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La Lettre du Principal Réflexions par Bob Ruud Mars 2014 Un point Montessori : l’observation Yogi Berra était un receveur dans l’équipe de baseball des Yankees de New York à l’époque de leur renommée, et est plus tard devenu leur entraîneur. Il est bien connu pour sa tendance à rendre la langue anglaise peu compréhensible, par le biais de déclarations telles que : « Plus personne ne va où va la foule, il y a trop de monde » ou « Quand vous arrivez à la croisée des chemins, prenez la ». Il a aussi dit : « On arrive à observer énormément simplement en regardant. » On ne saurait trop souligner l’importance de l’observation dans le cadre de l’éducation Montessori. Notre approche est dans son essence identique aux sciences humaines, et l’on ne peut pas être un bon scientifique, humaniste ou autre, sans être aussi un fin observateur. La science est en quelque sorte l’art de découvrir ce qui se passe vraiment. Certains disent que la science commence par une hypothèse, et que le scientifique se donne alors pour objectif de corroborer ou de contredire l’hypothèse. Il y a quelque chose de vrai là-dedans. Mais on peut aussi dire que beaucoup de grands moments de science ont consisté en une observation précise d’un phénomène que le scientifique a tout simplement trouvé intéressant. Par curiosité, le scientifique fait quelque chose qui affecte ce qui est observé, juste pour voir ce qui va se passer, peut-être même sans tenter de présumer (c'est-à-dire formuler une hypothèse) de ce dont il pourrait s’agir. On peut imaginer Maria Montessori elle-même, il y a plus de cent ans – à qui l’on vient de confier la responsabilité d’éduquer un groupe d’enfants défavorisés dans un bidonville de Rome – les observer pour la première fois, scientifiquement, mais aussi de façon humaniste, et penser : que me révèlent les actes et les paroles de ces enfants ? Se pourrait-il qu’ils encodent des messages dans leurs paroles et actes au sujet de ce dont ils ont besoin pour apprendre et se développer? Si c’est le cas, puis-je apprendre à déchiffrer ce code ? Si j’essaie de faire ceci (par exemple, leur fournir du mobilier adapté à leur taille), ou cela (par exemple, les laisser libres de décider d’eux-mêmes quand se déplacer ou parler), ou encore ceci (par exemple, créer de belles représentations concrètes, tridimensionnelles, de concepts abstraits que les enfants pourront manipuler), ou même cela (par exemple, enseigner à un enfant avec douceur, de façon succincte et élégante, une compétence simple, de contrôler que l’enfant l’a acquise et d’ensuite laisser à l’enfant la liberté de pratiquer sa nouvelle compétence pendant longtemps sans interruption), que se passerait-il ? Je vais essayer de faire ces choses et, voyons, … observer ce qui arrive. Elle était curieuse. Elle était pleinement ouverte à ce que les enfants pourraient lui indiquer. Elle pensait que le mieux qu’elle pouvait faire pour eux serait de les observer patiemment et d’apprendre à comprendre leurs messages d’une façon scientifique et attentionnée – même avec affection – puis de prendre la mesure appropriée, d’observer son effet, et d’agir à nouveau, et d’observer encore, indéfiniment. Les enseignants Montessori sont formés pour observer de la même façon. Pas dans le but de formuler une approche globale de l’enfant – car Maria Montessori a déjà fait cela pour nous – mais pour obtenir de l’enfant des informations sur ce dont il/elle a besoin pour bien apprendre et évoluer. En tant que parent, vous observez afin d’obtenir des informations de première main sur l’expérience scolaire de votre enfant. Vous observez afin de pouvoir répondre vous-même, à propos de cette journée au moins, à la question que vous posez souvent à votre enfant : qu’est-ce que tu as fait à l’école aujourd’hui ? A partir de votre observation et de la révélation dont vous aurez fait l’expérience, vous devriez pouvoir en déduire ce qui se passe vraisemblablement au quotidien. Je pratique beaucoup l’observation, et ceci pour trois importantes raisons : pour déterminer en permanence dans quelle mesure ce que nous disons correspond à ce que nous faisons ; pour soutenir les efforts des enseignants travaillant à une amélioration constante ; et pour aider, faire des suggestions, ou peut-être m’impliquer