Le mal n`aura pas le dernier mot Un bref parcours avec Georges
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Le mal n`aura pas le dernier mot Un bref parcours avec Georges
Le mal n’aura pas le dernier mot Un bref parcours avec Georges Bernanos. Georges Bernanos est certainement un des plus grands écrivains français ; né le 20 février 1888 à Paris il meurt jeune à l’âge de 60 ans. Enfant, il passe une grande partie de son temps dans le Nord-Pas de Calais. Ce terroir du nord marquera profondément son œuvre. Il y fait l’expérience de l’âme humaine, des joies mais aussi des douleurs et du mal qui habitent les vies de chacun. Présence du mal qui peut traverser toutes les couches de la société : l’aristocrate, comme l’enfant, le curé, comme le père de famille. Pourtant ces années là façonnent en lui une foi solide qui repose sur une découverte approfondie de la figure de Jésus le Christ.… Chrétien, homme de Foi, passionné et anticonformiste c’est un homme engagé au nom de l’Evangile, pour la cause de la liberté. Dans ses œuvres, Georges Bernanos explore le combat spirituel du Bien et du Mal, combat qui s’inscrit à la fois dans les quotidiens des hommes comme au cœur des cultures. Bernanos s’élève, au moment de la montée des périls, contre ceux qui cherchent à avilir la dignité humaine. Au nom de l’Evangile il s’opposera aux totalitarismes, gris, verts ou rouges. Il s’engagera dans une résistance spirituelle, culturelle et politique. A la libération il refuse le ministère de la Culture qu’il laisse à André Malraux. Cet écrivain, qui sera ministre de la culture, est comme un double agnostique de Bernanos, s’interrogeant, lui aussi, sur le sens et la destinée de l’homme devant Dieu. Tous deux sont des hommes d’une génération, où l’horreur des guerres pousse à s’interroger. Bernanos, comme chrétien, peut aujourd’hui nourrir notre réflexion et notre foi en ce temps de carême, et nous offrir même quelques clefs de discernement et d’action pour notre quotidien. Rien dans les origines de Bernanos ne le prédestinait à de tels combats. Catholique fervent, monarchiste passionné, il milite très jeune dans les rangs de l’Action Française dirigée par Charles Maurras. Il adhère, comme beaucoup de sa génération, aux camelots du Roi, et prend la tête du journal L'Avant-garde de Normandie jusqu'à la 1er Guerre Mondiale. Réformé, il s’engage en se portant volontaire, dans l’aviation ; il sera plusieurs fois blessé. L’expérience de la guerre sera pour lui, comme pour toute sa génération, déterminante. Non seulement parce qu’il se heurte à la mort de ses frères d’armes, mais parce qu’il perçoit, avec une rare acuité, le pouvoir destructeur des idéologies de progrès, quand elles ne sont pas au service de l’humain. Après la guerre, il cesse de militer à l’Action Française et rompt avec avec Charles Maurras. En 1926 il publie son premier livre « Sous le soleil de Satan ». Le roman aura un vif succès. Le livre est remarqué par André Gide et salué par Malraux. « Sous le soleil de Satan » a une place particulière dans l’œuvre de Bernanos, et en donne peut être même le ton à l’ensemble de son parcours littéraire et spirituel. Le thème principal de ce livre c’est la lutte du bien et du mal, l’enfer, Satan la confession et le salut. Bernanos débute l’écriture de ce livre, à Bar-le-Duc à la fin de la guerre, il en est comme le fruit méditatif. La figure du curé d ‘Ars lui inspire le personnage principal l’abbé Doissan, homme tourmenté, qui doute de lui même. Ce prêtre simple, qui a une réputation de sainteté, va vivre une expérience mystique qui le mène jusqu’aux portes du mal. Une nuit, il recevra même le don de « lire dans les âmes », au cours d’un face à face nocturne avec Satan luimême : « celui dont la haine s'est