser House compte désorbeau»), najpametniji («le plus intel- mais faire venir à Belgrade non plus ligent»)… Et la – finalement pas si seulement des jeunes mais aussi des vilaine– grenouille ne s’interdit pas Européens de la classe moyenne, de devenir aussi grosse que le bœuf aux moyens financiers plus conséen matière de tourisme. «Barcelone quents. «Quand nous avons lancé est notre modèle», s’écrie le vice- notre premier festival de danse conmaire de Belgrade, Sinisa Mali, tan- temporaine, raconte Aja Jung, didis que le gouvernement, à la re- rectrice du festival de danse de Belcherche d’investisseurs pour déve- grade qui se tient depuis douze ans lopper la ville, va chercher les à la veille de la Pâque orthodoxe, mécènes jusqu’à Abou Dhabi. personne en Serbie, ni même à Belgrade, ne savait ce qu’était la danse LIEUX DÉSAFFECTÉS. Les artistes moderne. Nous étions à l’époque plucomme Ivan Lalic, créateur de tôt ballet et tutus.» Aujourd’hui, Mikser House –temple de la bran- difficile de trouver une place au chitude dans le dernier moment. SAVALAMA BELGRADE vieux quartier de Et le public vient Da nub Savamala («la pemême de l’étrane tite Save», du nom ger. Les raisons de Aéroport de cet affluent du ce succès ? «Nous Danube qui s’y avons choisi de pasSave jette), en pleine réser des spectacles Belgrade novation multiculqui ont été à l’affiSERBIE turelle – rêvent, che très récemment 3 km eux, d’un autre en Europe. Pouvoir B SERBIE Entre les clubs, les restaurants, les festivals et le street-art, la capitale mille fois rasée et reconstruite n’a jamais été aussi vivante. A Belgrade, Balkans en éruption LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 FOOD NEXT • 41 PRATIQUE SAVE THE DATE Y aller De 150 à 300 euros, selon la compagnie (le moins cher, Wizzair en partant de Beauvais). Y dormir Si vous aimez l’ancien : Hotel Moskva, demandez une chambre en duplex (120 euros). Ou le moderne et le style boutique Hotel Townhouse 27 (140 euros la nuit). Egalement disponibles, des dizaines d’hôtels et d’appartements pour moins de 100 euros. Y manger A Mikser House , un ancien entrepôt transformé en café, théâtre, salle de danse et lieu de rencontre de multiples festivals (en haut) et dans les rues de Savamala (ci-dessus et à gauche). Dans le centre-ville, Pire, créé par la créatrice de vêtements Dragana Ognejenovic. Cara Lazara 11 Beton Hall à Savamala ainsi que plusieurs restaurants récents dont l’Iguana. Plus classique, rue Skadarlija, des restaurants sur toute la rue avec musique, violons et tsiganes dont Sesir Moj, Tri Sesira, Ima dana, etc. Pour une authentique cuisine serbe : le restaurant Vuk. Vuka Karadzica 12 Ci-contre, le centre culture KC Grad, à Savamala. PHOTOS MARIJA STRAJNIC assister pour 10 euros à une représentation qui vient d’être jouée à Milan pour 250 euros est un atout de taille», explique l’ancienne danseuse. Tandis que clubs, hôtels et restaurants se multiplient aux alentours du KC Grad, le centre culturel alternatif né à la faveur de la démocratisation des années 2000. Non loin de là, c’est une autre par- tie qui se joue. Le magnifique immeuble de la société de géodésie – une ancienne banque – a été récemment rénové par une entreprise d’Abou Dhabi. MUTATION. Tout en dorures et bois, il recèle désormais un restaurant haut de gamme qui s’ouvre sur une belle vue du quartier en pleine mu- tation. La société Eagle Hills qui l’a racheté planifie de bouleverser la ville avec son projet de «front de la Save» (Waterfront): un quartier futuriste à l’image des cités de verre et d’acier qui se créent au MoyenOrient. Surgi du vide avec ses tours, ses centres commerciaux et ses appartements privés de luxe, le projet pharaonique (3,6 milliards de dollars) implique de nombreuses destructions et divise la société et les pouvoirs politiques. Une sorte de Dubaï des Balkans qui constituerait une révolution sans pareil pour la ville. • Ce reportage a été réalisé dans le cadre d’une visite organisée par la société de communication Bell-Pottinger de Londres. Y sortir A Savamala, les clubs : Transit, Radost, Mladost, Ludost. Pour prendre un verre, le Berliner. A Zemun, les clubs sont légion le long de la Save, rechercher des péniches. Y flaner