quand un enfant semble avoir besoin d’une attention particulière. J’ai pensé que vous seriez peut-être intéressés par quelques points communs à la finalité des observations faites par les enseignants, les parents, et la direction. Je vais vous faire part de quelques, voyons, … observations : Tout d’abord, nous voulons que l’observation se déroule comme si l’observateur était invisible. C’est de la science et nous ne voulons pas que ce soit la présence de l’observateur qui cause le phénomène que nous observons. C’est pourquoi, dans notre guide « Observer dans une classe Montessori », nous vous demandons de ne pas vous déplacer dans la classe et de limiter votre interaction avec les enfants : de répondre par un simple salut discret si un enfant vous dit bonjour. Nous voulons voir les choses telles qu’elles se déroulent véritablement lors d’une journée type, quand aucun observateur externe n’est présent. Nous voulons aussi prendre en compte l’échelle mobile Montessori dans le cadre de l’établissement du Plan d'étude romand (PER) dans les diverses classes. A une extrémité de l’échelle, dans la Maison des Enfants, nous nous attendons ce que la méthode Montessori soit pleinement mise en pratique (la particularité non classique étant la présence de deux enseignants, en ligne avec notre conception du bilinguisme par immersion). A l’autre extrémité de l’échelle, en élémentaire II, nous allons voir des particularités qui ne sont pas typiquement Montessori, plus spécifiquement l’utilisation de manuels et de fiches de travail qui sont des exigences du PER, ou des leçons qui se déroulent davantage sous forme de conférence, etc. Nous nous attendons à voir certaines constantes dans la classe. Je recommande à quiconque observant dans une classe Montessori de faire rapidement un inventaire des constantes : Combien d’adultes sont présents ? Combien d’enfants y a t-il ? Combien de relativement grands enfants ? Combien de petits ? Combien de garçons, de filles ? Y a t-il un ensemble complet de matériel Montessori ? Y a t-il suffisamment de places de travail agréables (tables, chaises, tapis, aire de lecture confortable) ? Nous parlons beaucoup de « l’Environnement préparé ». Un rapide coup d’œil à la pièce nous permettra de repérer ces éléments : Les activités de maths et de géométrie Les activités de langage Les activités d’histoire, de géographie, et de science (la géographie fait partie de notre science physique) Les activités de biologie et science (la biologie fait partie de nos sciences de la vie) Les activités de vie pratique (généralement, nous utilisons ce terme seulement par référence à la Maison des Enfants, pas en section élémentaire) Un point d’eau Des toilettes Des espaces de rangement aisément accessibles aux enfants Des éléments agréables à l’œil (des peintures sur les murs, nous essayons de ne pas exposer du matériel pédagogique à long terme) Des organismes vivants (non humains – des plantes surtout, mais certaines classes possèdent un ou plusieurs représentants vivants de ces catégories : insectes, crustacés, poissons, amphibiens, reptiles, oiseaux, mammifères) Une source de lumière naturelle D’autres sources de lumière respectueuses de l’environnement Des issues pour entrer et sortir Un espace ordonné et aisément accessible pour le rangement des manteaux et des objets personnels Quand vous observez, sans doute vous concentrez-vous sur votre enfant. Quand un enseignant observe, il observe tous les enfants. Quand j’observe, moi aussi j’observe les enfants, davantage que je n’observe l’enseignant. Nous sommes tous moins intéressés par ce que fait l’enseignant et plus intéressés par ce que l’enfant fait, parce que c’est cela le véritable indicateur de ce que l’enfant apprend. Dans un cadre non Montessori nous pourrions nous concentrer entièrement sur le contenu, ou sur l’objet du travail : par exemple, la Rome antique ou un ensemble d’éléments mathématiques. Nous, Montessoriens, observons aussi le contenu. Toutefois, nous sommes en général davantage intéressés par d’autres aspects de l’expérience des enfants. Voici quelquesunes des choses que nous recherchons chez les enfants dans un cadre Montessori : Travail : nous entendons par travail « moyen de s’auto construire ». Est-ce que les enfants s’impliquent dans un travail en utilisant le matériel de la manière