Définition du verbe et points de vue des sujets
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Définition du verbe et points de vue des sujets
COM 57, Axe 1 Communication de Catherine Lehoux . Étudiant-chercheur, Master 2 E.F.I.S, Paris 8. Colloque « La recherche biographique aujourd'hui : enjeux et perspectives », 18, 19 et 20 mai à Lille. Axe 1 : Biographie et réflexivité « Définition du verbe et points de vue des sujets ». 2/6 Parcourons le champ miné des définitions du paradigme de la méthode biographique. Quelle différence entre un récit de vie, une histoire de vie, comment l'oralité trouve-telle sa place dans le biographique? Je voudrais donc battre le sentier pour m'y retrouver et donner ainsi une définition du verbe mais sans oublier le point de vue des sujets (les auteurs) et accorder la mienne. En effet, chaque expert y va de sa définition et pour que le contexte de mon intervention soit posé avec clarté, il me faut indiquer les définitions que je prends pour miennes. J'ai donc comparé plusieurs définitions que j'ai mises en lien avec les mimesis 1 d'Aristote reprises par Paul Ricœur. Comme en mathématiques, il me semble essentiel de partir sur des définitions claires que je considère comme une prémisse de posée pour avancer dans une réflexion. Les sciences humaines ont souvent été et sont encore bien souvent désignées comme des pseudo-sciences, qualificatif, j'en conviens, qui n'est pas très flatteur. La méthode biographique faisant partie de ce domaine a du s'établir des filiations transversales et multiréférentielles mais a du aussi se créer son vocable ou l'emprunter sur d'autres terrains, en l'occurrence celui des mathématiques. En parcourant moult auteurs hétéroclites des sciences humaines et en paniquant devant tant de néologismes et création de notions et de concepts, je me suis demandé si les sciences humaines ne manquaient pas de l'amour des sciences dures et ne jouaient pas à leur petit « Caliméro »2 en transférant leur libido sur un tas de vocable qui encombrerait le chemin de notre compréhension. Cependant, j'ai bien en tête que le domaine des histoires de vie est aussi intimement liées aux sciences du langage et que lorsqu'un domaine se développe, un besoin de vocabulaire se fait ressentir pour nommer et ainsi passer dans la réalité. Dans un domaine où il est question de sujet et de verbe, il me semble essentiel de bien déterminer les qualificatifs employés pour mettre en évidence d'où découle un raisonnement. Jean-Louis Le Grand nous parle « d'insu définotionnel »3, c'est un de ses néologismes utilisé pour « définition d'une notion »4 et chercher à définir n'est-ce pas chercher à objectiver ? Bien que nous soyons dans un domaine d'intersubjectivité ? Ce qui permet de créer et nommer des concepts, de les dissocier ? On pourrait se donner l'impression que le paysage des approches biographiques est dans un épais brouillard tant ce qui se greffe autour est immense et connait des transversalités qui tissent une vaste toile. La vie est un vaste sujet. Comment se repérer, comment différencier, histoires de vie, récits de vie, récits de pratique, autobiographies, biographies ? Qu'est-ce qui les différencient et qu'est-ce qui les relient ? Voici donc quelques définitions offertes par quelques uns de nos ascendants et quelques uns de nos contemporains. Le récit de vie selon Jean-Louis Le Grand est une « expression générique où une personne raconte sa vie ou une fraction de sa vie à un ou plusieurs interlocuteurs »5. Mais 1 Paul Ricœur tire la théorie des trois mimesis sur la base de réflexion d'Aristote. La dimension narrative correspond au mimesis 1 et la réflexivité au mimesis 3. Le mimesis 1 réside en la période pré-narrative, c'est à dire dans le vécu. 2 Caliméro est un personnage de dessin animé né en 1961, sa devise est « C'est trop inzuste », il se sent mal aimé. 3 LE GRAND Jean-Louis, 2000, « Définir les histoires de vie » Article p.41-52 dans la Revue internationale de Psycho-sociologie n°14 Vol.6, Printemps 2000. 4 Ibid. (2), p, 1. 