Se balader à Kalemegdan, la vieille forteresse, ou à Dorcol, vieux quartier qui donne sur le Danube. Sur la Save: aller jusqu’à Ada Ciganlija, une île où a été aménagée une plage publique. • LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 GRAND ANGLE 42 «Elle avait 17 ans • LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 et elle a été violée par 43 40 soldats» Disparus de la mémoire de la Libération, les viols de masse commis au printemps 1944 par les troupes françaises restent une plaie ouverte dans le cœur des Italiens du Latium. Sept décennies plus tard, la France ne s’est jamais excusée et les victimes n’ont pas oublié. «I ls m’ont tout fait… Ils m’ont tout fait.» Le vieux paysan referme la main sur son pantalon en velours côtelé. Le regard est vide, la voix sûre, mais les doigts broient le tissu à s’en tordre les phalanges. Pour le rassurer, Marina, sa petite-fille de 20 ans, lui parle à l’oreille. Mais Pietro, 86 ans, ne faiblit pas: «Ils m’ont pris comme une femme… Ils m’ont tout fait, comme des bêtes, et puis ils m’ont tiré dessus.» Et de montrer la cicatrice de la balle qui l’a frappé à l’arrière du cou. «Pourtant mon père m’avait prévenu, il m’avait dit de rester à la maison. Mais j’étais jeune, fou, c’était la guerre et toute la famille était affamée, il fallait bien sortir pour trouver de quoi manger.» Dans le salon de la grande maison en pierre, trois générations de la famille Socco écoutent religieusement cette histoire que «l’ancien» ne leur a jamais racontée. «Ce jour-là, j’étais avec mon ami Lorenzo, mais lui n’a pas survécu. Dans la soirée, quand ils m’ont retrouvé, j’avais perdu beaucoup de sang, mon père me croyait déjà mort, mais je m’en suis sorti. Il m’a dit “tu es vivant, c’est tout ce que j’ai besoin de savoir”, alors je n’ai rien ajouté.» C’était il y a soixante-et-onze ans. Mais dans les mots du grand-père, le souvenir enfoui remonte à la surface avec la précision d’un flash. «Les civils considérés comme butin de guerre» Rina, 15 ans en 1944. Au printemps 1944, Pietro a 15 ans, et vit à Lenola, petit village escarpé qu’il n’a jamais quitté. Les Socco, comme la majorité des habitants de la province de Frosinone, une zone plus grands héros milirurale à deux heures de taires de la Seconde OMBRIE Rome, sont affamés Guerre mondiale. ITALIE par quatre ans de «La bataille du Monte guerre «où il a fallu Cassino a été très violente LATIUM ABRUZZES nourrir le soldat alleet très frustrante pour les Rome mand». Dans cette soldats qui ont piétiné Mer partie du Latium, les pendant des mois dans Tyrrhénienne bombardements fraple froid, sans pouvoir 50 km pent durement Lenola vraiment avancer. Il y a et les petites communes situées à quel- donc eu un phénomène de décompensation ques kilomètres du front. Dans tout le qui s’est retourné contre les civils, explipays, la confusion est totale : c’est la que l’historienne Julie Le Gac, auteure valse des uniformes depuis que Musso- d’une thèse édifiante sur le CEF(3). Par lini est tombé et que les Alliés ont dé- ailleurs, le commandement français a barqué en Sicile. Le 11 mai 1944, ils ren- clairement entretenu l’esprit de revanche versent enfin la vapeur: au terme de six des troupes à l’égard des Italiens qui mois de guerre, de pertes humaines avaient “trahi la France”. Résultat: les ciconsidérables, l’armée de Libération vils ont parfois été considérés comme le remporte la bataille de Monte Cassino. butin de cette guerre.» Pour ne rien arGrâce à l’intervention décisive du géné- ranger, le général Juin mettra neuf jours ral Juin et des soldats du Corps expédi- à réagir aux exactions alors que les alertionnaire français (CEF), la route vers la tes arrivent de toutes parts. Le héros de capitale est ouverte, la Wehrmacht est Monte Cassino ne le fera qu’«à la dedéfaite, la libération de Rome n’est plus mande insistante des Alliés». qu’une question de semaines. Devant la frilosité des réactions des ofIvres de leur victoire, des milliers de ficiers français, la population du Lasoldats du CEF déferlent sur les petits tium méridional se protège tant bien villages du Latium. Mais, à la surprise que mal. Dès les premières exactions, des civils qui croient accueillir une la