réservé les saints ». Son ministère va le confronter aussi à Mouchette, une jeune fille qu'il ne parviendra pas à sauver malgré un engagement total de lui-même. ….! Dans cet épisode terrible il y a le cri du diable face à la croix, ainsi que la description « du malin qui se niche au cœur de l’homme afin de s’y tenir au chaud » et en même temps, de l’entrainer avec lui dans l’abîme infernal ! Cette méditation sur le mal et l’enfer replace la question de l’absolue radicalité de celui ci au cœur de l’existence et des décisions de l’homme. Pour Bernanos il n’y a pas de « banalité du Mal »1. Le mal est entendu ici dans son absolue horreur, et non pas ce mal, au contour flou et réducteur du relativisme métaphysique et sociologique ! Il y a du mal nous dit Bernanos ; à la suite de Jésus, la seule façon de lui faire échec, c’est de se placer devant le sacrement de la réconciliation. Car, seul le pardon introduit l’homme dans une communion toujours plus grande avec son créateur. Dans ce sacrement, nous prenons le cœur de ce qu’il y a de plus faible en nous, pour nous faire passer sous « le soleil de Dieu », seule vraie et unique lumière. Jour de Dieu qui commence au plus profond des nuits noires de nos existences et qui s’achève dans le soleil du jour de Pâques : « l’ordre des noms , la nuit , le jour , est fidèle à la façon juive de penser la journée : celle ci commence le soir , traverse la nuit comme une promesse de lumière et atteint ensuite le plein jour (…) l’alliance entre la nuit et le jour demeure donc au cœur de notre finitude notre bien le plus précieux, celui sur lequel il convient de veiller, surtout par temps de violences incessantes et de haute précarité spirituelle »2 . Le mal ne peut pas avoir le dernier mot dans notre existence. Le pardon nous ouvre à une confiance en Dieu. Dans la confiance toutes ces réalités sont présentes. Dans la confiance, « il y a le mystère de l’amour, le mystère de la communion, et finalement le mystère de Dieu en tant que Trinité »3. Une autre œuvre de Georges Bernanos peut nous aider à avancer dans notre carême : Les grands cimetières sous la Lune. Ecrit en exil, cette œuvre va d’abord paraître, en épisode, dès 1937 dans la revue des Dominicains Sept 4. Ecrite à Majorque où il réside, Bernanos assiste, dans un premier temps, avec une certaine sympathie au mouvement Franquiste. Mais rapidement il est choqué, blessé par la barbarie des combats et révolté par la complicité du clergé espagnol, avec la dictature qui se met en place. Il ne veut pas se taire face à l’horreur. Le théologien, cardinal, Hans Urs von Balthasar, dans la biographie spirituelle qu’il a dressée de Bernanos, dit de lui : « ici l’œuvre littéraire est une œuvre politique au sens supérieur, au sens platonicien du terme. L’appel qu’adresse l’écrivain à son temps est inséparable du don qu’il fait lui même de son œuvre »5. La question fondamentale qu’adresse Bernanos est celle 1 - La banalité du Mal ce concept pose des questions essentielles sur la nature humaine : l'inhumain se loge en chacun de nous. Dans un régime totalitaire, ceux qui choisissent d'accomplir les activités les plus monstrueuses ne sont pas si différents de ceux qui pensent en être incapables. Continuer à « penser » (c'est-à-dire s'interroger sur soi, sur ses actes, sur la norme) est la condition pour ne pas sombrer dans cette banalité du mal .Dans un régime totalitaire, cela est rendu plus difficile par l'idéologie, la propagande et la répression. (Hannah Arendt) 2 - Catherine Chalier, la nuit le jour au diapason de la création, seuil 2009 3 - Olivier Clément -Taizé : un sens à la vie, Bayard Edition 1997 p 88 4 -Revue fondée en 1934 à l’initiative du Père Marie Vincent Bernardo op. A laquelle collaborera le Père Meydieux op. Ils seront à la pointe de la résistance spirituelle et intellectuelle contre le Nazisme et la « révolution nationale » du gouvernement de Vichy. Parmi les grandes signatures de la revue relevons les noms de Mauriac, Sertillange, Gilson, Gabriel Marcel, Pierre Henri Simon. 