Le premier mot
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Le premier mot
DOSSIER Parler et (se) soigner Le premier mot Une nouvelle pour dire l’abîme du malentendu qui existe parfois entre l’attente du malade qui espère être écouté et la surdité du médecin. §Langage, §Ecoute, Empathie, Jean Bescós, écrivain, photographe, directeur artistique de compagnie Solo ma non troppo Relation soignant soigné §Pratique médicale §Droit des patients, Information Depuis deux heures je suis là, assis, froissements euh deux pétitions… des revues « La vie des crabes », « Potes et images du monde », « Femme fatale »… Je réfléchis : quelle est la source de mon… « Monsieur Dinaire ! – C’est moi ! – C’est à vous… entrez… M… Dinaire. Dites-moi. – Bon alors, c’est arrivé le jour où. Non, je crois que c’est la veille… – Un pressentiment peut-être… – Enfin, il pleuvait et… – Vous êtes allergique à … – Non car… je me sentais… – Fatigué ? – Non ! – Humide ? – Non !… et puis la douleur… – Elle vient de votre dos, alors là il va falloir faire une… – Mais non. Je voulais dire que… – Je sais ce que je dis… ce ne peut-être que votre dos ! – C’est… que… – C’est sûr, c’est courant. – Pourtant, j’aurais cru que ça venait de mon… – Je vais vous prescrire un thermoformatage des vertèbres en quinconce… c’est très efficace. – Et pour la fièvre… – Prenez rendez-vous au service malaxologie… je vous recommande le Professeur Charmant-Kaissdair… bon courage. » …Clap ! Porte fermée, couloirs escaliers rue, je suis fébrile, les images une à une dans ma tête, cette question « Mais pourquoi ? » et cette ritournelle « Trouver le premier mot juste… juste le premier mot… permet d’envisager une probable vérité ». de blouses, lire une revue, non, plutôt réfléchir : « Que vais-je lui dire ? Comment commencer, par où, par quoi, depuis que ? Depuis ? Non avant. Comment expliquer sans qu’il interprète… ce matin-là il faisait un temps ordinaire… et ce matin… ce matin-là : … Je me lève, il est l’heure, l’heure de tous les jours, je prépare le déjeuner, je me lave, je me regarde dans la glace, je suis une personne ordinaire et le temps est comme moi, ordinaire, pas de soleil, pas de pluie, pas de froid, pas de chaud, pas de brume… J’ouvre l’armoire, en rang d’oignon des costumes à rayures ordinaires fines certaines, plus larges d’autres, j’en prends un, puis ouvre le tiroir à droite, un caleçon et des chaussettes assortis : style ordinaire. Une chemise et une cravate ton sur ton ordinaire… les chaussures… voilà un dernier regard et je suis prêt à me confondre à la foule… ordinaire… Le métro, les stations, les couloirs, sol gris, escaliers, lumières jaunes, murs carrelés, changement, couloirs, wagon, main moite sur la barre en inox, ouvertures automatiques, escalators, porte, courant d’air, sortie, trottoir, c’est là-bas un peu plus loin. Ce matin j’ai rendez-vous avec « le spécialiste », « the specialist », « el especialisto »… je suis heureux… enfin un rendez-vous… un an d’attente… rue Chaussette, place Miche Pain, portail fer noir, allée couverte, graviers, bouton ding, interphone : « mmhmneogrs »… « C’est moi… Monsieur Dinaire » « mmhgls 3e étage droite… mmmghtll ». Clic, porte ouverte, escalier comme limace, une après l’autre, marche-marche, tapis, un, deux, trois : « C’est là »… sonnette pong : entrouvre la porte, un fauteuil deux places, deux chaises… au murs des images, des dessins, une pétition… non PRATIQUES 44 JANVIER 2009 28