rumeur se répand comme une traîarmée de libérateurs, l’esprit de Femmes, hommes, enfants, vieillards, conquête se libère les civils de 8 à 72 ans sont victimes de viols en fureur… Entre le 15 mai 1944 et le commis par les soldats du CEF, sous début du mois de le commandement du général Juin. juillet, des milliers de viols (1) sont commis par les née de poudre dans les petites commusoldats tricolores. Femmes, hommes, nes isolées : «A l’époque, ils disaient “il enfants, vieillards, les civils de 8 à faut cacher les filles car les diables les en72 ans sont victimes des marocchinate, lèvent”», raconte le maire adjoint de des «maroquinades», un mot généri- Lenola, dont les trois grands-tantes ont que (et particulièrement injuste) pour été violées. D’après plusieurs témoidésigner les «viols de masse»(2) com- gnages, «les proies potentielles» sont mis par les soldats du CEF (dont 60% cachées «dans les grottes», «les écuétaient originaires d’Afrique du Nord). ries», «les fermes et les églises reculées». Le général Juin, lui, deviendra un des Sylvia a 18 ans quand elle est envoyée TOSCANE Par LEILA MINANO Envoyée spéciale dans le Latium (Italie) Photos ALESSANDRA QUADRI 44 • LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 GRAND ANGLE Ennio a 13 ans quand une dizaine de soldats fait irruption dans la maison où il s’est réfugié. «ELLE AVAIT 17 ANS ET ELLE A ÉTÉ VIOLÉE PAR 40 SOLDATS» Elide avait 15 ans en juin 1944. Un groupe de soldats canadiens mettra fin à son calvaire. terrible, c’est comme s’ils avaient tué la joie de la jeunesse, tout le monde était devenu triste, déprimé.» De l’autre côté de la colline verdoyante qui supporte Lenola, à Castro dei Volsci, une autre jeune fille a eu moins de chez sa grand-mère qui vit dans une chance que Sylvia. Au mois de ferme isolée des environs de Lenola. juin 1944, Elide a 15 ans. Depuis quelSept décennies plus tard, la jeune fille est ques jours, l’adolescente et sa mère ont devenue une petite grand-mère, timide trouvé refuge dans la ferme de sa tante, et discrète. Difficile de déceler dans la quand deux soldats du Corps expédifragile vieille dame de 89 ans enruban- tionnaire français défoncent la porte. née dans un foulard noir l’adolescente «Quand ils sont arrivés, j’ai juste eu le espiègle qu’elle a pu être. «A l’époque, temps de me cacher dans un grand coffre nous ne parlions pas de ces choses-là et qui servait de banc. Mais lorsqu’ils sont nous ne posions pas beaucoup de ques- entrés dans la pièce pour fouiller, mon tions, commence Sylvia, recroquevillée ventre a gargouillé, alors ils m’ont troudans un coin du salon. Mais nous savions vée… J’avais tellement faim.» Assise deque les soldats recherchaient les filles.» vant la table de la salle à manger, l’ancienne boulangère du village, cheveux «Des femmes sont courts blonds peroxydés, s’est apprêtée. devenues folles» «Le premier soldat a fait sortir de force ma En dépit de l’isolement de la ferme, mère et ma tante, c’était horrible ; je les deux soldats du CEF finissent par frap- entendais hurler, pleurer, mais il n’y avait per à la porte de la maison. Sa grand- pas de compassion chez eux.» Elide se mère lui demande de se cacher sous ses lève brusquement et mime la scène avec jupes. Les yeux de Sylvia s’allument de grands gestes comme si les soldats se quand elle pense à la supercherie: «Les trouvaient toujours dans la pièce. «Je femmes portaient de larges jupes noires et suis restée seule avec lui, j’étais contre le mur, il essayait de me faire «Quand ils sont arrivés, j’ai juste eu le temps tomber par terre de me cacher dans un grand coffre. et je hurlais, je Mais lorsqu’ils sont entrés dans la pièce pour criais à ma fouiller, mon ventre a gargouillé, alors mère de venir m’aider… Mais ils m’ont trouvée… J’avais tellement faim.» elle ne pouvait Elide 15 ans en juin 1944 rien faire, alors, moi, j’étais toute maigre, je me suis mise de l’autre côté de la porte, elle hurlait aussi sous le banc, dissimulée par la jupe, et ils et quand il m’agressait je me débattais.» ne m’ont pas vue… Ils ont fouillé partout Les yeux clairs d’Elide sont fous, sa voix et puis les Américains sont arrivés, ça les s’éraille, mais le petit gabarit ne s’efa effrayés, ils