voulue ? Défi : est-ce que les enfants choisissent de faire un travail stimulant ? Concentration : est-ce que les enfants se concentrent malgré les éventuelles interruptions ? Déplacement : est-ce que les enfants se déplacent de manière contrôlée et déterminée ? Ecoute/Compréhension : est-ce que les enfants sont attentifs et répondent quand on s’adresse à eux ? Expression : est-ce que les enfants parlent respectueusement, clairement, et de manière convenable à leurs pairs et aux adultes? Choix : est-ce que les enfants font des choix adéquats et opportuns ? Confiance : est-ce que les enfants semblent sûrs d’eux et se sentent en sécurité ? Indépendance : est-ce que les enfants font preuve d’autonomie et exercent leur volonté de manière appropriée ? Coopération/Collaboration : est-ce que les enfants démontrent des aptitudes sociales adaptées à leur âge ? Résolution de conflits : les conflits et les différends sont-ils résolus pacifiquement et comme expériences pédagogiques ? Certains de ces éléments seront constatés dans n’importe quelle salle de classe bien organisée de n’importe quel système éducatif. D’autres seront plus évidents dans une classe Montessori que dans une classe d’un type différent. Nous avons tendance à décrire notre vocation en utilisant un langage imposant : Si nous étudions la vie, non pas un enfant dans une classe, nous sommes confrontés à quelque chose de différent par rapport à une personne qui doit apprendre, quelqu’un qui doit travailler certains sujets pendant des périodes données de temps, quelqu’un qui doit reproduire ce qui a été appris, quelqu’un qui atteindra un certain niveau de réussite scolaire, quelqu’un qui recevra une certaine note pour le travail accompli… Il ne s’agit pas d’un enfant sur qui on doit faire un rapport, qui doit recevoir une note, être évalué, classifié, étiqueté, mais d’un organisme vivant suivant un schéma de développement. Margaret Stephenson, dans la préface de Le secret de l’enfance, de Maria Montessori Dans la mesure où cela s’inscrit dans quelque chose de pratique vécu comme une réalité ordinaire quotidienne ; finalement, nous contrôlons seulement ce que nous faisons : Du point de vue Montessori, ... l’observation pourrait être considérée comme la base de notre travail. ... C’est un outil qui nous permet de suivre les activités spontanées de l’enfant, pas dans le but d’étudier la psychologie de l’enfant mais afin d’affiner nos propres réflexions et notre compréhension pour pouvoir offrir … à l’enfant l’aide qu’il ou elle a le droit de recevoir... Nous ne devrions pas laisser notre perception être obscurcie par nos propres références ou préjugés ni par nos attentes personnelles. C’est vraiment difficile quand on essaie d’être objectif de ne pas laisser les expériences passées faire de l’ombre... au moment... Une discipline précieuse à pratiquer lors de l’observation, consiste à bien porter son attention sur l’instant présent : cela nous permet de rassembler les informations nécessaires sans juger, présumer (ou) qualifier. Hilla Patell, Formateur émérite AMI, lors d’une conférence en 1989 On pourrait dire que l’observation est le moyen par lequel nous vérifions, de manière scientifique, si ce que nous faisons concrétise (dans le sens de « rend concret ») effectivement le plus important développement holistique possible de l’enfant ; si d’ouvrir la voie à l’enfant et de le laisser s’adonner à ce qui l’intéresse confère le meilleur progrès possible pour ce qui est des compétences académiques et sociales. En d’autres termes, si notre théorie s’accorde avec notre pratique. Votre vision est peut-être encore embuée et vous avez peut-être encore mal à la tête après avoir lu les déclarations de Yogi Berra mentionnées au début de ce texte. Toutefois, comme j’ai fait allusion à la maxime Montessori souvent citée affirmant que la théorie et la pratique de notre approche sont en réalité liées de manière indissoluble, je vais partager une autre citation classique de Yogi. Il a dit un jour : « En théorie, il n’y a pas de différence entre la théorie et la pratique. En pratique, il y a une. » John Dewey, quant à lui, a dit : « L’éducation n’est pas une préparation à la vie, l’éducation c’est la vie elle-même. » Nous devons aller à l’école … ou vivre une vie – ou serait-ce le contraire, je ne sais plus ! Bob