5 LE GRAND Jean-Louis, PINEAU Gaston, JOBERT Guy, 1989,« Glossaire commenté », Les histoires de quelle est donc la différence entre un récit de vie et une autobiographie ? « Contrairement à l'autobiographie, le récit de vie est un récit suscité par une demande extérieure et cette demande est adressée à quelqu'un qui la plupart du temps n'aurait jamais songé à écrire sa propre autobiographie »6. Alex Lainé, dans son ouvrage faire de sa vie toute une histoire, nous donne la définition suivante du récit de vie: « Narration des faits temporels qui constituent la vie d'un individu. Dans la plupart des cas ce récit est oral et c'est le sujet dont la vie est relatée qui en est l'auteur »7. Daniel Bertaux dans un article intitulé « l'approche biographique: sa validité méthodologique, ses potentialités » reprend la distinction que fait le sociologue Norman K. Denzin entre life story (récit de vie) et life history (histoire de vie), il semble donc pertinent de citer un extrait de cet article qui explique que « par ce terme (life story) il (Norman K. Dezin) désigne l'histoire d'une vie telle que la personne qui l'a vécue la raconte; si de nombreux chercheurs français emploient le terme « histoire de vie » à cet effet, il semble qu'il soit préférable d'utiliser celui du récit de vie, qui est plus précis. Quant au terme de life history, Denzin propose de la réserver aux études de cas portant sur une personne donnée, et comprenant non seulement son récit de vie mais aussi toutes sortes d'autres documents :dossier médical, dossier judiciaire, témoignages de proches, etc. […] il s'agit donc avec l'histoire de vie d'une « étude de cas clinique »8. Daniel Bertaux fait donc le distinguo entre l'histoire vécue par le protagoniste et le récit qu'il en ferait et d'ailleurs à ce sujet un débat contemporain oppose « réalistes » et « antiréalistes », D. Bertaux se retrouve dans le champ des «réalistes » et affirme « que le récit de vie constitue une description approchée de l'histoire réellement (subjectivement et objectivement) vécue »9. Les « antiréalistes » sont quant à eux convaincus « que la relation entre récit et histoire est très incertaine, voire que le terme même d'histoire « réellement vécue » n'a aucun sens »10. Nous pourrions donc nous dire que la « vérité » dépend du point de vue où l'on se place et donc « Renoncer à revendiquer l’absolu ne signifie pas abandonner la recherche de la vérité, mais simplement admettre de nombreuses vérités où, avant, nous n’en avions que fort peu »11. Dans un palais, en Italie, il existe une tapisserie, suspendue dans des couloirs d'une immense demeure. La représentation que l'on en a dépend de l'endroit d'où on la regarde, cela illustre assez bien le propos de Francis Lesourd, propos inspiré par Paul Ricœur «Pour parler encore une fois par métaphore, à chaque âge de la vie, ou après chaque événement important l’endroit d’où on éclaire le buisson du passé change et ce ne sont plus les mêmes branches et les mêmes feuilles du buisson qui apparaissent »12. La conception du monde de l'homme est donc constituée de l'unité produite entre la réflexion, le sentiment et le désir, ce qui explique que chaque Homme aura sa conception du monde, sa vérité. Christine Delory- Momberger nous donne une définition du terme récit en employant un terme de Paul Ricœur : « le récit se présente comme le langage du fait biographique primordial, comme le discours dans lequel nous écrivons notre vie, ou encore, pour reprendre la terminologie de Paul Ricœur, comme l'opérateur de la mise en intrigue selon laquelle nous 6 7 8 9 10 11 12 vie, Tome II, Éditions l'Harmattan. DELORY-MOMBERGER Christine, 2003, Biographie et éducation, figures de l'individu projet, Paris, Éditions Economica, collection Anthropos, p, 212. LAINE Alex, 1998, Faire de sa vie toute une histoire, Éditions Desclée de Brouwer, p, 263. BERTAUX Daniel, 1980, « L'approche biographique: sa validité méthodologique, ses potentialités », in Cahiers internationaux de sociologie, Vol.LXIX, n° 2, juil-dec. , pp. 198 et 225. Cité par Alex Lainé dans son ouvrage Faire de sa vie toute une histoire, 1998, Éditions Desclée de Brouwer, pp, 141 et 142. BERTAUX Daniel, 1997, Les récits de vie, Éditions Nathan Université, p, 6. Ibid. , (7), p, 6. HESS Rémi, WEIGAND Gabriel, ZAMBRANO Armando, 2008, « Théories de l'expérience » (Texte du séminaire), p, 33. LESOURD Francis. 