sont partis.» Et de pour- fondre pas : «Il sentait mauvais, il était suivre plus tristement : «Tout le monde sale, il avait des boutons sur les jambes…» n’a pas eu la même chance que moi. Je ne L’apparition d’un groupe de soldats met sais pas combien de filles ont été “attra- fin au calvaire de l’adolescente : «Les pées”, mais quand les soldats sont partis, Canadiens sont arrivés et les “chiens” se beaucoup avaient des maladies vénérien- sont enfuis… Ils auraient pu nous tuer. La nes. Certaines sont tombées enceintes, des fille de Valentina, ils l’ont tuée. Elle avait fiancés ont rejeté leur promise. Il y a même 17 ans, elle était très belle et elle a été viodes jeunes femmes qui sont devenues folles lée par 40 soldats. Quand sa mère s’est et se sont suicidées. Personne n’en parlait interposée, ils lui ont coupé la langue et vraiment, ça restait dans la famille, les l’ont obligée à regarder.» L’horreur de victimes allaient chez les médecins l’histoire finit par calmer l’octogénaire secrètement et on donnait aux filles des qui devient moins bavarde. Pourtant, plantes pour avorter. Cette période a été les langues n’ont pas fini de se délier, car dans le Latium, la mémoire des anciens regorge de souvenirs, plus terribles les uns que les autres. La responsabilité du haut commandement Arturo, 79 ans, nous attend à la Maison des anciens de Lenola, où se retrouvent chaque jour les plus âgés pour jouer à la pétanque et aux cartes. Il est 14 heures et le petit local, installé sur les hauteurs du village, est encore vide. Arturo, cheveux encore noirs, yeux bleus malicieux, semble ne pouvoir se défaire d’un petit sourire espiègle. «J’avais 8 ans, nous étions réfugiés dans une maison avec une centaine d’autres habitants, quand les Marocains sont descendus. Ils ont entouré la maison et, plus tard, ils sont venus chercher les femmes les unes après les autres pour les emmener dehors. Les gens pleuraient, suppliaient, mais il n’y avait aucune pitié, même pour les très jeunes.» Intrigué et «sans peur», le petit Arturo parvient à se glisser dehors. «Je voulais savoir ce qu’ils faisaient avec les filles, où ils les emmenaient pour pouvoir retourner les chercher. Alors, j’ai suivi une fille, j’ai regardé au coin de la maison pour voir dans quelle direction ils partaient, mais ils m’ont repéré et ils ont tiré. J’ai couru me cacher dans le petit bois juste en face. Ils m’ont vite oublié, ils étaient plus intéressés par ce qu’ils allaient faire… Ils se sont jetés sur elle, ils étaient trois. Je fermais les yeux mais je l’entendais toujours pleurer.» Assis dans le salon de la pièce nue et froide de l’association, Arturo a de nouveau 8 ans, il se recroqueville sur sa chaise et éclate en sanglots. Nous l’apprendrons plus tard, la femme qu’il a suivie, la femme qu’il a vu se faire violer, était sa mère. Arturo s’effondre quand Ennio, 84 ans, un autre ancien de l’association, reprend à son tour le fil du récit. Alerte, l’ancien ouvrier vêtu à la mode des années 70 «accepte de raconter, même s’il aurait préféré tout oublier». Ennio n’a que 13 ans quand un groupe d’une dizaine de soldats français et marocains fait irruption dans la maison de berger où il s’est réfugié avec sa famille et plusieurs de leurs voisins. «Ils étaient en colère car les jeunes filles étaient cachées ailleurs, dans une grotte. Alors les militaires ont pris la seule femme qui était présente, une mère de famille, et ils m’ont obligé à tirer un matelas à l’extérieur de la maison. Ensuite, ils m’ont demandé d’aller chercher une bougie, pour que nous puissions tous bien voir ce qui allait se passer. Les uns après les autres, ils l’ont violée. Personne ne pouvait bouger, car ils étaient armés. L’un d’entre eux, un Blanc, nous a dit dans notre langue, que c’était ce que les Italiens avaient fait aux femmes françaises pendant la guerre.» Sept décennies plus tard, Ennio, rêve toujours de cette nuit «où il n’aurait jamais dû aller chercher le matelas». Les récits des survivants ou de leurs descendants rivalisent d’horreur, et pourtant ils sont moins cruels que les comptes rendus factuels des tribunaux militaires. Ces documents, que nous nous sommes procurés, décrivent avec force détails le traitement