5 - Hans Urs von Balthasar, le chrétien Bernanos, le seuil 1956 p 492 ci : qu’avons-nous fait ou que faisons-nous de notre liberté ? Pourquoi laissons-nous l’humanité entrer dans la voix de l’inhumain ? La réponse de Bernanos, c’est d’opposer à la force et à la puissance, la pauvreté même du Christ. Il renvoie donc dos à dos, toutes les formes de pouvoir qui viennent détruire l’homme quand il n’assume pas la « part » de Vérité qui doit être sienne. Contestation en tout premier lieu du pouvoir religieux qui n’ assume pas la part la Vérité et qui se rend complice du mensonge ( figure de Jésus devant le grand Prêtre ), celle du politique quand il n’assume pas la part de responsabilité qui est la sienne et qui se fait injustice ( figure de Jésus devant Pilate ), celle de l’état qui contraint le faible par la force et qui le torture ( Figure de la couronne d’épine) et enfin tyrannie de l’émotion sur la raison ( figure de Jésus devant la foule : « qui voulez-vous que je relâche ? » …). L’idée centrale de Bernanos c’est que « la liberté de la personne, base de toute civilisation court aujourd’hui un danger »6 ; les chrétiens qui font partie de l’Eglise, « sont tous ses représentants dans le monde, il faut donc que chacun engage sa personne entière, pour aider le monde à prendre conscience de tout ce que l’Eglise comporte de liberté et de transcendance par rapport au monde »7. Il s’agit donc bien, pour les chrétiens, d’être, dans le monde, ceux qui construisent une civilisation de la vie, fondée sur une culture de la vérité et de la vie ! Il ne s’agit pas seulement de penser à faire de grandes choses ( ce qui n’est pas interdit) mais certainement, d’abord, de se convertir aux petits gestes ou aux actions les plus simples et les plus humbles comme parler de Jésus autour de soi, lire l’évangile , distribuer la feuille du dimanche, porter la communion aux malades, réfléchir en chrétien avec d’autres. N’est-ce pas aussi s’indigner, refuser l’inacceptable, la fatalité des situations les plus extrêmes ? L’indignation ne peut pas être le seul fait d’un moment qui passe ! Les chrétiens sont indignés quand l’homme est blessé car toucher à tout homme c’est blesser Dieu. Au soir où j’écris ces lignes je m’indigne de ces jeunes filles qui au Bénin ont été enlevées parce que chrétiennes. Combien sont mortes ou violées ? Je m’indigne pour les chrétiens du Moyen Orient, je m’indigne avec mes amis juifs et musulmans, chaque fois que leur foi, leurs lieux de culte, leurs cimetières sont profanés … Il n’y a rien de bien compliqué, ces actions ou cette indignation sont, apparemment, sans grande influence sur l’actualité ou sur le sens de l’histoire. Pourtant je crois que ce sont celles qui vont changer l’histoire, car habitées par cette présence insondable de Jésus lui-même ; et je crois que son Esprit agit au cœur de l’histoire ! Les réponses aux grands troubles qui habitent notre monde se trouvent dans notre quotidien ; c’est ici dans chacune de nos maisons que se construit cette civilisation de l’amour qui nous fait dire à notre tour « non » à la barbarie, à la haine, à la déshumanisation de l’homme. N’est-ce pas là une conversion, que nous avons tous à faire, en ce temps de carême. La première conversion que nous avons à faire, n’est-ce pas de croire dans une douce et ferme assurance, que Jésus, par sa mort et sa résurrection, a vaincu toute forme de mal ! Père Nicolas Risso 6 - Baltazar op cité p.532 7 - Balthazar op cité p. 532-533