2008, « Repères théoriques généraux » in Séquence n°1 sur la temporalité, séminaire de licence 3 en sciences de l'éducation. faisons de notre vie une histoire 13». L'histoire de vie peut s'exprimer au moyen d'une biographie, d'une autobiographie et du récit de vie, elle serait donc un champ à part entière. Alex Lainé nous en donne une définition et je reprendrai la plus courte issue du glossaire de la fin de son ouvrage, l'histoire de vie serait donc «Récit de vie + analyse des faits temporels relatés par le récit »14. Pour définir plus en détail les différences entre récit de vie et histoire de vie, Alex Lainé s 'appuie sur les trois mimesis selon Paul Ricœur. La mimesis est associée à l'intrigue et donc par extension à la « mise en intrigue ». « La mimesis c'est l'activité mimétique, le processus actif d'imiter ou de représenter »15, ce concept né de la réflexion d'Aristote n'indique pas que la mimesis soit une copie, en effet, en s'appuyant sur la définition qu'en donne Aristote dans la poétique: « [il] définit le théâtre comme une “imitation” (mimesis) des “hommes en action”, “au moyen d'une action”, et non d'un récit, comme dans l'épopée, par exemple. Même si, définie ainsi, la notion semble vague, il en ressort quand même qu'elle peut utiliser aussi bien des signes linguistiques et textuels (le vers tragique) que ceux, non linguistiques, d’une représentation (décor, espace, acteurs ... ) »16. Cependant Aristote ne voit pas l'activité mimétique comme une copie exacte des faits, il s'agirait plutôt d'une activité créatrice dont les faits sont ré-agencés par celui qui raconte et/ou écrit. Pour bien comprendre en quoi la mimesis permettrait de faire une distinction entre récits de vie et histoires de vie, il convient de donner un aperçu des trois mimesis que Paul Ricœur propose. Ainsi, pour la mimesis I il s'agit du temps vécu qui précède la narration, la mimesis II correspond à une introspection du passé et donc à une mise en intrigue, la mimesis III correspond à la période de reconstruction et entraîne donc une attitude réflexive sur le récit. Les axiomes que je prends. Bien comprendre le point de vue des auteurs pré- cités quant, aux définitions qu'ils nous donnent en terme du vocable qu'ils choisissent pour débattre dans le domaine de la méthode biographique, est essentiel pour se choisir un axiome de base qui guide la recherche. En effet, sachons de quoi nous parlons. Au vu de toutes ces définitions et de leurs différences, je me suis tissé la mienne en empruntant à chaque auteur mais aussi en ajoutant une réflexion produite à partir de ma lecture de ces différents auteurs. Oralité muette et bio-oralisation. Le suffixe « graphie » m'interpelle, rappelons que les suffixes « -graphe, -graphie, graphiques sont des éléments entrants dans la composition de nombreux » mots (formés sur le modèle de mots grecs terminés par -graphos – graphia, du radical de graphein « écrire ») relatifs aux domaines de l'écriture, de l'imprimerie et de l'enregistrement» 17. Raconter et rapporter des faits de sa vie, se biographiser ne passe pas que par l'écriture. En effet, si par exemple je suis dans une position d'énonciateur, je suis dans la parole et non dans l'acte d'écrire, il s'agirait donc de bio-oralisation, ce terme me semble avoir toute sa place dans le paradigme de la méthode biographique. Je pensais avoir fait un néologisme, que nenni ! Alex Lainé utilise le terme de bio13 DELORY-MOMBERGER, 2003, Biographie et éducation, figures de l'individu projet, Paris, Éditions Economica, collection Anthropos. 14 LAINE Alex, 1998, Faire de sa vie toute une histoire, Éditions Desclée de Brouwer, p, 262. 15 THOMASSET A., 1996, Paul Ricœur une poétique de la morale, Éditions Peeters « Petters », p, 136; 16 http://pedagogie2.ac-reunion.fr/lettres/tl/Soph_JM/IV_Mimesis.pdf (consulté le 5/05/2010). 17 REY Alain (sous sa direction), 2006, Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Dictionnaire Le Robert, (1ère édition : 1992). oralisation lorsqu'il parle de récit oral18. Nous pouvons aussi entrer dans une herméneutique en acte au travers du cinéma, de l'art sans qu'il y soit question d'écriture. Et en ayant cela en tête nous pourrions nous dire que le vocable : méthode biographique est métaphorique dans le sens où le stylo utilisé pour l'acte d'écriture peut aussi se substituer par une caméra, le langage, un appareil photo, un pinceau, de la musique. La parole me semble un élément essentiel dans le paradigme de la méthode biographique et c'est pourquoi je me donne aussi une définition notionnelle pour ce qui est du processus qui permet de passer