réservé aux civils et mettent en cause la responsabilité du haut commandement qui avait obtenu de la part des gendarmes, des médecins et des coupables eux-mêmes, la preuve de ces exactions. «En réunion et sous le regard des proches.» C’est ainsi que Pierre D., soldat 2e classe, reconnaît avoir, le 12 juin 1944, «conduit dans une grotte» sous la «menace d’une arme» un garçon de 12 ans –qui témoigne également dans l’acte d’accusation. «Dans cette grotte, je l’ai déshabillé pour le violer, comme il s’opposait à ma volonté, je l’ai frappé de plusieurs coups de poing à la figure, puis je l’ai jeté à terre et l’ai fait coucher sur le ventre. A ce moment, le garçon s’est mis à crier, je l’ai menacé de mon arme en lui disant “ne crie pas ou bien je te tue”. Afin d’étouffer ses cris, j’ai appliqué ma main sur sa bouche, puis me jetant sur lui, je l’ai violé.» Le militaire sera condamné à dix ans de travaux forcés pour «atteinte à la pudeur». Cette histoire fait terriblement écho à celle de Pietro, le vieux paysan de Lenola, et pourtant le mode opératoire de cette agression reste exceptionnel. En effet, selon les actes d’accusation dont nous avons eu copie, les militaires du général Juin qui se sont rendus coupables de violences sexuelles l’ont fait presque toujours en réunion, sous la garde d’au moins un camarade. Dans la LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 GRAND ANGLE Pietro Socco, violé à 15 ans. La famille écoute l’histoire que «l’ancien» ne leur a jamais racontée. majorité des cas, les soldats entraînaient les victimes un peu à l’écart du lieu de la rencontre ou commettaient leur crime dans la maison sous le regard des proches. Une affaire de «reconnaissance» C’est ainsi que le 30 mai 1944, quatre soldats français, Belgacem B., JeanMarie G., François S. et Mohamed G. sont reconnus coupables de viol sur deux jeunes femmes de Castro dei Volsci, âgées de 20 et 29 ans. La première avait été agressée dans sa propre chambre en présence de sa mère et de sa tante, avant de l’être de nouveau par deux autres soldats, dans un champ de blé voisin. La seconde avait été violée dans la grange de la ferme. Bien que les quatre soldats furent reconnus coupa- bles, seuls Jean-Marie G. et François S., les soldats français, obtiendront des suspensions d’exécution de peine. Indiqué dans les comptes rendus, le motif de la clémence est identique dans les deux cas : «Il semble bien résulter des données et des débats que X s’est laissé entraîner par des camarades indigènes et qu’il ne se soit pas rendu compte de la gravité de sa faute.» Aucun des historiens interrogés n’a pu expliquer cette différence de traitement. Selon les données récoltées par Julie Le Gac, 207 soldats seront jugés pour violences sexuelles, et 19%, soit 39 hommes, seront acquittés, «le plus souvent faute de preuves». Vingt-huit soldats pris en flagrant délit seront exécutés sans jugement. L’historienne précise que «55% d’entre eux bénéficieront de circonstances atténuantes attribuées de Arturo, 8 ans en mai 1944. manière discrétionnaire». Pour certains, ces décisions de justice sont la preuve que la France a bien condamné ces exactions. En outre, après enquête, le 1er janvier 1947, Paris a autorisé l’indemnisation de 1 488 victimes de violences sexuelles. Une forme de reconnaissance ? Peut-être. Sauf que c’est Rome qui a payé. Selon la procédure mise en place par les Alliés, l’Italie, pays vaincu, a dû indemniser les victimes des exactions. Au-delà de la question financière, pour Fabrizio Battistelli, professeur de sociologie à l’université de Rome (Sapienza), c’est avant tout une affaire de «reconnaissance». Selon le chercheur qui a travaillé sur les violences du CEF dans le Latium méridional, «il ne semble pas que, du côté français, il y ait eu une prise de conscience appropriée de la gravité des Dans la commune de Castro dei Volsci. faits». Pour lui, «la responsabilité de la République française, représentée sur le terrain par le général Juin et ses subordonnés, est indiscutable». En effet, le professeur estime que ces «crimes» ont été commis de «manière systématique» dans un cadre «de tolérance générale, sinon d’autorisation ouverte» du commandement français. Moins radicale, l’historienne française estime que ces violences «ne sont pas un sujet tabou pour l’armée française», mais reconnaît «un problème d’encadrement dû à un manque de personnel». Julie Le Gac ajoute : «Si l’armée n’en parle pas ouvertement, c’est aussi pour ne pas ternir l’image glorieuse de la bataille de Monte Cassino, surtout à un moment où l’on commence à redonner sa juste place à la contribution des troupes coloniales, car cela brouille le message politique.» Nous avons interrogé le ministère de la Défense, qui nous a fait la réponse suivante: «Nous ne pouvons pas nous positionner sur des faits historiques, par contre les historiens qui ont travaillé sur cette question se sont exprimés, vous pouvez consulter le service historique de la Défense, mais l’affaire est avérée.» D’après Emiliano Ciotti, président de l’Association nationale des victimes des Marocchinate, qui collecte des archives depuis 2010, «l’objectif du travail de mémoire n’est pas de stigmatiser un groupe ethnique. C’est avant tout un geste politique. Il faut que la France reconnaisse l’existence de ces viols, qu’ils soient inscrits dans l’histoire de la Libération, que les manuels d’histoire la racontent. Pour qu’ils ne se reproduisent plus». • (1) Le nombre des viols commis par le CEF à cette période fait l’objet de débats parmi les historiens (entre 200 –le nombre de condamnations par les tribunaux militaires– et 12000 environ), les gouvernements (2000 pour le gouvernement italien, 1488 personnes indemnisées pour les autorités françaises) et les associations (60000). (2) «Viol de masse», en raison de la faible densité démographique de la province et de la courte période durant laquelle ils ont été commis. (3)«Vaincre sans gloire, le Corps expéditionnaire français en Italie», thèse publiée aux éditions les Belles Lettres, ministère de la Défense-DMPA. • 45 LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 PORTRAIT FRANK LEBŒUF Désormais comédien et consultant, le champion du monde de foot 98 attire les foules à Paris avec une pièce de boulevard. Le théâtre de ses rêves Par QUENTIN GIRARD Photo BORIS ALLAIN P armi les anatomies que l’on n’imaginait pas se dévoiler un jour devant nos yeux ébahis, les fesses nues de Frank Lebœuf, en tablier de cuisine, figurent en bonne place. C’est pourtant arrivé, un jeudi soir, à Paris. L’ancien footballeur est désormais acteur, et déambule sur les planches pour une pièce de boulevard, Ma bellemère, mon ex et moi. Après une tournée en province, la salle est comble chaque soir dans la capitale. Frank Lebœuf interprète une star de la télé, quittée par sa femme, qui enchaîne les conquêtes et vit avec un assistant très homosexuel. Quiproquo, cougar, esclandre, photos sexuelles volées, les blagues fusent, le public ne cesse de rire et en redemande. Vraiment, Frank Lebœuf, clown blanc populaire de vaudevilles? Le défenseur chauve de Strasbourg, de Chelsea et de Marseille à la technique limitée? Le champion du monde par hasard? Celui qui n’aurait pas dû être sur le terrain contre le Brésil si un démon croate n’avait pas simulé en demi-finale pour faire expulser le classieux Laurent Blanc ? De cette réputation, attablé en terrasse d’un café près du Théâtre de la Comédie Caumartin, le défenseur s’amuse encore : «Je n’en ai rien à foutre de ce que les gens peuvent dire. J’étais sur le terrain, pas eux.» Il s’esclaffe. Ponctue la plupart de ses phrases de rires enjoués, communicatifs. Il n’a plus de ressentiment. En 2002, au crépuscule de sa carrière, dans une autobiographie, il traitait, peu ou prou, tout le monde de con : les médias, les entraîneurs, les autres footballeurs, la vie. Depuis, l’homme s’est assagi. A 47 ans, toujours musclé, comme on peut l’apprécier sur scène, barbe blanche de trois jours, il se révèle affable, bavard et naturel. Après une dernière pige au Qatar, en 2005, le libéro part à Los Angeles prendre des cours d’Actors Studio, pendant deux ans. «Làbas, les stars sont partout, personne ne me connaissait. Un jour, je prenais de l’essence, et un mec m’engueule parce que je n’allais pas assez vite, c’était Sylvester Stallone.» La vie au soleil, des petits rôles, il finit par rentrer en France, en 2011, pour jouer