de l'oral à l'écrit en utilisant l'oxymore « oralité muette ».Nous avons accès au réel grâce à une opération de médiation qui se nomme langage, cette opération de médiation même si elle se nomme langage ne signifie pas "parler", il y a notre esprit qui a pour intermédiaire le prolongement de notre corps utilisé pour écrire, nous pourrions repérer là un instant de mutisme. Et si l'oral s'éclipsait au moment de le coucher sur le papier ? Écrire ne serait-il pas aussi la fixation de l'inaudible ? Écrire ne serait-il pas donner une forme au muet, ne serait-il pas faire entendre ce que l'on n'entend pas ? Ne serait-ce pas aussi retrouver un espace d'intimité et ainsi retrouver un espace qui est à soit avant toute socialisation de nos textes et réflexions, si tant est que nous les socialisions tous. « L'oralité muette » est-elle un moment de notre pensée ? En tout cas, si cette oralité est absente, nous pouvons prédire que l'acte d'écriture n'aura pas lieu. Si la pensée s'échappe nous la rattrapons en la faisant glisser sur le papier et en lui donnant forme avec des lettres. Mais il existe une hantise pour chacun de nous, hantise qui se nomme « page blanche ». Cette page qui reste figée, et que l'encre ne peut pas noircir pare ce qu'il n'y aurait aucune connexion qui s’établit entre les pensées et les idées, entre le passé et le présent, entre le conscient et l’inconscient, entre les lectures et l’écriture. Histoire et récit de vie ou histoire et/ou récit de vie. Le verbe raconter est rattaché à ces termes et le passé s'y retrouve aussi. Cependant, on raconte une histoire mais on ne raconte pas un récit. Le fait même de faire le récit de...constitue le fait de raconter. Il est cependant intéressant de savoir que le mot histoire était pris au sens de raconter vers 1410 et qu'il est emprunté « au latin historia « récit d'évènements racontés »[...] »19. La dimension temporelle du mot histoire apparaît au XVII ème siècle, c'est à cette période « que sont attestés le sens de « mémoire que la postérité garde du passé » (1648) »20. Écrire un récit me semble sonner étrangement, je dirais plutôt que je fais le récit de..et que donc il y a là une dimension orale perçue clairement si nous gardons en tête le verbe réciter, toutefois dire que nous faisons un récit par écrit sonne mieux. Je peux donc faire le récit de et par... Récit est donc le déverbal de réciter, il est apparu vers 1498 et « […] désigne la narration d'évènements, réels ou imaginaire, de vive voix ou par écrit [...] »21. Le récit me semblerait être dans l'histoire et l'histoire fabriquée au moyen du récit, je prends donc pour axiome que le récit constituerait un outil de recueil d'histoire de vie. Et pour finir sur un clin d' œil, remarquons que le mot récit est l'anagramme d'écrit. 18 19 Cf. LAINE Alex, 1998, Faire de sa vie toute une histoire, Éditions Desclée de Brouwer. REY Alain (sous sa direction), 2006, Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Dictionnaire Le Robert, (1ère édition : 1992). 20 Ibid., (18). 21 Idem (18). Références bibliographiques. BERTAUX Daniel, 1980, « L'approche biographique: sa validité méthodologique, ses potentialités », in Cahiers internationaux de sociologie, Vol.LXIX, n° 2, juil-dec. DELORY-MOMBERGER Christine, 2003, Biographie et éducation, figures de l'individu projet, Paris, Éditions Economica, collection Anthropos. HESS Rémi, WEIGAND Gabriel, ZAMBRANO Armando, 2008, « Théories de l'expérience »(Texte du séminaire). LAINE Alex, 1998, Faire de sa vie toute une histoire, Éditions Desclée de Brouwer. LE GRAND Jean-Louis, 2000, « Définir les histoires de vie » Article p.41-52 dans la Revue internationale de Psycho-sociologie n°14 Vol.6, Printemps 2000. LE GRAND Jean-Louis, PINEAU Gaston, JOBERT Guy, 1989, « Glossaire commenté », Les histoires de vie, Tome II, Éditions l'Harmattan. LESOURD Francis. 2008, « Repères théoriques généraux » in Séquence n°1 sur la temporalité, séminaire de licence 3 en sciences de l'éducation. REY Alain (sous sa direction), 2006, Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Dictionnaire Le Robert, (1ère édition : 1992). THOMASSET A., 1996, Paul Ricœur une poétique de la morale, Éditions Peeters « Petters ». Article sur «Complément sur mimesis et catharsis » http://pedagogie2.ac-reunion.fr/lettres/tl/Soph_JM/IV_Mimesis.pdf (consulté le 5/05/2010).