une pièce de théâtre. Il rencontre au même moment «l’amour», décide de ne pas retourner en Californie. Elle est professeure de danse classique. Lorsque le comédien parle d’elle, ses yeux brillent. «Elle est très cultivée, s’intéresse à énormément de choses, on débat en permanence, sur la politique par exemple.» Longtemps classé à droite, comme la plupart des sportifs pros, il vote blanc désormais, pense même s’abstenir la prochaine fois. Il n’a pas de mots assez dur contre les politiques. «Qui est fan d’eux actuellement? demande-t-il rhétoriquement. Il faut être aveugle pour ne pas voir qu’ils se foutent de notre gueule.» L’acteur s’inquiète de l’avenir: «Entre les conflits internes et les affaires, lorsque je vois 2017 arriver, je me dis qu’on est bien dans la merde.» Sans tomber dans les extrêmes: «La France aux Français, ça me fait doucement rire. Aucun Français n’est à 100% d’origine française, ça n’existe pas. On a toujours été une terre de mélange, on a été envahi, à droite, à gauche, au nord, au sud.» Entre deux sourires, le pessimiste pointe : «Les humains sont faibles, moi y compris. Ma femme, je vis avec elle, je sais que c’est quelqu’un de bien, mais les autres…» Il dit n’avoir qu’un ami, et «des potes» sinon. Gamin, dans le sud de la France, il rêvait de devenir acteur, mais son père, plombier-chauffagiste, dirigeait une école de foot, «alors, j’y suis allé». Le môme adorait passer des heures devant la télévision, «gobait» tout. Gabin, de Funès, Belmondo, il est déjà attiré par les comédies ou les films d’action qui ne se prennent pas au sérieux, le popu, la bonne franquette. Encore aujourd’hui, il passe une bonne partie de son temps libre devant un écran. De Demolition Man à OSS 117 sans oublier «les pires croûtes», l’important est EN 5 DATES de rire. Le reste du temps, le comédien lit : Ken Follet, 22 janvier 1968 Naissance Guillaume Musso, José Ro- à Marseille. 1998 Champion drigues dos Santos, on du monde. 2005 Prend sa retraite de footballeur. échappe de peu à Pau- 2014 Apparaît dans Une lo Coelho, l’écrivain préféré merveilleuse histoire du des footballeurs. temps de James Marsh. Il sait que le cinéma français Depuis octobre 2014 ne veut pas vraiment de lui, Ma belle-mère, mon ex et moi, au Théâtre de la cela l’attriste : «Ici, je n’ai plus d’agent. Les directeurs de Comédie Caumartin (Paris). casting voient mon nom, et ils se disent : “Ah non ! Pas le footballeur !”» Difficile de décoller les étiquettes. Sur les planches, il jouerait bien un jour du Molière, le Médecin malgré lui ou l’Avare, pour rester léger. «Lorsque le médecin fait rire le malade, c’est le meilleur signe du monde», dit Sganarelle. La phrase lui va bien. «C’est un vrai bonheur de travailler ensemble, l’encense son partenaire de scène, Nicolas Vitiello. Il a un vrai esprit d’équipe. Il sait qu’une pièce fonctionne quand la troupe s’entend bien, et il ne cherche pas à attirer la lumière sur lui.» Conscient que certains spectateurs ne viennent que pour son nom, Lebœuf le répète plusieurs fois : «Je m’en fous d’être connu, ça n’a jamais été mon moteur.» Le foot, l’ancien pro garde un pied dedans. Il participe à Téléfoot, donne parfois son avis sur RMC ou cachetonne pour des matchs à cinq contre cinq avec d’autres anciennes gloires, à Singapour. Frank Lebœuf est d’une génération où les parcours chaotiques étaient encore possibles. Viré du centre de formation de Toulon, il répond à une petite annonce lue dans France Football, et trouve un poste à Meaux, payé 600 euros par mois. Puis, après avoir envoyé des cassettes VHS de ses exploits un peu partout, Laval le signe. «J’ai commencé pro plus tard que des Desailly ou des Deschamps, ça m’a permis aussi de ne pas être blasé à la fin de ma carrière.» Pendant quinze ans, le défenseur a «pensé, mangé, dormi, football». «Mais, je n’étais pas endoctriné, j’étais capable de m’intéresser à d’autres choses.» Trop d’athlètes, autour de lui, ont sévèrement déprimé en fin de carrière. «C’est comme si tu passais dix ans en prison et que, tout d’un coup, tu te retrouvais à l’air libre. Tu es face à un grand vide.» Il s’amuse du tintouin abracadabrantesque fait autour du ballon rond. «Je pensais, au début des années 2000, que l’argent allait faire tout exploser, mais ça continue, et il y en a toujours plus.» Certains joueurs gagnent en un an plus que lui dans toute sa carrière. «Ils ont raison de prendre ces salaires. On les leur offre. Ils ne menacent pas les gens avec un flingue.» Il regrette que dans les centres de formation les jeunes «n’aient pas conscience de la valeur de l’argent. Comme les politiques qui font l’ENA. Il faut connaître la vraie vie active». A ses deux enfants, nés d’une première union, la vingtaine, sophrologue et acteur, le comédien ne donne pas d’argent. «Ils doivent apprendre à se débrouiller seuls.» Un SDF s’approche de notre table, chancelant, la voix chevrotante. «Je ne suis pas méchant, mais je vous ai vu à la télé.» «Toi, tu veux une cigarette», répond ce bouddhiste converti. «Oui». Il lui en tend une. «Vous vous appelez comment ?» «Frank Lebœuf» «Footballeur?» «Oui, mais maintenant je suis trop vieux». Il rit. • JEUX_16:LIBE09 15/05/15 15:59 Page1 LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 LIBÉRATION est une publication du Groupe PMP Directeur général Pierre Fraidenraich Directrice Marketing et Développement Valérie Bruschini Cogérants Laurent Joffrin François Moulias Directeur opérationnel Pierre Fraidenraich Directeur de la publication et de la rédaction Laurent Joffrin Directeur en charge des Editions Johan Hufnagel LIBÉRATION www.liberation.fr 11, rue Béranger 75154 Paris cedex 03 Tél. : 01 42 76 17 89 Edité par la SARL Libération SARL au capital de 15 560 250 €. 11, rue Béranger, 75003 Paris RCS Paris : 382.028.199 Durée : 50 ans à compter du 3 juin 1991. Associés: SA Investissements Presse au capital de 18 098 355 € et Presse Media Participations SAS au capital de 2 532 €. 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O U U S A C T S I A F O T L SUDOKU !"#$ 8 Lille Limoges 0,6 m/14º T Dijon Nantes Lyon Bordeaux C A Toulouse 0,3 m/15º S Strasbourg Orléans U L L’APRÈS-MIDI La perturbation progresse vers les régions centrales, des Pyrénées aux frontières de l'est, avec un ciel couvert. Quelques éclaircies se développent près de la Manche. Paris Brest 0,3 m/12º O 1 Caen La responsabilité du journal ne saurait être engagée en cas de non-restitution de documents . Pour joindre un journaliste par mail : initiale du pré[email protected] F 7 6 7 0,6 m/11º I 1 9 LE MATIN Matinée grise avec des bruines au nord de la Loire. Quelques gou!es sont a!endues au sud de la Garonne. Partout ailleurs, le temps est sec. A!ention au vent violent sur la Provence. 0,6 m/12º Service commercial [email protected] Montpellier F L I 2 1 7 3 5 9 4 6 R H K T 5 3 9 4 2 6 7 1 8 T P O H W C K 6 4 7 8 1 9 5 2 3 W A C P R K O T H 9 8 6 3 7 2 1 5 4 K W P A H T R C O 1 7 3 9 5 4 8 6 2 C A W P R T H K 4 5 2 1 6 8 3 9 7 H K C O A W 7 1 5 6 4 3 2 8 9 A C W R K H P O T 2 6 8 5 9 7 4 3 1 P K H O T W C R A 3 9 4 2 8 1 6 7 5 O R T C A P K W O T R H Ajaccio 0,6 m/17º 0,1 m/17° 8 A W Nice Marseille MOT CARRÉ !"#$ O 47 SAMEDI !" Directrice Marketing et Développement Valérie Bruschini, 4 5 9 P C A R ◗ Gâteau. P FRANCE MIN/MAX 5/17 6/17 10/14 9/19 8/18 14/23 8/20 Lille Caen Brest Nantes Paris Nice Strasbourg FRANCE MIN/MAX SÉLECTION MIN/MAX 8/18 11/21 12/20 12/22 11/18 14/26 11/27 Dijon Lyon Bordeaux Ajaccio Toulouse Montpellier Marseille DIMANCHE !# LUNDI !$ Dégradé nuageux avec davantage de soleil dans le sud. Plus au nord, quelques averses peuvent se produire en soirée près de la Manche. 0,6 m/11º 0,3 m/14º Lille 0,3 m/12º Lille 0,3 m/12º Caen Caen Paris Brest Strasbourg Paris Brest Dijon Nantes Dijon Nantes 0,1 m/14º 0,6 m/14º Lyon Lyon FAITES UN DON SUR ALZHEIMER-RECHERCHE.ORG Strasbourg Orléans Orléans SEULS LES CHERCHEURS POURRONT N O U S S AU V E R D'A L Z H E I M E R 15/20 4/15 14/31 12/18 8/18 5/24 14/23 Alger Bruxelles Jérusalem Londres Berlin Madrid New York La couverture nuageuse a tendance à se déchirer, laissant apparaître des éclaircies de plus en plus larges au fil des heures. Du soleil sur la Méditerranée. IP 04 91 27 01 16 5 Directeur administratif et financier Chloé Nicolas S 4 1 2 7 Jean-Michel Lopes Tél. : 01 44 78 30 18 Libération Medias. 11, rue Béranger, 75003 Paris. 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